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L'extension du système de lutte contre le blanchiment d'argent aux infractions fiscales : much ado about (almost) nothing

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L'extension du système de lutte contre le blanchiment d'argent aux infractions fiscales : much ado about (almost) nothing

CASSANI, Ursula

Abstract

I. Introduction : le contexte de la révision législative. - II. Blanchiment d'argent et infraction fiscale selon le nouveau droit suisse. - 1. Elargissement de l'art. 305bis ch. 1 CP aux délits fiscaux qualifiés. - 2. Définition du délit fiscal qualifié. - 3. Crime préalable en matière de fiscalité indirecte. - 4. Devoirs des intermédiaires financiers et négociants relatifs aux infractions préalables de nature fiscale. - III. Analyse. - 1. A quel moment l'infraction de blanchiment d'argent peut-elle être commise? . - 2. Quelle est la valeur patrimoniale blanchie?. - 3. Quelle est la définition de l'infraction fiscale qualifiée lorsque celle-ci a été commise au préjudice du trésor public étranger?. - 4. Quand les nouvelles dispositions deviendront-elles applicables?. - IV. Conclusion

CASSANI, Ursula. L'extension du système de lutte contre le blanchiment d'argent aux infractions fiscales : much ado about (almost) nothing. Revue suisse de droit des affaires et du

marché financier , 2015, vol. 87, no. 2, p. 78-90

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:73336

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On December 14, 2014, the Swiss Federal Parliament enacted a revision of the Swiss money laundering leg­

islation in order to comply with the Recommendations of the Financial Action Task Force, as revised in Febru­

ary 2012. One of the issues addressed by the Act is the definition of new predicate offences relating to direct and indirect taxes. The discussion of this issue was controversial from the beginning, in particular the question of the creation of a predicate offence relating to direct taxes. The government draft proposed an of­

fence limited to tax fraud – as opposed to mere tax eva­

sion – relating to income and revenue taxes only and

yielding a tax advantage of over CHF 200 000. Even this very narrow definition in international compari­

son was hotly debated. It was accepted in the end, but with a higher threshold value of CHF 300 000.  It is, however, far from certain that the minimal scope of this new provision will serve the interests of the finan­

cial intermediaries who advocated it, as the determi­

nation of the threshold value is bound to be very com­

plicated. The purpose of this contribution is to address the dogmatic difficulties and practical challenges re­

lating to the new predicate offences.

Table des matières

I. Introduction : le contexte de la révision législative II. Blanchiment d’argent et infraction fiscale selon le

nouveau droit suisse

1. Elargissement de l’art. 305bis ch. 1 CP aux délits fiscaux qualifiés

2. Définition du délit fiscal qualifié

3. Crime préalable en matière de fiscalité indirecte 4. Devoirs des intermédiaires financiers et

négo ciants relatifs aux infractions préalables de nature fiscale

III. Analyse

1. A quel moment l’infraction de blanchiment d’argent peut-elle être commise ?

2. Quelle est la valeur patrimoniale blanchie ? 3. Quelle est la définition de l’infraction fiscale

qualifiée lorsque celle-ci a été commise au préjudice du trésor public étranger ?

4. Quand les nouvelles dispositions deviendront- elles applicables ?

IV. Conclusion

I. Introduction : le contexte de la révision législative

Depuis la publication des recommandations révisées du Groupe d’action financière (GAFI) du 16  février 2012, les infractions fiscales sont intégrées dans les standards internationaux relatifs à la lutte contre le blanchiment d’argent. En effet, ces « Normes interna­

tionales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération » mentionnent, dans la liste des catégories désignées d’infractions sous-jacentes au blanchiment d’argent établie dans le Glossaire général, « les infractions fis­

cales pénales (liées aux impôts directs et indirects) ».

Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner la por- tée de ces exigences internationales et la marge de manœuvre qu’elles laissaient subsister pour le légis- lateur suisse.1 Les recommandations du GAFI re- lèvent de la soft law, elles sont formulées de manière souple, et il suffit, pour y satisfaire, de définir, au sein de chaque catégorie désignée, certaines infractions dans la fiscalité directe et indirecte comme sous- jacentes au blanchiment. Ce nonobstant, au regard du poids politique effectif de ces recommandations internationales et du caractère incisif de leur méca- nisme de suivi, il ne paraissait guère envisageable

1 Ursula Cassani, L’infraction fiscale comme crime sous- jacent au blanchiment d’argent : considérations de lege fe­

renda, RSDA 2013/1, p. 12 ss, p. 13 ss.

* Cet article est tiré d’une conférence prononcée lors de la Journée de droit bancaire et financier du 30 octobre 2014 organisée par le Centre de droit bancaire et financier de l’Université de Genève. L’auteure remercie ses assistantes, Katia Villard, titulaire de la maîtrise en droit et du brevet d’avocat, et Nadia Meriboute, titulaire de la maîtrise en droit, du brevet d’avocat et de la licence en relations inter- nationales, de leur aide précieuse dans la mise au net du manuscrit.

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pour la Suisse d’ignorer les exigences du GAFI.2 S’y ajoute le fait que, sur ce point précis, la pression à la conformité est amplifiée par le constat que beaucoup de pays de provenance traditionnels de la clientèle des intermédiaires financiers suisses considèrent d’ores et déjà les délits fiscaux comme des infractions sous-jacentes au blanchiment d’argent.3

Lancé le 27 février 2013 par la publication d’un avant-projet de loi fédérale,4 suivi d’un projet du 13 décembre 2013,5 le processus de transposition de ces standards internationaux vient d’aboutir à l’adop- tion, le 12  décembre 2014, de la loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière, révisées en 2012.6 L’extension de la lutte contre le blanchiment d’argent à certaines infrac- tions fiscales n’a pas été le seul point de la révision7 âprement discuté lors de débats parlementaires par-

2 Christoph Suter/Cédric Remund, Neue Vortaten zur Geld- wäscherei im Steuerstrafrecht : welche Konsequenzen für Finanzintermediäre ?, ASA 82 2013/2014 1/2 p.  589  ss, p. 615 s.

3 Cf. Cassani (note 1), p. 14 ss.

4 Avant-projet de loi fédérale sur la mise en œuvre des re- commandations du Groupe d’action financière, révisées en 2012, et rapport explicatif du Département fédéral des finances du 27 février 2013. Pour une analyse de l’avant-pro- jet, cf. Giovanni Molo/Samuele Vorpe/Daniele Galliano, Avant-projets GAFI et révision LBA : nouvelles infractions de droit pénal fiscal et implications pour les intermé- diaires financiers, ASA 82 2013/2014 1/2, p. 3 ss ; Xavier Oberson/Emily Meller, Infractions fiscales et blanchiment d’argent, IFF Forum für Steuerrecht 2013/3, p.  171  ss, p. 178 ss ; Suter/Remund (note 2), p. 599 s. ; Ursula Cas­

sani/Sabine Gless/Regula Echle/Sévane Garibian/Christian Sager, Chronique de droit pénal suisse dans le domaine in- ternational (2012), RSDIE 3/2013, p. 467 ss, p. 468 ss.

5 Projet de loi fédérale sur la mise en œuvre des recomman- dations du Groupe d’action financière, révisées en 2012 (FF 2014 685) ; Message du Conseil fédéral concernant la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), révisées en 2012, du 13 décembre 2013 (FF 2014 585). Pour une analyse du projet, cf. Suter/Re­

mund (note 2), p. 600 ss ; Ursula Cassani/Sabine Gless/Ro­

bert Roth/Christian Sager, Chronique de droit pénal suisse dans le domaine international (2013), RSDIE 3/2014, p. 385 ss, p. 386 ss.

