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L'appréhension juridique de la nature ordinaire

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: tel-02908430

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Submitted on 9 Nov 2020

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L’appréhension juridique de la nature ordinaire

Aline Treillard

To cite this version:

Aline Treillard. L’appréhension juridique de la nature ordinaire. Droit. Université de Limoges, 2019.

Français. �NNT : 2019LIMO0032�. �tel-02908430v2�

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Université de Limoges

ED 88 - Droit et Science Politique (DSP)

Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Thèse pour obtenir le grade de

Docteur de l’Université de Limoges

Discipline : Droit public

Présentée et soutenue publiquement par

Aline TREILLARD

Le 8 novembre 2019

Thèse dirigée par Mme Jessica MAKOWIAK, Professeur des Universités, Directrice du Centre de Recherches Interdisciplinaires en Droit de l’Environnement, de l’Aménagement et de l’Urbanisme (CRIDEAU, équipe thématique de l’OMIJ, EA3177)

JURY : Rapporteurs

M. Philippe BILLET, Professeur agrégé de Droit public, Université Jean Moulin – Lyon 3, Directeur de l’Institut de Droit de l’Environnement (CNRS, UMR 5600, EVS - IDE, Labex IMU).

M. Laurent FONBAUSTIER, Professeur agrégé de droit public, Université Paris-Saclay, Institut d’Études de Droit Public (EA2715)

Suffragants

M. Michel PRIEUR, Professeur Émérite, Université de Limoges, Directeur scientifique du CRIDEAU, Doyen honoraire de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Limoges, Président du Centre International de Droit Comparé de l’Environnement

Mme. Agathe VAN LANG, Professeur agrégée de Droit public, Université de Nantes, Département Droit public et Sciences Politiques

L’appréhension juridique de la nature ordinaire

Thèse de doctorat

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À mes parents,

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« À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgent, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel »

Edgar Morin

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Remerciements

Je tiens à remercier très sincèrement mon encadrante de thèse, Mme le Professeur Jessica MAKOWIAK pour la confiance qu’elle m’a témoignée tout au long de ce doctorat, pour son soutien indéfectible et ses précieux conseils. Je remercie également toute l’équipe du Centre de Recherches Interdisciplinaires en Droit de l’Environnement, de l’Aménagement et de l’Urbanisme de Limoges qui m’a transmis des qualités intellectuelles et humaines sans communes mesures. Plus particulièrement, je tiens à remercier Simon JOLIVET, David LABOUYSSE et Jean Marc LAVIEILLE pour leurs encouragements continus.

Mes remerciements les plus chaleureux sont également adressés à Rémi LUGLIA et Rémi BEAU, qui ont tous deux manifesté un vif intérêt pour mes travaux de recherches et ont rendu cette aventure doctorale encore plus enrichissante.

Avec eux, je remercie mes ami(e)s pour leur soutien mais aussi et surtout pour leur joie de vivre.

Je remercie également mon compagnon de vie, Jérémy, avec qui je partage quotidiennement la beauté de l’ordinaire.

Pour terminer, mes remerciements les plus intimes sont adressés à mes parents qui, de près

comme de loin, m’ont transmis quelques-unes des plus belles valeurs de ce monde : l’amour et

le courage.

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Droits d’auteurs

Cette création est mise à disposition selon le Contrat :

« Attribution-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de modification 3.0 France » disponible en ligne : http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/

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Liste des principales abréviations

Abréviations relatives aux institutions, organismes et juridictions

ACCA : Association communale de chasse agrée

AFB : Agence française pour la biodiversité AICA : Association intercommunale de chasse agrée

AN : Assemblée Nationale

CAA : Cour administrative d’appel

CADH : Convention Américaine sur les droits de l’Homme

CC : Conseil constitutionnel français

CDD : Commission du développement durable CESE : Conseil économique, social et environnemental

CIDH : Cour Interaméricaine des droits de l’Homme

CJCE : Cour de justice des Communautés Européennes

CJUE : Cour de justice de l’Union Européenne CNTE : Conseil national de la transition écologique

ConvEDH : Convention Européenne des droits de l’Homme

CourEDH : Cour Européenne des droits de l’Homme

CREN : Conservatoire régional des espaces naturels

EPCI : Etablissement public de coopération intercommunal

EPF : Etablissement public foncier

IPBES : Intergovernmental science-policy platform on biodiversity and ecosystem (Plateforme intergouvernementale et scientifiques sur la biodiversité)

GEOC : Groupe d’expert sur les oiseaux et leur chasse

GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

LPO : Ligue pour la protection des oiseaux ONCFS : Office national de la chasse et de la faune sauvage

PNR : Parc naturel régional

SFDE : Société française pour le droit de l’environnement

SAFER : Société d’aménagement foncier et d’établissement rural

SNPN : Société nationale de protection de la nature

UICN : Union internationale pour la conservation de la nature

UNESCO : Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture Abréviations relatives à l’information, à la planification et aux politiques publiques ABC : Atlas de la biodiversité communale DOCOB : Document d’objectif

EBC : Espace boisé classé ENS : Espace naturel sensible

MAEC : Mesure agro-environnementale et climatique

MaquaE : Mesures aqua-environnementales MEA : Millenium ecosystem assessment ORE : Obligation réelle environnementale PAC : Politique agricole commune

PADD : Plan d’aménagement et de développement durables

PDRH : Programme de développement durable hexagonal

PDU : Plan de déplacement urbain PLU : Plan local d’urbanisme

PLUI : Plan local d’urbanisme intercommunal

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PPA : Plan de protection de l’atmosphère PPRNP : Plan de prévention des risques naturels prévisibles

SCOT : Schéma de cohérence territoriale SDAL : Schéma directeur d’aménagement lumière

SNB : Stratégie nationale pour la biodiversité SRADDET : Schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires

SRCE : Schéma régional de cohérence écologique

STeCAL : Secteur de taille et de capacité d’accueil limitées

STOC : Suivi temporel des oiseaux communs TVB : Trames verte et bleue

ZNIEFF : Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique

ZPS : Zone de protection spéciale ZSC : Zone spéciale de conservation

Abréviations relatives aux revues et autres publications

AFDI : Annuaire français de droit international AJCT : Actualité juridique collectivités territoriales

AJDA : Actualité juridique droit administratif APD : Archives de philosophie du droit

BDEI : Bulletin de droit de l’environnement industriel

BJCL : Bulletin juridique des collectivités territoriales

D. : Recueil Dalloz

Dr. adm : Droit administratif (revue) Dr. env. : Droit de l’environnement (revue) JCP G. : La semaine juridique, édition générale LPA : Les petites affiches

PNAS : Proceedings of the National Academy of Sciences

RAE : Revue des affaires européennes RDI : Revue de droit immobilier

RDLF : Revue des droits et libertés fondamentaux

RD rur. : Revue de droit rural

RD publ. : Revue de droit public et de la science politique

REDE : Revue européenne de droit de l’environnement

RFAP : Revue française d’administration publique

RFDA : Revue française de droit administratif RFDC : Revue française de droit constitutionnel

RFEA : Revue française d’études américaines RIEJ : Revue interdisciplinaire d’études juridiques

RIDE : Revue internationale de droit économique

RJE : Revue juridique de l’environnement RPDT : Revue pénitentiaire et de droit pénal RRJ : Revue de la recherche juridique RTDC : Revue trimestrielle de droit civil RTDE : Revue trimestrielle de droit européen RTDH : Revue trimestrielle des droits de l’Homme

