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Grande marginalité et accessibilité à l offre sociale à Rennes: Enjeux et pratiques de la mobilité intra-urbaine

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Academic year: 2022

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Grande marginalité et accessibilité à l’offre sociale à Rennes: Enjeux et

pratiques de la mobilité intra-urbaine

Bertrand Tannoux Mémoire de quatrième année

Territoires et mutations de l’action publique

Sous la direction de

: Marc Rouzeau

2016-2017

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Marc Rouzeau pour ses conseils avisés et son soutien méthodique, tant pendant la période de recherche que pendant la construction de ce mémoire.

Je remercie également le Secours catholique de Rennes, sans qui je n’aurais pu mener ce travail à bien. Les maraudes et l’accueil de jour ont constitué une expérience profonde et inédite pour moi. Ces moments furent précieux.

Merci, enfin, aux personnes que j’ai rencontrées et qui ont toutes participé de près ou de loin à cette étude. Leurs informations et leur bienveillance constante ont été d’importantes ressources. Les bénévoles, les professionnels, les gens de la rue, je les remercie tous.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ... 5

Accessibilité et non-recours à l’offre sociale ... 7

La notion de mobilité ... 8

Présentation de la démarche empirique ... 10

Annonce du plan ... 12

I: La dispersion de l'offre sociale à Rennes : Construction historique d’un support politique 13 A) Emergence et construction socio-historique de la prise en charge de la question sociale à Rennes... 14

1) La question mendiante à Rennes sous l'ancien régime au XVIIIè siècle ... 14

2) L’exercice de la bienfaisance au XIXè ... 18

3) Le XXème siècle, l’ère assistancielle ... 23

B) Rendre compte de la dispersion organisée de l’offre sociale ... 28

1) Les démarches administratives, condition de l’accès aux droits ... 28

2) Les besoins de la vie quotidienne ... 30

3) Les questions de santé et d’hygiène ... 33

C) L’épreuve de la mobilité, forger la réinsertion ... 36

1) La politique de la mise en mouvement, le combat sdf ... 36

2) Le refus d’une « grande maison de la pauvreté » ... 39

3) La configuration établis-marginaux, penser autrement l’hétérogénéité sociale ... 41

II: L’accessibilité des structures d’aide sociale à l’aune de la mobilité ... 48

A) Distance et mobilité : Distance sociale et distance spatiale ... 49

1) Les enjeux de la mobilité des précaires ... 49

2) Le rôle des opinions dans la « non-demande » ... 51

3) La distanciation à l’offre sociale ... 53

B) La mobilité, une catégorie explicative du non-recours ? ... 56

1) Les dispositifs d’aide à la mobilité ... 56

2) Le non-recours aux dispositifs d’aide à la mobilité ... 58

3) La marche vers l’offre sociale, la mobilité de tous ... 61

C) Adapter l’offre sociale : l’avènement de l’aller-vers ... 63

1) L’aller-vers associatif, tentative de palliation du problème de la mobilité ... 63

2) Le renouvellement du logiciel, l’aller-vers jusqu’à l’intérieur des murs ... 66

CONCLUSION GENERALE ... 69

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LISTE DES ABREVIATIONS

AIS : Association pour l’insertion sociale

APRAS : Association pour la promotion de l’action et de l’animation sociale ARSEA : Associations régionales de sauvegarde de l’enfance à l’adolescence ASFAD : Association pour les familles en difficulté

CAO : Coordination accueil orientation CCAS : Centre communal d’action sociale CDAS : Centre départemental d’action sociale CHU : Centre d’hébergement d’urgence

CHRS : Centre d’hébergement et de réinsertion sociale CMU : Couverture médicale universelle

CREAI : Centre de recherches et d’études, d’actions et d’informations ESI : Espace solidarité insertion

FBSEA : Fédération bretonne de la sauvegarde de l’enfance à l’adolescence INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques

ODENORE : Observatoire des non-recours aux droits et services PPI : Pôle précarité insertion

RSA : Revenu de solidarité active

SAMU : Service d’aide médicale urgente SDF : Sans domicile fixe

SEA : Sauvegarde de l’enfance à l’adulte

SIAO : Service intégré d’accueil et d’orientation STIF : Service des Transports d’Île-de-France TST : Tarification sociale des transports

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INTRODUCTION

« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front, […]

Ceux qu’on ne connaît pas, ceux qu’on ne compte pas, Ceux qui perdent les mots, les volontés, les pas. » Victor Hugo, Extrait de « Les châtiments » (1848)

Selon l’INSEE, les sans-domiciles ou sans-abris sont « des personnes qui ne disposent d’aucun lieu couvert pour se protéger des intempéries ». Ce sont donc des individus qui dorment à l’extérieur ou qui occupent un abri de fortune. Une personne est dite sans-domicile si elle est prise en charge par un organisme fournissant un hébergement, ou si elle dort dans un lieu non prévu pour l’habitation. Il n'y a pas de profil type : hommes, femmes, actifs, inactifs, français, demandeurs d’asile, personnes jeunes ou âgées… Les SDF forment ainsi un groupe extrêmement hétérogène aux parcours très différents. A ce titre nous utiliserons dans cette étude différents termes pour évoquer l’idée de marginalité. Que l’on parle de grands précaires, de marginaux, de sans-abris ou de SDF, tous sont en situation d’instabilité sociale et vivent « à la marge ».

