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Vers une nouvelle Europe ? Les systèmes de sécurité en
Europe centrale après la chute du rideau de fer
Kinga Torbicka
To cite this version:
Kinga Torbicka. Vers une nouvelle Europe ? Les systèmes de sécurité en Europe centrale après la chute du rideau de fer. Histoire. Université de la Sorbonne nouvelle - Paris III, 2014. Français. �NNT : 2014PA030056�. �tel-02905674�
UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3
ECOLE DOCTORALE 514 ETUDES ANGLOPHONES,
GERMANOPHONES ET EUROPEENNES
EA 2291 INTEGRATION ET COOPERATION DANS L’ESPACE
EUROPEEN (ICEE) ETUDES EUROPEENNES
Thèse de doctorat en Histoire
Kinga TORBICKA
Vers une nouvelle Europe?
Les systèmes de sécurité en Europe centrale après la chute du Rideau de fer
Thèse dirigée par
Monsieur Jean-Marc DELAUNAY
Soutenue le 30 juin 2014
Soutenue le 30 juin 2014
Jury
:M. Jean-Marc DELAUNAY, Professeur émérite d’Histoire contemporaine de l’Université Paris-3 Sorbonne Nouvelle
Mme. Elisabeth DU RÉAU, Professeur émérite d’Histoire contemporaine de l’Université Paris-3 Sorbonne Nouvelle
M. Antoine MARES, Professeur d’Histoire contemporaine de l’Université Paris-1 Panthéon Sorbonne
M. Christophe ROMER, Professeur d’Histoire contemporaine à l’Institut d’Études politiques de Strasbourg
3
RESUMÉ
Le changement historique de l’ordre international a lieu après la chute du Rideau de fer en 1989. Les pays de l’Europe centrale après 45 ans de régime communiste regagnent leur liberté et souveraineté. Cette région historiquement, culturellement et géographiquement homogène et en même temps hétérogène (ethniquement et religieusement) « revient en Europe ». Dans cette nouvelle architecture elle se retrouve devant des défis majeurs : les transformations politiques et économiques, la redéfinition des relations avec les plus importants voisins (l’ex-URSS, l’Allemagne unie et la CEI) et le choix d’une option pour la sécurité de leur région (la neutralité, le système collectif, le modèle européen ou la variante euro-atlantique). Les pays centre-européens décident de développer une coopération régionale (Groupe de Visegrád, ICE, ALECE), subrégionale (euro-régions) et devenir les membres des plus importantes organisations internationales de sécurité (OTAN, OSCE, ONU et UE) afin d’assurer et renforcer la sécurité dans la région. Désormais, leur système de sécurité est fondé sur l’Alliance atlantique et la Politique de sécurité et de défense commune ainsi qu’il est soutenu par une coopération régionale développée et des relations efficaces et durables avec le voisinage le plus proche. À l’aube de XXIe siècle face à une dynamique de sécurité les pays centre-européens se retrouvent devant les nouveaux défis : le bouclier anti-missile, la globalisation, le terrorisme, la sécurité énergétique et la question de Kaliningrad. « La nouvelle Europe » comme un jouer à plein droit sur l’arène internationale devient un baromètre de la sécurité du continent européen.
Mots clés:
Europe centrale, transformation, Groupe de Visegrád, sécurité régionale, coopération subrégionale, sécurité
4
New Europe ?
Security systems in Central Europe after the fall of the Iron Curtain
ABSTRACT
The fall of the Iron Curtain in 1989 brought a major change in the global balance of power. After 45 years under an imposed communist regime, the countries of Central Europe regain their freedom and sovereignty. The historically, culturally and geographically homogeneous region (at the same time widely diverse in terms of ethnic and religious structure) “returns to Europe”. In this new scheme of international relations, it faces new challenges: political and economic transformation, a revision of its relations with its most important neighbors (the former USSR, unified Germany and the Commonwealth of Independent States), the choice of a security model for the region (neutrality, collective security, the European or the Euro-Atlantic option). The countries of Central Europe decide to develop cooperation within the regional (the Visegrad Group, the Central European Initiative, the Central European Free Trade Agreement) and the sub-regional (Euroregions) dimension, and to join the most important security organizations in the world (NATO, OSCE, UN, EU) in order to ensure and increase security in the region. As a consequence, their security system is currently based on the North Atlantic Treaty and the Common Security and Defense Policy, and supported by networks of regional cooperation as well as enduring and dependable relations with their neighbors. In light of the dynamics of the security process, these countries must now confront new challenges, which include the missile defense shield, terrorism, energy security and the Kaliningrad problem. The “New Europe” as an equal player on the international stage has become the gauge of security on the European continent.
Keywords:
5 À ma famille…
6
REMERCIEMENTS
Cette thèse d’histoire vient recomposer 8 années de recherches. Ce travail n’aurait probablement jamais vu le jour sans l’appui et le soutien de nombreuses personnes qu’il convient ici de remercier.
Je tiens d’abord à exprimer mes remerciements aux membres du jury, qui ont accepté d’évaluer ce travail.
Je remercie particulièrement Monsieur Jean-Marc-Delaunay, mon directeur de recherche, pour son aide et son assistance précieuse ainsi que pour ses nombreux conseils et sa grande patience.
Je suis reconnaissante à tous ceux qui, à un moment ou à un autre, m’ont apporté un aide : le personnel de la bibliothèque scientifique de Białołęka pour leur accueil, le personnel des Archives militaires de Varsovie qui m’ont facilité l’accès aux sources, Monsieur Andrzej Smirnow pour ses remarques précieuses, les responsables des institutions qui ont bien voulu m’accueillir à l’occasion de séjours de recherche et tous ce qui m’ont encouragé durant ce long voyage.
J’adresse une pensée particulière à Dorota Felman, qui a assumé une lourde charge de corrections et m’a tant soutenu pendant les derniers mois de mon travail.
Enfin, à mon mari Andrzej et ma fille Sophie pour leur présence et leur soutien sans faille. Ils ont accepté de faire des concessions pour que je puisse aller au bout de mon rêve.