RSDA : Revue semestrielle de droit animalier

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Autres abréviations

Code env. : Code de l’environnement CGI : Code général des impôts

CGCT : Code général des collectivités territoriales

CGPPP : Code général de la propriété des personnes publiques

CJA : Code de justice administrative Coord. : Coordonné par

CU : Code de l’urbanisme

DIE : Droit international de l’environnement DIP : Droit international public

Dir. : Sous la direction de

EEE : Espèce exotique envahissante

EEB : Economics of ecosystems and biodiversity

Eds. : Edition scientifique ERC : Eviter-réduire-compenser

ICPE : Installation classée pour la protection de l’environnement

J.O.C.E : Journal officiel des Communautés européennes

J.O.R.F : Journal officiel de la République française

J.O.U.E : Journal officiel de l’Union Européenne

Req. : Requête

TFPNB : Taxe foncière sur les propriétés non bâties

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SOMMAIRE

PARTIE I – INSTITUER LA NATURE ORDINAIRE DANS L’UNIVERS DU DROIT PUBLIC

TITRE 1 – LA DIVERSITÉ CONCEPTUELLE DE LA NATURE À L’ÉPREUVE DE LA DIVERSITÉ JURIDIQUE

CHAPITRE 1 – LES DIFFÉRENTES CONCEPTIONS DE LA NATURE : UNE RICHESSE POUR LE DROIT

CHAPITRE 2 – LES DIFFÉRENTES RATIONALITÉS DU DROIT : UNE RICHESSE POUR LA NATURE ORDINAIRE

TITRE 2 – LES CONDITIONS JURIDIQUES D’APPRÉHENSION DE LA NATURE ORDINAIRE

CHAPITRE 1 – LES CONDITIONS FORMELLES D’APPRÉHENSION DE LA NATURE ORDINAIRE

CHAPITRE 2 – LES CONDITIONS JURIDICTIONNELLES D’APPRÉHENSION DE LA NATURE ORDINAIRE

PARTIE II – CONSTRUIRE LE RÉGIME JURIDIQUE DE LA NATURE ORDINAIRE TITRE 1 – LES PILIERS DU FUTUR RÉGIME JURIDIQUE DE LA NATURE ORDINAIRE

CHAPITRE 1 – LA THÉORIE GÉNÉRALE DU DROIT SAISIE PAR LE RÉGIME JURIDIQUE DE LA NATURE ORDINAIRE

CHAPITRE 2 – LA LOGIQUE DU PARTAGE COMME AXE DE RÉFÉRENCE NORMATIF

TITRE 2 – LES PROCESSUS DU FUTUR RÉGIME JURIDIQUE DE LA NATURE ORDINAIRE

CHAPITRE 1 – LES PROCESSUS D’ENGENDREMENT : LA CONSTRUCTION A POSTERIORI DU DROIT DE LA PROTECTION DE LA NATURE

CHAPITRE 2 – LES PROCESSUS DE DIFFUSION : LA CONSTRUCTION DU

DROIT DE LA NATURE ORDINAIRE PAR PRESSION NORMATIVE

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INTRODUCTION

« Penser la Nature n’est ni la connaître ni la comprendre, mais l’appréhender plutôt comme inconnaissable et incompréhensible – parce qu’infinie »

1

.

Forçages anthropiques et mises sous silence de la nature résument à l’extrême nos rapports à cette dernière

2

. L’appropriation des espaces de vie par la minéralisation et les pollutions plurielles sont d’ailleurs certainement les principales menaces qui pèsent sur notre environnement. Face à cette crise du lien, le droit peut établir des pistes d’amélioration de la relation entre les humains et la nature. Dans ce cadre, le droit de l’environnement se démarque et apparaît naturellement comme la discipline à privilégier. Même modestement, il semble en effet qu’il puisse orienter la modification de notre rapport à l’altérité. Il faut admettre que son intitulé ne le suppose pas directement. De prime abord, on associe le droit de l’environnement à la protection des environs, autrement dit ce qui se trouve à distance de nous. Dès lors, comment pourrait-il porter un discours sur l’altérité immergée que constitue la nature du XXI

e

siècle ? Cet obstacle d’ordre épistémologique tient au choix qui a été fait de transposer à l’identique, dans la langue française, le terme anglais environment devenu d’usage courant dans le monde anglo-saxon à partir du XIX

e

siècle, et dérivé du verbe to environ signifiant « ce qui entoure ». Ailleurs, d’autres choix linguistiques ont été opérés battant en brèche les critiques portées envers l’intitulé de la discipline mobilisée. Ainsi, en espagnol, c’est le terme de medio- ambiente qui a été retenu pour désigner la même réalité. Loin d’être anecdotique, on perçoit nettement que cette terminologie faisant référence à l’idée de milieu est bien plus adaptée pour penser la cohabitation, là où le terme environnement renvoie plus fermement à l’idée de séparation, produisant un intérieur et un extérieur. Une fois dépassée cette contrariété, l’hypothèse de ce travail est que le droit de l’environnement dispose de méthodes suffisamment robustes pour répondre aux défis contemporains. Singulièrement toutefois, ce ne sera pas le discours que porte le droit sur la nature en général (1) qui constituera l’objet central de cette recherche mais plus particulièrement le discours du droit sur la nature ordinaire (2). Or, si la nature ordinaire est un objet d’étude de plus en plus répandue en philosophie, en sociologie, en écologie ou bien encore en géographie, elle n’a a priori pas encore pénétré l’univers juridique (3).

1 - De la nature en général

Parmi tous les horizons de pensées qu’offre le monde, il n’existe pas de définition unanime de ce qu’est la nature. Plutôt que sa réalité, c’est l’idée que les Hommes s’en font qui est ici et ailleurs remise en cause

3

. Étymologiquement, le mot latin natura « signifie le pouvoir

1 M. Conche, Présence de la Nature, PUF, 2ème édition, Paris, 2016, p.51.

2 Voir R. Carson, Le printemps silencieux, Plon, Paris, 1963, 283 p. À titre plus indicatif, voir également R. Julliard et al., « Spatial segregation of specialists and generalists in bird communities», Ecology Letters, 2006/9, pp.1237- 1244.

3 Cf. F. Ducarme, « De quoi parle-t-on quand on parle de « nature » ? – une étude comparée », Communication à l’occasion de la conférence « Penser l’écologie politique », Université Paris-Diderot, 5 juin 2015. Disponible en

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de croissance spontanée immanent à toutes choses, la force omniprésente, la présence universelle, la puissance d’émergence des choses où d’emblée l’homme d’ores et déjà se trouve »

4

. Le terme n’apparaissant toutefois dans la langue française qu’au XII

e

siècle, il convient de l’interroger de manière plus approfondie

5

. Pour Virginie MARIS, philosophe de l’environnement, au moins trois acceptions du terme de nature peuvent être distinguées dans l’histoire de la pensée

6

. Pour en faciliter la compréhension, elle a choisi d’associer un qualificatif à chacune de ces acceptions. De cette manière, toutes les nuances du terme de nature sont bien mises en évidence. La première acception renvoie à l’idée la moins usitée désormais, qui est celle de « nature-totalité ». Centrale dans l’histoire de la philosophie, cette acception désigne l’ensemble des phénomènes observables délivrant un message sur la façon dont va le monde. La deuxième acception est rattachée à la « normalité ». Sous cette bannière, la référence à la nature désigne le fonctionnement normal des choses, le fonctionnement « naturel ». La dernière acception renvoie à la part du monde que l’humain n’a pas créée. Elle est associée à

