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Organismes et commissions de bassins: aspects de coopération régionale et règlement des différends

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Organismes et commissions de bassins: aspects de coopération régionale et règlement des différends

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence. Organismes et commissions de bassins: aspects de coopération régionale et règlement des différends. In: M. Kamga et M. M. Mbengue. Liber Amicorum en l'honneur de Raymond Ranjeva : L'Afrique et le droit international : variations sur l'organisation internationale. Paris : A. Pedone, 2013. p. 435-444

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:31626

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ORGANISMES ET COMMISSIONS DE BASSIN ASPECTS DE COOPERATION REGIONALE

ET DEREGLEMENT DES DIFFERENDS

LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES Professeur à l'Université de Genève

En tant que juge à la Cour internationale de Justice et professeur, Raymond Ranjeva a contribué au développement du droit international en de nombreux domaines. Ainsi, s'agissant des cours d'eau internationaux, Raymond Ranjeva a mis en éclairage la nécessité de les appréhender comme espaces d'échanges et de contacts, cela même lorsqu'ils constituent le support d'une frontière entre deux ou plusieurs Etats riverains.1

Les organismes et commissions de bassin offrent, dans ce contexte, un cadre institutionnel aux échanges, contacts et activités de coopération entre Etats riverains. Fruits de la volonté de coopérer des Etats concernés afin de gérer une

«ressource partagée »2, ils constituent le socle d'actions et d'agissements, lesquels peuvent évoluer et se raffermir au cours du temps. Enracinés dans le contexte régional et local qui est le leur, les organismes et commissions de bassin participent néanmoins dès le début du

xrxème

siècle à la progressive universalisation du droit international applicable aux cours d'eau internationaux (I). Le profil de ces organismes varie d'un bassin à l'autre, d'une région à l'autre ou encore en fonction des compétences qu'ils exercent. La coopération entre Etats riverains revêt de ce fait divers visages (II). La prévention et le règlement des différends comptent panni les compétences assumées par les organismes et commissions de bassin (III).

1 R. Ranjeva, « Nouveaux aspects du droit des frontières en Afrique à la lumière de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice», in L. Boisson de Chazournes, V. Gowlland-Debbas, The International Legal System in Quest of Equity and Universality 1 L'ordre juridique international, un système en quête d'équité et d'universalité, Liber Amicorum Georges Abi-Saab, Kluwer Law International, The Hague, 2001, p. 607.

2 Affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt du 20 avril 2010, C.I.J. Recueil 2010, para. 81.

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Laurence Boù.ron de Chazoumès

1.

LE PROFIL RÉGIONAL ET LOCAL

DES ORGANISMES ET COMMISSIONS DE BASSIN

C'est à partir du XIXème siècle, lorsque la réglementation de la navigation sur un certain nombre de fleuves européens est internationalisée, que le rôle des organismes et commissions de bassin est consacré. 3 L'article 108 de 1' Acte final du Congrès de Vienne établit ·que « les Puissances dont les Etats sont séparés ou traversés par une même rivière navigable, s'engagent à régler d'un commun accord tout ce qui a rapport à la navigation de cette rivière. Elles nommeront, à cet. effet, des commissaires qui se réuniront au plus tard six mois après la fin du Congrès, et qui prendront pour bases de leurs travaux les principes établis dans les articles suivants".4 La commission centrale pour la navigation du Rhin est créée en 1815.5 Les commissions du Danube sont instituées en 1856.6 Dans le contexte colonial de l'époque, l'Acte général de la conférence de Berlin de 18857 avait prévu la création de la Commission internationale de la navigation du Congo, toutefois celle-ci n'a jamais fonctionné. 8

Une étape supplémentaire est franchie au début du XXe siècle. Le Traité de Versailles consacre la catégorie des fleuves déclarés internationaux à fin principalement de libéraliser le régime de navigation sur les voies d'eau et permettre un accès à la mer.9 L'Elbe, l'Oder, le Niémen et le Danube sont ainsi déclarés internationaux pour leur partie navigable jusqu'à la mer. Le Traité de Versailles envisage également la création de commissions composées d'Etats riverains ainsi que d'Etats non riverains. 10 Une commission internationale de ce type est créée pour l'Elbe11 et une autre, pour l'Oder. Il en est de même pour la commission internationale chargée d'établir le règlement du Niémen, laquelle devait comprendre trois représentants d'Etats non riverains désignés par la

3 Voir C.-A. Colliard, «Evolution et aspects actuels du régime juridique des fleuves internationaux», Recueil des cours del 'Académie de droit international de La Haye, 1968/III, tome 125, pp. 417 ss.