7
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ... 14
PREMIÈRE PARTIE ... 35
VERS UNE NOUVELLE SÉCURITÉ ... 35
CHAPITRE 1 ... 36
LA TRANSFORMATION DE L’EUROPE CENTRALE À LA SORTIE DU COMMUNISME ... 36
1.1 La définition de l’Europe centrale ... 57
1.1.1 L’Europe centrale - une région ... 75
1.1.2 L’aspect géographique ... 79
1.1.3 L’aspect historique ... 83
1.1.4 L’aspect culturel ... 107
1.2 La transformation ... 117
1.2.1 Une transformation politique ... 130
1.2.2 Une transformation économique ... 143
1.3 Une réorientation des relations internationales ... 151
1.4 Un nouveau classement des pays de l’Europe centrale ... 169
CHAPITRE 2 ... 173
LA GENÈSE ET LES CONDITIONS DES SYSTÈMES DE SÉCURITÉ CONTEMPORAINE EN EUROPE ... 173
2.1 La politique de l’Europe de l’Ouest face à l’Europe centrale ... 194
2.2 L’évolution des relations entre les pays européens – « level of amity and enmity » ... 204
2.3 Les défis de la sécurité après la disparition du Rideau de fer ... 211
2.4 Les modèles de sécurité déjà existants en Europe centrale ... 225
2.5 Répondre aux besoins des pays de l’Europe centrale ... 232
2.6 Les conditions internationales de la sécurité et de la défense en Europe centrale ... 246
2.7 Une nouvelle géopolitique de l’Europe centrale ... 266
2.7.1 La question russe ... 270
2.7.2 La question allemande ... 286
2.7.3 La spécificité de la région ... 292
CHAPITRE 3 ... 297
LE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION RÉGIONALE EN EUROPE CENTRALE ... 297
3.1 Le Groupe de Visegrád ... 306
3.2 L’Initiative centre-européenne ... 316
3.3 L’ALECE ... 321
3.4 Les eurorégions ... 324
3.5 Les pays baltes ... 329
8
3.7 L’Europe de l’Ouest ... 342
3.8 Les Balkans ... 351
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ... 360
SECONDE PARTIE ... 363
LES NOUVEAUX DÉFIS À L’AUBE DU XXI SIÈCLE ... 363
CHAPITRE 4 ... 364
VERS UNE NOUVELLE ARCHITECTURE ... 364
4.1 Interaction capacity, le nouveau potentiel d’interaction ... 364
4.2 Les relations (et leur évolution) entre l’Europe centrale et les organisations internationales de sécurité et de défense ... 372
4.2.1 Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ... 376
4.2.2 Deuxième pilier de l’Union européenne / L’Union de l’Europe occidentale ... 387
4.2.3 Organisation du traité d’Atlantique Nord ... 413
4.3 Les bénéfices pour l’Europe centrale et l’Europe de l’Ouest ... 451
CHAPITRE 5 ... 459
POUR UN NOUVEAU MODÈLE DE LA SÉCURITÉ EN EUROPE CENTRALE ... 459
5.1 La dynamique de la sécurité ... 459
5.2 Un nouvel ordre européen ... 463
5.3 Les nouvelles tendances dans la politique internationale ... 490
5.4 L’état et les perspectives de la sécurité en Europe centrale ... 504
CHAPITRE 6 ... 522
LES QUESTIONS ACTUELLES ... 522
6.1 Le bouclier anti-missile et les nouveaux problèmes ... 522
6.2 L’enclave de Kaliningrad et les relations avec la Fédération de Russie ... 545
6.3 L’approvisionnement énergétique ... 565
6.4 Le poids des pays de Visegrád dans l’Union européenne ... 595
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE ... 628
CONCLUSION GÉNÉRALE ... 635
LISTE DES GRAPHIQUES, TABLEAUX ET CARTES ... 647
SOURCES ... 651
BIBLIOGRAPHIE ... 683
ANNEXES ... 824
Liste des annexes et des sources ... 825
9
LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS UTILISÉS
ABM Anti-Balistic Missile
ACO Commandement allié Operations d’OTAN
ADM Armes de destruction massive
AGS Station au sol avancée
AIEA Agence internationale de l’énergie atomique
ALECE Accord de libre-échange centre-européen
ALTBMD Active Layered Theatre Ballistic Missile Defence
APC Accords de partenariat et de coopération
ANZUS Australia New Zealand United States Security Treaty
Traité de sécurité du Pacific
ARE Assemblée des régions d’Europe
ARFE Association des régions frontalières européennes
ASEAN Association des nations de l’Asie du Sud-Est
BEI Banque européenne d’investissement
BERD Banque européenne pour la reconstruction et le développement
BEMIP Baltic Energy Market Interconnection Plan
BM Banque mondiale
BMDS Ballistic Missile Defense System
CAEM Conseil d’assistance économique mutuelle
CBOS Centre d’études de l’opinion publique
CBRND Défense nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique
CCNA ou COCONA Conseil de coopération nord-atlantique
CEB Conseil d’États de la mer Baltique
CECA Communauté européenne du charbon et de l’acier
CEE Communauté économique européenne
CEEA Communauté européenne de l’énergie atomique
CEI Communauté des États indépendants
CEPS The Center for European Policy Studies
CIVCOM Comité chargés des aspects civils de la gestion des crises
CJTF Combined Joint Task Forces
CMUE Comité militaire de l’Union européenne
10
COR Conseil OTAN-Russie
Cotrao Communauté de Travail des Alpes Occidentales
CPEA Conseil de partenariat euro-atlantique
CRE Conseil des régions d’Europe
CSCE Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe
CTP Communauté de Travail des Pyrénées
DCI Initiative sur les capacités de défense
EGIS Erieye Ground Interface Segment
EKV Interceptor Kill Vehicle
EMUE État-major de l’Union européenne
EPAA European Phased Adaptive Approach
FAO Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture
FCE Forces armées conventionnelles
FDI Foreign Direct Investment
FEDER Fonds Européen du développement économique et régional
FLR Force à niveau de préparation moins élevé
FMI Fonds monétaire international
FRRE Force de Réaction Rapide Européenne
FSE Fonds social européen
G7 Groupe des sept
GHN Groupe de haut niveau
GBR-P Ground Based Radar Prototype
GBI Ground Based Interceptor
GECF Gas Exporting Countries Forum
GMD Ground Missile Defense
GNL Gaz naturel liquéfié
ICE Initiative centre-européenne
IDE Investissements directs à l’étranger
IDS Initiative de défense stratégique
IESD Identité Européenne de Sécurité et de Défense
IFOR Implementation Force
INF Intermdiate-Range Nuclear Forces Treaty
11
JFTC Centre de formation de forces interarmées
KEI Kinetic Energy Interceptor
KFOR Kosovo Force
L’S-HZDS Ľudová strana - Hnutie za demokratické Slovensko
Partie populaire Mouvement pour la démocratie de la Slovaquie
MAD Mutually Assured Destruction (Destruction mutuelle assurée)
MAP Membership Action Plan (Plan d’Action pour l’adhésion)
MDCS Mesures de confiance et de sécurité
MDF Forum démocrate
MINUK Mission d'administration intérimaire des Nations unies au
Kosovo
MND CS Multinational Division Central South
NAMO Agence OTAN de gestion du transport aérien
NETS Nouveau système européen de transport
NGO Organisation non-gouvernementales
NPT Non Proliferation Treaty
NRF Force de réaction rapide de l’OTAN (NATO Response Force )
NKVD Narodnii komissariat vnoutrennikh diél
Commissariat du peuple aux Affaires intérieures
NMD National Missile Defense
NSIP Programme d’investissement de l’OTAN au service de la
sécurité
NUTS Nomenclature des unités territoriales statistiques
OECE Organisation européenne de coopération économique
OEF Opération Enduring Freedom
OIT Organisation internationale du travail
OMC Organisation mondiale du commerce
OMS Organisation mondiale de la santé
OPEP Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole
OSCE Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
ONU Organisation des Nations unies
OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord
OTASE Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est
12
OTSC Organisation du traité de sécurité collective
PAC Politique agricole commune
PAP-DIB Plan d’action de partenariat pour l’établissement d’institutions
de défense
PESC Politique étrangère et de sécurité commune
PESD Politique européenne de sécurité et de défense
PEV Politique européenne de voisinage
PHARE Pologne Hongrie Aide à la reconstruction économique
PIB Produit intérieur brut
PNB Produit national brut
POLUKRBAT Bataillon polono-ukranien
POUP Parti ouvrier unifié polonais
PPP Partenariat pour la Paix
PSDC Politique de sécurité et de défense commune
RDA République démocratique allemande
REACT Équipes d’assistance et de coopération rapides
RFY République fédérale de Yougoslavie
RUSI Services Institute for Defence and Security Studies
SAC Strategic Airlift Capability
SDI Strategic Defense Initiative
SDK Slovenská demokratická koalícia
Coalition démocratique de la Slovaquie
SDL Strana demokratickej ľavice
Parti de la gauche démocratique
SEAE Service européen pour l’action exterieure
SIS Système d’information de Schengen
SM-3 Standard Missile-3
SNS Slovenská národná strana
Parti national slovaque
TACIS Technical Assistance for the Commonwealth of Independent
States
TCAM Taux de croissance annuel moyen
THAAD Theater High Altitude Area Defense
13
TPIY ou TPY Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
TSC Traité de sécurité collective
UE Union européenne
UEO Union de l’Europe occidentale
UESD Union européenne de Sécurité et de Défense
UNESCO Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la
culture
UNICEF Fonds des Nations unies pour l’enfance
URSS Union des républiques socialistes soviétiques
V4 Visegrad Four
14
INTRODUCTION
« La sécurité est un fondement de tout ce que nous faisons »
Henry Kissinger
I.) Problématique et hypothèses de travail
1989 Annus mirabilis
Pour de nombreux pays de l’Europe centrale, la fin de la Seconde Guerre mondiale ne signifie pas une libération nationale, mais bien au contraire : un envahisseur en remplace un autre, l’Allemagne nazie cède la place à la Russie soviétique qui a joué un rôle décisif dans la victoire sur l’occupant fasciste. Sur les territoires libérés, l’Armée met en place les centres de pouvoir soumis à Moscou. Les transformations politiques s’y accompagnent d’une nationalisation de l’économie et d’une instauration de la planification étatique. La politique étrangère, la sécurité et la défense sont basées sur l’alliance et l’amitié forcées avec Moscou. Les alliances conclues dans les années 1945-1949 illustrent parfaitement l’évolution du Bloc oriental. Les démocraties populaires cherchent dans les accords d’amitié, de coopération et d’aide mutuelle, les garanties mutuelles pour asseoir la paix dans la région et prévenir en constituant un rempart efficace contre la renaissance de la puissance allemande. C’est le réseau d’accords qui resserre la structure internationale de la région en la transformant en bloc homogène idéologique et économique qui durera presqu’un demi-siècle.