« l’altérité » et en cela, elle s’oppose à l’artifice et à la culture. Cette variété de sens a conduit de nombreux chercheurs, particulièrement les anthropologues, à considérer que la nature n’était finalement qu’une abstraction située historiquement et géographiquement

7

, autrement dit une construction sociale

8

. Elle prendrait « des sens radicalement différents suivant les époques et les hommes »

9

. En outre, par rapport aux autres parties du monde, l’Occident présenterait une particularité que ne partagent pas d’autres civilisations. Il serait touché par une forme d’homogénéisation lexicale et conceptuelle dans la désignation de la nature. Il est vrai qu’elle est avant tout continuellement opposée à la culture et donc opposée aux humains

10

. Ce serait donc la troisième acception décrite par V. MARIS qui dominerait la pensée depuis plusieurs siècles. Il s’agirait d’une des conséquences majeures des lignes de partage de la Modernité

11

. Pour F. DUCARME, cette limite réside dans les origines de l’apparition du terme de nature.

Selon lui, il est apparu au IV

e

siècle avec les sociétés urbanisées avancées des civilisations occidentales. Dès lors, il faudrait en déduire « que le concept de nature ne puisse se singulariser de celui de monde (ou du couple archaïque sauvage/domestique) qu’à partir d’un certain seuil de retrait de cette nature, par l’urbanisation ou un degré poussé d’anthropisation du milieu agricole »

12

. « L’idée de nature aurait donc été disséminée en même temps que le savoir

ligne à l’adresse suivante : https://www.researchgate.net/publication/302609365_De_quoi_parle-t- on_quand_on_parle_de_nature_-_une_etude_comparee

4 F. Farago, La Nature, Amand Colin, Paris, 2000, p.9.

5 Pour une approche générale, lire P. Hadot, Le voile d’Isis : essai sur l’histoire de l’idée de nature, Gallimard, Paris, 2004, 394 p.

6 V. Maris, La part sauvage du monde, Ed. du Seuil, Paris, 2018, p.19 et suivantes.

7 R. Lenoble, Histoire de l’idée de nature, Albin Michel, Paris, 1969, 446 p.

8 P. Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, Paris, 2005, 623 p.

9 R. Lenoble, Histoire de l’idée de nature, Paris, Editions Albin Michel, 1969, p.29.

10 Pour illustrer cette idée, il est courant de reprendre la célèbre phrase de T. Jefferson qui écrivit que « si ce n’est (pour) sa culture, la nature de l’Amérique doit faire l’admiration du monde » ; cité par J.-P. Raffin, « De la protection de la nature à la gouvernance de la biodiversité », Ecologie et politique, 2005/1, n°30, pp.97-109.

11 R. Descartes, Discours de la méthode : pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, Paris, France, Garnier frères, 1950, 190 p. La majuscule fait référence à une époque de pensée. La sociologie historique qui a pour objet d’analyser les modes de régulation des pratiques sociales et de reproduction des rapports sociaux distingue en effet la prémodernité, la modernité et la postmodernité.

12 F. Ducarme, « De quoi parle-t-on quand on parle de « nature » ? – une étude comparée », Communication à l’occasion de la conférence « Penser l’écologie politique », Université Paris-Diderot, 5 juin 2015, p.3.

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technique et les modes d’urbanisation »

13

, ce qui pourrait expliquer le recours aux oppositions récurrentes entre nature et culture. En la considérant comme seule matière dépouillée de tout mystère, la philosophie occidentale a largement contribué à ancrer cette séparation des humains et de la nature que supposaient déjà ses racines sociolinguistiques. Les progrès scientifiques et technologiques ont confirmé ce détachement, devenu appropriation puis domination

14

. Aujourd’hui remise en cause, cette philosophie est concurrencée par d’autres courants qui visent à reconnecter l’Homme à la nature dans un lien de solidarité plus tangible

15

. De cette construction sociale, nous héritons une définition commune relativement fixiste et mécanique, selon laquelle la nature est « un composé de relief d’eau, d’air, de végétaux et d’animaux, un objet extérieur à l’Homme qui le forme, le modifie, voire le détruit »

16

. Cette définition issue du langage commun se rapproche des définitions retenues en droit de la nature. Ainsi, Jean UNTERMAIER définit la nature comme « tout ce qui est en dehors de l’activité rationnelle et technique de l’Homme »

17

. Quant à la définition retenue par Michel PRIEUR, elle se détache de ces considérations pour se concentrer sur sa réalité matérielle, bien plus consensuelle. Pour le l’auteur, la nature « vue dans sa globalité regroupe les sites, les paysages et les écosystèmes

»

18

. Plus tard, A. VAN LANG choisira la voix de la conciliation des deux approches en retenant que la nature est un concept « vague et empreint d’idéologie utopique (qui) évoque en effet l’ensemble des êtres et des choses composant le monde physique (les règnes minéral, animal et végétal) dans une organisation (paysage, site, écosystème) qui échappe à l’influence humaine »

19

.

Malgré une entreprise de définition désormais bien éprouvée, il faut remarquer que la référence à la nature dans les politiques environnementales s’est estompée ces trente dernières années

20

pour être progressivement remplacée par la référence à la diversité biologique, apparue dans la littérature scientifique anglo-saxonne dans les années 1980 et que l’on retrouvera le plus souvent sous le néologisme « biodiversité »

21

. Particulièrement appréciée par la communauté scientifique internationale au détriment du concept de nature, elle triomphe à l’occasion de la signature d’une convention qui lui est dédiée au Sommet de Rio en 1992. Définie à l’article 2 de la fameuse convention, elle désigne « la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et

13 Idem.

14 A. Berque, « La ville insoutenable », Colloque ANR PAGODE, Villes et quartiers durables : la place des habitants, Pessac, 2014.

15 Voir entre autres, A. Leopold, A Sand County almanac: & other writings on ecology and conservation, New York, Etats-Unis, 2013, 931 p.; R. Mathevet, La solidarité écologique, ce lien qui nous oblige, Paris, Acte Sud., 2012, 205 p. ; C. Danna, Le principe de solidarité écologique, Thèse de droit, Université Lyon II, soutenue le 7 septembre 2018.

16 Yves Veyret (dir.), Dictionnaire de l’environnement, Rubrique « Nature », Armand Colin, Paris, 2007, p.234.

17 J. Untermaier, La conservation de la nature en droit public, Thèse de droit, Lyon II, 1972, p.4.

18 M. Prieur, Droit de l’environnement, Précis Dalloz, Paris, 2011, p.4.

19 A. Van Lang, Droit de l’environnement, PUF, Paris, 2011, p.19.

20 P. Blandin, De la protection de la nature au pilotage de la biodiversité, Quae, Versailles, 2009, p.26.

21 Le terme de diversité biologique sera popularisé en 1988 par Edward O. Wilson, entomologiste et professeur à l’Université d’Harvard. Plus tard, il sera remplacé par le terme de biodiversité attribué à Thomas E. Lovejoy, biologiste américain spécialisé dans les milieux tropicaux. Sur ce point cf. M. Durousseau, « Le constat : la biodiversité en crise », Revue Juridique de l’Environnement, 2008, n° spécial, p.7.