4 Acte du Congrès de Vienne, signé entre 1 'Autriche, la France, la Grande-Bretagne, le Portugal, la Pmsse, la Russie et la Suède, 9 Juin 1815, in C. Parry, Consolidated Treaty Series, vol. 64, Oceana Publications, New York, 1969, p. 490.

5 Voir Article XVI de l'Annexe 16B de l'Acte du Congrès de Vienne, signé le 9 juin 1815, reproduit dans de G. F. Ma1iens (dir. pub.), Nouveau recueil des traités d'alliance, de paix, de trêve, de neutralité, de commerce, de limites, d'échange etc., Librairie de Dieterich, Gottingue, 1887, vol. II, p. 439.

6 General Treaty for the Re-Establishment of Peace between Austria, France, Great Britain, Pmssia, Sardinia, Turkey and Russia, signed at Paris, 30 March 1856, in Parry C., op. cit., vol. 114, 1885- 1856, pp. 409-420.

7 C.-A. Colliard, A. Manin, Droit international et histoire diplomatique: documents choisis, t. 2, Montchrestien, Paris, 1971, pp. 434-444.

8 M. Kamto, «Le droit international des ressources en eau continentales africaines», Annuaire français de droit international, 1990, vol. 36, p. 889.

9 Article 331 du Traité de Versailles. Ces fleuves avaient déjà été déclarés internationaux avant la grande guerre.

10 Voir J.P. Chamberlain, The Regime of the International River: Danube and Rhine, Columbia University Press, New York, 1923, p. 129.

11 Voir J. Hostie, « Les actes du Danube et de 1 'Elbe », Revue de droit international et de législation comparée, 3c série, t. 4, 1923, pp. 247-271.

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Mélanges en l'honneur de Raymond Ra;yeva

Société des Nations. Quant au Danube, il relevait de deux commissions.12 La Commission eurppéenne,du Danube continuait à exercer les pouvoirs qu'elle détenait avant 1914, mais seules la Grande-Bretagne, la France, l'Italie et la Roumanie y étaient représentées. 13 A partir du point où cessait la compétence de la Commission européenne, le réseau du Danube était placé sous l'administration de la Commission internationale du Danube composée des Etats riverains sur la portion considérée, des Etats riverains sur le reste du parcours et des Etats non riverains qui faisaient partie de la Commission européenne.14

Ainsi que l'a souligné la Cour permanente de Justice internationale,

« 1' introduction de Puissances non riveraines dans les commissions fluviales n'est pas exclusivement ou principalement due à la préoccupation d'assurer aux intérêts des Etats enclavés une protection efficace; elle s'explique plutôt par 1 'intérêt à la navigation que des Etats non riverains peuvent avoir sur les voies d'eau dont il s'agit ».15

La mise en place de commissions et organismes de bassin ne va pas sans causer quelques tensions, voir des différends, entre Etats membres. Les différends portent sur l'étendue de la compétence de certaines des commissions et organismes de bassin. Plusieurs affaires en témoignent. Ainsi en est-il de 1' avis consultatif sur la Compétence de la Commission européenne du Danube entre Galatz et Braïla (1927) et de 1 'Affaire relative à la juridiction territoriale de la Commission internationale de l'Oder (1929) précédemment évoquée. 16

Les organismes et commissions établis au XIXème siècle et au début du XXème siècle, ont inspiré 1' édification d'autres commissions et organismes de bassin sur les continents européen, africain, américain et asiatique. Toutefois, la création de chacun de ces mécanismes est restée enracinée dans les contextes spécifiques régionaux et locaux auxquels s'étendait leur compétence.17 L'essaimage de ces institutions n'a pas conduit à la mise en place d'une organisation universelle chargée de gérer les cours d'eau internationaux.

Cela étant, les accords et pratiques normatives forgés au sein de ces organismes ont contribué et continuent d'alimenter le développement du droit des cours d'eau

12 Il s'agissait de la Commission européenne du Danube et de la Commission internationale du Danube. Voir J. Blociszewski, «Le régime international du Danube», Recueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye, 1926/I, tome 11, p. 322.

