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La politique de l’Europe de l’Ouest face à l’Europe centrale

CONTEMPORAINE EN EUROPE

2.1 La politique de l’Europe de l’Ouest face à l’Europe centrale

Afin de bien comprendre l’évolution de la situation après la chute du mur de Berlin, il faut analyser l’attitude de l’Occident face aux changements en Europe centrale. Les points de vue des hommes politiques occidentaux varient en fonction de nouveaux défis que représente la renaissance de l’Europe centrale libre et indépendante. En fait, l’Occident n’est pas prêt à accueillir les nouveaux pays postsocialistes dans l’Europe unie. Les dirigeants et les intellectuels occidentaux craignent cette « Autre Europe » qui se trouvait pendant si longtemps de l’autre côté du Rideau de fer, d’autant plus qu’ils ne savent pas comment cette partie du continent va évoluer. La chute du mur de Berlin ouvre l’Europe centrale à la transformation postcommuniste, mais elle surprend l’Ouest par une nouvelle dynamique européenne qui pose beaucoup de questions et de dilemmes, d’interrogations, particulièrement sur la dissymétrie et les disparités qui divisent l’Europe.

L’Occident perçoit l’Europe centrale comme une zone tampon entre l’Occident et la Russie. Cette vision existait déjà au XIXe et au XXe siècle. Mais, les pays centre-européens ne veulent pas devenir une « ceinture de sécurité », servir d’amortisseur pendant des conflits, comme cela a déjà eu lieu durant la Guerre froide.

Milan Kundera décrit comment l’Ouest voit cette région en ces termes : « qu’une partie de l’Union soviétique et rien d’autre. Par le seul fait de son système politique, l’Europe centrale est confondue avec l’Est ; alors que par sa culture, elle est l’Ouest (…) on ne voit dans l’Europe centrale rien d’autre que l’Europe de l’est (…). Personne ne se fait plus d’illusion sur les pays satellites de l’Union soviétique. C’est cette tragédie qu’on oublie très

souvent. Ces pays ont été rayés de la carte de l’Europe de l’Ouest ».317

Yves Plasseraud, spécialiste de la question des nationalités en Europe centrale, constate qu’« avec la mort de l’idéal communiste, c’est l’un des derniers messianismes laïcs qui disparaît. Il laisse sans doute plus d’orphelins dans la région qu’en n’y comptait

auparavant les communistes ».318 Selon lui, le devoir de l’Ouest envers l’Europe centrale est

de :

 soutenir les transitions démocratiques, économiques, politiques et sociales dans la région ;

317

KUNDERA Milan, The tragedy of Central Europe, New York, Review of Books [en ligne]. 26 avril 1984, vol. 31, 7, [réf. 21.05.2009], pp. 34-37. Disponible sur:

http://www.euroculture.upol.cz/dokumenty/sylaby/Kundera_Tragedy_(18).pdf.

318

PLASSERAUD Yves, Les nouvelles démocraties d’Europe centrale la Hongrie, la Pologne, la

195  défendre les droits de l’homme ;

 soutenir l’intégration européenne de ces pays. Plasseraud considère que la fin du XXe

siècle a apporté à l’Europe de l’Ouest une chance historique de retrouver ses frères de l’autre partie du continent européen.319

Quant à Michel Howard, il souligne que la réunification des nations de l’Europe centrale et leur attachement à la communauté culturelle et économique occidentale, doit devenir la priorité à l’Ouest.320

Au début de la transformation, les élites occidentales sont restées indifférentes aux changements en Europe centrale. Les populations de cette partie du continent se sont senties abandonnées par l’Occident. Karoly Kecskemeti ajoute que « se sentant ignorés et dédaignés, nos peuples se replient sur eux-mêmes et cherchent les causes de leur abandon et de leur tragédie. Tantôt ils accablent, tantôt ils proclament leurs vertus à la face du monde et

fleurissent les injustices dont ils sont victimes ».321

Durant les siècles, l’Occident a négligé l’Europe centrale. Au cours du XVIIe siècle, les pays occidentaux se sont dévoués aux conquêtes coloniales et commerciales, se désintéressant de la partie orientale de l’Europe. En même temps, l’Europe centrale luttait contre la menace musulmane. Ensuite, elle est devenue la victime des jeux stratégiques et politiques entre la Prusse, la Russie, l’Empire ottoman et l’Autriche. En 1692, quand les Turcs ont attaqué la Pologne, puis s’avançaient vers la Hongrie et l’Autriche, les Polonais sont venus au secours de Vienne et ont battu les Turcs. Pourtant, un siècle plus tard, en 1793, la Pologne s’est trouvée partagée parmi trois puissances : la Russie, la Prusse et l’Autriche.322