Annus mirabilis 1989 est une année de la chute du régime communiste en Europe centrale et orientale. C’est également une année de la victoire de la démocratie sur le totalitarisme qui apporte la fin à la tragédie politique qu’a vécue cette partie du continent européen. « L’année 1989 est le temps de la victoire des révolutions pacifiques, qui épatent les pays européens derrière le Rideau de fer, le temps de l’espoir pour l’unification de
l’Europe et pour l’avenir européen commun .»1
Le temps d’un « ébranlement européen »2 est
arrivé : « Nous sommes sans doute les témoins et les acteurs des transformations
géopolitiques si importantes qu’il est aujourd’hui impossible d’en mesurer la portée réelle ».3
1 Rok 1989 – 20 lat później. Kraje postkomunistyczne a integracja europejska (L’année 1989 – 20 ans après. Les
pays post-communistes et l’intégration européenne), Varsovie, 2009, p. 6.
2 PLASSERAUD Yves, L’Identité, Paris, 2000, coll : Clefs Politiques, p. 14.
3 KOLOSSOV Vladimir, TREIVISH Andrei, TOUROVSKY Rostislav, Les systèmes géopolitiques d’Europe
orientale et centrale vus de la Russie, PHILIPPART Eric, Nations et frontières dans la nouvelle Europe. L’impact croisé, Bruxelles, 1993, p. 81.
15 La libération des nations centre-européennes est un second printemps des peuples, le plus important fait historique du dernier demi-siècle qui a déplacé le point de gravité de l’Europe occidentale à l’Est du continent. C’est une rupture qui rend impossible à l’Allemagne de regagner la position centrale et dominante en Europe et pose un obstacle à la marché de la Russie euro-asiatique vers l’Ouest. Ainsi, les conditions se matérialisent pour mettre fin à un chaos sur le continent européen et au partage qui le divise en deux blocs culturels et géopolitiques : occidental et oriental. L’Europe centrale devient la frontière et le pont jeté entre les deux mondes.4
Norman Davies a raison quand il dit que « l’effondrement de l’empire soviétique est le plus grand et le plus impressionnant événement de ce dernier temps. La rapidité de cette chute a dépassé la vitesse de tous les autres événements violents dans l’histoire de l’Europe : l’effondrement de la puissance coloniale de l’Espagne, les partages de la Pologne, le recul de
l’empire ottoman, l’éclatement de la monarchie austro-hongroise».5
Depuis 1989, il est évident qu’il faut dépasser les clivages obsolètes et susciter une réflexion transversale capable d’interroger, sous le signe d’une « histoire partagée », la cohérence et les divergences de cette région multiculturelle, « entre l’Allemagne et la Russie », composée d’une mosaïque de cultures imbriquées les unes dans les autres qui se sont mutuellement fertilisées. L’Europe centrale fait l’objet d’une véritable découverte à la fois politique et heuristique. Cette conviction est à l’origine de nos recherches qui prennent en compte les apports de l’Histoire et des événements contemporains tout en s’attachant aussi à l’étude du contexte plus large : la nouvelle architecture mondiale.
La fin du Rideau de fer et par conséquent la chute du système de la domination communiste en Europe centrale et orientale devient le début de nombreux changements qui sont ressentis dans les différentes parties du monde. Les processus suivants ont lieu après l’effondrement du Rideau de fer :
- le communisme s’effondre d’une manière pacifique. Le pape Jean-Paul II est considéré aujourd’hui comme un des architectes du démantèlement du système. Durant son premier pèlerinage en Pologne en 1979, à Gniezno, il appelle à découvrir l’unité spirituelle de l’Europe que composent les traditions de l’Orient et de l’Occident ;
- le changement des rapports des forces dans le monde. C’est la fin du communisme et l’effondrement de l’URSS ;
4
BRAUN Jerzy, Unionizm (L’Unionisme), Varsovie, 1999, p. 85.
16 - l’affaiblissement de la position de la Russie dans l’arène internationale ;
- l’unification de l’Allemagne ;
- l’apparition des processus de désintégration en Europe (les conflits ethniques). Sous le slogan : « Nous croyons en liberté », les pays de l’Europe centrale rétablissent leur indépendance. La liberté de créer, de penser, de circuler, de s’exprimer et de décider de leur propre sécurité est la première entre toutes. Ces pays redeviennent des membres actifs de la communauté européenne et internationale. En 1990, lorsque les chefs d’État et les gouvernements de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe se rassemblent à Paris, les représentants des pays de l’Europe centrale ne peuvent pas être présents. Aujourd’hui, ces États font partie des organisations de sécurité les plus importantes en tant que membres égaux. Quelle formidable évolution ! Ces pays se sont frayé un long chemin à travers l’Histoire pour regagner leur souveraineté et leur indépendance. Et à l’aube du XXIe
siècle, un long chemin à parcourir s’étale encore devant eux qui demande un labeur et des efforts opiniâtres et constants. Comme le dit un proverbe espagnol cité par Henry Kissinger dans son ouvrage Diplomatie : « Voyageur il n’y pas de chemin. On crée des chemins en
marchant ».6
La solidarité centre-européenne
« Je suis enchanté » a dit Henry Kissinger, « d’être ici en Europe orientale, je veux dire Centrale ». Et pour le reste de son discours, il répète "orientale, je veux dire Europe centrale ". C’était à Varsovie, au printemps 1990, et c’était le moment quand j’ai su que
l’Europe centrale avait gagné ».7
« L’Europe centrale n’est ni une région géographique aux frontières bien définies, ni
une structure immuable de l’Histoire. »8
C’est une mosaïque des peuples : les Polonais, les Tchèques, les Slovaques, les Hongrois, les Autrichiens, les Croates, les Slovènes, les Roumains et les Baltes ont vécu pendant des siècles en contact, guerrier ou pacifique, subissant la colonisation des Allemands à l’Ouest et la poussée expansionniste des Russes à l’Est. De là, une symbiose, variable suivant les régions et les peuples, qui a façonné cet ensemble que l’on désigne sous le nom d’Europe centrale et parfois d’Europe médiane. Nous
6 KISSINGER Henry, Dyplomacja (Diplomatie), Varsovie, 2002, p. 921.
7 ASH Timothy Garton, The Puzzle of Central Europe, The New York Review of Books, vol. 46, n° 5,
18.03.1999, p. 1.