6 FF 2014 9465 ; le délai référendaire expire le 2 avril 2015.

7 Pour un aperçu des autres points de la révision, cf.Ar­

naud Beuret, Das Schweizerische Geldwäschereibekämp- fungsdispositiv und seine Neuerungen, Jusletter 23 février 2015 ; Michael Kunz, Umsetzung der GAFI-Empfehlungen 2012, Jusletter 23 février 2015.

fois fort houleux,8 mais certainement celui qui a reçu le plus grand écho dans les médias et les milieux ban- caires et financiers.

Ce processus de révision de la législation suisse doit être mis en rapport avec d’autres modifications annoncées :

– L’administration fédérale a développé une straté- gie de « conformité fiscale », proposée tout d’abord sous la forme d’un avant-projet de révision de la LBA9 publié le 27 février 2013. Cette proposition a été glissée par la suite dans l’avant-projet de loi fédérale sur les établissements financiers (LEFin) publié le 25  juin 2014,10 dont l’art.  11 met à la char ge des établissements financiers qui accep- tent des valeurs patrimoniales le devoir de véri- fier s’il y a un risque élevé qu’elles n’aient pas été ou ne soient pas fiscalisées.

Le droit pénal fiscal devra faire l’objet d’une révi- sion totale, portant aussi bien sur le droit maté- riel et la procédure. Un avant-projet a été envoyé en procédure de consultation le 29 mai 2013,11 et le projet est annoncé pour fin 2015. Lancée pos- térieurement à la révision visant à la mise en œuvre des standards du GAFI, cette refonte du droit fiscal en est donc indépendante.12

8 Il a fallu trois examens par chacune des Chambres fédé- rales, suivis d’une conférence de conciliation, puis un nou- vel examen, cf. Conseil des Etats (CE) : le 12  mars 2014 (BOCE 2014 156), le 9 septembre 2014 (BOCE 2014 732), le 4 décembre 2014 (BOCE 2014 1177), le 10 décembre 2014 (BOCE 2014 1273) ; Conseil national (CN) : les 18 et 19  juin 2014 (BOCN  2014 1159), le 27  novembre 2014 (BOCN 2014 1965), les 10 décembre 2014 (BOCN 2014 2264) et 11 décembre 2014 (BOCN 2014 2322) ; adoption le 12 décembre 2014 par les deux Chambres). Pour les ré- sumés des délibérations et dépliants, cf. Curia Vista 13.106.

9 Avant-projet de modification de la LBA du 27 février 2013 ; cf. Stratégie concernant la place financière (obligations de diligence étendues pour empêcher l’acceptation de valeurs patrimoniales non fiscalisées). Révision de la loi sur le blan- chiment d’argent, rapport explicatif du 27 février 2013.

10 Loi fédérale sur les services financiers (LSFin), Loi fédérale sur les établissements financiers (LEFin), Rapport explica- tif relatif au projet soumis à la consultation du 25 juin 2014.

11 Rapport explicatif relatif à la loi fédérale sur l’unification du droit fiscal pénal du 29 mai 2013, <http ://www.news.admin.

ch/NSBSubscriber/message/attachments/31619.pdf>.

12 Sur les besoins de réforme en matière de droit pénal fiscal, cf., en particulier, Andreas Donatsch, Steuerstrafrecht  – Hauptprobleme und Lösungsvorschläge, ASA 81 2012/

2013 1/2, p. 1 ss.

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– Enfin, le Conseil fédéral vient d’ouvrir le chan- tier de l’échange international de renseignements en matière fiscale, en lançant deux procédures de consultation le 14 janvier 2015. Le calendrier annoncé est serré, puisque les projets devraient être examinés par les Chambres fédérales dès l’automne 2015.13

II. Blanchiment d’argent et infraction fiscale selon le nouveau droit suisse Le projet de révision relatif à la transposition des re- commandations du GAFI propose des modifications dans plusieurs domaines du droit suisse. La présente contribution se limitera à l’analyse des nouveautés qui touchent le lien entre l’infraction fiscale et la lutte contre le blanchiment d’argent.

1. Elargissement de l’art. 305bis ch. 1 CP aux délits fiscaux qualifiés

Depuis son entrée en vigueur le 1er août 1990, l’art. 305bis CP limitait le blanchiment d’argent aux va- leurs patrimoniales issues d’un crime, par quoi il faut entendre, en vertu de l’art. 10 al. 2 CP, toute infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à trois ans. Par le passé, lorsque la mise en œuvre d’une convention internationale ou des précédentes recom- mandations du GAFI (2003) étendait la lutte contre le blanchiment à une infraction punie jusque-là comme délit, l’exigence internationale se traduisait par la création d’un nouveau crime, en général par l’adjonc- tion d’une circonstance aggravante érigeant des formes qualifiées du délit préexistant en crime.14

L’avant-projet du 27 février 2013 s’inscrivit dans cette tradition, en proposant de doter les délits fis- caux définis aux art. 186 LIFD15 et 59 LHID16 d’aggra-

13 Les documents relatifs à la procédure de consultation sont disponibles via le lien <https ://www.news.admin.ch/

message/index.html ?lang=fr&msg­id=55889>. Pour une ana lyse des enjeux de l’échange automatique de renseigne- ments, cf. Xavier Oberson, Towards Automatic Exchange of Information, dans ce même fascicule de la RSDA, p. 91 ss.

14 Cf. Cassani (note 1), p. 18.

15 Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14  décembre 1990 (LIFD ; RS 642.11).

16 Loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID ; RS 642.14).

vantes passibles de la peine privative de liberté pour cinq ans.

Cette méthode fut abandonnée par le projet du Conseil fédéral, dans le but apparemment de légiférer à droit pénal fiscal constant, sans toucher les infrac- tions fiscales existantes. En lieu et place, le Conseil fédéral proposa d’ériger, pour la première fois, un délit en infraction préalable, en amendant l’art. 305bis ch. 1 CP. Cette proposition fut suivie par les Chambres fé- dérales, de sorte que cet alinéa aura dorénavant la teneur suivante : 

« Celui qui aura commis un acte propre à entraver l’identi- fication de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu’elles provenaient d’un crime ou d’un délit fiscal qualifié, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. »

« Wer eine Handlung vornimmt, die geeignet ist, die Er- mittlung der Herkunft, die Auffindung oder die Einzieh ung von Vermögenswerten zu vereiteln, die, wie er weiss oder annehmen muss, aus einem Verbrechen oder aus einem qualifizierten Steuervergehen herrühren, wird mit Frei- heitsstrafe bis zu drei Jahren oder Geldstrafe bestraft. » Il s’ensuit que, sous l’angle objectif, la valeur patrimo- niale blanchie doit provenir soit de n’importe quel crime, soit d’un délit fiscal qualifié (qualifiziertes Steuervergehen ; delitto fiscale qualificato). Sous l’angle subjectif, cette provenance doit être englobée dans l’intention de l’auteur du blanchiment d’argent, au moins sous la forme du dol éventuel.

L’inclusion de délits dans les infractions préa- lables constitue une rupture nette avec la tradition ju­

ridique suisse, dont la portée est toutefois limitée à la fraude en matière de fiscalité directe.17

2. Définition du délit fiscal qualifié

La notion de délit fiscal qualifié est définie à l’art. 305bis ch. 1bis CP, dont la teneur est la suivante :

« Sont considérées comme un délit fiscal qualifié, les infrac- tions mentionnées à l’art. 186 de la loi fédérale du 14 dé- cembre 1990 sur l’impôt fédéral direct et à l’art. 59, al. 1, 1er paragraphe, de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des com- munes, lorsque les impôts soustraits par période fiscale se montent à plus de 300 000 francs. »

17 Message, FF 2014 603.

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« Als qualifiziertes Steuervergehen gelten die Straftaten nach Artikel  186 des Bundesgesetzes vom 14.  Dezember 1990 über die direkte Bundessteuer und nach Artikel 59 Absatz 1 erstes Lemma des Bundesgesetzes vom 14. Dezem- ber 1990 über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, wenn die hinterzogenen Steuern pro Steuerperiode mehr als 300 000 Franken be- tragen. »

En exigeant que l’usage de faux aboutisse à la sous- traction d’un impôt de 300 000 francs, l’art.  305bis ch.  1bis CP indique qu’il ne suffit pas que l’usage de faux ait eu pour but de tromper l’administration fis- cale. Il doit, en outre, avoir eu pour résultat une sous­

traction d’impôt consommée au sens des art. 175 LIFD ou 56 LHID.

