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La régulation du flux d'information entre les niveaux de production : l'accord grammatical comme outil d'investigation

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Academic year: 2022

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La régulation du flux d'information entre les niveaux de production : l'accord grammatical comme outil d'investigation

FRANCK, Julie, HUPET, Michel

FRANCK, Julie, HUPET, Michel. La régulation du flux d'information entre les niveaux de

production : l'accord grammatical comme outil d'investigation. L'Année psychologique, 2001, vol. 101, no. 3-4, p. 463-493

DOI : 10.3406/psy.2001.1343

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88683

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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L'année psychologique

La régulation du flux d'information entre les niveaux de production : l'accord grammatical comme outil d'investigation//The regulation of information flow between production levels : Grammatical

agreement as an investigation tool

Julie Franck

,

Michel Hupet

Citer ce document / Cite this document :

Franck Julie, Hupet Michel. La régulation du flux d'information entre les niveaux de production : l'accord grammatical comme outil d'investigation//The regulation of information flow between production levels : Grammatical agreement as an investigation tool. In: L'année psychologique. 2001 vol. 101, n°3-4. pp. 463-493;

doi : 10.3406/psy.2001.1343

http://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2001_num_101_3_1343

Document généré le 09/06/2016

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L'Année psychologique, 2001, 101., 463-493

REVUES CRITIQUES

Département de psychologie expérimentale Université catholique de Louvain1

LA REGULATION DU FLUX D'INFORMATION ENTRE LES NIVEAUX DE PRODUCTION :

L'ACCORD GRAMMATICAL COMME OUTIL D'INVESTIGATION par Julie FRANCK2 et Michel HUPET3

SUMMARY : The regulation of information flow between production levels : Grammatical agreement as an investigation tool.

This paper surveys the literature on grammatical agreement in order to synlhesise and distinguish theoretical arguments and experimental data relative to the maximal and minimal input hypotheses. The maximal input hypothesis assumes that during the construction of a syntactic frame for the sentence, the grammatical encoder takes advantage of any relevant information, i.e. information within the lexicon, but also from the conceptual and morphophonological levels. In contrast, the minimal input hypothesis assumes that only a limited flow of lexico- syntactic information reaches the grammatical encoder. Experimental data on adult performance in grammatical agreement tasks are considered in different languages. Major differences are reported between English and romance languages like French, Italian and Spanish as to the question of the minimal vs. maximal input frameworks. It is suggested that contradictions between results have to be examined in the light of the variability within each language as well as between languages. We suggest that the use of a particular information (conceptual, lexical, morphophonological)

1. Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Education, 10, place Cardinal Mercier, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique.

2. Email :franck@psp. ucl.ac.be.

3. Noie des auteurs : Ce travail a été réalisé alors que le premier auteur bénéficiait d'un mandat d'Aspirant de recherche du Fonds National de la Recherche Scientifique Belge.

(4)

464 Julie Franck et Michel Hupet depends simultaneously on its validity and on its cost, with these two indexes varying both within and between languages.

Keywords : information flow, agreement, grammatical encoding, maximal and minimal input hypotheses, conceptual and morphophonological information, cross-linguistic observations.

INTRODUCTION

Lorsqu'il s'agit d'expliciter les processus cogriitifs nécessaires aussi bien à la production qu'à la compréhension d'énoncés, une des questions qui se pose au chercheur est celle des flux d'information entre les différents niveaux de traitement dont on postule l'existence pour rendre compte du fonctionnement général du langage. Cette question a suscité de très vifs débats portant spécifiquement sur la nature des informations qu'utilise le système engagé dans les traitements morphosyntaxiques sous-jacents aussi bien à la concaténation (en production) qu'à la délinéarisation (en

compréhension) des éléments d'un énoncé. Au cœur de ces débats se trouve toujours la question de l'isolation de la syntaxe, c'est-à-dire la question de

savoir si les traitements morphosyntaxiques s'opèrent à l'abri des

informations non syntaxiques (informations conceptuelles, lexicales, sémantiques, pragmatiques), ou si au contraire ils s'effectuent sous influence, fut-elle partielle, de ces autres informations.

C'est en matière de compréhension de phrases que ces débats ont été les plus développés (pour une revue en français, voir Schelstraete, 1993),

opposant : a) les partisans de modèles autonomes pour qui le traitement syntaxique est envisagé comme une étape obligatoire, préalable à toute

interprétation et complètement autonome (ex. Frazier, 1990) ; b) les partisans de modèles interactifs pour qui le traitement syntaxique obligatoire s'effectue parallèlement à d'autres traitements, avec échange mutuel d'informations (ex. Altmann, 1989 ; Perfetti, 1990) ; et c) les partisans de modèles intégratifs pour qui il n'y a pas lieu de faire intervenir une

représentation syntaxique intermédiaire, la représentation conceptuelle étant construite d'emblée (ex. Marslen-Wilson et Tyler, 1987).

La question de l'isolation de la syntaxe a moins envahi la littérature relative à la production de la phrase, sans doute en raison de la difficulté d'investiguer expérimentalement les processus en jeu. Le débat a

néanmoins été lancé lorsque des modèles ont suggéré que certains des

traitements impliqués dans l'élaboration de la structure formelle de la phrase pourraient relever d'un système syntaxique isolé des autres composantes de la production (Garrett, 1988). Ce débat peut être repris aujourd'hui à la lumière d'arguments et de faits mis en avant par les nombreux travaux expérimentaux qui, ces dernières années, ont été consacrés à l'étude des

(5)

L'accord grammatical 465 processus sous-jacents à la réalisation de l'accord grammatical en nombre et en genre.

Ce sont ces travaux que nous examinerons dans cet article. L'analyse des erreurs d'accord, et plus particulièrement l'analyse des variables pouvant influencer leur occurrence est en effet susceptible de nous éclairer sur l'isolation des processus d'élaboration de la structure syntaxique. Trois raisons peuvent être avancées pour soutenir cette idée. Premièrement, l'accord est une opération typiquement syntaxique en vertu de laquelle deux éléments reçoivent la même caractéristique de nombre, de genre ou de personne parce qu'ils entretiennent une relation particulière. Le lien unissant ces deux éléments existe à la fois au niveau du sens du message (par exemple, le sujet et le verbe sont liés par une relation de type <agent pluriel, prédicat pluriel>), au niveau de la syntaxe utilisée pour exprimer ce message (un verbe sera pluriel si le sujet est pluriel) et au niveau de la forme des mots sélectionnés (le pluriel se retrouve à la fois dans la

morphologie du sujet et dans celle du verbe). Cette présence de la relation d'accord aux niveaux conceptuel, syntaxique et morphophonologique permet donc d'aborder directement la question du flux d'information entre les niveaux de production de la phrase. Deuxièmement, l'accord repose sur des règles relativement simples, précises et peti sujettes aux irrégularités.

L'accord est une opération hautement automatisée, ce qui la rend

relativement peu sensible à des variations individuelles, contextuelles (comme l'étude en laboratoire) ou encore socioculturelles. Enfin, l'accord est requis dans plus des trois quarts des langues naturelles ; l'étude en parallèle des erreurs d'accord dans différentes langues peut donc s'avérer

éclairante quant à la question plus générale de l'universalité des

mécanismes sous-jacents aux opérations syntaxiques (ex. Bates et McWhinney, 1989).

Après un aperçu des erreurs d'accord relevées dans différents corpus de langage spontané, nous présenterons très succinctement la structure

générale de ce qu'on peut considérer comme un modèle de référence en

production du langage, et la place que ce modèle réserve à l'accord. En ce qui concerne les relations entre les niveaux de traitement postulés dans ce modèle et impliqués dans la réalisation de l'accord, on examinera deux hypothèses. La première hypothèse postule un flux d'information minimal d'un niveau à l'autre, restreint aux informations strictement nécessaires, suivant un principe d'économie visant à assurer la rapidité du système. La seconde hypothèse postule un flux d'information maximal entre les niveaux de production, y compris entre le système proprement linguistique et le système plus large de connaissances ; elle met l'accent sur l'importance de la redondance, vue comme un facteur assurant une production correcte en cas de perte d'information.

