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Academic year: 2022

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Texte intégral

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L’ACTION A POUR CAUSE LA DOULEUR

Par M. Ettore Regalia Privat-docent d’Anthropologie, à Florence.

L’auteur soutient cette thèse depuis vingt ans. Il avait été de­

vancé, h son insu, par divers penseurs, l’abbé Genovesi et Pietro Verri, les premiers, paraît-il. Cependant son œuvre n’est pas sans avoir du nouveau, consistant dans l’étendue donnée à la preuve. A l’égard des sentiments, certaines questions que jusqu’alors on ne s’était pas même posées, ont été traitées et, de l’avis de quelques psychologues, résolues. Cela était indispensable pour arriver à éta­

blir que le mobile de l’action est unique.

Par « action » l’on entend ici toute sorte d’activité plus ou moins consciente et volontaire, y compris celle de la pensée.

Aujourd’hui l’on est presqu’unanime à penser que les mobiles ne sont autre chose que les sentiments ; il n’est pas admis que de pures idées, des représentations accompagnées par le zéro (par un mini­

mum) du sentiment soient capables de déterm iner à l’action.

L’on a toujours affirmé la volonté et actuellement on lui fait jouer le plus grand rôle, même en philosophie. Pourtant on n’a jamais dé­

montré des faits de « volition » aussi évidents et distincts que ceux de l’intelligence et du sentiment. C’est là un grand défaut du con­

cept en question et ce n’est pas le seul : on reconnaît que la volonté ne se meut pas sans motifs (sentiments). Donc entre le sentiment et le mouvement (action) l’on interpose un terme non démontré et par lui -même inerte.

C’est pourquoi il semble juste de n’admettre que deux natures de faits psychiques vraiment irréductibles, intelligence et sentiment.

La première comprend les sensations (ainsi que leurs combinaisons) dont celles internes sont la plupart sans nom et très difficiles à dé­

crire, quoique bien connues par expérience. La seconde nature, ou

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L ACTION A POUR CAUSE LA DOULEUR 483 classe, comprend, selon l’avis unanime, plaisir, douleur, passions, besoins, tendances, appétits, etc.

Cet avis unanime n’est qu’une erreur. Lorsque les psychologues, romanciers, poètes analysent les états susdits (en dehors des deux premiers faits), ils n’y trouvent que des faits représentatifs et du plaisir ou de la douleur. Par conséquent toute classification Io affirme simples et irréductibles [enies plaçant à côté du plaisir et de la douleur) des états qu’ailleurs, par l’analyse, on démontre composés et réduc­

tibles ; 2° donne comme nouveaux des faits de nature représentative qui étaient déjà placés dans l’intelligence ; 3° leur donne une fausse collocation (dans le sentiment) ; 4° donne comme des faits nouveaux le plaisir et la douleur de chaque état analysé, tandis que ces deux faits étaient déjà énumérés en tête des autres.

Derrière les mots « passions », etc., il y a des choses qui sont bien réelles ; seulement elles ne peuvent l’être dans la classification, où leur présence n'est qu’une double répétition et partant une erreur.

Les noms de ces états complexes sont une création du vulgaire, créa­

tion tout aussi nécessaire que celle du reste du langage (dire qu’on a faim , pour obtenir de la nourriture, qu’il va arriver des hommes en fureur, pour se sauver, etc.i ; mais les psychologues ont tort de prendre ces noms comme signes d’autant de faits sentimentaux spé­

cifiques, tandis qu’ils ne représentent que des différences de condi­

tions et à'accompagnements représentatifs des deux modes du sen­

timent.

Un seul auteur, à ma connaissance, David Irons, a soutenu que les emotions sont des faits spécifiques et irréductibles. Je crois avoir amplement démontré qu’il n’a pas réussi dans la preuve.

En somme, puisque dans la classe sentiment l’on doit biffer tous les noms des états composés, il n’y reste que les deux faits, simples et universellement reconnus, plaisir et douleur. Autre conséquence, ceux-ci restent les deux seuls mobiles possibles de l’action.

