L’INTERDISCIPLINARITÉ : UNE APPROCHE INDISPENSABLE
À LA PRISE EN COMPTE DE LA NOTION DE RISQUE
DANS LE CADRE D’UNE FORMATION EN ÉDUCATION
À LA SANTÉ OU À L’ENVIRONNEMENT
Jean-Marc LANGE, Patricia VICTOR
G.D.S.T.C./L.I.R.E.S.T., E.N.S. Cachan - I.U.F.M. de l’Académie de Rouen
MOTS-CLÉS : ÉDUCATION - SANTÉ - ENSEIGNANTS – DÉMARCHES DE FORMATION
RÉSUMÉ : Former les enseignants à la notion de risque, que ce soit dans le domaine de la santé ou de l’environnement, relève d’une problématique complexe, incompatible avec une approche centrée sur une seule discipline. Il faut favoriser l’interdisciplinarité qui seule peut construire autour d’un problème donné un îlot de rationalité, support d’un débat citoyen. Dans le cadre de cet atelier, nous avons testé un outil de formation centré sur l’approche interdisciplinaire. L’article constitue le reflet des discussions qu’a généré cet organigramme.
SUMMARY : To form the teachers in the notion of risk, whether it is in the field of the health or of the environment, raise from a complex, incompatible problem with an approach centred on a single discipline. It is necessary to favor the interdisciplinarity which only can build around a given problem an island of rationality, support of a debate citizen. Within the framework of this studio, we tested a tool of training centred on the interdisciplinary approach. The article constitutes the reflection of the discussions which generated this organization chart.
1. INTRODUCTION
La notion de risque, subi ou pris, prend une dimension toute particulière en France, au travers des différents problèmes rencontrés au cours de la dernière décennie (sang contaminé, vache folle, listériose, SIDA, toxicomanies...). Comme à l’accoutumée, la société attend de l’Éducation Nationale une prise en charge de “ l’éducation aux risques ”. Celle-ci passe par une formation des futurs enseignants. Or former les enseignants à la notion de risque, que ce soit dans le domaine de la santé ou de l’environnement, relève d’une problématique complexe (Coquidé, 1997). De plus, l’éducation à la santé et à l’environnement ne sont pas des disciplines scolaires, il faut donc une approche interdisciplinaire, oui, mais quelle interdisciplinarité ?
En effet, il ne s’agit ni de tenter de se placer au-dessus des disciplines ce qui reviendrait à vouloir construire une “super science”, ni de verser dans une caricature technocratique. Au contraire, l’interdisciplinarité doit s’efforcer de construire, autour d’un problème donné, un îlot de rationalité, support d’un débat citoyen (Fourez, 1992). Dans le but de modifier les représentations des enseignants pour une approche plus rationnelle et plus globale de la santé et de l’environnement (Bourgeois-Victor, 1998b), nous avons élaboré des outils de formation (Bourgeois-Victor, 1998a). Parmi ceux-ci, un organigramme centré sur l’approche interdisciplinaire, prenant en compte la dimension sécuritaire, dans ces deux domaines, a été expérimenté dans le cadre de formations de futurs enseignants à l’I.U.F.M. pour le 1er et le 2nd degré puis repris dans le cadre de formations continues. Malgré le ressenti très positif des stagiaires vis-à-vis de cette situation d’apprentissage, il nous a semblé intéressant, dans le cadre de cet atelier, de tester, auprès d’experts, cet outil, adapté des travaux de J. Lebeaume, sur les matrices curriculaires (1999).
2. DÉROULEMENT DE L’ATELIER
La diversité de l’assistance est importante tant au niveau de la nationalité (France, Suisse, Argentine, Italie, Angleterre, Brésil), de la fonction (P.I.U.F.M., médecin, enseignant-chercheur, enseignant, infirmière, doctorant) que de leur intérêt pour l’atelier (cité par ordre décroissant: interdisciplinarité, santé, environnement, risque). La constitution des groupes, de façon spontanée, n’a pas optimisé le brassage des opinions.
2.1 Présentation de l’outil de formation (Document 1)
La situation d’apprentissage présentée dans le document distribué (document 1) est structurée par la cohérence entre les tâches des élèves, leurs visées éducatives et leurs références.
Situation d’apprentissage dans le domaine de l’éducation à la santé ou de l’environnement
L’activité est déterminée par la visée éducative et peut se présenter sous des formes variées selon les objectifs (exposé, étude d’une revue de presse). Pour cela, la visée éducative doit être claire pour le formateur et explicite pour le stagiaire. Elle consiste, ici, à prendre en considération l’aspect pluridimensionnel des thèmes abordés, ce qui représente l’obstacle essentiel à dépasser.
La prise en compte du référent est essentielle pour cibler l’activité. Lebeaume assimile le référent aux savoirs savants et aux savoirs pratiques comme les pratiques sociales de référence, notion développée par Martinand (1995). Nous avons pris le référent comme la somme de tous les savoirs savants ou pratiques et les constructions de l’esprit, telles que les représentations initiales de l’individu que Meyer (1998) associe à la notion de filtre ou facteurs filtrants. Il fait allusion à tout ce que notre mémoire conserve de façon consciente ou inconsciente et qui orientent notre compréhension du monde. Le sujet est au cœur de la situation d’apprentissage et les dimensions ont pour objet de lui permettre de construire cet îlot de rationalité autour du thème donné.
Certains aspects de cette situation d’apprentissage prennent toute leur importance dans le cadre de l’éducation à la santé ou à l’environnement. En effet, les représentations initiales sont très fortes, les pratiques sociales de référence sont très diversifiées et il est complexe de chercher à rendre le discours des enseignants neutre, épuré des valeurs et des idées personnelles qu’ils véhiculent parfois même inconsciemment.