17 faisons nôtre la définition de Milan Kundera que « L’Europe centrale n’est pas un État, mais
une culture, un destin, certaines situations communes constituent son trait caractéristique ».9
Dans son fameux discours à la Sorbonne le 11 mars 1882, Ernest Renan a déclaré : «Une nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a fait et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de
continuer la vie commune ».10 Si Renan parle de la Nation – et il faut remarquer d’emblée que
l’Europe centrale n’est pas une seule nation –nous avons toutefois décidé d’appliquer son propos à la région centre-européenne. Les liens forts en Europe centrale, notamment ceux unissant les pays du Groupe de Visegrád, se sont construits sur le fondement de l’Histoire douloureuse vécue ensemble.
L’idée « d’Europe centrale » est apparue au XIXe
siècle pour designer la « Mitteleuropa » germanique soit réduite à la petite Allemagne bismarckienne soit étendue à la sphère d’influences germaniques de l’Empire austro-hongrois. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe centrale désignait plutôt les « petits peuples slaves » qui ont été longtemps considérés sous l‘angle strict de leurs frontières nationales. On s’est alors résigné à ne voir en eux que la pointe la plus avancée du « glacis communiste » : c’était, pour reprendre l’expression de Milan Kundera, l’époque de « l’Occident kidnappé ».
Ensuite, une autre désignation est venue que Nicolas Bàrdos-Féltoronyi définit sur la base de l’expérience historique plus récente : « L’histoire centre-européenne au XXe
siècle est celle de la décolonisation de l’Europe centrale. (…) Géopolitiquement l’Europe centrale n’est nulle part à ce jour. Elle constitue un vide géopolitique. (…) cette "Europe - entre - deux" reste à mi-chemin entre l’Atlantique et l’Oural, entre la Baltique et la Méditerranée. Ses
frontières « régionales » sont contestées et ses contours incertains ».11
L’originalité de l’Europe centrale fascine l’Occident, mais en même temps, sa diversité et sa complexité suscitent une appréhension.12
Sa spécificité vient de sa position séculaire spécifique entre les deux mondes différents. Cette région se trouve « aux confins » de deux civilisations, Rome et l’Église catholique d’une part, le Byzance et l’orthodoxie de
9 KUNDERA Milan, KUNDERA Milan, L’Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale, Le Débat, n°
27, Paris, 1983, pp. 13-25
10 RENAN Ernest, Qu’est-ce qu’une nation?, le discours du 11 mars 1882 à la Sorbonne [en ligne]. 2012, [réf.
12.03.2012]. Disponible sur : http://mjp.univ-perp.fr/textes/renan1882.htm.
11
BÀRDOS-FÉLTORONYI Nicolas, Quelle géopolitique pour l’Europe centrale ?, PHILIPPART Eric, Nations
et frontières dans la nouvelle Europe, op. cit., pp. 106-107.
12 MARÈS Antoine, Construction, déconstruction et marginalisation de l’Europe centrale dans le discours
français, GRADVOHL Paul (sous la dir.), L’Europe médiane au XXᵉ siècle. Fractures, décompositions – recompositions – surcompositions, Prague, 2011, p. 200.
18 l’autre. Sa place est aux frontières de l’Orient et de l’Occident, entre l’Europe occidentale et l’Eurasie. Historiquement, les pays de l’Europe centrale s’identifient à la culture européenne. Ils se voient comme un bastion de l’Occident chrétien face aux Mongols, un rempart contre les ottomans et les bolcheviques.
Josef Kroutvor, écrivain tchèque, déclare que l’époque quand l’Europe centrale « était connu seulement des météorologues » est bel et bien révolue. Aujourd’hui, cette notion est très populaire et presque « à la mode ».13
Il convient de souligner que cette « région charnière »14
constitue un groupe peu homogène des anciens pays satellites soviétiques. Parmi eux, les États du Groupe de Visegrád semblent les plus avancés sur le plan de démocratisation et des réformes économiques. Cependant, tous ces pays partagent l’Histoire du continent européen en tant que partenaires ou adversaires. Le poids de l’Histoire pèse sur leurs relations actuelles, le passé explique certaines attitudes et idées nationalistes qui y voient le jour. Chaque pays membre aspire à jouer le premier violon dans cette Europe centrale qui est en train d’émerger. Pourtant, les anciens conflits et les méfiances doivent être oubliés pour laisser la place à un nouveau système de sécurité dans la région pour laquelle une solidarité régionale serait une vraie aubaine.
La reprise de l’activité régionale
Le début de la coopération des pays du milieu de l’Europe remonte au XVIe
siècle. C’était une période nommée « le siècle d’or » des pays centre-européens. Déjà en 1335, le château royal des rois de la Hongrie, à Visegrád est devenu le lieu de la rencontre des trois rois : polonais, tchèque et hongrois. Ils ont décidé de coopérer dans le domaine de la politique et du commerce inspirant ainsi leurs compatriotes. Cette rencontre est un point de départ de la politique basée sur le maintien de la paix entre les pays concernés, admise comme la condition indispensable à leur développement et à la sécurité de la région, le projet politique qui a été consciemment menée par les gouvernants successifs. Le Groupe de Visegrád a été créé 656 ans après cette rencontre royale par les présidents de trois États modernes. Ainsi, le voisinage le plus proche crée d’une manière naturelle les possibilités d’une coopération et d’une coexistence pacifique mais il est également une source des conflits et des tensions.
13 KROUTVOR Josef, Europa Środkowa : anegdota i historia (L’Europe centrale : anecdote et histoire),
Varsovie, 1998.
19 Ni l’Allemagne nazie ni l’URSS ne menace plus la région comme au temps de la Seconde Guerre mondiale, ce ne sont plus ce type de dangers qui, dans les années 1990, mobilisent les États centre-européenne et les poussent à coopérer. Désormais, à l’heure de la paix et de la démocratie, il s’agit pour eux de bâtir une communauté d’intérêts économiques, politiques, culturels et sociaux. En 2011, ils fêtent le vingtième anniversaire de la signature de la déclaration de Visegrád. Au début de son activité, le Groupe de Visegrád se concentre sur une coopération dont l’objectif est de faciliter et accélérer son adhésion aux structures politiques, économiques et militaires euro-atlantiques. Ensuite, progressivement la collaboration englobe les autres domaines tels que la politique étrangère, la défense, l’économie, le transport, la protection de l’environnement et la science.