(21)

les complexes écologiques dont ils font partie »

22

. Plus généralement, la biodiversité qualifie

« la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes »

23

, à laquelle il convient d’ajouter la diversité des « interactions entre les organismes vivants »

24

. À ce stade, il est important de bien préciser que les deux termes de nature et de biodiversité doivent être clairement distingués. En effet, à la différence du terme de nature, la biodiversité ne se réfère qu’à la portion vivante de la biosphère, évoquant ses propriétés fondamentales et excluant de fait les éléments inanimés et les interrelations entre l’animé et l’inanimé. D’ailleurs, bien que rapidement répandue à l’échelle internationale, la terminologie a posé de nombreuses difficultés aux chercheurs

25

. D’un côté, en projetant une représentation holistique du monde, elle a été favorablement accueillie

26

. En ce sens, le premier considérant de la Convention a été déterminant. En effet, en reconnaissant qu’ils étaient conscients « de la valeur intrinsèque de la diversité biologique », les Etats parties ont véhiculé une nouvelle approche globale pour le droit de la nature, là où dominait depuis des années une approche essentiellement spéciste

27

. D’un autre côté, cette terminologie n’aura pas balayé la dimension systémique, mesurable et utilitariste dénoncée par un pan important de la doctrine qui craignait, à juste titre, que l’apparition de cette référence puisse en réalité favoriser l’appropriation économique des éléments de la nature, alors perçue comme « prestataire de service »

28

. Pourtant porteur de cette ambiguïté, le terme de biodiversité a séduit l’ensemble des sphères académiques et opérationnelles à toutes les échelles et dans de nombreuses disciplines. Le droit de

22 Article 2 de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) signée le 5 juin 1992 et entrée en vigueur le 29 décembre 1993.

23 Idem.

24 Cette dernière partie de la définition de la diversité biologique a été ajoutée par le législateur français à l’occasion de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016, J.O.R.F du 9 août 2016.

25 Voir par exemple, P. Blandin, « Au leurre de la biodiversité, », Vraiment durable, 2014/1, n°5-6, pp. 19-41. A ce sujet, J. Blondel a d’ailleurs indiqué qu’il avait recensé plus d’une centaine de définitions de la diversité biologique. Voir J. Blondel, « Qu’est-ce que la biodiversité ? », IFB-2007. Voir également P. Janin, « Déclarer les oiseaux migrateurs inappropriables pour l’Homme », Le Courrier de la nature, n°271, Novembre-Décembre 2012, p.42. Pour ce dernier, la biodiversité « n’est plus la nature, mais une représentation intellectuelle de la nature, forgée par une vision scientifique ». Voir également V. Devictor, « La polycrise de la biodiversité : les métamorphoses de la nature et de sa protection », in E. Casetta et J. Delord, La biodiversité en question, Editions Matériologiques, Paris, 2014, pp. 69-81.

26 M.-A. Hermitte (coord.), « La Convention sur la diversité biologique a quinze ans », Annuaire français de droit international, 2006, pp. 351-390. Voir également C. et R. Larrère, Penser et agir avec la nature, La Découverte, Paris, 2015, pp. 100-102.

Nous noterons que la CDB partage cette vision avec la Convention Cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui, par l’appréhension des changements climatiques comme nouvel objet de droit, consomme également une rupture dans la représentation juridique de l’atmosphère. Classiquement appréhendée dans un cadre bilatéral ou multilatéral, elle est désormais conçue dans une dimension transnationale, voire a- nationale dans le sens où elle est désormais pensée comme un fluide indivisible où baigne le monde et non plus seulement la juxtaposition de domaines publics aériens étatiques. Sur ce point cf. Y. Bérard, « Introduction. Le global, nouvelle grandeur politique de la nature ? », Natures, Sciences et Sociétés, 2015/3, vol.23, p.218

27 Sur les différentes approches du droit de la protection de la nature, voir, M. Bonnin, Les corridors écologiques : vers un troisième temps du droit de la conservation de la nature ?, L’Harmattan, 2008, 270 p. Les premières conventions internationales portent sur des espèces ciblées. Voir par exemple la première convention internationale du 19 mars 1902 pour la protection des oiseaux utiles à l’agriculture, entrée en vigueur en France par décret du 12 décembre 1905.

28 P. Blandin, De la protection de la nature au pilotage de la biodiversité », Quae, Versailles, 2009, p.20. Sur ce point, voir aussi S. Wynne-Jones, « Negociating neoliberalims : Conservationists’ role in the development of payments for ecosystem services », Geoforum, 2012/43, pp. 1035-1044.

(22)

l’environnement n’y aura pas échappé

29

. Point de départ d’un renouvellement épistémologique nécessaire, le droit de la biodiversité génère toutefois un certain malaise pour les juristes

30

. En dépit d’une approche plus globale, la référence à la diversité biologique n’est pas nécessairement plus englobante, ni scientifiquement, ni juridiquement. Le champ d’application du droit de la biodiversité apparaît ainsi plus réducteur que celui du droit de la nature, au même titre par exemple que le droit de la nature est plus restreint que le droit de l’environnement. En effet, l’intérêt pour la biodiversité se limite en réalité à la diversité du vivant et à ses différents niveaux d’organisation. C’est donc une vision très objective, fonctionnelle, voire numéraire qui est associée à la biodiversité et au droit qui lui est applicable. Cela implique que les exigences sociales, culturelles ou bien encore esthétiques soient très difficilement véhiculées par le droit de la biodiversité, dans sa philosophie comme dans ses instruments de mise en œuvre. Ce reproche adressé au droit de la biodiversité peut toutefois être très vite contrebalancé. Bien que n’étant pas synonymes, les références de nature et de biodiversité entretiennent des liens très forts et se complètent mutuellement. Les causes d’érosion de la biodiversité constituent en effet tout autant de causes préjudiciables au maintien de la nature dans un état favorable. Qu’il s’agisse de la surexploitation des ressources, de l’intensification agricole, de l’urbanisation, de la fragmentation et de la perte des habitats naturels, des invasions biologiques, du changement climatique ou bien encore des pollutions multiples, le droit de la biodiversité et le droit de la nature affrontent les mêmes ennemis. Dans cette mésaventure commune, certains juristes ont cependant mis un point d’honneur à souligner les atouts de la référence à la biodiversité. C’est le cas de P. LE LOUARN, pour qui l’approche par la biodiversité présente l’avantage d’être plus intégrative. De son point de vue, si la nature reste extérieure à l’humain, la diversité biologique l’intègre directement ainsi que les milieux dans lesquels il évolue. Il ressort de cette analyse qu’en excluant l’Homme, la définition juridique de la nature pourrait apparaître trop peu dynamique et insusceptible de désigner l’ensemble complexe formé par les êtres et les choses composant le monde physique.