(6)

466 Julie Franck et Michel Hupet

I. LES ERREURS D'ACCORD EN PRODUCTION SPONTANÉE

Nous l'avons mentionné plus haut, le taux d'erreurs syntaxiques en langage spontané est extrêmement faible. Il est donc difficile d'établir un relevé systématique des contextes linguistiques propices à leur apparition sur la simple base d'observations naturelles. Les grammairiens s'accordent néanmoins pour reconnaître deux grands types d'erreurs d'accord

apparaissant dans le langage spontané (Quirk, Greenbaum, Leech et Svartvik, 1972). Les premières, appelées erreurs de proximité ou d'attraction,

consistent à accorder un mot (cible) non pas avec le mot qui commande l'accord (source) mais avec un autre mot (dit « local ») plus proche de la cible dans la phrase, et souvent complément du sujet (Hanse, 1987). Une erreur de proximité ne peut survenir que si la source et le nom local ne portent pas la même marque de nombre ou de genre. En (1) et (2) par exemple, le verbe n'est pas accordé avec le sujet de la phrase mais avec le nom local qui le précède.

(1) La fille des voisins sont partis en voiture.

(2) II les emporteront en vacances.

Les erreurs d'accord en genre sont encore moins rapportées que celles en nombre dans la littérature. Certaines semblent également suivre le principe de proximité, comme il est illustré en (3).

(3) Le pays dans laquelle la recherche se développe le plus (...).

Le second type d'erreur d'accord relevé par les grammairiens consiste à considérer, pour accorder l'élément cible, non pas la marque

grammaticale de l'élément source, mais bien la représentation notionnelle que s'en fait le locuteur. Les exemples (4) à (6) ci-dessous illustrent ces accords dits sylleptiques (Grévisse, 1993) ou plus simplement notionnels ou

conceptuels, parce que la représentation conceptuelle l'emporte sur la marque grammaticale.

(4) Le résultat des trois expériences sont explicites.

(5) Quelle sera l'ordre de grandeur de cette augmentation ? (Internet, Microsoft Info).

(6) The proportion of gender agreement errors were much higher (Lecteur anonyme, JML).

En (4) comme en (6), le sujet grammatical est au singulier mais réfère à une entité plurielle : le locuteur fait référence à l'ensemble des résultats en (4), et aux erreurs en (6). C'est précisément la présence du nom local pluriel qui rend le sujet pluriel au niveau conceptuel. Dans ces cas, le nombre notionnel de l'entité de référence et le nombre grammatical y

correspondant sont en discordance et le locuteur a privilégié, à tort, le nombre

(7)

L'accord grammatical 467 notionnel. En (5), le locuteur semble avoir considéré comme source de l'accord non pas l'ordre de grandeur mais la grandeur elle-même, qui

représente la réelle source de l'accord au niveau conceptuel.

II. L'ACCORD DANS LES MODELES DE PRODUCTION

Trois grandes questions se posent quant à la réalisation de l'accord : 1 / Quand, à quel stade de la production l'accord a-t-il lieu ? 2 / Comment, par quel mécanisme est-il construit ? 3 / Sur base d'information de quelle nature est-il effectué ?

Comme on ne peut répondre à ces questions qu'en se référant à un modèle, de production du langage, rappelons très succinctement ce qui, dans l'état actuel de nos connaissances, peut être considéré comme les ingrédients de base de tout modèle de production. Le modèle de référence que nous exposons ici émane essentiellement des travaux de Garrett (ex.

1988, sous presse) et de Levelt (ex. 1989 ; Bock et Levelt, 1994 ; Levelt, Roelofs et Meyer, 1999). Ce modèle comporte trois niveaux : le premier est responsable de l'élaboration de la structure conceptuelle du message, il est

assuré par le système cognitif central. Le second relève du traitement proprement linguistique de cette structure conceptuelle, il assure la sélection des mots et leur organisation dans une structure syntaxique. Enfin, le troisième gère l'articulation du message et relève par conséquent du système moteur. Le niveau de traitement linguistique est lui-même constitué de deux grandes composantes, l'une, responsable du traitement lexical, l'autre, responsable du traitement syntaxique. Lors d'une première étape, dite d'encodage grammatical (Levelt, 1989), le traitement lexical consiste en la sélection des lemmes. Les lemmes sont des unités comportant les

propriétés sémantiques (ex. animé/inanimé) et syntaxiques (ex. catégorie

grammaticale, type de structure grammaticale dans laquelle le mot peut entrer, genre) des mots. Toujours au cours de l'encodage grammatical, ces unités reçoivent la fonction syntaxique qu'elles assureront dans la phrase (ex.

sujet, objet du verbe) et sont organisées au sein d'une structure de type hiérarchique qui définit les relations syntaxiques qu'elles entretiennent.

L'unité d'encodage syntaxique à ce stade est la proposition. A l'issue de l'encodage grammatical, la structure fonctionnelle de la phrase est élaborée (Garrett, 1988). C'est seulement au stade suivant qu'a lieu l'encodage phonologique au cours duquel la forme phonologique est récupérée du lexique, ainsi que les caractéristiques prosodiques et segmentales de chaque lemme.

L'ordre final dans lequel ils seront arrangés est déterminé et les morphèmes grammaticaux (ex. déterminants, flexions de nombre, prépositions, etc.) sont insérés dans ce cadre. La structure issue de ce stade est dite position- nelle. Un tel modèle est basé sur un principe de séquentialité biunivoque selon lequel seul le niveau n— 1, strictement antérieur au niveau n,

constitue le matériel sur lequel le niveau n doit opérer. Ni le niveau n — 2, ni le

(8)

468 Julie Franck et Michel Hupet Élaboration

du message

Représentation conceptuelle Récupération des

lemmes Elaboration de la

structure syntaxique Assignation de la fonction syntaxique

Représentation fonctionnelle Récupération de la

forme phonologique Spécification de l'ordre des mots Assignation des propriétés prosodiques et segmentalcs

Représentation positionnelle

Fig. 1. — Modèle de production de la phrase inspiré de Garrett (1988) et Levelt (1989)

Model of sentence production, inspired form Garrett (1988) and Levelt (1989)

niveau n + 1 ne peuvent influencer le traitement de l'information au niveau n. Ce modèle est illustré par la figure 1.

Dans ce cadre théorique général, quelles réponses peut-on apporter aux trois questions que pose l'accord ? Tout d'abord, quand l'accord a-t-il lieu ? L'accord est supposé avoir lieu au stade de l'encodage grammatical lorsque les relations syntaxiques entre les mots sont établies. L'accord aurait lieu après que les lemmes correspondant aux unités conceptuelles aient été sélectionnés et après qu'ils aient été assignés à une fonction syntaxique.

Une telle information est effectivement nécessaire puisque l'accord se fait entre deux éléments jouant un rôle syntaxique spécifique dans la phrase (ex. en français, l'adjectif prédicatif s'accorde avec le genre du nom

occupant la position de sujet). L'accord se ferait néanmoins avant l'encodage phonologique, puisqu'il a été montré que certaines caractéristiques propres à la structure hiérarchique fonctionnelle, et non positionnelle, de la phrase influencent sa réalisation (Vigliocco et Nicol, 1998 ; Franck, Vigliocco, et Nicol, sous presse).

Comment l'accord se fait-il ? Les linguistes conçoivent

traditionnellement l'accord en termes de copiage (ex. Chomsky, 1965 ; Akmajian et Heny, 1975) ou encore d'héritage (Gazdar, Klein, Pullum et Sag, 1985) des marques de l'élément source (ex. le sujet) sur l'élément cible (ex. le verbe).