Historiquement, il y a eu un glissement opéré dans la perception des personnes sans-abris. Les

« vagabonds » étaient perçus comme des individus déviants, et étaient réprimés pour cela. Cette

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6 représentation du « clochard » et la répression qui en découlait a laissé place à celle du SDF, d’une personne vivant une rupture sociale, au quotidien. Il faut attendre l’année 1994 pour que disparaissent du Code Pénal les articles condamnant la mendicité. Cela marque la fin de la répression dans la législation mais elle n’a, dans sa forme passive, néanmoins pas disparu : Le mobilier urbain anti-SDF, comme les piques au sol là où on ne souhaite pas qu’ils s’établissent, sont le penchant répressif des politiques d’assistance développées par ailleurs.

La littérature sur la question permet également d’appréhender les enjeux propres à la question SDF et les problématiques auxquelles les politiques publiques, tout comme les publics concernés, doivent faire face. Elle est unanime sur la multiplicité de l’offre sociale et l’insuffisance, voire l’absence, de solutions durables dans la gestion de ce problème social. Mais les approches théoriques et empiriques divergent. Certains s’intéressent aux SDF au niveau microsocial, à leurs parcours personnels ; d’autres analysent ce problème social comme un problème éminemment publique et se concentrent plutôt sur les politiques ou les représentations à l’œuvre.

Ceux qui adoptent une approche individuelle expliquent avant tout la situation des SDF par leur vulnérabilité psychologique, tandis que pour d’autres c’est le contexte socio-économique qui prime. Julien Damon souligne à ce titre le rôle prépondérant de phénomènes structurels tels que la fin des Trente Glorieuses et le ralentissement de la croissance, l’éclatement de la cellule familiale ou encore la crise des migrants… Dans la suite de Georg Simmel qui observait que l'étude des pauvres, et donc a fortiori des sans-abris, constituait une « synthèse sociologique unique », pour Damon « la question SDF est un concentré de tous les problèmes sociaux et urbains contemporains

». En avançant l’idée d'interdire aux SDF de dormir dans la rue, il parle de possibilité d’atteindre l’objectif « zéro SDF ». Cette mesure coercitive se justifierait par le principe de non-assistance à personne en danger1.

Pour Stéphane Rullac, les acteurs que sont les SDF font évidemment parti intégrante du tissu social.

Et si les représentations à l’œuvre dans la société se focalisent sur leur état de déchéance relatif, il rappelle que ce sont des êtres humains, capables d’user de leur libre arbitre. Bien qu’ils ne soient

1DAMON, J. Zéro SDF : un objectif souhaitable et atteignable, Droit social, n°3, 2008

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7 pas nécessairement en mesure de se réintégrer d’eux-mêmes, la gestion du sans-abrisme ne peut pas être exclusivement pensée par le haut2, au risque de ne jamais rectifier les insuffisances de la protection sociale.

Accessibilité et non-recours à l’offre sociale

Ces insuffisances se matérialisent et se manifestent par un phénomène de non-recours à l'offre de protection sociale. Dans « Le non-recours aux politiques sociales » (2016), Philippe Warin dresse une typologie du non-recours. Cette question a fait l'objet d'un rapport d'information du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques en faveur des droits sociaux, preuve s'il en est que les situations de non-recours sont perçues comme des défaillances de politique publique qu'il est attendu de corriger. A l'origine, le non-recours était étudié sous l'angle des prestations sociales financières, comme le non-recours au Revenu de Solidarité Active par exemple. Dans le cas des sans-abris, nous pouvons certes être face à des situations de non-recours aux prestations financières, mais également à des solutions d'hébergement ou d'alimentation.

La non-connaissance, la non-demande et la non-réception forment la base d'un modèle d'analyse dynamique permettant d'effectuer des combinaisons d'explication. L’existence d'un phénomène de non-recours pose la question de la dimension politique de l'offre sociale3. Celle-ci se signale tant lorsque des sans-abris expriment un désintérêt ou un désaccord pour l'offre, que lorsque le non- recours est le fruit d'impossibilités. Dans cet ouvrage, Philippe Warin discute du constat selon lequel le non-recours est aussi le fruit d’une appréciation de l’offre publique en étudiant la dimension politique de celui-ci, au sens où il peut être le résultat d’une décision rationnelle des personnes sans-abris susceptibles de recourir aux structures d’aide. Mais tout non-recours ne résulte pas nécessairement d’un acte politique de non-demande.

Dans “Inégalités d’accès aux systèmes de protection sociale et pauvreté culturelle”, article fondateur pour l’étude du non-recours, Antoinette Catrice-Lorey écrit “le non-recours des plus

2 RULLAC, S. Critique de l'urgence sociale : Et si les SDF n'étaient pas des exclus ? , 2006

3 WARIN, P. Le non-recours aux politiques sociales, Presses Universitaires de Grenoble, 2016

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8 défavorisés a certains types de service renvoie à leur mode de vie spécifique ainsi qu’aux modèles culturels qui façonnent leur existence.”4 Comme Philippe Warin l’écrit dans son ouvrage cité précédemment, certains professionnels ne sont pas “disposés à considérer que les publics, surtout quand ils sont “pauvres”, peuvent avoir des raisons de ne pas avoir envie des aides et dispositifs, et d’exprimer un refus par conséquent”. Or les situations de non-recours sont pour une large part dues “au jeu des facteurs socioculturels.” et non à un simple refus imputable à une volonté de rester digne et autonome même dans une situation précaire. En effet, la conception du temps, l’attitude de retrait face aux relations sociales, le rejet des systèmes organisés, abstraits, l’ignorance des équipements, l’éloignement généralisé conséquent de l’exclusion sont autant d’éléments socioculturels qui agissent comme des freins chez les catégories précaires.

La question du non-recours et réciproquement de l’accessibilité à l’offre publique est vaste et recouvre nécessairement plusieurs aspects renvoyant chacun à des explications différentes. Il ne peut s’agir ici de faire état et d’analyser les situations de non-recours à Rennes dans leur globalité, mais bien de circonscrire l’étude à une variable pouvant influer ou non sur l’accessibilité : la mobilité intra-urbaine des sans-abris rennais.