Mais sont-ils bien des mobiles tous les deux ? 11 paraît que tous le croient, et des sociologues, entr’autres, disent que le plaisir est le mobile des actions humaines. Prenons pour exemple ce phénomène d ’une grandeur toute 'moderne, les revendications des travailleurs.

Est-ce que ces masses sont en un état agréable ? Si oui, elles sont les égales des gens riches qui, pourtant, n’ont rien à revendiquer : et alors pourquoi la difference ? Si un animal a déjà le plaisir de la satiété même à l’état d’inanition, pourquoi cherche-t-il la nourri­

ture ? etc. Puisque le plaisir n’a lieu qu’à la suite d’une action apai-

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sant un besoin, un désir, il est simplement absurde de prétendre qu ii la précède.

Sans doute, avec l’élévation de la mentalité il y a souvent une re­

présentation de la satisfaction (d’un désir, besoin, etc.), qui est sui­

vie par du plaisir, avant l’action : mais cela suffit-il pour affirmer que l’action a été causée par ce plaisir ? Pour qu’un fait soit la cause d’un autre fait, il ne suffit pas qu’il soit son antécédent d’une ma­

nière quelconque; il doit être l’antécédent constant et im m édiat:

constant, parce que l’effet ne doit jamais avoir lieu en son absence, et immédiat pour la même raison. Or, il s’en faut de beaucoup que le plaisir causé par la satisfaction représentée possède les deux qua­

lités susdites. 11 ne parvient que très rarement à annuler la douleur de la privation (besoin, appétit, désir, etc.], auquel cas l’action, de­

venue inutile, ne s’ensuit plus ; presque toujours il n’apporte qu’un très court et très léger soulagement, dont la cessation renforce, par contraste, la conscience de la privation (douleur), d’où l’action.

Ici se place une généralisation trouvée par moi : U action a toujours le but de faire cesser Vètat actuel. En effet, elle vise à créer un état nouveau qui doit faire cesser l’actuel, en tout ou partie. Or, ce but n’existe jamais, et n’est pas même compréhensible, à l’égard d’un état agréable. On objecte aussitôt que l'on agit pour conserver ou renforcer les états agréables, et comme alors le sentiment est le plai­

sir, c’est celui-ci qui produit l’action. Regardons-y de plus près.

Lorsque le maintien de l’état actuel est assuré (par exemple, riches­

ses, etc., garanties par les lois], il n’y a point d’action pour le m ain­

tenir ; cette action n’apparaît qu’à la suite d’une représentation de la cessation imminente ou possible de l’état en question, car jam ais on n’agit pour assurer ce qui est sur (autrement il n’y aurait jam ais de reposj. Mais cette représentation n’est pas indifférente : elle est suivie par un fait sentimental, évidemment crainte, c’est-à-dire douleur. C’est donc cet état, et non pas l’état agréable, qui est actuel et qui produit l’action.

Quant à l’action pour « renforcer » les plaisirs, y compris les plaisirs physiologiques, il est clair qu’une différence de degré n’est pas une différence de nature, et que le degré supérieur du plaisir est l’objet du désir, du besoin, tout comme l’a été le degré inférieur. Or, tous les psychologues adm ettent que les états de désir, de besoin sont es­

sentiellement douloureux, en d ’autres termes que, quelles que soient leurs conditions physiologiques et les faits représentatifs dont ils s ’accompagneat, le fait sentimental qui les caractérise est la douleur.

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L ACTION A POUR CAUSE LA DOULEUR 485 En résumé, puisque les volitions n’ont pas une existence à part et ne sont pas des mobiles autonomes, puisque les tendances, les besoins, les passions, les émotions, etc., sont des états composés et nullement des faits sentimentaux spécifiques, et puisque des deux faits réels, simples et irréductibles, du sentiment il y en a un, le plaisir, qui n’est pas un motif de changement, de mouvement ou d ’action, la qualité de mobile se trouve confinée dans l’autre de ces deux faits : d’où la synthèse que depuis longtemps j’ai formulée — La douleur est Vantécédent constant et immédiat du mouvement plus ou moins conscient et volontaire.