(9)

L'accord grammatical 469 Plus récemment, certains psycholinguistes (ex. Bock et Cutting, 1992) ont montré que la structure propositionnelle, élaborée lors de l'encodage

grammatical, joue un rôle important dans la construction de l'accord. Des éléments partageant la même proposition peuvent entrer en concurrence pour le statut de source, tandis qu'un élément situé dans une proposition

différente de celle de la source n'influence pas le processus d'accord. À partir d'études menées sur l'accord en modalité écrite, Fayol et collaborateurs (Fayol, Largy et Lemaire, 1994) ont suggéré un mécanisme d'accord s'effectuant en deux temps. Dans un premier temps, un mécanisme de copiage interviendrait par lequel la flexion du nom qui précède

immédiatement le verbe activerait automatiquement la flexion correspondante du verbe. Dans un second temps, un processus de réédition prégraphique

serait mis en place pour contrôler le résultat de cette opération automatique. Ce contrôle ne serait toutefois déclenché que dans certaines conditions particulières, comme par exemple la présence d'un nom local ne pouvant pas constituer un sujet plausible du verbe (Hupet, Schelstraete, Demaeght et Fayol, 1996 ; Hupet, Fayol et Schelstraete, 1998). Enfin, le modèle de production avancé par Kempen et Vosse (1989, voir aussi de Smedt, 1990) suggère que l'accord est effectué sur la base du principe d'unification des segments syntaxiques guidant l'encodage grammatical.

Dans ce cadre, la cible est, comme la source, spécifiée pour les différentes marques d'accord directement à partir de la représentation conceptuelle de la phrase. L'accord n'est ainsi plus conçu comme une relation asymétrique de copiage d'information de la source sur la cible, mais comme une

opération d'unification des marques se situant simultanément sur les deux segments à accorder.

La troisième question concerne la nature de l'information contrôlant l'opération d'accord. Deux perspectives théoriques se dégagent des

différents travaux sur l'accord (Vigliocco et Franck, 1999). La première

perspective découle directement de la conception strictement séquentielle de la production telle qu'elle est illustrée par le modèle de référence présenté ci-dessus. Dans cette optique, l'accord étant une opération syntaxique effectuée lors de l'encodage grammatical, seule l'information

lexico-syntaxique véhiculée par le lemme-source est supposée influencer sa construction. L'information lexico-syntaxique sur la source ne porte pas de

signification particulière, il ne s'agit que d'un indice abstrait à copier sur la cible.

Dans une telle optique, la représentation conceptuelle du message, située au niveau n — 2 par rapport à l'accord au niveau n, détermine la sélection de l'information lexico-syntaxique de la source (par exemple l'information masculin si le concept est un homme, féminin s'il s'agit d'une femme), mais seule cette dernière, située au niveau n - 1, est prise en compte pour

effectuer l'accord. Par ailleurs, les informations de nature morphophonologique sur la source (par ex. la présence du « s » ou du « x » final), au niveau n + 1, n'influencent pas non plus la réalisation de l'accord puisque leur encodage n'est effectué qu'après la réalisation de l'accord. Cette approche suppose un important cloisonnement de l'information dans le traitement

(10)

470 Julie Franck et Michel Hupet linguistique ; en ce qui concerne le traitement syntaxique de l'accord, une

quantité minimale d'information pénètre ses opérations, à savoir

l'information lexico-syntaxique, strictement nécessaire. Nous résumons cette optique sous le terme d'hypothèse minimale' .

La seconde perspective théorique n'impose pas de contraintes

concernant le flux d'information pénétrant le traitement syntaxique de l'accord.

L'information conceptuelle sous-jacente à l'information lexico-syntaxique de la source influence, elle aussi, l'accord. Par exemple, si le sujet de la phrase est la vendeuse, le système de production dispose d'une double

information : au niveau conceptuel, il s'agit d'une femme, tandis qu'au niveau lexico-syntaxique il s'agit d'un mot féminin. La présence de cette

information conceptuelle, lorsqu'elle coïncide avec l'information lexico-syntaxique, est supposée faciliter la réalisation de l'accord de l'adjectif prédicatif (ex. La

vendeuse est attirante) comparativement à l'absence d'une telle information (ex. La vitrine est attirante). Par ailleurs, le syntagme nominal la vendeuse comporte également des indices morphophonologiques de genre à la fois sur sa terminaison (-euse) et sur l'article (la). Le flux d'information n'étant que peu contraint, ces indices de nature morphophonologique, spécifiés lors de l'encodage phonologique, peuvent aussi faciliter la réalisation de l'accord. Une telle perspective trouve sa source dans les approches inter -

actionnistes de la production basées sur le principe de diffusion de l'activa- tion entre les niveaux de traitement (ex. Bates et MacWhinney, 1989 ; Dell, 1986 ; Harley, 1993 ; Stemberger, 1985). Dans ces modèles, l'information circule de haut en bas, mais également de bas en haut, par un mécanisme de rétroaction, entraînant ainsi une redondance de l'information à chaque niveau de la production. Dans un tel système, de l'information de nature non syntaxique peut être utilisée en cas de perte de l'information syntaxique, ou comme renfort de cette information. L'encodeur grammatical puise ses sources non seulement dans l'information lexico-syntaxique, mais également dans l'information fournie par les structures conceptuelle et mor- phophonologique pour mener à bien l'opération d'accord. Nous résumons cette conception sous le terme d'hypothèse maximale : l'encodeur

grammatical bénéficie d'un input maximal d'informations pour mener à bien la

construction de l'accord. Nous verrons dans la discussion comment l'utilisation d'une information (conceptuelle, lexico-syntaxique, morphophonologique) dépend dans ce cadre à la fois de sa validité (Est-elle disponible ? Est-elle non ambiguë ?) et de son coût (Est-elle perceptible ? Consomme-t-elle

beaucoup de ressources en mémoire ?), ces deux indices variant eux-mêmes d'une langue à l'autre.

1. Notons toutefois que le processus d'assignation des fonctions

syntaxiques a lui aussi Leu au cours de l'encodage grammatical, et jouit pourtant de l'influence, nécessaire, de la représentation conceptuelle. 11 est considéré par les tenants de cette perspective théorique que l'assignation des fonctions

syntaxiques constitue la limite à partir de laquelle les opérations syntaxiques

ultérieures ne sont plus sensibles à l'information conceptuelle (ex. Bock, 1987 ; Garrett, sous presse).

(11)

L'accord grammatical 471 Représentation conceptuelle mmm

(Concept c? ou Ç)

Encodage grammatical -0- l~l Sélection lexicale — — ^- Accord

(lcmme M ou F)

Encodage morphophonologique (ex. déterminant M ou F, suffixe du nom M ou F)

Fig. 2. — Le statut de l'accord dans le cadre des hypothèses minimale et maximale. L'input minimal est illustré par la flèche noire, l'input. maximal est illustré par les flèches noires et pointillées The status of agreement in the maximal and minimal input frameworks.

Minimal input is illustrated by the solid black arrow, maximal input is illustrated by the dashed black arrows

Le statut de l'accord suivant les hypothèses minimale et maximale est illustré dans la figure 2.

III. LES DONNEES EXPERIMENTALES

EN FAVEUR DE L'HYPOTHÈSE MINIMALE

Les premiers travaux de psycholinguistique expérimentale sur l'accord ont été menés par Bock et ses collaborateurs au début des années nonante.

Le paradigme développé par ces auteurs (voir Bock et Miller, 1991), dit de complètement de phrase, a permis de tester l'influence de plusieurs variables, tant conceptuelles que morphophonologiques, et est à l'origine de la

majorité des études menées sur l'accord en production. Le principe de base de ce paradigme est de présenter aux participants un début de phrase formé d'un nom sujet et d'un nom local (ex. La porte des bureaux) et de leur demander de compléter ce préambule en construisant une phrase complète,

comportant un verbe et éventuellement un complément (ex. La porte des bureaux est ouverte). Les erreurs d'accord du verbe produites par les participants (* La porte des bureaux SONT...) constituent la variable dépendante. Le principe de proximité constitue la pierre angulaire de l'ensemble de ces travaux sur l'accord ; il est utilisé soit dans le but direct d'étudier les

propriétés du nom local susceptibles de perturber la réalisation de l'accord, soit simplement pour augmenter la proportion d'erreurs produites.