13 Voir H. Hajnal, Le droit du Danube international, Nijhoff, La Haye, 1929; G. G. Weigend, «The Danube River: An emerging regional bond», Geoforum, 1975, vol. 6, pp. 151-161.

14 Voir Articles 346 et 347 du Traité de Versailles; Convention établissant le statut définitif du Danube, signé à Paris, le 23 juillet 1921, Recueil des Traités de la Société des Nations, vol. XXVI, pp. 173 ss. Voir Dendias, M.,« Les principaux services internationaux administratifs», Recueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye, 1938/I, tome 63, pp. 310-314.

15 Affaire relative à la Juridiction territoriale de la Commission internationale de l'Oder, arrêt du 10 septembre 1929, CPIJ série A, no. 23, p. 28.

16 Compétence de la Commission européenne du Danube entre Galatz et Braïla, avis consultatif du 8 décembre 1927, CP JI série B no. 14 ; affaire relative à la Juridiction territoriale de la Commission internationale de l'Oder, ibid.

17 L. Boisson de Chazournes, «Les relations entre organisations régionales et organisations universelles

», Recueil des Cours de l'Académie de droit international de La Haye, 2010, tome 347, p. 139.

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Laurence Boisson de Chazoumes

intemationaux. En effet, c'est en partie grâce à la pratique de ces commissions et organismes institués

à

l'échelon régional qu'un droit «universel» des fleuves intemationaux a pu se dessiner et être codifié progressivement.18 En cela le régionalisme peut être perçu comme un outil de construction de l'universel. Les travaux de la Commission du droit intemational sur les utilisations autres que la navigation des cours d'eau intemationaux, et la Convention de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau intemationaux à des fins autres que la navigation qui en est issue, ei:t témoignent à maints égards.

Il.

LES ORGANISMES ET COMMISSIONS DE BASSIN COMME ENCEINTES DE DIALOGUE ET DE COOPÉRATION

L'établissement d'organismes et de commissions de bassin témoigne de la nécessité ressentie, voire de la volonté, de coopérer afin de gérer des ressources en eau sises sur plusieurs territoires étatiques. Si le champ de la coopération est relativement étroit au xrxème siècle, il s'étend progressivement au cours du XXème siècle du fait de l'accroissement des utilisations qui sont faites des cours d'eau internationaux. Appelés de leurs vœux par les associations scientifiques19 et les organisations intemationales20, les Etats qui en faisaient déjà utilisation, vont corroborer ces appels, en signifiant par la même l'importance qu'ils accordent aux organismes et commissions de bassin comme instruments de gestion des cours d'eau internationaux.

Leurs formes et structures sont variées et les fonctions différent d'un mécanisme à l'autre.21 Cette pratique n'en démontre pas moins que ces mécanismes institutionnels sont ressentis comme nécessaires. La coopération a besoin de prendre appui sur eux, qu'il s'agisse d'aspects de coopération inter-étatique ou d'activités de coopération associant d'autres acteurs tels des représentants de communautés locales. En effet, la participation du public est l'une des tendances récentes du droit des cours d'eau internationaux.22 Les secrétariats des

18 L. Boisson de Chazournes, « Freshwater and International Law: The Interplay between Univcrsal, Regional and Basin Perspectives », The United Nations World Water Assessment Programme - lnsights, UNESCO, 2009.

19 Résolution sur « la réglementation internationale de l'usage des cours d'eau internationaux», Institut de droit international, Annuaire de 1 'Institut de droit international, 1911, vol. 24, p. 365 ; Travaux de 1 'Association internationale de droit, Report of the Fifty-Seventh Conference, Madrid, 1976, Londres, 1978, p. XXXVII.

20 Recommandation 51, Rapport de la Conférence des Nations Unies sur 1 'environnement, 1972, doc. i

A/CONF.48/141 Rev.l. Sur les appels formulés par d'autres institutions internationales, voir S. C.

McCaffrey, Sixième rapport sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, Annuaire de la Commission de droit international, !990, vol. II ( 1 ), pp. 42-53.

21 Voir les typologies des fonctions proposées par: C.-A. Colliard, op.cit., pp. 421-431; L. Caflisch,

«Règles générales du droit des cours d'eau internationaux», Recueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye, 1989/VII, t.ome219, pp. 196-202.

22 Voir Public Participation in the Lower Mekong Basin, published by the Mekong River Commission, Vientiane, Lao PDR, 2005.

Disponible sur : http://www .Imcmekong.org/download/free _ download/Public_ Participation.pdf.