2.2 Présentation de l’atelier
L’atelier consiste en une mise à l’épreuve de l’outil au travers de deux dossiers de presse constitués de différents supports : articles de La Recherche, de Science et Nature, du Courrier International et informations des sites Internet de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de Aliments et des organismes impliqués dans les O.G.M. Ces dossiers traitent de deux sujets d’actualité “la sécurité alimentaire” et “ les O.G.M. : risques environnementaux et sanitaires”. Ils présentent des informations contradictoires et couvrent des domaines différents tels que les domaines scientifique, économique et politique (réglementation). La consigne de l’atelier est de vérifier, à partir des dossiers proposés, si l’utilisation de l’organigramme facilite la rationalisation et la globalisation du thème abordé et sa faculté à donner du sens à la formation. Les productions, réalisées sur transparents, ont permis la communication et la discussion entre les groupes.
3. BILAN DE L’ATELIER
3.1 Caractérisations des productions
Selon les groupes, les productions sont très différentes. Un groupe a manifesté son intérêt pour cet outil et a utilisé l’organigramme sans problème apparent ; cependant, il lui a semblé nécessaire d’y inclure la dimension symbolique dans laquelle il a pu introduire la notion de peur. Le principal écueil évoqué par ce groupe est que certaines notions interpellent plusieurs dimensions et qu’il n’est pas toujours aisé de les placer au sein de l’organigramme!... On peut d’ailleurs constater que la plupart des groupes ont fait évoluer les dimensions en les regroupant ou/et en les créant.
Deux groupes ont remis en question l’activité proposée en ce qui concerne la place et l’utilisation du dossier. Il a été exprimé le danger normatif du travail sur dossier par rapport à l’émergence des représentations du groupe.
Un groupe a critiqué l’outil en lui-même et la place des différents éléments au niveau de sa représentation graphique. Il a également soulevé la question de l’interdisciplinarité et de la place des disciplines.
Enfin le dernier groupe a présenté une reconstruction de l’outil. Ce groupe propose, comme visée éducative, de rechercher les solutions aux différents risques liés à l’alimentation en référence aux domaines scientifique et technique, social ou populaire.
3.2 Synthèse des discussions
L’ensemble des discussions a fait émerger des problèmes de 5 ordres.
sont les disciplines dans cette situation d’apprentissage ? Dans le cadre de l’interdisciplinarité, la perception de la discipline doit rester malgré tout positive. En effet, il semble important de construire le savoir par des méthodes et des concepts définis dans un cadre disciplinaire.
- Ensuite vient le problème des dimensions : tout est-il disciplinaire et conceptuel ? Il serait nécessaire de redéfinir les dimensions et leurs articulations, et d’insérer la dimension technique. - Le troisième point évoque les îlots de rationalité. Pour certains, l’îlot de rationalité est un domaine de spécialiste. Il ne semble pas que cette idée soit en accord avec le concept d’îlot de rationalité décrit par Fourez.
- Le 4e point concerne la situation d’apprentissage. Si son intérêt est de déstabiliser le point de vue univoque des enseignants disciplinaires, d’aider à écouter les points de vue différents, il faut repenser la place du sujet, des représentations initiales et du référent. De plus, il est important d’avoir une idée précise de la visée éducative. Il faudrait essayer d’identifier et de dépasser les peurs, peurs de ne pas savoir, peur de ne pas savoir faire, peur de ne pas savoir être. En effet, selon Canguilhem (1994), il est important d’avoir un rapport positif au risque, qui peut conduire au dépassement de soi.
- Enfin a été discutée l’activité proposée : ne devrait-elle pas être faite en deux temps ? Il semble qu’il serait plus intéressant de faire émerger les représentations initiales puis d’essayer de modifier celles-ci par l’utilisation du dossier en faisant prendre conscience qu’il y a des aspects et des idées très différents. On pourrait également proposer aux stagiaires de rechercher les différentes dimensions.
4. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
L’ensemble de ces discussions nous amène à clarifier l’outil et à le rendre plus opérationnel, dans le cadre de la formation en éducation à la santé et à l’environnement, par rapport aux objectifs visés. Pour cela, il faut :
- repenser la catégorisation et l’emplacement des dimensions et rapprocher les dimensions scientifique et technique. On pourrait envisager un remaniement des dimensions, sociale (économie, politique, éthique dans le sens de valeur), populaire (culturelle, esthétique, psychologique), scientifique et technique, et sécuritaire (risque scientifique, technologique, humain...).
- expliciter la visée éducative de la situation d’apprentissage qui peut être intermédiaire par rapport à la visée globale (éducation à la santé et à l’environnement). Dans le cadre de cette activité, elle correspond au dépassement d’un obstacle (la non-reconnaissance de la globalité).
thèmes abordés et les objectifs visés (par exemple, l’idée de rétroaction sur les représentations initiales du sujet par une prise de conscience et une transformation).
- préciser la notion d’îlot interdisciplinaire de rationalité. Selon Fourez, « La construction d’un îlot de rationalité implique que l’on fasse se croiser des savoirs provenant de multiples disciplines et des connaissances de la vie quotidienne, pour structurer un modèle intéressant dans un contexte précis. ». Néanmoins, il faut assumer l’existence d’une part d’irrationnel dans ces problématiques. Cet atelier nous a permis d’affiner la problématique de la situation d’apprentissage vis-à-vis du cadre particulier de l’éducation à la santé ou à l’environnement.
Dans l’avenir, nous envisageons, en nous situant dans une perspective curriculaire, de penser les situations d’apprentissage dans ces domaines éducatifs, en terme de continuité et/ou de ruptures.
BIBLIOGRAPHIE
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