La définition suisse de l’infraction préalable au blanchiment est extrêmement restrictive.

a) Limitation aux impôts sur les revenus et la fortune La première limitation réside dans le fait que la défi- nition prend appui sur l’infraction d’usage de faux au sens de l’art.  186 LIFD  et celle de fraude fiscale au sens de l’art. 59 al. 1, 1er paragraphe LHID. Il en dé- coule qu’elle est limitée à la fraude en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, par opposition à d’autres impôts, par exemple sur les successions et les donations.

b) Modus operandi : limitation à la fraude commise par l’usage d’un faux et exclusion d’autres formes de tromperie astucieuse

Sous l’angle du modus operandi aussi, la solution re- tenue par le législateur suisse est très étroite. Pour qu’une infraction au sens des art. 186 LIFD et 59 al. 1, 1er paragraphe LHID entre en considération, l’auteur doit avoir intentionnellement fait usage d’un faux dans les titres matériel ou intellectuel vis-à-vis de l’autorité fiscale (ou dans le cadre de la procédure de recours), dans le but de commettre une soustraction d’impôt. L’exigence de l’usage d’un faux restreint considérablement l’infraction par rapport à ce qui pré­

vaut dans les législations étrangères, qui n’établissent en général pas la distinction entre la fraude et la sous- traction qui caractérise le droit suisse.

Par ailleurs, en adhérant au modèle du faux (Urkundenmodell), par opposition au modèle de l’as­

tuce (Arglistmodell), cette définition se révèle aussi plus restrictive que celle proposée dans l’avant-projet, qui juxtaposait les deux modèles. La notion de trom- perie astucieuse, utilisée notamment dans la défini-

tion de l’escroquerie de droit commun (art. 146 CP) et de l’escroquerie en matière de contributions indi- rectes (art. 14 DPA), inclut l’usage de faux mais aussi d’autres hypothèses de tromperies difficilement dé- tectables par l’administration abusée. D’autres formes d’astuce auraient donc pu être prises en compte, à l’instar du recours à des sociétés offshore comme prête-noms, sans « das Spiel der juristischen Person zu spielen », pour emprunter la formule du Tribunal ad- ministratif fédéral dans son arrêt Credit Suisse du 5 avril 2012.18

En matière de fiscalité directe, la prise en compte de l’astuce aurait nécessité une modification des lois fiscales. Le législateur suisse a préféré y renoncer dans le cadre de la mise en œuvre des recommanda- tions révisées du GAFI, tout en renvoyant à la révision ultérieure du droit pénal fiscal. L’avant-projet précité relatif à la loi fédérale sur l’unification du droit fiscal pénal du 29 mai 201319 était sur ce point identique à l’avant-projet de la révision GAFI et proposait égale- ment un crime juxtaposant les modèles de l’astuce et du faux. Cette proposition plus incisive ayant été écartée provisoirement seulement afin de ne pas empiéter sur la révision du droit pénal fiscal,20 elle pourra de nou- veau être examinée dans ce cadre.

En l’état actuel du droit suisse, l’art. 186 LIFD  – et par conséquent le délit fiscal qualifié –, est appli- cable lorsque l’auteur fait usage « de titres faux, falsi- fiés ou inexacts quant à leur contenu, tels que des livres comptables, des bilans, des comptes de résultat ou des certificats de salaire et autres attestations de tiers dans le dessein de tromper l’autorité fiscale » (« gefälschte, verfälschte oder inhaltlich unwahre Urkunden wie Geschäftsbücher, Bilanzen, Erfolgs- rechnungen oder Lohnausweise und andere Be schei- nigungen Dritter »). L’art.  59 al.  1, 1er paragraphe LHID est plus succinct et se contente de mentionner des titres faux, falsifiés ou inexacts.

Selon la définition générale découlant de l’art. 110 al. 4 CP, le titre est un écrit, signe ou enre- gistrement sur des supports de données21 ou d’images qui est destiné et propre à prouver un fait ayant une portée juridique. La mention de titres faux, falsifiés ou inexacts rappelle la distinction, établie dans le

18 TAF, A-737/2012 du 5 avril 2012, consid. 7.5.5.

19 Note 11 supra.

20 Message, FF 2014 592.

21 Selon la jurisprudence récente du TF, un e-mail peut être un titre (ATF 138 IV 209).

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cadre de l’art. 251 CP, entre le faux dans les titres ma­

tériel (« unechte Urkunde »), soit le titre faux ou falsi- fié, établi sous un faux nom ou manipulé par une per- sonne qui n’apparaît pas comme son auteur, et le faux intellectuel (« unwahre Urkunde »), qui émane bien de la personne qui apparaît comme son auteur, mais dont le contenu est inexact. Les art. 186 LIFD et 59 al. 1, 1er paragraphe LHID sont donc applicables aussi lorsque le contribuable produit un faux intellectuel établi par lui-même ou un tiers.

Toutefois, n’importe quel mensonge écrit n’est pas un faux dans les titres ; selon les principes juris- prudentiels développés à propos de l’art. 251 CP, il faut qu’il émane du document une capacité accrue de convaincre, parce qu’il présente des garanties objec- tives de la véracité de son contenu, pour que l’hypo- thèse du faux intellectuel dans les titres entre en considération. C’est le cas, par exemple, du faux bilan et de la fausse comptabilité22 et des fausses factures destinées à la comptabilité,23 d’une fausse déclara- tion sur l’ayant droit économique d’un compte (for- mulaire A de l’ASB),24 ou encore d’un document éta- bli par une personne jouissant d’une confiance parti- culière, par exemple une lettre émanant d’un banquier et donnant une information fausse sur la position du compte.25

Ces principes sont dans l’ensemble pertinents aussi pour l’interprétation des art.  186 LIFD  et 59 al. 1, 1er paragraphe LHID ; toutefois, ils ne sauraient être repris sans aucun examen critique. Ainsi, la juris- prudence du Tribunal fédéral à propos du faux de droit commun (art. 251 CP) dénie au certificat de sa- laire contraire à la vérité la qualité de faux intellec- tuel.26 Les certificats de salaire et autres attestations de tiers inexacts quant à leur contenu étant expressé-

22 ATF 132 IV 12 ; 129 IV 130 ; 125 IV 17 ; 122 IV 25.

23 ATF 138 IV 130 (etc.).

24 Arrêts non publiés du TF, 6B_844/2011 du 18 juin 2012, consid. 2.2 ; 6S.293/2005 du 24 février 2006, publié in : SJ 2006 I p. 309 ; 6S. 346/1999 du 30 novembre 1999, in : SJ 2000 I p. 234.