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Mélanges en l'honnett~ de Rqymond Ranjeva

commissiOns et organismes de bassin peuvent constituer des relais significatifs dans cette direction,

Les organismes et commissions de bassin constituent des enceintes dans lesquelles dialogue et action peuvent s'engager, bien que ceux-ci ne soient pas à l'abri d'obstacles et aléas politiques. Le champ matériel de la coopération est devenu relativement large au cours du temps et les compétences des organismes et commissions de bassin variées. Si dans les premiers temps, l'activité principale était la navigation, et en certains cas les activités de pêche, la compétence de ces organismes s'est ensuite étendue à la construction d'ouvrages, aux activités d'irrigation et de production d'énergie ou encore à la protection de l'environnement. Les fonctions de collecte d'infonnations et de dissémination de celles-ci, celle de réglementation par 1' adoption de standards et lignes directrices, celle d'enceintes de négociation pour l'élaboration d'instruments contraignants venant compléter l'accord constitutif ou encore de promotion et d'exécution d'activités opérationnelles conjointes comptent parmi les tâches des organismes et commissions de bassin.

Singularité et variété pem1ettent de qualifier le profil des activités et les fonctions des organismes et commissions de bassin. Toutefois, une tendance à l'harmonisation se dessine. Les conventions-cadres telle la Convention de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation et la Convention de 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers et des lacs internationaux adoptée au sein de la Commission économique pour l'Europe des Nations Unies23, ou encore le Protocole révisé sur les cours d'eau partagés dans la Communauté de développement de 1 'Afrique australe conclu le 7 août 2000, chacun à leur façon, promeuvent la création d'organismes et commissions de bassin.24 En énonçant les fonctions que ceux-ci devraient remplir, ces conventions prônent également un renforcement de leurs tâches, en même temps qu'une harmonisation des fonctions appelées à être exercées par ces organes collégiaux. Il doit être souligné que les principes du développement durable et de la gestion intégrée des ressources en eau dont ces instruments sont porteurs, appellent à une coopération institutionnelle plus étoffée et plus outillée dans ses modes d'intervention, requérant des organismes et commissions de bassin l'exercice d'un noyau commun de fonctions.

L'existence de ces mécanismes et les instruments et les mesures qu'ils adoptent permettent un dialogue entre les Etats riverains sur les activités que chacun d'eux souhaite conduire dans le cadre de sa juridiction, notamment eu égard aux aspects relatifs à la répartition des droits et avantages et aux risques de dommages susceptibles d'être causés à d'autres Etats riverains. Ils peuvent permettre une mise en œuvre de caractère institutionnel des obligations de notification et consultation

23 Voir le texte de ces deux instruments in L. Boisson de Chazournes, R. Dcsgagné, M. M. Mbengue et C. Romano, Protection internationale de 1 'environnement - Nouvelle édition revue et augmentée (en collaboration avec), Pedone, Paris, 2005, pp. 289-301.

24 L. Boisson de Chazournes, 'The Role of Diplomatie Means of Solving Water Disputes: A Special Emphasis on Institutional Mechanisms", in The PCA/Peace Palace Papers, Resolution of International Water Disputes, vol. 5, Kluwer Law, The Hague, 2003, pp. 91-110.

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Lattrence Boisson de Chûzottmes

pour des mesures projetées. Ces organismes facilitent la coordination des activités des Etats riverains et, en certains cas, la conduite d'activités conjointes, que celles- ci soient menées par l'organisme lui-même ou par les Etats membres. Ainsi, outre les aspects de coordination nécessaires pour prévenir des atteintes à des intérêts protégés, ces cadres collectifs incitent également à une vàlorisation des ressources relevant de la compétence d'un organisme, et par le même à un accroissement et des avantages qui peuvent en être retirés.

Beaucoup de ces mécanismes sont dotés d'une personnalité juridique leur permettant de s'engager directement au plan intemationa1.25 Ainsi, par exemple, l'accord de 1995 sur le Mekong prévoit que la Commission du Mekong pourra conclure des accords avec des donateurs et d'autres acteurs intemationaux dans le cadre de l'exercice de ses fonctions.26 La personnalité juridique intemationale des organismes et commissions de bassin peut être reconnue au travers d'une disposition conventionnelle ou statutaire ; elle peut aussi découler de la pratique étatique. Leur statut d'organisation intemationale leur pennet de faire bénéficier la communauté des intérêts protégés d'une représentation à l'échelon intemational et de relations avec des Etats non membres ainsi qu'avec d'autres organisations intemationales, consistant, par exemple, en des opérations de soutien financier à des projets menés sous leur égide, ou encore en des activités de coopération.