Cette manière d'envisager les faits psychiques en rapport à l’ac­

tion présente un reflet de la réalité que l’on cherche en vain dans les doctrines connues. En considérant la douleur comme la cause psychique du mouvement, il n’y a pas d’action qui ne s’explique, tandis qu’ailleurs on rencontre une impuissance radicale, due à des confusions et contradictions irrémédiables.

Aujourd’hui d’aucuns se méfient des synthèses. Cependant elles sont un besoin indéniable de l’esprit, non moins dans la spéculation que dans la pratique, et partant les efforts en ce sens deviennent méritoires en raison de la satisfaction qu’ils apportent à ce be­

soin.

Les vues psychologiques esquissées ci-dessus et d’autres pour les­

quelles ici il n’y a pas de place, ont aussi une portée philosophique.

En considérañt les faits psychiques comme des faits qui, bien qu’ayant des conditions objectives, sont irréductibles et premiers, l’on en tire plusieurs conséquences. Bien des penseurs n’ont pas compris l’identité du mal et de la douleur, et disent que celle-ci est une défense contre celui-là ; partant la douleur est utile. Personne, ou à peu près, n’a réussi à sortir de cette espèce de cercle enchanté, sur lequel est fondée la conviction que le monde est une œuvre ra­

tionnelle.

Rien n’est plus facile que de trouver dans n’importe quel mal une douleur et de voir que, celle-ci soustraite, le mal disparaît, d’où l’iden­

tité des deux. Une douleur, en tant que telle, n’est que mal et tout le contraire d’utile, mais on peut la qualifier d’« utile » conventionnel­

lement, lorsqu’elle sert à en éviter une autre plus grande, parce qu’alors elle sert à éviter la différence. Par exemple, la fatigue du travail est de la douleur et du mal, mais elle est « utile » en ce sens qu’elle sert à éviter bien des privations et surtout le froid et la faim, qui sont des souffrances encore plus grandes.

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Donc, s’il est vrai qu’il y a des douleurs évitantes, il est vrai avant tout qu’il y a des dou.eurs à éviter. Si les prem ières, en leur qualité,, doivent s’appeler « utiles », les secondes sont, par définition, inutiles et gratuites. Une échelle de douleurs s’évitant l’une l’autre est avant tout illogique, et en tout cas aboutit aune dernière douleur qui reste,, par nécessité, injustifiable et qui rend injustifiables tous les term es précédents. Si la peur est utile aux antilopes en leur faisant éviter les léopards, pour celles qui sont victimes de ces félins la peur inef­

ficace, les blessures ou la mort, ainsi que pour les autres le danger permanent, sont des douleurs inutiles. On croit et on peut dire que les carnassiers sont là pour empêcher la multiplication désastreuse des herbivores. Il est facile de répondre que cette considération, si elle peut être un soulagement pour l’homme qui la pense, ne le sera jamais pour les hérbivores. De plus ladite multiplication serait, en tout cas, un mal gratuit : il eût suffi que le pouvoir génésique des.

herbivores fût proportionné à la production végétale de la planète,, pour qu’il n’y eut aucun besoin ni des carnassiers ni de la peur chez leurs victimes.

En outre, lés douleurs à éviter sont loin d’être évitées réellem ent puisqu’elles doivent être subies ou telles quelles, ou en partie, sous la forme des douleurs évitantes. Ainsi la totalité de la douleur qui pèse sur le monde animé est parfaitement inutile et gratuite.

Si le monde est une œuvre, l’effet d’une action, il est inconcevable pour nous, êtres sentants, que cette action n’ait pas visé, tout comme une autre, à changer, à faire cesser, un état actuel. Et alors cet état n’a pas pu ne pas être caractérisé par la douleur, consé­

quence à méditer.

Florence, Musée d’Anthropologie, août 1904.

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