25 ATF 120 IV 361.

26 Arrêts non publiés du TF, 6B_ 382/2011 du 26 septembre 2011, consid. 2.2 ; 6B_827/2010 du 24  janvier 2011 consid. 4.5.3 ; 6B_101/2009 du 14 mai 2009 consid. 3.3 ; 6S.423/2003 du 3 janvier 2004 consid. 4.3 et ATF 118 IV 363 (décompte de salaire).

ment mentionnés en matière fiscale (art. 186 LIFD), cette restriction ne saurait s’appliquer.27

Le contribuable qui se contente de fournir des renseignements inexacts ou incomplets sur sa décla­

ration d’impôt, sans y joindre des titres faux, ne se rend pas coupable d’usage de faux ou de fraude fis- cale, mais de soustraction d’impôt tentée ou consom- mée. Le blanchiment d’argent est donc exclu, même si l’avantage obtenu dépasse le seuil quantitatif dé- coulant de l’art. 305bis ch. 1bis CP.

c) Seuil quantitatif

L’art. 305bis ch. 1bis CP restreint encore le champ d’ap- plication du blanchiment en matière fiscale en exi- geant que l’impôt soustrait par période fiscale se monte à plus de 300 000 francs. Le Conseil fédéral avait pro- posé de fixer ce seuil à 200 000 francs. Le Conseil na- tional, quant à lui, avait décidé lors de la session de juin d’introduire l’exigence que l’auteur ait obtenu

« un ou plusieurs remboursements d’impôt se montant à plus de 200 000 francs par période fiscale ». Lors de sa séance du 27  novembre 2014, il s’est rallié à la solution proposée par le Conseil des Etat, se référant aux impôts soustraits et fixant le seuil à 300 000 francs.28

L’introduction d’une valeur minimale a pour but de limiter le champ d’application de la norme. Toute- fois, ni la fixation initiale du seuil ni le relèvement de celui-ci à 300 000 francs décidé lors des travaux par- lementaires n’ont fait l’objet d’une argumentation de fond, sur la base de critères explicités. La limite choi- sie paraît très élevée. Certes, le principe de la propor- tionnalité interdit d’appliquer le système de la lutte contre le blanchiment d’argent à des cas de bagatelle.

Il est toutefois difficile de considérer que l’application de la règle de minimis non curat praetor justifie que le curseur soit placé à un montant aussi élevé. A titre de comparaison, la limite de l’infraction préalable est franchie, en matière d’escroquerie de droit commun, dès que le montant de 300 francs définissant l’infrac-

27 Arrêt non publié du TF, 6B_101/2009, consid. 3.3 et 3.4 ; Andreas Donatsch, in : Martin Zweifel/Peter Athanas (édit.), Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht I/2b, Bun- desgesetz über die direkte Bundessteuer (DBG), 2e éd., Bâle 2008, Art.  186 DBG N  8, 26, 31 ; Suter/Remund (note 2), p. 606.

28 BOCN 2014 1983.

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tion de peu d’importance au sens de l’art. 172ter CP est dépassé.

En matière de délit fiscal qualifié, le franchisse- ment du seuil de 300 000 francs se détermine à la lu- mière des principes suivants :

C’est le montant d’impôt soustrait et non l’assiette imposable qui est déterminant, contrairement à la solution proposée dans l’avant-projet, qui limi- tait le crime préalable aux cas dans lesquels les éléments imposables non déclarés se montent à 600 000 francs au moins.

Il s’agit de calculer le montant total de l’avantage effectivement obtenu par le contribuable grâce à la fraude commise au moyen d’un ou de plusieurs faux, en tenant compte de sa situation fiscale concrète, et cela lors de la même période fiscale d’un an.

L’appréciation du critère quantitatif censé restreindre le champ d’application du blanchiment d’argent peut se révéler difficile pour les intermédiaires financiers qui doivent se déterminer sur l’existence d’un éven- tuel devoir de communication. En effet, les multiples paramètres entrant en compte pour calculer le mon- tant de l’avantage fiscal retiré de la fraude risquent bien de leur échapper en grande partie. Par ailleurs, il se peut que l’intermédiaire financier sache qu’un compte n’est pas déclaré mais qu’il n’ait qu’une vision partielle de la situation parce que la fraude du contri- buable a permis de soustraire d’autres montants dont l’intermédiaire financier n’a pas connaissance.

3. Crime préalable en matière de fiscalité indirecte

En matière de fiscalité indirecte, le droit issu de la mise en œuvre des précédentes recommandations du GAFI datant de 2003 avait déjà introduit un crime à l’art. 14 al. 4 DPA, dont la portée était toutefois limi- tée à la contrebande aggravée. La révision actuelle a élargi cette disposition, de manière à abandonner l’exigence d’un trafic transfrontière. Dès lors, d’autres escroqueries en matière de contributions indirectes deviennent des crimes préalables au blanchiment d’argent.

Même si la question revêtait manifestement une importance secondaire par rapport à celle des infrac- tions préalables en matière de fiscalité directe, la dé- finition de l’infraction proposée par le Conseil fédéral fit l’objet de débats. La Chambre haute ayant suivi la

proposition gouvernementale, le Conseil national préconisa, dans un premier temps, une solution limi- tant le crime d’escroquerie dans les contributions in- directes aux cas dans lesquels l’auteur obtient un remboursement d’impôt supérieur à 200 000 francs, avant de se rallier, lui aussi, à la proposition du Conseil fédéral.29

Dès lors, l’art. 14 al. 4 DPA issu de la révision a la teneur suivante :

« Celui qui, par métier ou avec le concours de tiers, se sera procuré ou aura procuré à un tiers un avantage illicite par­

ticulièrement important ou aura porté atteinte de façon par­

ticulièrement importante aux intérêts pécuniaires ou à d’autres droits des pouvoirs publics en commettant une infraction au sens des al. 1 ou 2 dans les domaines des con- tributions ou des douanes, sera puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire est également prononcée. »

« Wer gewerbsmässig oder im Zusammenwirken mit Dritten Widerhandlungen nach Absatz 1 oder 2 in Abgaben- oder Zollangelegenheiten begeht und sich oder einem andern dadurch in besonders erheblichem Umfang einen unrecht­

mässigen Vorteil verschafft oder das Gemeinwesen am Ver- mögen oder an andern Rechten besonders erheblich schä­

digt, wird mit Freiheitsstrafe bis zu fünf Jahren oder Geldstrafe bestraft. Mit der Freiheitsstrafe ist eine Geld- strafe zu verbinden. »

La contrebande aggravée continuera à être couverte par l’art. 14 al. 4 DPA, à condition d’avoir procuré à l’auteur ou à un tiers un avantage illicite particulière- ment important ou porté atteinte de façon particuliè- rement importante aux intérêts patrimoniaux ou aux droits des pouvoirs publics. Par ailleurs, selon le Mes- sage du Conseil fédéral, la disposition sera « égale- ment applicable à l’impôt anticipé ou aux droits de timbre. Elle visera aussi la TVA sur les livraisons réa- lisées sur territoire suisse ainsi que sur les prestations de services, ou encore l’impôt sur l’alcool, la bière et le tabac perçu sur la fabrication en Suisse, etc. »30

S’agissant d’une circonstance aggravante des in- fractions décrites aux deux premiers alinéas de l’art.  14 DPA, il faut que soient réunis les éléments constitutifs des infractions de base (escroquerie en matière de prestations et de contributions ; Leistungs- und Abgabebetrug). Il faut donc notamment que l’au- teur ait astucieusement trompé l’administration fis-

29 BOCN 2014 1983.

30 FF 2014 604.

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cale. L’élément constitutif de l’astuce englobe les ma- chinations astucieuses impliquant l’usage d’un faux, mais vise aussi d’autres hypothèses de tromperies difficilement décelables.31

La définition de l’infraction préalable se veut, ici encore, restrictive.

L’auteur doit avoir agi par métier ou avec le con­

cours de tiers. Le métier est une circonstance aggra- vante classique, retenue par la jurisprudence lorsque l’auteur a agi au moins deux fois et qu’il est prêt à re- commencer à un nombre indéterminé de reprises, dès que se présente une occasion favorable, dans le dessein de tirer des revenus de son activité délictueuse.

