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i - La police administrative

La police administrative est incontournable pour la mise en œuvre du droit de

l’environnement

548

. Elle en est « la quintessence »

549

puisqu’ « elle existe pour prévenir les

conflits »

550

. À cet égard, elle est également considérée comme un instrument de sauvegarde de

l’ordre public, entre autres écologique

551

. Classiquement, il convient de distinguer la police

administrative générale qui s’applique en dehors de toute habilitation textuelle de la police

administrative spécifique prévue par un texte qui en précise le champ d’application, le contenu

et les modalités de mises en œuvre. En matière de protection de l’environnement, deux acteurs

essentiels se partagent la police administrative. Le maire est en effet titulaire de la police

administrative générale, pouvoir qu’il tire de l’article L. 2212-2 du CGCT, tandis que le préfet

est généralement désigné par le Code de l’environnement comme titulaire de la police

administrative spéciale

552

.

544 M. Frederik, « La sécurité environnementale : éléments de définition », Études internationales, vol. 24, n° 4, 1993, p. 753, spéc. p. 758 (disponible sur http://id.erudit.org/iderudit/703239ar).

545 J. Barnett, « Environmental security : now what ? », Séminaire au département de Relations Internationales de la Keele University, 4 déc. 1997.

546 M. Frederik, « La sécurité environnementale : éléments de définition », art.cit.

547 Nous développerons dans le cadre de la Partie 1, Titre 2, Chapitre 1 de cette thèse que l’administration est un acteur primordial pour l’institution et la préservation de la nature ordinaire.

548 Selon E. Picard, la police s’entend comme « toute activité publique contraignante », E. Picard, « La notion de police administrative », LGDJ, Paris, 1984, Tome 1, p.24.

549 E. Naim-Gesbert, Droit général de l’environnement, op. cit., p. 64.

550Idem.

551 Le concept d’ordre public écologique ne fait pas l’unanimité dans la doctrine, tant sur son existence que sur sa définition. Nous prenons toutefois le parti de considérer qu’il existe bien en droit français un ordre public écologique dans la mesure où toutes les conditions pour caractériser l’ordre public sont remplies par le droit de l’environnement, à savoir : la traduction d’une valeur fondamentale de la société garantie par la reconnaissance de l’intérêt général de la protection de l’environnement et la constitutionnalisation de la Charte en 2005, l’impérativité, la conciliation des libertés et l’utilisation de la police administrative. De nombreux ouvrages en droit de l’environnement le confirment, cf. C.-A. Dubreuil (dir.), L’ordre public, Editions CUJAS, Actes du colloque organisé le 15 et 16 décembre 2011, Paris, 2013, 342 p. Nous retiendrons également la définition finaliste proposée par le Professeur M. Prieur qui estime que l’ordre public écologique permet d’assurer à la société un aménagement harmonieux.

552 Dans certains cas spécifiques, ce sont les ministres qui sont titulaires de la police administrative spéciale. Par exemple, c’est le ministre chargé de la protection de l’environnement qui sera seul compétent en matière d’ondes

S’agissant de la police municipale, la capacité d’action du maire en matière de protection de

l’environnement est déterminée derrière chacun des termes de l’article L. 2212-2 que sont le

bon ordre, la salubrité, la sécurité et la tranquillité. L’alinéa 5 de l’article précité confère

explicitement au maire le pouvoir d’intervenir en matière environnementale

553

. L’article L.

