Thesis
Reference
La perspective de genre dans l'enseignement de l'histoire
OPERIOL, Valérie
Abstract
Cette thèse examine l'introduction de la perspective de genre dans l'enseignement de l'histoire au secondaire à Genève. Son cadre théorique articule quatre domaines : la didactique de l'histoire, les études sur le genre, l'historiographie des femmes et du genre et les travaux sur le genre dans les sciences de l'éducation. Par le biais d'entretiens, elle s'intéresse aux intentions des enseignant⋅es qui choisissent des thèmes d'histoire du genre et aux appropriations de ces savoirs par les élèves. Elle se fonde également sur des interactions en classe et analyse comment les opérations d'historicisation propres à la discipline peuvent amener les élèves à mettre à distance la doxa de genre. Ses résultats révèlent des appropriations distinctes entre filles et garçons, une mobilisation différenciée de la pensée historienne et un usage genré de l'humour. Ils montrent en quoi le caractère sensible des questions de genre place les enseignant⋅es dans des dilemmes, où il s'agit d'éviter les dérives normative et relativiste qui guettent les échanges.
OPERIOL, Valérie. La perspective de genre dans l'enseignement de l'histoire. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2018, no. FPSE 716
DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:110217 URN : urn:nbn:ch:unige-1102173
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:110217
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1 Section des sciences de l’éducation Sous la direction du Professeur Charles Heimberg
La perspective de genre dans l’enseignement de l’histoire
THESE Présentée à la
Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève
pour obtenir le grade de Docteure en sciences de l’éducation par
Valérie OPÉRIOL
Thèse n° 716 GENÈVE Septembre 2018 N° étudiante : 84-316-397
Membres du jury :
Charles Heimberg (directeur de thèse), Université de Genève Isabelle Collet, Université de Genève
Valérie Lussi Borer, Université de Genève Alexandra Oeser, Université Paris Nanterre
Maria Repoussi, Université Aristote de Thessalonique Françoise Thébaud, Université d’Avignon
2
3 La différence des sexes est une expérimentation, non une fatalité. (Farge, 1997, p.133)
4
5
Table des matières
Table des matières ... 5
Sigles et abréviations ... 9
Préambule ... 11
Implication personnelle dans la recherche ... 11
Choix d’écriture ... 13
Remerciements ... 14
Introduction ... 17
Contexte disciplinaire, scientifique, scolaire et social ... 18
Une problématique multidimensionnelle et quelques hypothèses ... 20
Partie I. Cadre théorique ... 27
Chapitre 1. La transposition didactique de la pensée historienne ... 29
Introduction ... 29
1.1. Les spécificités de l’histoire scolaire ... 31
1.1.1. Le poids de la demande sociale ... 31
1.1.2. Des finalités paradoxales ... 33
1.1.3. L’histoire scolaire ne se réduit pas à des données factuelles ... 35
1.2. Une formalisation de la pensée historienne : la grammaire du questionnement de l'histoire scolaire ... 37
1.2.1. L’élémentation des savoirs ... 39
1.2.2. Problématisation et questions vives ... 40
1.2.3. Pratiquer la comparaison et périodiser le passé ... 47
1.2.4. Des dichotomies anthropologiques ... 51
1.2.5. Les présents du passé et l’agentivité ... 55
1.2.6. Pluralité des configurations historiographiques, des échelles et des perspectives ... 61
1.3. Quelques caractéristiques du processus d’apprentissage en histoire ... 63
1.3.1. La théorie des représentations sociales en sciences sociales ... 63
1.3.2. Les représentations sociales en didactique de l’histoire ... 66
1.3.3. Le rapport à l’histoire des élèves ... 70
Conclusion ... 75
Chapitre 2. Le concept de genre, un outil d’analyse des sciences sociales ... 77
Introduction ... 77
2.1. Définition du genre ... 78
2.1.1. La distinction sexe/genre ... 79
2.1.2. Un système de division hiérarchique ... 81
2.1.3. Déconstruction des catégories et dénaturalisation du sexe ... 83
2.2. Aspects symboliques : idéologie et doxa de genre ... 87
2.3. Quelques débats qui traversent les études sur le genre ... 88
2.3.1. La domination masculine ... 90
2.3.2. Enjeux politiques des études sur le genre et théorie du point de vue ... 92
2.4. Les stéréotypes et archétypes de sexe et les idées reçues sur les femmes ... 95
Conclusion ... 99
Chapitre 3. Le développement historiographique de l’histoire des femmes et du genre ... 101
Introduction ... 101
3.1. L’émergence de l’histoire des femmes ... 101
6
3.1.1. Rompre avec une histoire des hommes, écrite par les hommes ... 103
3.1.2. Des pionnières ... 106
3.1.3. Les premiers travaux ... 107
3.2. Le genre comme catégorie d’analyse ... 111
3.2.1. L’intersectionnalité ... 111
3.3. Histoire de la différence des sexes ... 113
3.4. Epanouissement et apports épistémologiques du champ ... 114
3.5. Histoire des représentations, du féminin et du masculin ... 117
Conclusion ... 121
Chapitre 4. La fabrique du genre à l’école et dans le cours d’histoire ... 123
Introduction ... 123
4.1. Le curriculum caché ... 127
4.1.1. Les interactions entre enseignant·es et élèves ... 127
4.1.2. Le double standard ... 128
4.1.3. Les attitudes en classe et les interactions entre élèves ... 129
4.1.4. L’usage de l’humour ... 130
4.2. Des savoirs encore majoritairement masculins ... 133
4.2.1. Les programmes ... 135
4.2.1. Les manuels ... 136
4.3. Identité et identification ... 143
4.4. Des disciplines et des filières genrées ... 146
4.5. La demande sociale d’égalité et les réponses de l’institution scolaire ... 149
Conclusion ... 158
Partie II. Entretiens avec des enseignant·es : intentions, récits d’expériences et thématiques choisies. ... 161
Introduction ... 163
Corpus et méthodologie ... 163
Questions de recherche ... 167
Chapitre 5. Enseignantes et enseignants sur le chemin du genre ... 169
5.1. Une histoire androcentrée : « je n’y ai vu que du feu » ... 169
5.2. Vécu familial et parcours personnel ... 170
5.3. Une certaine vision de l’histoire ... 174
5.4. Les motifs liés au contexte scolaire ... 176
5.4.1. Plans d’études et injonctions institutionnelles ... 176
5.4.2. Collaborations et formations ... 180
Conclusion ... 184
Chapitre 6. Attitudes et réactions d’élèves au prisme des enseignant·es ... 186
Introduction ... 186
6.1. Des intentions éducatives de lutte contre la socialisation différenciée ... 186
6.2. Enseigner une question sensible : obstacles à surmonter, précautions à prendre ... 189
6.2.1. Des réactions différenciées selon le sexe ... 189
6.2.2. « Ils ne voient pas le problème », « faut pas braquer les élèves » ... 191
6.2.3. Ne pas passer pour une féministe ... 194
6.2.4. Des échanges vifs et polémiques ... 198
6.2.5. « Faire valoir sans prescrire » ... 204
Conclusion ... 210
Chapitre 7. Choix des thèmes et mobilisation de la pensée historienne ... 211
Introduction ... 211
7.1. Les thèmes choisis ... 211
7
7.2. Historiciser la différence des sexes par la comparaison et la périodisation ... 220