Une remarque s'impose quant à la manière dont l'hypothèse minimale est mise à l'épreuve sur le plan expérimental. Cette hypothèse prédit que ni

(12)

472 Julie Franck et Michel Hupet les facteurs de nature conceptuelle, ni les facteurs de nature morphophono- logique n'auront d'impact sur la construction de l'accord. La prédiction d'une absence d'effet est néanmoins fort délicate à prouver sur le plan statistique étant donné qu'il peut toujours être avancé que la puissance du test est trop faible ou encore que les observations récoltées ne sont pas suffisantes pour mettre en évidence un effet significatif de ces variables (effet plancher). L'ensemble des recherches menées en vue de tester l'hypothèse minimale et présentées ci-dessous comportent toutefois, parallèlement à la manipulation des variables conceptuelles et morphophonologiques,

l'introduction d'un nom local. Bien qu'aucune de ces études ne rapporte d'effet significatif des variables non syntaxiques, toutes rapportent un effet

significatif de la présence d'un nom local de nombre (ou de genre) différent de celui du sujet. L'observation de cet effet significatif, dit de « mismatch » entre le nom sujet et le nom local, suggère que l'absence d'effet des

variables conceptuelles et morphophonologiques ne relève pas d'un artefact méthodologique mais semble bien témoigner du fait qu'elles n'entrent pas dans le processus de construction de l'accord, comme le prédit l'hypothèse minimale.

III. 1. Influence conceptuelle

Dans une première recherche menée en anglais, Bock et Miller (1991) ont testé dans quelle mesure des caractéristiques conceptuelles typiques des noms sujets peuvent influencer l'accord du verbe si elles sont possédées par le nom local. Deux propriétés, reconnues comme prototypiques des sujets (Bates et MacWhinney, 1982), ont été étudiées : le caractère animé/inanimé et le caractère concret/abstrait. Les auteurs ne rapportent aucun effet de ces deux variables conceptuelles. Toutefois, ces résultats ne portent pas directement sur le phénomène d'accord mais bien sur une autre opération le précédant, à savoir l'assignation des fonctions syntaxiques.

Au sein d'une autre expérience, Bock et Miller ont manipulé le nombre référentiel du syntagme sujet. La présence d'un nom local pluriel suivant le nom sujet peut, dans certains cas, imposer une lecture plurielle de ce dernier (ex. The label on the bottles, L'étiquette sur les bouteilles). Dans cet exemple, une même étiquette se retrouve sur l'ensemble des bouteilles ; le sujet est dit distribué. Dans d'autres cas, le nom local pluriel ne modifie pas la lecture singulière du sujet (ex. The bridge to the islands, Le pont vers les îles), le sujet est dit non distribué puisque le réfèrent est ici le pont, unique, reliant les différentes îles. Tant les sujets non distribués que distribués imposent toutefois un verbe au singulier, puisqu'ils sont tous deux

grammaticalement singuliers. Une influence de la référence notionnelle du nombre du sujet sur le processus d'accord devrait se traduire par un plus

grand nombre d'erreurs avec les sujets distribués, puisque la référence est plurielle, qu'avec les sujets non distribués, référant à un seul objet. Les

auteurs ne rapportent aucune différence entre ces deux types de sujets.

(13)

L'accord grammatical 473 Vigliocco, Butterworth et Garrett (1995) ont répliqué ce résultat et l'ont étendu à la production de phrases interrogatives. Autrement dit, la production du verbe avant le sujet ne semble pas inciter les locuteurs anglophones à recourir à la représentation conceptuelle du syntagrne sujet, bien que celui-ci ne soit pas encore spécifié lors de l'encodage grammatical du verbe.

Une autre caractéristique sémantique concerne la propriété qu'ont certains noms de référer à une entité multiple. Ces noms, dits collectifs, sont grammaticalement singuliers mais désignent un ensemble, une collection d'êtres ou d'objets (Briet, 1996), tels que : une équipe., un essaim., etc. Les deux interprétations (singulier ou pluriel) coexistent selon que la notion de

globalité ( « penser au tout » ) ou celle de distribution ( « penser aux parties » ) est privilégiée. Bock et Eberhard (1993) ont étudié l'impact de la présence d'un nom local collectif sur l'accord du verbe chez des locuteurs américains. Les auteurs ne rapportent aucune différence dans l'effet d'attraction entre les noms collectifs (grammaticalement singuliers) et les noms individuels. Ils ont toutefois mis en évidence une forte tendance à produire plus de verbes au pluriel lorsque le nom local est un collectif

grammaticalement pluriel que lorsqu'il s'agit d'un nom individuel pluriel.

L'information conceptuelle semble donc pouvoir influencer la relation d'accord si elle est combinée à une information grammaticale interférer! te.

III .2. Influence morphophonologique

Le rôle des variables morphophonologiques dans la réalisation de l'accord a reçu nettement moins d'attention que celui des facteurs

conceptuels. Deux facteurs ont été étudiés par Bock et Eberhard (1993), il s'agit des pseudo-pluriels et des pluriels irréguliers. Dans une première recherche, les auteurs ont manipulé la présence d'une marque morphophonologique de pluriel sur le nom local. En anglais, la forme régulière du pluriel du nom se caractérise par le segment phonologique final |.s] ou [z]. Les auteurs

rapportent qu'un nom local singulier mais possédant néanmoins une terminaison typique du pluriel (pseudo-pluriel, ex. The player on the course) n'entraîne pas d'effet d'attraction. Seuls les noms locaux grammaticalement pluriels (ex. The player on the courts) génèrent des erreurs d'accord, ce qui suggère que ce ne sont pas les corrélats phonologiques du nombre du nom local qui déclenchent l'effet d'attraction observé pour les vrais pluriels, mais bien l'information grammaticale qu'ils véhiculent.

Il reste à voir cependant si l'information grammaticale est suffisante pour rendre compte du phénomène d'attraction ou si la présence

d'information morphophonologique sur le nom local, concordant avec

l'information grammaticale, peut augmenter l'effet d'attraction. Dans une recherche ultérieure, Bock et Eberhard ont montré que les anglophones ne produisent pas plus d'erreurs d'attraction lorsque le nom local est régulièrement marqué pour le pluriel que lorsqu'il possède une marque irrégulière de pluriel.

(14)

474 Julie Franck et Michel Hupet Meyer et Bock (1998) ont, quant à elles, étudié l'impact de facteurs morphophonologiques sur le processus d'accord en genre du pronom ana- phorique chez des locuteurs néerlandais. Leurs résultats indiquent que l'effet d'attraction n'est pas plus important lorsque le déterminant qui précède le nom local est marqué pour le genre que lorsqu'il est non marqué. La relation d'accord étudiée ici concerne toutefois une source (le nom sujet) et

une cible (le pronom anaphorique) situées dans des phrases différentes, tandis que les recherches précédentes portaient toutes sur une relation d'accord entre deux éléments au sein de la phrase.

IV. LES DONNEES EXPERIMENTALES

EN FAVEUR DE L'HYPOTHÈSE MAXIMALE

Les études présentées dans cette section ont majoritairement été

conduites dans d'autres langues que l'anglais, ayant des systèmes flexionnels plus riches. Elles ont ainsi rendu possible l'extension des recherches sur l'accord en nombre, par l'étude de l'accord en genre. Toutes les langues, sans

exception, ont développé certaines distinctions de genre parallèles aux

distinctions biologiques, l'opposition de genre étant cruciale pour tout être humain.

La plupart des langues possèdent par exemple des noms pour exprimer les oppositions telles que homme/femme, père/mère, etc., ainsi que des pronoms distincts selon qu'ils réfèrent à un homme ou à une femme (ex. il, lui/elle).

