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Evolutions législatives récentes en matière de droit pénal économique : blanchiment d'argent et corruption privée

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Evolutions législatives récentes en matière de droit pénal économique : blanchiment d'argent et corruption privée

CASSANI, Ursula

CASSANI, Ursula. Evolutions législatives récentes en matière de droit pénal économique : blanchiment d'argent et corruption privée. Revue pénale suisse , 2018, vol. 136, no. 2, p.

179-213

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:106831

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Evolutions législatives récentes en matière de droit pénal économique: blanchiment d’argent et corruption privée

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Table des matières I. Introduction

II. La révision du dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent 1. Le blanchiment de fraude fiscale

a) La définition de l’infraction fiscale préalable b) L’écueil du lien de provenance

2. Les autres nouveautés en matière de blanchiment d’argent a) L’extension de la LBA aux négociants

b) Les précisions concernant l’identification de l’ayant droit économique c) Le système de communication de soupçons: vers un changement de paradigme?

III. La révision législative en matière de corruption 1. Les buts poursuivis

2. La typicité des infractions réprimant la corruption privée a) L’agent privé

b) L’avantage indu

c) L’acte ou l’omission de l’agent et le rapport de connexité d) L’abandon du lien avec la concurrence économique 3. Le bien juridique protégé

4. La poursuite

5. L’ambivalence du législateur suisse vis-à-vis de la corruption privée IV. Conclusion (et non fin)

I. Introduction

Modifiés à plusieurs reprises déjà, les deux pans centraux du droit pénal éco- nomique suisse que constituent la lutte contre le blanchiment d’argent et celle contre la corruption ont fait l’objet de révisions législatives entrées en vigueur en 2016.

Dans les deux cas, le processus législatif a été mis en œuvre sous la pression des mé- canismes de suivi de normes internationales, découlant d’une convention ou rele- vant de la «soft law».

1 Ce texte fait suite à une conférence prononcée au congrès 2017 de la Société suisse de droit pénal. L’auteure remercie Justine Barton, assistante au département de droit pénal de la Fa- culté de droit de Genève, de son aide compétente et engagée dans la mise au net du manus- crit.

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II. La révision du dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent La révision du droit suisse en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, adoptée le 12 décembre 20142, est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Le but de la modification législative, lancée par un avant-projet soumis à la consultation en 20133, consistait à adapter le droit suisse aux recomman- dations du Groupe d’action financière (GAFI) révisées quelques mois auparavant4. Le calendrier était dicté par la perspective de l’évaluation mutuelle de la législation et des pratiques suisses par les experts du GAFI, qui a débouché sur un rapport pu- blié en décembre 20165. Ainsi, l’agenda législatif devait permettre non seulement la révision de la LBA6 et des autres lois fédérales touchées, mais aussi l’adaptation des ordonnances et de tous les éléments formant le tissu normatif dense de la lutte an- tiblanchiment, y compris la Convention de diligence des banques suisses7.

La perspective de cette évaluation mutuelle a joué un rôle d’aiguillon du pro- cessus législatif, dans lequel les intermédiaires financiers ont pesé – comme chaque fois qu’il s’agit de retoucher le cadre législatif et réglementaire qui gouverne leur activité – sur les débats à tous les stades depuis la procédure de consultation jusqu’à la phase parlementaire par le biais de leurs relais aux Chambres fédérales.

La procédure parlementaire, particulièrement chahutée, a abouti in extre- mis, dans le cadre de la conférence de conciliation8. Le paroxysme a été atteint à

2 Loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière, révi- sées en 2012, du 12 décembre 2014, RO 2015 1389.

3 Avant-projet de loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière, révisées en 2012, et rapport explicatif du Département fédéral des finances du 27 fé- vrier 2013. Pour une analyse de l’avant-projet, cf. G. Molo/S. Vorpe/D. Galliano, Avant-pro- jets GAFI et révision LBA: nouvelles infractions de droit pénal fiscal et implications pour les intermédiaires financiers, ASA 2013/2014, 3 s.; X. Oberson/E. Meller, Infractions fiscales et blanchiment d’argent, IFF Forum für Steuerrecht 2013, 171, 178 s.; C. Suter/C. Remund, Neue Vortaten zur Geldwäscherei im Steuerstrafrecht: welche Konsequenzen für Finanzinterme- diäre?, ASA 2013/2014, 589, 599 s.; U. Cassani/S. Gless/R. Echle/S. Garibian/C. Sager, Chro- nique de droit pénal suisse dans le domaine international (2012), RSDIE 2013, 467, 468 s.

4 GAFI, Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération du 16 février 2012, mises à jour en octobre 2016.

5 GAFI, Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Suisse, rapport d’évaluation mutuelle, décembre 2016 (cité: GAFI, REM Suisse 2016).

6 Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terro- risme (LBA) du 10 octobre 1997, RS 955.0.

7 Convention relative à l’obligation de diligence des banques du 1er juin 2015 (CDB 16), en vig.

depuis le 1er janvier 2016.

8 Conseil des Etats (CE): le 12 mars 2014 (BO CE 2014 156 s.), le 9 septembre 2014 (BO CE 2014 732 s.), le 4 décembre 2014 (BO CE 2014 1177 s.), le 10 décembre 2014 (BO CE 2014 1273 s.);

Conseil national (CN): les 18 et 19 juin 2014 (BO CN 2014 1159 s.), le 27 novembre 2014 (BO CN 2014 1965 s.), les 10 (BO CN 2014 2264 s.) et 11 décembre 2014 (BO CN 2014 2322 s.); adop- tion le 12 décembre 2014 par les deux Chambres. Pour les résumés des délibérations et dé- pliants, cf. Curia Vista 13.106.

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l’été 20149, lorsque le projet gouvernemental – approuvé dans les grandes lignes par le Conseil des Etats – a subi les tirs de barrage nourris de quelques conseillers na- tionaux hostiles aux modifications proposées et plus généralement à l’idée d’une adaptation du droit suisse aux standards internationaux. L’essentiel a été rétabli par la suite, mais le climat a été fort peu propice à une réflexion constructive sur les nouvelles dispositions.

1. Le blanchiment de fraude fiscale

Le sujet le plus disputé s’est révélé être l’adaptation du droit suisse au fait que les normes du GAFI mentionnent, depuis leur révision en 2012, les «infractions fis- cales pénales (liées aux impôts directs et indirects)» dans la liste des catégories dési- gnées d’infractions sous-jacentes au blanchiment10.

La transposition de cette exigence dans le droit suisse pose des difficultés, identifiées mais non résolues par le législateur, au regard de la construction norma- tive de l’infraction de blanchiment (art. 305bis CP) par référence à la notion de confiscation (art. 70 CP). Par ailleurs, les parlementaires ont eu à cœur de définir le blanchiment de fraude fiscale de la manière la plus étroite possible, mettant ainsi le droit suisse en porte-à-faux par rapport aux droits voisins et créant de nouveaux problèmes d’interprétation.

a) La définition de l’infraction fiscale préalable aa) Le délit fiscal préalable en matière de fiscalité directe

Depuis son entrée en vigueur en 1990, l’art. 305bis CP définissait l’infraction préalable comme un crime, ce qui excluait les infractions en matière de fiscalité di- recte. Plutôt que de créer des crimes dans ce domaine, comme l’avant-projet le pré- voyait, le législateur suisse a préféré élargir la définition du blanchiment d’argent découlant de l’art. 305bis ch. 1 CP à certains délits fiscaux. Ainsi, il n’a pas été né- cessaire de retoucher les dispositions pénales des lois fiscales, qui mériteraient pour- tant un sérieux aggiornamento11 et qui devaient à l’époque faire l’objet d’une révi- sion législative séparée12, dont l’ajournement sine die a toutefois été annoncé en novembre 2015.

9 BO CN 2014 1159 s.; cf. U. Cassani/S. Gless/R. Roth/C. Sager, Chronique de droit pénal suisse dans le domaine international (2013), RSDIE 2014, 385, 387 s.

