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Le poids du réel.

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Le poids du réel.

Les surréalistes bruxellois et l’objet

dans les années 1940

 

Marie GODET Thèse présentée en vue de l'obtention du

grade académique de Docteur en

Histoire, Histoire de l’art et Archéologie, sous la direction de Monsieur le

Professeur Denis LAOUREUX

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Introduction méthodologique

A. Surréalisme et années 1940

1. Présentation

Je sais parfaitement que le surréalisme s’est fait avant nous le champion de telles idées. Mais si tout le poids de l’héritage qu’il nous laisse nous soulève et nous écrase à la fois, du moins avons-nous appris de lui la vanité qu’il y a à vouloir coûte que coûte créer des poncifs quand il s’agit en réalité d’adopter une attitude. On renie un poncif, on ne renie pas une attitude sans se nier soi-même, surtout lorsque cette attitude implique un perpétuel état de qui-vive intellectuel et de découverte. En dépit des petites querelles de générations, l’art est à sens unique. Et c’est pourquoi suivre l’élan d’un tel effort est encore pour nous la garantie la plus sûre de le poursuivre dans les meilleures conditions et de se trouver ainsi toujours à l’avant-garde de notre temps. Cependant, tout à la joie et à la fierté de se réclamer d’une telle attitude, poètes et peintres ne pensèrent qu’à donner libre cours à leur nouvelle activité, quand il s’agissait peut-être déjà de lui donner cours forcé. Et cette époque dont la figure et l’œuvre de Dalí sont sans doute la personnification la plus criante et la plus magnifiquement scandaleuse me paraît à l’heure actuelle dépassée. Un certain ralentissement d’ailleurs et un certain engourdissement d’activité, sensible surtout au cours de ces dernières années, suffisait déjà à faire croire que cette attitude demandait à être sinon modifiée, du moins parfaite, dans un sens qu’il restait à une nouvelle génération à découvrir.

Mais la guerre vint.1

Ces mots sont extraits d’un texte de 1941 de Jean-François Chabrun2, jeune fondateur français du groupe surréaliste La Main à plume. En quelques lignes, Chabrun cerne ce                                                                                                                

1 Jean-François Chabrun, « Naissance de l’homme-objet », in Transfusion du verbe (décembre 1941) ; Anthologie p.56. 2 Poète et journaliste français (1920-1997) dont le parcours sera abordé par la suite. Il participe au groupe des

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qui sera le cœur de cette thèse. Celle-ci se propose d’étudier le surréalisme bruxellois durant les années 1940, à travers le prisme de l’objet. Les termes d’héritage, de poncif, de génération, d’avant-garde et de scandale en façonnent le cadre. Le poids des événements historiques s’y fait continuellement ressentir. Particulièrement peu unifiées sur le plan politique et artistique, les années 1940 sont synonymes d’intenses turbulences pour le surréalisme, officiellement lancé en 1924. Les jeunes poètes qui entament leur parcours à cette époque sont pratiquement nés au même moment que le mouvement dans lequel ils s’insèrent. Sans prétendre aux critères du beau façon Lautréamont3, la rencontre entre ces surréalistes débutants et un mouvement ayant ses principaux coups d’éclat derrière lui crée une dynamique à laquelle l’énergie de ces années difficiles est en grande partie redevable.

Celle-ci se caractérise avant tout par la tension. D’abord, entre l’ancienne et la nouvelle génération. Autour de 1940 se forme, de manière progressive et variable, ce que nous dénommerons une « deuxième génération » surréaliste. Contrairement à la situation française, elle a à Bruxelles la particularité de se constituer aux côtés des aînés. Les rapports entre jeunes et anciens s’y tissent donc très différemment. Tous partagent une préoccupation : ils s’interrogent sur la pertinence et les moyens d’action du mouvement. La volonté de poursuivre le surréalisme s’accompagne d’une reconnaissance de la crise qu’il traverse ; le surréalisme tel qu’il a été s’oppose au surréalisme tel qu’il devrait être. Durant cette décennie, on voit également fluctuer les relations avec Paris. La distance prudente qui caractérisait l’entre-deux-guerres laisse place à des fusions comme à des rejets. Enfin, l’instabilité politique force chaque membre du mouvement à repenser ses rapports au réel4. L’occupation allemande a des répercussions dans l’existence la plus quotidienne et met à mal le positionnement surréaliste. Après la Libération, les surréalistes bruxellois s’engagent aux côtés du parti communiste. Ce rapprochement avec le domaine politique contribue lui aussi à la spécificité de cette décennie dans l’histoire du surréalisme en Belgique. L’utilisation de l’objet par les surréalistes est intimement liée à ces soubresauts continuels.

                                                                                                               

3 Les Chants de Maldoror d’Isidore Ducasse, dit comte de Lautréamont, figurent au sommet du panthéon que s’est bâti

le surréalisme. La phrase « beau comme […] la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre

et d'un parapluie », qui en est issue, joue un rôle fondamental dans la conception surréaliste de l’image. Elle témoigne

aussi de la proximité entre poésie et objet, qui sera discutée plus loin.

4 Ce terme de « réel » sera utilisé afin de désigner ce qui est extérieur au surréalisme ; il peut aussi bien renvoyer à

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2. Mariën et Dotremont : parcours individuels et tension

générationnelle

Nous suivrons plus particulièrement l’émergence et le développement de Marcel Mariën (1920-1993) et Christian Dotremont (1922-1979), deux fers de lance de la relève surréaliste qui se sont intéressés à l’objet (annexe 1, fig. 1). Au début des années 1940, sur le papier, tout les rassemble. Ils sont jeunes, poètes, surréalistes ; leurs écrits témoignent d’une prise de position politique. Ils entrent en contact au début de 1941 et entretiennent une certaine proximité. Leurs idées convergent sur plusieurs points quant à l’héritage laissé par le surréalisme. Par contre, les réponses qu’ils façonnent aux questions générationnelles varient et la fin de la décennie voit leurs chemins se séparer définitivement. En 1947, Mariën s’éloigne du surréalisme-révolutionnaire (désormais : s-r) de Dotremont, tandis que ce dernier tourne le dos au surréalisme autour de 1949. Pourtant, dans les années 1960, ils se livrent l’un comme l’autre à une forme de création qui leur est propre et se distingue du domaine strictement poétique au sein duquel ils avaient tous les deux entamé leur parcours. Vers 1962-1963, Dotremont invente le logogramme, qu’il ne cessera de développer jusqu’à sa mort prématurée, tandis que Mariën se remet notamment à la production d’objets vers 1966-1967 (fig. 2-3).

Ces inventions très différentes, ainsi que la distance qu’ils se sont eux-mêmes ingéniés à instaurer entre eux, expliquent sans doute que ces deux acteurs sont rarement rapprochés5. Pourtant Mariën et Dotremont peuvent être considérés comme les figures les plus représentatives de cette génération surréaliste, tant par la force de leurs options personnelles que par le statut qu’ils ont acquis dans le paysage de l’art et de la littérature belges de la seconde moitié du XXe siècle6. Ils incarnent véritablement deux façons antagonistes, bien que nourries aux mêmes sources, d’assumer l’héritage surréaliste et de                                                                                                                

5 Le retournement systématique des valeurs surréalistes par Dotremont, ainsi que les remarques assassines de Mariën

vis-à-vis de Cobra, seront abordés au fil de cette étude.