7.3. Entre la domination subie et l’espace d’initiative ... 228
7.4. Les thématiques observées en classe ... 232
7.4.1. La vie des femmes et l’expérience des hommes durant la Première Guerre mondiale ... 233
7.4.2. Les tontes de la Libération ... 240
7.4.3. La virilité sous le nazisme ... 246
7.4.4. La lutte pour le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ... 248
7.4.5. Une sensibilisation à la socialisation différenciée ... 254
Conclusion ... 256
Conclusion de la partie II ... 259
Partie III. Appropriation de l’histoire du genre : représentations des élèves et opérations d’historicisation. Analyse d’interactions. ... 263
Introduction ... 265
Questions de recherche ... 265
Chapitre 8. Les représentations de la division sexuée du travail ... 269
Introduction ... 269
8.1. Le stéréotype de l’homme gagne-pain et de la femme au foyer ... 270
8.2. A propos de l’idée reçue qui veut que les femmes aient commencé à travailler lors de la Grande Guerre ... 275
8.3. Pourquoi certaines femmes n’ont pas pu exercer leur profession de médecin durant le conflit : des hypothèses différenciées ... 278
8.4. Rechercher l’origine de la division sexuée du travail ... 289
8.4.1. Le travail agricole, la guerre, la chasse ... 289
8.4.2. La différence de force physique ... 293
8.5. Soigner et consoler : une disposition féminine instinctive ? ... 298
8.5.1. L’instinct maternel ... 302
8.5.2. La femme consolatrice, l’homme protecteur ... 305
Conclusion ... 308
Chapitre 9. Histoire du féminin et du masculin : images et réalité ... 311
9.1. Le modèle viril et la femme-objet : mise à distance des normes ... 311
9.1.1. Des visions contrastées de la virilité guerrière ... 311
9.1.2. La contrainte de l’apparence ... 314
9.1.3. Le corps jeune, mince, épilé : critique des canons esthétiques ... 320
9.2. Les thématiques liées au corps et à la sexualité : une appropriation différenciée ... 324
9.2.1. Une sexualité féminine au service des hommes et de la nation : vision stéréotypée et opérations historiennes ... 324
9.2.2. Approche empathique et identification des filles aux femmes tondues ... 329
9.2.3. Viols de guerre et prostitution ... 336
9.2.4. L’avortement, un sujet qui scinde la classe ... 341
Conclusion ... 346
Chapitre 10. L’humour de genre : usages et effets didactiques ... 349
Introduction ... 349
10.1. Plaisanteries des garçons et réactions des enseignant⋅es ... 350
10.1.1. Motifs et registres de l’humour ... 350
10.1.2. Des garçons sur la défensive ... 357
10.2. Utilisation de l’humour par les filles ... 366
10.3. Les plaisanteries émises par les enseignant·es ... 368
Conclusion ... 374
Partie IV. Appropriations, constats et perspectives ... 379
8 Chapitre 11. La construction de la pensée historienne par les élèves. Analyse d’entretiens. 381
Introduction ... 381
11.1. L’histoire des femmes, une nouvelle perspective ... 383
11.2. Enseigner les grands personnages féminins ? ... 389
11.3. Comprendre l’histoire sous l’angle des rapports de domination ... 392
11.4. Le changement, la comparaison : ruptures et continuités ... 394
11.5. La pratique du débat ... 401
11.6. Se remettre dans les présents des actrices historiques sans passer pour féministe ... 405
Conclusion ... 416
Chapitre 12. Transposer l’histoire du genre : éléments de synthèse et prolongements possibles ... 419
Introduction ... 419
12.1. Renouveler les savoirs à enseigner : actions individuelles et mesures institutionnelles ... 420
12.2. La posture des enseignant⋅es, entre engagement et neutralité ... 421
12.2.1. Mobiliser d’autres approches historiographiques ... 422
12.2.2. Un choix légitime de thèmes ... 423
12.3. La discussion : construction dialectique des savoirs et clivage au sein des classes ... 425
12.3.1. Des garçons sur la défensive ... 426
12.3.2. Des filles plus critiques ... 427
12.3.3. Des contrastes entre le secondaire I et le secondaire II ... 428
12.4. Stratégies des enseignant·es face aux dérives relativiste et moralisatrice ... 429
12.4.1. Les ruptures et les continuités entre le passé et le présent ... 431
12.4.2. Croiser domination, subalternité et présents du passé ... 440
Conclusion générale ... 449
Bibliographie ... 461
Annexes ... 487
Annexe 1a) Extraits de la séquence sur la Première Guerre mondiale/Dossier élèves ... 489
Annexe 1b) Extraits de la séquence sur la Première Guerre mondiale/Dossier enseignant⋅es ... 499
Annexe 2) Extraits de la séquence sur les tontes ... 509
Annexe 3a) Extraits de la séquence sur la virilité sous le nazisme /Dossier élèves ... 519
Annexe 3b) Extraits de la séquence sur la virilité sous le nazisme /Dossier enseignant⋅es ... 523
Annexe 4) Extraits de la séquence sur la lutte pour le droit à l’IVG ... 535
Annexe 5) Extraits de la séquence sur la socialisation différenciée ... 539
Annexe 6) Pétition de collégiennes ... 547
Annexe 7) Priorité́ du DIP ... 549
Annexe 8) Programme du cours CPS de 2013 ... 551
Annexe 9) Guide d’entretien élèves ... 553
Annexe 10) Guide d’entretien enseignant⋅es ... 555
Annexe 11) Thèmes évoqués dans les entretiens ... 557
Annexe 12) Article d’I. Collet dans la Tribune de Genève du 23 aout 2014 ... 559
Annexes 13), 14), 15) Entretiens avec les enseignant⋅es, transcriptions des leçons observées, entretiens avec les élèves ... 561
9
Sigles et abréviations
ARGEF : Association de recherche sur le genre en éducation et formation
BPEV : Bureau de la promotion de l'égalité entre femmes et hommes et de prévention des violences domestiques (anciennement SPPE)
CDIP : Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique CEDOC : Centre de documentation (bibliothèque dans les établissements scolaires) CFP : Centre de formation professionnelle
CG : Culture générale (discipline enseignée dans les écoles professionnelles) CIIP : Conférence intercantonale de l'instruction publique de la Suisse romande et
du Tessin
CO : Cycle d’orientation
DGEO-CO : Direction générale de l’enseignement obligatoire-cycle d’orientation DGES II : Direction générale de l’enseignement secondaire II
DIP : Département de l'instruction publique, de la culture et du sport
EC : Ecole de commerce
ECG : Ecole de culture générale ESF : Editions Sociales Françaises
ECit : Education à la citoyenneté ou Citoyenneté (discipline enseignée au CO, en 9e) EHESS : Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (France)
ESPE : Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (France) GEF : Genre Education Formation (revue créée par l’ARGEF en 2017) INRP : Institut National de Recherche Pédagogique (France)
IVG : Interruption volontaire de grossesse
IUFE : Institut universitaire de formation des enseignants (Genève) LEP : Loisirs et pédagogie (maison d’édition lausannoise)
LGBTIQ* : Lesbiennes, gays, bisexuels, trans, intersexes, queer (sigle utilisé pour désigner les personnes non hétérosexuelles et non cisgenres. L’astérisque est ajouté afin d’englober toutes les identités de genre et orientations sexuelles méconnues.)
