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La fiscalité de l'environnement agit sur le comportement de l’agent économique de trois manières : par la dissuasion, par l’incitation et par l’affectation des sommes prélevées

Concrètement, elle peut prendre la forme de mesures de réduction fiscale ou relever de la

logique de l’exonération qui peut concerner l’imposition du foncier tout autant que les droits de

mutation

527

. Concernant tout d’abord les mesures fiscales d’exonération foncière du patrimoine

naturel, elles vont pouvoir avoir une action bénéfique sur la conservation de la nature ordinaire

à partir du moment où elles vont avoir pour effet d’exonérer d’impôts fonciers les propriétaires

de certains terrains non bâtis présentant des intérêts sur le plan écologique

528

. En diminuant la

pression fiscale sur les espaces naturels, l’avantage de cette fiscalité est de dissuader les

propriétaires d’opérer un changement de destination du terrain d’assiette. On retrouve cette

logique pour les propriétaires privés de forêts qui disposent d’une exonération modulée de la

environnementales, les contrats de mécanisme de développement propre, les contrats de performance énergétique, les contrats de paiement pour service écologique…

524 Parmi les améliorations attendues, on peut par exemple penser au développement de contrats désintéressés.

525 M. Moliner-Dubost, « Un cas d’école. L’instauration de servitudes pour la préservation des corridors écologiques », Les cahiers du GRIDAUH, 2015, Série Droit Comparé, no 28, p. 93.

526 La propriété reste malgré tout plus efficace que l’approche contractuelle quand le propriétaire a une intention environnementale. Ainsi, le législateur continue de maintenir les outils fonciers tels que le droit de préemption ou bien encore les conventions de gestion sur le long terme pour enrayer les difficultés propres à l’approche contractuelle.

527 Pour un panorama général, voir S. Caudal, « Quelle fiscalité pour la biodiversité ? », RJE, 2008, n° spécial, pp. 69-80 ou C. Delivré, « Fiscalité, territoires, environnement », RJE, 2013, n° spécial, pp. 53-62.

528 Le régime juridique de la taxe foncière sur les propriétés non bâties est inscrit aux articles 1393 à 1398A du Code général des impôts. Les règles relatives aux exonérations sont réparties selon deux catégories : les exonérations permanentes et les exonérations temporaires.

taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) en fonction du type d’essence ensemencée,

plantée ou replantées

529

. Quant aux propriétaires publics, dès lors que la forêt est affectée à un

service public ou à l’utilité générale et qu’elle ne génère pas de revenus, l’exonération de

l’impôt foncier est totale

530

. En complément, le Code général des impôts contient une suite de

dispositions encadrant les modalités d’exonération des propriétés non bâties à la taxe à laquelle

elles sont normalement assujetties. Pour la plupart, elles doivent être lues en combinaison avec

l’article 18 de l’annexe IF relative à l’instruction générale sur l'évaluation des propriétés non

bâties comprise dans l’instruction ministérielle du 31 décembre 1908. Ainsi, en application des

articles 1395 B bis et E du CGI, les propriétaires de terrains classés zones humides d’intérêt

environnemental particulier, relevant de la compétence du Conservatoire de l’espace littoral et

des rivages lacustres, classés dans un parc national, relevant de la législation des monuments

naturels et des sites inscrits, les sites faisant l’objet d’un arrêté de biotope et les sites Natura

2000 sont exonérés à 100% de la TFPNB dès lors qu’ils font l’objet d’un engagement de gestion

pendant cinq ans

531

. Ces dispositions sont essentielles pour préserver les espaces naturels

extraordinaires et pour encourager les propriétaires à maintenir ces zones dans une affectation

écologiquement appropriée. Elles sont pourtant régulièrement menacées. L’histoire de la

fiscalité des zones humides le démontre bien

532

. Avant l’intervention de la loi DTR

533

, les

propriétaires de zones humides bénéficiaient d’une exonération de la TFPNB s’ils réalisaient

des travaux d’assèchement. Cela a conduit à une destruction massive de ces écosystèmes riches

en biodiversité dont l’intérêt entre autres écologique est pourtant reconnu au niveau

international

534

. À compter de 2005, le législateur a fixé un nouveau système visant à exonérer

de moitié la TFPNB pour les propriétaires de prés, landes, marais, bruyères, pâturages, prairies

naturels situés en zone humide à condition qu’ils soient répertoriés sur une liste communale et

qu’ils fassent l’objet d’un plan de gestion. Depuis, c’est une pression de moins qui pèse sur ces

écosystèmes communs mais pourtant fragiles. Pour parachever ces réflexions, deux autres

points méritent d’être soulevés. D’une part, il faut observer que l’exonération temporaire de la

TFPNB sur les espaces naturels exige constamment que le propriétaire signe un engagement de

gestion qui peut par exemple prendre la forme d’un contrat Natura 2000. Si l’on va plus loin,

cela signifie que les espaces naturels en libre évolution, autrement dit qui ne sont soumis à

aucune forme d’exploitation, ne peuvent quant à eux jamais bénéficier d’avantages fiscaux. Or,

ils présentent nécessairement des intérêts sur le plan écologique. D’autre part, ces réflexions ne

peuvent être décorrélées des enjeux de la fiscalité locale. Les communes et établissement

publics de coopération intercommunale à fiscalité propre sont les premiers à devoir supporter

des baisses de revenus dans un contexte de minimisation des dotations de l’État. Dans ce cadre,

529 Article 1395A à B du CGI.

530 Article 1394-2° du Code général des impôts.

531 Sur ce point, voir par exemple A. Van Lang, « Protection du climat et de la biodiversité au prisme du droit économique : l’apport de la loi Biodiversité », Energie – Environnement – Infrastructure, n°5, mai 2018, dossier 4.