10 Normes précitées (n. 4), glossaire général.

11 Sur les besoins de réforme en matière de droit pénal fiscal, cf., en particulier, A. Donatsch, Steuerstrafrecht – Hauptprobleme und Lösungsvorschläge, ASA 2012/2013, 1.

12 Rapport explicatif du 29 mai 2013 relatif à la loi fédérale sur l’unification du droit fiscal pénal.

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L’art. 305bis ch. 1 CP révisé considère donc que le blanchiment peut être com- mis sur les valeurs patrimoniales issues d’un crime ou d’un délit fiscal «qualifié»

(«qualifiziertes Steuervergehen»). Nonobstant sa dénomination, le délit fiscal «qua- lifié» est passible de la même peine que l’infraction fiscale simple. La notion est dé- finie à l’art. 305bis ch. 1bis CP comme un usage de faux au sens de l’art. 186 LIFD13 ou une fraude fiscale au sens de l’art. 59 al. 1, 1er paragraphe LHID14, «lorsque les impôts soustraits par période fiscale se montent à plus de 300 000 francs».

Cette définition se révèle très étroite et ne manquera pas de poser des diffi- cultés à la pratique:

1. Les infractions en vertu de la LIFD et de la LHID visent les impôts sur le re- venu et la fortune des personnes physiques et les bénéfices et le capital des personnes morales, ainsi que l’impôt sur le gain immobilier (art. 12 LHID).

La fraude sur d’autres impôts, par exemple sur les successions et les dona- tions, est exclue, ce qui constitue une inégalité de traitement sans fondement convaincant.

2. La définition légale se limite aux cas dans lesquels le contribuable a, dans le but de commettre une soustraction d’impôt, fait usage d’un faux dans les titres. Cette exigence découle de la typicité des infractions fiscales sur les- quelles l’art. 305bis ch. 1bis CP est construit.

En se référant à la distinction entre l’usage de faux (fraude fiscale; «Steuer- betrug») et la simple soustraction d’impôt («Steuerhinterziehung»), le droit suisse perpétue un particularisme qui suscite l’incompréhension dans les pays qui nous entourent. Par ailleurs, la fraude est étroitement définie sur la base du modèle du faux («Urkundenmodell»), par opposition au modèle de l’astuce («Arglistmodell»). Cette solution trop restrictive à notre sens, qui ex- clut notamment les tromperies commises au moyen d’autres machinations, par exemple le recours à des constructions juridiques complexes, se révèle ainsi plus étroite que celle proposée dans l’avant-projet, qui juxtaposait les deux modèles.

Les art. 186 LIFD et 59 al. 1, 1re hypothèse LHID supposent que l’auteur, dans le dessein de tromper, fasse usage de titres faux, falsifiés ou inexacts quant à leur contenu vis-à-vis de l’autorité fiscale ou de l’autorité judiciaire dans le cadre du contentieux fiscal. Le document peut avoir été établi par un tiers ou le contribuable lui-même15, étant précisé que la déclaration d’im-

13 Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD) du 14 décembre 1990, RS 642.11.

14 Loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID) du 14 décembre 1990, RS 642.14. Il convient de noter que le texte légal actuel de l’art. 59 LHID ne consacre pas un «paragraphe» (alinéa) séparé à la fraude. C’est en réalité la première hy- pothèse de l’art. 59 al. 1 LHID actuel (en vigueur depuis le 1er janvier 2017) dont il est ques- tion.

15 ATF 139 II 444; ATF 125 II 253.

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pôts ne constitue pas un tel faux, sans quoi la distinction entre usage de faux et soustraction d’impôt serait estompée. Il s’agit de titres au sens de l’art. 110 al. 4 CP, qui peuvent prendre la forme du faux matériel ou intellectuel. Tou- tefois, le Tribunal fédéral considère que la crédibilité particulière qui doit s’attacher au faux intellectuel au regard de la jurisprudence sur l’art. 251 CP s’apprécie de manière particulière en matière fiscale, «[d]enn gegenüber diesen Behörden besteht im Rahmen der Steuerveranlagung die besondere ge- setzliche Pflicht zur wahrheitsgetreuen Deklarierung»16. Il convient de rele- ver, par ailleurs, que l’art. 186 LIFD mentionne expressément le faux certi- ficat de salaire, pour lequel la jurisprudence constante du Tribunal fédéral écarte la qualité de faux intellectuel de droit commun (art. 251 CP)17. Pour le surplus, l’énumération des titres entrant en considération au regard de l’art. 186 LIFD n’est qu’exemplative. Outre les livres comptables, bilans, comptes de résultat ou certificats de salaire et autres attestations de tiers mentionnés, sont notamment susceptibles de constituer des faux intellec- tuels les déclarations écrites sur l’ayant droit économique faites par le co- contractant d’un intermédiaire financier sur le formulaire «A»18, comme d’ailleurs sur les autres formulaires prévus par l’ASB («R», «T», etc.) ou dans un autre écrit remplissant la même fonction. Le Tribunal fédéral a par ail- leurs considéré, dans le cadre d’une demande d’entraide administrative fon- dée sur la CDI-USA 1996, visant des clients du Credit Suisse, qu’un formu- laire W-8BEN ne mentionnant pas le véritable ayant droit économique des avoirs est un faux au sens de l’art. 186 LIFD19.

16 ATF 139 II 443; arrêt du TF 6B_101/2009 du 14. 5. 2009 consid. 3.3.

17 Le TF dénie cette crédibilité accrue aux certificats de salaire dans sa jurisprudence constante sur l’art. 251 CP (notamment ATF 118 IV 363 et arrêts du TF 6B_473/2016 du 22. 6. 2017, consid. 4.2.1; 6B_163/2016 du 25. 5. 2016, consid. 3.3.1; 6B_390/2012 du 18. 2. 2013, consid. 3.4).

Cette restriction n’est pas applicable en matière fiscale (ATF 139 II 442; arrêt du TF 6B_101/2009 du 14. 5. 2009, consid. 3.3 et 3.4; A. Donatsch, in: M. Zweifel/P. Athanas (édit.), Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht I/2b, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer (DBG), 2e éd., Bâle 2008, art. 186 N 26, 31; Suter/Remund (n. 3), 606; U. Cassani, L’extension du sys- tème de lutte contre le blanchiment d’argent aux infractions fiscales: Much Ado About (Al- most) Nothing, RSDA 2015, 78, 81 s.

18 ATF 139 II 443; arrêt du TF 6S.346/1999 du 30. 11. 1999, consid. 4 in: SJ 2000 I 234 et juris- prudence constante.

19 ATF 139 II 444. L’usage d’un tel titre est non seulement constitutif de «fraud or the like» (ce qui suffisait pour la coopération en vertu de l’art. 26 CDI-USA 1996), mais aussi d’usage de faux au sens de l’art. 186 LIFD (ATF 139 II 442 s.). En outre, l’arrêt semble indiquer que le simple fait qu’une telle déclaration se trouve «bei den Akten» (ATF 139 II 444), par quoi il faut comprendre le dossier de la banque jouant un rôle de «Qualified Intermediary», contrôlé par sondage par le réviseur ad hoc, remplit la typicité de l’art. 186 LIFD, dont l’acte constitutif est l’usage du faux dans le dessein de tromper l’autorité fiscale.

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3. En vertu de l’art. 305bis ch. 1bis CP, l’impôt soustrait par période fiscale doit s’élever à plus de 300 000 francs. L’auteur doit donc non seulement avoir agi dans le but de la soustraction, comme l’exigent les art. 186 LIFD et 59 al. 1, 1er paragraphe LHID, il doit effectivement avoir obtenu un avantage fiscal par une soustraction consommée. La question de savoir si la limite – qui pa- raît au demeurant élevée – est franchie peut être difficile à trancher pour le juge pénal et plus encore pour l’intermédiaire financier soumis au devoir de communication (art. 9 LBA; «Meldepflicht»). C’est le montant global sous- trait par le contribuable grâce à l’usage d’un ou plusieurs faux pendant une année fiscale qui est décisif, et non la valeur des éléments imposables non déclarés, comme l’avait proposé l’avant-projet. Par ailleurs, le calcul de l’avantage fiscal obtenu par l’auteur doit être fait en tenant compte de sa si- tuation fiscale concrète.