Faut-il alors dresser un « pronostic fatal sur la fin de la nature ? »

31

. Rien n’est moins sûr. Bien que largement éprouvée par les recherches académiques, elle connaît encore des déclinaisons riches d’enseignements. En effet, c’est bien là tout l’enjeu de la référence à la nature. Elle permet de rencontrer le réel sous différents prismes et de répondre à des enjeux variés. De cette manière, les enjeux de conservation visent la nature dans toutes ses manifestations. Autrement dit, ce « monstre conceptuel »

32

présente l’avantage de faire simultanément référence à la nature

29 P. Le Louarn, « Nature et biodiversité : du droit de la protection de la nature au droit de la biodiversité », Droit de l’environnement, avril 2012, n°200, pp. 111-113. Le point de départ de l’agrégation du droit de la biodiversité dans le droit de l’environnement est contemporain de la première stratégie nationale pour la biodiversité de 2004 qui concrétise l’engagement français au titre de la CDB. A partir de la loi n°2006-436 relative aux parcs nationaux et aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux du 14 avril 2006, J.O.R.F du 15 avril 2006, le législateur prendra l’habitude d’utiliser cette référence

30 J. Untermaier, « Biodiversité et droit de la biodiversité », RJE, numéro spécial, 2008, pp. 21-32.

31 V. Maris, La part sauvage du monde, Ed. du Seuil, Paris, 2018, p.8.

32 Idem, p.36.

(23)

de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire, pittoresque

33

, mais aussi sauvage

34

ou bien encore férale

35

. En plus de tous ces qualificatifs, nous défendons l’idée que la nature ordinaire pourrait aussi désigner des éléments du milieu naturel. Mais alors, quels seraient les apports juridiques de cet adjectif épithète ? Afin de répondre à cette interrogation, nous en préciserons d’abord le contenu exact.

2 - De la nature ordinaire en particulier

Au croisement des différentes qualifications de la nature, la nature ordinaire a retenu notre attention. Spontanément opposable à l’extraordinaire et à la rareté avec qui elle forme un couple structurant, la nature ordinaire est un objet de recherche de plus en plus convoité (b).

Cette étonnante attraction contraste avec les idées véhiculées par la manière classique de penser le monde (a).

a - L’ordinaire ou la reconception du rapport au monde

Maintenant que le terme de nature est défini, il convient de s’intéresser à la seconde partie de la terminologie retenue dans ces travaux, à savoir l’ordinaire. Que signifie ce terme ? Dans le langage courant, l’ordinaire désigne ce qui est commun, normal, habituel

36

. Il renvoie ainsi alternativement à un ordre de mesure ou à une vertu. Très générale, cette définition répond en réalité à deux acceptions différentes particulièrement bien mises en lumière par C. PORTAL dans un article relatif à la nature abiotique

37

. Elle indique justement que dans un premier sens, le terme ordinaire est synonyme de quotidien, familier, courant. En conséquence, appliqué à la nature, l’ordinaire fait référence aux espèces communes et espaces du quotidien, auxquels seule la population directement concernée serait liée

38

. Dans un deuxième sens, l’ordinaire renvoie à la banalité. Toutefois, il est possible de percevoir que le terme ordinaire désigne une réalité bien moins péjorative que ne le suppose la référence à la banalité. Ainsi, synonymes en apparence, les qualificatifs commun ou banal ne présentent pas les mêmes propriétés que celui d’ordinaire. Plus particulièrement, ils ne traduisent pas la dimension sensible et esthétique qu’exprime bien mieux le qualificatif ordinaire. Loin de relever du régime de l’anecdote, cette précision justifie une partie des choix terminologiques de cette thèse. À l’évidence, il est bien

33 Loi n°1930-05-02 du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, J.O.R.F du 4 mai 1930.

34 V. Maris, La part sauvage du monde, Ed. du Seuil, Paris, 2018, 259 p. ; R. Beau, Ethique de la nature ordinaire.

Recherches philosophiques dans les champs, les friches et les jardins, Publications de la Sorbonne, 2017, 342 p. ; J.-C. Génot, La nature malade de la gestion, Sang de la terre, Paris, 2008, 239 p.

35 Initialement, ce terme désigne les espèces domestiques qui retournent à l’état sauvage. Les travaux récents ont toutefois détourné le sens originel pour venir désigner également « des espaces qui ont fait l’objet d’usages désormais révolus et qui, du fait de l’abandon relatif dans lequel ils se trouvent, sont laissés en libre évolution ».

Aujourd’hui, la féralité désigne donc plutôt un processus spontané. Voir R. Beau, « Penser avec les friches. De l’inutile au nuisible, du nuisible au sauvage », Le Courrier de la Nature, n°306, numéro spécial, 2017, pp. 21-27.

Sur cette notion, voir A. Schnitzler-Lenoble et J.-C. Génot, La France des friches : de la ruralité à la féralité, Editions Quae, Versailles, 2012, 185 p.

36 Entrée « ordinaire » in Dictionnaire de l’Académie Française (disponible en ligne sur le site : http://atilf.atilf.fr)

37 C. Portal, « Patrimonialiser la nature abiotique ordinaire », L’espace géographique, 2013/3, pp.213-226.

38 C. Mougenot, « De la nature ordinaire à la nature attachante », Nature sciences sociétés, 2018/2, vol.26, pp.189- 192. Sur ce point, voir également J.-P. Dewarrat, R. Quincerot, W. Marcos et B. Woeffray, Paysages ordinaires : de la protection au projet, Sprimont, Belgique., 2008, p.11.

(24)

plus stimulant et prometteur d’envisager l’appréhension juridique de la nature ordinaire en lieu et place de l’appréhension juridique de la nature banale. Néanmoins, avant d’en approfondir la dimension juridique, il convient de rechercher comment penser l’ordinaire. En effet, cette action de saisir l’ordinaire par la pensée implique une démarche particulière au point de pouvoir être qualifiée d’inhabituelle

39

. Avant de renvoyer à une forme de nature, l’ordinaire renvoie à un type de rapport au monde qui a été interrogé par la philosophie dès le début du XX

e

siècle.

L’ambition de ce mouvement partagé par des philosophes américains, anglais et allemands n’était autre que de critiquer la posture de la philosophie elle-même, tournée semble-t-il exclusivement vers la métaphysique et l’abstrait, tels que Platon pouvait par exemple le décrire dans l’allégorie des cavernes. Certes éloignés de la science juridique, ces travaux permettent néanmoins de dessiner les lignes de force de notre étude. La référence à l’ordinaire doit être comprise comme une façon de reposer la question du scepticisme et comme un moyen de repenser la question de la proximité avec le monde physique.

Bien que ce courant de pensée ait d’abord concerné la philosophie du langage, il est riche d’enseignement en matière environnementale. C’est tout l’objet de la réflexion académique de R. BEAU, philosophe de l’environnement, qui a dédié une thèse de philosophie à l’éthique de la nature ordinaire

40

. Il a jugé possible de tracer une ligne entre les deux, considérant que la philosophie de l’ordinaire et l’éthique de la nature pouvaient faire « route commune »

41

. En effet, pour l’une comme pour l’autre, il s’agit bien de souligner l’intérêt du rapport au quotidien.

De cette façon, la pensée de l’ordinaire éclaire les réflexions sur la nature du quotidien avec laquelle l’humain entretient des relations privilégiées. Au-delà du respect pour la nature éloignée et sublimée, l’éthique de la nature ordinaire suggère de s’intéresser aux relations de proximité et aux interactions mutuellement profitables. Ce basculement implique de penser l’humain et le non-humain non pas dans un schéma d’opposition mais bel et bien dans une configuration partenariale

42

. La première traduction de ce rapport d’affinité porte sur les modalités des démarches scientifiques. Saisir intellectuellement l’ordinaire suppose en effet de sortir d’une forme d’aristocratie intellectuelle dans lesquelles les recherches académiques, toutes confondues, sont généralement menées. Pour notre matière, l’association de la nature et de l’ordinaire offre l’opportunité de se focaliser sur une autre forme de rapport de production à la nature, qui dépasse le seul cadre de la nature remarquable ou sauvage largement prédominante, et ayant pour conséquence d’encourager à la seule préservation des espaces naturels remarquables dans le but de sauvegarder des populations en danger d’extinction. Elle fournit ainsi des arguments solides pour faire évoluer le paradigme fondateur de la biologie de la conservation : la rareté.