Qui plus est, de manière générale, l'existence de ces cadres institutionnels et le dialogue et la concetiation appelés à s'instaurer permettent de prévenir la survenance de tensions qui pourraient être la source de différends. Si un différend survenait, les organismes et commissions de bassin peuvent apporter leur contribution à la résolution de celui-ci.

III.

ORGANISMES ET COMMISSIONS DE BASSIN, RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

ET MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES Les organismes ct commissions de bassin contribuent à la prévention et au règlement des différends. La convention précitée de 1997 souligne ce rôle.27

25 Sur le statut de la Commission administrative du fleuve Uruguay, voir affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), aJTêt du 20 avril2010, op. cit., para. 89.

26 «The institutional framework for cooperation in the Mekong River Basin under this Agreement shall be called the Mekong River Commission and shall, for the purpose of the exercise of its functions, enjoy the status of an international body, including entering into agreements and obligations with the donor or international community », article Il of the Agreement on the Cooperation for the Sustainable Development of the Mekong River Basin, disponible sur : http :/ /www .mrcmekong.org/ agreement _9 51 Agreement -procedures-guidelines.htm.

27 Voir article 33, paragraphe 2, de la Convention de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation qui se lit comme suit: «Si les Parties intéressées ne peuvent parvenir à un accord par la voie de la négociation demandée par l'une d'entre elles, elles peuvent solliciter conjointement les bons offices d'une tierce partie, ou lui demander d'intervenir à des fins de médiation ou de conciliation, ou avoir recours, selon qu'il conviendra, à

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Mélanges en /'!Jonneur

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Raymond Ran)eva

Ils exercent pour certains des fonctions de règlement des différends spécifiées dans les accords constitutifs. 28 Pour d'autres, ces fonctions peuvent découler de la pratique de ces organes, en fonction de la volonté des Etats membres.

Cette fonction de prévention et règlement des différends, lorsqu'elle peut être exercée, est généralement comprise comme étant liée à la réalisation de 1 'objet et du but des régimes juridiques de protection et gestion des cours d'eau internationaux. Elle fait partie des composantes essentielles des régimes mis en place.

Dans une affaire récente, l'affaire relative à des usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, la Cour, en constatant le «rôle central dans le Statut de 1975 »29 de la Commission de bassin dénommée CARU, a rappelé, se référant au texte du Statut de 1975, que« la commission peut servir d'instance de conciliation pour tout litige né entre les parties, sur proposition de l'une d'entre elles ».30

Dans la pratique, s'est posée la question de la relation entre 1 'exercice de fonctions de règlement des différends par les commissions de bassin et le recours à un mécanisme juridictionnel tel l'arbitrage ou la Cour internationale de Justice.

Ainsi, en 1 'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, tout en reconnaissant que les commissions et organismes de bassin peuvent êtTe munis de mécanismes de règlement des différends pouvant surgir entre Etats riverains, la Cour internationale de Justice a considéré important de noter que ces mécanismes ne peuvent en rien empêcher 1' organe judiciaire principal des Nations Unies d'exercer ses fonctions.31 Elle précisa que

«l'existence de procédures régionales de négociation ne saurait, quelle qu'en soit la nature, empêcher la Cour d'exercer les fonctions qui lui sont conférées par la Charte et le Statut ».32 L'organe judiciaire, s'appuyant sur l'accord de bassin en question et la pratique des Etats membres, avait aussi écarté le fait que la commission du bassin du Lac Tchad puisse être dotée d'une compétence exclusive rationae materiae en matière de différends portant sur des questions frontalières. 33

Ce faisant, la Cour a mis en exergue la nécessité de prendre en compte le contenu et la pratique de chacun des accords de bassin. Ceux-ci varient en effet grandement dans leurs clauses et mécanismes de règlement des différends. Ainsi, le Statut de 1975 sur le fleuve Uruguay prévoit, de manière explicite, le rôle que peut jouer la Cour internationale de Justice« si les parties n'aboutissent pas à un accord dans un délai de 180 jours à compter de la communication visée à

toute institution mixte de cours d'eau qu'elles peuvent avoir établie, ou décider de soumettre le différend à une procédure d'arbitrage ou à la Cour intemationale de Justice».