La notion de mobilité

La définition juridique du vagabondage à travers les siècles est marquée par une obsession de la mobilité et de la sédentarité. Dans le code pénal de 1802 (art. 270), les vagabonds sont aussi désignés sous l’appellation de gens sans aveu. C'est une notion féodale qui complète l’idée de mobilité et porte l’expression du déficit d’appartenance à un territoire. Autrement dit, les gens sans aveu sont ceux qui sont sans attaches, ceux qui échappent à l’inscription territoriale par leur mode de vie nomade. De toutes ces caractéristiques, les sans-abris actuels sont en quelque sorte légataires. Cette présomption de mobilité est au cœur des représentations courantes et savantes qui concernent les SDF. Il en est de même au Québec où « l’itinérant » porte dans sa désignation un fort préjugé de mobilité qui ne se vérifie pas nécessairement dans la réalité. Celui qui est privé de domicile est invariablement perçu comme l’incarnation de l’exclusion totale ; la mobilité qu’on lui

4 CATRICE-LEROY, A. Inégalités d'accès aux systèmes de protection sociale et pauvreté culturelle, Revue française des affaires sociales, Vol. 30. N°4, 1976. PP. 127-137

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9 attribue laisse supposer qu’il est en dehors de tout lien, qu'il est déterritorialisé. La mobilité est d’ordinaire définie dans deux sens, d’abord comme l’ensemble des mouvements effectifs, ensuite comme le potentiel de déplacements désigné également sous l’appellation de motilité.

Dans « Fixes sans domicile, réflexions autour de la mobilité des SDF », Djemila Zeneidi-Henry et Sébastien Fleuret n'étudient pas cette notion de motilité, c’est-à-dire de mobilité en termes de capacité, mais se concentrent plutôt sur les mouvements réalisés. Ils ont opté pour une approche élargie de la notion de mobilité. Au-delà des déplacements physiques, la mobilité est envisagée comme un révélateur des relations sociales et du positionnement des individus. La mobilité renvoie à l'espace, et l’entrée choisie dans cette étude dépasse l’approche fondée sur le seul potentiel économique. Elle mobilise le registre des représentations des individus autour des espaces visés, des significations qui s’élaborent dans les interactions sociales et en référence à des normes. En ce qui concerne les mouvements inter-urbains, ils constatent combien les mobilités sont faibles : la grande majorité des personnes rencontrées sont originaires de la région ou du département (région Pays de la Loire)5 . Seules quelques-unes proviennent des régions limitrophes et de la région parisienne. Ces faibles déplacements contredisent la thèse de l’errance généralisée, ce qui nous conduit à nous interroger sur le sens de cette faible mobilité.

Loin de l’image des SDF déracinés, ils mettent en lumière des choix de sédentarité. Le caractère rationnel des localisations des individus est manifeste. C'est un point que Damon évoque dans la question SDF, il faut selon lui accorder « la plus grande importance » aux raisons des acteurs, aux différents degrés de rationalité qui guident leur action. Nier la rationalité de ces acteurs serait un risque pour le caractère scientifique de l'étude menée. En effet « l'acteur social SDF » ne fait pas que subir. Il s'adapte, innove, raisonne et justifie ses choix. Les sans-abris visent des fins, doivent choisir où aller en fonction d'une offre de services au contour flou, éparpillée, et élaborent des croyances auxquelles ils adhèrent. Ils mettent en place des stratégies de survie, ont des opinions des idées et des valeurs poussant à effectuer des choix qui peuvent être mal compris (comme lorsqu'ils refusent d'être hébergés pour préserver leur dignité plutôt que leur intégrité).

5 ZEINIDI-HENRY, D. et FLEURET, S. « Fixes sans domiciles, réflexion autour de la mobilité des SDF », dans Revue L’espace géographique, Tome 36, 2007. pp.1-14

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10 Point encore évoqué par Damon : Les représentations des SDF oscillent toujours entre « le méritant » et « le fainéant », « l'insérable » et « l’inemployable », le « vrai » et le « faux ».

Oscillation que l'on retrouve dans les politiques publiques, entre hospitalité et hostilité. D'un côté le développement des Centres Communaux d'Action Sociale où les diverses politiques d’aide à l’hébergement, de l'autre les arrêtés anti-mendicités ou les plans urbains dont l'objectif à peine voilé est d'éloigner les SDF des zones centrales de la ville. Cela révèle les ambivalences à l'œuvre dans une municipalité, et le taux de tolérance plus ou moins élevé face à ce qui est encore aujourd'hui perçu comme une forme de déviance, au sens de distanciation à la norme plutôt qu’une critique morale.

A Rennes Jean Rio, directeur du pôle précarité-insertion à la Sauvegarde de l’enfant à l’adulte (SEA) affirme en 2006 :

« Il ne s’agit pas que les errants à Rennes s’installent à Rennes. Nous mettons en place des dispositifs pour les accueillir dans les meilleures conditions. Cela dit, l’objectif est bien que les gens rebondissent, ne stagnent pas dans la rue ; il faut qu’ils s’en sortent »6.

De fait, le CCAS a délégué une grande partie de ses compétences à cette association qui existe en Ille-et-Vilaine depuis la moitié du dix-neuvième siècle. On voit donc se dessiner en filigrane l'idée selon laquelle l'aide se mérite, qu'il faut se déplacer et prouver sa volonté de réinsertion. Pour prouver sa bonne foi, le sans-abri se doit d'être mobile.

