• Aucun résultat trouvé

Analyse de livre. <i>Autisme. Quelle place pour la psychanalyse ?</i>, de Juan Pablo Lucchelli

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Analyse de livre. <i>Autisme. Quelle place pour la psychanalyse ?</i>, de Juan Pablo Lucchelli"

Copied!
3
0
0

Texte intégral

(1)

Journal Identification = IPE Article Identification = 1865 Date: October 24, 2018 Time: 11:2 am

Livres

L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (8) : 701-3

Analyse de livre

Juan Pablo Lucchelli Autisme. Quelle place pour la psychanalyse ? Paris : éditions Michèle, 2018.

Préface de Jean Claude Maleval Postface d’Ariane Giacobino

« L’accent mis sur une conver- gence, certes partielle, entre une approche cognitiviste et une approche psychanalytique de l’autisme qui préside à l’ouvrage de M. Lucchelli, lui-même psy- chiatre, psychanalyste et père d’un enfant autiste n’en reste pas moins remarquable. Cette rencontre qui repose sur une conception non déficitaire de l’autisme, nettement différente des psychoses, conduit les uns à le considérer comme une

“différence”, les autres comme une “structure subjective” ». Ainsi présente l’ouvrage dans sa pré-

face Jean-Claude Maleval. Ce à quoi nous voudrions ajouter qu’il est médecin responsable du centre médico-psychologique pour enfants et adolescents de La Courneuve, hôpital Ville-Évrard, dans la Seine-Saint-Denis, car il est important de préciser de quel lieu il parle. Il est à souligner aussi, comme il est dit dans la préface, que Lucchelli ne cherche pas à se mouler dans le « discourcou- rant » – selon le néologisme de Jacques Lacan – sur un sujet qui soulève aujourd’hui des vives tensions, théoriques et pratiques.

Question de style, Lucchelli ne refuse pas la polémique. C’est un des mérites du livre, mais pas le seul, loin de là. Nous allons aussi trouver dans l’ouvrage des considérations tout à fait originales, susceptibles autant d’intéresser les spécialistes de la question (les historiens de la psychiatrie, la psychanalyse et l’autisme), que les cliniciens et praticiens de terrain, mais aussi des lecteurs d’autres disciplines concernés par les pro- blèmes anthropologiques, dans la suite de la vieille querelle de l’humanisme qui a lieu en France dans les années 60 (Sartre, Althus- ser, Foucault, Sève, etc.) autour de « la figure de l’homme », et dont le couple d’opposés huma- nismevsanti-humanisme se trouve aujourd’hui complété en triade par le post-humanisme...

Rentrons dans le livre. Après l’« introduction » de rigueur, Luc- chelli se livre à un Envoi intimiste qui a valeur de témoignage d’une expérience de proximité avec l’autisme qui n’est pas de savoir mais de vécu. Quelques belles pages dont la qualité littéraire ne

doit pas faire oublier qu’il sait de quoi il parle. Après cela, Lucchelli affirme un axiome fondamental pour le développement du livre : il ne faut plus confondre l’autisme avec la psychose, infantile ou pas. Et ce seraient les DSM qui auraient pris cette direction les premiers, alors qu’en France le problème serait bien plus flou, selon lui, quelques atavismes aidant. Pire encore, ce serait le tant décrié DSM-5 qui produit un renversement décisif entre les«troubles envahissant du développement » qui deviennent désormais une espèce du genre

« troubles du spectre autistique ».

À ce sujet, il faut remarquer qu’il considère comme maintenant lar- gement acquis que l’autisme est un

« trouble » neurobiologique déter- minant un rapport différent aux autres et au monde. Et ce, quelles que soient les formes cliniques qu’il prenne. L’enjeu est donc de leur faire une place aux autistes dans ce monde, chacun selon leur spécificité. Le décor est ainsi planté.

Avanc¸ant dans son argumentaire, le livre aborde ensuite les notions élaborées par la psychanalyste hon- groise émigrée aux États-Unis, Mar- garet Mahler, en particulier dans son ouvrage Psychose infantile (1960) considéré comme une première ten- tative pour séparer autisme de psychose, en particulier à travers la notion de « psychose symbio- tique ». Le cas de l’enfant Jay est discuté, ce qui permet à Lucchelli de dire que la seule différence entre l’autisme décrit par Leo Kanner et la psychose symbiotique de Mahler est une apparition des « signes » plus tardive que dans les tableaux précoces typiques. Néanmoins, Luc- chelli retient qu’elle affirme une origine biologique du trouble et qu’elle commence à remarquer quelque chose qui semble man- quer dans l’autisme : l’attention conjointe.