Il faut, en outre, que l’auteur conduise son activité dé- lictueuse de manière professionnelle, que ce soit sous l’angle du temps et des moyens consacrés, de la fré- quence des actes commis ou de l’importance des re- venus qu’il vise à obtenir ou qu’il a effectivement ob- tenus.32 L’activité délictueuse peut toutefois prendre l’ampleur d’une profession seulement accessoire.33

La commission avec le concours de tiers ne consti- tue, quant à elle, pas une circonstance aggravante classique en droit suisse et diffère de la notion de bande employée notamment en matière de vol et de brigandage, de trafic de stupéfiants, de blanchiment d’argent ou dans la définition de la contrebande ag- gravée selon la version de l’art.  14 al.  4 DPA anté- rieure à la révision. Contrairement à celle de bande, la notion de concours de tiers n’implique pas l’idée d’une équipe (team) formée pour commettre une plu- ralité d’infractions. Le Message précise néanmoins que « [l]’élément qualifiant ‹ avec le concours de tiers › vise à souligner le fait que les auteurs planifient systé- matiquement leurs agissements, chacun contribuant de manière essentielle à la planification, à la prépara- tion ou à la réalisation de l’infraction. Ils concourent ainsi à la commission de l’infraction en tant que coau- teurs ».34 A la différence aussi de ce qui vaut pour la bande, qui peut être formée de deux coauteurs, l’in- terprétation littérale de l’expression « avec le con cours de tiers » (« im Zusammenwirken mit Dritten » ; « in

31 FF 2014 651 ; cf. 2 b (supra).

32 Critère introduit par l’ATF 116 IV 319 (en particulier consid. 3 et 4).

33 ATF 116 IV 319 consid. 4b ; 123 IV 113 consid. 2b et 2c ; Suter/Remund (note 2), p. 613.

34 FF 2014 IV 654.

collaborazione con terzi ») conduit à l’exigence d’un nombre minimum de trois coauteurs.35

L’art. 14 al. 4 DPA contient, par ailleurs, des cri­

tères quantitatifs très indéterminés, en exigeant que l’auteur se soit procuré ou ait procuré à un tiers « un avantage illicite particulièrement important » ou ait

« porté atteinte de façon particulièrement importante aux intérêts pécuniaires ou à d’autres droits des pou- voirs publics ». Le Message précise, à propos de la no- tion d’avantage illicite particulièrement important, que la précision de cette notion est volontairement laissée au soin de la jurisprudence, « compte tenu des spécificités de l’activité déployée, du marché et des différents taux applicables aux impôts, taxes et droits visés »36. L’exigence que l’avantage illicite soit « parti- culièrement  important » est néanmoins censée indi- quer que l’avantage doit être supérieur à ce qui est exigé pour le délit défini à l’art. 14 al. 2 DPA. Ce der- nier se réfère à un montant soustrait « important », critère que la jurisprudence du Tribunal fédéral es- time rempli à partir de 15 000 francs.37

Il est rappelé qu’au regard de la jurisprudence du Tribunal fédéral, la fraude à la TVA de type carrousel constitue une escroquerie au sens du droit commun (art.  146 CP),38 soit un crime préalable au blanchi- ment d’argent auquel les éléments restrictifs énoncés ci-dessus ne s’appliquent pas.

4. Devoirs des intermédiaires financiers et négociants relatifs aux infractions préalables de nature fiscale

a) Extension des devoirs de diligence en vertu de la LBA aux nouvelles infractions préalables De manière logique, les devoirs incombant aux inter- médiaires financiers en vertu de la LBA sont étendus aux délits fiscaux qualifiés. Le soupçon de prove- nance des avoirs d’une telle infraction déclenche donc le devoir de communication (art. 9 al. 1 lit. a ch. 2 LBA), de même d’ailleurs que le droit de communica-

35 Contra : Molo/Vorpe/Galliano (note 4), p. 16 envisagent le concours d’un seul tiers, sur la base l’avant-projet de la ré- vision et du rapport explicatif y relatif (p. 57 s.).

36 FF 2014 653.

37 Arrêt du TF, 6B 79/2011 du 5  août 2011, consid. 6.3.4 ; Message, FF 2014 653 ; Molo/Vorpe/Galliano (note 4), p. 9.

38 TF, 1A.297/2005 du 13 janvier 2006, consid. 3 ; TF, 1C.59/

2009 du 26 février 2009, consid. 1.3 ; TPF 2007 150 (19 no- vembre 2007). 

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tion, l’art.  305ter al.  2 CP étant également amendé dans le même sens. Par ailleurs, le devoir de clarifica- tion s’étend aux indices de provenance d’un délit fis- cal qualifié (art. 6 al. 2 lit. b LBA). 

Il va de soi que les devoirs de diligence, ainsi que le droit et le devoir de communication, s’étendent aussi au crime réprimé à l’art. 14 al. 4 DPA.

b) Extension aux négociants

Il convient de noter, par ailleurs, que les Chambres fédérales ont décidé, à la fin du processus législatif, d’introduire une solution proposée par le Conseil des Etats lors de la troisième lecture du texte, étendant les obligations de vigilance antiblanchiment aux né­

gociants qui acceptent des espèces pour un montant su­

périeur à 100 000 francs. Sont des négociants, les

« personnes physiques ou morales qui, à titre profes- sionnel, négocient des biens et reçoivent des espèces en paiement » (art. 2 al. 1 lit. b LBA nouveau). En ver- tu du nouvel art. 8a al. 1 et 2 LBA, ces négociants au- ront le devoir d’identifier le cocontractant et l’ayant droit économique, de conserver les documents rela- tifs à ces opérations et de clarifier l’arrière-plan éco- nomique si l’opération paraît inhabituelle ou si « des indices laissent supposer que des valeurs patrimo- niales proviennent d’un crime ou d’un délit fiscal qua- lifié au sens de l’art. 305bis, ch.1bis, CP […] ». Ces obli- gations n’existent pas si les paiements dépassant 100 000 francs sont effectués par le biais d’un inter- médiaire financier (art.  8a al.  4 LBA). Par ailleurs,

« [l]e Conseil fédéral précise les obligations définies aux al. 1 et 2 et en règle les modalités d’application » (art. 8a al. 5 LBA).

Les négociants sont également soumis à l’obliga- tion de communication, y compris en cas de délit fis­

cal qualifié (art. 9 al. 1bis LBA), et à l’interdiction d’in- former les personnes concernées ou les tiers du fait qu’une communication a été faite (art. 10a al. 5 LBA).

Ces dispositions ne contiennent pas de clauses analo­

gues à l’art. 8a al. 4 LBA, de sorte qu’elles semblent s’ap­

pliquer aussi si aucun paiement dépassant 100 000 francs n’est effectué.

Les négociants sont donc maintenant chargés, eux aussi, de tâches dans la lutte contre le blanchi- ment d’argent, y compris en matière fiscale. Le Conseil fédéral avait proposé d’interdire les opérations en es- pèces dépassant 100 000 francs, de manière à obliger les parties à passer par des intermédiaires financiers, ce qui aurait obligatoirement soumis les transferts

supérieurs à cette somme aux contrôles usuels dans le domaine bancaire et financier. Cette solution a été abandonnée dans le cadre de la procédure de concilia- tion. Toutefois, les négociants sont libres de renoncer à accepter des espèces supérieures à 100 000 francs, ce qui leur permet d’échapper aux nouveaux devoirs de vigilance mais non, semble-t-il, au devoir de com- munication.