Cependant, toutes les langues ne possèdent pas un système de distinctions de genre pour les mots référant à des entités asexuées. Corbett (1991) distingue deux types de langues : celles ayant un système de genre sémantique, où le genre n'est encode linguistiquement que pour les referents sexués (ex.

l'anglais, le chinois), et celles ayant un système de genre formel, où tout nom possède un genre, même s'il ne réfère pas à une entité sexuée (ex. les langues romanes). Au sein des langues romanes, on distingue trois types de genre en fonction de la relation qui s'établit entre le niveau conceptuel et le niveau

grammatical (voir Vigliocco et Franck, 1999). Le genre conceptuel est

déterminé par le sexe du réfèrent. C'est le cas de la plupart des noms référant à des entités animées et donc sexuées (ex. le voisin, la gamine, la vache). Il existe néanmoins une petite frange de noms désignant des entités animées dont le genre est arbitrairement fixé et ne varie donc pas avec le sexe du réfèrent, il s'agit du genre de surface. La plupart de ces noms réfèrent à des animaux (ex.

la girafe, le dindon), mais quelques-uns désignent également des humains (ex. la victime, le témoin). Dans ces cas, l'opposition conceptuelle entre mâle et femelle n'a pas de correspondance au niveau grammatical. Enfin, le genre grammatical est celui des noms référant à des entités inanimées, il reflète une opposition purement formelle, arbitrairement fixée par la langue, entre le masculin et le féminin (ex. la cheminée, le désespoir).

Les langues romanes, possédant ces trois types de genre, offrent un terrain particulièrement propice à la mise à l'épreuve de l'hypothèse

maximale. Il est possible, dans ces langues, de manipuler la présence ou

(15)

L'accord grammatical 475 l'absence d'un corrélat conceptuel à l'information, grammaticale de genre,

de manipuler la concordance entre ces deux types d'information en

exploitant l'existence du genre de surface, ou encore de manipuler les corrélats morphophonologiques du genre.

IV. l. Influence conceptuelle

Les différentes études passées en revue jusqu'ici ont été menées en anglais et n'ont révélé aucun effet conceptuel sur l'accord. Il semble

toutefois qu'il faille distinguer l'accord en nombre entre le sujet et le verbe, au centre des différentes recherches présentées précédemment, de celui entre le réfèrent et le pronom. Sur le plan linguistique, les unités impliquées dans ces deux relations d'accord ne sont pas situées de la même façon les unes par rapport aux autres dans la phrase : dans le cas de l'accord sujet-verbe, les deux éléments sont situés dans la même proposition, tandis que le réfèrent et le pronom sont situés dans deux propositions différentes. Par ailleurs, en situation conversationnelle, les pronoms reçoivent souvent leur marque de nombre sans même la présence explicite d'un antécédent en référence anaphorique. Dans une telle situation, le nombre du pronom est attribué de façon similaire à celui du nom, sous le contrôle direct de l'informati on concept u e I le .

La première recherche sur l'utilisation des pronoms par les locuteurs anglophones remonte à Bock, Eberhard et Cutting (1992). La distributivité du sujet ainsi que la représentation notionnelle du nombre du nom sujet (individuel vs collectif) ont été manipulées. Les participants devaient produire soit un verbe, soit un pronom tag (ex. The key to the cabinets vanished, didn't it ? La clé des cabinets a disparu, n'est-ce pas ?). Contrairement aux résultats antérieurs obtenus sur l'accord du verbe, un effet significatif de la distributivité est rapporté pour la production des deux types de pronoms.

Par ailleurs, les noms sujets collectifs entraînent plus d'erreurs d'accord du pronom que les noms à représentation unique. Il est également intéressant de noter qu'un léger effet de la collectivité du sujet est également apparu sur la production des verbes. Une recherche menée par Bock, Nicol et Cutting (1999) étend l'effet conceptuel lié aux sujets collectifs pour la

production de l'accord du pronom réflexif. Les auteurs rapportent de plus un effet significatif de cette variable sur l'accord du verbe, bien que de moindre ampleur que celui sur le pronom.

Une récente étude menée par Eberhard (1999) a par ailleurs montré qu'il était possible d'obtenir un effet de la distributivité du sujet sur l'accord du verbe en anglais en faisant précéder les préambules par des images les illustrant. Un matériel suffisamment concret et imagé peut donc entraîner une prise en compte de la représentation conceptuelle pour l'accord du verbe en anglais.

Vigliocco, Verès et Franck (1997) ont également mis en évidence un effet de la distributivité en anglais lorsque le nom sujet était précédé d'un

(16)

476 Julie Franck et Michel Hupet adjectif (ex. The smiling baby on the blankets, Le bébé souriant sur les couvertures). La présence de l'adjectif contribue en effet à réduire

considérablement le taux d'erreurs dans les items non distribués, faisant ainsi

apparaître une différence significative avec les items distribués. La présence de l'adjectif pourrait favoriser une lecture singulière du sujet, en insistant sur une particularité de ce nom. Les études sur la distributivité n'ayant pas mis d'effet de cette variable en évidence semblent effectivement indiquer que l'absence d'effet est due à l'important taux d'erreurs dans la condition non

distribuée, plutôt qu'à un faible taux d'erreurs dans la condition distribuée.

Ce sont néanmoins essentiellement les travaux menés dans les langues romanes qui ont apporté les données les plus probantes à l'appui de la perspective maximale. Un effet de la distributivité du sujet a ainsi été rapporté en italien (Vigliocco, Butterworth et Semenza, .1995), en espagnol (Vigliocco, Butterworth et Garrett, 1995), en néerlandais et en français (Vigliocco, Hartsuiker, Jarema et Kolk, 1996). Une analyse plus détaillée de l'effet de distributivité rapporté en italien et en français impose

toutefois que l'on nuance les conclusions des auteurs de ces deux recherches.

Dans les deux cas, un adjectif prédicatif était présenté visuellement aux côtés de chaque préambule, pouvant soit être en accord de nombre avec le nom sujet (ex. L'uniforme des soldats — neuf) soit en désaccord (ex.

L'uniforme des soldats — neufs). Les auteurs mentionnent la présence d'une interaction entre la congruence grammaticale (entre le nombre du nom sujet et celui de l'adjectif) et la distributivité dans les deux recherches.

L'effet de distributivité semble reposer principalement sur la présence de l'incongruence grammaticale.

Les recherches comparatives sur la distributivité ont certainement apporté une contribution importante à l'étude du rôle des facteurs

conceptuels dans la réalisation de l'opération d'accord sujet-verbe. Elles restent néanmoins relativement difficiles à interpréter compte tenu des

interactions observées entre la congruence syntaxique et l'effet de distributivité, mais aussi du caractère particulier de cette variable conceptuelle qu'est la distributivité. Les différentes études ont certes inclus des épreuves d'évaluation du matériel afin de s'assurer de l'interprétation plurielle des sujets distribués, il n'en reste pas moins que ces items apparaissent peu naturels, et l'interprétation plurielle que l'on peut en donner semble relever d'une construction requérant un effort cognitif plutôt qu'une

interprétation spontanée. Prenons pour exemple quelques préambules utilisés dans l'expérience en français (Vigliocco et al., 1996), tels que Le prénom des enfants ou La tache sur les pantalons. Il nous semble qu'en production

spontanée, un locuteur français choisira d'utiliser des noms sujets pluriels (Les prénoms.... Les taches...) plutôt que de se compliquer la tâche ainsi que celle

de l'interlocuteur devant déchiffrer la cardinalité de tels syntagmes.

Autrement dit, la capacité à déceler l'interprétation distribuée d'un sujet

distribué semble relever plus de la compétence du compreneur mis en situation expérimentale que d'une réelle compétence mise en action par un locuteur, ce qui limite considérablement la validité « écologique » du concept de dis-

(17)

L'accord grammatical

tributivité. Par ailleurs, la pluralité d'un sujet distribué n'est pas une caractéristique conceptuelle intrinsèque au nom sujet, elle repose

entièrement sur la présence d'un nom local pluriel et sur la construction d'une interprétation plurielle, la seule plausible pour donner sens au syntagme.