MA : Moyen Age
Matu pro : Maturité professionnelle
OC : Option complémentaire (au collège, en 3e et 4e) OFS : Office fédéral de la statistique
PER : Plan d’études romand
SPPE : Service pour la promotion de l’égalité entre femmes et hommes (BPEV dès 2015) UDC : Union démocratique du Centre (parti politique suisse conservateur et nationaliste)
11
Préambule
Implication personnelle dans la recherche
Les questions de genre sont sensibles, elles font l’objet de controverses politiques et médiatiques importantes. Aussi, leur traitement scientifique est-il régulièrement suspecté de militantisme. C’est pourquoi, avant d’entrer dans la réflexion, il me semble nécessaire de tenter d’expliciter les liens qui m’attachent à mon objet de recherche ; le but est de mettre à distance, comme il est d’usage dans les sciences sociales et en particulier dans les études féministes, la part de subjectivité qui peut influencer le travail.
Ma sensibilité au genre s’explique de diverses manières ; elle s’est développée au fil de mon parcours personnel et professionnel, ainsi que par quelques lectures et évènements scientifiques auxquels j’ai participé. Sur un plan biographique d’abord, j’ai éprouvé peu à peu la pression des rapports sociaux de sexe sur ma vie privée, lors de quelques étapes familiales qui ont révélé toute la force des normes et de la doxa de genre. Ensuite, dans le contexte de ma carrière dans l’enseignement secondaire, en participant notamment à la grève des femmes suisses de 1991, ainsi qu’aux discussions dans les écoles qu’elle a suscitées, j’ai pris progressivement conscience de la dimension professionnelle et scolaire des inégalités. J’ai alors eu envie de tester la possibilité d’enseigner ces questions, en passant par les savoirs historiques, et j’ai proposé un cours à option semestriel d’histoire du genre en 3e du collège1, que j’ai prodigué durant plusieurs années. Cet enseignement a constitué un terrain privilégié d’observation et d’expérimentation ; il a servi à l’élaboration d’un premier questionnement, avant même le début de ma recherche, et les souvenirs qu’il m’a laissés ont alimenté mes hypothèses et le choix de certains critères d’analyse de mon corpus. Dans le cadre de cette première réflexion, j’ai coréalisé une interview, avec Charles Heimberg, de collégiennes ayant lancé une pétition (annexe 6) pour que des notions sur les femmes soient introduites dans les cours (Heimberg & Opériol, 2004). Nous sommes également intervenu⋅es sur cette question aux Rendez-vous de l’histoire de Blois en 2004 (Heimberg & Opériol, 2005). Par ailleurs, quelques lectures ont jalonné mon cheminement et m’ont confirmé que le genre était bien un angle d’analyse pertinent pour la didactique de la discipline : un article de Michelle Zancarini-Fournel sur la place des femmes dans l’enseignement de l’histoire (2004),
1 Dans mon établissement, le cours de l’option complémentaire d’histoire destiné aux élèves de 3e et de 4e était organisé en quatre semestres, portant chacun sur quatre approches ou thématiques différentes, dont le genre.
12 qui fait un tour d’horizon des programmes et des manuels et émet un certain nombre de propositions sur la manière de les introduire ; la thèse d’Alexandra Oeser (2010), qui au chapitre 3 montre que le rapport à l’histoire des élèves peut être différent selon le sexe et que l’appropriation n’est pas neutre ; certains manuels (Ripa, 1999/2002 ; Beauvalet-Boutouryrie, 2003), en particulier La place des femmes dans l'histoire. Une histoire mixte (Dermenjian, Jami, Rouquier & Thébaud, 2010), qui matérialisent des exemples de thématiques abordées dans une perspective de genre. En outre, ma participation à l’ARGEF2, notamment lors de divers colloques qu’elle a organisés, a stimulé ma réflexion et m’a permis de profiter de questionnements communs élargis à diverses disciplines et dimensions scolaires, ainsi qu’à deux contextes nationaux.
Ce parcours explique mon implication particulière dans la constitution de mon terrain d’enquête. En effet, les enseignant·es interrogé·es et observé·es sont des personnes que je connais pour certaines de longue date, avec qui j’ai travaillé, que j’ai côtoyées dans des commissions de travail ou des formations, etc. Nous avons ensemble un objectif partagé : la conscience des inégalités de genre qui marquent les contenus de l’histoire scolaire et le projet de changer cet état de fait. C’est pourquoi je les ai sollicitées pour ma recherche. Pour certain·es, j’ai mis à disposition des séquences, des documents, j’ai organisé certaines des formations continues invoquées dans les entretiens. Ma posture de chercheuse n’est donc pas seulement extérieure. C’est pourquoi je m’efforce de me projeter dans le corpus et de considérer ces personnes comme mes lecteurs et lectrices potentielles. Toutefois, il est évident que cet engagement commun, ainsi que le caractère novateur de ces expériences, peuvent entrainer un certain nombre de biais auxquels je dois être attentive. Je serai ainsi confrontée à un double risque, que je tenterai d’éviter : le premier est celui d’orienter mes analyses. Ainsi, certains points apparaissent délicats, par exemple quand il s’agit d’identifier les stéréotypes qu’expriment les enseignant⋅es, ou de pointer leurs connivences avec le sexisme des garçons lors de plaisanteries par exemple. Mais je considère que d’une part la doxa de genre est si forte, le système de genre si tentaculaire, et que d’autre part la situation d’enseignement est si complexe à maitriser, le nombre de paramètres à prendre en considération en classe si important, qu’il est inévitable que ce type de propos soient tenus de temps à autre ; le souvenir
2 L’Association de Recherche sur le Genre en Education et Formation (ARGEF), créée en octobre 2012, a pour but de mutualiser les recherches sur le genre dans une optique de partage des savoirs ou de co-formation et de les rendre visibles pour qu’elles soient accessibles à l’ensemble de la communauté scientifique et de la société civile. Son ancrage disciplinaire est lié aux sciences de l’éducation, mais elle est ouverte à toutes les disciplines scientifiques. Son siège est à Genève, mais elle comprend une antenne en France (ARGEF France).Voir http://www.argef.org/ (consulté le 20 décembre 2017).
13 que je garde de mon propre enseignement d’histoire du genre me contraint à m’inclure complètement dans cette réalité. En ce sens, mon idée est que les enseignant·es ne constituent pas uniquement mon objet d’observation, mais sont les partenaires privilégié⋅es de la réflexion sur ces pratiques innovantes. Le deuxième risque encouru est celui de donner une vision prescriptive de l’enseignement. En effet, comme je l’ai dit, en plus d’une approche descriptive, visant à mieux comprendre les ressorts didactiques et axiologiques de ces expériences d’enseignement, je procèderai à une analyse critique et prospective, dans le but de concourir à leur légitimation et à leur consolidation. Cet objectif n’exclut toutefois pas pour autant le respect d’une démarche scientifique rigoureuse. Verbaliser ma position engagée permet d’éviter l’illusion de neutralité, comme l’explique Farinaz Fassa :
Cette position est assumée de notre part et elle s’inscrit dans la lignée des travaux qui prônent l’adoption d’une ‘position située’ (standpoint epistemology) pour analyser le social et construire la recherche – cf. Haraway (1991) et Harding (1995) pour le monde anglophone et de ceux de Guillaumin (1992) pour le monde francophone. Selon eux, la neutralité axiologique dont Weber (2003) a fait un des piliers de l’activité scientifique en sciences sociales n’est jamais réalisée puisque le politique est présent tant dans les objets de recherche que dans les méthodes et instruments utilisés. (2013, p.15)
Ainsi, par rapport aux trois fonctions de la didactique décrites par Develay (1997) : décrire, prescrire ou suggérer des actions d’enseignement et d’apprentissage, mon travail se situe à la fois dans la première et la troisième. En effet, il cherche tout d’abord à « rendre intelligibles des pratiques » ; ensuite, j’emprunte aussi « l’attitude du didacticien formateur.