6 Marcel Broodthaers (1924-1976) a logiquement sa place à leurs côtés et a d’ailleurs été comparé à Mariën (Mieke

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se positionner dans le processus générationnel. L’étude croisée de ces protagonistes vise, plus largement, à embrasser la jeune génération surréaliste. La trajectoire de Dotremont est en mutation constante ; il traverse ou côtoie une série de groupements de surréalistes ou para-surréalistes débutants, révélant par là le surgissement de cette nouvelle génération. Il passe sans arrêt la frontière française et inscrit l’activité de ses premières années dans les deux capitales. On verra ainsi apparaître, outre les surréalistes bruxellois et hennuyers, les irréalistes, les s-r et Cobra à Bruxelles, mais aussi les Réverbères, la Main à plume et le groupe s-r français à Paris. À l’inverse, la figure de Mariën permet de mesurer les interactions des jeunes avec les « premiers surréalistes »7 à l’aune de la relation de proximité que lui-même entretient avec eux, et en particulier avec Paul Nougé (1895-1967) et René Magritte (1898-1967). Nougé le poète et Magritte le peintre sont les deux représentants de la première génération les plus évoqués dans cette étude. Le premier est la tête pensante du groupe bruxellois de l’entre-deux-guerres ; le second est l’animateur du mouvement dans les années qui nous occupent. Ils jouent un rôle crucial dans la construction du parcours des plus jeunes ainsi que dans le domaine de l'objet. Cette notion de génération, relativement imprécise8, sera limitée à sa définition la plus

générale, ici issue du domaine littéraire, d’un ensemble « d’auteurs qui ont sensiblement le même âge et dont on suppose dès lors qu’ils ont été façonnés et déterminés par les mêmes circonstances et le même contexte »9. Elle sera utilisée pour distinguer les premiers surréalistes, nés globalement entre 1895 et 1905 (Nougé, Magritte, mais aussi André Breton, Paul Eluard, etc.) de ceux qui sont nés vers 1920 et entament leur parcours autour de 1940. Une série de protagonistes s’inscrivent dans l’intervalle10 : le surréalisme en Belgique n’est pas limité à ces deux tranches d’âge. C’est cependant entre ces générations que les confrontations sont les plus fécondes. Nous avons choisi d’employer ce concept parce qu’il correspond à la perception que les acteurs eux-mêmes

                                                                                                               

7 Cette expression sera utilisée pour désigner, sans distinction, ceux qui ont fait le surréalisme dans les années 1920 et

1930. Elle est par exemple employée par Dotremont en 1947 (« Le Surréalisme hier le surréalisme aujourd’hui », daté du 15 juin 1947, Arsenal, Fonds Noël Arnaud, Dossier « Textes de Dotremont + correspondance »).

8 La littérature à ce sujet varie notamment quant au nombre d’années couvertes par une génération, de trente chez Karl

Mannheim à dix chez Michel Winock, par exemple (Karl Mannheim, Le Problème des générations [1964], trad. par Gérard Mauger et Nia Perivolaropoulou, Paris, Armand Colin, (coll. « Essais & Recherches »), 2005 ; Michel Winock,

L’Effet de génération. Une brève histoire des intellectuels français, Vincennes, Editions Thierry Marchaisse, 2011). 9 Benoît Denis, « Génération littéraire », in PaulAron,DenisSaint-Jacques,Alain Viala (dir.), Le Dictionnaire du littéraire, 3e éd. rev. et augm., Paris,PUF(« Quadrige »), 2010, p.316.

10 C’est le cas des surréalistes du Hainaut comme Achille Chavée (1906-1969) ou Marcel Havrenne (1912-1957). Nés

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avaient de la situation11 et parce qu’il est apparu comme une clé de lecture efficace pour décoder l’activité des uns et des autres12.

Parmi les différentes réflexions à ce sujet, celles de Michel Winock entrent particulièrement en résonance avec nos préoccupations. Cet auteur n’utilise pas la date de naissance d’un individu comme critère premier de rattachement à une génération, mais sa période d’émergence dans la vie publique13. Cette conception permet de mettre en évidence la tension intrinsèque au parcours de Mariën. Si l’on reprend la classification construite par cet auteur pour les intellectuels français, Dotremont s’insère tout naturellement dans la « génération de la Seconde Guerre mondiale ». Mariën par contre, né en 1920, s’inscrit par son âge dans cette même génération, alors qu’il a été actif parmi les surréalistes dès 1937 et pourrait donc être rattaché à la génération précédente14. Nous postulerons que cette spécificité a, pour une bonne part, déterminé son parcours, d’autant qu’elle est lourde de conséquences sur le plan du surréalisme : contrairement aux autres membres de sa classe d’âge, celle des « vingt ans en 1940 », Mariën a goûté au surréalisme triomphant dont l’Exposition internationale de 1938 à Paris est le couronnement. Alors qu’à partir de 1940, le mouvement ne peut plus se prévaloir ni d’une telle unité, ni d’une telle aura.

Par ailleurs, Winock relève que nombre des membres de cette génération de la Seconde Guerre mondiale « n’ont fait d’abord qu’ajouter une strate générationnelle au sein d’organisations qu’ils n’avaient pas créées et qui étaient tenues en main par leurs aînés : qu’on songe aux mouvements de Résistance, mais aussi au parti communiste »15. On peut en dire autant du surréalisme ; cette cohabitation de générations différentes sous un même drapeau apparaît comme caractéristique de cette époque. Les dynamiques classiques d’affiliation et d’indépendance, de fidélité et de mise en question, animent véritablement une période tout à fait particulière à cet égard.

                                                                                                               

11 Voir par exemple l’extrait donné en début de chapitre. Nous le montrerons également au cours de cette étude. 12 Elle a déjà été utilisée au sujet de Dotremont : Damien Grawez, « Centre et périphérie. Les jeunes belges et l’attraction

de Paris : le cas de Christian Dotremont », in Maryse Souchard, Denis Saint-Jacques et Alain Viala (dir.), Les Jeunes.

Pratiques culturelles et engagement collectif, sl, Nota bene, 2000, p.215-233. 13 Michel Winock, op. cit., p.9-10.

14 Xavier Canonne parle à son sujet d’une « position chronologique de relais entre un surréalisme historique et la

nouvelle génération » (Xavier Canonne, Marcel Mariën. Le passager clandestin, Charleroi, Musée de la Photographie, 28 septembre 2013 – 19 janvier 2014, p.16) ; Mieke Bleyen souligne quant à elle à quel point le concept de génération est inapte à expliquer son œuvre puisque contrairement à Dotremont ou Broodthaers, Mariën est resté dans la voie tracée par les premiers surréalistes jusqu’à la fin de son parcours (Mieke Bleyen, op. cit., p.12-13). Notre souhait d’exploiter précisément cette tension rejoint en réalité cette conception.

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3. Une décennie à reconstruire

La période couverte par cette thèse s’étend de l’orée des années 1940 jusqu’à l’année 1949. La chronologie a d’abord été dictée par le phénomène observé : la constitution de cette jeune génération, dont on peut situer l’essor en 1941. Mariën, qui rentre de captivité, et Dotremont, qui intègre le surréalisme, sont au cœur de ce que l’on considère comme un « redémarrage » de l’activité surréaliste bruxelloise. Le groupe de la Main à plume se forme à la même époque à Paris. La décennie s’achève en même temps que la dynamique de rassemblement des jeunes surréalistes esquissée ici. L’année 1949 sonne le glas du s-r, alors devenu section belge de Cobra ; les derniers feux du rattachement de Dotremont au mouvement surréaliste s’éteignent alors. Il en va de même pour son engagement dans le parti communiste. Embarqué dans l’aventure de Cobra, il part vers d’autres rivages. Le passage aux années 1950 marque également une étape pour Mariën : il rompt avec celle qui était son grand amour et s’embarque sur le cargo Silver Ocean en 1951. Il ne sera de retour en Belgique qu’en 1953.