Présentation de la démarche empirique

La gestion publique des sans-abris à Rennes est un processus de gouvernance multi-niveaux, identifiable par la complexité et la multiplicité des systèmes d’acteurs qui influencent la prise de décision et la gestion. Travailler sur la question SDF à Rennes implique donc d’analyser tous les acteurs (publics et privés) à tous les niveaux (individuel, quartier, ville) et à toutes les échelles d’action (SDF, maraudeurs, bénévoles, travailleurs sociaux, responsables, élus). Le but a été de comprendre et appréhender les réseaux d'acteurs, leur articulation géographique et leur accessibilité

6BOUGEARD, N. «Le po le pre carite et insertion, une structure multi-carte » dans Revue Lien social, N°784, 2006

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11 tout en gardant le prisme de la mobilité intra-urbaine des sans-abris de Rennes. Cette complexité de l’action publique comme réponse à la question sans-abri illustre la définition donnée par le politiste Patrick Le Galès :

« L’action publique se caractérise souvent par du bricolage, de l’enchevêtrement de réseaux, de l’aléatoire, du brouillage de secteurs, une multiplication d’acteurs, des contraintes diverses, des finalités multiples, de l’hétérogénéité, de la transversalité des problèmes, l’agrégation d’acteurs hétérogènes, de changements d’échelles des territoires de référence, l’ajustement d’intérêts sociaux contradictoires, la complexification des instruments d’intervention »7

Le choix du terrain a donc dû prendre en compte cette organisation complexe, en strates, dispersée tant au niveau géographique qu'à celui des compétences et des missions relatives à la gestion des sans-abris.

Dans la mesure où la problématisation nous a amené à étudier l'accessibilité de l'offre sociale, il était nécessaire de s'insérer dans les structures d'offre. C'est à l'accueil de jour du lundi après-midi du Secours catholique que j'ai pu commencer l'observation et l'enquête. Cela a été l'occasion d'y prendre position en tant que bénévole, me conférant la possibilité d'effectuer des observations participantes hebdomadaires. Ce bénévolat a permis de me légitimer auprès des autres bénévoles et professionnels, qui m'ont ainsi ouvert d'autres portes pour mieux rendre compte de l'offre sociale rennaise, comme par exemple en m'introduisant auprès de travailleurs sociaux évoluant dans des structures différentes. Pour diversifier les publics rencontrés, j’ai également pris part aux maraudes du Secours catholique car il est rapidement apparu que je resterais confronté aux mêmes personnes si je me circonscrivais à l’accueil de jour.

Cette observation participante qui totalise environ quatre-vingts heures de présence sur le terrain a été complétée par la réalisation d’entretiens avec un panel diversifié d’acteurs de la question sociale : bénévoles, travailleurs sociaux associatifs, fonctionnaires, élus. Cela m’a donné à voir la pluralité des opinions et des visions relatives au problème public que constitue l’accès aux droits sociaux. Les perceptions, les manières d’envisager les problèmes et leurs solutions diffèrent selon

7LE GALES, P. Le retour des villes européennes, Les presses de Sciences Po, 2003 p.160

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12 la position que ces acteurs occupent. En toute théorie, l’ensemble des acteurs agissent dans la même optique de faciliter l’accès aux droits et par la suite l’intégration sociale. Mais la nature des réponses données par ces acteurs au cours des entretiens varient. Les bénévoles font plutôt part de leurs observations empiriques, les élus ont des éléments de langage plus techniques et les travailleurs sociaux rendent compte de leur expérience en mêlant impressions empiriques et analyses des mécanismes à l’œuvre. Je n’ai pas interrogé de SDF de manière conventionnelle, en m’asseyant avec eux et en suivant un guide d’entretien. Même après plusieurs semaines à côtoyer les mêmes personnes, il restait ambitieux d’attendre de l’un d’eux qu’il réponde à mes questions pendant plus d’une demi-heure. Cela m’a forcé à mener des entretiens informels qui ont eu le mérite d’être nombreux, ce qui a peut-être pallié à la durée réduite de chacun d’entre eux.

Annonce du plan

 La dispersion de l’offre sociale à Rennes

Pour rendre compte de la nature et de la teneur de l’offre sociale rennaise, il m’a fallu étudier la construction socio-historique de celle-ci, avant de me pencher sur son état actuel et de montrer sa dispersion géographique. J’ai ensuite souhaité montrer que bien que la dispersion de l’offre puisse paraitre fortuite à plusieurs égards, en partie à cause des contraintes relatives à l’espace urbain et à la construction de l’offre à une époque où la notion d’accessibilité était peu voire pas prise en compte, celle-ci sert les intérêts des pouvoirs publics en ce qu’elle fait office de support à une politique de mise en mouvement des personnes « marginales ».

 L’accessibilité des structures d’aide sociale à l’aune de la mobilité

Pour comprendre les implications de la dispersion organisée de l’offre sociale, il était indispensable d’étudier son accessibilité par le prisme de la mobilité intra-urbaine. Cette mobilité est intuitivement perçue comme un prérequis pour avoir accès à l’offre sociale puisqu’a été démontrée

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13 sa dispersion, mais il ressort qu’elle ne constitue pas la source principale du non-recours. Si effectivement la distance géographique peut avoir des conséquences sur l’accessibilité, il apparait que la mobilité n’est pas une contrainte en soit. La décision de se mouvoir intervient en amont, et prend racines dans des dispositions plus complexes que la simple difficulté à se montrer mobile.

I : La dispersion de l'offre sociale à Rennes : Construction historique d’un support politique

Au cours de mon enquête, j’ai pu constater la dispersion de l’offre sociale rennaise, en me rendant dans plusieurs structures éparpillées dans la ville comme l’accueil de jour du Secours catholique, le restaurant social Leperdit, que l’on appelle « Le Fourneau », ou encore l’antenne centre-ville du CCAS. Les professionnels, élus et bénévoles m’ayant accordé un entretien furent également unanimes sur la question, bien que toutes les explications n’aillent pas dans le même sens.