Son projet est souvent d’éclairer par le discours du chercheur des pratiques nouvelles qu’il souhaiterait voir exister. Parfois le discours prend en compte les pratiques existantes et en propose une analyse critique » (p.63). C’est ce que Develay appelle une didactique de la suggestion.
Choix d’écriture
Signalons que la thèse est rédigée dans une écriture inclusive, selon la charte de l’Université de Genève3. Ainsi l’accord des adjectifs et participes peut se faire par exemple avec le substantif le plus proche (mais pas systématiquement). Pour nommer les deux sexes, au trait d’union est préféré le point médian (« les enseignant·es »), placé uniquement avant la syllabe de féminisation et non avant le pluriel, choix inspiré notamment de Viennot (2014) et de Delphy (2001/2013), pour des raisons de discrétion graphique.
3 http://www.unige.ch/rectorat/egalite/files/9314/0353/2716/charte_epicene_GE_ecrire_genres.pdf (consulté le 6 janvier 2018).
14 Par ailleurs, l’écriture tient compte de l’orthographe rectifiée, selon la brochure Les rectifications de l’orthographe du français, publiée en aout 2002 par la Conférence Intercantonale de l’Instruction Publique de la Suisse romande et du Tessin4.
Remerciements
Je remercie tout d’abord mon directeur de thèse, Charles Heimberg, pour la confiance qu’il a placée dans mon projet et pour sa patience placide à déjouer mes sempiternels doutes.
Ma reconnaissance va ensuite aux membres du jury, qui ont accepté de consacrer du temps à la lecture de mon travail : Isabelle Collet m’a prodigué force conseils personnels et, avec l’ARGEF qu’elle a cofondée, m’a invitée à participer à des colloques, publications et autres évènements scientifiques, stimulants à tous égards ; ses éclairages théoriques, relectures et suggestions m’ont été précieuses. Françoise Thébaud a répondu favorablement à mes sollicitations pour des formations continues ; ses interventions, ainsi que les documents fournis ont amplement contribué à l’élaboration des séquences du corpus. Alexandra Oeser a été une source d’inspiration pour moi, par sa thèse et l’originalité de sa démarche, entre sociologie et didactique ; ses encouragements et sa vision émancipée de la recherche ont donné davantage de liberté à mes choix. Les travaux de Maria Repoussi m’ont confortée quant à la spécificité de mon questionnement, au croisement de la didactique de l’histoire et du genre. Quant à Valérie Lussi Borer, sa participation inscrit mon travail dans le champ plus large des sciences de l’éducation.
J’adresse également mes remerciements aux enseignant⋅es qui m’ont permis de constituer mon corpus, en m’accordant un entretien et en m’ouvrant la porte de leurs classes.
Un intérêt commun pour l’enseignement de l’histoire du genre, un engagement partagé et la richesse de leurs expériences ont été stimulants pour mon cheminement.
Ma gratitude va aussi à mes collègues Henri Iselin, Alexia Panagiotounakos et Catherine Pesavento, qui m’ont permis de dégager du temps pour ma recherche, en me remplaçant périodiquement pour mon enseignement et pour l’encadrement des étudiant⋅es.
Merci aux élèves qui ont accueilli ma présence dans leurs leçons et, pour certain⋅es, donné de leur temps pour une entrevue.
4 http://www.dlf-suisse.ch/Domaines-dactivite/Orthographe/Les-rectifications-de-1990/Telecharger-la-brochure (consulté le 6 janvier 2018).
15 Merci aux jeunes transcripteurs et transcriptrices de mon corpus : Alexandre, Alix, Antoine, Clémentine, Elsa, Laura, Louise, Manon, Marion, Marlène et Mathieu.
Merci à Bruno, ainsi qu’à Antoine, Mathieu et Simon.
16
17
Introduction
Installé dans le paysage scolaire depuis le XIXe siècle (Moniot, 1993, p.11), l’enseignement de l’histoire a été longtemps celui de la nation, une histoire-bataille, aux finalités patriotiques. Vouée à créer un sentiment d’adhésion à un modèle de citoyenneté défini au masculin, la discipline histoire est peuplée de héros, qui ont été, jusque très récemment, exclusivement des hommes. Pourtant, les savoirs de la science de référence sont, en matière d’histoire des femmes et du genre, d’une richesse foisonnante depuis plus de 40 ans. En effet, l’intérêt pour les rapports sociaux de sexe, pour la construction du féminin et du masculin, qui se développe depuis lors dans les sciences sociales, a nourri la réflexion historiographique et a ainsi changé en profondeur le regard porté sur les sociétés du passé.
C’est là un des points de départ de notre questionnement que cette désynchronisation entre les avancées de la recherche et sa transposition dans les savoirs à enseigner. Mais ces derniers ne contrastent pas seulement avec les développements scientifiques : ils détonnent également dans l’évolution du paysage scolaire, où les bancs sont occupés autant par les filles que par les garçons, l’école et les études étant aujourd'hui ouvertes indifféremment aux deux sexes. Or les contenus ne se sont pas adaptés à la composition désormais mixte des classes, puisqu’ils demeurent essentiellement masculins dans leur perspective et concourent, parmi d’autres facteurs, à la perpétuation des inégalités en matière d’orientation et de choix professionnels.
Ce deuxième hiatus a redoublé notre intérêt et a dessiné à notre objet de nouveaux contours plus sociologiques. Ainsi, des pesanteurs héritées du passé sont responsables de ces décalages. Toutefois, elles commencent à se heurter à des changements à divers niveaux, que notre recherche se propose de saisir. Sur le plan didactique, les appels à une conception renouvelée de l’histoire scolaire, qui intègre des opérations historiennes comme la problématisation ou la comparaison du passé avec le présent notamment, stimulent l’enseignement de questions sensibles, parmi lesquelles le genre figure en bonne place, vu la vivacité des controverses dans les espaces public, scientifique et scolaire. Le contexte sociétal et médiatique est traversé de débats, qui alimentent une demande sociale pour une éducation à l’égalité. L’ensemble de ces tensions place la discipline dans une situation d’équilibre instable. Des initiatives sont alors prises d’introduire des thèmes d’histoire des femmes et du genre dans l’enseignement. C’est ce moment charnière où la catégorie d’analyse du genre commence à être transposée que nous examinons dans cette thèse.