Ensuite, cette décennie incorpore les deux manifestations collectives les plus importantes en ce qui concerne l’objet dans le surréalisme en Belgique : une exposition organisée par Magritte en 1945 et une exposition s-r organisée par Dotremont en 1949. Nous avons misé sur ces deux facteurs et choisi d’embrasser cette décennie dans sa totalité. Dès lors, nous allons à l’encontre de la fragmentation qui est son lot tant sur le plan de l’histoire politique (drôle de guerre, guerre et Occupation, après-guerre et guerre froide) que sur le plan de l’histoire du surréalisme (« surréalisme sous l’Occupation », surréalisme en plein soleil, s-r, période vache, Cobra). Ce morcèlement est d’autant plus difficile à surmonter qu’il a eu des conséquences directes sur l’historiographie.

On peut penser qu’il s’agit ici d’étudier la fin du surréalisme à Bruxelles. Celle-ci a été située en 1950 par Steven Harris16. Cet auteur explique qu’à partir des années 1950, le terme même de surréalisme est abandonné et que cette transition se traduit par un élément en particulier : l’abandon de la dimension révolutionnaire en faveur du jeu et de l’humour que l’on retrouve dans les publications collectives comme La Carte d’après nature ou Phantomas17. Harris suit en cela le choix fait par Mariën qui clôt son Activité surréaliste

                                                                                                               

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en Belgique (1979) par La Feuille chargée, une publication sur le thème du bouchon parue en mars 1950. Si l’on y retrouve les signatures du « noyau dur » de l’activité surréaliste bruxelloise (Nougé, Magritte, Scutenaire, Colinet et Mariën), le ton a effectivement changé par rapport à la décennie qui nous occupe.

On pourrait arguer que la fin du groupe de Bruxelles dépend tout simplement des critères retenus, d’autant que ce groupe est moins structuré que celui de Breton18. Pourtant d’autres facteurs pointent vers ces mêmes années, notamment la dispersion de la jeune génération ou la rupture qui intervient en 1952 entre Nougé et Magritte19. Cependant notre objectif est moins de déterminer où placer un point final que d’observer les fluctuations de l’appellation « surréaliste » – tant au niveau de sa popularité auprès des siens qu’au niveau du sens qui lui est donné. Par là, nous visons avant tout à intégrer pleinement les années 1940 dans l’histoire du mouvement, ce qui ne va pas forcément de soi.

4. Fortune et infortune critique

Cette thèse s’est construite sur une base contradictoire, entre surabondance et indigence. Le surréalisme connaît un succès qui ne faiblit pas auprès des chercheurs et l’objet surréaliste apparaît en particulier comme une problématique actuelle, nous y reviendrons. De plus, Mariën et surtout Dotremont suscitent, ces dernières années, un intérêt certain qui s’exprime notamment par une série de thèses20 et d’expositions muséales21 leur étant exclusivement consacrées. Les fonds d’archives qui leur sont liés                                                                                                                

18 Paul Aron parle même d’un « non-groupe » (Pierre Vilar et Jean-Baptiste Para, « Originalités du surréalisme belge.

Entretien avec Paul Aron », in Europe, 83e année, n°912, avril 2005, p.45).

19 Magritte coupe les ponts via une lettre du 26 septembre 1952 (voir René Magritte, Lettres à Paul Nougé, Bruxelles,

Les Lèvres nues (coll. « Le Fait accompli »), 1974, lettre n°39). D’autres ont considéré que le groupe prenait fin avec

La Carte d’après nature (1952-1956), car il s’agit de la « dernière publication à regrouper les signatures des membres

du groupe initial de 1926 » (Jean Weisgerber (dir.), Les Avant-gardes littéraires au XXe siècle, vol. I, Budapest,

Akademiai Kiado, 1984, p.413).

20 Mieke Bleyen, op. cit. ; MélanieAndrieu, Une spécificité Cobra, les œuvres collectives : émergence d'une pratique et exemplarité de Christian Dotremont, thèse de doctorat en Histoire, Art et Archéologie sous la direction des

professeurs Luce Barlangue et Michel Draguet, Université Toulouse II le Mirail et Université Libre de Bruxelles, 2011 ; RalucaLupu-Onet, Continuité et métamorphoses du surréalisme bruxellois. La poétique de l’illisible chez Christian

Dotremont, thèse de doctorat en Littératures de langue française, Université de Montréal, 2010.

21 Xavier Canonne, op. cit. ; Christian Dotremont: Salute to Denmark, Herning (Danemark), Carl-Henning Pedersen

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constituent une aubaine pour le chercheur22 et s’ajoutent aux divers fonds relatifs au surréalisme bruxellois. Cependant, force est de constater que des pans entiers de cette décennie restent à étudier. Ainsi malgré son caractère plutôt confidentiel, c’est finalement le mouvement du s-r (1947-1949) qui s’est révélé le mieux balisé23. Cette situation implique un travail de reconstruction de l’activité surréaliste qui n’aurait pas été nécessaire pour les décennies précédentes. Quelques éléments relatifs à ces lacunes sont à souligner.

Il est d’abord clair que les années 1940 pâtissent de la conception habituelle du surréalisme, considéré avant tout comme un mouvement de l’entre-deux-guerres. Pour un certain nombre de commentateurs à la suite de Maurice Nadeau, le surréalisme s’arrête avec le début de la Seconde Guerre mondiale24. Si cette position, réfutée notamment par Breton lui-même, conduit aujourd’hui le chercheur à faire s’étendre poliment le surréalisme jusqu’à la mort de Breton en 1966 ou à la dissolution officielle du mouvement en 1969, l’historiographie est révélatrice du peu de considération dont jouit le surréalisme tardif. Il en va de même pour la Belgique. La comparaison du volume d’études entre le surréalisme d’avant et d’après la Seconde Guerre mondiale signifie plus que toute déclaration que, s’il n’est pas décrété mort, le mouvement est en tout cas considéré comme déclinant25. L’exceptionnelle longévité du surréalisme, par rapport aux autres

mouvements dits d’avant-garde qui scandent le début du XXe siècle, a de quoi dérouter la critique. Cette restriction à l’entre-deux-guerres a l’avantage de correspondre parfaitement à la conception prédominante de l’histoire de l’art du XXe siècle, dans laquelle la Seconde Guerre mondiale fait figure d’abîme à peu près infranchissable, mettant fin (entre autres transformations) aux « avant-gardes historiques » dont le surréalisme constituerait la dernière incarnation. Cette étude cherche à nuancer ce modèle

                                                                                                               

22 Malgré les difficultés d’accès au fonds Dotremont, actuellement conservé aux AML comme le fonds Mariën. 23 Les principales références à ce sujet seront mentionnées dans la partie IV qui lui est consacrée. La période vache de

Magritte et Cobra ont été amplement commentés mais participent moins directement de notre étude.

24 Nous verrons que le surréalisme est considéré comme mort pratiquement depuis sa naissance mais que l’ouvrage de

Nadeau (Histoire du surréalisme, Paris, Seuil, 1945) a un réel impact dans l’immédiat après-guerre. D’autres déclarations du même type suivront, notamment de la bouche de Tristan Tzara. Ce sujet sera développé dans les parties III et IV.

25 C’est aussi le cas pour une figure majeure comme Magritte. De manière caractéristique, la récente exposition

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en mettant en évidence la continuité des préoccupations des surréalistes, de la veille au lendemain du conflit, et ce malgré les remous des circonstances.