Pour comprendre la dispersion de l’offre sociale telle qu’elle existe aujourd’hui, le passage par l’Histoire sociale rennaise paraissait inévitable. J’ai choisi une approche chronologique qui débute au XVIIIème siècle car c’est celui qui marque un renouveau dans le traitement de la « question mendiante » -puisqu’on ne peut parler de « question SDF » à cette époque- ; notamment de par l’apparition des bureaux de charité. Cela a été l’occasion de recourir aux archives départementales et municipales, car l’Histoire sociale de Rennes n’a que peu été étudiée, particulièrement en ce qui concerne le XIXème et le XXème siècle.

En outre, il fallait rendre compte de l’offre sociale contemporaine qui est abondante et éparpillée dans la ville. Les services et structures pour manger, dormir, se laver, effectuer ses démarches sont disposés de part et d’autre de Rennes. En annexe se trouvent trois cartes qui montrent la dispersion géographique à l’œuvre à Rennes.

Enfin, cette dispersion est un des supports d’une politique publique de mise en mouvement des publics marginaux, pensée comme un moyen de réduire les phénomènes de marginalité dans

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14 l’espace publique.

A) Emergence et construction socio-historique de la prise en charge de la question sociale à Rennes

Nul-part pouvons-nous trouver trace d’une volonté historique, publique ou privée, d’implanter et d’administrer des structures d’aide sociale de manière dispersée dans la ville de Rennes. Cette dispersion s’est faite sur le temps long, à la faveur des acquisitions immobilières des bienfaiteurs notamment.

1) La question mendiante à Rennes sous l'ancien régime au XVIIIè siècle

a) L’apparition des bureaux et ateliers de charité, l’encouragement à l’assistance

Turgot en 1774 puis Necker en 1777 vont faire de l'assistance une affaire d'Etat. Il est exigé que soient réunis dans des « Bureaux de charité » tous les fonds de charité existants. Ces bureaux héritent ainsi de la lourde tâche de porter secours aux pauvres qui « s'en montrent dignes »8. Les recteurs et curés exhortent les fidèles à donner leur aumône aux bureaux et non aux mendiants, « et si possible tous les mois ». Il y a donc une forme de cotisation non-obligatoire qui se met en place à la fin du 18ème siècle, avec une rationalisation du processus d'assistance. On essaie même d'obtenir des seigneurs qu'ils concèdent des parcelles de terre que les mendiants pourront cultiver avec le matériel prêté par le bureau local de charité. Tous les dimanches, de la Toussaint à la mi- juillet, des distributions de pain et vêtements sont mises en place. Cependant, les pouvoirs publics n'octroient aucun moyen pour mettre en œuvre ces dispositions. Il ne s'agit donc ici que « d'incitations qui n'ont de succès que là où existent les bonnes volontés et les moyens »9. Les bureaux sont composés d’un recteur, qui en est le directeur, et de dames charitables qui auront chacune un quartier à visiter. Chaque année doit être dressé l’état des pauvres, mentionnant pour chaque famille

8CHAPALAIN-NOUGARET, C. Misère et assistance dans le Pays de Rennes au XVIIIème siècle, Editions Cid, p.260

9Ibid, p.261

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15 le nombre d’enfants à charge ainsi que la raison de leur misère.

Alors que les bureaux ont plutôt pour tâche de distribuer nourriture et vêtements, Turgot redonne une impulsion aux ateliers, appliquant le principe d'assistance par le travail. Dans les villes, le chômage ne revêt pas un caractère saisonnier comme dans les campagnes. S'affirme ainsi une notion plus continue de l'assistance dans ces zones. En 1775 à Rennes, Mr Jolivet et Mr Dacosta, tous deux négociants, sont chargés de faire des approvisionnements de chanvre et de lin afin que des femmes pauvres puissent les filer. Ce sont mille femmes, payées 6 sous par livre de chanvre filé, sur les fonds du Roi, qui sont ainsi employées dans cet atelier. Par la suite, le curé de l'église saint-Germain à Rennes créé un deuxième atelier de filature en 1788 où il emploie sept à huit cents personnes.10 Les ouvriers (de tout âge et de sexes différents) y vivent, leurs enfants y reçoivent des cours de lecture et d'écriture, ainsi que de religion. C'est un atelier pour volontaires, fournissant tous les moyens nécessaires à l'existence. Il s'agit de s'extirper de sa condition de mendiant par le travail, quand bien même celui-ci n'est pas rémunéré par de l'argent, mais par du pain et un toit. La fin du 18ème siècle marque donc le début de l’assistance publique envers les populations mendiantes.

b) La structure hospitalière, clef de voûte permanente du traitement de la question mendiante

i) Typologie des hôpitaux au XVIIIè siècle

Il existe au dix-huitième siècle trois types d’établissements hospitaliers qui se distinguent par leur attribution, leur fondation et leur localisation.

Ce sont les Hôtels-Dieu qui sont les plus anciens, puisqu’ils remontent au Moyen-âge. Ils sont fondés soit par un ecclésiastique, comme l’hôpital saint-Yves à Rennes, soit par les seigneurs du lieu comme à Vitré et Fougères. D’abord administrés par la cité au XVIè siècle, ce sont les religieuses augustines de la Miséricorde de Jésus qui se les verront confiés à partir du XVIIè siècle.

Les hôpitaux généraux apparaissent également au XVIIè siècle, avec l’appui du gouvernement. Ils servent au renfermement des mendiants natifs de la ville, ou y habitant depuis cinq ans.