Durant le XIXe siècle, l’Europe centrale est restée divisée et secouée par les nombreux mouvements nationalistes. Ecartée entre l’Allemagne en pleine renaissance et la puissante Russie, la Pologne quoique officiellement inexistante a subi une agitation politique et culturelle sans précédent.

Après la Première Guerre mondiale, la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, les États baltes, la Yougoslavie et la Roumanie ont retrouvé leur indépendance. Ils subissaient tout de même la pression de deux puissances totalitaires. Moscou considérait cette région

319 PLASSERAUD Yves, Les nouvelles démocraties…, op. cit., p. 151.

320 HOWARD Michael, Lessons of the Cold War, Survival Global Politics and Strategy, n° 36, hiver 1994, pp. 102-103.

321 KESCKEMETI Karoly, Les grandes lignes de l’histoire de l’Europe centrale, Esprit [en ligne]. février 1968, [réf. 05.05.2009], pp. 167- 191. Disponible sur

http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=18726&folder=0.

196 comme son avant-garde stratégique, indispensable à sa défense, et un contrepoids face à la menace nazie.323

Dans les années 1990, la politique de l’Europe occidentale envers les pays européens postsocialistes est restée assujettie aux relations avec la Russie. Ensuite, l’Occident a commencé à changer de position en souhaitant améliorer les relations avec les pays centre-européens, grâce à :

 l’annexion de ces pays dans les processus décisionnels d’importance internationale ;

 la résolution commune des crises internationales ;  la coopération institutionnelle ;

 les consultations concernant la sécurité.

Avec une certaine inquiétude, l’Occident observe alors l’augmentation des tendances impérialistes en Russie ce qui donne plus d’importance à l’Europe centrale dans la politique occidentale. À l’époque, l’Ouest affirme qu’il s’opposera à toute tentation d’invasion de l’Europe centrale par Moscou. Pourtant, on laisse à la Russie le champ libre en ce qui concerne la Communauté des États indépendants car il semble impossible que l’Occident s’engage à protéger la démocratie sur ces territoires, au risque de faire monter les tensions dans ses relations avec la Russie.

« La chute du mur de Berlin (1989), l’effondrement de l’Union soviétique, la guerre du Golfe, l’émancipation des pays de l’Est, le Traité de Maastricht : en trois ans, l’Europe change de visage. Le spectre de la Guerre froide s’éloigne, l’Europe se recompose, l’Union

européenne s’impose, l’Alliance atlantique va devoir changer de mission. »324

Après la disparition du Rideau de fer, l’Occident se retrouve devant un dilemme crucial. D’une part, il souhaite consulter avec la Russie la décision de l’élargissement de l’OTAN aux pays centre-européens. D’autre part, il désir affirmer sa totale indépendance dans le nouvel ordre international. L’Allemagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Italie se proclament favorables à l’adhésion de nouveaux pays dans les structures occidentales. Les autres pays, (dont la France) restent plus réservés. Les Allemands, les Français et les Américains souhaitent un rapprochement avec la Russie, tandis que les Anglais restent neutres.

Les pays du Groupe de Visegrád s’affichent comme des leaders de la région en ce qui concerne leur adhésion aux structures occidentales. Malgré leur diversification, les pays

323 KANLERVO Hovi, The Neutrality of the Baltic States before the Second World War, Neutrality in History, Proceedings of the Conference on the History of Neutrality 9-12 septembre 1992, éd. par NEVAKIVI Jukka, Helsinki, 1993, pp. 147-153.

197 centre-européens sont pendant longtemps confrontés à la contrainte de se faire traiter de la seule et même manière325

ceci parce que l’Occident ne souhaite pas d’introduire de nouvelles divisions en Europe, dont il craint des effets négatifs suivants :

 la forte concurrence entre les pays postsocialistes et, par la suite, de nombreuses tensions entre eux ;

 l’affaiblissement de la coopération régionale ;

 le danger d’isolation des pays postsoviétiques qui se retrouvent seulement au début de leur démocratisation.