18 Ainsi, notre objet de recherche se situe dans le cadre de la didactique de l’histoire, mais il faut le relier aux champs scientifiques de l’historiographie et des études sur le genre5, de même que l’inscrire dans le contexte social, ainsi que dans l’environnement scolaire au sens large ; en effet, les questions de genre sont devenues une préoccupation dans ces diverses sphères et elles sont thématisées à différents niveaux, par des chercheur·ses de toutes les disciplines, et en particulier, pour ce qui nous occupe, par des historien⋅nes, des sociologues et des spécialistes des sciences de l’éducation, mais aussi par les autorités politiques, les partis, les associations, de même que par les institutions éducatives.
Contexte disciplinaire, scientifique, scolaire et social
Tout d’abord, pour ce qui est du cadre disciplinaire, rappelons qu’à l’image d’un millefeuille, l’enseignement de l’histoire empile des savoirs de natures diverses : factuels, conceptuels, méthodologiques et éthiques. Multidimensionnel, il n’est jamais neutre, ni stabilisé. Il opère des choix et évolue dans le temps selon un rythme qui lui est propre, pas toujours synchrone avec celui de la recherche historique. L’introduction du nouvel objet qu’est l’histoire du genre procède de l’action de plusieurs protagonistes et son émergence marque, semble-t-il, une amorce de changement pour la discipline. En effet, cette approche semble jusque-là relativement rare ; le point de vue qui continue à être le plus souvent adopté est celui des groupes dominants et les configurations politique, diplomatique et militaire restent prépondérantes ; elles permettent difficilement une mise au jour des femmes, ou des minorités sexuelles, et de leur rôle dans l’histoire.
Si l’histoire des femmes et du genre a indéniablement influencé l’analyse historique, il est plus difficile de faire le même constat pour l’enseignement de l’histoire. Si quelques femmes s’insèrent de plus en plus dans les récits historiques présentés aux élèves – même si cela reste encore minimal –, la réelle problématisation des enjeux liés aux constructions sociales genrées demeure encore largement à faire. (Brunet, 2016, p.27)
Ainsi, le champ reste peu enseigné (El Amrani, 2005 ; Thébaud, 1998/2007 ; Wieviorka, 2004 ; Zancarini-Fournel, 2004). Pourtant, comme le dit Marie-Hélène Brunet dans cette citation, les travaux historiographiques se réclamant de la perspective de genre se sont développés de façon très riche et les éclairages épistémologiques spécifiques ont considérablement enrichi l’histoire (Gubin, 2007 ; Rogers & Thébaud, 2010b ; Thébaud, 1998/2007 ; Virgili, 2002). Pour tenter de saisir ce décalage temporel entre le développement de la recherche et l’enseignement, nous avons choisi d’observer quelques expériences menées
5 Nous utilisons le terme d’études sur le genre, mais on trouve également études de genre ou études genre.
19 dans l’enseignement secondaire à Genève. Il s’agit d’examiner les différents facteurs de l’introduction du genre dans l’histoire scolaire, ainsi que les questionnements et difficultés qu’elle occasionne. En effet, les thématiques d’histoire du genre ne sont pas inscrites dans une tradition didactique et leurs enjeux scientifiques, sociaux et scolaires sont complexes : leur transposition suscite des interrogations qui méritent d’être analysées. Il est sans doute trop tôt pour estimer l’importance de ces initiatives et pour mesurer l’ampleur de ce changement de perspective. Il serait certes intéressant de réaliser un état de la situation, mais cela n’entre pas dans la démarche de ce travail, strictement qualitative. Toutefois, il est possible d’envisager que nous nous trouvons peut-être dans un moment transitoire, de crise, pour reprendre les mots Chervel.
Les exigences intrinsèques d'une matière enseignée ne s'accommodent pas toujours d'une évolution graduelle et continue. L'histoire des disciplines procède souvent par alternance de paliers et de changements importants, voire de profonds bouleversements. Quand une nouvelle vulgate prend la place de la précédente, une période de stabilité s'installe, qui sera à peine troublée, elle aussi, par les inévitables variantes. Les périodes de stabilité sont séparées par des périodes "transitoires", ou de "crise", où la doctrine enseignée est soumise à des turbulences (1988, p.95).
L’introduction du genre en histoire n’est pas sans entrainer quelques turbulences.
Celles-ci nous semblent intéressantes à étudier, d’autant qu’elles concernent les trois phases de la transposition didactique, comme nous le verrons. Précisons que notre enquête se focalise autour de quelques thèmes, ou thématiques, alors que le genre est conçu dans l’historiographie comme une approche, une perspective ou une catégorie d’analyse ; ceci pour des raisons qui tiennent au processus de didactisation, puisque celui-ci transforme et élémente les savoirs (nous y reviendrons). Le pari est donc de mieux comprendre les spécificités de la transposition didactique pour la discipline histoire.
Ensuite, notre questionnement disciplinaire s’inscrit dans une réflexion plus large, qui concerne l’ensemble du paysage scolaire. En effet, l’école reproduit les discriminations, non seulement dans toutes les disciplines, par le biais des savoirs transmis, dont les psychologues et sociologues de l’éducation dénoncent le caractère masculin encore prégnant, mais aussi de façon transversale, sous l’action du curriculum caché. Pas plus que les autres sphères sociales, le contexte scolaire n’est pas épargné par le système de genre. L’institution ne protège les élèves ni du sexisme ni de l’homophobie. Elle perpétue les inégalités entre les sexes, puisqu’elle contribue activement à la socialisation différenciée des filles et des garçons (Dafflon Novelle, 2006 ; Duru-Bellat, 1990/2004 ; Mosconi, 1994). Ce processus conduit à une orientation sexuée et à des statuts professionnels moins favorables pour les femmes (Vouillot, 2007b).
20 Enfin, le genre donne lieu à de nombreuses interrogations sociétales, politiques et médiatiques. Les relations entre les groupes de sexes sont un problème dominant de notre temps. En effet, si un processus d’émancipation féminine a bien eu lieu depuis quelques décennies, de fortes inégalités demeurent. Les femmes sont moins présentes dans la sphère politique et la carrière professionnelle, en raison de la domination masculine (Bourdieu, 1998 ; Delphy, 2001/2013). Un plafond de verre bloque leur accès aux postes et fonctions à responsabilités (Laufer, 2005 ; Sanchez-Mazas & Casini, 2005). Par ailleurs, en ce qui concerne les personnes LGBTIQ*, malgré une visibilité sociale accrue et le développement de la pensée queer depuis quelques années, la discrimination touche encore fortement les groupes aux identités et orientations sexuelles minoritaires, notamment en matière de conjugalité et de parentalité, en particulier de procréation médicalement assistée et d’adoption. Ainsi, les questions de genre engendrent des tensions et des débats de société importants. Les oppositions sont parfois vives et se polarisent autour de textes de loi qui tentent d’instaurer davantage d’égalité, comme on l’a vu dernièrement en France à propos du mariage pour tous, par exemple. Le monde professionnel, avec le problème des salaires et des retraites notamment, voit surgir à tout moment des controverses, de même que le cadre familial, en ce qui concerne l’avortement, la prise en charge des enfants, la répartition des tâches domestiques, etc. Les sujets d’éducation et de formation suscitent aussi des polémiques, qui ont fait rage entre autres lors de l’introduction, en France, de manuels de biologie au lycée ou des ABCD de l’égalité (Houel, 2011), nous y reviendrons. Récemment, les violences faites aux femmes et le harcèlement sexuel sont au-devant de la scène médiatique et des réseaux sociaux.