Vigliocco et Franck ont mené plusieurs études parallèles en français et en italien en vue de mieux cerner le rôle du corrélat conceptuel du genre du nom sujet dans la construction de l'accord en genre entre le sujet et

l'adjectif prédicatif. Contrairement aux études présentées précédemment portant sur le corrélat conceptuel du nom local (caractère animé/inanimé,

concret/abstrait, noms collectifs), les études menées par Vigliocco et Franck (1999, sous presse ; Franck, Collina et Vigliocco, 1999) traitent directement du corrélat conceptuel du nom sujet, n'utilisant la présence d'un nom local que comme moyen d'augmenter la proportion d'erreurs d'accord. Cet effet d'attraction dans l'accord en genre a originellement été rapporté par Vigliocco et Franck (1999). Dans cette recherche, les auteurs ont comparé la proportion d'erreurs d'accord produites avec des sujets ayant un genre conceptuel à celles produites avec des sujets ayant un genre grammatical, et ce en français (ex. La présidente du jury vs La sortie du tunnel) et en italien (ex. La zingara nel pacheggio, La gitane dans le parking, vs La lampada nelVatrio, La lampe dans le couloir). L'analyse des erreurs révèle un

important effet de la présence d'un corrélat conceptuel : la majorité des erreurs d'accord se situaient sur les préambules dont le nom sujet était de genre grammatical. Dans une expérience supplémentaire en français, les auteurs ont montré que des préambules dont le nom sujet avait un genre de surface (ex. Le chaton sur la moquette) entraînaient également significativement plus d'erreurs d'accord que des préambules dont le nom sujet avait un genre conceptuel (ex. La jument du manège). En italien, l'accord avec des sujets animés ayant un genre de surface a également été comparé à l'accord avec des sujets inanimés ayant un genre grammatical. Aucun effet de l'ani- mosité n'a été observé. Ces deux résultats supplémentaires soutiennent l'hypothèse que l'effet observé dans les deux premières études ne peut être attribué au caractère animé/inanimé des sujets.

Dans une seconde série d'expériences en français et en italien, Vigliocco et Franck (sous presse) ont placé en contexte des noms ayant un genre de surface, afin de déterminer si l'information conceptuelle de genre présente dans le contexte discursif pouvait faciliter l'accord en genre de l'adjectif prédicatif avec le sujet. Une phrase contexte introduisant un personnage par son prénom était tout d'abord présentée (ex. Les

recherches de Roland/Rachel en biologie moléculaire comportent des enjeux considérables), suivie du préambule dont le nom sujet avait un genre de surface. Le genre de surface pouvait coïncider avec le sexe du réfèrent (Le génie de la faculté — Roland) ou ne pas coïncider (Le génie de la faculté

— Rachel). Les locuteurs des deux langues se sont montrés sensibles à l'information contextuelle : entre 75 % (français) et 85 % (italien) des erreurs ont été produites lorsque le sexe du réfèrent et le genre du sujet étaient différents.

(18)

478 Julie Franck et Michel Hupet Enfin, une étude menée en français par Hupet, Fayol et Schelstraete (1998, voir aussi Hupet, Schelstraete, Demaeght et Fayol, 1996) a mis en évidence un effet, en production écrite, de la plausibilité de la relation sémantique entre le sujet et le verbe. Les auteurs ont montré que les

locuteurs produisent plus d'erreurs d'accord verbe lorsque le nom local est un sujet plausible de celui-ci (ex. *Dans la cabine remonte des mineurs fourbus) que quand il ne peut pas constituer un sujet du verbe (ex. *Dans la cabine soupire des mineurs fourbus). Ce résultat indique que le lien sémantique entre le nom local et le verbe joue un rôle important dans l'apparition de l'effet d'attraction. Il attire également l'attention sur le fait que certaines erreurs d'attraction peuvent provenir non pas d'erreurs dans la réalisation de l'accord proprement dit, mais d'erreurs dans l'assignation des fonctions syntaxiques.

IV. 2. Influence morphophonologique

Nous avons mentionné plus haut l'étude de Meyer et Bock (1998) en néerlandais n'ayant pas mis en évidence d'effet morphophonologique dans l'accord en genre. Toutefois, les auteurs rapportent également une

expérience visant à tester l'effet de la présence d'information

morphophonologique non plus sur l'accord entre le pronom anaphorique et son réfèrent (situé dans une phrase différente) mais sur l'accord entre deux mots au sein de la même phrase : le pronom relatif et l'antécédent auquel il se rapporte.

Les résultats indiquent cette fois une nette influence de la représentation morphophonologique présente sur le déterminant de l'antécédent, un nombre nettement supérieur d'erreurs ayant été produites dans la

condition où le déterminant est non marqué pour le genre. Cependant, l'effet d'attraction rapporté n'est pas plus important en présence d'un nom local marqué que d'un nom local non marqué. L'information

morphophonologique semble donc exercer une influence facilitatrice lorsqu'elle est présente sur la source de l'accord, mais elle serait insuffisante pour perturber l'opération d'accord.

Vigliocco, Butterworth et Semenza (1995) ont manipulé en italien la présence d'une marque morphophonologique de nombre sur le nom sujet.

Les auteurs ont observé une nette augmentation des erreurs d'accord du verbe avec les noms ne portant pas de marque morphophonologique comparativement aux noms marqués. Une seconde expérience n'a toutefois pas mis en évidence d'effet de cette variable morphophonologique manipulée sur le nom local. Ces résultats vont dans le même sens que ceux obtenus par Meyer et Bock en néerlandais ; les locuteurs semblent utiliser l'information morphophonologique présente sur la source de l'accord lors de sa

construction, mais cette information sur le nom local n'exerce pas d'effet suffisant pour influencer l'effet d'attraction.

Franck, Collina et Vigliocco (1999) ont mené une étude parallèle en italien et en français dans laquelle elles manipulaient la présence d'informa-

(19)

L'accord grammatical 479 tions morphopbonologiques sur le déterminant et sur le suffixe du nom sujet. Le déterminant pouvait être marqué (le/la) ou non marqué (élidé, F) tandis que la terminaison constituait un bon ou un mauvais prédicteur du genre du mot1. Un net effet des deux variables est rapporté en français : les participants ont produit plus d'erreurs d'accord de l'adjectif prédicatif avec le sujet de la phrase lorsque le déterminant de ce dernier était élidé que lorsqu'il était complet, et lorsque la terminaison était peu prédictive du genre que lorsqu'elle était fortement prédictive. Les locuteurs italiens se sont également montrés sensibles à l'information portée par le suffixe, mais aucun effet de l'information sur le déterminant n'a été observé.

Hartsuiker, Schriefers, Bock et Kikstra (soumis) ont étudié l'impact de la présence d'information morphophonologique sur le déterminant du syn- tagme nominal sujet sur l'accord du verbe. Le nom sujet était précédé d'un déterminant marqué pour le nombre (hat) ou non marqué (de). Un

important taux d'erreurs d'accord est rapporté chez les locuteurs néerlandopho- nes lorsque le déterminant est non marqué pour le nombre,

comparativement à la condition où il est marqué.

V. DISCUSSION

La littérature traitant de l'accord comme outil pour étudier l'impact d'informations de nature non syntaxique sur la réalisation d'opérations syntaxiques apparaît parfois contradictoire. Certaines observations

plaident en faveur de l'hypothèse de l'input minimal, selon laquelle le processeur syntaxique fonctionne de manière relativement isolée des autres composantes, tandis que d'autres mettent au contraire en évidence l'existence d'un contrôle des niveaux conceptuel et morphophonologique sur les

opérations syntaxiques, étayant ainsi l'hypothèse de l'input maximal. Dans ce contexte, le plus utile nous semble être de réexaminer les observations dont on dispose en se posant la question de savoir si l'on peut rendre compte de l'apparente contradiction entre les recherches. C'est dans cette voie que nous orienterons la discussion, en l'articulant autour de deux grandes

questions : 1) D'où provient la variabilité, au sein des langues et entre les langues, dans l'utilisation, des informations non syntaxiques lors de la cons-

1. En italien, la relation entre le suffixe nominal et le genre est.

transparente : -a est hautement prédictible d'un nom féminin, -o d'un nom masculin, tandis que -e peut être associé aux deux genres. La morphologie flexionnelle du français est plus complexe. On peut néanmoins dégager certaines régularités, qu'un, locuteur natif semble relativement bien maîtriser (Dubois, 1965 ; Tucker, Lambert et Rigault, 1997) : les suffixes en -ment, -isme, -illon, -ton, -oir, -eur, -leau sont hautement prédictifs du masculin tandis que ceux en -ite, -ation, -ade, -ose, -aison, -ervne, -ssiori sont fortement corrélés au féminin. D'autres suffixes ne laissent pas du tout deviner le genre du nom, il s'agit de -uge, -ique, -é, -èere et -oie.