Progressivement, cette fonction répressive a évolué et les hôpitaux généraux sont devenus des

10Ibid, p.264

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16 hospices hébergeant les vieillards, les adultes infirmes ou invalides, les enfants. Le renfermement ne s’appliquait alors plus que pour les fous, les prostitués ou les gens au comportement violent.

Enfin, les hôpitaux proprement dits recevaient tous les malades et indigents sans distinction, avec pour seule limite le peu de places disponibles pour un accueil non spécialisé. Ces établissements sont relativement récents au regard des Hôtels-Dieu puisqu’ils remontent tous, en région rennaise, à l’extrême fin du dix-septième siècle ou au début du dix-huitième. L’hôpital de Chantepie est ainsi construit en 1696, celui d’Availles (aujourd’hui Availles-sur-seiche) en 1702, et celui d’Hédé en 1712.11

ii) Localisation et fonction des hôpitaux

La répartition territoriale des hôpitaux était inégale. À la fin du dix-huitième siècle, sur deux cent quinze localités du diocèse, seules dix sont en capacité de proposer un secours hospitalier.

Dans la mesure où chaque hôpital prétend ne recevoir que les individus de sa localité, ce sont 230.000 habitants sur les 300.000 que compte le diocèse qui n’ont pas accès aux structures hospitalières. D’autre part, les établissements existants ne sont qu’à peine suffisant pour leur localité. Les 1777 lits disponibles dans le diocèse ne suffisent pas, et les Hôtels-Dieu ont recours, quotidiennement ou presque, à la pratique du doublage voire du triplage, qui consiste donc à installer deux ou trois personnes dans un même lit.

Sur les 1777 lits disponibles dans les hôpitaux de la région rennaise, 1353 le sont au profit des pauvres, ce qui représente 76% de la capacité hospitalière. Cette dernière laisse donc apparaitre sa fonction « régulative de l’ordre social », particulièrement accentuée à Rennes puisque la moyenne nationale de la proportion de pauvres dans les établissements hospitaliers se situe autour de 62%12. Ce sont donc les hôpitaux qui constituent le socle du traitement de la question mendiante à Rennes, et en France, au dix-huitième siècle.

c) L'apparition des établissements indépendants, l'irruption de la sphère privée

11 Ibid, p.274

12 Ibid, p.279

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17 L’assistance publique présentant des manques, il fallait l’intervention d’initiatives privées pour y pallier. À Rennes, trois établissements indépendants des hôpitaux voient le jour au XVIIème et XVIIIème siècle : le Bon Pasteur, la Trinité et la Sagesse. La Trinité est la première maison à être fondée, à la suite d’un arrêt du Parlement de 1651 ordonnant la construction d’un établissement clôturé pour les « filles débauchées », et la seule à être le fruit d’une volonté publique. Les autres maisons ne doivent leur création qu’à la volonté de leurs fondateurs. Ces établissements indépendants sont installés en ville, là où les bienfaiteurs potentiels sont les plus nombreux. Les fondateurs font d’abord l’acquisition d’une maison et de parcelles de terre pour doter leur établissement, puis vient le moment de l’organisation proprement dite. Généralement, le fondateur administre lui-même la maison qu’il a fondée, au moins pour les premiers temps. L’évêque, en tant que plus haute autorité spirituelle du diocèse, joue un rôle essentiel dans l’administration des établissements privés. Ainsi, Monseigneur de la Vieuville reprend à son compte l’œuvre de la Trinité après l’abandon de l’établissement en 166513 par Madame Brandin, et c’est Monseigneur Turpin qui chasse en 1724 les « demoiselles laïques » pour confirmer les religieuses de la Sagesse.

Chacune de ces maisons a donc à sa tête l’évêque du diocèse, qui peut visiter les établissements et en est leur curateur. Les établissements rennais sont tous passés sous la conduite de religieuses au cours du XVIIè siècle. Trois ordres locaux se partagent les établissements : Les filles de la Sagesse, les filles de Notre-Dame de la Charité et les filles du Bon Pasteur. Ces établissements perçoivent des revenus différents en fonction de leur nature. La Trinité tire par exemple l’essentiel de son revenu des pensions que le Roi, les villes ou les familles lui versent pour ses « détenues ». L’autre partie du revenu de ces établissements provient des travaux de leurs habitantes, qui tricotent des bas ou récoltent des fruits. Ces revenus servent essentiellement à entretenir les pensionnaires tout en s’acquittant des droits seigneuriaux, obligation que l’on ne retrouve pas pour les établissements hospitaliers par exemple. Ces fondations marquent donc l’avènement de l’assistance privée, ne dégageant pas ou peu de profit, et servant de complément à l’action des hôpitaux à l’œuvre par ailleurs.

13 Ibid, p.337

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18

2) L’exercice de la bienfaisance au XIXè

« Du cloaque des misères humaines, notre troisième république a fait croître comme un rosier d’avril né d’un cercueil, toute une floraison de lois d’assistance »14

a) La bienfaisance à Rennes

i) Le bureau de bienfaisance

Selon le règlement du Bureau de Bienfaisance paru en décembre 1866, ce dernier a pour mission de gérer et répartir les sommes produites par les biens lui appartenant et celles mises à sa disposition par l’autorité administrative ou par les particuliers. Il doit en outre distribuer aux indigents, qui remplissent les conditions, les secours dont la nature et la quotité sont autant que possible, et en fonction des ressources du Bureau, mises en rapport avec leurs besoins.15 Il est placé sous la direction d’une commission administrative composée du Maire et de quatre membres nommés par le Préfet. Cette commission est assistée par les religieuses de Saint-Vincent de Paul avec lesquelles un traité a été conclu à la création du Bureau.

