Effectivement, de nombreux plans participent aujourd’hui de manière plus ou moins directe à
la protection du sol. Il s’agit tant des plans de protection et de gestion des milieux naturels que
des plans de prévention des risques
722. La consécration assez récente du rapport de compatibilité
qui garantit la cohérence des multiples plans applicables sur un même espace tout en laissant
une marge de manœuvre aux autorités vient renforcer la capacité de l’outil planification à
assurer une protection du sol en tant que milieu vivant. Le droit interne français qui se focalise
sur la pollution pour appréhender le sol pourrait donc évoluer, et d’autant plus facilement s’il
était insufflé par une dynamique extérieure, phénomène plutôt classique en droit de
l’environnement. Cependant, il ne faut visiblement pas compter sur la dynamique internationale
ou européenne pour provoquer ou contraindre le législateur français. Malgré les appels de la
doctrine, les multiples tentatives de construction d’un régime juridique pour le sol en tant que
milieu vivant ont à ce jour toutes échoué. Par exemple, suite à la conclusion en 1992 de la
Convention sur la désertification
723et de la Convention sur la diversité biologique, l’UICN a
rédigé un projet de protocole relatif à la protection et à l’utilisation durable du sol
724. Les États
n’ont pas donné suite. Le contenu peut-être trop novateur pourrait être à l’origine de ce déni
(définition juridique du sol, fondement de la protection sur le principe de précaution,
reconnaissance d’un droit à un sol écologiquement durable…). Plus étonnant encore, la CDB
ne contient aucune disposition relative à la protection des sols. Ce n’est qu’au travers du travail
fourni par la Conférence des parties que le sol a pu être abordé à travers le programme
« biodiversité agricole », qui a le défaut de ne retenir que la valeur alimentaire du sol
725. En
droit européen, la prise de conscience a certes été plus précoce puisque dès 1982 le Conseil de
l’Europe a rédigé une Charte européenne des sols qui propose une définition, identifie les
fonctions et les menaces pesant sur le sol
726. Mais il a fallu attendre 2006 pour que la
Commission européenne s’alarme sur l’absence de législation sur la protection des sols quand
721 S. Staffolani, La conservation du sol en droit français, Thèse de droit public, soutenue le 15 décembre 2008, p.347. L’UICN a également fait des propositions dans ce sens suite à la conclusion des trois conventions-cadre de 1992.
722 Selon le Professeur Y. Jégouzo, la planification environnementale est composée de deux grands types de plans : les plans relatifs à la protection et gestion des milieux naturels et les plans de prévention des risques in Y. Jégouzo, « Les plans de protection et de gestion de l’environnement », AJDA, 1991, p.607. Au sein des plans relatifs à la protection et gestion des milieux naturels, on retrouve les SDAGE et SAGE qui protègent la ressource eau sur le plan qualitatif et qui vont indirectement concourir à la protection des sols. Le SRCE quant à lui joue également un rôle dans la mesure où en protégeant les structures végétales, il protège le sol de l’érosion et de l’imperméabilisation. Au sein des plans de prévention des risques, il est possible de citer la planification sur la gestion des déchets dont l’objectif est au titre de l’article L541-2 du Code de l’environnement d’éviter de « produire des effets nocifs sur le sol » ou bien encore les PPRN ou les PPRT.
723 Convention des Nations-Unies sur la lutte contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification, en particulier en Afrique, signée le 12 septembre 1994.
724 Projet de protocole pour la conservation et l’utilisation durable du sol, UICN, Commission sur le droit de l’environnement, projet du 10 octobre 2005.
725 Cf. les décisions de la COP5, notamment les décisions V/5 et VI/5 de la Conférence des parties de la CDB.
726 Les principales menaces pesant sur le sol sont : l’érosion par l’eau, le vent, la neige, la glace ; les activités humaines entreprises sans précaution, les pollutions notamment par les engrais chimiques et les pesticides, l’artificialisation des sols, les ouvrages de génie civil.
bien même l’eau et l’air disposent chacun de leur directive cadre
727. Dans le cadre du 6
èmeprogramme d’action européen, une stratégie thématique européenne pour la protection des sols
a été élaborée, l’élément clé de cette stratégie étant la proposition d’une directive définissant un
cadre pour la protection des sols. Suite à l’opposition de nombreux États parmi lesquels la
France, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore l’Autriche, la directive n’a toujours pas été
adoptée. Quant au droit interne, quelques avancées peuvent être mentionnées. La loi «
biodiversité » a en effet introduit le sol au sein du patrimoine commun de la nation, à côté de la
géodiversité qu’elle a également consacrée. Dans un même élan, le législateur a donc fait un
renvoi explicite à la diversité biologique du sol et à la diversité du monde abiotique qui permet
aux autorités préfectorales d’adopter des arrêtés de géotopes. Bienvenue, cette mesure permet
de protéger des sols riches en gisement fossiles exceptionnels. Ainsi, c’est la diversité
biologique « ancienne » qui est protégée davantage que ne l’est le sol en tant que milieu vivant.