(20)

480 Julie Franck et Michel Hupet truction de l'accord ? Et 2) Par quels mécanismes les informations non syntaxiques influencent-elles le processus d'accord lors de l'encodage grammatical1 ?

V.l. La variabilité dans l'utilisation DES INFORMATIONS NON SYNTAXIQUES V. 1 . 1. La variabilité au sein des langues

L'accord d'une cible est en général réalisé sur une base syntaxique, i.e.

l'information lexico-syntaxique présente sur la source, et cela dans toutes les langues étudiées. La contrainte syntaxique semble donc être la plus forte, prédominant largement sur les informations de nature concep- tuelle/lexico-sém antique et morphoplionologique. Les recherches

expérimentales ont tenté de séparer l'impact des contraintes syntaxique,

conceptuelle et morphophonologique sur l'accord en étudiant le comportement des locuteurs dans deux types de situations. Premièrement, une série d'études ont été menées dans lesquelles les informations conceptuelle ou morphophonologique concordent avec l'information syntaxique. L'impact des variables conceptuelles et morphophonologiques est dans ce cas

déterminé sur la base des bénéfices que leur présence apporte dans la réalisation de l'accord. Deuxièmement, une série d'autres études ont consisté à

manipuler la discordance entre l'information conceptuelle ou

morphophonologique et l'information syntaxique. L'influence des variables non

syntaxiques est alors estimée sur la base des coûts que leur présence engendre.

Une vision globale de l'ensemble des recherches met en évidence

différents facteurs de variabilité au sein des langues. Ces facteurs concernent la catégorie grammaticale de la cible, la distance séparant la cible et la source, l'effet de contraintes de nature différente, l'effet d'informations relevant de contraintes de même nature, et enfin l'effet des propriétés du nom sujet et celui des propriétés de l'attracteur. Nous proposons d'examiner ces

différentes variations intralangue à la lumière des notions de validité et de coût des indices telles qu'elles sont développées dans le modèle de compétition (Bates et MacWhinney, 1989).

L'impact de facteurs conceptuels a été étudié sur trois types de cibles d'accord : le verbe, l'adjectif prédicatif et le pronom (tag et réflexif). Nous avons vu qu'au sein d'une même langue comme l'anglais, la représentation conceptuelle n'influençait pas ou peu l'accord en nombre du verbe avec le sujet, tandis que l'accord du pronom était sensible à la numérosité

conceptuelle. En fait, si l'on considère l'ensemble des langues imposant une rela- 1. Notons qu'il y a sans doute des représentations lexicales différentes pour le(s) genre(s) et Je nombre, et que ces représentations varient d'une langue à l'autre. Ce n'est toutefois pas sur ces différences comme telles que porte notre analyse.

(21)

L'accord grammatical 481 tion d'accord entre les mots, on constate qu'elles présentent toutes certains accords syntaxiques et certains accords conceptuels. Une analyse des langues slaves a amené Corbett (1983) à suggérer que l'accord conceptuel, basé sur l'information conceptuelle plutôt que grammaticale, dépend d'une hiérarchie universelle dans laquelle sont situées Jes cibles de l'accord : épithète

< prédicat < pronom relatif < pronom personnel. Si une langue permet l'accord conceptuel pour l'une de ces unités syntaxiques dans la hiérarchie (par ex. le pronom relatif), alors toutes les autres unités syntaxiques se situant à la droite de celle-ci peuvent, elles aussi, s'accorder conceptuelle- ment (le pronom personnel dans l'exemple donné).

En étudiant l'utilisation du pluriel de politesse dans différentes langues slaves et romanes, Comrie (1975) a quant à lui relevé que l'impact

conceptuel sur l'accord du prédicat avec le sujet dépendait du type de prédicat.

Dans les langues slaves comme le polonais, le prédicat nominal s'accorde conceptuellement, au singulier, tandis que le prédicat verbal s'accorde avec la marque grammaticale plurielle. Le pluriel et le singulier sont tolérés pour l'accord du prédicat adjectival ainsi que pour le participe ; cependant, si le participe est accordé au singulier, l'adjectif qui le suit devra l'être aussi.

Certaines langues slaves telles que le russe diffèrent légèrement du polonais en ce qu'elles n'acceptent pas qu'un segment puisse prendre les deux formes : l'adjectif et le participe doivent être au pluriel, comme le verbe.

Comrie en déduit une échelle dans l'accord conceptuel du prédicat : verbe

< participe < adjectif < syntagme nominal. En français (mais aussi en italien et en roumain) le verbe s'accorde au pluriel avec le pronom pluriel de politesse vous, tandis que le participe, l'adjectif et le nom s'accordent conceptuellement au singulier (ex. Vous êtes venu, Vous êtes loyal. Vous êtes professeur). Par ailleurs, le verbe s'accorde toujours au singulier avec le pronom indéfini singulier on, tandis que le participe, l'adjectif et le syntagme nominal peuvent s'accorder au pluriel si Je pronom réfère à une pluralité (ex. On est perdus, On est fatigués, On est des bons amis).

Un second facteur de variabilité intralangue, lié au précédent, est la distance syntaxique entre les éléments impliqués dans l'accord. Une plus longue distance syntaxique entre la cible et un élément potentiellement interfèrent réduit le risque d'erreur d'accord (Bock et Cutting, 1992 : Vigliocco et Nicol, 1998 ; Franck, Vigliocco et Nicol, soumis).

Parallèlement au fait qu'une plus longue distance réduit l'impact des propriétés lexico-syntaxiques d'un nom interfèrent (et donc aussi probablement celles de la source), une plus longue distance semble favoriser l'utilisation de propriétés conceptuelles dans la phrase. Les travaux sur les pronoms anaphori- ques (ex. Gernsbacher, 1991 ; Meyer et Bock, 1998) ont montré un recours plus important à l'information conceptuelle de l'antécédent lorsque le pronom se situe dans une autre phrase que son réfèrent que lorsqu'il se trouve dans la même phrase. La hiérarchie avancée par Corbett rend bien compte de cet effet de distance : le pronom, qui est aussi la cible souvent la plus éloignée du nom, se montre le plus sensible à l'influence conceptuelle, tandis que l'épithète, accolé au nom, y est le moins sensible. Le prédicat verbal

(22)

482 Julie Franck et Michel Hupet est quant à lui plus imperméable que le participe, lui-même plus

imperméable que l'adjectif. Cet ordre, défini sur la base de la catégorie

grammaticale des mots, semble coïncider avec la proximité entre la source et la cible dans la structure de la phrase.

Il est intéressant de noter que l'hypothèse d'une augmentation du contrôle conceptuel avec la distance séparant la source et la cible entre

parfaitement dans le cadre du principe de limitation des coûts dans l'utilisation d'un indice (Bates et McWhinney, 1989). Tout locuteur fait régulièrement l'expérience de ne plus se souvenir de la source d'un accord. Pour produire un accord syntaxique dans ce cas, l'information lexico-syntaxique de la source doit avoir été stockée en mémoire de travail. Le coût dun tel

stockage augmente rapidement avec la distance, d'autant plus que la

probabilité d'interférences s'accroît au fur et à mesure de la production de matériel linguistique entre la source et la cible. L'utilisation de l'indice lexico- syntaxique de la source devient dès lors fort coûteuse. Far contre, le

locuteur a toujours à l'esprit l'idée qu'il est occupé à exprimer ; l'information conceptuelle est donc toujours disponible. Le système responsable de l'accord se basera par conséquent plus facilement sur un indice conceptuel puisqu'il est plus disponible et utilisable à un coût moindre que

l'information lexico-syntaxique.