2213-4 du CGCT offre quant à lui la possibilité au maire de prendre un arrêté visant

l’interdiction ou la limitation sur sa commune de la circulation de véhicules terrestres à moteur

dans un but (entre autres) écologique afin de protéger les espèces animales ou végétales, les

espaces naturels, paysages ou sites. Ce pouvoir concourt directement à la protection de la nature

ordinaire, et plus exactement à la tranquillité des espèces ordinaires et à la non-dégradation des

espaces communs. En dehors de ces deux articles, d’une manière générale, « pour faire face à

une atteinte portée à la nature, le maire n’est (…) compétent que si celle-ci est concomitante à

un trouble causé à l’ordre public »

554

, sous-entendu général. La combinaison de références

législatives trop lacunaires et d’une approche trop individuelle de l’ordre public limite donc les

capacités du maire à intervenir en faveur de la nature ordinaire. Comme le souligne

Anne-Sophie DENOLLE, la police municipale n’est empreinte que « d’une légère teinte

environnementale »

555

, de telle sorte que le maire ne serait donc « pas en mesure d’offrir une

protection de l’environnement dans son ensemble »

556

, notamment pour les espèces et espaces

les plus communs

557

. Hélas, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des

paysages ne procède pas d’une logique différente. L’article L2213-30 du CGCT maintient par

exemple l’obligation qui est faite aux maires d’ordonner des mesures nécessaires à

l’assainissement des mares placées à l’intérieur des villages ou dans leur proche voisinage dès

lors qu’elles compromettent la salubrité publique. En plus d’illustrer une régression sur le plan

de la démocratie environnementale puisque cette obligation n’exige plus que l’avis du conseil

municipal soit recueilli, la réécriture de cet article en 2016 est inadaptée aux enjeux liés aux

effets du changement climatique. Aussi, on aurait pu raisonnablement penser que le législateur

modifie cet article non pas dans le sens indiqué mais bel et bien pour imposer des mesures de

restauration.

électromagnétiques. En matière d’OGM, qui a également donné lieu à de nombreuses jurisprudences, c’est le ministre chargé de l’agriculture qui est seul compétent pour édicter des mesures de police.

553 L’article prévoit que le maire est compétent pour « prévenir et faire cesser les pollutions de toute nature ». Le Conseil d’État a reconnu que cette appellation recouvrait les atteintes environnementales. Par exemple, CE, avis, 8 novembre 1988, J.O.R.F, 26 juillet 1989, p.9330.

554 A.-S. Denolle, Le maire et la protection de l’environnement, Thèse de doctorat, droit public, Université de Caen, 2013, p. 51.

555Ibid., p. 24.

556 Ibid., p. 48. Toutefois, il faut noter que la capacité de l’action municipale en matière de protection de l’environnement ne se limite pas aux pouvoirs de police.

557 À titre accessoire, il convient de noter également que le législateur en plus de la police administrative générale confère au maire le pouvoir de police rurale qui concerne la vie des campagnes, la protection des récoltes, la salubrité des ruisseaux, rivières et étangs qui sont autant d’éléments déterminants pour la protection de la nature ordinaire à l’échelon communal. Néanmoins, le caractère éclaté de cette police l’a conduite à l’échec. Aussi, comme le souligne le Professeur M. Prieur, il faudrait en complément de la police administrative générale « instituer une véritable police du milieu rural qui prendrait en considération la protection de la nature contre les pollutions industrielles et agricoles et répondrait ainsi à la nécessité de protéger l’ordre public écologique » M. Prieur et al., Droit de l’environnement, Dalloz, 7ème édition, Paris, 2016, p.559.

S’agissant des polices administratives spéciales détenues par les préfets, la liste en matière

d’environnement est longue

558

. La police administrative spéciale comporte deux facettes que

sont la règlementation et les mécanismes d’autorisation. En matière de protection de

l’environnement, le préfet est titulaire de la police des installations classées pour la protection

de l’environnement (ICPE). Destinée à encadrer les activités polluantes, la police des ICPE est

indirectement déterminante pour la conservation de la nature ordinaire. Ainsi, au titre des

intérêts protégés de l’article L511-1 parmi lesquels est citée la protection de la nature, il peut,

en qualité d’autorité environnementale, imposer des prescriptions au pétitionnaire durant toutes

les étapes de la vie de l’ICPE

559

. Ce pouvoir s’exerce dans le respect du principe de

proportionnalité dont le contenu n’est pas fixé mais peut, bien au contraire, évoluer en fonction

de la considération sociétale des intérêts protégés.