Autre élément frappant, une étude approfondie de l’activité surréaliste bruxelloise pendant l’Occupation reste à faire, alors que le s-r, mais aussi Cobra ou la période vache de Magritte, ont éveillé l’attention des commentateurs. À quelques exceptions près, les événements mentionnés pour la période de l’Occupation reviennent d’une étude à l’autre – et doivent beaucoup au récit qu’en a fait Mariën lui-même26. D’autres sont évoqués sans être rapportés au contexte qui les a vus naître27. On peut penser que l’histoire du surréalisme en France a influencé la recherche concernant les Belges. La compartimentation « entre-deux-guerres / Occupation / guerre froide » peut se justifier en ce qui concerne les surréalistes parisiens. La mobilisation, entre autres événements, crée une dispersion effective dès le mois de septembre 1939, bien avant le début de l’Occupation ; les ténors du mouvement s’exilent pendant la guerre et, quand Breton rentre à Paris, tardivement (mai 1946), il emmène le surréalisme dans une voie jugée ésotérique qui consomme la rupture avec l’entre-deux-guerres. Cet exil massif a eu pour conséquence que le « surréalisme sous l’Occupation » a surtout été l’œuvre d’un groupe de jeunes gens n’ayant que peu de liens avec le premier surréalisme et qui, pour la plupart, ne participeront pas au surréalisme de l’après-guerre tel qu’il se recrée dans le giron de Breton. Dès lors, en France, l’activité surréaliste sous l’Occupation apparaît en effet comme une parenthèse et se confond avec l’histoire du groupe en question, la Main à plume. Les chercheurs ont préféré s’intéresser aux aînés en exil28. Les seuls ouvrages

                                                                                                               

26 En particulier dans L’Activité surréaliste en Belgique, Bruxelles, Éditions Lebeer Hossmann, 1979, p.323-340.

Désormais AS. Un article a le mérite d’exister : François Mühlberger, « La Guerre de Magritte », in Congrès de Mons, actes du sixième congrès de l’association des cercles francophones d’histoire et archéologie de Belgique et LIIIe congrès

de la fédération des cercles d’archéologie et d’histoire de Belgique, 24 – 27 août 2000, t. IV, Mons, 2002, p.941-951. Deux autres articles sont centrés sur cette période mais parlent assez peu de l’activité du groupe sous l’Occupation : José Vovelle, « En Belgique », in La Planète affolée. Surréalisme. Dispersion et Influences, 1938-1947, Marseille, Centre de la Vieille Charité, 12 avril – 30 juin 1986, p.181-192 et Marcel Van de Kerckhove, « Le Surréalisme vu par Nougé en 1941 : bilan, pause ou autopsie ? », in Anna Soncini Fratta (dir.), Paul Nougé : pourquoi pas un centenaire

?, Bologne, CLUEB, 1997, p.305-311. Les deux ouvrages les plus utiles à ce sujet sont le catalogue raisonné de

Magritte (CR II) et Virginie Devillez, Le Retour à l'ordre. Art et politique en Belgique 1918 – 1945, Bruxelles, Éditions Labor, 2002.

27 On pense notamment à la publication Oleossoonne ou le moment Spéculatif de Dotremont ou à l’interview donnée

par le même à L’Avenir en 1943. Celles-ci seront étudiées dans la partie II.

28 Voir notamment : Joseph Cornell et les surréalistes à New York : Dalí, Duchamp, Ernst, Man Ray…, Lyon /

Charlottesville, Musée des Beaux-Arts / Fralin Museum of Art, 18 octobre 2013 – 10 février 2014 / 7 mars – 8 juin 2014 ; Fabrice Flahutez, Nouveau monde et nouveau mythe. Mutations du surréalisme de l’exil américain à « l’écart

absolu », Dijon, Les Presses du réel, 2007 ; Les Surréalistes en exil et les débuts de l’école de New York. De Tanguy à Pollock, Strasbourg, Musée d’Art moderne et contemporain, 12 mai – 27 août 2000 ; Exiles + Emigrés. The Flight of European Artists from Hitler, Los Angeles / Montreal / Berlin, Los Angeles County Museum of Art / Musée des

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consacrés à la Main à plume sont au nombre de deux : l’étude fondatrice de Michel Fauré et la récente anthologie réalisée par Anne Vernay et Richard Walter, qui s’accompagne d’articles aussi passionnants que brefs29.

La situation est très différente en ce qui concerne le surréalisme bruxellois. La guerre commence pratiquement pour le groupe avec l’invasion du 10 mai 1940. Même les membres mobilisés sont au sommaire de la revue L’Invention collective au début de l’année 1940. De plus, la guerre n’a causé en Belgique ni exil ni interruption des activités de plus de quelques mois – il reste donc à prouver que le bouleversement que connaît l’Europe, et le surréalisme parisien, se traduit effectivement dans le surréalisme bruxellois. La présence de Magritte à Bruxelles pendant l’Occupation et plus largement la coexistence des anciens et des jeunes a d’ailleurs conduit plusieurs commentateurs à nier toute idée de rupture générationnelle30. Dans l’éternel débat sur le thème : « L’Occupation constitue-t-elle une rupture ou une continuité ? », notre objectif n’est pas pour autant de plaider en faveur de la continuité. Sans en nier les particularités, nous réfuterons par contre l’idée d’une période d’activité « en veilleuse ».

On peut également estimer que cette périodisation définie en fonction d’événements forts de l’histoire surréaliste et politique a contribué au silence entourant les faits qui se sont produits dans un intervalle entre deux de ces compartiments. En conséquence, ce cloisonnement, et donc l’importance de ces événements « décisifs », s’en trouvent renforcés31. Encore une fois, il s’agit moins de renverser ce modèle que de l’assouplir en

soulignant la portée des deux intervalles temporels se glissant entre les trois grandes périodes qui scandent les années étudiées (entre-deux-guerres, guerre, après-guerre). À la

                                                                                                               

Cambridge / Londres, MIT Press, 1995 ; La Planète affolée. Surréalisme. Dispersion et Influences, 1938-1947 (…). Sans compter les diverses publications sur le séjour des surréalistes à Marseille.

29 Michel Fauré, Histoire du surréalisme sous l’Occupation, Paris, La Table Ronde, [1982] 2003 et Anne Vernay et

Richard Walter (éd.), La Main à plume. Anthologie du surréalisme sous l’Occupation, Paris, Syllepse, 2008 (désormais : Anthologie). Les difficultées rencontrées par les chercheurs face à certains ayants droit expliquent en partie ce silence.

30 Liesbeth Decan, « Conceptual Art and Surrealism: an Exceptional, Belgian Liaison », in Mieke Bleyen (ed.), Minor Photography. Connecting Deleuze and Guattari to Photography Theory, Leuven, Leuven University Press, 2012,

p.159 ; Mieke Bleyen, Minor Aesthetics. The Photographic Work of Marcel Mariën, (…), p.182-183. De même, Eric Clémens estime par exemple qu’il « n’y eut aucune rupture de fond entre les poètes surréalistes belges – Nougé, Chavée, Colinet, les frères Piqueray, Mariën, Havrenne…– et les générations des Dotremont, Noiret, Balthazar, Koenig, Blavier… même si ces derniers ne se réclamèrent plus du surréalisme » (Eric Clémens, « Les Irréguliers », in Jean-Pierre Bertrand, Michel Biron et al. (dir.), Histoire de la littérature belge francophone 1830-2000, Paris, Fayard, 2003, p.413).

31 De nombreuses réflexions sur la temporalité historique comme sur la façon de « penser l’événement » ont été

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façon dont la « drôle de guerre » a précédé la guerre « réelle », on peut observer dans l’histoire du surréalisme, autant en Belgique qu’en France, une période intermédiaire entre le surréalisme d’entre-deux-guerres et l’activité surréaliste sous l’Occupation qui débute en 194132. C’est pendant cette période « floue » que la plupart des protagonistes de cette étude font leurs premiers pas33.

Il en va de même entre la Libération de Paris (août 1944) et de Bruxelles (septembre 1944) d’une part, et la reprise surréaliste de l’après-guerre de l’autre. Si quelques événements sont habituellement mentionnés en 1945 et 1946, la situation se clarifie seulement en 1947. Les camps sont alors parfaitement délimités tant au niveau politique, avec les débuts de la guerre froide, qu’au niveau surréaliste : Dotremont crée le s-r dissident et Breton organise une exposition qui manifeste la reconstitution du groupe parisien. Dès lors, ces derniers événements sont privilégiés au détriment de ceux qui les ont précédés. Ceci explique que l’exposition internationale organisée par Magritte en décembre 1945 n’ait intéressé personne ou presque34.