39 S. Laugier, « L’ordinaire transatlantique », L’Homme [Online], n° 187-188, 2008, pp. 43-60.

40 R. Beau, Ethique de la nature ordinaire, Thèse de philosophie, Université Paris I, soutenue le 28 novembre 2013, 590 p. Ces travaux ont fait l’objet d’une publication, R. Beau, Ethique de la nature ordinaire, Publications de la Sorbonne, Paris, 2017, 342 p.

41 R. Beau, Ethique de la nature ordinaire, Thèse de philosophie, Université Paris I, soutenue le 28 novembre 2013, p.425.

42 Idem, p.14.

(25)

« Embrasser le commun »

43

ne fait toutefois pas encore partie des habitudes scientifiques, ni en termes d’intérêts, ni en termes de méthodologies. Comme nous venons de le relever, la première difficulté pour saisir la nature ordinaire est d’ordre philosophique. Cela suppose un positionnement écocentré. La deuxième difficulté est liée à l’objet « ordinaire » qui souffre intrinsèquement d’un défaut de visibilité. En effet, à l’inverse de l’extraordinaire, l’ordinaire ne s’impose pas. Il « n’existe que dans cette difficulté propre d’accès à ce qui est juste sous nos yeux, et qu’il faut apprendre à voir »

44

. Aussi, pour l’heure, le droit ne fait pas partie de ces disciplines qui ont su voir la nature ordinaire.

b - La nature ordinaire en dehors du droit

La pensée de la nature ordinaire émerge à la fin du XX

e

et se développe au début du XXI

e

siècle. Comme l’explique le dictionnaire de la pensée écologique à l’entrée « nature ordinaire »

45

, cette pensée s’inscrit tardivement dans l’histoire de la réflexion écologique. En fait, elle intervient en réponse aux conceptions alors dominantes de la protection de la nature, concentrée sur les espaces rares desquels l’humain est absent ainsi que sur les espèces sauvages.

En réaction donc, la pensée de la nature ordinaire ambitionne d’interroger la portée limitative de la réflexion environnementale, en proposant d’inclure dans le champ de la protection les espaces soumis à l’aire d’influence humaine. De cette manière, la nature ordinaire serait une fraction de nature et se rapprocherait du terme anglais de middle ground qui en serait le synonyme anglophone

46

. Le middle ground « renvoie tout à la fois au statut intermédiaire – entre les deux pôles abstraits que sont la pure nature et l’urbain artificiel – des espaces que nous habitons, mais aussi à l’idée d’un terrain d’entente entre les hommes et la nature »

47

. En miroir, la nature ordinaire pourrait alors se définir comme l’ensemble des « êtres et systèmes délaissés, opposés à la nature sauvage, opposés aux politiques de protection sanctuarisée »

48

.

Ce courant de pensée qui considère la nature ordinaire comme un intermédiaire est assez prégnant dans les sphères intellectuelles. En effet, quelques années avant la parution du dictionnaire de la pensée écologique, R. JULLIARD avait retenu une définition qui reprenait cette dimension interstitielle. Il considérait alors que la nature ordinaire était cet « espace où la nature et l’homme cohabitent, qui n’est ni dédiée à l’homme – comme l’est la ville, où la nature

43 Emerson, The American Scholar, allocution prononcée à Harvard en 1834, p.102 cité in S. Laugier, « L’ordinaire transatlantique », L’Homme [Online], n° 187-188, 2008, p.46.

44 S. Laugier, « L’ordinaire transatlantique », L’Homme [En lline], n° 187-188, 2008, p.183.

45 D. Bourg, Dictionnaire de la pensée écologique, PUF, Paris, 2015, 1088 p.

46 R. Beau distingue en effet la wilderness, la wildness et le middle ground. Il définit la wildness comme

« l’expression d’une certaine autonomie de la nature » qui « se donne à voir dans les processus qui adviennent sans les hommes, mais aussi dans les phénomènes qui témoignent d’une interaction, parfois d’un échange, entre les humains et la nature ». R. Beau, Ethique de la nature ordinaire, Thèse de philosophie, Université Paris I, soutenue le 28 novembre 2013, p.396. Notons que d’autres termes anglophones se rapprochent de ce que diffuse la pensée de nature ordinaire. On peut par exemple citer l’everyday nature, ou l’under countryside. Sur ce point, voir R.

Kaplan, R.-L. Ryan, S. Kaplan, With people in mind : design and managment of everyday Nature, Island Press, Washington, 1999, 239 p.

47 R. Beau, Ethique de la nature ordinaire, Thèse de philosophie, Université Paris I, soutenue le 28 novembre 2013, p.400.

48 D. Bourg (dir.), Dictionnaire de la pensée écologique, PUF, Paris, 2015, entrée « nature ordinaire » rédigée par R. Beau.

(26)

n’est que tolérée – ni à la nature – où l’homme ne serait que toléré »

49

. Avec d’autres mots et d’autres références, c’est aussi en partie ce que G. CLEMENT nomme le tiers-paysage. Ce concept entretient des liens très étroits avec ce que nous désignons sous le terme de nature ordinaire. Le tiers-paysage désigne en effet les richesses ignorées de la nature, des espaces

« n’exprimant ni le pouvoir ni la soumission au pouvoir », tels que les fossés, les espaces le long des routes, la lisière des bois

50

. L’idée de cette dénomination est empruntée à E. SIEYES qui en 1789 demandait ce qu’était le Tiers-État. G. CLEMENT raisonne ici par analogie. Alors que le Tiers-État était tout mais qu’il ne faisait rien et aspirait à devenir quelque chose, il lui a semblé que les éléments naturels les plus communs étaient tout, n’étaient pas appréhendés et aspiraient à l’être. Les réflexions qu’il mène encore aujourd’hui sont très intéressantes, notamment parce qu’elles encouragent à penser des instruments pour respecter ou « fabriquer

» des délaissés. Néanmoins, cette position d’entre deux n’en est pas totalement une. À cet égard, il semble qu’elle puisse être rapprochée de la classification sociale du monde vivant héritée des visions de la Rome antique. Les Romains classaient effectivement les animaux selon trois catégories : les animaux sauvages (ferae), les animaux apprivoisés (mansuefacta) et les animaux domestiques (domestica). Inspirés de cette classification, les Modernes l’ont ensuite redessinée pour préférer la distinction entre espèces utiles, nuisibles et neutres

51

. Ce sont les deux premières catégories qui ont concentré l’attention des politiques environnementales à compter du XIX

e

. Aujourd’hui encore, elles continuent de susciter de vifs débats

52

. En revanche, « on ne sait pas grand chose »

53

des animaux relevant de la catégorie des neutres, de cette catégorie d’entre deux. Leur existence, leur avenir, leur intégration dans la société des humains semble indifférente. Dès lors, comment ne pas voir dans cette catégorie une descendance généalogique de la terminologie de nature ordinaire ?