Ainsi, notre réflexion devra prendre en compte ces divers échelons contextuels, auxquels le cours d’histoire n’est évidemment pas imperméable.
L’idée de donner du sens au présent à partir de références au passé est au cœur même de l’utilité sociale de l’histoire. C’est aussi une posture qui rend impossible toute prétention à un discours historiographique définitif dans la mesure où les questions posées au passé ne cessent d’évoluer.
En effet, de nouvelles curiosités et surtout de nouvelles problématiques liées aux angoisses et aux espoirs du temps présent ne cessent d’émerger et de susciter des questions au passé.
(Heimberg, 2002, p.45)
Une problématique multidimensionnelle et quelques hypothèses
Notre travail examine la manière dont est transposée l’histoire des femmes et du genre.
Il cherche à en définir les facteurs et enquête dans plusieurs directions : l’histoire des femmes et du genre est-elle seulement reçue par le monde scolaire, en un mouvement descendant de
21 diffusion de la connaissance depuis la science de référence vers sa réplique scolaire ? Dans quelle mesure sa transposition didactique n’est-elle pas plutôt l’effet d’une demande sociale d’éducation à l’égalité, qui touche l’école de manière transversale et pluridisciplinaire ? Et à quel degré ces expériences émanent-elles de la propre initiative des enseignant·es ? En quoi sont-elles façonnées par les élèves et leurs réactions ? L’enseignement de l’histoire du genre pourrait alors bien être aussi le fruit de l’action des protagonistes mêmes de l’institution scolaire. De fait, l’introduction de la perspective de genre opère un certain renouvèlement des savoirs disciplinaires. Ceux-ci se modifient au gré des évolutions sociales : « les savoirs d’hier, qui répondaient à des questions que l’on se posait dans la société d’alors, ne sont plus ceux dont a besoin de la société d’aujourd’hui, car les questions que l’on pose ont changé » (Ministère de l’Education du Québec, 1996, cité par Martineau, 1999, p.39). L’introduction d’un nouvel objet est l’occasion d’appréhender les facteurs de renouvèlement des savoirs en histoire. Ainsi, nous nous demanderons en quoi la discipline est spécifique quant aux effets conjugués, sur son évolution, de la production scientifique, de la demande sociale et de l’intervention des acteurs et actrices scolaires : noosphère, enseignant·es, élèves. Notre questionnement se rapporte tout d’abord aux finalités éducatives de l’histoire scolaire, citoyennes, sociales et éthiques. En effet, le caractère sensible de la question du genre entraine inévitablement la prise en compte de ses dimensions politiques et axiologiques, constitutives de l’objet. Nous ne pourrons donc faire l’économie d’une réflexion sur l’engagement que signifie l’enseignement de cette question.
Ensuite, nos interrogations visent les fondements épistémologiques de la discipline, à savoir la construction de la pensée historienne. En effet, la compréhension des processus de production des différences de sexe et des hiérarchies, leur dénaturalisation, peut se produire par la démarche d’historicisation, de décentration et de mise à distance critique des objets de savoir (Cariou, 2012). Il s’agit de « démonter les processus qui sont responsables de la transformation de l’histoire en nature, de l’arbitraire culturel en naturel » (Bourdieu, 1998, p.12). Nous nous inscrivons là dans les réflexions d’autres didacticien·nes qui s’intéressent à la pensée historienne, à la manière dont on peut la définir (Martineau, 1999 ; Heimberg, 2002 ; Hassani Idrissi, 2005), à l’importance didactique des divers concepts et opérations intellectuelles (Lautier, 1994 et 2001b), ainsi qu’à leur mise en œuvre en classe et à leur apprentissage par les élèves (Cariou, 2012). Précisons que certain·es auteur·es utilisent pensée historique et d’autres pensée historienne, sans que l’on puisse établir de distinction entre ces deux usages. Quant à nous, nous optons pour le terme de pensée historienne, afin de désigner les modes de raisonnement, opérations intellectuelles, démarche ou méthode des historien·nes
22 et de les distinguer des données factuelles, qui sont elles historiques (Cariou, 2012 ; Hassani Idrissi, 2005).
Par ailleurs, notre recherche réfléchit aux effets des appartenances et des identités sur l’appropriation des savoirs. En cela, notre approche n’est pas seulement fondée sur des éléments épistémologiques, mais est également sensible à la perspective sociologique. En effet, la réflexion sur la légitimation des savoirs peut s’inspirer également de la sociologie du curriculum. L’introduction de ces nouveaux savoirs peut être référée à la prise en compte des rapports de genre au sein des classes (mixité, relations inégales entre filles-garçons). Cette perspective nous semble incontournable pour comprendre ces changements du curriculum, sous-tendus par des enjeux sociétaux. Ainsi, nous partons de l’idée qu’introduire des thématiques de genre, rendre visibles dans l’histoire enseignée les femmes ou les personnes queer, qui en sont le plus souvent exclues, adopter le point de vue des dominé·es pour mieux faire comprendre les mécanismes de pouvoir, devrait aider tou·tes les élèves, dans leur ensemble, à développer leur relation à l’histoire et ainsi contribuer à accroitre leur sentiment de légitimité sociale. Cette hypothèse repose sur les travaux décrivant l’apprentissage qui ont mis en évidence l’existence de rapports différenciés au passé, qui peuvent être internes ou externes selon les élèves (Lautier, 1997a) et qui varient selon le sexe (Brunet, 2016 ; Dancel, 1996 ; Oeser, 2010). En effet, certain⋅es ont la capacité de se penser dans l’histoire et trouvent un intérêt à la discipline pour ses fonctions d’identification et de socialisation, tandis que d’autres, qui n’ont pas encore développé des facultés de décentration et de conception du social, n’y voient qu’une simple matière scolaire. Par ailleurs, les usages du passé sont sexués : la culture historique spécifique des filles et des garçons engendre des intérêts et des positionnements distincts. Nous supposons que l’étude de thématiques de genre peut encore accentuer cette différence d’appropriation. Ainsi, par le biais de l’analyse des échanges en classe, nous nous demanderons s’il est possible de catégoriser le public scolaire quant à son rapport à l’histoire, en examinant les réactions vis-à-vis de ces sujets. Précisons que l’idée est d’éviter tout risque d’essentialisation dans les conclusions qui seront tirées de nos constats ; il s’agit seulement de réfléchir à un impensé didactique, l’apprentissage différencié, le public scolaire étant généralement considéré comme universel et neutre.
Notre recherche a comme originalité d’observer les trois étapes du processus de didactisation. En effet, par des entretiens avec des enseignant·es, nous cherchons à comprendre d’abord la transposition externe, c'est-à-dire la manière dont est opérée la sélection des savoirs à enseigner ; ceux-ci sont choisis, dans une certaine mesure, de façon autonome, puisque dans le contexte genevois, les praticien·nes travaillent sans qu’un manuel
23 ne soit distribué aux élèves et élaborent donc personnellement leurs séquences. Ensuite, par des observations de leçons et l’analyse d’interactions, nous examinons la transposition interne : la manière dont ces savoirs sont effectivement enseignés et reçus par les classes.