28 Voir l'article IX du Traité du 11 janvier 1909 relatif aux eaux limitrophes et aux questions relatives à la frontière entre le Canada et les Etats-Unis.

29 Affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt du 20 avril2010, op. cil., para. 91.

30 Ibid., para. 92.

31 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), arrêt sur les exceptions préliminaires du 11 juin 1998, C.I.J. Recueil 1998, para. 68.

32 Ibid.

33 Ibid., paras. 70 et 71. Voir le« Statut de la Commission du bassin du lac Tchad», 22 mai 1964, disponible sur: http://www.fao.org/docrep/W7414B/w7414b05.htm#TopOfPage.

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Laurence Boi.rson de Chazournes

l'article 11 »34 et quand «tout différend concernant l'interprétation ou l'application du traité et du statut qui ne pourrait être réglé par négociation directe ».35 Le Traité sur les eaux de l'Indus de 1960 adopte pour sa part une approche par séquence prévoyant le recours, en certains cas, à un expert neutre et, en d'autres cas, le recours à un arbitrage au cas où les parties n'auraient pu régler leurs différends au sein de la Commission de 1 'Indus. 36

On a pu aussi s'interroger sur ~e fait de savoir si les organismes et commissions de bassin pourraient être considérés comme des organisations et accords régionaux au sens du Chapitre VIII de la Charte en matière de la paix et de la sécurité internationales. Pour certains, seules seraient éligibles au titre du chapitre VIII les organisations ayant compétence dans le domaine du règlement pacifique des différends relatifs au maintien de la paix et de la sécurité internationales.37 Cette position rejoint celle de la Cour internationale de Justice dans l'affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria. En 1 'espèce, la Cour, tout en reconnaissant à la commission du bassin du Lac Tchad un statut d' «organisation internationale exerçant ses compétences dans une zone géographique détenninée »38, a toutefois exclut cette institution du champ d'application du Chapitre VIII de la Charte du fait qu'elle n'avait «pas pour fin de régler au niveau régional des affaires qui touchent au maintien de la paix et de la sécurité internationales ».39

Cette approche peut sembler un peu trop restrictive au vu de l'évolution du régime de sécurité collective. 40 En effet, la notion de maintien de la paix et de la sécurité internationales ainsi que celle de menace à la paix revêtent des contours de plus en plus larges, ainsi que l'illustre la pratique du Conseil de sécurité.41 De cc fait, les organisations régionales appelées à intervenir pourraient 1 'être dans des domaines qui jusqu'à récemment ne relevaient pas du champ traditionnel de la sécurité collective. En outre, les organisations régionales visent dans leur très grande majorité le renforcement de la coopération régionale, sinon de l'intégration régionale. Leurs compétences peuvent de ce fait évoluer, liant leur exercice des fonctions de règlement des différends au champ de la sécurité collective. Il est intéressant, dans ce contexte, de noter qu'en arrière-plan de 1 'adoption, le 22 mai 1964, du traité instituant la Commission du bassin du lac Tchad et liant le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad, le souci avait été

34 Article 12 du Statut du fleuve Uruguay, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 1295, I-21425.

Texte disponible sur : www.untreaty.un.org/unts/6000 1_120000/1 0/5/000 18225.pdf.

35 Ibid., article 60.

36 Voir le texte du traité sur : http://tinyurl.com/3sb34g4.

37 E. De Wet, «The Relationship between the Security Council and Regional Organizations During Enforcement Action under Chapter VII of the United Nations Charter », Netherlands Journal of International Law, vol. 71,2002, p.7.

38 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), arrêt sur les exceptions préliminaires du 11 juin 1998, op.cit., para. 67.

39 Ibid.

40 En ce sens, voir l'opinion dissidente du juge Ajibola, ibid., p. 406.

41 Voir la pratique du Conseil de sécurité: R. Ciyer, «The Security Council and Article 39: A Threat to Coherence?» Journal of Armed Conflict Law, 1996, vol. 1, pp. 161-195; C. M. Bailliet, (cd.), Security: A Multidisciplinary Normative Approach, Martinus Nijhoff, The Hague, 2009.