Dans un commentaire du règlement en date de l’année 1868, on fait état du souhait de voir Rennes divisée en quatre circonscriptions formant chacune un Bureau de Bienfaisance auxiliaire. En 1887, on constate que le Bureau de Bienfaisance est resté unique. La ville de Rennes comptant sept paroisses, chacune d’elle constitue alors une circonscription « à laquelle est spécialement attachée une sœur chargée de visiter les pauvres, les malades et de leur porter à domicile les secours dont ils ont besoin ». Selon l’article 15 du règlement cité par Martine Joly, « les sœurs hospitalières de Saint-Vincent de Paul sont spécialement chargées de visiter les indigents à domicile et de leur distribuer les secours. Elles prennent des renseignements sur la position des familles qui sollicitent des secours, consignent leurs observations sur un bulletin imprimé joint à a toute demande d’admission et font leur rapport à la commission ». Ainsi, ces sœurs apparaissent comme la cheville ouvrière du Bureau de Bienfaisance, en assurant les tâches relatives au fonctionnement, et en

14 NEYBOUR, J. « Une expe rience sociale : la Loi d’assistance du 14 Juillet 1905 », dans La revue socialiste, n°279, mars 1908, pp. 237-247

15 JOLY, M. « Indigence et socie te de bienfaisance a Rennes de 1860 a 1914 », me moire d’Histoire sous la direction de LEONARD Jacques, Rennes, Universite de Haute Bretagne, 1976, p.64

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19 prenant part tant aux décisions qu’à leurs exécutions. Le bureau de bienfaisance n’est donc ni un organisme privé, ni un service public municipal à part entière. C’est une structure laïque en relation étroite avec une communauté religieuse.

Le bureau de bienfaisance apporte différents secours que l’on peut classer en six catégories distinctes :

-Secours alimentaire : Viande cuite ou crue, pain (à raison de maximum 5 kilos par semaine et par personne), soupe.

-Médicaments : Médicaments proprement dits, mais aussi bouillons, bandages -Chauffage : Fagot et charbon, du 1er novembre au 1er mars

-Linge : Draps, vêtements

-Secours pécunier : Bons pour les loyers, au nom des propriétaires

-Apprentissage : Un maître ouvrier prend en charge les enfants des deux sexes entre 12 et 15 ans, sans rémunération mais avec la garantie d’être entretenus

Ces secours sont soumis à des restrictions, les denrées alimentaires ne sont fournies qu’en cas de maladie constatée ou pendant la « mauvaise saison » (de novembre à mars), le linge n’est que prêté et les approvisionnements en chauffage et en pain ne peuvent être réalisés que dans un cadre budgétaire stricte suivant les conditions les plus avantageuses.16

ii) Le financement de la bienfaisance

Le Bureau de Bienfaisance de Rennes perçoit des revenus. Ces derniers proviennent de loyers d’immeubles, d’une grande partie de rentes sur l’Etat dont la nature reste inconnue, de rentes sur les hospices ainsi que d’intérêts sur des fonds placés. En outre, la ville donne une subvention à hauteur du tiers des recettes totales. Des spectacles ont également lieu, pour lesquels le Bureau touche des droits. Une partie non-négligeable des recettes provient de dons, quêtes, aumônes, ou

16 Ibid, p.86

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20 bien fêtes de bienfaisance. Pour l’année 1885, sur les 97 436 francs de recettes totales, 30 000 proviennent de la ville17 , le reste relevant du privé, dotations, rentes... Les fonds privés sont dominants, et de ce fait la municipalité ne dispose que d’un faible droit de regard sur les comptes du Bureau ainsi que sur sa manière de conduire la politique de bienfaisance. La situation est paradoxale car le Maire de Rennes est le « Président-né » du conseil d’administration du Bureau.

Ce droit de regard limité de la sphère publique a pu mener à une gestion, sinon malhonnête, pour le moins peu claire. En effet, en 1868, les recettes déclarées par le Bureau s’élèvent à 52 461 Francs, dont 51 243 seront dépensés. Or le Bureau perçoit cette année-là une somme de 35 000 Francs dont il n’est fait état ni dans les recettes ni dans les dépenses. Cette somme a peut-être été utilisée pour améliorer le patrimoine du Bureau, ce qui ne rentrerait pas dans les dépenses de fonctionnement.

Dans tous les cas, il est impossible de retrouver trace de l’utilisation de cette somme.18

b) Les fourneaux économiques

Dès 1855 et jusqu’à l’année 1872 au moins, les maires de Rennes ont envoyé des lettres aux édiles de différentes villes françaises et belges, pour s’enquérir de l’éventuelle existence de fourneaux économiques dans ces villes, ainsi que leur mode de fonctionnement le cas échéant. Les lettres de réponses des maires de Bordeaux, Bruxelles, Reims, Marseille ou encore Lille montrent que l’assistance alimentaire municipale n’en était, à l’échelle nationale, qu’à un stade expérimental.

Dans une lettre du 18 décembre 1871 signée par le deuxième adjoint de la ville de Bordeaux, ce dernier écrit : « Par votre lettre du 14 de ce mois, vous me faites l’honneur de me demander s’il existe à Bordeaux des fourneaux économiques. À votre question je ne puis répondre que négativement. »19 En revanche, Lille, Marseille ou encore Reims ont répondu positivement aux demandes du Maire Pierre Martin, nommé par Adolphe Thiers après la guerre franco-prussienne de 1870-1871.

À Rennes, la première société de fourneaux économiques est créée à l’hiver 1879 à l’initiative

17 Ibid, p.110

18 Ibid, p.113

19 Lettre adresse e au maire de Rennes par le cabinet du maire a Bordeaux, le 18 de cembre 1871. Archives municipales de Rennes, 2Q4.