Afin de sortir définitivement du régime soviétique, garantir la transformation politique et économique et garder leur indépendance, les pays de l’Europe centrale mènent des actions pour devenir complètement indépendants de Moscou. Pour y parvenir, ils fixent deux objectifs primordiaux de la politique étrangère : entrer dans les structures occidentales et jeter des fondements à la coopération la plus étroite possible dans la région.
En ce qui concerne la collaboration régionale, au début des années 1990, les initiatives se limitent aux anciens pays du bloc oriental intéressés à réunir leurs efforts car en rencontrant les mêmes problèmes politiques, économiques et sociaux provoqués par l’instauration de l’économie du marché, ils espèrent, grâce aux actions communes de recevoir les fonds qui aideront à la démocratisation de la vie politique et économique.
Les nations de l’Europe centrale choisissent consciemment l’option régionale. C’est un choix difficile, d’abord la coopération ne se développe pas facilement. Si au début la détermination à coopérer manque, avec le temps de plus en plus d’intérêts politiques et économiques se révèlent communs. À travers la discussion sur l’avenir de l’Europe centrale qui fait désormais partie de l’UE, la région se cherche et espère trouver une nouvelle définition de sa souveraineté et de nouvelles garanties pour sa sécurité.
Grâce à la création du Groupe de Visegrád et à son activité, l’identité supranationale se renforce et l’Europe centrale s’inscrit à jamais comme un terme politique et culturel dans l’esprit des sociétés européennes. La construction de la conscience centre-européenne est un processus ininterrompu. L’Europe centrale est une catégorie objective, un terme auquel les faits et les processus historiques donnent la réalité. Bien que ce concept compte environ deux cents ans, les débats sur la condition de cette partie de l’Europe commencent vraiment à partir de 1989 avec la question sur les transformations sociales et culturelles profondes que cette région est conduite à traverser. C’est aujourd’hui donc que certaines interrogations de fond se
20 posent : Dans quels domaines il faut dynamiser et approfondir la coopération centre-européenne ? Jusqu’où doit-elle aller ? Est-ce que Visegrád, ou peut-être toute l’Europe centrale, correspond à une coopération subrégionale au sein de l’Union européenne ? Est-ce que l’idée de la sécurité commune de l’Europe centrale est-elle plausible ?
L’Europe centrale a construit sa communauté, et continue à le faire toujours, sur la base des sentiments nationaux vivaces et sur les autres identités culturelles et religieuses fortes. C’est un fruit de la conviction plus ou moins consciente que les petites et moyennes nations de l’Europe centrale ont une chance d’exister seulement quand ils sont unis. Les différentes personnalités centre-européennes ont appelé dans le passé à l’intégration de cette région : le Polonais Józef Piłsudski, le Slovaque Milan Hodža, le Hongrois Lajos Kossuth et le Tchèque Jan Hus.
Aujourd’hui, le besoin de voir bien fonctionner l’UE dans le monde de plus en plus concurrentiel est un argument convaincant en faveur de l’intégration centre-européenne dans le cadre de l’Union. Les pères fondateurs de l’Europe se sont déjà prononcé pour l’unification de l’Europe d’abord à l’échelle régionale, c’est par la suite que l’idée d’union a dessiné des cercles plus grandes. L’intégration de la région telle que l’Europe centrale est une pierre d’angle à cette unification de notre continent en lui apportant les garanties de stabilité et de sécurité irremplaçables.
Dans cette Europe du milieu, comme la définit Milan Hodža, les pays de Visegrád représente la zone la plus stable. Pendant la Seconde Guerre mondiale les gouvernements polonais et tchèque en exil ont projeté la confédération polono-tchèque comme un fondement de l’Europe centrale unifiée à venir. Nous considérons que le Groupe de Visegrád incarne cette idée politique conçue en temps de guerre qui peut aujourd’hui enfin se réaliser.
À la recherche d’une nouvelle sécurité
Après la période de tous les dangers (1918-1945) et l’époque de soumission (1945-1989), en 1989 il est arrivé le temps de la liberté. Après l’ordre de Westphalie, de Vienne, de Versailles et de Yalta, l’ordre euro-atlantique, celui « de Bruxelles », pour utiliser le terme proposé par Jacques Rupnik, règne d’aujourd’hui en Europe.15
Nous nous proposons d’en analyser l’état de sécurité et ses perspectives.
15
RUPNIK Jacques, La „nouvelle frontière” de l’Europe : quels confins pour une Europe élargie ?, Vision
21 Avec leur adhésion aux structures occidentales, les pays de l’Europe centrale apportent, à la communauté formée au cours d’un demi-siècle d’efforts d’intégration dans le contexte d’une Europe dramatiquement divisée, leur potentiel démographique et économique, l’espace géographique considérable et leurs populations vaillantes et enthousiastes, mais aussi leurs expériences et leurs peurs.
À la fin des années 1990, les questions de sécurité sont en seconde place dans les débats sur les liens entre l’Europe centrale et l’Europe en cours d’intégration. On traite alors surtout des problèmes économiques, sociaux et culturels. En effet, on pense à cette époque que la question de sécurité politique et militaire est résolue naturellement avec l’entrée des pays de la région dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Cette interprétation de la situation est erronée et même dangereuse car des problématiques essentielles se trouvent de la sorte provisoirement marginalisées.
La sécurité de la région centre-européenne n’est pas un acquis gagné pour toujours. Les expériences des dix dernières années de la Guerre froide ont prouvé que, malgré la disparition de la première cause conflits en Europe, c’est-à-dire de la confrontation de deux systèmes rivaux, des conflits militaires sur notre continent sont toujours possibles. Les peuples de l’Europe centrale ne peuvent oublier la position de leur région qui voisine les ex-républiques soviétiques ni négliger les dangers non-militaires, comme par exemple la dégradation d’environnement, les migrations transfrontalières incontrôlées, les menaces économiques, etc.
Après l’effondrement de l’URSS, les pays du Groupe de Visegrád n’ont qu’un objectif : adhérer à l’UE et à l’OTAN. La réflexion sur leur situation stratégique se concentre autour de trois constatations :
- le danger de la part de la Russie diminue ; - leur avenir économique dépend de l’UE ;
- l’adhésion à l’OTAN et l’engagement fort des États-Unis protègent leurs intérêts stratégiques.
Pourtant, la situation change au cours des années, les nouveaux problèmes apparaissent :
- la crise économique en Europe pose deux questions fondamentales : Est-ce que penser l’Europe en tant que communauté est-il réaliste ? Est-ce que les réformes proposées afin de stabiliser l’Europe apportent-elle des solutions adéquates ?;
22 - des doutes sur l’Alliance atlantique comme un rempart de protection valable
pour la région centre-européenne et pour les autres membres ;
- l’Allemagne s’engage dans l’OTAN et dans l’UE parallèlement à la coopération économique avec la Russie.
La présence des pays de la région dans les structures euro-atlantiques garantit la sécurité centre-européenne, mais ne résout pas tous les problèmes. La notion de « sécurité » évolue, sa signification change. Bien que fiables, les garanties données par l’OTAN doivent être complétées par un système des liaisons et interdépendances à caractère politique, économique, social et culturel. Bien intégrés dans les structures européennes, notamment dans l’Union européenne, les pays de l’Europe centrale jouissent des assurances supplémentaires de sécurité dans la région et cela sous tous ses aspects.