Analyse que nous complétons par des entretiens avec des élèves, où nous questionnons leur appropriation des notions. Le choix, certes ambitieux, de couvrir tout le mouvement transpositionnel sera rendu possible par le caractère qualitatif et élastique de l’analyse, qui, de par les critères retenus, ne porte, pour les interactions, que sur les discussions où s’expriment des stéréotypes de sexe.
Comme nous le verrons, le corpus a été constitué exclusivement à Genève. En revanche, nos lectures concernent le contexte francophone au sens large. La plupart des références sont françaises, quelques-unes sont belges et canadiennes. S’il existe à notre connaissance encore peu de recherches qui examinent le rapport des enseignant⋅es et des élèves à l’histoire du genre, à l’exception de celle de Brunet (2016), la réflexion plus générale sur l’éducation à l’égalité, sur l’enseignement des questions vives, sur le sexisme des manuels, sur les effets du curriculum caché, etc. se développe dans divers horizons, que nous avons pu utiliser pour inscrire notre travail dans une réflexion plus générale et pour définir plus précisément notre questionnement.
Les éléments théoriques sur lesquels nous nous appuyons sont déclinés en quatre chapitres. Le premier décrira l’histoire scolaire telle qu’elle est théorisée en didactique. Le chapitre 2 donnera un éclairage sur le concept de genre et mentionnera quelques points de débats qui le traversent ; il présentera également les principaux stéréotypes de sexe, l’un des critères d’analyse de notre corpus. Puis, comme l’approche de genre constitue un nouvel objet d’enseignement, son introduction entraine une réflexion quant à sa légitimité, ce qui suppose l’évocation de son développement historiographique ; c’est pourquoi nous consacrons le chapitre 3 à l’histoire de l’histoire des femmes et du genre. L’objectif est de situer les questionnements et initiatives des enseignant⋅es (abordés dans la partie II), ainsi que les interactions en classe (partie III), dans le contexte scientifique de leur discipline de référence.
Le quatrième et dernier chapitre de cette première partie peint le cadre scolaire dans lequel notre sujet peut également être problématisé ; en effet, il montre en quoi l’école est confrontée à un problème de genre. Signalons que le contenu de ces quatre chapitres a déjà fait l’objet, par petites touches, d’une publication dans le cartable de Clio (Opériol, 2013).
Ensuite, la partie II de notre travail est consacrée aux entretiens avec les enseignant·es, où nous nous intéresserons, en trois chapitres, d’abord aux motifs qui peuvent les conduire à choisir d’enseigner l’histoire du genre ; nous nous interrogerons sur leur engagement
24 professionnel et social, sur leurs conceptions de l’histoire et des modes de pensée disciplinaires, qui selon Martineau ont une influence significative sur l’enseignement et déterminent les attitudes et les approches didactiques adoptées (1999, p.104). Ensuite, seront décrites les représentations que les enseignant⋅es se font des élèves et de la manière dont est reçue l’histoire du genre en classe. Les expériences décrites éclairent le sens qui est donné à cet enseignement, les difficultés auxquelles on se heurte et les compétences professionnelles qui peuvent être utilisées pour les surmonter. Enfin, nous verrons quelles thématiques sont choisies, ce qui est invoqué en termes de critères de sélection, quelles finalités de la discipline et quelles opérations historiennes sont mentionnées. En examinant quels savoirs sont évoqués, nous veillerons à observer comment s’articulent valeurs et connaissances scientifiques :
« quelle sera la garantie des contenus scolaires, si ce qui est transmis à l’école résulte simplement de la prégnance d’un questionnement social ? » (Legardez & Simonneaux, 2006, p.27).
Du côté de l’apprentissage, nous examinerons, dans la partie III, sur la base des observations de leçons, en quoi l’histoire du genre facilite ou au contraire complique la pratique par les élèves de la pensée historienne. Partant de l’idée qu’il n’y a pas d’opposition entre la pensée naïve et la pensée historienne, mais plutôt une continuité entre le raisonnement naturel et le raisonnement scientifique, nous nous intéressons à la manière dont les classes mobilisent puis mettent à distance leurs représentations (Cariou, 2012, chap. V). Ici, notre hypothèse est double : la résonance sociétale et personnelle de la question agit sur l’intensité des réactions des élèves ; ainsi sa transposition didactique est marquée par une appropriation spécifique. Cette hypothèse se fonde sur le constat qu’il faut prendre davantage en compte la composante sociale des représentations, ainsi que des « éléments relevant des valeurs et de l’affectif » (Tutiaux-Guillon, 2001, p.87), et sur l’idée que la fonction identitaire des représentations sociales explique les modes d’incorporation des concepts historiques (Guyon, Mousseau & Tutiaux-Guillon, 1993). En ce sens, il s’agit de saisir les représentations sociales liées au système de genre, les éventuels stéréotypes de sexe qui s’expriment, et de discerner comment ils produisent (ou bloquent parfois) l’apprentissage. En effet, les élèves ont tou·tes une expérience sociale des rapports de sexe, qui peut être sollicitée comme ressource, mais contre laquelle ils et elles peuvent aussi buter, vu la force de la doxa de genre. Nous verrons comment celle-ci peut être objectivée par des opérations d’historicisation : quels éléments de la pensée historienne sont mobilisés pour mettre à distance les stéréotypes de sexe ? Cette partie III est organisée en cinq chapitres : les trois premiers sont consacrés chacun à un ensemble de représentations, respectivement sur la division sexuée du travail, sur les normes
25 du féminin et du masculin et sur le corps et la sexualité ; le chapitre 10 examine l’usage de l’humour de genre en classe.
Enfin, la quatrième et dernière partie de notre travail exploite, dans un onzième chapitre, les entretiens avec les élèves, afin d’observer ce qui a été retenu de l’enseignement des thèmes de genre. Puis, le chapitre 12 exposera le potentiel didactique de l’approche de genre et en récapitulera les dérives possibles, par une synthèse des résultats des analyses et leur mise en discussion ; il proposera aussi quelques prolongements théoriques et historiographiques.
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Partie I. Cadre théorique
Nous pensons habituellement le social comme moins réel que le biologique, nous appréhendons le changement comme étant moins réel que les continuités. L’histoire a cependant une formidable réalité. Elle est la modalité même de la vie humaine, ce qui précisément nous définit en tant qu’humains.
(Connell, 2014, p.80)
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Chapitre 1. La transposition didactique de la pensée historienne
Introduction
Avant d’aborder sa spécificité en histoire, rappelons brièvement la notion de transposition didactique, formalisée par Chevallard (1985). Elle désigne la distance séparant les savoirs savants des savoirs scolaires, contre la croyance en leur adéquation. Pour pouvoir être enseignés, les savoirs subissent une véritable transformation. Dans ce processus, on distingue plus précisément trois étapes : ils deviennent d’abord des savoirs à enseigner (transposition externe), puis des savoirs effectivement enseignés et des savoirs appris (transposition interne) (Bronckart & Plazaola Giger, 1998). En ce qui concerne le fonctionnement de la transposition externe, toujours selon Chevallard, celle-ci vise à ce que le système didactique soit compatible avec son environnement ; des transpositions nouvelles ont régulièrement lieu, à la fois pour que les savoirs scolaires ne deviennent pas obsolètes et demeurent suffisamment proches des savoirs savants, et à la fois pour qu’ils soient suffisamment distincts des savoirs de sens commun, afin de rester légitimes. Mais les savoirs savants ne sont pas l’unique référence de la transposition didactique ; en effet, les savoirs scolaires sont déterminés et renouvelés également par des demandes sociales adressées à l’institution. Ainsi, l’obsolescence des savoirs par rapport aux évolutions scientifiques provoque des changements, sans pour autant constituer
une condition suffisante pour déclencher un processus de réforme. […] Les savoirs didactisés peuvent se reproduire, des siècles durant, dans un rapport de quasi-indifférence à l'égard des savoirs scientifiques. […] C'est sous l'effet de paramètres plus généraux, d'ordre politique, idéologique ou méthodologique, que s'effectue la prise de conscience de cette distance, alors aussitôt ressentie comme inacceptable. (Bronckart et Plazaola Giger, 1998, p.55).