L’isolation des pays postsoviétiques peut les jeter de nouveau sous la domination de Moscou. L’Occident commet des erreurs dans sa politique envers ces pays, en les traitant comme des États entièrement autonomes, sans liens avec la Russie. Il se montre aussi très réticent à une intensification des contacts avec eux. En fait, par son comportement, l’Ouest montre que ces territoires restent de fait une zone d’influence russe. Cette politique semble encourager d’une façon indirecte, les tendances impérialistes de Moscou.326

Par conséquent, une ligne de division se concrétise tout de même.

Après le triomphe final dans la confrontation bipolaire, l’Occident doit passer un test d’efficacité de sa politique internationale envers l’Europe centrale. Voici les nouveaux défis qui s’imposent alors à lui :

 fixer la démocratie dans les pays centre-européens (leur adhésion aux structures occidentales en sera une garantie définitive ; la réussite des réformes dans cette région peut stimuler la tendance réformatrice dans les ex-républiques soviétiques) ;

 renforcer de la sécurité qui garantit la réussite des réformes ;  établir des liens transatlantiques ;

adapter le fonctionnement de l’OTAN ;

 élaborer un nouveau système de sécurité en Europe.327

325 KUŹNIAR Roman, Krajobraz po transformacji (Le paysage après la transformation), Między polityką a

strategią. Polska w środowisku międzynarodowym (Entre la politique et la stratégie. La Pologne dans l’environnement international), éd. par KUŹNIAR Roman, Varsovie, 1994, pp. 11-12.

326 KAMIŃSKI Antoni Z., Bezpieczeństwo polityczno-wojskowe Polski (La sécurité politique et militaire de la

Pologne), Bezpieczeństwo Polski w zmieniającej się Europie (La sécurité de la Pologne dans l’Europe en changement), éd. par KERN-JĘDRYCHOWSKA Monika, Varsovie-Toruń, 1994, p. 26.

327 KHALILZAD Zalmay, BRZEZIŃSKI Jan, Rozszerzenie demokratycznej strefy pokoju na Europę Wschodnią

(L’élargissement de la zone démocratique de paix sur l’Europe orientale), Sprawy Międzynarodowe (Affaires Internationales), n° 3, 1993, p. 39.

198 Si l’Occident n’arrive pas à profiter de sa victoire et du nouvel ordre international, son succès pourrait tourner en échec éthique, symbolique et même géopolitique. La réalisation des scénarios qui intègrent les pays centre-européens à la communauté occidentale dépend :

 des actions déjà effectuées ;

 de la détermination des élites au pouvoir ;  de l’approbation sociale.

Pourtant, les attentes centre-européennes ne sont toujours pas identiques aux intentions et aux intérêts des pays occidentaux. 328

Cependant, des changements systémiques et civilisateurs profonds continuent en Europe centrale.329 Dans ce contexte, les États-Unis appliquent la doctrine d’« élargissement » qui consiste à augmenter le nombre des pays démocratiques dans le monde et à lier l’Europe centrale que Washington soutient activement, à l’Ouest.330

À la fin des années 1990, l’Europe centrale reste instable à cause :  des conflits importants sur certains territoires ;

 d’une réorientation rapide et dynamique des relations entre les pays ;  de l’effondrement d’anciens liens dans la région ;

 de la création de nouveaux liens, y compris institutionnels ;  des mutations intérieures profondes.

Tous ces phénomènes augmentent la distance entre l’Occident et la région. Du point de vue géopolitique, les pays postsocialistes intègrent la zone occidentale ou la CEI dominée par la Russie, sans gagner des garanties de sécurité. Moscou choisit son propre chemin, plus attractif pour elle que le modèle démocratique occidental. Compte tenu de la spécificité et de l’histoire de cette puissance, il semble que son évolution puisse la porter vers un régime à caractère autoritaire.331

328 SKOTNICKA-ILLASIEWICZ Elżbieta, Powrót czy droga w nieznane? Europejskie dylematy Polaków (Le

retour ou le chemin vers l’inconnu? Les dilemmes européens des Polonais), Varsovie, 1998, pp. 23-25.