L’étude de toutes les polices spéciales et de leur rôle dans la protection de la nature ordinaire

n’est pas déterminante pour cette thèse. En revanche, une analyse des conditions de mise en

œuvre de la responsabilité du préfet en cas de carence par rapport à ces pouvoirs paraît bien

plus décisive pour la protection de la nature ordinaire

560

. En l’état actuel du droit, le régime de

responsabilité de l’État en raison de l’inaction des autorités administratives dans le cadre de ses

missions de contrôle ne correspond pas à la lettre de l’article L 511-1 du Code de

l’environnement qui énumère les intérêts protégés. Cette responsabilité pour carence de

l’administration relève du régime contentieux de la faute simple et peut tout aussi bien être

engagée lorsque cette dernière est en situation de compétence liée ou lorsqu’elle dispose d’un

pouvoir discrétionnaire

561

. Dans ce dernier cas, le juge rappelle régulièrement que la marge

d’appréciation s’applique non pas sur le choix d’intervenir mais uniquement sur le choix des

moyens

562

. En dépit d’un champ d’application apparemment large, les conditions requises pour

la condamnation de la puissance publique sont telles que l’engagement de sa responsabilité ne

pourra être qu’un rare levier pour chercher à protéger la nature ordinaire. Dans un premier

558 Il est possible d’en dénombrer plus d’une vingtaine parmi lesquelles la police des ICPE, de l’eau, de la chasse, de la pêche, de la pollution atmosphérique.... Récemment, la loi Grenelle 2 a créé deux nouvelles polices que sont la police de prévention des pollutions lumineuses au titre de l’article L583-1 du Code de l’environnement et la police de prévention des risques d’exposition aux substances à l’état nanoparticulaire au titre de l’article L523-1 et suivants du Code de l’environnement.

559 Cf. articles L181-1 à L181-31 du Code de l’environnement, plus particulièrement l’article L181-14 qui dispose que l’autorité administrative compétente peut imposer toute prescription complémentaire nécessaire au respect des obligations en matière d’environnement. Notons au passage que l’autonomie de la police des ICPE exclut le concours de la police générale. CE, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, n° 326492. Il en est de même pour la police de l’eau, des OGM, de la téléphonie mobile, etc. Dans tous les cas, l’autorité administrative peut mettre en demeure l’exploitant de régulariser sa situation, peut prendre des mesures conservatoires, peut ordonner le paiement d’une amende, peut faire procéder d’office à l’exécution des mesures prescrites.

560 La reconnaissance de la responsabilité de l’administration en matière de police résulte de l’arrêt Tomasco Grecco du Conseil d’État (CE, 10 février 1905, Tomasco Grecco, Recueil Lebon p.139). Il faut distinguer le régime de la responsabilité pour faute dans le cadre duquel le juge fait évoluer progressivement ses critères (la systématicité de l’existence d’une faute lourde est remise en cause) et la responsabilité sans faute qui peut être fondée sur le risque ou sur la rupture d’égalité devant les charges publiques. Pour plus de détails, voir M. de Villiers et T. de Berranger, Droit public général, Lexis Nexis, 6ème édition, Paris, 2015, à partir de la page 617.

561 C’est le cas par exemple dans le cadre de l’application des articles L514-1 ou L514-2 du Code de l’environnement, pour une application voir CE, 2 juillet 1971, Société Sodeter, n°78476 CE, 11 juillet 1986,

Ministre de l’environnement contre Michallon, n°61719, RJE, 1986, p.466

562 Pour une application, voir TA Strasbourg, Ville Amsterdam et a. contre ministre de l’aménagement, 11 avril 2000, n°8822. Seule une évidente inadéquation des moyens par rapport aux faits peut être invoquée, sans qu’au demeurant une faute puisse être imputée à l’administration.

temps, le requérant doit prouver que l’administration a commis une faute. Dans un second

temps, il doit démontrer que cette faute constitue une carence de nature à engager la

responsabilité de l’administration. Or, dans les faits, la faute ne peut être bien souvent prouvée

qu’une fois les délais contentieux expirés. De même, le juge estime que l’administration ne peut