Pour avancer, Lucchelli recule un peu plus dans le temps pour abor-

doi:10.1684/ipe.2018.1865

Rubrique coordonnée par Joséphine Caubel

701

Pour citer cet article : Analyse de livre.L’Information psychiatrique2018 ; 94 (8) : 701-3 doi:10.1684/ipe.2018.1865

(2)

Journal Identification = IPE Article Identification = 1865 Date: October 24, 2018 Time: 11:2 am

der deux séances du séminaire de Jacques Lacan de 1954, où la discus- sion tourne autour d’un cas clinique de Melanie Klein, le cas Dick, publié en 1930. Les pages qu’il y consacre ne manquent pas de sel, car il commente de fac¸on documentée et consistante une « rectification subjective » chez Jacques Lacan à la suite de sa discussion avec Marie-Cécile Gélinier, à qui il a demandé de présenter le texte de M. Klein. L’affaire tourne autour d’une interprétation de M. Klein, brutale dit Lacan dans un pre- mier temps, sur le jeu de l’enfant avec un petit train. Il est ques- tion de technique, mais aussi de clinique, car Dick ne semble res- treindre ses intérêts qu’aux trains, et tout le reste, M. Klein y compris, semblent des « meubles » autour de lui. Dans l’entre-deux séances, Lacan revoit son abord du cas, et il revient avec une nouveauté dans son séminaire, le « schéma optique», qu’il reprend d’un physi- cien franc¸ais, Henri Bouasse, publié en 1934. L’expérience optique, dite du « bouquet renversé », lui per- met de complexifier le schéma initial du « stade du miroir ». Le résul- tat en est l’introduction d’un autre

«point de vue»qui vient s’ajouter à la perception du miroir, l’Autre, qui fonctionne comme « témoin » de l’expérience. Et Lucchelli d’y préciser : il s’agit justement de la nécessaire « attention visuelle conjointe », qui n’acquiert son sta- tut de signe cardinal qu’en 1975, avec la publication dans la revue Natured’un article princeps par les auteurs cognitivistes Scaife et Bru- ner. Avant de reprendre sa marche en avant, Lucchelli publie en annexe l’intervention de Marie-Cécile Géli- nier, qui manque dans la version publiée du séminaire de Lacan.

Arrivés ici, et concernant la cli- nique de l’autisme, deux notions se dégagent : l’attention conjointe et les intérêts restreints. La suite du livre de Lucchelli va tourner autour d’une dialectique entre définir clini- quement l’autisme par ce qu’il n’est pas, ou bien le faire par ce qu’il est

en propre. Lucchelli présente les avancées apportées par la«théorie de l’esprit » dans son application à la compréhension de l’autisme, avec une attention particulière aux développements introduits par les cognitivistes britanniques Simon Baron-Cohen et Uta Frith.

Leurs hypothèses et les résultats de leurs expériences les conduisent à postuler un déficit de théorie de l’esprit chez les autistes. Le signe cardinal en est un déficit d’attention conjointe comme résultat d’une absence d’identification à l’état mental des autres. En tant que détecteur d’intentionnalité, le détec- teur de la direction de regard prend une place d’importance dans leurs études. Mais, Lucchelli convient que la théorie de l’esprit ressemble plus à une théorie anthropologique des « non-autistes », qu’à une caractérisation clinique en propre de l’autisme. Le social, omniprésent dans la théorie de l’esprit, rappelle ironiquement la VIe thèse de Marx sur Feuerbach ; « L’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité elle est l’ensemble des rapports sociaux ». L’autisme se trouvant ainsi en quelque sorte exclu de la théorie de l’esprit, la tendance thérapeutique pousse ses partisans à vouloir pallier ce déficit par un apprentissage, soit comportemental, soit éducatif. Et Lucchelli se demande : comment en effet combler ce qui est irré- médiablement déficitaire dans l’autisme ?