Pour le surplus, les négociants qui choisissent d’accepter des montants en espèces excédant 100 000 francs ne sont pas intégrés dans le système institution­

nel mis en place par la LBA et ne sont donc pas affiliés à un organisme d’autorégulation ni soumis à la sur- veillance de la FINMA. Le respect des obligations de diligence ne fait pas l’objet d’une surveillance ou d’un contrôle administratif. Il est vérifié par un organe de révision que le négociant est tenu de mandater (art. 15 al. 1 LBA), à défaut de quoi il se rend punis- sable au regard de l’art. 38 LBA. L’organe de révision adresse son rapport sur le respect des obligations de diligence anti-blanchiment à l’organe responsable du négociant (art. 15 al. 4 LBA) ; par ailleurs, il doit pré- venir immédiatement le bureau de communication (MROS) si le négociant ne remplit pas son obligation de communiquer (art. 15 al. 5 LBA).

La violation du devoir de communiquer du négo- ciant tombe sous le coup de l’art.  37 LBA. En effet, cette disposition, qui n’a pas été modifiée, vise « celui qui » viole le devoir de communication et n’est donc pas limitée aux intermédiaires financiers. En revan che, la référence claire à l’art.  9 LBA contenue à l’art.  37 LBA semble exclure l’application de la sanction au ré- viseur, qui ne communique pas ses soupçons sur cette base, mais « prévient » le bureau de communication sur la base de l’art. 15 LBA. L’organe de révision occu- pant une position de garant du fait de son devoir juri- dique de contrôle et d’information du MROS, on peut imaginer néanmoins qu’il puisse répondre de blan- chiment d’argent (art.  305bis CP) par omission s’il reste inactif, alors qu’il se rend compte que le négo- ciant commet du blanchiment.

c) Modification du système de communication Il convient de noter, par ailleurs, que les règles en ma- tière de communication de soupçons subissent des modifications substantielles qui s’étendront aux in- fractions fiscales érigées en infraction préalable.

La révision met fin au couplage automatique entre communication et blocage des avoirs, dans le

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but d’éviter d’alerter le client.39 En effet, l’intermé- diaire financier qui communique des soupçons en vertu de l’art. 9 al. 1 lit. a LBA ou de l’art. 305ter al. 2 CP exécute les instructions du client pendant la durée de l’analyse effectuée par le bureau de communica- tion (art. 9a LBA). Le bureau de communication dis- pose de 20 jours ouvrables pour se déterminer (art. 23 al. 5 LBA), au lieu du délai plus court de cinq jours dont il disposait selon la LBA de 1997. Aucun délai n’est prévu lorsque la communication se fait sur la base de l’art. 305ter al. 2 CP (art. 23 al. 6 LBA).

Le blocage des valeurs patrimoniales n’intervient qu’à partir du moment où le bureau de communica- tion notifie à l’intermédiaire financier qu’il a transmis les informations à une autorité pénale (art. 10 al. 1 LBA). Il est maintenu jusqu’à réception d’une déci- sion de l’autorité de poursuite pénale, mais au maxi- mum pendant cinq jours ouvrables (art. 10 al. 2 LBA).

III. Analyse

La novelle soulève un grand nombre de questions.

Nous tenterons de répondre à quatre d’entre elles, qui nous semblent fondamentales : à quel moment le blanchiment peut-il être commis ? Sur quelle valeur patrimoniale porte-t-il ? Quelle est la définition dé- terminante lorsque l’infraction fiscale préalable a été commise à l’étranger ? A partir de quand les nouvelles règles s’appliquent-elles ?

1. A quel moment l’infraction de blanchiment d’argent peut-elle être commise ?

Comme explicité ci-dessus, l’infraction fiscale quali- fiée se caractérise comme un usage de faux, doublée d’une soustraction d’impôt consommée ayant permis à l’auteur d’obtenir un avantage supérieur à 300 000 francs. L’usage de faux est une infraction formelle, consommée dès que l’auteur présente un titre faux à l’autorité fiscale, alors que la soustraction d’impôts est un délit matériel, consommé au moment où l’au- teur obtient un avantage.

Il en découle un décalage temporel entre le mo- ment de l’usage du faux et celui où le délit fiscal qua-

39 Par exception à ce qui vient d’être décrit, il y a blocage im- médiat dans l’hypothèse d’une communication sur la base de données transmises par l’autorité de surveillance ou d’autorégulation (art. 9 al. 1 lit. c et art. 10 al. 1bis LBA).

lifié est consommé par l’obtention de l’avantage.

L’usage de faux est commis au moment de la déclara- tion d’impôt, soit l’année qui suit l’obtention du reve- nu ou l’existence de l’élément de fortune dissimulées, alors que l’avantage, quant à lui, ne se matérialise qu’à l’entrée en force de la taxation incomplète.

Le blanchiment d’argent ne peut être commis que sur l’avantage effectivement obtenu par le contri- buable par la soustraction consommée. Des tentatives de blanchiment d’argent antérieures à l’obtention de l’avantage nous paraissent, par ailleurs, difficilement concevables. Pour prendre un exemple, l’ouverture d’un compte aux fins de blanchir l’avantage obtenu ultérieurement nous paraît relever de l’acte prépara- toire non punissable.

De la même manière, le devoir de communica- tion ne naît qu’à partir du moment où il existe un avantage obtenu suite à la taxation erronée ou in- complète. Il se peut donc que l’intermédiaire finan- cier ait en mains un élément patrimonial dont il sait qu’il ne sera ou n’est pas déclaré, sans qu’un avantage susceptible d’être blanchi et de déclencher une éven- tuelle communication ne soit encore obtenu. La si- tuation inconfortable dans laquelle il se trouve dans l’intervalle nécessite donc la définition d’autres règles de comportement en relation avec les avoirs défiscali- sés, relevant non pas de la lutte contre le blanchiment d’argent mais des exigences découlant de la garantie d’une activité irréprochable (« conformité fiscale »).

2. Quelle est la valeur patrimoniale blanchie ? La révision reste fidèle à la définition traditionnelle du lien qui doit exister entre l’infraction préalable et la valeur susceptible d’être blanchie. La valeur doit provenir de l’infraction en amont. Par ailleurs, la défi- nition du blanchiment comme acte propre à entraver la confiscation (art. 70 CP) est également maintenue.

Il faut donc, selon la jurisprudence40 et la doctrine41,

40 ATF 129 II 453, consid. 4.1 ; 137 IV 79, consid. 3.2, etc.

41 Jürg­Beat Ackermann, Geldwäschereistrafrecht, in : Jürg- Beat Ackermann/Günter Heine (éd.), Wirtschaftsstrafrecht der Schweiz, Berne 2013, § 15 N 46 ; Florian Baumann, in : Marcel A. Niggli/Hans Wiprächtiger (éd.), Basler Kom- mentar, Strafgesetzbuch I, 3e éd., Bâle 2013, art.  70/71 N 29 ; Mark Pieth, in : Marcel A. Niggli/Hans Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, 3e éd., Bâle 2013, art. 305bis N 27 ss ; Günter Stratenwerth/Felix Bom­

mer, Schweizerisches Strafrecht, BT II, 7e éd., Berne 2013,

§ 57 N 28.

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de même d’ailleurs que le Message du Conseil fédé- ral42, que la valeur patrimoniale blanchie découle de manière causale de l’infraction en amont et qu’elle soit encore identifiable comme le résultat de cette infrac- tion. Il ne saurait s’agir de l’élément patrimonial non fiscalisé, dont la source causale est en général licite ; c’est l’avantage fiscal soustrait au moyen de l’usage de faux qui découle causalement du délit fiscal qualifié.

Cette exigence fait naître un grand nombre de difficultés et de controverses. En effet, dans la très grande majorité des cas, l’avantage fiscal issu de l’usage d’un faux vis-à-vis de l’administration fiscale se présente comme une économie d’impôt et non un montant remboursé.

