Aucun texte de droit français ne mentionne explicitement le droit d’accès à la nature.
Pour cause, l’ensemble du droit de la conservation de la nature est fondé sur le concept de
protection et de sanctuarisation. L’idée d’accès semble incompatible avec cette conception
inadaptée que par ailleurs nous dénonçons. Ce n’est que timidement que le législateur fait
référence à l’accès à la nature, la difficulté principale étant finalement de porter atteinte au droit
de propriété, qui revêt une dimension quasi sacrée depuis 1789. Ainsi, même si le livre
deuxième du Code de l’environnement contient bien un titre dédié à l’accès à la nature, il n’est
jamais question d’un droit d’accès à la nature. Faiblement composé, ce titre porte davantage sur
la régulation de certains usages de la nature plutôt que sur la consécration d’un libre accès à
cette dernière. Pour illustrer notre propos, il est possible de mentionner l’article L361-1 qui
précise la compétence du département pour l’établissement des plans départementaux des
itinéraires de promenade et de randonnée. On apprend ainsi que les itinéraires peuvent
emprunter une diversité de voies parmi lesquelles des voies publiques, des chemins relevant du
domaine privé du département, les emprises de la servitude destinée à assurer le passage des
piétons sur les propriétés riveraines du domaine public maritime, les emprises de la servitude
de marchepied, les chemins ruraux et, sous réserve de conventions passées avec les propriétaires
intéressés, emprunter des chemins ou des sentiers appartenant à l'État, à d'autres personnes
publiques ou à des personnes privées. Plus intéressant encore, on peut lire que « toute aliénation
d'un chemin rural susceptible d'interrompre la continuité d'un itinéraire inscrit sur le plan
départemental des itinéraires de promenade et de randonnée doit, à peine de nullité, comporter
soit le maintien, soit le rétablissement de cette continuité par un itinéraire de substitution. Toute
opération publique d'aménagement foncier doit également respecter ce maintien ou cette
continuité ». À notre connaissance, cette législation est la plus avancée en matière d’accès à la
833 En l’espèce, la décision attaquée était un arrêté préfectoral autorisant l’exploitation d’un parc animalier. Les requérants, une association de protection de l’environnement avait attaqué l’arrêté au motif que les impacts du zoo sur la faune et la flore était contraire au principe de non-régression. Le juge administratif a rappelé dans son jugement que le principe de non-régression ne peut être utilement invoqué « directement à l’encontre d’une décision non-règlementaire d’autorisation d’exploitation au titre de la législation relative aux ICPE ». Il rappelle qu’à l’inverse, il s’impose aux seuls normes législatives et règlementaires. Voir, Tribunal administratif de la Réunion, 14 décembre 2017, Association citoyenne de Saint Pierre, n°14011324, notes R. Brett, « Le traitement contentieux du principe de non-régression de la protection de l’environnement par le juge administratif : une application stricte des incertitudes », RJE, 3/2018, pp. 631-643.
834 C. Krolik, « Contribution à une méthodologie du principe de non-régression », in M. Prieur et al. (eds.), La non régression en droit de l’environnement, op. cit., p.141.
835 Ce constat est partagé par R. Brett. Voir R. Brett, « Le traitement contentieux du principe de non-régression de la protection de l’environnement par le juge administratif : une application stricte et des incertitudes », Chronique de droit national, RJE, 3/2018, pp. 631-643.
nature
836. Elle est complétée par la règlementation sur les espaces naturels sensibles qui admet
la possibilité d’aménager les espaces concernés pour l’accueil du public
837. Prises de concert,
ces législations sont d’autant plus remarquables que l’accès à la nature qu’elles encadrent ou
protègent n’est pas soumis à la mise en place de droits d’entrée, ce que l’on peut
raisonnablement craindre à l’avenir pour les espaces naturels protégés
838. Plus de dix ans après
la constitutionnalisation de l’environnement, il est surprenant tant sur le plan environnemental
que sociologique, que le droit d’accès à la nature ne soit consacré ni au niveau constitutionnel,
ni au niveau législatif. Lato sensu, le droit d’accès ne concerne finalement que l’information
environnementale. Pourtant, ce droit ne peut garantir à lui seul l’égalité entre les citoyens dans
leur relation avec la nature. On ne peut donc qu’encourager le législateur à engager une
réflexion générale sur l’accès à la nature, réflexion qui répondrait d’ailleurs aux attentes
citoyennes, dans la mesure où l’on peut constater que les conflits d’usages relatifs à l’accès à la
nature sont de plus en plus prégnants dans l’espace politique, médiatique et juridique.
Contrairement à la France, d’autres pays n’ont pas de difficultés à reconnaître un droit d’accès
général à la nature. La Suède, à travers l’allemansrät par exemple, reconnaît à toute personne
un droit de passage, un droit de cueillette et un droit de résidence temporaire sur l’ensemble du
territoire, y compris les terres privées dès lors que la nature n’est pas dégradée. Ce droit
d’origine coutumière « répond à une certaine éthique fondée sur l’autoresponsabilité de chacun,
l’État ne devant intervenir qu’en cas de problème »
839. La constitutionnalisation de
l’environnement en droit français n’a pas été l’occasion de consacrer un droit d’accès à la
nature. Aujourd’hui, une reconnaissance législative serait certainement le meilleur moyen de
rendre effectives l’éducation et la formation à l’environnement, qui sont l’objet de l’article 8 de
la Charte de l’environnement, article considéré comme étant uniquement proclamatoire
840.