De sorte, aucune mesure particulière ne permet réellement de donner pleinement corps à cette
annonce
728.
L’état général du droit témoigne donc du constat opéré plus haut. Dans la continuité de
l’approche anthropomorphique, l’intérêt pour la pédofaune et la pédoflore est considérablement
minoré. Il est vrai qu’il est possible de déceler quelques tentatives de protection du sol
notamment à travers la protection du littoral et la lutte contre l’érosion, mais cela reste
largement insuffisant. Si l’angle de la pollution peut être pertinent pour aborder la conservation
du sol, l’approche par le droit de la conservation de la nature doit également être retenue par le
législateur. C’est une condition sine qua non de la consolidation du concept de nature ordinaire
dans l’ordre juridique, le sol étant le support de la vie, qu’elle soit terrestre ou aquatique.
727 Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, J.O.C.E n°L 327 du 22 décembre 2000 et Directive 2008/50/CE du Parlement Européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe J.O.C.E L n°152 du 11 juin 2008.
728 On notera simplement que désormais la géo-diversité peut fonder le recours à certaines procédures de protection telles que les réserves naturelles. Sur l’évolution de ce champ d’étude, voir les travaux de F. Bétard notamment, F. Bétard, Géodiversité, biodiversité et patrimoines environnementaux. De la connaissance à la conservation et à la valorisation. Mémoire d'Habilitation à Diriger des Recherches, Université Paris-Diderot, 2017, Volume 1, 270 p. et F. Bétard et al, Les géopatrimoines, de nouvelles ressources territoriales au service du développement local,
CONCLUSION DU CHAPITRE
Entre rupture et continuité, le droit de l’environnement apparaît tout à la fois prolifique
et inachevé. Ancré dans ses anciennes références objectives, ce n’est que progressivement qu’il
se charge de principes et techniques dont la multi-dimensionnalité pourrait à terme permettre
un équilibre entre le rationnel et le raisonnable. De cette façon, sa prédisposition à accueillir le
concept de nature ordinaire est relativement contrastée. Bien que les références successives
semblent chercher à accueillir la nature sous toutes ses formes comme en témoigne par exemple
la référence à la géo-diversité, elles accusent un net retard dans l’élaboration d’un mouvement
conservatoire des espèces et des espaces les plus communs. Bien souvent, la nature ordinaire
est alors occultée. Elle demeure une catégorie par défaut du droit de l’environnement dont
l’existence peine à s’émanciper. Ce constat pourrait s’expliquer par le fait que la nature
ordinaire est finalement trop visible. Plus encore, il est justifié par le fait que l’appréhension
juridique de la nature ordinaire va indéniablement réactiver des conflits et en faire naître de
nouveaux. C’est tout le paradoxe de cet objet d’étude. Généralement appréciée, sa présence est
même de plus en plus souhaitée voire revendiquée. Pourtant, aucune mesure de protection
directe ne permet d’en garantir le maintien dans un état de conservation favorable. L’analogie
entre le sort réservé au sol et celui réservé à la nature ordinaire est ici éloquent. Ils forment tous
les deux le « support de toutes sortes de fonctions écologiques, économiques, sociales,
culturelles »
729et pourtant leur appréhension juridique est sans cesse reportée, déplacée,
minimisée. Le lien étroit qu’ils entretiennent avec le droit de propriété et la liberté
d’entreprendre n’est certainement pas étranger à cette ignorance.
Malgré un arsenal législatif et règlementaire en permanente évolution, tout un pan entier de la
nature attend donc d’être appréhendé par le droit de l’environnement. Consolider les processus
en cours, définir de nouvelles pratiques juridiques et de nouvelles formes de partenariats
apparait dès lors consubstantielle à l’entreprise d’appréhension juridique de la nature ordinaire.
Cet avenir, c’est « entre les lignes, dans les blancs ou dans les marges »
730du droit que nous
pourrons le lire.
729 A. Van Lang, « La loi Biodiversité du 8 août 2016 : une ambivalence assumée », AJDA, 2016, p.2383.