Or, selon une partie de la doctrine à la suite de Niklaus Schmid,43 à laquelle nous adhérons,44 les montants économisés grâce à la commission d’une in- fraction ne sont pas susceptibles de confiscation et, par conséquent, de blanchiment d’argent. Lorsqu’une économie est réalisée, sa contrevaleur peut donner lieu à une créance compensatrice au sens de l’art. 71 CP, soit à la mesure qui peut être exécutée sur l’inté- gralité du patrimoine de l’auteur, sans égard à l’exis- tence d’un lien de provenance de l’infraction en amont. Or, l’entrave à l’exécution de la créance com- pensatrice ne constitue pas un acte de blanchiment, sous peine de considérer le patrimoine tout entier de l’auteur comme contaminé.

Toutefois, le Tribunal fédéral45 et une partie crois­

sante de la doctrine46 sont d’un autre avis et retiennent

42 Message, FF 2014 606.

43 Niklaus Schmid, Kommentar Einziehung, organisiertes Verbrechen, Geldwäscherei, vol. I, 2e éd., Zurich 2007, art. 70–72 N 53 ; Ackermann (note 41), § 15 N 45 ; Bau­

mann (note 41), art. 70/71 N 29 ; Florian Baumann, Geld- wäscherei in Fiskalsachen – Versuch am untauglichen Ob- jekt ?, in : Jürg-Beat Ackermann/Marianne Johanna Hilf (éd.), Geldwäscherei  – Asset Recovery, Zurich 2012, p. 105 ss, p. 111 s., p. 121 ; Donatsch (note 12), p. 10 ; Da­

niel Holenstein, Umsetzung der revidierten Empfehlungen der FATF/GAFI : Qualifizierter Steuerbetrug soll Geld- wäschereivortat werden, Steuer Revue/Revue fiscale 68 (2013) p. 252, p. 255.

44 Cassani (note 1), p. 21 ss.

45 ATF 137 IV 145, consid. 6.2 et 6.3 ; 120 IV 365, consid. 1d ; 119 IV 10, consid. 4bb ; TF, 1B_166/2008 du 17 décembre 2008, consid. 5.2 ; ambigu : TF, 1S.6/2005 du 26  sep- tembre 2005, consid. 7.

46 Jürg­Beat Ackermann/Gabriella D’Addario Di Paolo, Krimi- nelle Organisation als Geldwäschereivortat ?, forumpoe- nale (2010), p. 177 ss, p. 178 (cf. toutefois l’opinion con- traire du premier des coauteurs citée note 43) ; Giovanni

qu’une non­dépense déterminable arithmétiquement peut être confisquée. Cette interprétation large sou- lève un problème plus épineux encore, soit celui de la localisation de l’avantage. A supposer que la confisca- tion d’une non-dépense soit possible, où cette der- nière se trouve-t-elle dans le patrimoine de l’auteur ? En toute logique, il devrait s’agir du lieu où se trouve l’actif dont la valeur aurait diminué si l’auteur avait dé­

claré et payé ses impôts de manière correcte. Or, il est difficile d’imaginer qu’un contribuable paie ses im- pôts par le biais d’un compte au noir, quitte à en révé- ler l’existence à l’administration fiscale. Ce sera donc vraisemblablement sur un compte déclaré, ouvert dans le pays d’établissement du contribuable, que l’écono- mie d’impôt imputable à la fraude se concrétisera.

L’établissement bancaire qui détient les avoirs dissi- mulés au fisc ne détient donc, selon toute vraisem- blance, pas un avantage issu de l’infraction et ne s’ex- pose, par conséquent, ni au devoir de communication ni au risque d’être accusé de blanchiment.47

Il en irait différemment, bien entendu, si une rete­

nue d’impôts devait être opérée directement sur ce compte, pour autant bien sûr que le montant global de l’avantage obtenu par le contribuable grâce à l’usage de faux pendant la même année fiscale soit supérieur à 300 000 francs.

Le Conseil fédéral semble être parfaitement conscient de ces difficultés, puisqu’il exige dans son Message une localisation suffisante de l’avantage ob- tenu,48 sans toutefois proposer de critères ni indiquer quelles conséquences il convient d’en tirer. Suter et Remund exigent une connexité entre l’économie réa- lisée et le bien non déclaré et proposent d’introduire la fiction selon laquelle les valeurs se trouvant sur le compte non déclaré sont considérées, pro rata à l’im- pôt éludé, comme issues de l’infraction, mais à partir

Molo/Daniele Galliano, L’introduction du blanchiment fis- cal dans le domaine de la fiscalité directe, Jusletter 23 fé- vrier 2015, Rz 18 ; Günter Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, AT II, 2e éd., Berne 2006, § 13 N 87, 94 ; Ma­

deleine Hirsig­Vouilloz, in : Robert Roth/Laurent Moreillon, Commentaire Romand I, art. 70 N 14 ; René Matteotti/Se­

lina Many, Erhöhung der Strafrisiken für Banken und ihre Mitarbeiter infolge Einführung der Steuergeldwäscherei, Jusletter 23  février 2015, Rz 6 ; Stefan Trechsel/Marc Jean­Richard­dit­Bressel, in : Stefan Trechsel/Mark Pieth (éd.), Schweizerisches Strafgesetzbuch. Praxiskommen- tar, 2e éd., Zurich 2013, art. 70 N 2.

47 Même résultat : Matteotti/Many (note 46), Rz 7.

48 FF 2014 606.

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seulement du moment de la consommation de la soustraction.49 Pour les motifs déjà évoqués, nous ne partageons pas cette interprétation.

La solution proposée par le Conseil national, consistant à exiger un remboursement d’impôt de plus de 200 000 francs, sur lequel aurait porté le blanchiment d’argent, tranchait clairement en faveur d’une interprétation très restrictive. La valeur issue du remboursement d’impôt provenant de l’adminis- tration fiscale aurait été identifiable sans difficulté, et le blanchiment aurait pu porter sur les valeurs de remplacement, aussi longtemps qu’il aurait été pos- sible d’en suivre le « paper trail ». Cette interprétation aurait évité l’incertitude juridique relative à la construction du lien de provenance, mais il aurait aussi confiné la répression à des cas rares et plutôt atypiques de fraude fiscale, ce qui a conduit la repré- sentante du Conseil fédéral lors de débats du Conseil national à douter de sa compatibilité avec les recom- mandations du GAFI.50

Une autre solution envisageable aurait consisté à introduire une clause selon laquelle l’infraction de blanchiment d’argent peut aussi être commise par la dissimulation du bien non fiscalisé. Cette voie, que nous avons évoquée dans notre contribution écrite en 2012 dans une perspective de lege ferenda,51 a été em- pruntée par le législateur allemand, mais unique- ment en matière de fraude douanière. Le § 261 al. 1, 2e phrase StGB précise, en effet, que le blanchiment d’argent peut être commis, en cas de soustraction fis- cale, sur les montants économisés (« ersparte Auf- wen dungen ») et les montants remboursés (« Steuer- erstattungen und -vergütungen »), ainsi que, dans les cas de la fraude douanière, sur l’objet pour lequel l’impôt a été soustrait. L’ancrage d’une telle clause dans l’art.  305bis CP aurait clarifié la situation juri- dique en contournant l’obstacle du lien de prove- nance, mais il faut avouer qu’il n’aurait pas été conforme à la construction dogmatique tradition- nelle de l’infraction de blanchiment.

Il appartiendra donc à la jurisprudence de clari- fier la notion de provenance en relation avec les in- fractions fiscales.

49 Suter/Remund (note 2), p. 608.

50 BOCN 2014 1982 s., Eveline Widmer­Schlumpf ; également Guillaume Barazzone ; dans le même sens, Molo/Galliano (note 46), Rz 15.