4. Si l’infraction fiscale a été commise à l’étranger, la condition de double incri- mination découlant de l’art. 305bis ch. 3 CP s’applique20. Elle est respectée si l’acte présente les caractéristiques de l’infraction décrite à l’art. 305bis ch. 1bis CP21. Peu importe, donc, que le droit étranger connaisse la distinction entre soustraction et fraude, pour autant que l’infraction ait effectivement été com- mise moyennant l’usage d’un faux. Le calcul de l’avantage fiscal se détermine, en revanche, selon la teneur du droit fiscal étranger22. La conversion en francs suisses de l’impôt dû en monnaie étrangère doit, à notre sens, se faire au taux en vigueur au jour de l’entrée en force de la décision de taxation.

5. Sous l’angle temporel, l’art. 305bis CP nouveau ne s’applique qu’au blanchi- ment de valeurs patrimoniales issues de délits fiscaux qualifiés commis après son entrée en vigueur, conformément à la disposition transitoire introduite par les Chambres fédérales23. Il faut donc que l’auteur ait trompé l’autorité fiscale après le 1er janvier 201624 et qu’il ait obtenu un avantage fiscal supé-

20 Le point a été précisé devant le Parlement, BO CE 2014 172 s. (Widmer-Schlumpf); BO CN 2014 1201.

21 C. Suter/C. Remund, Infractions fiscales, blanchiment et intermédiaires financiers, GesKR 2015, 54, 66.

22 Suter/Remund (n. 21), 66.

23 RO 2015 1396. Contra: A. Donatsch/M. Thommen/W. Wohlers, Strafrecht IV, Delikte gegen die Allgemeinheit, 5e éd., Zurich/Bâle/Genève 2017, 498 estiment que le blanchiment d’avoirs issus d’infractions fiscales commises à l’étranger, punissables selon le droit étranger avant le 1er janvier 2016, serait punissable en Suisse.

24 Message du 13 décembre 2013 concernant la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), révisées en 2012, FF 2014 650; M. Hess/O. Abo Youssef, Die Über- gangsbestimmung zum qualifizierten Steuervergehen als Geldwäschereivortat, in: Jusletter 25 avril 2016, N 11. Cela vaut aussi pour le devoir de communication de l’intermédiaire finan- cier: Message, loc. cit.; Hess/Abo Youssef, op. cit., N 12, 14; S. Matthey, Blanchiment de fraude fiscale: les conséquences des nouveaux articles 305bis ch. 1bis et 14 al. 4 DPA, SJ 2016 II 285, 298.

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rieur à 300 000 francs, ce qui est le cas lorsque la taxation est devenue défi- nitive25. C’est cet avantage-là qui peut être blanchi. Toutefois, cette question est en relation avec celle, controversée, de l’objet sur lequel porte le blanchi- ment, qui sera examinée ci-dessous26.

bb) Le crime préalable en matière de fiscalité indirecte

En matière de fiscalité indirecte, l’art. 14 al. 4 DPA27 réprimait déjà un crime, créé à la précédente adaptation du droit suisse aux normes du GAFI de 200328, ré- primant une forme aggravée de contrebande douanière, commise en bande.

L’adaptation aux recommandations du GAFI de 2012 est passée par une mo- dification de cette disposition, qui s’applique dorénavant sans l’exigence d’un tra- fic transfrontière de marchandises. Le nouvel art. 14 al. 4 DPA définit une escro- querie qualifiée en matière de contributions, commise par métier ou avec le concours de tiers29, ayant procuré à l’auteur ou à un tiers un avantage illicite particulière- ment important ou porté atteinte de façon particulièrement importante aux inté- rêts pécuniaires ou à d’autres droits des pouvoirs publics. La clause continue à s’ap- pliquer à la contrebande douanière, mais inclura aussi les escroqueries sur la TVA sans livraison transfrontière, ou sur des services, de même qu’en matière d’impôt anticipé, de droits de timbre et d’impôts sur l’alcool, la bière et le tabac30.

L’art. 14 al. 4 DPA étant conçu comme une circonstance aggravante de l’art. 14 al. 1 DPA, les éléments constitutifs de l’escroquerie en matière de contri- butions doivent être réunis, en particulier la tromperie astucieuse. L’astuce s’appré- cie selon les principes dégagés par la jurisprudence à propos de l’art. 146 CP31 et ne se limite donc pas à l’usage d’un faux. Selon le Tribunal fédéral, l’auteur use de ma- chinations astucieuses lorsqu’il fonde une société de domicile dans le seul but de dissimuler à l’autorité fiscale des faits pertinents pour l’imposition, pour autant que

25 Dans le même sens, D. M. Basse, in: Geldwäschereigesetz (GwG), P. V. Kunz/T. Jutzi/S. Schä- ren (édit.), Berne 2017, art. 1 N 30. L’affirmation du même auteur (N 35), selon laquelle l’exis- tence de l’infraction fiscale doit avoir donné lieu à une condamnation du contribuable par un tribunal pénal est, en revanche, infondée.

26 Cf. II, 1, b (infra).

27 Loi fédérale sur le droit pénal administratif (DPA) du 22 mars 1974, RS 313.0.

28 Loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations révisées du Groupe d’action finan- cière du 3 octobre 2008, RO 2008 361.

29 La notion diffère de celle de «bande», puisque la collaboration peut être ponctuelle. L’emploi du pluriel signifie à notre sens que l’auteur doit bénéficier de la collaboration d’au moins deux personnes (contra: Molo/Vorpe/Galliano [n. 3], 16). Le Message (n. 24) précise qu’il faut une participation à titre principal (FF 2014 654).

30 Message (n. 24), FF 2014 604.

31 Message (n. 24), FF 2014 651; Suter/Remund (n. 21), 71.

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la tromperie soit difficilement décelable pour l’autorité32. Le simple mensonge consistant à ne pas déclarer un élément imposable n’est en revanche pas astucieux.

Est déterminant aux yeux du Tribunal fédéral le fait que le contribuable ait pris des mesures pour rendre la vérification de la déclaration difficile ou impossible33. Ainsi, le Tribunal fédéral n’attribue pas au contribuable une position de confiance parti- culière au sens de l’art. 14 DPA, fondant l’astuce de manière générale. Comme on l’a vu, il reconnaît en revanche à ce même contribuable un devoir de véracité par- ticulier au contact des autorités fiscales, qui fonde la crédibilité particulière dans le cadre du faux intellectuel34. La distinction est subtile, mais la contradiction n’est qu’apparente.

Il appartiendra à la jurisprudence de définir le critère de l’avantage illicite particulièrement important ou de l’atteinte particulièrement importante aux inté- rêts pécuniaires ou à d’autres droits des pouvoirs publics. Bien que la lettre de la loi englobe d’autres avantages35, la doctrine s’est attachée à la définition d’un critère quantitatif appréciable en argent. Suter et Remund proposent de placer le seuil à 100 000 francs36, ce qui paraît acceptable au regard du fait que l’avantage «particu- lièrement important» exigé par l’art. 14 al. 4 DPA doit se distinguer clairement de l’avantage «important» mentionné à l’al. 2 du même article, constituant un simple délit, fixé à 15 000 francs par le Tribunal fédéral37. La valeur seuil de 300 000 francs proposée par une autre partie de la doctrine38, par analogie à l’art. 305bis ch. 1bis CP, est en revanche excessive. L’analogie paraît d’autant moins convaincante que l’art. 305bis ch. 1bis CP vise l’avantage obtenu sur une période fiscale d’une année39, alors que, dans le cadre de l’art. 14 al. 4 DPA, le montant doit se calculer séparé- ment40 pour chaque infraction lorsque l’auteur n’agit pas par métier mais avec le concours de tiers. Pour l’hypothèse du métier, en revanche, c’est le gain réalisé par l’ensemble des infractions formant une unité sous l’angle du métier (en concours

32 ATF 139 II 435; arrêt du TF 6B_79/2011 du 5. 8. 2011, consid. 6.5.3.

33 ATF 139 II 435.

34 Cf. n. 16 (supra).

35 Le Message (n. 24), FF 2014 653, évoque l’hypothèse d’avantages en matière de concessions et d’autorisations, non appréciables en argent, dont la pertinence peut rester ouverte.