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Mélanges en l'honneur de Rajmond Ranje!Ja

«de garantir la paix en évitant les conflits pouvant surgir de l'exploitation des ressources de la région ».42

Quoi qu'il en soit, le caractère d'organisation et accord régional au sens du Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies n'aurait pas perse d'incidence sur une possible saisine de la Cour. Dans l'affaire ayant opposé le Cameroun au Nigeria, la Cour prit appui sur sa décision rendue en l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, pour considérer qu'elle n'était pas en mesure d'admettre une condition d'épuisement des procédures régionales de négociation préalablement à sa saisine.43

Une distinction devrait sans doute être faite pour les accords de bassin ou les instruments regwnaux traitant d'aspects de gestion des cours d'eau internationaux qui prévoient un recours à des procédures juridictionnelles.

Il faudrait se reporter à leur contenu pour déceler si ces dernières sont revêtues d'un caractère exclusif par leurs Etats membres eu égard à d'autres procédures juridictionnelles. 44 Dans ce contexte, le cas de la Directive-cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau de l'Union européenne adoptée en 2000 est intéressant.45 Sa mise en œuvre prend appui sur des accords de bassin, tels ceux relatifs à la Meuse, au Rhin ou au Danube.46 Des différends portant sur des questions juridiques liant 1' application de la Directive-cadre à des accords de bassin pourraient relever de la compétence de la Cour de Justice des Communautés européennes. Or, l'exclusivité de la compétence de cette juridiction pour les différends ayant trait au droit communautaire est de principe.47

42 H. Abdouraman, «Le conflit frontalier Cameroun-Nigeria dans le lac Tchad : les enjeux de 1 'île de Dara)<, disputée et paiiagée », Cultures & Conflits, 72, hiver 2008, p. 64.

43 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), compétence de la Cour et recevabilité de la requête, aJTêt, C.J.J. Recueil 1984, para.! 08; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), arrêt sur les exceptions préliminaires du Il juin 1998, op.cit., para. 68.

44 Par analogie, sur le caractère exclusif d'une procédure de règlement des différends, voir 1 'article 23 para. 2 du Mémorandum d'accord sur les règles ct procédures régissant le règlement des différends de l'OMC.

Texte disponible sur: http://www.wto.org/french/tratop _f/dispu _f/dsu__f.htm.

~5 Directive 2000/60/CE du Parlement européen et d\.1 Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politiqllc communautaire dans le domaine de l'eau, JO L 327 du 22 décembre 2000, pp. 1-73.

46 E. Hey, E., « Multi-Dimensional Public Govcrnancc Arrangements for the Protection of the Transboundary Aquatic Environment in the European Union: The Changing Interplay between European and Public International Law», International Organizations Law Review, 2009, vol. 6, n°l, pp. 203-205.

47 Sur cette question, voir Q. Lienard, «Le choix du for pour le règlement des différends environnementaux : solutions conventionnelles ct applications jurisprudentielles», in Kerbrat, Y. (dir.), Forum Shopping et concurrence des procédures contentieuses internationales, Brnylant, Bruxelles, 2011, pp. 211-287.

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Laurence BoiSson de CïJazournes

CONCLUSIONS

Porteurs, réceptacles et initiateurs de la coopération en matière de gestion des cours d'eau intemationaux, les organismes et commissions de bassin ont vu leur rôle se développer de manière substantielle. Enracinés dans le contexte régional ou local qui est le leur, ils se différencient par leur structure et leurs fonctions.

Cela étant, le vent de 1 'harmonisation souffle. Les Etats sont appelés à consolider leurs modes de coopération institutionnelle et doter les organismes et commissions de bassin de fonctions permettant une gestion intégrée et durable des eaux partagées.

Ces enceintes ont pour objet de prévenir des atteintes aux intérêts protégés par les divers régimes juridiques qui trouvent application et celui de valoriser les bénéfices retirés de la protection et de l'exploitation des ressources partagées.

Elles jouent également un rôle important en matière de prévention des confits. Si un différend venait à surgir, les organismes et commissions de bassin peuvent être sollicités dans leurs compétences en matière de règlement des différends.

Toutefois, bien souvent, ils ne constituent qu'un premier échelon dans la panoplie des mécanismes auxquels les Etats concemés peuvent avoir recours. Ils constituent des cadres privilégiés parmi les divers autres modes de résolution des confits, tout en n'excluant pas, sauf accord explicite, le recours à ces demi ers. En cela, les organismes et commissions de bassin sont arrimés aux institutions et procédures de droit intemational et le respect de la réglementation qu'ils promeuvent peut bénéficier de leur contribution et de celle du droit intemational.

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