51 Cassani (note 1), p. 23.

3. Quelle est la définition de l’infraction fiscale qualifiée lorsque celle-ci a été commise au préjudice du trésor public étranger ?

Le droit suisse réprime le blanchiment du produit d’infractions commises à l’étranger, pour autant que la condition de la double incrimination soit respectée (art. 305bis ch. 3 CP). L’appréciation est abstraite se- lon la doctrine et la jurisprudence : il convient donc de se demander si les mêmes faits, transposés en Suisse, seraient punissables,52 en l’occurrence comme délit fiscal qualifié.

Ces principes fermement établis ont été mis à mal dans le Message du Conseil fédéral, qui en énonce la teneur telle qu’elle vient d’être rappelée,53 puis pour- suit : « [a]fin que la disposition ne reste pas lettre morte lorsque l’infraction a été commise à l’étranger, la condition de la double incrimination ne doit pas être interprétée de manière trop stricte. [...] Dans une grande majorité de pays, la soustraction d’impôt est déjà punissable – et également constitutive d’une infraction préalable au blanchiment d’argent –, indé- pendamment de la manière dont elle a été commise, c’est-à-dire indépendamment de l’usage de titres faux ou de tous autres agissements frauduleux […].

Lorsque la soustraction ‹simple› est déjà punissable à l’étranger, la condition de la double incrimination doit être considérée comme remplie. »54

Dans la suite des travaux législatifs, le Conseil fé- déral n’a eu de cesse d’essayer de calmer les vives émotions suscitées par ce passage de son Message,55 à l’instar de la déclaration de la Conseillère fédérale en charge du Département fédéral de justice et police en septembre 2014 devant le Conseil des Etats, quali- fiant les éléments constitutifs du délit fiscal qualifié en vertu du droit suisse de pierres angulaires de la définition déterminante.56

52 ATF 136 IV 179, consid. 2.3.6 ; Suter/Remund (note  2), p. 603.

53 FF 2014 649.

54 FF 2014 650.

55 Xavier Oberson, Analyse critique du projet de loi sur la mise en œuvre des recommandations du GAFI, Jusletter 24 mars 2014, Rz 11 ss.

56 «Die Kriterien, die wir haben, müssen in jedem Fall erfüllt sein – unabhängig davon, wie das Delikt im anderen Staat qualifiziert ist. Das heisst, es muss eine vorsätzliche, vollen- dete Steuerhinterziehung sein, mittels Verwendung falscher Urkunden; das ist bei uns eine klare Limite. Die hinter- zogene Steuer muss auch mehr als 200 000 Franken – das

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Il faut donc, en matière de fiscalité directe, i) que le contribuable ait commis une infraction au sens du droit étranger, ii) qu’il ait fait intentionnellement usage d’un ou plusieurs faux considérés comme tel par le droit suisse pour tromper l’autorité fiscale com- pétente en matière d’impôt sur la fortune ou le reve- nu et iii) qu’il ait de cette manière soustrait au moins 300 000 francs par période fiscale. Ce montant est celui effectivement obtenu, calculé en fonction du droit fiscal étranger.

Il en découle que le juge pénal, de même d’ail- leurs que l’intermédiaire financier lorsqu’il s’inter- roge sur l’existence d’un devoir de communication, doit tenir compte de tous les éléments qui déter- minent l’ampleur de la fraude, soit la teneur du droit fiscal étranger, la situation patrimoniale du client, ses revenus et sa fortune, les déductions autorisées, etc.

En matière de fiscalité indirecte, l’infraction doit également être punissable au lieu de commission et présenter en outre les caractéristiques qui en auraient fait un crime au sens de l’art. 14 al. 4 DPA si elle avait été commise en Suisse.

Lorsque le contribuable étranger a commis un délit fiscal que le droit suisse ne considère pas comme une infraction préalable, par exemple une simple soustraction d’impôt ou une fraude en matière d’im- pôts sur les successions ou donations, le blanchiment ne saurait entrer en considération. Il en va de même lorsque l’infraction commise à l’étranger porte sur un impôt qui n’existe pas en Suisse, à l’instar de l’impôt sur les gains en capital.

Les divergences dans la manière dont les impôts sont perçus et calculés ne sont, en revanche, pas dé- terminantes. Il suffit, par exemple, que l’administra- tion fiscale ait été trompée par l’usage d’un faux dans les titres en matière d’impôts sur le revenu ou la for- tune et que le contribuable ait de cette manière obte- nu un avantage d’au moins 300 000 francs en un an, même si l’élément en question n’aurait pas été impo- sé en Suisse ou que la limite quantitative n’aurait pas été franchie au regard des règles suisses sur le taux d’imposition ou les déductions admissibles.57

sagen wir im Entwurf, jetzt sind es dann vielleicht mehr als 300 000 Franken – betragen. Diese Eckwerte müssen gegeben sein; sonst kann man gar nicht von doppelter Strafbarkeit sprechen.» (BOCE 2014 172 ; Conseillère féd.

Eveline Widmer Schlumpf).

57 Sur la base du Message du Conseil fédéral, dépassé au re- gard des déclarations ultérieures du Conseil fédéral,

Pour déterminer si le seuil des 300 000 francs a été dépassé, il convient d’appliquer le taux de change en vigueur le jour de la taxation. Peu importe, en re- vanche, que le contribuable ait envisagé et accepté le franchissement du seuil au moment où il a fait sa dé- claration fiscale. En effet, le franchissement du seuil n’est pas un élément constitutif de l’infraction fiscale mais du blanchiment d’argent, qui ne peut porter sur un délit d’usage de faux qu’à condition que le seuil quantitatif soit franchi. Ce dernier élément doit, en revanche, être englobé dans l’intention du blanchis- seur, au moins par dol éventuel.

4. Quand les nouvelles dispositions deviendront-elles applicables ?

Adoptée le 12 décembre 2014, la novelle est soumise à un délai référendaire qui court jusqu’au 2  avril 2015. A l’heure où nous écrivons, la date d’entrée en vigueur n’est pas encore fixée.

Quand la modification sera entrée en vigueur, le principe de la non­rétroactivité s’appliquera. Selon la disposition transitoire introduite par les Chambres fédérales, « [l]’art. 305bis ne s’applique pas aux délits fiscaux qualifiés visés à l’art. 305bis, ch. 1bis, qui ont été commis avant l’entrée en vigueur de la modification du 12  décembre 2014 ».58 Par ailleurs, comme déjà exposé, il ne suffit pas que le contribuable ait commis un usage de faux pour qu’il y ait matière à blanchi- ment ; il faut, en outre, que la soustraction soit consommée et qu’il y ait un avantage à blanchir, ce qui entraîne un décalage temporel.

Le même principe vaut pour l’élargissement de l’art. 14 al. 4 DPA, dont l’application rétroactive serait contraire à l’art. 2 al. 2 CP.

Le devoir de communication (art.  9 LBA) et le droit de communication (art.  305ter al.  2 CP) sup- posent que le délit fiscal qualifié qui fait l’objet de l’an- nonce tombe sous le coup de l’art. 305bis ch. 1bis CP, ce qui implique également qu’elle ait été commise après l’entrée en vigueur de la modification législative.

En revanche, dans le domaine de l’entraide inter­

nationale en matière pénale, on tient compte, aux fins de la condition de la double incrimination, du droit tel qu’il est le jour où l’autorité d’entraide statue.59

Suter/Remund (note  2), p.  604  semblent préconiser une interprétation plus large encore de la double incrimination.

58 FF 2014 9472.

59 ATF 130 II 217, consid. 11.2 ; 129 II 462, consid. 4.3.

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