Dans l’analyse du rôle et des perspectives de la région, il ne faut pas négliger, ce qui arrive pourtant souvent, ses voisins. Dans ses aspirations de s’intégrer avec l’Occident, l’Europe centrale doit les considérer comme ses partenaires et non comme des rivaux. Une telle stratégie fait des pays centre-européens les candidats solides et fiables, prouve leur capacité à percevoir la situation dans un contexte plus large qui dépasse les intérêts particuliers de chacun : ainsi les États de la région se montrent solidaires et agissent, avec toutes les implications de cette attitude, au nom de toute l’Europe centrale.
L’euro-atlantisme – un lien logique entre le régionalisme et la sécurité
Durant un demi-siècle, le monde a changé et, aujourd’hui, l’Europe centrale doit affronter les nouveaux défis : la globalisation, le développement démographique, les changements climatiques, l’approvisionnement énergétique et les autres dangers qui menacent la sécurité.
Les événements du début du XXIe
siècle place la question de la sécurité dans un contexte nouveau et plus large que par le passé. Bien que la sécurité nationale, concernant la sphère politique et militaire qui a pour but d’assurer la survie, la souveraineté et l’indépendance d’une nation, reste une catégorie supérieure, les défis globaux se révèlent si compliqués, les événements imprévisibles et les problèmes inattendus que la sécurité d’aujourd’hui implique une appréhension beaucoup plus globale et complexe.
L’élargissement de l’UE et de l’OTAN a changé d’une manière importante l’environnement de la coopération et a fait de la région de l’Europe centrale une des régions les plus dynamiques sur le continent européen. Par conséquent, la question de la sécurité
23 régionale rejoint la problématique de la sécurité euro-atlantique, ce qui signifie que l’on puisse tenter d’engager le plus possible l’Union européenne et l’OTAN dans la coopération dans la région.
Selon la nouvelle Conception stratégique de l’Alliance atlantique de novembre 2010, la sécurité concerne, entre autres : les effets des changements climatiques, le terrorisme, les dangers asymétriques et les cyber-attaques. La sécurité devient indivisible et les dangers peuvent venir non seulement des pays forts mais aussi des États faibles ou des acteurs non-étatiques.
La perception de la sécurité internationale qui s’installe après la fin de la Guerre froide, change. D’abord l’optimisme règne. L’effondrement de l’URSS diminue les risques de guerre nucléaire et permet de réduire les arsenaux nucléaires. Le nombre de pays démocratiques s’accroît, les zones de libre-échange s’élargissent, le transfert des moyens de production est facilité, grâce entre autres au développement des medias électroniques, notamment de l’Internet, la globalisation signifie le progrès et se développe. Pourtant, les nouveaux dangers apparaissent et le monde reste vigilant.
Dans notre travail, nous partirons de l’hypothèse que la sécurité est une catégorie fondamentale dans un système des valeurs auquel les États et les autres acteurs des relations internationales font appel afin de satisfaire leurs besoins existentiels : l’existence, la survie, l’identité, l’indépendance et le développement assuré. Dans la région de l’Europe centrale que représentent les membres du Groupe de Visegrád, la sécurité la plus importante est avant tout politique et militaire, donc liée à la souveraineté de la Nation et l’intégralité territoriale.
En Europe centrale, on perçoit les dangers différemment que sur le reste du continent européen. Un demi-siècle du communisme imposé et de soumission à l’empire totalitaire soviétique a laissé les traces. Au début des années 1990, la région s’inquiète surtout d’une renaissance possible de la puissance russe toujours imprévisible et craint son expansionnisme naturel. C’est pourquoi, les pays du milieu de l’Europe souhaitent à tout prix sortir de la zone grise de la sécurité et se retrouver dans les structures de la sécurité et de la coopération des pays occidentaux. Pour eux, la question de souveraineté est indissociable de la sécurité, notamment à cause de l’expérience du fascisme et du communisme traversée dans le passé.
La problématique de la sécurité centre-européennes émerge à un moment significatif. En effet, au tournant des siècles, les illusions « d’une paix perpétuelle » dans le monde s’effondrent et disparaissent les rêves et les espoirs nourris par la fin d’une longue confrontation frontale entre le Pacte de Varsovie et l’OTAN qui a menacé pendant cinquante ans non seulement des guerres et des destructions mais aussi de la fin de la civilisation.
24 L’Histoire conditionne la recherche des systèmes de sécurité en l’Europe centrale. On y est particulièrement sensible aux dangers que représentent la guerre et l’agression, aux menaces venant des voisins les plus proches. Cette perspective marquée par les expériences du passé pousse parfois à relativiser d’autres risques.
Au début, la notion de sécurité est identifiée dans un sens strict à la sécurité nationale d’un État, à caractère uniquement militaire. Suite aux changements qualitatifs de l’environnement international intervenus à la fin de la Guerre froide et aux processus d’interdépendance en croissance, la sécurité et les dangers potentiels sont appréhendés plus largement. Les scientifiques soulignent que dans les relations internationales cette notion dépasse l’aspect militaire. Les nouveaux dangers exigent que la communauté internationale redéfinisse les valeurs à protéger et, en conséquence, adapte en diversifiant les actions et moyens pour ce faire. La théorie de la sécurité multidimensionnelle basée sur l’approche traditionnelle de la sécurité militaire, s’enrichit alors des éléments relevant de la sécurité politique, économique, énergétique et socioculturelle.
Les risques d’une confrontation nucléaire diminuant – ils n’ont pas toutefois complètement disparu – le monde se sent plus en sécurité. Cependant, les nouveaux dangers apparaissent, au fond il s’agit souvent des menaces déjà connus mais dont le potentiel de nocivité ou de destruction a été multipliée et qui mettent en doute le sentiment de sécurité de la population. Comme le décrit Henry Kissinger « le danger est mineur mais l’incertitude plus grande (…) car le cœur du danger contemporain réside dans son indivisibilité et touche aux
civils, et nous ne savons pas comment l’aborder ».16
Notre seconde hypothèse concerne l’Europe centrale comme une région qui, au début du XXe siècle, est en train de redéfinir sa situation d’une zone frontalière de l’OTAN et de l’UE, entre l’Allemagne forte et la Russie affaiblie. Sa position est importante dans l’environnement de sécurité européen et son territoire acquiert une importance géostratégique majeure.
En analysant la catégorie de la sécurité dans la perspective centre-européenne, nous devons prendre en compte le flou qui concerne la délimitation de la région désignée. Généralement, la catégorie de la « sécurité centre-européenne » comporte un élément indéfini – le terme de « l’Europe centrale » lui-même. À nos yeux, c’est une région qui d’une manière permanente redéfinit ses frontières et élabore sa nouvelle identité.