532 Pour un historique des effets de la fiscalité des espaces naturels, cf. G. Sainteny, « Le nouveau statut fiscal du patrimoine naturel : une stratégie des petits pas », Courrier de l’environnement de l’INRA, n°59, octobre 2010. Sur les fonctionnalités écologiques des zones humides, lire Zones Humides Infos, « Agir en zone humide ordinaire », n°88-89, 3ème et 4ème trimestre 2015.

533 Loi n°2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, J.O.R.F du 24 février 2005.

534 Convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau, Ramsar, adoptée le 2 février 1971.

on comprend mieux que le législateur, composé pour partie d’élus locaux, soit frileux à

encourager les exonérations fiscales pour les propriétés non bâties

535

. Pour éviter ce type de

conflit, il serait possible d’envisager une généralisation d’un mécanisme mis en place par la loi

DTR qui prévoit qu’à compter du 1

er

janvier 2017, l’État compense les pertes de recettes

supérieures à 10% du budget annuel de fonctionnement des communes et EPCI à fiscalité

propre par la création d’une taxe au droit de consommation sur les tabacs manufacturés

536

.

Hélas, l’étude des récentes évolutions fiscales ternit ce panorama. La loi de finances pour

2018

537

a en effet profondément modifié le paysage juridique de la fiscalité du patrimoine

naturel. Depuis son adoption, les revenus des espaces naturels sont imposés à hauteur de 62.2%

et deviennent ainsi les biens les plus taxés de France

538

. À titre comparatif, les actions en société

sont imposées à hauteur de 30%. Il y a donc fort à parier que les propriétaires seront tentés soit

d’artificialiser leurs propriétés, soit d’intensifier les productions pour en tirer des revenus plus

élevés. Dans tous les cas, les espèces et écosystèmes communs en subiront les conséquences.

Cette analyse serait insuffisante si elle n’était pas complétée par une réflexion portant sur les

droits de mutation. En effet, afin d’encourager la cession des biens immobiliers à forte valeur

écologique, le législateur consent à exonérer totalement de droits de mutation les dons et legs

effectués à titre gratuit au Conservatoire des espaces littoraux et rivages lacustres et ceux

effectués à l’établissement public Parcs nationaux de France si le terrain en question se situe

dans le cœur d’un parc

539

. L’exonération est portée aux trois quarts si le terrain concerné est un

site Natura 2000, s’il se situe dans un parc national, dans une réserve naturelle ou s’il est classé

monument naturel. Si le législateur entend favoriser par le droit fiscal de l’environnement une

gestion plus écologique du territoire national, il œuvre de manière limitée en réservant cet

avantage aux terrains situés dans les aires protégées (excepté pour les terrains situés dans le

champ de compétence du Conservatoire des espaces littoraux et rivages lacustres). Finalement,

la fiscalité de l’environnement a donc un champ d’intervention plutôt limité et remet en cause

sa capacité à appréhender la nature ordinaire. De cette façon, il est indispensable d’analyser le

champ d’action du droit fiscal général

540

. De plus, il convient de noter que les faibles dispositifs

identifiés pour l’appréhension de la nature ordinaire dans la fiscalité environnementale ne font

partie que du volet « dépenses fiscales ». C’est toute la problématique de la fiscalité

environnementale qui resurgit ici car si l’incitation fiscale est un outil pertinent de modification

des comportements, elle ne permet pas à l’État d’alimenter les caisses publiques ou d’éventuels

fonds dédiés à la conservation de la nature dans son ensemble. Sur ce dernier point, il convient

de rappeler un principe phare du droit fiscal qui s’apparente ici comme étant un obstacle à

l’appréhension juridique de la nature ordinaire. En admettant qu’une réforme fiscale soit

535 Cette possibilité est également permise pour les nouvelles obligations réelles environnementales. A ce titre, en application de l’article L132-3-I-4ème alinéa du Code de l’environnement. Après délibération du conseil municipal, les communes peuvent exonérer de la taxe foncière sur les propriétés non bâties les propriétaires ayant conclu des ORE. Dans ce prolongement, le législateur a prévu que les propriétaires s’engageant dans cette démarche seraient exonérés des droits d’enregistrement et de la taxe sur la publicité foncière.

536 Cf. les articles 575 à 575 A du CGI.

537 Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, J.O.R.F du 31 décembre 2017.

538 Voir par exemple G. Sainteny, « Razzia fiscale sur la nature », Les Echos, 12 octobre 2017.

539 En ce sens, voir les articles L322-8 du Code de l’environnement et 795-12° du Code général des impôts.

540 Nous verrons dans la subdivision suivante que le droit fiscal général peut, sous certaines conditions, relayer le droit fiscal de l’environnement et assurer les conditions pour appréhender la nature ordinaire.

élaborée sur l’assiette et le taux d’un quelconque impôt générant des recettes supplémentaires,

l’État resterait soumis au principe de non-affectation des recettes aux dépenses, lui-même issu

du principe d’universalité budgétaire qui implique que l’État ne peut garantir l’affectation de la

somme reçue à une mission couvrant un intérêt environnemental particulier

541

. Ce principe n’est

toutefois légalement prévu que dans le cadre de l’action fiscale de l’État. Il n’est pas

explicitement prévu pour les collectivités territoriales. Le Professeur Sylvie CAUDAL explique

à cet égard que si ce principe est appliqué aux collectivités territoriales, ce n’est que par

« mimétisme juridique »

542

. Autrement dit, les collectivités territoriales disposeraient d’une

marge de manœuvre pour affecter leurs recettes fiscales à une action environnementale.

L’exemple de l’ancienne Taxe Départementale des Espaces Naturels Sensibles en constituait

une bonne illustration.

L’analyse des potentialités de la fiscalité environnementale met en lumière le fait que le