Enfin, la conduite postérieure, vraisemblablement délibérée, de Mariën et Dotremont a pesé dans cette situation. Par ses entreprises éditoriales et ses publications, en particulier la somme L’Activité surréaliste en Belgique (1979), Mariën est devenu le mémorialiste attitré du mouvement. Forcément, la part subjective comme le regard rétrospectif influencent le sort fait aux événements évoqués et, en l’occurrence, l’orientation prise par Dotremont comme par Mariën lui-même n’a pas incité celui-ci à mettre en évidence ses premières publications, ni ses interactions avec la deuxième génération. Dotremont quant à lui a étouffé l’importance de ses années surréalistes pour affermir l’identité du mouvement qu’il initie ensuite, Cobra35. C’est particulièrement visible dans un des rares textes évoquant son passé surréaliste, au titre révélateur : La Porte va enfin s’ouvrir tout                                                                                                                

32 L’année 1938 apparaît à la fois comme le couronnement et la conclusion du surréalisme « historique ». Les

événements qui se produisent après l’exposition internationale sont le plus souvent évoqués brièvement et envisagés comme une fin alors qu’il s’agit d’un début pour la nouvelle génération (on le verra dans la partie I). Le catalogue de l’exposition La Planète affolée (op. cit.), qui prend en compte la période 1938-1947, est longtemps resté une exception. On trouve un chapitre sur l’année 1939 dans Martica Sawin, op. cit. Pour la Belgique, cette période est généralement réduite à la création de L’Invention collective (cf. infra). Bien que démarrant théoriquement en 1940, la thèse d’Ellen E. Adams commence en réalité alors que Breton est déjà en exil (Ellen E. Adams, After the Rain: Surrealism and the

Post-World War II Avant-Garde, 1940-1950, thèse de doctorat sous la dir. du Prof. Robert S. Lubar, New York, New

York University, 2007).

33 Michel Fauré est le seul à notre connaissance à s’être intéressé aux Réverbères (op. cit., p.9-66) et les irréalistes

attendent encore qu’on leur accorde un quelconque intérêt.

34 Les publications principales à ce sujet sont AS p.342-343,357-365 ; CR II, p.116-118 ; GérardDurozoi, Histoire du mouvement surréaliste, nouv. éd., Paris, Hazan, 2004, p.452-457.

35 C’est un aspect souligné par Alain Mascarou (« La Porte entrouverte par Christian Dotremont », in Emmanuel Rubio

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à fait… (1958)36. Au lieu d’éclairer les avancées effectuées durant cette période, Dotremont réduit celle-ci à une antichambre de Cobra. Le recours aux sources d’époque est donc impératif pour tenter de rétablir cette décennie dans sa complexité et sa multiplicité.

                                                                                                               

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B. L’objet, un sujet pas comme les autres

1. Morphologie

L’angle d’étude choisi pour aborder cette période complexe est celui de l’objet. Objet est certainement l’un des termes au champ lexical le plus vaste de la langue française. Il défie toute entreprise de définition ; chaque domaine de la pensée l’investit de significations propres. Le terme peut désigner à la fois la chose la plus commune, la plus concrète (les objets qui nous entourent), et la plus abstraite, la plus élaborée. C’est précisément en raison de son amplitude et de sa polyvalence qu’il a les faveurs des surréalistes, des deux côtés de la frontière française. Comme l’explique Nougé en 1941 : « L’esprit surréaliste, à chaque coup, entendait tout remettre en question, qu’il s’agisse de peinture, de poésie, de psychologie, de morale ou de politique. »37 Le terme glisse avec aisance d’un champ

du savoir à un autre, se métamorphosant au passage en toute discrétion.

Les Parisiens ont forgé l’appellation objets surréalistes pour désigner certaines de leurs réalisations. On peut classer ces objets surréalistes en trois types : ceux qui existent principalement par écrit ; les artéfacts ou éléments naturels montrés par les surréalistes sans modification notable de leur état d’origine ; enfin, les artéfacts ayant subi une intervention visible. Le plus souvent, ces interventions impliquent une combinaison avec d’autres éléments, qui peuvent être de nature variée. Les surréalistes eux-mêmes ont mis au point une série de catégories et chacun des trois types esquissés recouvre plusieurs de ces catégories. Par exemple, les objets du deuxième type peuvent être des objets trouvés, des objets naturels, des objets perturbés, des objets mathématiques, etc. (annexe 2 – fig. 4). La multiplication des catégories comme l’emploi qui en est fait montrent que Breton et les siens visent sans doute moins à clarifier les choses qu’à brouiller les pistes38.

En particulier, l’objet surréaliste désigne l’ensemble de ces objets, englobe l’ensemble de ces catégories, et constitue simultanément l’une de ces catégories39. Au sens étroit, il s’inscrit dans le troisième type d’objets décrit, celui des objets construits. Les premiers objets activement fabriqués par les surréalistes ont été nommés « objets à fonctionnement                                                                                                                

37 Paul Nougé, « Récapitulation », in Histoire de ne pas rire, Lausanne, Éditions L’Âge d’homme (coll. «

CISTRE-Lettres Différentes »), 1980, p.142.

38 C’est ce que conclut Emmanuel Guigon de leur examen (L’Objet surréaliste : introduction aux techniciens bénévoles,

thèse de doctorat en histoire de l’art, Paris 1, 1985, p.299). Sa thèse offre le panorama le plus complet de l’objet surréaliste et cet auteur est pratiquement resté depuis lors le seul spécialiste français du sujet.

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symbolique ». Créés en 1931, sur proposition de Dalí, ils étaient censés se prêter à « un minimum de fonctionnement mécanique » mais Breton estima rapidement que leur complexité laissait trop peu le champ libre à l’interprétation40 (fig. 5). L’objet surréaliste allait dorénavant leur succéder (fig. 6-7). Il se distingue donc du ready-made de Marcel Duchamp (fig. 8-9), qui incarne l’entrée de l’objet dans l’art à partir de 1913, par l’intervention qu’il a subie41. Cependant, il peut également arriver que des ready-made soient présentés dans une exposition d’objets surréalistes, au sens large42. Par ailleurs, l’objet surréaliste n’a pas pour ambition de se transformer en œuvre d’art – cette question sera au cœur de notre étude43.

Les créations tridimensionnelles restent un phénomène difficile à appréhender dans le surréalisme bruxellois. Les catégories parisiennes n’ont pas été appliquées en Belgique. À leur multiplication répond l’indigence bruxelloise : les Belges parlent plutôt d’objets – ou, en ce qui concerne Nougé, d’objets bouleversants44. Mais surtout, si le terme est omniprésent dans les textes du groupe bruxellois, il est généralement utilisé pour dissocier de l’art des productions qui en emploient les moyens. Comme Magritte l’écrit en 1947 : « Nous expérimentons les techniques artistiques et les résultats sont des objets qui ressemblent, à des tableaux, poèmes, textes, etc., mais leur contenu est une substance réelle nécessaire à l’homme actuel. Leur contenu n’est pas celui auquel aboutit l’art traditionnel. »45 Suivant cette voie, les études sur l’objet bouleversant et l’objet bruxellois

                                                                                                               

40 Voir Salvador Dalí, « I. Objets à fonctionnement symbolique » et André Breton, « L’Objet fantôme » (extrait des Vases communicants), in Le Surréalisme au service de la révolution, n°3, 1931, p.16-17 et 22. La Boule suspendue

d’Alberto Giacometti est l’inspiratrice de ce procédé. L’objet de Valentine Hugo présenté en illustration, plus simple que ceux de Dalí et Breton, est considéré comme le plus réussi de cette catégorie.