être tenue responsable qu’à partir du moment où elle a connaissance des faits. Si cette condition

paraît logique, elle contraste cependant avec l’obligation de surveillance qui incombe à

l’administration dans le cadre de ses pouvoirs de police en matière d’ICPE. Dans ce cas,

l’absence de connaissance des faits devrait à elle seule appuyer le raisonnement du défendeur

qui dénonce les carences de l’administration, la première consistant en une omission de

surveillance et de contrôle. Cette condition n’a pas raison d’être et par conséquent, ne devrait

pas constituer une cause exonératoire de responsabilité. De surcroît, en supposant qu’une

personne physique ou morale prétende que l’administration ait commis une faute de nature à

engager sa responsabilité, il est indispensable qu’il rapporte également la preuve d’un préjudice

direct, actuel, certain et indemnisable en lien direct avec la carence de l’administration

563

.

Autrement, son recours sera rejeté. Cette construction juridique n’encourage pas la puissance

publique à renforcer ses contrôles. À certains égards, ce régime général se recoupe avec le

régime spécifique mise en place par la loi LRE du 1

er

août 2008. En application du droit

européen, un régime de responsabilité mixte a été mis en place

564

. Ce dernier « allie les

principes de l'action administrative aux concepts de la responsabilité civile »

565

. Plus

précisément, il articule la responsabilité sans faute de l’exploitant à la responsabilité pour faute

de l’administration

566

. En ce sens, les exploitants sont tenus de réparer financièrement les

dommages graves et mesurables causés par leurs activités lorsqu’elles vont par exemple

endommager la qualité de l’eau ou gravement porter atteinte aux espèces et habitats protégés

par les directives Natura 2000

567

. Dans ce cadre, les exploitants ne peuvent se prévaloir d’une

autorisation administrative pour s’exonérer de leurs obligations. En parallèle, l’administration

563 Cela explique d’ailleurs le peu de jurisprudence en la matière. Voir par exemple CAA Bordeaux, 25 février 1993, Commune de Saint-Pée-sur-Nivelle, n°90BX00349. Dans cette affaire, le juge reconnait que le préfet a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’État en s’abstenant de prendre par arrêté des prescriptions spéciales complémentaires pour assurer le bon fonctionnement de l’ICPE quand bien même cette dernière était en règle. Dans ce cas, la responsabilité a pu être engagée car la carence fautive causait un dommage olfactif et auditif aux exploitants d’un camping avoisinant. De même, la Cour Administrative d’Appel de Paris a pu juger que l’abstention du préfet de prendre les mesures nécessaires au respect de son arrêté complémentaire en vue de réparer les dommages causés à une nappe phréatique était de nature à engager la responsabilité de l’État car la commune avait subi un préjudice du fait de la pollution du point de captage et des nappes phréatiques alimentant son réseau en eau potable, CAA de Paris, 21 janvier 1997, n° 94PA00119. Ce raisonnement est tout à fait transposable pour les ICPE soumises au régime de l’enregistrement ou de l’autorisation.

564 La loi transpose la directive no 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, J.O.U.E du 30 avril 2004. Pour un commentaire, voir par exemple O. Fuchs, « Le régime de prévention et de réparation des atteintes environnementales issu de la loi du 1er août 2008 », AJDA, 2008, p.2109.

565 S. Carval, « Un intéressant hybride : la « responsabilité environnementale » de la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 », Dalloz, 2009, p. 1652.

566 La loi n°2008-468 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement, J.O.R.F du 2 août 2008 met en place un régime de responsabilité sans faute lorsque l’activité est énumérée par cette même loi. Dans ce cas, l’exploitant est tenu financièrement de réparer les dommages causés. En parallèle, est créé un régime de responsabilité pour faute (caractérisé par la négligence ou la faute) qui concerne uniquement les dommages causés aux espèces et habitats naturels protégés.

peut être tenue responsable pour les dommages causés aux espèces et habitats naturels protégés