Journal Identification = IPE Article Identification = 1978 Date: July 15, 2019 Time: 2:13 pm
Livres
L’Information psychiatrique 2019 ; 95 (6) : 452-3
Analyse de livre
Anatole Le Bras Un enfant à l’asileVie de Paul Taesch (1874-1914) Paris : CNRS, 2018
Que voila un livre étonnant ! Un historien, Anatole le Bras, nous fait découvrir qu’en mars 1896, entre les murs de l’asile dépar- temental d’aliénés Saint-Athanase de Quimper, l’interné Paul Taesh, 22 ans, a rédigé son autobiogra- phie afin, semble-t-il, d’obtenir sa libération du directeur de cet établis- sement.
Étonnant aussi : ces mémoires ont été conservées dans un dossier du patient !
On imagine ce dossier, poussié- reux, écrit à la main, exhumé d’un vieux carton dans des archives hos- pitalières de la fin duXIXedébutXXe
et on réalise le travail minutieux et patient de recherche de l’historien. . . Merci monsieur Le Bras.
Mais j’en viens à cette surpre- nante histoire car elle nous apporte des éclairages très divers et sus- cite beaucoup de réflexions chez les psychiatres de la fin du XXe siè- cle.
Ce livre écrit par un historien, loin des « a priori » d’un profes- sionnel de la psychiatrie, décrit bien les interactions réciproques entre l’état de la société de l’époque, la situation de la psychiatrie et de ses équipements.
Orphelin né d’une mère morte en couche et d’un père inconnu (encore que l’auteur à partir de registres d’état civil avance quelques hypo- thèses sur ce point), Paul Taesh est interné dès l’âge de 12 ans à la section pour enfants aliénés de Bicêtre.
Il sera ensuite ballotté entre Paris, Ville-Évrard et Quimper et diag- nostiqué épileptique, débile, hysté- rique, simulateur ou encore dégé- néré au hasard des théories de l’époque.
Le miracle ou les miracles pour le lecteur c’est que ce petit garc¸on ait appris à lire, à écrire, qu’il ait ensuite rédigé sa biographie, qu’elle ait été conservée et qu’en 2018, un jeune chercheur la découvre.
Rien ne manque à cette recherche : certificats médicaux, lettres des familles, les actes admi- nistratifs et bien sûr les écrits du patient adressés au directeur :
«Étant orphelin de bonne heure».
C’est ainsi que l’auteur a pu retrouver la trace de Paul Taesh hors de l’asile et le suivre de la nais- sance à la mort de tuberculose en 1913.
Souhaitant convaincre mes col- lègues de lire cet ouvrage, voici, notamment, ce qu’ils y trouveront :
–les notions de l’époque en psy- chiatrie de l’enfant ;
–l’importance alors des concep- tions sur l’hystérie et l’hystéro- épilepsie avec bien sûr les réfé- rences à l’école de Charcot et à son élève Bourneville qui, lui, centre ses recherches sur l’hérédité (autre notion vedette du temps) ;
–des citations amusantes comme la réflexion prêtée à Charles Lassègue«L’hystérie est la corbeille à papier de la médecine où l’on jette les symptômes inemployés»;
–la véritable culture hystérique avait alors envahit la société : Mis- tinguett en 1900 chante « Quand j’entend la musique je deviens épi- leptique»;
–on voit aussi poindre dès la fin duXIXeles balbutiements d’une volonté de réforme ;
– les médecins prennent consci- ence des limites de«l’asile panacée de 1838». Ils inventent alors, ils bri- colent ;
–c’est par exemple la recon- version des malades en infirmiers (Bourneville y était favorable). On peut citer à ce sujet l’exemple de Jean-Baptiste Pussin, malade incurable devenu surveillant puis
«gouverneur des fous»à Bicêtre ;
–à défaut de devenir infirmier on peut toujours si nécessaire revenir à l’hôpital en réalisant un
« placement volontaire » à partir de deux témoins prêts à témoi- gner à la porte de Ste-Anne et absolument inconnus du malade.
(Paul Taesh parvint deux fois à entrer à l’asile en se jouant des règles et d’ailleurs, il ne se
doi:10.1684/ipe.2019.1978
Rubrique coordonn ´ee par Jos ´ephine Caubel
452 Pour citer cet article : Analyse de livre.L’Information psychiatrique2019 ; 95 (6) : 452-3 doi:10.1684/ipe.2019.1978
Journal Identification = IPE Article Identification = 1978 Date: July 15, 2019 Time: 2:13 pm
Analyse de livre
séparait jamais de ses certificats d’internement) ;
–réformer et compléter la loi de 1838 paraissait utile et nécessaire à nos prédécesseurs mais tous les projets de réforme furent critiqués et échouèrent ;
–seule petite modification, le terme asile fut remplacé par hôpi- tal psychiatrique dans les années trente mais il fallut attendre la Seconde Guerre mondiale pour voir naitre « LA » circulaire de 1960 à laquelle s’accrochèrent les prati- ciens de l’époque ;
–fragile texte de loi à par- tir duquel nos collègues d’alors
(et certains d’entre nous encore de ce monde) militèrent afin créer le début des soins extrahospitaliers ;
–la loi sur la sectorisation qui désenclave officiellement les soins ne fut votée qu’en 1990.
–c’en est alors fini avec les«pilier d’asile». . .Bien sûr d’autres incon- vénients apparaitront mais chacun de nous connaît le début de la suite de l’histoire que d’autres écriront. . . Vous ai-je incité voire convaincu de lire cet ouvrage ? Je le souhaite, je l’espère.
La préface est écrite par Philippe Artières qui s’attacha lui à l’histoire de Charles Double, « inverti »
parricide des années 1880, qui après avoir assassiné sa mère la veuve Chaste, avait fui jusqu’au Caire.
On a envie de dire grand merci à ces historiens, véritables aventu- riers des archives.
Aix-en-Provence, le 10 février 2019, Nicole Horassius-Jarrié horassius@wanadoo.fr
Liens d’intérêt
l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
L’Information psychiatrique•vol. 95, n◦6, juin-juillet 2019 453