Ce facteur des paramètres politiques et idéologiques dans l’élaboration des contenus scolaires est particulièrement déterminant pour le renouvèlement des thématiques en histoire.
La discipline est très exposée à cette pression. Le choix des savoirs à enseigner se fait sous des influences multiples et il est plus complexe à retracer et à justifier que pour d’autres disciplines comme les mathématiques, par exemple, pour lesquelles la référence savante suffit à construire leur légitimité sociale. Si elle l’est de manière spécifique, la discipline histoire n’est toutefois pas la seule à être touchée par les demandes sociales, qui comportent aussi, pour certaines, une dimension pluridisciplinaire. Nous pensons aux éducations à, qui répondent à des problèmes sociétaux divers. Pour citer deux exemples, l’éducation à la santé (ou à la sexualité) vise la prévention de la toxicomanie, de l’alcoolisme, du sida ou des
30 accidents de la route, et l’éducation au développement durable répond aux préoccupations liées à l’environnement, à la pollution, au réchauffement climatique, etc. Elles sont plusieurs à avoir fait leur entrée dans l’institution scolaire, certaines depuis longtemps, par exemple l’éducation à la citoyenneté ou l’éducation aux médias, et la plupart plus récemment, depuis les années 1990. Quant aux inégalités entre les sexes, elles font l’objet d’une demande d’éducation à l’égalité. En effet, le genre commence à être introduit non seulement en tant que catégorie d’analyse au sein de certaines disciplines, mais également de façon transversale, dans des dispositifs éducatifs pluridisciplinaires. Nous inscrivons notre questionnement dans le contexte de ces expériences, que nous décrirons au chapitre 4.
Mais la manière dont les savoirs scolaires sont façonnés dépend aussi de facteurs internes. En effet, il faut prendre en compte l’action indépendante de l’institution elle-même.
En effet, Chervel (1988) montre que contrairement à ce que l’on croit, les contenus d’enseignement ne sont pas forcément « imposés tels quels à l’école par la société qui l’entoure et par la culture dans laquelle elle baigne » (p.65) ; au contraire, les disciplines ont une autonomie et les contenus sont parfois créés « par l’école elle-même, dans l’école et pour l’école » (p.66). Cette dimension créative du système scolaire nous interpelle, pour le rôle que jouent ses protagonistes. Dans le contexte que nous avons observé, les enseignant·es effectuent en grande partie le choix des savoirs à enseigner, tout en s’adaptant à la spécificité de leur public : « C'est la transformation du public scolaire qui a obligé la discipline à s'adapter » (Chervel, 1988, p.89). Par rapport à la question que se pose Chervel : « Quels sont donc les agents de renouvèlement des disciplines ? » (1988, p.88), nous nous pencherons sur les enseignant·es et les élèves, nous examinerons dans quelle mesure leur action pousse l’histoire vers davantage de mixité dans ses contenus. Nous éprouverons ce paramètre dans les deuxième et troisième parties de notre recherche, où nous analyserons les choix des enseignant·es et l’appropriation des thématiques de genre par les élèves.
Mais auparavant, nous donnerons un éclairage théorique sur la transposition en histoire.
Dans cette discipline, les recherches en didactique se caractérisent par la diversité, voire l’éclatement. Elles ont eu de la peine à trouver une légitimité, notamment auprès des historien⋅nes, et elles en pâtissent encore aujourd’hui (Lautier & Allieu-Mary, 2008 ; Tutiaux- Guillon, 2001). Elles ne possèdent pas encore de champ épistémologique propre, clairement délimité, reposant sur des bases solides (Prats, 2002 et 2009), elles sont « un domaine scientifique flou et peu structuré » (Cariou, 2012, p.11). Les objets de recherche sont variés et manquent même d’unité. Les plus nombreux portent sur les curricula et les moyens d’enseignement, les connaissances des pratiques réelles en classe d’histoire restant encore très
31 limitées (Lautier & Allieu-Mary, 2008). Toutefois, comme le montrent des synthèses récentes concernant la France et l’Espagne, après des débuts difficiles, les avancées sont importantes depuis une quinzaine d’années. Les recherches sont axées soit sur l’apprentissage du processus, soit sur le produit, soit sur les représentations. D’autres portent sur la fonction sociale de l’histoire (Laville, 1999, cité dans Hassani Idrissi, 2005, p.24). Dans ce chapitre, nous nous intéresserons aux facteurs généraux qui agissent sur la sélection et la construction des savoirs à enseigner. Nous évoquerons l’influence de la demande sociale, ce qui nous conduira à regarder les finalités politiques et éducatives qu’on prête à la discipline. Que vise- t-on quand on transmet des savoirs historiques, quand on cherche à apprendre aux élèves à penser en histoire ? Pour répondre à cette question seront présentés certains éléments épistémologiques fondamentaux tels qu’ils sont mobilisés pour l’enseignement. Nous examinerons comment la pensée historienne est définie par les didacticien·nes. Nous nous réfèrerons à l’outil de la grammaire du questionnement de l'histoire scolaire, une proposition de formalisation de cette pensée historienne. Enfin, seront rappelés les apports théoriques relatifs au rôle du sens commun et des représentations sociales dans le fonctionnement de l’apprentissage ; ceci afin de mieux comprendre le rapport à l’histoire des élèves.
1.1. Les spécificités de l’histoire scolaire
1.1.1. Le poids de la demande sociale
En histoire, la question du choix des contenus est une préoccupation prépondérante, aussi bien des praticien⋅nes qui doivent élaborer leur planning que des chercheur⋅ses qui réfléchissent à la discipline. Les savoirs à enseigner sont conçus tout d’abord en référence à l’histoire académique. « Un peu partout en Occident, présentement, les nouveaux programmes d’histoire enseignés dans les écoles s’inspirent de la discipline historique » (Martineau, 2010, p.40). « L’histoire scolaire enseigne souvent dans les classes les résultats de la recherche historique » (Cariou, 2012, p.7). Cependant, elle n’est pas « la copie conforme de l’histoire savante » (Cariou, 2012, p.7), car les contenus sont conçus aussi en référence à la mémoire collective et à des finalités sociales (Lautier, 2001a). En effet, les savoirs à enseigner sont
« l’objet d’une véritable construction sociale […] qui s’élabore dans et hors de l’école, sous l’influence des scientifiques (le savoir universitaire validé), des groupes de pression intermédiaires et des professionnels » (Lautier, 2001a, p.95). Ce qui donne sa couleur à l’histoire scolaire, c’est qu’elle fait l’objet d’importantes attentes de la société (Lautier &