329 RYKOWSKI Zbigniew W., WINIARSKA Jolanta, Społeczny odbiór procesów integracji z NATO i Unią

europejską (Réception sociale des processus d’intégration avec l’OTAN et l’Union européenne), Bezpieczeństwo europejskie. Koncepcje, instytucje, implikacje dla Polski (Sécurité européenne. Conceptions, institutions, implications pour la Pologne), éd. par CZAPUTOWICZ Jacek, Varsovie, 1997, pp. 265-288.

330 KIWERSKA Jadwiga, Gra o Europę. Bezpieczeństwo europejskie w polityce Stanów Zjednoczonych pod

koniec XX wieku (Jeu pour l’Europe. La sécurité européenne dans la politique des États-Unis à la fin de XXᵉ siècle), Poznań, 2000, p. 53 et p. 170.

331 RYCHŁOWSKI Bogumił, Problemy bezpieczeństwa w warunkach geopolitycznych transformacji Europy

(Les problèmes de sécurité dans le contexte géopolitique de la transformation de l’Europe), Studia i Materiały Polski Instytut Spraw Międzynarodowych (Études et Documents de l’Institut Polonais des Affaires Internationales), n° 82, Varsovie, juillet, 1994.

199 Cette perspective pousse tout naturellement les pays centre-européens à adhérer le plus rapidement possible aux structures occidentales.332 Motivés par le caractère démocratique de ces institutions, ils souhaitent, grâce à leur intégration, renforcer la stabilité dans la région et la sécurité à l’échelle européenne. L’OTAN et les États-Unis soutiennent l’option transatlantique de la sécurité en Europe centrale.333

Mais une légère réticence des partenaires occidentaux au sujet de l’intégration européenne, suscite une certaine déception et frustration des pays centre-européens.

Durant les années 1990, l’Occident n’a pas de vision explicite comment remplir le « vide sécuritaire » en Europe centrale. La déclaration du sommet de la CSCE de 1992, intitulée « Les promesses et les incertitudes du changement » en est la preuve flagrante. Ce document ne cache pas des incertitudes et doutes concernant l’avenir : « Nous avons vu la fin de la Guerre froide, l’effondrement des régimes totalitaires et la faillite de l’idéologie sur laquelle ils étaient fondés. Tous nos pays tiennent désormais la démocratie pour le fondement de leur vie politique, sociale et économique. [...] Pourtant, l’héritage du passé continue de peser lourdement. Nous avons devant nous de nouveaux défis et de nouvelles possibilités,

mais aussi de graves difficultés et des déceptions. » 334

De nombreuses conceptions font leur apparition à cette époque. Une mise en place des formes qui remplaceraient les structures occidentales ne semble ni réelle ni nécessaire. Mais la coopération régionale n’est pas exclue bien qu’elle ne se présente pas comme une alternative à l’intégration européenne. Pourtant, certains analystes soulèvent que, sans la participation de l’Occident, les organisations du type « bis » risquent une certaine fragilité. On souligne l’efficacité de telles organisations régionales, tout en attirant l’attention sur leurs bonnes relations avec la Russie. D’un côté, Moscou risque de dominer ces organismes. De l’autre côté, absente de ces institutions, elle pourrait réagir défavorablement en face d’elles. Il semble clair que les accords politiques, économiques ou militaires signés dans cette région, dépendront de la Russie. Sur le plan économique, cette subordination pourrait se payer, par exemple avec des matières premières. Selon les élites intellectuelles de l’époque, l’Occident devrait rester très prudent.335

Toutes les tentatives qui consistent à organiser les systèmes régionaux de sécurité leur semblent inutiles et même préjudiciables. Selon leur avis, de tels

332 Zarys nowej architektury bezpieczeństwa (Le projet pour la nouvelle architecture de la sécurité), Polityka

europejska Rzeczypospolitej Polskiej – oceny i wskazania (La Politique européenne de la Pologne – opinions et recommandations), éd. par STEFANOWICZ Janusz, Varsovie, 1991, pp. 25-29.

333

KHALILZAD Zalmay, BRZEZIŃSKI Jan, Rozszerzenie demokratycznej strefy …, op.cit., p. 43.

334 Document d’Helsinki 1992, Les défis du changement, le document du sommet d’Helsinki, Helsinki [en ligne]. 1992, [réf. 06.04.2009], p. 3. Disponible sur : http://www.osce.org/fr/mc/39531.

335

KARKOSZKA Andrzej, Droga Polski do NATO (Le chemin de la Pologne vers l’OTAN), Bezpieczeństwo