41 En l’occurrence, le premier ready-made a connu une intervention visible, puisque la roue de bicyclette a été fixée sur

le tabouret. La plupart de ceux qui suivront comportent également une signature ou un autre élément ajouté. Mais dans la définition donnée en 1938, et qui a fait autorité, l’objet manufacturé est « promu à la dignité d’objet d’art par le simple choix de l’artiste » (Dictionnaire abrégé du surréalisme, in OC II, p.837).

42 En particulier, l’exposition consacrée exclusivement à l’objet organisée à la galerie Charles Ratton à Paris, en 1936,

joue un rôle important dans l’histoire du ready-made lui-même. Comme l’écrit Janine Mileaf, celui-ci y reçoit « a proper Parisian debut » après les problèmes rencontrés lors des tentatives d’exposition à New York dans les années 1910 (Janine Mileaf, Please Touch. Dada and Surrealist Objects after the Readymade, Hanover (New Hampshire), Dartmouth College Press (« Interfaces »), 2010, p.4). Breton avait changé le titre de cette exposition, le faisant passer d’une « exposition d’objets surréalistes » à une « exposition surréaliste d’objets ». Pour Laurence Madeline, cela signifie que l’objet prenait le relais des mots dans la définition de l’avenir du mouvement (Laurence Madeline, « The Crisis of the Object / Objects in Crisis. Exposition surréaliste d’objets at the Charles Ratton Gallery, 1936 », in Surreal

Objects. Three-Dimensional Works from Dali to Man Ray, Francfort, Schirn Kunsthalle Frankfurt, 11 février – 29 mai

2011, p.165).

43 L’objectif assigné au ready-made par la définition de 1938 est d’acquérir la « dignité » de l’objet d’art (cf. note 41).

La tension par rapport aux collages cubistes est extensivement couverte par Steven Harris et ne sera pas étudiée ici (Steven Harris, Surrealist Art and Thought in the 1930s. Art, Politics, and the Psyche, Cambridge, Cambridge University Press, 2004). Les assemblages dadaïstes sont très rarement évoqués par les surréalistes.

44 Les premières mentions conservées de ce terme datent de 1926-1927 mais on ignore quand il est apparu. Voir

Emmanuel Guigon, op. cit., p.129.

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en général se penchent davantage sur les écrits et peintures du groupe que sur les créations tridimensionnelles, souvent peu documentées46.

Il nous semble valoir la peine de nous départir de ce type d’approche pour partir à la recherche des « vrais objets » créés par le groupe. Cela entraîne quelques difficultés au niveau terminologique puisque, d’une part, le terme « objet » ne désigne la plupart du temps pas des objets dans les écrits surréalistes et que, d’autre part, nous nous trouvons obligée d’utiliser le même terme pour désigner les objets créés par les surréalistes et les objets de la vie quotidienne, éventuellement utilisés par les surréalistes pour fabriquer un de leurs objets. Mais cette indistinction est significative et a donc été conservée. Le corpus mis en place pour cette étude s’est fondé sur les critères suivants : caractère tridimensionnel de la réalisation, utilisation d’au moins un bien de consommation47 et présentation au public dans une exposition ou une publication. Ces critères fonctionnent avant tout comme des repères – non comme des bornes.

Malgré ces divergences dans la dénomination, les temporalités bruxelloise et parisienne se rencontrent. Dans les deux capitales, on peut fixer le début de l’histoire de l’objet à 1924. L’Introduction au discours sur le peu de réalité de Breton invite, avant même la sortie du Manifeste du surréalisme, à la création de ce que seront les objets surréalistes48. Suivant Emmanuel Guigon, on peut penser que les premiers objets bouleversants désignés de cette façon par Nougé étaient les tracts de Correspondance49. Dès lors, à

Bruxelles, l’histoire de l’objet coïncide avec ce qui est souvent considéré comme le point de départ du surréalisme50. Le groupe surréaliste bruxellois ne se constitue quant à lui que fin 1926. Dans les tracts de Correspondance, Nougé et ses complices se coulent dans les

                                                                                                               

46 La récente étude de Valentina Bianchi (Nougé et Magritte. Les objets bouleversants, Bruxelles, Peter Lang (coll.

« Documents pour l’Histoire des Francophonies / Europe »), 2015) en est un exemple.

47 Il s’agit d’englober les objets manufacturés mais aussi les aliments, qui ont la faveur des surréalistes. Par contre on

exclut les trouvailles naturelles.

48 Il y décrit un livre vu en rêve : « Le dos de ce livre était constitué par un gnome de bois dont la barbe blanche, taillée

à l’assyrienne, descendait jusqu’aux pieds. » Les pages du livre étaient quant à elles « de grosse laine noire ». Breton ajoute : « Il serait relativement facile de le reconstituer. J’aimerais mettre en circulation quelques objets de cet ordre, dont le sort me paraît éminemment problématique et troublant. […] Qui sait, par là je contribuerais peut-être à ruiner ces trophées concrets, si haïssables, à jeter un plus grand discrédit sur ces êtres et ces choses de “raison” ? » (OC II, p.277.)

49 Emmanuel Guigon, op. cit., p.129. Il s’agit d’une série de vingt-deux tracts diffusés de 1924 à 1925 par Nougé,

Camille Goemans et Marcel Lecomte.

50 Mariën écrit qu’il s’agit des « premiers mots du surréalisme “en Belgique” » (AS p.15). Cette opinion est largement

répandue aujourd’hui (p. ex. Jan Baetens et Michael Kasper, « The Birth of Belgian Surrealism: Excerpts from

Correspondance (1924-25) », in PMLA, vol.128, n°2, mars 2013, p.452-467). Mariën différencie avec raison cet

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mots d’un autre auteur et leur font subir de légères modifications51. Comme le souligne rétrospectivement André Souris : « c’était l’amorce de cette technique de métamorphose d’objets donnés, qui allait devenir la préoccupation centrale des membres du groupe »52. L’activité bruxelloise s’inscrit sous le sceau de cette retouche légère d’« objets » de type divers.

En Belgique comme en France, l’objet tridimensionnel s’impose véritablement avec les années 1930. Son entrée dans les salles d’exposition se fait presque simultanément des deux côtés de la frontière. Magritte présente des objets au public lors de sa première exposition personnelle au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 1933. Il s’agit de moulages en plâtre peints (fig. 10-11)53. Comme le souligne David Sylvester, Nougé « profite de sa préface pour démontrer que Magritte fait figure de pionnier à cet égard »54. En effet, le jour de la fermeture de l’exposition Magritte s’ouvre à Paris la première exposition collective du groupe de Breton, dans laquelle l’objet est mis à l’honneur55. La même année sont publiés pour la première fois des extraits de l’essai de Nougé Les Images défendues, dans lequel les peintures de Magritte tiennent un rôle central56. C’est

à elles qu’on associe désormais le terme d’objets bouleversants, même si Nougé précise que ceux-ci ne sont pas forcément picturaux (voir partie I).

Lorsqu’on envisage l’activité surréaliste au moyen des critères énoncés, l’exposition Surréalisme, organisée par Magritte en 1945, et l’exposition L’Objet à travers les âges, présentée en 1949 par les s-r belges, émergent comme les deux expressions majeures de l’objet sur le plan collectif en Belgique. L’étude de ces expositions constitue la seconde moitié de la thèse. L’importance accordée à la monstration, tant au niveau de la définition de l’objet que dans cette étude, s’explique par le fait que l’objet a souvent tiré son existence, de sa conception à sa réalisation, d’un projet d’exposition. De même, la fin de

                                                                                                               

51 Cette entreprise a été largement commentée. Voir notamment Paul Aron, « Les tracts de “Correspondance” ou les

détours d’une stratégie subtile », in Anna Soncini Fratta (dir.), op. cit., p.171-199 ; Geneviève Michel, Paul Nougé. La

poésie au cœur de la révolution, Bruxelles, Peter Lang (coll. « Documents pour l’Histoire des Francophonies /

Europe »), 2013, p.211-246.