36 Suter/Remund (n. 21), 71.

37 ATF 139 II 404, 435; arrêt du TF 6B 79/2011 du 5. 8. 2011, consid. 6.3.4; Message (n. 24), FF 2014 653. Nous n’avons pas connaissance de décisions jurisprudentielles concernant l’art. 14 al. 4 DPA selon sa teneur de 2008, qui exigeait déjà le but de tirer des gains importants de l’infraction.

38 S. Fuchs, Die Steuergeldwäscherei im Schweizer Recht, Berne 2017, N 281; Matthey (n. 24), 317.

39 Dans le même sens: Suter/Remund (n. 21), 71.

40 Dans le même sens: Suter/Remund (n. 21), 71; contra: Matthey (n. 24), 317.

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réel imparfait) qui doit être pris en compte41, comme c’est le cas en matière de tra- fic de stupéfiants ou de blanchiment par métier42.

Il convient de rappeler, par ailleurs, que la jurisprudence qualifie certaines tromperies astucieuses au préjudice du fisc, à l’instar des carrousels TVA, d’escro- queries de droit commun (art. 146 CP)43. Ce crime, qui constitue une infraction sous-jacente au blanchiment, ne suppose aucune valeur minimale, mise à part l’ex- clusion des infractions de peu d’importance découlant de l’art. 172ter CP (300 francs).

La récente révision législative en matière de blanchiment ne devrait pas modifier cette jurisprudence.

b) L’écueil du lien de provenance

La principale difficulté conceptuelle dans la construction du blanchiment de fraude fiscale réside dans l’établissement du lien de provenance entre l’infrac- tion fiscale préalable et la valeur patrimoniale qui est réputée en être «issue». Le blanchiment d’argent porte sur une valeur susceptible de confiscation, i. e. une va- leur qui découle de l’infraction en amont, lien qui est accentué par le fait que l’acte de blanchiment d’argent est défini en droit suisse – et c’est un particularisme de notre droit44 – comme un acte propre à entraver la confiscation. Selon la jurispru- dence45, qui a été réaffirmée dans le Message du Conseil fédéral46, cela suppose que la valeur patrimoniale soit issue causalement de l’infraction préalable et qu’elle puisse être identifiée de manière suffisante dans le patrimoine de la personne sou- mise à confiscation.

Pour une partie de la doctrine, la référence à la confiscation exclut toute pos- sibilité d’un blanchiment en matière fiscale, au motif que le droit fiscal permet à l’Etat de récupérer l’argent dont le contribuable l’a spolié par le rappel d’impôt («Nachsteuerverfahren», art. 151 LIFD et 53 LHID; «Nachleistungspflicht», art. 12

41 Contra: Suter/Remund (n. 21), 71.

42 Les art. 19 al. 2 lit. c LStup et 305bis ch. 2 lit. c CP exigent un chiffre d’affaires ou un gain «im- portants». Le gain – correspondant à l’avantage net visé à l’art. 14 al. 4 DPA – a été fixé par le TF à 10 000 francs (ATF 129 IV 256).

43 ATF 110 IV 24; arrêts du TF 1A.189/2001 du 22. 2. 2002, consid. 5; 1A.233/2004 du 8. 11. 2004, consid. 2; 1A.297/2005 du 13. 1. 2006; 1C.59/2009 du 26. 2. 2009; arrêts du TPF RR.2011.225 du 23. 2. 2012, consid. 3.2 s.; RR 2012.89 du 9. 1. 2013, consid. 5.

44 Fuchs (n. 38), N 177 s. L’auteur (N 180) relève que le GAFI, dans son 3e Rapport d’évaluation mutuelle de la Suisse, a déclaré le droit suisse «atypique» sur ce point, quoique «conforme»

(3e REM, 8, 40 s., 234, 244), mais que les experts ne semblent pas avoir saisi la distinction entre les actes propres à entraver les mesures en vertu des art. 70 et 71 CP.

45 ATF 129 II 461; dans le même sens: ATF 137 IV 81; ATF 126 I 105 s.; arrêt du TF 6B_914/2009 du 3. 11. 2010, consid. 5.1.

46 Message (n. 24), FF 2014 606.

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DPA) et qu’il ne restera, par conséquent, aucune valeur soumise à la confiscation et susceptible d’être blanchie47. Cette argumentation ne paraît pas décisive48, car l’avantage fiscal existe en tout cas jusqu’au moment où le rappel d’impôt est effec- tivement ordonné49. La confiscation est donc possible en vertu de l’art. 70 CP, ap- plicable au regard de l’art. 333 CP, même si les autorités fiscales privilégient la voie administrative non pénale du rappel d’impôt. En effet, le rappel d’impôt étant un instrument de nature fondamentalement différente, rien ne permet de considérer que les lois fiscales entendent exclure la confiscation par un silence qualifié, ni que le rappel ou la restitution primeraient par spécialité50. Des actes «propres» à entra- ver la confiscation restent donc concevables51. La situation juridique n’est pas dif- férente du cas dans lequel le lésé d’une infraction contre le patrimoine peut espé- rer récupérer le butin avant le prononcé de la confiscation sur la base de l’art. 70 al. 1 in fine CP. Cette éventualité n’empêche pas de considérer qu’un acte de dissi- mulation portant sur ce bien ou ces avoirs, intervenu avant la restitution, est un acte de blanchiment d’argent.

Une autre difficulté conceptuelle se révèle en revanche plus sérieuse. Elle dé- coule du fait qu’en matière fiscale, le résultat de l’infraction, soit l’avantage obtenu par le contribuable fraudeur, dont l’art. 305bis ch. 1bis CP déclare qu’il doit être su- périeur à 300 000 francs, se concrétise en règle générale par une économie d’impôt et non par un remboursement. Or, une partie de la doctrine, dont nous sommes, estime que les montants économisés grâce à la commission d’une infraction ne sont

47 F. Baumann, Geldwäscherei in Fiskalsachen – Versuch am untauglichen Objekt?, in: J.-B. Acker- mann/M. Hilf (édit.), Geldwäscherei – Asset Recovery, Zurich 2012, 105, 116; J.-B. Ackermann, Geldwäschereistrafrecht, in: Wirtschaftsstrafrecht der Schweiz, J.-B. Ackermann/G.Heine (édit.), Wirtschaftsstrafrecht der Schweiz, Berne, 2013, 407, N 32; M.-A. B. Schauwecker, Steuer- delikte als Vortaten zur Geldwäscherei und deren Konsequenzen für Finanzintermediäre, Berne 2016, 122, 129 s.; R. Waldburger/S. Fuchs, Steuerdelikte als Vortat zur Geldwäscherei, IFF Forum für Steuerrecht, 2014, 111, 135. Ces derniers auteurs (op. cit., 142) proposent, dans une perspective de lege ferenda, une disposition spéciale réprimant l’entrave au rappel d’im- pôt («Vereitelung des Nachsteuerbezuges»). Pour une critique de cette solution, cf. A. Do- natsch/I. Arnold, Überlegungen zur Ausgestaltung des Steuerstrafrechts nach DBG und StHG de lege ferenda, insbesondere mit Blick auf die Vorgaben der GAFI (FATF), in: Steuern und Recht – Steuerrecht!, liber amicorum für Martin Zweifel, P. Mäusli-Allenspach/ M. Beusch (édit.), Bâle 2013, 227, 231 s.