Tandis que la distance entre la source et la cible favorise l'accord conceptuel, elle semble par contre réduire l'utilisation d'indices morpho- phonologiques. Meyer et Bock (1998) rapportent un effet des propriétés morphophonologiques de l'antécédent sur l'accord du pronom seulement lorsque ce dernier se situe dans la même phrase que l'antécédent.

L'information morphophonologique requiert, comme l'information lexico- syntaxique, d'être stockée en mémoire de travail si la cible n'apparaît pas immédiatement. Autrement dit, tandis que l'augmentation de la distance entre la source et la cible réduit l'impact de variables linguistiques (lexi- co-syntaxiques et morphophonologiques), elle augmente l'impact de

variables non linguistiques (conceptuelles).

D'autres observations indiquent que le recours à l'information conceptuelle varie en fonction de la validité de l'indice lexico-syntaxique.

Premièrement, nous avons souligné que les études sur la distributivité menées en italien (Vigliocco et al., 1995) et en français (Vigliocco et al., 1996)

suggèrent que la présence d'une discordance syntaxique au sein de la phrase puisse moduler l'effet de ce facteur conceptuel, voire même en être

entièrement responsable. Deuxièmement, Vigliocco et Franck (sous presse) ont rapporté une utilisation abondante de l'indice conceptuel en situation de discordance entre l'information grammaticale du genre de surface et le sexe du réfèrent. Troisièmement, Bock et Eberhard (1993) ont observé une tendance envers un effet conceptuel du nom local mais uniquement dans la

condition où le nom local et le nom sujet étaient de nombres différents, autrement dit quand une difficulté syntaxique se présentait. Ces trois observations concordent pour suggérer que le système syntaxique module son recours aux informations conceptuelles en fonction de la validité de

(23)

L'accord grammatical 483 l'information syntaxique ; les indices conceptuels sont plus facilement

considérés lorsque la syntaxe de la phrase comporte une anomalie ou simplement lorsque le traitement syntaxique est difficile.

Il est également possible d'augmenter le recours à l'information conceptuelle en la rendant plus saillante. Eberhard (1999) a ainsi constaté un effet de la djstributivité du sujet en anglais lorsque les préambules

étaient illustrés par des images. Cette observation doit attirer notre attention sur le fait que les productions étudiées en laboratoire sont

probablement peu propices à mettre en évidence l'impact des contraintes

conceptuelles sur le traitement syntaxique. Les représentations conceptuelles des préambules sont probablement fort peu influentes étant donné qu'elles doivent être construites en dehors de tout contexte de communication, et sur la base d'un matériel expérimental souvent abstrait.

Les notions de validité et de coût d'un indice permettent également de rendre compte de la variabilité rapportée quant à l'effet morphophonolo- gique. Franck et al. (1999) ont montré que les locuteurs italiens n'utilisent que l'information suffixale de genre ; aucun effet de l'information sur l'article n'a été observé. La validité d'un indice ne repose pas seulement sur la fréquence de son association avec la fonction qu'il indexe, i.e. le nombre de fois que cet indice est présent lorsque la fonction est activée, elle repose également sur sa fiabilité, i.e. le nombre de fois que cet indice est associé à cette fonction par rapport au nombre de fois où il est associé à une autre.

Les terminaisons -a et -o ont une fiabilité maximale puisqu'elles sont systématiquement associées à un et un seid genre. L'article, quand il est

complet, a lui aussi une fiabilité maximale, mais cela n'est pas toujours le cas puisqu'il peut parfois prendre la forme élidée, et être ainsi associé aux deux genres. La « stratégie » déployée par les locuteurs italiens semble donc optimale : ils font usage d'une information extrêmement valide et fiable, i.e. le suffixe du nom, et peuvent par conséquent se permettre de négliger une information qui, certes, est valide mais n'est pas directement utile, qui est moins fiable, et ne ferait donc qu'alourdir le coût du traitement syntaxique.

En français par contre, les deux indices morpbopnonoJogiques

favorisent une réalisation correcte de l'accord. Un examen détaillé des erreurs indique toutefois que l'information sur l'article joue un rôle plus important

que celle sur la terminaison du nom. La validité de l'indice sur le

déterminant est maximaie quant il est complet puisque dans ce cas la corrélation entre l'article et le genre est de I . Toutefois, bien que cet indice soit valide, il n'est pas entièrement fiable puisque cette information peut être absente : lorsque l'article est élidé, mais aussi lorsqu'il est au pluriel (les), ou bien lorsqu'il s'agit d'un déterminant quantificateur (ex. chaque, deux, peu de, etc.). Un autre indice est donc également pris en considération, i.e. la terminaison du nom. Néanmoins, cet indice est moins valide puisque l'association entre la terminaison et le genre n'est pas maximale. Elle est aussi moins fiable, puisque la langue contient assez peu de ces terminaisons prédictives. Toutefois, la prise en compte de l'information suffixale est tout

(24)

484 Julie Franck et Michel Hupet à fait pertinente lors de l'utilisation de noms ayant un. genre conceptuel, ces derniers étant porteurs de suffixes flexionnels constituant d'excellents indicateurs du genre (ex. -eur/-euse, -ant/-ante). Il semble donc optimal que les locuteurs francophones utilisent l'indice lié à la terminaison du nom pour construire l'accord, puisque dans un certain nombre de situations, il peut s'avérer extrêmement valide et fiable.

Enfin, une dernière source de variabilité intralangue concerne l'effet différentiel d'indices de même nature selon qu'ils se situent sur le nom sujet ou sur le nom local. Les comparaisons rendues possibles par la

manipulation des mêmes indices suggèrent que l'effet conceptuel du nom local est de moindre ampleur que celui du nom sujet. De même, les manipulations des propriétés morphophonologiques du nom local ont mis en évidence des effets moindres que ceux des propriétés du nom sujet, voire même

inexistants tandis que les propriétés du nom sujet s'avéraient significatives. La relation unissant le sujet et la cible est plus forte que la relation entre le nom local et la cible : les indices portés par la source doivent assurer un plus grand contrôle de l'accord que ceux du nom local, ce qui explique

probablement l'ampleur de leurs effets.

L'ensemble des travaux que nous avons rapportés concernent l'accord tel qu'il est réalisé par des adultes. Quelques travaux réalisés chez les enfants semblent indiquer que la procédure syntaxique suivie n'est pas la même. Les enfants commettent bien sûr plus d'erreurs, mais la nature de ces erreurs semble également se modifier au cours du développement

langagier (Fayol, Hupet et Largy, 1999). Dans le cadre d'une perspective fonc- tionnaliste (ex. Bowerman, 1973), on pourrait envisager que l'acquisition de la procédure syntaxique d'accord serait au départ guidée par les liens conceptuels entre les éléments à accorder, pour progressivement se

détacher de la représentation conceptuelle et se « grammaticaliser » au cours du développement.

En résumé, dans les langues étudiées, l'accord est généralement contrôlé par des contraintes d'ordre syntaxique. Cette information est non seulement la plus valide, puisqu'un accord, pour être correct, doit s'appuyer

sur elle, elle est également utilisable à un moindre coût. Toutefois, des contraintes conceptuelles et/ou morphophonologiques peuvent

occasionnellement contrôler cette opération, voire même l'emporter sur l'indice syntaxique. La variabilité observée, au sein des langues, entre des indices de

même nature semble reposer, d'une part, sur des contraintes cognitives, extra-linguistiques, de nature attentionnelle et mnésique liées au coût de l'indice (la catégorie grammaticale du mot cible, la distance qui le sépare de la source, i.e. la disponibilité de l'indice), d'autre part, sur des contraintes linguistiques, propres au fonctionnement du système syntaxique (la

validité et la fiabilité des indices). Les recherches futures devront s'attacher à quantifier de façon plus précise et dans des situations d'élocution plus naturelles l'impact relatif de chacun des indices conceptuel, syntaxique et morphophonologique sur le contrôle de l'accord. Des études développemen- tales pourraient également s'avérer éclairantes quant à l'évolution de

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