52 André Souris, « Paul Nougé et ses complices », in Ferdinand Alquié (dir.), Entretiens sur le surréalisme, Paris – La

Haye, Mouton, 1968, p.433-434.

53 Le plâtre exposé, qui devait dater de 1931, a été perdu (CR II p.453) mais un autre exemplaire, celui qui est montré

en illustration, a été réalisé la même année.

54 David Sylvester, Magritte, trad. Jeanne Bouniort, Bruxelles, Fonds Mercator ; Houston, Menil Foundation, 2009,

p.259.

55 Elle a lieu à la galerie Pierre Colle. Le groupe avait organisé précédemment quelques expositions, mais seul un

nombre réduit de membres y participait. Sur la place de l’objet dans cette exposition, voir Emmanuel Guigon, op. cit., p.119-126.

56 La préface de Nougé à l’exposition de Magritte de 1933 sera reprise dans cet essai, édité en 1943, sous le titre « …Et

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l’exposition signe fréquemment la disparition de l’objet. Il s’agit d’un autre trait caractéristique de notre corpus : l’objet conservé y est bien moins présent que la réplique ou les traces écrites, photographiques ou filmées. Nous verrons que l’éphémérité est en elle-même constituante des réflexions.

À une exception près57, l’exposition bruxelloise de décembre 1945 est la première exposition surréaliste internationale organisée sur le continent européen depuis 1938, et donc depuis l’entrée en scène de la majeure partie de la nouvelle génération. L’Exposition internationale du surréalisme de 1938 à la galerie Beaux-Arts à Paris reste la plus marquante des diverses manifestations mises sur pied par le mouvement58. Une scénographie spectaculaire est orchestrée par Duchamp, constituant ce que l’on appellerait aujourd’hui un environnement visant un dépaysement total59 (fig. 12). Elle a pu être considérée comme une réponse à la mise en scène provocatrice de l’exposition nazie dédiée à « l’art dégénéré »60 (annexe 3). Certains y ont lu un pressentiment des temps sombres à venir61. Elle a surtout offert au surréalisme certaines de ses images les plus fortes et « un instant sans nuages, triomphant et unitaire »62, dans la relation entre

surréalistes belges et français.

L’objet occupe un rôle central tant dans la scénographie que parmi les expôts : on trouve par exemple des sacs censés contenir du charbon accrochés au plafond, une série de mannequins, le phonographe d’Óscar Domínguez ou le parapluie de Wolfgang Paalen (fig. 12-13 – annexe 4).Nous nous sommes dès lors interrogée sur les formes prises par la question de l’objet au sein du surréalisme bruxellois entre l’exposition de 1938 et celle de 1945, et donc durant les premières années d’activité de cette deuxième génération. Nous avons constaté que si l’on y rencontre quelques réalisations tridimensionnelles, on

                                                                                                               

57 Surrealist Diversity 1915-1945, Londres, Arcade Gallery, 4 – 30 octobre 1945.

58 C’est également la plus étudiée de toutes. Une thèse vient même de lui être exclusivement consacrée : Fabienne

Chaullet, L’Exposition internationale du surréalisme de 1938, thèse de doctorat en histoire de l’art, Université de Bourgogne, 2014. Voir aussi, entre autres, Daniel Abadie, « L’exposition internationale du surréalisme, Paris 1938 », in Paris 1937-Paris 1957. Créations en France, Paris, Centre Georges Pompidou, 28 mai – 2 novembre 1981, p.72-81.

59 Lewis Kachur brosse l’apparition du « subjective treatment of display », qu’il nomme « ideological exhibition space

», dans le premier chapitre de son ouvrage Displaying the Marvelous. Marcel Duchamp, Salvador Dali, and Surrealist

Exhibition Installations, Cambridge (Massachusetts), MIT Press, 2003. Le deuxième chapitre est consacré à cette

exposition. Celle-ci a marqué l’histoire des expositions et est largement commentée dans les ouvrages consacrés à cette question (p. ex. Bruce Altshuler, The Avant-Garde in Exhibition. New Art in the 20th Century, 2e éd., Berkeley-Los

Angeles, University of California Press, 1998.

60 Lewis Kachur, op. cit., p.19.

61 Voir par exemple le commentaire « Paris, 1938. Prémonitions surréalistes », in L’Art en guerre. France 1938-1947,

Paris, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 12 octobre – 17 février 2013, p.28. Selon Lewis Kachur, l’exposition est davantage en phase avec l’atmosphère qui l’entoure (op. cit., p.96-97).

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retrouve avant tout l’objet dans l’écriture, la photographie, la peinture, le film et sous des formes mixtes comme des « poèmes-objets » et des « livres-objets ». Cette diversité des réalisations, et en même temps cette rareté de l’objet proprement dit, ont été intégrées à l’analyse : elles se sont révélées tout à fait significatives.

2. Actualité de l’objet surréaliste

La question de l’objet dans le domaine artistique a été étudiée à partir d’une multitude d’approches différentes. Son intérêt comme sa difficulté est qu’elle renvoie à la définition même de l’art. On pourrait en résumer le parcours en disant qu’on est passé de la représentation à la présentation de l’objet. L’étude passionnante d’Etienne Jollet consacrée à la nature morte brosse cette évolution au niveau pictural jusqu’à l’époque contemporaine, en abordant l’objet surréaliste63. Le rapport à la sculpture doit également être envisagé. Dans cette étude, nous établissons une distinction entre objet et sculpture. Elle était valable pour les années 1940 mais elle a expiré depuis lors. L’art contemporain a brouillé les frontières entre objet récupéré et objet créé64 : pour ne prendre qu’un seul

exemple, les canettes de bière coulées par Jasper Johns en 1960 répliquent parfaitement des canettes réelles (fig. 14). C’est dire que toute étude sur l’objet dans l’art s’inscrit dans un champ de recherche qui, bien que récent, est très exploré, mais s’avère en réalité si vaste et si balisé qu’il en devient pratiquement illisible.

On note depuis quelques années un engouement pour l’objet surréaliste à proprement parler. Plusieurs expositions en témoignent : après une double exposition en Espagne dans les années 1990, l’Allemagne, la Suède, la France et les États-Unis s’y sont mis plus récemment65. Cela n’a pas toujours été le cas. Jusqu’il y a peu, on devait surtout compter

                                                                                                               

63 Etienne Jollet, La Nature morte ou la place des choses. L’objet et son lieu dans l’art occidental, Paris, Hazan, 2007. 64 Voir Arthur Danto, La Transfiguration du banal. Une philosophie de l'art, Paris, Seuil, [1981] 1989.

65 El Objeto surrealista en España, Teruel / Barcelone, Museo de Teruel / Sala Plaça de Catalunya de la Fundació

Caixa de Barcelona, 27 septembre – 28 octobre 1990 / janvier – février 1991 ; Emmanuel Guigon, El Objeto surrealista, Valence, IVAM Centre Julio González, 16 octobre 1997 – 4 janvier 1998 ; The Erotic Object: Surrealist Sculpture

from the Collection, New York, Museum of Modern Art, 24 juin 2009 – 4 janvier 2010 ; Surreal Objects. Three-Dimensional Works from Dali to Man Ray (…) ; Surrealistiska Ting, Halmstad, Mjellby Konstmuseum, 16 juin – 30

septembre 2012. L’exposition Le Surréalisme et l’objet s’est tenue au Centre Pompidou à Paris du 30 octobre 2013 au 3 mars 2014. Enfin, l’exposition Marvelous Objects: Surrealist Sculpture from Paris to New York a été organisée au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden de Washington D.C. du 29 octobre 2015 au 15 février 2016. On peut ajouter qu’une exposition relative au surréalisme et au design s’est tenue en 2007-2008 (Surreal Things: Surrealism and

Design, Londres / Rotterdam / Bilbao, Victoria and Albert Museum / Museum Boijmans Van Beuningen / Guggenheim

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sur une série de thèses assez éloignées dans le temps66. Parmi les diverses manifestations de l’objet, c’est le poème-objet, une création de Breton, qui semble le plus intéresser les chercheurs67 (fig. 15-16). En France, on a avant tout assisté à la publication de textes originaux68. C’est surtout dans le monde anglo-saxon, et en particulier sur le continent américain, que l’on trouve ces dernières années diverses études amenant un éclairage nouveau sur l’objet dans le surréalisme parisien69.