48 Dans le même sens, Suter/Remund (n. 21), 63.

49 Fuchs (n. 38) relève des cas où le rappel d’impôt n’est pas possible, de sorte que seule la confis- cation entrerait en considération (N 217 s.).

50 Contra: Fuchs (n. 38), N 225 s. pour les impôts directs et N 230 s. pour l’art. 12 DPA.

51 Même résultat, sur la base de l’assimilation de l’acte propre à entraver le rappel d’impôts à un acte propre à entraver la confiscation: R. Matteotti/S. Many, Erhöhung der Strafrisiken für Banken und ihre Mitarbeiter infolge Einführung der Steuergeldwäscherei, in: Jusletter 23 fé- vrier 2015, N 6.

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pas susceptibles de confiscation, et par conséquent de blanchiment52. Ces avantages sont déterminables comptablement, et l’auteur peut en être privé, mais par le pro- noncé d’une créance compensatrice (art. 71 CP) et non par la confiscation. Dès lors, la répression du blanchiment, du fait de sa conception construite sur la notion de confiscation, se limite aux cas dans lesquels l’infraction fiscale aboutit à l’obtention d’une valeur patrimoniale clairement identifiable, à l’instar d’un remboursement d’impôt (par exemple de l’impôt anticipé) ou d’une récompense touchée par l’au- teur de l’infraction ou ses participants (pretium sceleris; par exemple les honoraires dus au conseiller fiscal qui met sur pied le stratagème frauduleux).

A l’inverse de cette opinion, le Tribunal fédéral53 et une autre partie de la doctrine54, de même que le Message du Conseil fédéral55, retiennent qu’une non-dé- pense déterminable arithmétiquement peut faire l’objet de confiscation. Certes, les arrêts du Tribunal fédéral dont il est question n’ont pas trait directement à la confis- cation, mais au séquestre en matière de TVA sur la base de l’art. 46 al. 1 lit. b DPA.

Toutefois, leurs considérants se réfèrent explicitement à la confiscation au sens de l’art. 70 CP et même à l’art. 305bis CP56, alors qu’ils auraient tout aussi bien pu ren- voyer à l’art. 71 CP, applicable en vertu de l’art. 333 CP et dont l’al. 3 permet expres-

52 N. Schmid, in: Kommentar Einziehung, Organisiertes Verbrechen Geldwäscherei, N. Schmid (édit.), vol. I, 2e éd., Zurich 2007, art. 70–72 N 53; Ackermann (n. 47), N 33; F. Baumann, in:

Basler Kommentar Strafrecht I, M. A. Niggli/H. Wiprächtiger (édit.), 3e éd., Bâle 2013, art. 70/71 N 15, 29 s.; Baumann (n. 47), 126 s.; Fuchs (n. 38), N 173, 179, 185 (avec de nom- breuses références supplémentaires sur les deux courants doctrinaux), 205; M. Livschitz, Neue Geldwäschereivortaten – Untaten des Gesetzgebers?, in: Geldwäscherei – Asset Recovery, J.-B. Ackermann/M. Hilf (édit.), Zurich 2012, 56, 88 s. Dans le même sens, puis en sens contraire: Basse (n. 25), N 31, 35.

53 ATF 137 IV 151; ATF 120 IV 367 (ad confiscation de l’économie réalisée par une soustrac- tion d’impôt); ATF 119 IV 16; arrêt du TF 1B_783/2012, 1B_784/2012 et 1B_786/2012 du 16. 10. 2013, consid. 8; arrêts du TF 1B_785/2012 et 1B_787/2012 du 16. 10. 2013, consid. 7;

arrêt du TF 1B_166/2008 du 17. 12. 2008, consid. 5.2.

54 J.-B. Ackermann/G. D’Addario di Paolo, Kriminelle Organisation als Geldwäschereivortat?, fp 2010, 177, 178; G. Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Allgemeiner Teil II, 2e éd., Berne 2006 § 13 N 87, 94; G. Stratenwerth/F. Bommer, Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil II, 7e éd., Berne 2013, § 57 N 26; M. Hirsig-Vouilloz in: Commentaire romand, Code pénal I, art. 1–110 CP, R. Roth/L. Moreillon (édit.), Bâle 2009, art. 70 N 14; Suter/Remund (n. 21), 65;

S. Trechsel/M. Jean-Richard-dit-Bressel, in: Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommen- tar, S. Trechsel/M. Pieth (édit.), 3e éd., Zurich/St-Gall 2018, art. 70 N 2. Contradictoire:

Schauwecker (n. 47), 122, 128 s.

55 Message (n. 24), FF 2014 606.

56 Cf. notamment arrêt du TF 1B_785/2012 et 1B_787/2012 du 16. 10. 2013, consid. 7: «le compte de l’actionnaire réceptionnant le paiement du dividende a pu faire l’objet d’un séquestre en vue de la confiscation. Partant, il y a lieu d’admettre que les avoirs ainsi transférés auraient pu faire l’objet d’une confiscation – et ainsi de blanchiment sous le nouveau droit dans la me- sure où les autres conditions requises sont réunies»; également arrêts du TF 1B_783/2012, 1B_784/2012 et 1B_786/2012 du 16. 10. 2013, consid. 8.

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sément de mettre sous séquestre des valeurs patrimoniales autres que le produit di- rect ou indirect de l’infraction. Si le Tribunal fédéral insiste sur le fait qu’une économie d’impôt peut être séquestrée parce qu’elle est confiscable, on doit donc le prendre au mot57.

Cela étant, l’affirmation par le Tribunal fédéral du principe de la confisca- bilité des montants économisés laisse entière la question de la localisation de l’avan- tage dans le patrimoine de l’auteur. En effet, la valeur «sale», dont le blanchisseur va dissimuler l’existence ou la provenance de l’infraction en amont, ne peut être qu’une valeur déterminable concrètement et localisable58. Or, à strictement parler, l’économie d’impôt se concrétise sur le compte – par définition connu de l’autorité fiscale – par lequel l’auteur paie ses impôts et non sur celui où se trouve la valeur pa- trimoniale dont l’existence est cachée au fisc moyennant un faux.

La controverse revêt une importance fondamentale: une conception large de la confiscation des non-dépenses aboutirait à considérer le patrimoine tout entier du contribuable fraudeur comme contaminé, de sorte que toute transaction serait sus- pecte de blanchiment d’argent, ce qui exposerait la personne physique ou l’entreprise concernée à la paralysie économique59. A l’inverse, une conception étroite aboutirait à rendre le blanchiment d’argent quasiment inapplicable en matière de fraude fiscale.

La pertinence pratique de cette controverse n’a nullement échappé aux Chambres fédérales. Les adversaires les plus implacables de la révision législative au sein du Conseil national ont soutenu un amendement proposé par une initia- tive Merlini, qui aurait limité expressément le blanchiment d’argent aux valeurs restituées dans le cadre d’un remboursement d’impôt («Steuerrückerstattung»)60. Cette initiative mettait en exergue une difficulté juridique réelle, mais la solution qu’elle proposait aurait fait échec à toute transposition sérieuse des nouveaux stan- dards internationaux. C’est donc à juste titre que la représentante du Conseil fédé- ral l’a déclarée non-«GAFI-konform», en relevant qu’un tel amendement aurait rendu l’infraction inapplicable aux comptes offshores détenus en Suisse par des contribuables étrangers61. Il est, en effet, peu probable qu’un contribuable étranger invite l’autorité fiscale de son pays à rembourser de l’argent sur un compte au noir en Suisse, de sorte que les intermédiaires financiers auraient été à l’abri du reproche

57 Comme ici: Suter/Remund (n. 21), 65, n. b. p. 103; contra: G. Bourquin, Infractions fiscales comme infractions préalables au blanchiment d’argent, ASA 2016/2017, 341, 361; Schauwecker (n. 47), 129.

