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Analyse de film. <i>Abracadabra</i>, de Pablo Berger

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Academic year: 2022

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Journal Identification = IPE Article Identification = 1820 Date: May 18, 2018 Time: 2:6 pm

Film

L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (5) : 415-6

Analyse de film

Abracadabra Pablo Berger

93 min, 2017 (Espagne)

De la représentation de la schizophrénie à l’écran

Carmen et Carlos forment un couple altéré par le quotidien.

Le film s’ouvre sur une scène d’intérieur, dans un appartement de la banlieue madrilène. Carlos est hypnotisé par un match de foot, alors que sa femme et sa fille se préparent pour se rendre à un mariage. Il ne les voit pas, les accable d’indifférence ou de remarques machistes et finit par mettre tout le monde en retard, absorbé par les prolongations spor- tives. Lors de la cérémonie où la famille est invitée, la participation fortuite de Carlos à une séance d’hypnose de spectacle va tout changer.

Rien ne laissait présager sur l’affiche pop et hypnotique d’Abracadabra qu’une question psychiatrique puisse y être traitée.

J’étais partie voir ce film un peu par hasard sans même en connaî- tre le sujet, à l’occasion d’une avant-première en présence du réalisateur. Je ne m’attendais donc pas précisément à finir la soirée en débattant avec Pablo Berger de la représentation de la schizophrénie au cinéma. Rares sont les occasions d’échanger directement avec un cinéaste sur les questions de stig- matisation de la folie par les œuvres de fiction. Ce débat est pourtant plutôt récurrent lorsqu’on évoque entre professionnels ou avec les

personnes concernées le sujet des troubles psychiatriques au cinéma.

Ainsi, après s’être fait « hypno- tisé », Carlos change radicalement de comportement, devient un mari aimant, attentionné et cultivé. Son épouse et sa fille, d’abord dérou- tées par cette évolution soudaine, s’interrogent rapidement sur sa rai- son. La fable commence alors, lorsque la tenace Carmen découvre que«l’esprit»d’une personne décé- dée habite le corps de son mari.

L’intrigue bascule lorsque l’enquête dévoile que cet«étranger»souffrait de schizophrénie et aurait commis plusieurs meurtres, dont un matri- cide, avant de lui-même se donner la mort.

Ayant traversé pendant la pro- jection des sentiments partagés sur les messages véhiculés par le film, j’avais finalement interpellé le réali- sateur en fin de séance sur le fait que son film, malgré la représentation faussée qu’il donnait de la maladie (prévalence de la violence, halluci- nations visuelles complexes prédo- minantes), parvenait d’une manière étonnante à « retourner le stig- mate», en montrant un personnage émotionnellement attachant et pro- fondément humain malgré les actes commis et par contraste avec un Carlos repoussant et caractériel. En réponse à mes observations, Pablo Berger partagea simplement avec la salle deux réflexions qui sont de pro- bables ingrédients pour un«bon» cinéma sur la folie : premièrement, il avait à cœur de traiter ce sujet avec empathie et compréhension, ayant lui-même eu des proches tou- chés par la maladie ; ensuite il nous rappela à tous que le cinéma doit parfois savoir s’affranchir de la réa- lité pour être art.

Cette analyse d’Abracadabrapeut être mise en perspective avec deux autres«représentations»filmiques de la psychose : Clean, shaven (1993), du réalisateur indépendant Lodge Kerrigan, et Birdman (2014) de Alejandro González I ˜nárritu.

Le premier film nous offrait un portrait très réaliste d’un point de vue sémiologique d’une personne souffrant de schizophrénie, en privi- légiant la figuration d’hallucinations auditives à type de bruits ou de voix menac¸antes, en plac¸ant le spec- tateur en situation de percevoir l’hypersensorialité du personnage et son raisonnement interprétatif, notamment par l’emploi du point de vue subjectif. Ce film est consi- déré par beaucoup d’observateurs comme une des fictions les plus réa- listes à propos de la schizophrénie.

Il autorise une certaine empathie envers le personnage par une trans- mission de ses souffrances et ne caricature pas la maladie dont il montre des symptômes plausibles.

Comme Pablo Berger, le réalisateur évoquait avoir lui aussi côtoyé de manière proche des personnes souf- frant de schizophrénie.

AvecBirdman, Alejandro Gonzá- lez I ˜nárritu parvenait sans faire un film sur la folie à donner une repré- sentation métaphorique du délire, utilisant tous les artifices possibles du cinéma, de l’apparition visuelle figurant l’hallucination aux libertés narratives permises par la structure du conte. Son film ne préten- dait à aucun moment parler de la schizophrénie, qui n’était pas nommée ou sous-entendue comme condition du personnage. Il par- venait pourtant à faire ressentir au spectateur les émotions et le sentiment d’étrangeté que peuvent traverser les personnes expérimen- tant le délire. À la différence du film de Pablo Berger, en ne prétendant pas avoir pour objet la schizo- phrénie, Birdmann’entretenait pas nécessairement la confusion très hollywoodienne entre cette mala- die et le trouble dissociatif de

doi:10.1684/ipe.2018.1820

Rubrique coordonnée

par A. Bouvarel et S. Cervello

415

Pour citer cet article : Analyse de film.L’Information psychiatrique2018 ; 94 (5) : 415-6 doi:10.1684/ipe.2018.1820

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Journal Identification = IPE Article Identification = 1820 Date: May 18, 2018 Time: 2:6 pm

l’identité. Sa dimension métapho- rique n’invitait pas non plus à penser que les personnes schizophrènes étaient systématiquement confron- tées à des hallucinations visuelles complexes, ce qui peut être repro- ché àAbracadabra.Interpellé sur ce point précis, Pablo Berger avait sou- ligné le plus grand potentiel visuel des«apparitions»au cinéma, pre- nant ainsi le parti de l’artistique face au réalisme. On pourrait lui répondre qu’un film artistiquement abouti commeBirdmanmet de côté la question de la définition de la

maladie pour s’autoriser à mettre en scène un délire visuellement riche.

Découvert en 2012 avec Blanca- nieves, Pablo Berger s’inscrit avec ce nouveau film dans la ligne artis- tique des réalisateurs espagnols tels que Pedro Almodovar ou Álex De La Iglesia. Ce nouveau cinéma hispanique à l’humour corrosif ne s’embarrasse pas des interdits. On peut y rire de tout, mais sans être mal intentionné. C’est ce qui fait aussi l’intérêt d’Abracadabra vis-à-vis de la schizophrénie. Le réalisateur a trouvé là un moyen

d’aborder un sujet par lequel il semble sincèrement et personnel- lement touché. En confrontant les stéréotypes liés à cette maladie à des personnages«normaux»plus inquiétants encore, il parvient à nous faire penser queles fous sont les autres.

Sophie Cervello sophie.cervello@gmail.com Liens d’intérêts

l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

416 L’Information psychiatriquevol. 94, n5, mai 2018

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