Enfin, ces deux principes sont indispensables à la réalisation de la justice sociale, car force est
de constater que la dégradation de l’environnement est subie par les plus vulnérables.
836 Il convient ici de mentionner les récentes évolutions du droit forestier qui, à travers la fonction sociale de la forêt, s’ouvre progressivement à une conception collective de l’environnement favorable à la reconnaissance d’un droit d’accès à la nature.
837 Cf. article L142-1 et suivants du Code de l’urbanisme.
838 Sur ce point, voir S. Jolivet, « Des droits d’entrée dans les espaces naturels protégés : la fin d’un impensé ? »,
Revue française de finances publiques, 2019, Publication à venir. À noter toutefois que la politique des espaces naturels sensibles est en partie financée par la taxe d’aménagement. Cette dernière est établie sur la construction, la reconstruction et l'agrandissement des bâtiments à l’exception des installations à usage agricole, forestier ou ayant vocation de service public et après sinistre. Ce mode de financement procède d’une logique fiscale distincte de celle des droits d’entrée. Elle a vocation à permettre le financement des charges salariales des agents en charge de la politique des espaces naturels sensibles. La liste des utilisations possibles de la fraction de la part départementale de la taxe d'aménagement affectée aux espaces naturels sensibles, visées à l'article L. 142-2 précité, est limitative car cette taxe constitue une recette de nature fiscale. Par conséquent, son utilisation ne peut être interprétée que de manière stricte et restrictive, conformément à une jurisprudence administrative constante. Sur ce point, cf. la question écrite n° 16026 de M. Michel Heinrich publiée au J.O.R.F le 22 janvier 2013, réponse publiée au J.O.R.F le 03 septembre 2013.
839 F. Von Plauen, « L’accès à la nature : droit virtuel ou droit réel ? Etude comparative en droit français et en droit suédois », AJDA, 2005, p.1984.
840 Selon l’article 8 : « L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ».
Ces dernières réflexions illustrent une fonction du droit constitutionnel qui n’a pas
encore été mise en lumière. Dès lors que la pratique démocratique impose l’existence d’une
hiérarchie des normes et donc d’un texte suprême dont le contenu est (sur)protégé, il apparait
évident que le droit constitutionnel a également vocation à protéger les éléments les plus faibles.
Il peut s’agir de protéger un pouvoir plus vulnérable contre un autre – dans le cadre de l’histoire
constitutionnelle française, nous pensons notamment au pouvoir judiciaire – tout comme il peut
s’agir de protéger des droits dont la réalisation est menacée. Cette fonction du droit
constitutionnel permet de justifier que son écologisation puisse considérablement favoriser la
réception du concept de nature ordinaire dans l’ordre juridique. Toutefois, il faut bien garder à
l’esprit que le droit constitutionnel ne se limite pas à la Constitution stricto sensu.
L’interprétation qui en est faite par le Conseil constitutionnel est tout aussi déterminante
841. Ce
rôle d’impulsion que nous reconnaissons au droit constitutionnel en matière environnementale
est d’ailleurs particulièrement bien illustré dans le contentieux relatif à la participation du
public
842. En outre, il convient de rappeler qu’eu égard au phénomène grandissant de synergie
des sources en matière environnementale, le droit constitutionnel produit des effets au-delà du
droit interne pour venir renforcer par exemple le droit produit par les juges de la CEDH. En
effet, les juges de la CEDH sont « adepte(s) d’une méthode d’interprétation dynamique »
843qui
conduit à rendre plus effectif le contenu des droits constitutionnels internes
844. Cet état du droit
laisse penser qu’une jurisprudence constitutionnelle ou européenne puisse appeler à
appréhender la nature ordinaire en droit positif. Cependant, l’institution de la nature ordinaire
ne dépend pas uniquement de la reconnaissance constitutionnelle d’un droit de l’Homme à
l’environnement. L’organisation des pouvoirs étatiques conditionne également pour une large
part son institution.
841 Pour ne citer que la plus célèbre d’entre elles, voir CC, DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association, n° 71-44. 842Après avoir censuré en série les dispositions du droit en vigueur par lesquelles le législateur avait transféré au pouvoir règlementaire le soin de définir les conditions de l’article 7 de la Charte (voir infra), le Conseil constitutionnel a finalement contraint le législateur à améliorer le dispositif. Voir A. Farinetti « L’utilisation du principe de participation dans le cadre de la QPC : la Charte contre elle-même ? » Environnement et développement durable, n°12 décembre 2014, étude 17. Voir également B. Delaunay, « La réforme de la participation du public »,
AJDA, 2013, p.344 et s.
843 J.-P. Marguénaud, « Les devoirs de l’homme dans la charte constitutionnelle de l’environnement », art cit, p. 887.
844 En ce sens, voir CEDH, Affaire Temel et Taskin c. Turquie, 30 juin 2005, n° 40159/98 et CEDH, Affaire Okyay et autres c. Turquie, 12 juillet 2005, n° 36220/97. Comm. voir infra.