58 Baumann (n. 47), 111 s., 121, 128; V. Delnon/M. Hubacher, Geldwäscherei und Teilkontami- nation, RPS 2016, 326, 340.

59 Waldburger/Fuchs (n. 47), 121.

60 Initiative Merlini, BO CN 2014 1198, 1203.

61 Conseil National (CN): BO CN 2014 1200 s. (Widmer-Schlumpf); également BO CN 2014 1201 s. (Vischer), BO CN 2014 1202 s. (Barazzone); Conseil des Etats (CE): BO CE 2014 733 s.

(Engler).

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de blanchir ces avoir défiscalisés. L’infraction aurait d’ailleurs aussi été peu appli- cable aux contribuables suisses, car l’hypothèse d’un remboursement d’impôt constitue l’exception et non la règle.

Vu le climat extrêmement tendu dans lequel se sont déroulés les débats, la majorité des parlementaires des deux Chambres a préféré par la suite sauver la so- lution gouvernementale et renoncer à résoudre le problème juridique mis en évi- dence, laissant ce soin à la jurisprudence et à la doctrine.

Il aurait été préférable à notre sens d’ajouter une clause explicite dans le texte légal, précisant qu’en matière de fraude fiscale, un acte de dissimulation portant sur la valeur patrimoniale non déclarée est assimilé à un acte de blanchiment d’argent.

C’est la solution que nous avions proposée de lege ferenda en 2013, tout en concé- dant qu’elle aurait été en porte-à-faux par rapport à la construction juridique tra- ditionnelle du blanchiment d’argent62. Elle aurait présenté l’avantage de fournir un ancrage légal précis à la solution apparemment voulu par le Parlement, consistant à réprimer le blanchiment de fraude fiscale même lorsque l’avantage ne prend pas la forme d’un remboursement d’impôt mais d’une économie. La clause aurait sta- tué une exception qui aurait confirmé la règle générale applicable dans les domaines extrafiscaux, exigeant une valeur patrimoniale découlant causalement de l’infrac- tion préalable, précisément identifiable et sujette à confiscation.

En renonçant à clarifier ce point, le législateur a chargé la jurisprudence et la doctrine d’une mission qui n’est pas aisée. Plusieurs auteurs se sont attelés à la tâche, estimant qu’en adoptant le nouvel art. 305bis CP, le législateur a exprimé sa conviction que le problème conceptuel du lien de provenance pouvait et devait être surmonté. Ces auteurs proposent des critères pour définir le lien qui doit exister entre la fraude fiscale et la valeur susceptible de blanchiment, tout en s’efforçant d’éviter le résultat d’une contamination totale du patrimoine du contribuable63.

La plus élaborée des théories à ce jour consiste à soutenir que le blanchiment porte sur l’élément de revenu ou de fortune non fiscalisé, mais qu’il est limité au montant de l’impôt soustrait64. Selon Suter et Remund, «[l]’infraction fiscale qua- lifiée conduisant à une économie d’impôts ne va pas contaminer l’intégralité du

62 U. Cassani, L’infraction fiscale comme crime sous-jacent au blanchiment d’argent: considé- rations de lege ferenda, RSDA 2013, 12, 21; Cassani (n. 17), 87 s.

63 Fuchs (n. 38), N 302; Suter/Remund (n. 21), 64 s.; G. Molo/D. Galliano, L’introduction du blan- chiment fiscal dans le domaine de la fiscalité directe, Jusletter 23 février 2015, N 18, se contentent d’exiger un «lien suffisant». Seul G. Bourquin, Steuergeldwäscherei in Bezug auf direkte Steuern, Berlin 2017, 95, estime sans autre que les montants économisés sont issus de la soustraction, de la fraude et de l’usage de faux, sans nécessité de préciser le lien. Par ail- leurs, le TPF a rendu une première décision sur séquestre pour blanchiment d’une économie d’impôt qui montre qu’il est conscient des difficultés d’interprétation mais estime qu’il convient de les résoudre lors de la décision sur le fond seulement (TPF, BB.2017.129 + 130 du 27 décembre 2017).

64 Suter/Remund (n. 21), 65.

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patrimoine de l’auteur; seule une quote-part correspondant à l’impôt soustrait pourra faire l’objet de blanchiment. Cette quote-part contaminée restera greffée sur les avoirs qui ont fait l’objet de l’infraction fiscale préalable»65. Fuchs semble ex- plorer une voie similaire, admettant une fiction selon laquelle l’avantage fiscal est intégré à l’objet non déclaré, à la condition qu’il y ait un lien causal naturel et adé- quat suffisant66.

Cette proposition permet de résoudre le problème de la localisation, puisqu’elle rattache conceptuellement l’avantage à la valeur non fiscalisée. Toute- fois, la détermination arithmétique de la quote-part afférente à l’économie fiscale ne règle pas sa ségrégation matérielle par rapport à la partie non contaminée. Cette dernière paraît impossible lorsque la fraude fiscale porte sur un objet corporel non susceptible de scission (un immeuble, une voiture, un tableau, etc.), de sorte que tout acte de disposition ou de dissimulation de la chose toute entière est susceptible de constituer un blanchiment.

La ségrégation de la quote-part contaminée devrait a priori être plus aisée si l’élément dissimulé consiste en argent liquide ou monnaie scripturale, notam- ment un compte en banque. Elle n’en soulève pas moins des difficultés d’interpré- tation considérables. La question de la contamination partielle d’un compte n’est pas nouvelle, mais elle a été examinée jusqu’à présent sous un angle différent, soit celui du mélange réel – et non d’une greffe théorique – de l’argent issu d’un crime à de l’argent de provenance licite. Les controverses entourant cette question sont nom- breuses67 et n’ont pas encore été tranchées par le Tribunal fédéral; aucune théorie ne paraît d’ailleurs entièrement satisfaisante. Ce nonobstant, la théorie résiduelle (ou de la «sédimentation»; «Bodensatztheorie»), préconisée notamment par Delnon et Hubacher68, paraît la plus adéquate pour déterminer la quote-part «issue» de l’in- fraction fiscale69. Elle permet de considérer que la valeur contaminée ne se mélange pas aux valeurs licites, ni qu’elle «surnage», mais qu’elle forme un sédiment conta- miné. L’auteur peut ainsi disposer de son compte de manière licite, tant que la va- leur de la quote-part non contaminée reste disponible sur le compte. Cette théorie a pour avantage de ne pas paralyser complètement l’activité économique de l’auteur ou de l’entreprise au sein de laquelle l’infraction a été commise. Elle a aussi pour co- rolaire que la quote-part reste soumise à la confiscation aussi longtemps qu’il reste de l’argent sur le compte, raison pour laquelle elle est parfois appelée «Zugriffslösung».

La théorie de Suter et Remund paraît à l’heure actuelle la plus structurée, même si la «greffe» dont il est question ici reste une construction hasardeuse au re-

65 Suter/Remund (n. 21), 65.

66 Fuchs (n. 38), N 302.

67 Pour une vue d’ensemble des opinions soutenues, cf. Delnon/Hubacher (n. 58), 348.

68 Delnon/Hubacher (n. 58), 348.

69 Fuchs (n. 38), N 304; Donatsch/Thommen/Wohlers (n. 23), 500.

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gard du texte légal qui renvoie à la notion de confiscation70. Elle permet notamment de saisir les constellations telles que les dividendes cachés versés par la société ano- nyme à son actionnaire71, directement ou indirectement, par exemple sous la forme de rétrocessions versées par les fournisseurs de l’entreprise à l’actionnaire. Dans cette hypothèse, le dividende caché prélevé contient l’impôt anticipé de 35% («Ver- rechungssteuer»), qui aurait dû être retenu à la source sur les rendements de capi- taux72. Il en va de même du non-prélèvement de la retenue de l’impôt à la source que l’intermédiaire financier est tenu d’opérer en vertu de l’accord FATCA73, parce que le client ou son ayant droit sont faussement identifiés comme des personnes non soumises («Non-US Persons»). Dans cette hypothèse, le montant non retenu peut être localisé sur le compte non annoncé. Il paraît plus difficile de considérer que cela est également le cas des relations bancaires soumises aux accords sur l’échange automatique de renseignements conclus par la Suisse, qui ne prévoient pas de retenues opérées sur les comptes au bénéfice du fisc étranger. La théorie de la localisation de l’impôt éludé sur l’élément non fiscalisé pourrait inclure ces si- tuations, mais cette interprétation semble particulièrement osée s’agissant d’un im- pôt payable à l’étranger, la greffe sur un élément sis en Suisse devenant alors très théorique.