16
KISSINGER Henry, Polska powinna bronić własnych interesów (La Pologne devrait protéger ces intérêts),
25 Selon les catégories géopolitiques, l’Europe centrale est une région qui a une importance cruciale pour l’ordre des forces en Europe. Par conséquent, cette zone est particulièrement exposée aux actions menées par les puissances qui conduisent leurs jeux géostratégiques. Pour éviter d’en devenir un objet passif ou un satellite soumis, les pays de la région doivent effectuer un effort particulier dans le domaine de la sécurité. Roman Dmowski, homme politique et diplomate polonais de la première moitié du XXe siècle, a déjà écrit : « Les États petits et faibles n’ont pas de place sur les terres où l’Europe occidentale se termine et qui s’ouvrent vers de vastes plaines. (…) Ici, seuls les pays forts puissent exister ». Pour lui, est fort « un État qui dispose des ressources et des moyens suffisants pour ses besoins, une organisation efficace, dont l’idée directrice est capable d’étreindre les horizons larges assez pour que sa politique puisse influencer non seulement les affaires les plus
proches mais participer dans la régulation des affaires européennes et même mondiales ».17
Cette vision géostratégique est partagée par les dirigeants centre-européens après la chute du mur de Berlin. Jan Krzysztof Bielecki, le Premier ministre polonais constate en 1991, à Chattam House : « La pensée stratégique a une importance fondamentale pour l’Europe centrale, surtout aujourd’hui quand l’euphorie de 1989 s’est évaporée et le dur labeur est devant nous. (…) Si nous ne définissons pas clairement des objectifs de notre politique je
crains que nous nous perdions ».18
C’est alors le moment d’avancer notre troisième hypothèse qui porte sur le besoin d’une coopération à l’échelle régionale et globale afin de renforcer la sécurité de « la Nouvelle Europe ».
Sur le fond des grands changements, l’Europe centrale redéfinit sa sécurité d’une manière conséquente et résolue s’appuyant sur les éléments fondamentaux suivants :
- le développement social et économique, le renforcement de l’économie nationale et de la démocratie ;
- la redéfinition des relations avec tous les voisins ; - la construction d’une coopération régionale efficace ;
- le renforcement des liens euro-atlantiques, l’adhésion à l’UE et à l’OTAN, la participation dans les missions pacifiques.
La conception de la sécurité en Europe centrale évolue en accompagnant les changements politiques qui ont lieu dans la région. Une partie des solutions remontant encore
17 DMOWSKI Roman, Polityka polska i odbudowanie państwa (La politique polonaise et la reconstruction de
l’État), Varsovie, 2009, p. 59-60.
18
Citation d’après KUŹNIAR Roman, Strategia państwa a polityka zagraniczna (La stratégie de l’État et la
26 au Pacte de Varsovie perdent son importance au début des années 1990. Les autres tels que les postulats d’adhérer à l’OTAN sont définis seulement à cette époque-là. Comme le décrit Józef Kukułka, professeur d’histoire de l’Université de Varsovie : « Du point de vue politique, la période qui suit la Guerre froide semble la plus intéressante. Nous observons alors les événements et les processus qui tendent à dépasser l‘héritage du passé, à trouver la meilleure
manière de construire l’avenir, multilatérale et équilibrée».19
D’un côté, la soumission durable à l’URSS a eu des conséquences destructives : chez certains auteurs, les conceptions pour le futur ne sont plus marquées par l’esprit d’indépendance et d’analyse nationale. De l’autre côté, après l’effondrement du système communiste, l’Europe centrale est amenée à prouver rapidement aux partenaires de Bruxelles et de Washington sa capacité de construire son propre système de sécurité.
Les conceptions de la sécurité de l’Europe centrale qui apparaissent au tournant du XXe et du XXIe siècle reflètent le chemin tourmenté que la région a traversé depuis le Pacte de Varsovie jusqu’à nos jours : « de la dépendance stratégique (…), par une indépendance stratégique dans les années 1990 jusqu’à la stratégie d’un acteur à part égale dans l’ordre
international de la sécurité au début du XXIe
siècle ».20
Emerich de Vattel (1714-1767), philosophe suisse dans son ouvrage Le droit des gens, ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, publié en 1758, présente sa vision de la conception de la sécurité internationale qui doit chercher les moyens les plus effectifs pour maintenir la paix et la stabilité en général et assurent l’indépendance des pays en particulier.
Selon lui, la sécurité des pays souverains constitue l’objectif primordial de l’ordre international. La solidarité internationale, la coopération des pays et les obligations envers une large communauté internationale sont les meilleurs moyens de maintenir cet ordre. La conscience d’une réalité politique concrète dans laquelle on se trouve actuellement et les règles du droit moral assurent l’ordre et la sécurité entre les pays. Vattel, partisan de l’équilibre entre les États, était conscient des dangers que causent la volonté de dominer, le désir, l’insolence et l’ambition. Il propose les mécanismes pour construire des alliances qui équilibrent la force d’une puissance et sont une réponse à sa domination potentielle : «L’exemple des Romains est une bonne leçon à tous les souverains. Si les puissants de ces
19
KUKUŁKA Józef, Bezpieczeństwo międzynarodowe w Europe Środkowej po zimnej wojnie (La sécurité
internationale en Europe centrale après la Guerre froide), Varsovie, 1994, p. 7.
20 KOZIEJ Stanisław, Ewolucja polskiej strategii obronności (L’évolution de la stratégie polonaise de défense),
KUŹNIAR Roman, Polska polityka bezpieczeństwa 2000 (La politique polonaise de la sécurité
27 temps-là se fussent concertés pour veiller sur les entreprises de Rome, pour mettre des bornes
à ses progrès, ils ne seraient pas tombés successivement dans la servitude ».21
Une confédération de petits pays qui, réunissant leurs forces, garantissent la sécurité à chacun d’entre eux, est donc une solution désirée. La nécessité de maintenir par les petits États les mêmes forces armées que les grandes puissances est un dilemme que les mécanismes de sécurité doivent aussi résoudre. « L’Europe fait un système politique, un corps où tout est lié par les relations et les divers intérêts des Nations qui habitent cette partie du monde. Ce n’est plus, comme autrefois, un amas confus de pièces isolées, dont chacune se croyait peu intéressée au sort des autres, et se mettait rarement en peine de ce qui ne la touchait pas immédiatement. L’attention continuelle des souverains à tout ce qui passe, les ministres toujours résidents, les négociations perpétuelles, font de l’Europe moderne une espèce de république, dont les membres indépendants, mais liés par intérêt commun, se réunissent pour y maintenir l’ordre et la liberté. C’est ce qui a donné naissance à cette fameuse idée de la balance politique, ou de l’équilibre du pouvoir. On entend par là une disposition des choses, au moyen de laquelle aucune puissance ne se trouve en état de prédominer absolument, et de
faire la loi aux autres. »22
La conception de l’équilibre des forces dans les relations internationales font son apparition à la Renaissance. Vattel l’enrichit en y ajoutant des attaches qui lient les pays européens en les regroupant dans une large famille qui partage le même intérêt commun de maintenir l’ordre et l’indépendance. C’est pourquoi, il propose de résoudre le problème de la complémentarité entre les pays souverains et l’idée d’une famille pluraliste des nations en faisant fonctionner la communauté internationale.
À la lumière de ce qui précède, la question se pose : à l’aube du XXIe
siècle, quel model convient-il le mieux au nouveau système de la sécurité internationale qui se construit en Europe centrale et qui pourra d’une manière optimale garantir la protection et la réalisation des intérêts de la région ? Pour être effectif, ce système se doit être adoptable par tous les pays et les organisations actifs sur la scène des relations internationales sur notre continent.
Les éléments les plus importants d’un système optimal de la sécurité européenne existent déjà de fait et leurs capacités potentielles à fonctionner sont évidentes. Il ne s’agit
21 DE VATTEL Emerich, Le droit des gens, ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux
affaires des nations et des souverains, vol. 2, Paris, 1835, p. 108, (format numérique), [réf. 18.07.2012].