Pour lui, c’est l’ouvrage L’intervention précoce pour enfants autistes(2016) du psychiatre franco- canadien Laurent Mottron, qui produit un renversement majeur de perspective. Car, si au contraire de mettre l’accent sur le déficit (l’attention conjointe), on le déplace sur ce qu’il a (ou ce qu’il est) en propre (les intérêts restreints), l’autisme sort d’une certaine exclusion. Il devient, soit une«dif- férence », soit une « structure », mais point une maladie. Et c’est le point de convergence essen-

tiel avec l’abord psychanalytique qui oriente Lucchelli, à quelques nuances près. Prendre les autistes pour ce qu’ils sont, incite, d’après Mottron, plutôt à adapter la pla- nète à l’autisme. Vaste projet, qui retrouve tout de même une limite : distinguer une forme clinique

«prototypique»(qui correspond à l’autisme de Kanner) d’une autre

« syndromique ». Question qui devient pour Mottron«la première tâche qui incombe au clinicien à l’heure du diagnostic, et la première notion qui oriente les décisions d’intervention». Alors, essentielle- ment pour l’autisme prototypique, Lucchelli note que Mottron indique certaines directions de pratique : les projets éducatifs des enfants autistes doivent être les mêmes que ceux des enfants typiques ; détecter l’intelligence de l’enfant et ses préférences ; mettre l’accent sur les intérêts restreints ; montrer avant de dire ; laisser l’enfant seul avec ses centres d’intérêts ; prendre une place de « tutelle latérale » ; favoriser une socialisation de type autistique ; distinguer les comporte- ments atypiques des manifestations envahissantes.

Lucchelli aborde alors les conver- gences entre deux modalités de prise en charge, celle qu’on vient de décrire, et celle, psychanaly- tique, orientée principalement par Jean-Claude Maleval, qui prend point de départ dans l’ouvrage de ce dernierL’autiste et la voix(2008).

Mais aussi, il note les points de divergence, qui ne sont pas sans importance. D’abord, la manière d’aborder l’angoisse : pour Mot- tron, c’est la privation d’information qui engendre l’angoisse et non l’inverse, alors que pour Male- val les moyens qui doivent être mis en œuvre pour contrer l’angoisse sont d’un autre ordre que l’amélioration du cognitif. Enfin, Maleval considère que l’autiste a un inconscient, manifesté notamment par l’existence d’un corps libidinal et d’un«bord»pulsionnel, alors que Mottron conc¸oit l’autisme comme une cognition différente, une

702 L’Information psychiatriquevol. 94, n8, octobre 2018

(3)

Journal Identification = IPE Article Identification = 1865 Date: October 24, 2018 Time: 11:2 am

Analyse de livre

intelligence singulière, en prenant moins en compte le monde affectif de l’autiste.

Lucchelli conclut son livre avec ses propres considérations, qui tra- versent autant le dialogue de Pla- ton Ménon, que la culpabilité des parents, mais aussi bien l’idée que

rien n’est préétabli et que la seule stratégie est celle d’être ouvert à ce qui fonctionne, laissant l’autiste, enfant ou jeune,«rencontrer»son propre monde. Il dit qu’une question traverse son ouvrage dès le début : la pratique psychanalytique a-t-elle un rôle à jouer dans l’approche de

l’autisme ? Nous laissons à chaque lecteur le choix de décider s’il y a répondu.

Eduardo Mahieu

Liens d’intérêts

l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

L’Information psychiatriquevol. 94, n8, octobre 2018 703

Références

Documents relatifs

Les conditions nécessaires pour établir les interactions entre le professeur et ses élèves autistes seront examinées et discutées au travers du prisme des fonctionnements

Dans ce mémoire, il s’agira de leur envoyer : « En tant qu'ergothérapeutes, quels sont pour vous les critères pris en compte pour évaluer les troubles de

L’objectif ici est d’augmenter l’unité de base du programme moteur pour que Malo trace la lettre en entier pour permettre l’automatisation et donc le passage vers

Au travers des retours d’expériences des professionnels et des parents, nous pouvons affirmer, pour les participants à notre étude, que l’outil numérique

Autisme et nouvelles technologies : Revue de littérature sur les questions de l’usage des outils numériques dans l’aide à la communication non verbale et à l’interaction

Mais là aussi, encore un paradoxe : ˇZiˇzek avance que sexualité et pou- voir sont plus intimement liés que ce que nous le croyons, comme par exemple dans le cas du sadisme et

En réponse à mes observations, Pablo Berger partagea simplement avec la salle deux réflexions qui sont de pro- bables ingrédients pour un « bon » cinéma sur la folie :

Mais Lucchelli s’y réfère aussi à une trouvaille qu’il a faite dans les archives : une lettre datée de 1935 de Lacan à Alexandre Kojève, philosophe d’origine russe ayant fait