Enfin, l’approche est inopérante lorsque l’avantage fiscal ne résulte pas de la non-déclaration d’un élément imposable, mais de la déclaration mensongère de dé- penses ou de déductions exagérées, dans la mesure où celles-ci ne peuvent être rat- tachées à un élément patrimonial précis. Dans ce cas, l’économie d’impôt – pour autant que l’on admette, avec le Tribunal fédéral, qu’elle puisse être confiscable – se- rait tout au plus localisable sur le compte par lequel le contribuable paie ses impôts.

Les incertitudes qui subsistent mettent en péril la sécurité du droit et repré- sentent un défi pour les autorités pénales, qui devront manier des concepts laissés obscurs par le législateur. Le défi est tout aussi considérable pour les intermédiaires financiers, dont les devoirs de clarification et de communication épousent les contours flous de la définition pénale du blanchiment et qui encourent le risque de se rendre punissables en vertu des art. 37 LBA ou 305bis CP.

70 Cette critique a amené Fuchs à abandonner la théorie: Fuchs (n. 38), N 313.

71 Fuchs (n. 38), N 205; Molo/Galliano (n. 63), N 18; Suter/Remund (n.21), 65. Il convient de no- ter que selon la jurisprudence, le versement de montants cachés par la société anonyme à son actionnaire unique n’est pas constitutif d’infraction pénale au préjudice de l’entreprise, tant que la fortune nette subsistant après le prélèvement suffit à équilibrer le capital social et les ré- serves obligatoires qui garantissent les droits des créanciers (ATF 141 IV 106; ATF 117 IV 266).

Si tel n’est pas le cas, les crimes d’abus de confiance ou de gestion déloyale aggravée entrent en considération (art. 138 et 158 ch. 1 al. 3 CP), de sorte que le blanchiment est possible à ce titre déjà.

72 Fuchs (n. 38), N 205; Suter/Remund (n. 21), 65.

73 Accord entre la Suisse et les Etats-Unis d’Amérique sur leur coopération visant à faciliter la mise en œuvre du FATCA du 14 février 2013, entré en vigueur le 2 juin 2014, RS 0.672.933.63.

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2. Les autres nouveautés en matière de blanchiment d’argent

L’adaptation du droit suisse aux normes internationales en matière de blan- chiment est passée par un grand nombre d’autres nouveautés, dont les plus impor- tantes seront brièvement esquissées ci-dessous.

a) L’extension de la LBA aux négociants

Pour la première fois, la LBA est étendue à des acteurs en dehors du secteur financier et des casinos, soit «aux personnes physiques ou morales qui, à titre pro- fessionnel, négocient des biens et reçoivent des espèces en paiement (négociants)»

(art. 2 al. 1 lit. b LBA)74.

Ces commerçants («Händlerinnen und Händler») sont soumis aux obliga- tions de diligence et de communication en vertu de la LBA, mais seulement s’ils ac- ceptent, pour une transaction ou des transactions liées, des espèces pour un mon- tant supérieur à 100 000 francs. Si les paiements dépassant ce seuil sont effectués par le biais d’un intermédiaire financier, le négociant est libéré de ces devoirs (art. 8a al. 4 LBA75), au motif que c’est alors l’intermédiaire financier qui s’en acquitte.

En vertu du nouvel art. 8a al. 1 et 2 LBA, les négociants (au sens de l’art. 2 al. 1 lit. b LBA) auront le devoir d’identifier le cocontractant et l’ayant droit écono- mique, de conserver les documents relatifs à ces opérations et de clarifier l’ar- rière-plan économique. Ces devoirs ont été précisés par les art. 13 s. OBA76, dont la version finale77 semble répondre à un souci d’alléger le régime applicable aux né- gociants par des clauses qui sont parfois en conflit avec la LBA. Pour prendre un exemple, lorsque le cocontractant est représenté, l’art. 17 OBA ne prévoit ni l’iden- tification du représentant ni le contrôle au moyen d’une pièce d’identité de l’iden- tité du cocontractant, ce qui paraît contraire à l’art. 8a al. 1 et 3 LBA.

Les négociants sont également soumis à l’obligation de communication (art. 9 al. 1bis LBA), mais seulement pour les soupçons concernant les espèces utili- sées lors d’une opération de négoce. Si c’est le bien vendu qui est de provenance il- licite, ce devoir ne s’applique pas. Quant aux soupçons, ils sont également plus étroi- tement définis pour les négociants en comparaison avec les intermédiaires financiers,

74 Pour une analyse critique plus détaillée du régime réservé aux négociants, cf. U. Cassani/

J. Henninger, Kunsthandel und Geldwäscherei – neue Risiken, neue Sorgfaltspflichten, in:

Kunst und Recht 2016, P. Mosimann/B. Schönenberger (édit.), Berne 2017, 75, 87 s.

75 Pour le devoir de communiquer, le seuil de 100 000 francs ne ressort pas explicitement de la LBA, mais du Rapport explicatif concernant l’ordonnance sur le blanchiment d’argent (OBA) – mise en œuvre des recommandations du GAFI du 11 novembre 2015, 11.

76 Ordonnance sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (OBA) du 11 novembre 2015, RS 955.01. Cf. aussi le Rapport explicatif précité (n. 75).

77 Le projet soumis à une procédure de consultation ouverte le 10 juillet 2015, avec un rapport explicatif, était plus exigeant sur plusieurs points.

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puisqu’ils concernent les art. 260ter ch. 1 et 305bis CP, y compris en cas de soupçon d’un délit fiscal qualifié (art. 9 al. 1bis lit. a – c LBA), mais non le financement du terrorisme78.

Cette solution a été introduite par les Chambres fédérales en toute fin du processus législatif; elle diffère de la prohibition pure et simple des paiements en espèces supérieurs à 100 000 francs qui avait été proposée par le Conseil fédéral. En soumettant certaines transactions en espèces à la LBA, le législateur suisse s’ap- proche du modèle découlant de la directive européenne sur le blanchiment, qui s’applique aux «personnes négociant des biens, dans la mesure où les paiements sont effectués ou reçus en espèces pour un montant égal ou supérieur à 10 000 EUR»79. Toutefois, le montant seuil dépasse de loin celui choisi par nos voisins européens, et seule l’acceptation des espèces est visée. De manière prévisible, le rapport d’éva- luation mutuelle du GAFI a relevé les carences du droit suisse au regard notam- ment de la nécessité de mesures instaurant plus de transparence dans le domaine du commerce de l’art80.

Quant au contrôle du respect des devoirs incombant aux négociants, il est net- tement plus léger que dans le secteur financier, puisqu’en lieu et place d’une surveil- lance par l’autorité ou un organisme d’autorégulation, la loi prévoit une simple véri- fication par l’organe de révision ordinaire (art. 15 al. 1 LBA), dont le rapport est destiné à l’organe responsable du négociant lui-même (art. 15 al. 4 LBA). Il s’agit donc d’un autocontrôle et non d’une surveillance, étant précisé que le réviseur est tout de même tenu de prévenir immédiatement le bureau de communication (MROS) s’il constate que le négociant ne remplit pas son obligation de communiquer (art. 15 al. 5 LBA).