Disponible sur : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb315475697 ; DE VATTEL Emerich, Prawo narodów czyli
zasady prawa naturalnego zastosowane do postępowania i spraw narodów i monarchów (Le Droit des gens, ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains), vol. 1-2,
Varsovie, 1958, p. 64.
28 donc pas d’une catégorie strictement théorétique, une référence dans les réflexions d’analystes. En effet, il s’agit d’une création systémique à caractère politique et militaire, mais aussi économique et sociale. Par conséquent, il faut en identifier des éléments réellement existants, montrer leur utilité et proposer, dans un cadre de réflexions théorétiques, quels sont leurs compléments ou quelles modifications ils doivent subir.
Ainsi, conscients de la réalité géopolitique au début du XXIe
siècle, il nous semble pertinent de postuler la création d’un système de sécurité basé sur le renforcement de la famille centre-européenne que cimentent les intérêts communs. Cette sécurité des pays qui sont désormais pleinement souverains se base sur leur coopération équilibrée qu’enrichissent les obligations contractées à l’égard des organisations euro-atlantiques dont ils font partie. D’ores et déjà, l’Europe centrale forme une alliance au cœur de l’Europe dont l’objectif est d’équilibrer les puissances qui l’entourent – la Russie et l’Allemagne. En réunissant leurs forces et en créant ainsi un système de sécurité prometteur, à notre avis, ces pays peuvent garantir la sécurité dans la région qui s’y trouve donc « assurée au niveau subrégional, régional et global par les institutions qui se renforcent et s’accordent mutuellement et par les
actions bilatérales des pays concernés ».23
Il y a de multiples aspects de l’Europe centrale qui rendent l’étude de la sécurité de cette région stimulante et fascinante et qui nous ont motivés dans notre travail : en fait, c’est la globalité des problèmes des relations et des connexions internationales qu’une telle étude permet aussi d’aborder.
De l’ensemble ses conditions et défis que pose la sécurité globale et européenne, la création de la sécurité pour l’Europe centrale au XXIe
siècle revêt, pour de nombreuses raisons, une importance significative pour la génération actuelles et celles à venir. Nous comptons trois raisons fondamentales :
1. l’expérience historique de quatre derniers siècles ;
2. la position géostratégique de l’Europe centrale au cœur de l’Europe qui est une clé de la sécurité européenne ;
3. la faiblesse de « nouveaux » États, des élites politique et militaires et des institutions nationales qui garantissent la sécurité.
Une telle situation de la sécurité globale, européenne et régionale, nous inspire une étude sur l’état du système de sécurité de la région centre-européenne, sur son rôle actuel dans la défense commune de tout le continent et sur les perspectives qu’il puisse jouer plus sur le
23
CZAPUTOWICZ Jacek, System czy nieład, bezpieczeństwo europejskie u progu XXI wieku (Le système ou le
29 plan mondial. Comme le dit un proverbe chinois : « Même la plus longue marche commence toujours par un premier pas ».
II.) Le cadre théorique
Le but de notre analyse consiste à identifier les éléments majeurs de la sécurité en Europe centrale dans le contexte de l’évolution du terme de sécurité et de la dynamique de l’environnement international. Pour ce faire d’une façon approfondie, nous avons recours à une approche théorique. En ce qui concerne la problématique de la sécurité de l’Europe centrale sur le plan théorique, une approche intégrée semble nécessaire car une seule théorie de la sécurité, de l’Europe centrale, des relations internationales ou de l’intégration européenne n’existe pas, mais nous avons recours à une problématique différenciée de l’intérieur. En conséquence, le chercheur se trouve amené à se référer à de nombreuses approches théoriques, puisant dans celles qui lui semblent les plus adéquates en fonction d’une partie des questions traitées et de leurs dimensions particulières, ce qui ne doit pas pour autant détruire la cohérence descriptive et explicative de l’ensemble de l’analyse en cours. C’est un défi car les modèles théoriques contemporains ne se basent pas sur une approche cohérente (p. ex. l’esprit d’un paradigme réaliste), mais ils engagent de nombreuses conceptions théoriques ce qui permet de détecter les variables fondamentales dépendantes ou indépendantes dans un contexte plus large, de la prise en compte des motivations, des préférences et des actions des acteurs sur les différents niveaux du système.
La sécurité est une catégorie clé pour comprendre les relations internationales contemporaines. C’est une notion qui recouvre un champ de plus en plus large de problématiques. Premièrement, la sécurité concerne le spectre qui s’élargit de la réalité internationale : ses aspects militaires, politiques, économiques, sociales et écologiques. Deuxièmement, elle se réfère aux différents niveaux d’organisation de la vie internationale (la sécurité nationale, régionale et globale ou la sécurité des États, des groupes sociaux et des unités). Compte tenu de cette complexité et de son évolution, il apparaît nécessaire de définir la structure de sécurité d’aujourd’hui et de l’adapter à notre objet de la recherche – l’Europe centrale.
La sécurité (latin : securitas) est un terme qui se compose de deux parties, sine (sans) et cura (peur, soucis, crainte). Nous pouvons dire que la sécurité signifie « manque de soucis et de sentiment de la peur ». Comprise ainsi, la sécurité s’applique non seulement aux États, mais aussi aux régions entières.
30 Les actions menées aujourd’hui pour assurer la sécurité créent un système complexe où se superposent de nombreux sous-systèmes interdépendants qui correspondent à des dangers différents et des systèmes de sécurité divers qui tentent d’y répondre. Au XXIe
siècle, nous distinguons la sécurité individuelle et collective (systèmes nationaux et régionaux), la sécurité extérieure et intérieure qui concernent à leur tour les différents domaines de la vie. Par conséquent les différentes sortes de la sécurité apparaissent. Quel que soient l’objet d’un système de sécurité donné, il y va toujours de minimiser au maximum les craintes et la peur sachant que l’assurance de la sécurité totale est impossible. Il est raisonnable d’aspirer à limiter des dangers circonscrits grâce à des systèmes de sécurité (en théorie et en pratique), mais il est illusoire d’espérer de le supprimer complètement.
Nous estimons que cette manière d’interpréter la situation internationale à l’aube du XXIe siècle offre un point de départ pertinent pour analyser et comprendre l’évolution de la sécurité en Europe centrale.
III.) Sources et méthodologie
Dans notre recherche, nous nous appuyons en majeure partie sur les sources écrites : un ensemble de la littérature académique et spécialisée (les rapports, les documents de travail, les revues spécialisées ou généralistes, la presse quotidienne). Pour approfondir le sujet, nous avons également analysé les documents officiels émanant des gouvernements, des organisations régionales et internationales. Comme une référence fondamentale de base, nous nous servons de la riche littérature scientifique sur la théorie de la sécurité.
Pour inscrire notre analyse dans la logique d’actualité et donc suivre et comprendre les événements les plus récents, outre les documents publics, nous interprétons des publications de fraîche date et des informations d’internet.
Au cours de dernières années, grâce à la participation à de nombreux séminaires et conférences concernant le sujet de cette recherche, nous avons pu approfondir la problématique abordée et connaître les différentes approches qui s’y référent. Le travail dans les archives de nombreuses institutions et organisations polonaises qui s’occupent de cette thématique nous a été aussi de grand secours.
Enfin, grâce aux personnes interviewées, nous avons pris connaissance des points de vue et d’interprétations, parfois, bien divergents d’événements historiques et ceux très récents.
La méthodologie utilisée est fondée sur l’approche interdisciplinaire propre aux études des relations internationales qui permet de croiser les différentes méthodes d’analyse