Cette manière de voir la nature ordinaire, tantôt neutre, tantôt délaissée, tantôt intermédiaire, tantôt tiers-paysage n’est pas pleinement convaincante. Elle entretient une connotation forte avec l’idée de frontière, discriminante à bien des égards. Dès lors, l’infléchissement que suppute la référence à la nature ordinaire transcende le partage classiquement binaire entre espaces naturels et espaces artificiels, pour reconnaître un intérêt nouveau aux espaces semi-naturels et anthropisés. La variété de ces espaces rend toutefois la nature ordinaire difficilement saisissable. Les quelques auteurs qui ont cherché depuis à en définir précisément les contours et le contenu ont dû s’accommoder de cette réalité complexe.

Issues pour la plupart de disciplines distinctes, les tentatives de définitions identifiées de nature ordinaire varient d’un auteur à l’autre. Néanmoins, un point commun les rassemble. Il apparaît que la nature ordinaire ne puisse se définir qu’à travers cette pensée très manichéenne qui oppose l’ordinaire d’un côté et le rare de l’autre

54

. Au cœur de la réflexion environnementale,

49 R. Julliard, « Une approche intégrée pour étudier le système biodiversité-territoire », Revue Humanité et Biodiversité, n°2-2015, p.55.

50 Sur ce point, cf. G. Clément, Manifeste du tiers-paysage, Editions du commun, 2016, 59 p.

51 L. Brossard-Marcillac, Traité de la législation relative aux animaux utiles et nuisibles, Paris, 1885, p.5.

52 R. Luglia (dir.), Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat, Rennes, PUR, 2018, 359 p.

53 R. Bueb, « L’impossible définition juridique de l’animal nuisible au XIXème siècle », Communication orale, Colloque Sales bêtes, mauvaises herbes ! Nuisible une notion en débat sous la direction de R. Luglia, Paris, 31 janvier 2017 et 1er février 2018.

54 Voir le dossier « Agir en zone humide ordinaire », Zones humides infos, Editions Société nationale de protection de la nature, n°88-89, 3ème et 4ème trimestre 2015, 24 p.

(27)

ce couple est ici particulièrement opérant pour l’ensemble des disciplines mobilisées, à l’image d’autres couples devenus standards tels que le sauvage et le domestique, l’urbain et le rural, la nature et la culture. C’est à C. MOUGENOT, sociologue de l’environnement, que l’on doit les premières réflexions sur cette thématique. Dans son ouvrage Prendre soin de la nature ordinaire, l’auteur défend la valeur fonctionnelle de la nature qu’elle qualifie d’ordinaire.

Toutefois, elle ne se risque pas à la définir précisément. Au contraire, c’est à travers diverses périphrases qu’elle la désigne, proposant ainsi aux lecteurs une image mouvante de la nature ordinaire. Ainsi, elle désigne la nature ordinaire comme une nature « hybride », « un mélange de nature sauvage et domestique », « une nature imbriquée dans de nombreuses activités ».

C’est parce qu’elle constitue un continuum qu’il apparait délicat pour l’auteur de la définir. La frontière mentale ordinaire/extraordinaire n’a en effet pas de correspondance dans la continuité de l’espace physique. Il y a de la nature ordinaire dans les espaces de nature extraordinaire.

Cette façon particulière d’évoquer la nature ordinaire est restée chère à l’auteur. Ainsi, en 2018, elle continue de compléter la liste déjà bien longue des périphrases chargées de définir la nature ordinaire pour considérer, avec une certaine forme de délicatesse, que la nature ordinaire est une nature « attachante »

55

qui « détermine nos existences »

56

. Parmi les qualifications retenues, on citera pour terminer celle qui semble convenir à l’ensemble de la doctrine : la nature ordinaire est avant tout une nature « inclassable »

57

.

À la suite des philosophes puis des sociologues, c’est le géographe Laurent GODET qui a concentré ses recherches sur la nature ordinaire. À partir des années 2010, ses travaux ont largement contribué à rendre visibles ce nouveau champ d’étude et les enjeux qui doivent lui être associés. Dans un article incontournable intitulé « La nature ordinaire dans le monde occidental », il a mobilisé les différentes visions de la nature ordinaire qu’il a pu identifier dans la doctrine

58

. Cette mise en relief est particulièrement opérante pour la construction d’une définition consensuelle. Selon lui, il faut identifier trois visions différentes de la nature ordinaire : une vision anthropocentrique héritée de la civilisation grecque, une vision anthropogénique propre aux géographes et une vision écologique propre aux biologistes de la conservation. Pour le chercheur, ces différents points de vue renvoient à une mosaïque de définitions. Aussi, selon la vision anthropocentrique, la nature ordinaire doit être définie

« comme un écotone »

59

, c’est-à-dire une zone de transition et de contact entre deux écosystèmes voisins, « ni totalement dominés par l’Homme, ni totalement sauvages »

60

. Cette vision repose sur la même grille de lecture du monde que celle retenue par la philosophie environnementale du XX

e

. Selon la deuxième vision, la nature ordinaire est tout à la fois une nature recomposée qui s’est développée spontanément au sein d’espaces anthropisés où les activités humaines ont été délaissées ; une nature composée formée avec l’Homme comme auxiliaire ; et une nature surcomposée calculée et provoquée par l’Homme présente dans les

55 C. Mougenot, « De la nature ordinaire à la nature attachante », Nature sciences sociétés, 2018/2, vol.26, p. 191.

56 Idem.

57 Idem.

58 L. Godet, « La nature ordinaire dans le monde occidental », Espaces géographiques, 2010/4, pp.295-308. Sur le même thème, voir également L. Godet, « Conserver une nature ordinaire : une aspiration commune, des motivations différentes ? », Cahiers nantais, 2012/2, pp. 81-86.

59 Idem, p.299.

60 Idem, p.299.

(28)

milieux de production destinée à celui-ci

61

. Plus complète, cette approche souligne la dimension graduelle des contours de la nature ordinaire en fonction « de la part des forçages anthropiques »

62

exercée par les activités humaines sur les milieux naturels. Enfin, du point de vue des écologues, la nature ordinaire est la nature composée d’espèces communes.

Pour approfondir cette vision, il convient de savoir ce que renferme le qualificatif « commun » pour la biologie de la conservation. C’est là que se cristallisent tous les enjeux autour de ce champ d’étude car, singulièrement, seule la rareté est définie par cette discipline. Par conséquent, ce n’est que par opposition à la rareté que la nature ordinaire peut trouver à s’exprimer en biologie de la conservation. Pour remédier aux biais de cette approche éminemment sélective et élitiste, certains écologues ont proposé des analyses complémentaires sur la notion de rareté. C’est le cas de D. RABINOWITZ qui s’est intéressée au caractère commun des espèces de flore par le truchement des différents « degrés » de rareté. L’auteur s’est ainsi intéressée à décrire les sept formes de rareté que comprenait l’univers floristique. En ce sens, elle a mis en lumière une grille de lecture plus fine des critères associés à la rareté, révélant par opposition, les critères associés au caractère commun d’une espèce. À l’aide du tableau synthétique publié par L. GODET qui reprend le contenu du célèbre article de la botaniste (Fig.1), on comprend ainsi qu’une espèce ordinaire est une espèce « largement distribuée et/ou ayant de fortes abondances et/ou occupant une large gamme d’habitats »

63

.

61 Cette typologie est empruntée à R. Mathevet, Camargue incertaine. Sciences, usages et natures, Editions Buchet Chastel, Paris, 2004, 208p.