Le négociant qui ne mandate pas un réviseur alors qu’il accepte au moins une transaction en espèces supérieure à 100 000 francs encourt une amende en vertu de l’art. 38 LBA et commet donc une contravention soumise au droit pénal administratif. De même, l’art. 37 LBA réprimant la violation intentionnelle ou par négligence du devoir de communiquer s’applique également aux négociants, au contraire de l’art. 305ter CP, dont le texte clair est limité aux professionnels du sec- teur financier. Enfin, il va de soi que les négociants peuvent se rendre coupables de blanchiment d’argent en vertu de l’art. 305bis CP, étant précisé que la LBA leur confère désormais une position de garant qui peut rendre l’omission punissable.

78 Il est proposé de combler cette lacune dans le cadre de l’Arrêté portant sur l’approbation et la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe du 16 mai 2005 pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel du 22 octobre 2015 ainsi que sur le renforce- ment des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé, pour lequel un avant-pro- jet a été envoyé en consultation le 21 juin 2017 avec un rapport explicatif du même jour.

79 Art. 2 § 1 (3) (e) et art. 11 (c), ainsi que le considérant 6 de la Directive 2015/849 du Parlement eu- ropéen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, JO L 141 du 5. 6. 2015, 73.

80 GAFI, REM Suisse 2016 (n. 5), 42, 109, 216 s.

(19)

b) Les précisions concernant l’identification de l’ayant droit économique L’art. 305ter al. 1 CP réprime la violation du devoir de vigilance en matière d’identification de l’ayant droit économique. Une partie de la doctrine81, que le Tri- bunal fédéral82 semble suivre, préconise une interprétation plus large, incluant la violation d’autres devoirs incombant à l’intermédiaire financier en se prévalant de la note marginale de l’article («défaut de vigilance en matière d’opérations finan- cières»). Cette interprétation nous paraît erronée au regard des éléments constitu- tifs de l’infraction, qui ne mentionnent que l’omission «de vérifier l’identité de l’ayant droit économique avec la vigilance que requièrent les circonstances». Dans un domaine qui s’illustre par une densité normative sans pareil, il convient de se référer à la signification précise de la notion de vérification de l’identité de l’ayant droit économique, découlant de l’art. 4 LBA et de la CDB.

La révision législative entrée en vigueur le 1er janvier 2016 apporte un cer- tain nombre de précisions concernant l’identification de l’ayant droit économique.

C’est ainsi que l’art. 4 LBA exprime clairement que c’est toujours une personne phy- sique qui doit être identifiée comme ayant droit économique.

Par ailleurs, la définition de l’ayant droit économique d’une personne mo- rale ayant une activité opérationnelle a été adaptée aux exigences découlant des re- commandations du GAFI83. En vertu de l’art. 2a al. 3 LBA, il convient d’identifier

«les personnes physiques qui, en dernier lieu, contrôlent la personne morale, du fait qu’elles détiennent directement ou indirectement, seules ou de concert avec un tiers, une participation d’au moins 25% du capital ou des voix ou qu’elles la contrôlent d’une autre manière. Si ces personnes ne peuvent pas être identifiées, il y a lieu d’identifier le membre le plus haut placé de l’organe de direction84

81 J.-B. Ackermann, Geldwäscherei – Money Laundering. Eine vergleichende Darstellung des Rechts und der Erscheinungsformen in den USA und der Schweiz, Zurich 1992, 112; M. Kistler, La vigilance requise en matière d’opérations financières, Lausanne 1994, 195; N. Schmid, in:

Kommentar Einziehung, Organisiertes Verbrechen Geldwäscherei, N. Schmid (édit.), vol. II, Zurich 2002, art. 305ter N 171 s.; M. Pieth in: Basler Kommentar Strafrecht II, M. A. Niggli/

H. Wiprächtiger (édit.), 3e éd., Bâle 2013, art. 305ter N 19; contra: C. Egger Tanner, Die straf- rechtliche Erfassung der Geldwäscherei, Zurich 1999, 276 s.; S. Trechsel/M. Pieth, in: Schweize- risches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 3e éd., Zurich/St-Gall 2018, art. 305ter N 9 et 14.

82 L’ATF 138 IV 1 semble considérer que le devoir d’identification du cocontractant (nom, pré- nom, adresse, date de naissance et nationalité) bénéficie également de la protection de l’art. 305ter al. 1 CP.

83 Recommandations 2012 du GAFI, note interprétative de la recommandation 10, C, 5 (b).

84 Une obligation d’annonce de l’acquisition d’actions au porteur de sociétés non cotées en bourse (art. 697i CO), ainsi qu’une obligation d’annoncer l’ayant droit économique des actions non cotées en bourse, lorsque le seuil de 25% est atteint (art. 697j CO). De même, les ayants droit économiques des parts sociales devront être annoncés aux sociétés à responsabilité limitée (art. 790a CO).

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L’obligation d’identifier l’ayant droit économique de personnes morales qui ont une activité opérationnelle constitue une nouveauté. Avant la révision, seuls les ayant droits économiques des entités sans activité opérationnelle (sociétés de do- micile) devaient être identifiés. Cette obligation subsiste évidemment, étant précisé que toutes les personnes physiques doivent être identifiées, même si elles détiennent moins de 25% de l’entité. L’intermédiaire financier peut en revanche renoncer à re- chercher les personnes physiques qui contrôlent les personnes morales cotées en bourse et les filiales détenues majoritairement par de telles sociétés (art. 4 al. 1, 2e phrase LBA).

L’interprétation du critère des 25% suscite des controverses doctrinales en cas de participation de contrôle indirect, hypothèse qui est clairement visée à l’art. 2a al. 3 LBA. Lorsqu’une personne morale détient au moins 25% du capital ou des voix et qu’elle est à son tour détenue par une autre entité juridique, il convient de rechercher la personne physique à qui ce contrôle peut être imputé, et ainsi de suite si la détention est plus indirecte encore. Selon le Commentaire de la CDB 16,

«[l]es participations détenues par les sociétés interposées sont imputées aux per- sonnes physiques qui, en dernier lieu, exercent le contrôle effectif de ces sociétés interposées (principe d’imputation)», ce qui serait admis, notamment, «lorsqu’une personne physique détient plus de 50% des droits de vote ou du capital de cette so- ciété»85. La doctrine évoque d’autres solutions pour déterminer qui détient le contrôle, en préconisant l’identification comme ayant droit économique des per- sonnes détenant 25% des personnes morales interposées à chaque échelon86 ou en multipliant les taux de participation au différents niveaux87 (p. ex. l’actionnaire à 70% de la société A, qui elle-même détient 90% de B, qui détient 40% de C, est ré- puté contrôler C [25,2%]). La solution préconisée par le Commentaire de la CDB 16 nous paraît adéquate pour définir le contrôle indirect sur une société opération- nelle. En effet, celui qui contrôle plus de 50% contrôle l’entité juridique interposée toute entière, de sorte que l’intégralité des 25% de la société détenue par elle peut lui être imputée. Tout comme la loi, la définition préconisée par le Commentaire de la CDB 16 laisse toutefois une marge pour la prise en compte d’autres formes de contrôle reconnaissables.

85 Commentaire concernant la Convention relative à l’obligation de diligence des banques (CDB 16), 17 s. (ad art. 20 s. CDB 16); également F. Hawkins, in: Geldwäschereigesetz (GwG), P. V. Kunz/T. Jutzi/S. Schären (édit.), Berne 2017, art. 2a N 90 s.

86 M. Vischer/D. Galli, Wer ist die wirtschaftlich berechtigte Person gemäss Art. 697j OR?, RSJ 2016, 481, 487 (pour les participations indirectes à un niveau).

87 D.  Gericke/D.  Kuhn, Neue Meldepflichten bezüglich Aktionären, Gesellschaftern und wirtschaftlich Berechtigten – die «société anonyme» ist Geschichte, PJA 2015, 849, 855 s.;

Vischer/Galli (n. 86), 487 (pour les participations indirectes à plusieurs niveaux).

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