En ce qui concerne la Belgique, il faut noter l’ambitieuse exposition du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 1971. Nommée Métamorphose de l’Objet : art et anti-art 1910-1970, elle comprenait bien entendu l’objet surréaliste70. Il s’agit d’une exception et, en ce qui concerne notre corpus, le travail reste en majeure partie à faire. Il est en particulier frappant de constater la pauvreté des recherches sur les objets tridimensionnels d’un artiste aussi reconnu que Magritte. Alors que son traitement pictural de l’objet et ses intuitions par rapport à l’art contemporain sont fréquemment étudiés – et salués71 –, on néglige le fait qu’il a lui-même réalisé certaines propositions tridimensionnelles contenues en germe dans sa peinture. Nous nous démarquerons à cet égard de l’opinion d’Emmanuel Guigon qui estime, reflétant une conception qui n’a guère changé depuis lors : « curieusement, l’objet “réel” joue un rôle accessoire dans l’œuvre de Magritte,

                                                                                                               

66 Haim N. Finkelstein, Surrealism and the Crisis of the Object, Ann Arbor (Michigan), UMI Research Press

(« University Studies in the Fine Arts: The Avant-Garde »), 1979 ; HenryOkun, The Surrealist Object, Ph. D. diss., New York University, Institute of Fine Arts, 1981 ; EmmanuelGuigon, L’Objet surréaliste : introduction aux

techniciens bénévoles (…) ;ChristopherFijalkowski, The Surrealist Object: Proof, Pleasure and Reconciliation, Ph. D. diss., University of East Anglia, 1990. Plus récemment, la thèse de Janine Mileaf, From “Fountain” to Fetish:

Duchamp, Man Ray, Breton and objects, 1917-1936, Ph. D. diss., History of Art, University of Pennsylvania, 1999. 67 Ils ont été répertoriés : André Breton, Je vois, j’imagine. Poèmes-objets, préface d’Octavio Paz, Paris, Gallimard

(nrf), 1991. Quelques exemples d’articles, auxquels il faut ajouter les chapitres qui lui sont consacrés dans les publications portant sur l’objet surréaliste dans sa globalité : Marie-Claire Dumas, « Le “poème-objet” selon André Breton », in Serge Linarès (éd.), De la plume au pinceau. Écrivains dessinateurs et peintres depuis le romantisme, actes du colloque international organisé par le Centre d'Analyse du Message Littéraire et Artistique de l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis du 27 au 29 mai 2004, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes (« Recherches valenciennoises »), 2007, p.91-103 ; Pascaline Mourier-Casile, « Le poème-objet ou “l’exaltation réciproque” », in La Licorne, n°23, mis en ligne en 2006 (licorne.edel.univ-poitiers.fr/document3488.php) ; Phil Powrie, « The Surrealist Poème-Objet », in Silvano Levy (éd.), Surrealism: Surrealist Visuality, Edinburgh, Keele University Press, 1997 ; José Pierre, « André Breton et le “poème-objet” », in JacquelineChénieux-Gendron, Marie-Claire Dumas (éd.), L’Objet au défi, Paris, Presses Universitaires de France (coll. « Écritures & Arts contemporains – Champs des activités surréalistes »), 1987, p.131-142.

68 Emmanuel Guigon (éd.), L’Objet surréaliste, Paris, éditions Jean-Michel Place, 2005 ; Anthologie. L’ouvrage paru

à l’occasion de l’exposition au Centre Pompidou en 2013-2014 est une compilation utile mais ne propose pas de nouvelle piste de réflexion (Didier Ottinger (dir.), Dictionnaire de l’objet surréaliste, Paris, éditions Gallimard – Centre Pompidou, 2013).

69Récemment,retenonsJeanine Mileaf, Please Touch (…) ; JohannaMalt, Obscure Objects of Desire. Surrealism, Fetishism, and Politics, Oxford, Oxford University Press, 2004 ; Steven Harris, op. cit. ; Lewis Kachur, op. cit. 70 Métamorphose de l'Objet : art et anti-art 1910-1970, Bruxelles / Rotterdam / Berlin, Palais des Beaux-Arts / Museum

Boymans-Van Beuningen / Nationalgalerie, 22 avril – 6 juin 1971 / s.d. / s.d.

71 Magritte and Contemporary Art: The Treachery of Images, Los Angeles, Los Angeles County Museum of Art, 19

(21)

peut-être parce qu’il est le seul peintre surréaliste à avoir dédaigné toutes les innovations techniques de ses contemporains »72.

On l’a dit, Magritte présente deux objets en plâtre dès sa première exposition personnelle au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, en 1933. Plus encore, c’est à eux seuls que Nougé consacre sa préface, alors que c’est la première fois que le peintre montre au public des toiles majeures, notamment La Trahison des images (fig. 17)73. L’importance des objets dans son parcours ne doit donc pas être sous-estimée, nous nous efforcerons de le montrer pour ce qui est des années 1940. Le catalogue raisonné consacré au peintre constitue la source la plus précieuse d’informations sur ses objets. Les auteurs de ce catalogue sont également les seuls à s’être penchés sur l’exposition que Magritte organise en 1945. Les objets de Mariën ont davantage été commentés74. Quant à l’exposition de Dotremont L’Objet à travers les âges, sur laquelle nous avons travaillé pour notre mémoire de fin d’études, le sujet a depuis lors été approfondi75.

3. Un statut ambigu

Ce sujet de thèse trouve précisément son origine dans notre mémoire de fin d’études, qui touchait déjà à la question de l’objet chez Dotremont76. Nous avons initialement souhaité

creuser l’articulation entre la promotion de l’objet effectuée par la première génération du surréalisme bruxellois et les pratiques relatives à l’objet de la deuxième. Les années 1960 apparaissent dans ce schéma comme l’aboutissement de préoccupations et expérimentations lancées dans les années 1940. Parvenus à maturité, Mariën et Dotremont enclenchent dans les années 1960 des productions qu’ils poursuivront jusqu’au terme de leur parcours. Ils trouvent alors une place sur la scène de l’art contemporain. Les années 1940 font figure de période intermédiaire entre les années 1930, période de gloire de l’objet surréaliste, et les mouvements d’art contemporain installant définitivement l’objet dans le domaine artistique : Pop Art, Nouveau Réalisme,                                                                                                                

72 EmmanuelGuigon, L’Objet surréaliste : introduction aux techniciens bénévoles (…), p.131. 73 David Sylvester, op. cit., p.256.

74 De nombreuses expositions de ses objets ont été organisées à partir de 1967 et il en a été le premier commentateur.

Pour un point de vue externe, voir notamment le catalogue Marcel Mariën. À la recherche de l’heure exacte 1013 ans

avant l’an 3000, Bruxelles-Paris / Dunkerque, Galerie Isy Brachot / École régionale des Beaux-Arts Georges

Pompidou, sd / 27 juin – 30 août 1987.

75 Voir Jacques Calonne, Noctuelles, Lausanne, L’Âge d’homme, 2015.

76 Du surréalisme-révolutionnaire à Cobra, et après (1947-1962). Joseph Noiret et Christian Dotremont à travers leur correspondance, mémoire de fin d’études sous la dir. du prof. Denis Laoureux, Université Libre de Bruxelles, Faculté

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