62 L. Godet, « La nature ordinaire dans le monde occidental », Espaces géographiques, 2010/4, p.299.

63 L. Godet, « La nature ordinaire dans le monde occidental », Espaces géographiques, 2010/4, p.302.

(29)

Figure 1. Synthèse des critères de rareté développée par D. Rabinowitz, proposant par opposition, les critères du caractère commun d’une espèce

Aire de distribution Vaste

Aire de distribution Restreinte Taille de la

population Grande à un

endroit

Commun partout

Abondant sur une grande aire

de distribution mais dans un

habitat particulier

Localement abondant dans beaucoup d’habitats

mais restreint géographiquement

Localement abondant dans un habitat particulier

mais restreint géographiquement

Petite partout Largement distribué et présent dans

beaucoup d’habitats mais

en abondance toujours faible

Largement distribué mais

toujours en faible abondance et dans un habitat

particulier

Présent dans beaucoup d’habitats

mais toujours en faible abondance et

restreint géographiquement

Rare partout

Degré de spécialisation

Généraliste Spécialiste Généraliste Spécialiste

Source : L. Godet, « La nature ordinaire dans le monde occidental », Espaces géographiques, 2010/4, p.298 et D. Rabinowitz, « Seven form of rarity in Synge H., The biological aspects of rare plant conservation », New

York, Wiley, pp.205-217

.

Par extension, d’autres chercheurs ont souhaité adapter ce tableau afin de renforcer l’état de la connaissance sur les espèces communes relevant de la faune. Leurs travaux mettent en exergue que le caractère commun d’une espèce de faune repose de manière identique sur les trois paramètres précités. Ainsi, une espèce de faune doit être considérée comme commune dès lors qu’elle bénéficie d’une aire de répartition étendue, ou qu’elle est abondante dans l’ensemble des unités de comptage sélectionnées ou que sa répartition est homogène sur l’ensemble du territoire.

Retenu dans les deux cas, le caractère alternatif des conditions fait état d’une réalité complexe.

En effet, en application de ces critères, la nature ordinaire peut désigner par exemple le crapaud

commun (bufo bufo), l’orvet fragile (anguis fragilis), le pinson des arbres (fringilla coelebs) ou

bien encore le coucou gris (cuculus canorus), qui sont toutes des espèces présentes sur

l’ensemble du territoire français bénéficiant d’une abondance forte et homogène. Tout aussi

différemment, la référence à la nature ordinaire peut servir à désigner un lézard agile (lacerta

agilis) ou un pélodyte ponctué (pelodytes punctatus), présents également sur l’ensemble du

territoire français, mais dont la répartition est bien plus hétérogène que les espèces

précédemment citées. Encore autrement, elle peut désigner une espèce présente sur tout le

territoire mais dont la répartition est faiblement homogène. C’est le cas par exemple des

palombes ou rapaces qui sont communs à l’échelle nationale mais rares à certaines échelles

régionales. D’un point de vue spatial, rien ne relie ces espèces entre elles. Pourtant, du point de

(30)

vue de la biologie de la conservation, chacune d’entre elles peut répondre aux caractères communs d’une espèce. C’est donc cette large palette d’espèces qu’ambitionne de désigner, sous un seul vocable, le terme de nature ordinaire. À cela s’ajoute une difficulté supplémentaire.

Ces paramètres peuvent en effet varier pour des raisons anthropiques ou naturelles. Aussi, il faut garder à l’esprit que l’abondance d’une espèce dépend étroitement de sa place dans la chaîne alimentaire. Les espèces prédatrices, et plus généralement celles situées au sommet des réseaux trophiques sont, de fait, moins abondantes que les espèces situées en bas de la chaine alimentaire. De plus, il faut noter que l’aire de répartition d’une espèce est nécessairement liée à son écologie. En ce sens, les espèces limitées à des zones biogéographiques bien précises, par exemple les espèces méditerranéennes, seront nécessairement plus abondantes dans cette zone qu’à l’extérieur

64

.

À ce stade de l’analyse, on remarque que la nature ordinaire revêt une dimension principalement quantifiable et a priori objective

65

. Celle-ci semble être le fil conducteur des différentes propositions de définition que l’on peut retrouver par ailleurs dans des travaux spécifiques qui en déclinent l’acception générale. Il en est ainsi des travaux dirigés par C. PELLEGRIN sur la compensation écologique de la nature ordinaire dans les milieux agricoles qui, après avoir présenté le cadre de définition générale (Fig.2), choisit de retenir une définition adaptée de la nature ordinaire, désignée comme étant une nature non remarquable, peu complexe et fortement dépendante des activités humaines

66

.

64 A. Treillard et R. Sordello, « Profil de la nature ordinaire. Les horizons du quotidien », Le Courrier de la Nature, n° spécial 2019, p.2.

65 L. Godet, « La nature ordinaire dans le monde occidental », Espaces géographiques, 2010/4, p. 297

66 C. Pellegrin et al., « Une définition opérationnelle de la nature ordinaire adaptée à la compensation écologique.

Le cas contrasté des régions Centre, Champagne-Ardenne et Paca », Natures Sciences et Sociétés, 2/2018, n°26, p.173.

(31)

Figure 2. Critères écologiques des espèces communes et rares

Source : C. Pellegrin et al., « Une définition opérationnelle de la nature ordinaire adaptée à la compensation écologique. Le cas contrasté des régions Centre, Champagne-Ardenne et Paca », Natures Sciences et Sociétés, 2/2018, n°26, p.17367.

Bien que de plus en plus consensuelle pour les scientifiques, cette approche ne doit pas occulter la dimension subjective que recouvre, à l’évidence, l’idée de nature ordinaire. Les éléments subjectifs de la nature ordinaire sont intimement liés à ses critères objectifs et pour certains en sont mêmes la conséquence directe. C’est le cas par exemple pour le critère objectif de l’abondance. Il implique que l’espèce évolue à proximité des êtres humains, pouvant même aller jusqu’à intégrer le champ de ses habitudes. À ce titre, la nature ordinaire est aussi et surtout une nature familière. Il s’agit d’une nature avec laquelle les êtres humains interagissent au quotidien. Plusieurs termes permettent de qualifier les espèces qui vivent aux côtés des humains dans les milieux anthropisés : l’anthropophilie, la synanthropie ou bien encore le commensalisme. L. GODET a également consacré un article sur ce sujet en analysant justement le caractère anthropophile de certaines espèces

68

. En reprenant la distinction retenue par DE PLANHOL, il identifie trois degrés d’anthropophilie qui font ainsi varier le lien affectif que développe l’être humain vis-à-vis de la nature qu’il rencontre

69

. Le premier degré concerne les espèces proches, celles des bâtiments et des jardins. Le deuxième degré fait référence aux espèces périphériques que l’on retrouve dans les cultures et plantations et le dernier degré

67 D’après les travaux de L. Godet, « La nature ordinaire dans le monde occidental », Espaces géographiques, 2010/4, pp.295-308 et V. Devictor. La nature ordinaire face aux pressions anthropiques : impact de la dynamique temporelle et de la fragmentation spatiale des paysages sur les communautés, Thèse de doctorat en écologie, Paris, 2006, 242 p.

68 L. Godet, « Les oiseaux anthropophiles : définition, typologie et conservation », Annuaire Géographique, n°716, 2017, pp. 492-517.

69 X. De Planhol, « Le paysage animal. L’Homme et la grande faune : une zoogéographie historique », Paris, Fayard, 2004, 1127p.

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