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21 privée de Monsieur Foucqueron, avocat et conseiller général. Il préside la société et écrit dans le compte rendu de ses opérations en date du 28 novembre 1880 :

« Nous pouvons le dire avec bonheur, notre premier essai a réussi, non pas complètement, il ne faut pas se faire d’illusion, mais autant qu’on pouvait l’espérer, et il n’est pas douteux qu’une seconde expérience ne confirme la première […] »

Deux fourneaux sont ouverts, un carrefour Jouaust et un rue Saint-François, aujourd’hui rue de Redon. En cinquante-cinq jours, ce sont 19 114 bons de bouillons, café, cidre et portions de viande qui sont distribués. A la fin de l’hiver, la société présente un déficit de 622 francs, imputable en partie à la volonté de « faire les ventes au meilleur marché possible », ainsi qu’aux coûts fixes d’installation et de fonctionnement des fourneaux.

Monsieur Foucqueron procède par la suite à un plaidoyer où il indique que, malgré l’évident succès et le bien-fondé de la démarche, poursuivre l’exercice des fourneaux dans un cadre privé serait difficile, voire inenvisageable. En effet, à la fin du rapport, la Commission de la Société « charge M. le Président de faire les démarches nécessaires pour que la Société rennaise des Fourneaux économiques devienne une œuvre complètement municipale. Elle décide qu’en cas de refus, les objets mobiliers seront vendus et que la Société sera liquidée. »20

Face à ce rapport le Conseil Municipal, réunit en session extraordinaire le 20 décembre 1880, prend acte de ce que leurs conclusions tendent à la dissolution ou à l’exploitation par la ville, ou par le Bureau de Bienfaisance, de la Société rennaise des Fourneaux économiques. Le Conseil Municipal reconnait les « services éminents qu’elle a rendus, pendant l’hiver rigoureux et exceptionnel de 1879-1880, en mettant à la disposition des ouvriers, une nourriture saine et à des prix excessivement réduits. » Tout en acquiesçant le fond du rapport de Monsieur Foucqueron, le Conseil Municipal pointe le « danger pour la municipalité à empiéter sur les attributions de l’assistance publique », et déclare que l’œuvre des fourneaux économiques ne peut être continuée que par le Bureau de Bienfaisance. La continuation ou non des fourneaux économiques dépendra donc de la délibération

20 Compte rendu des ope rations de la Socie te rennaise des Fourneaux e conomiques, le 28 novembre 1880, Archives municipales de Rennes, 2Q4.

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22 de la commission administrative du Bureau de Bienfaisance.21

Dans ses délibérations, si la commission reconnait le caractère « éminemment utile » de l’œuvre de Monsieur Foucqueron, elle précise que cette dernière est « essentiellement différente par sa nature de celle que le Bureau de Bienfaisance a mission d’accomplir. » En effet, les fourneaux économiques produisaient et vendaient les denrées, ce qui ne pouvait faire partie des attributions du Bureau, qui proposait des distributions gratuites. Les arguments avancés par la commission sont relatifs aux difficultés logistiques et budgétaires d’une telle démarche, en s’appuyant sur le rapport de Monsieur Foucqueron. En conséquence, le Bureau de Bienfaisance conclut qu’il n’y a pas lieu d’accueillir favorablement la demande du Conseil Municipal.22La Société rennaise des Fourneaux économiques a donc échoué à rendre cette œuvre charitable publique.

Il faut attendre 1890 pour retrouver des documents évoquant des fourneaux économiques à Rennes.

En effet, il existe des copies de demandes de subvention émanant du « comité de secours aux indigents, fourneau économique de la Presse, fondé en 1890 » à destination du Conseil Municipal.

Il y a peu d’éléments permettant de cerner avec exactitude les conditions de fondation de cette œuvre, hormis que ce Comité « placé sous la présidence honoraire des plus hautes notabilités de la ville de Rennes, est formé exclusivement d’une vingtaine de personnes de bonne volonté, commerçants, industriels, rentiers et délégués de la Presse, en dehors de toute question politique. »23 De 1895 à 1903, la Mairie accordera des subventions allant de 200 à 400 francs, en fonction de l’état des finances de la ville.24

La publicisation de l’assistance alimentaire à Rennes s’est donc faite sur le temps long, et elle n’est pas achevée lorsque commence le vingtième siècle. Les volontés politiques affichées étaient claires, les délibérations élogieuses envers les initiatives privées, il convenait pour le Maire et ses adjoints de faciliter les œuvres charitables portant secours aux indigents pendant les durs hivers.

21 Compte rendu de la session extraordinaire du Conseil Municipal de la Ville de Rennes, le 10 de cembre 1880, Archives municipales de Rennes, 2Q4.

22 Extrait du Registre des de libe rations du Bureau de Bienfaisance de Rennes, le 26 janvier 1881, Archives municipales de Rennes, 2Q4.

23 Lettre de J.Souffleux, tre sorier, et G.Ymonet, secre taire du Comite de secours aux indigents, adresse e au Maire de Rennes, le 15 de cembre 1897. Archives municipales de Rennes, 2Q4.

24 De libe rations du Conseil Municipal de Rennes, 11 mars 1896, 27 janvier 1897, 30 de cembre 1901, 18 fe vrier 1903. Archives Municipales de Rennes, 2Q4

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23 Mais ces souhaits se sont heurtés à des barrières logistiques et pécuniaires. Pour autant, les différentes mandatures de la Ville de Rennes n’ont jamais véritablement délaissé la question des fourneaux économiques et de la bienfaisance au dix-neuvième siècle. De l’envoi de lettres dès 1855 pour obtenir des informations, jusqu’aux votes des subventions à la fin du siècle, Rennes s’est attachée à répondre aux enjeux de la pauvreté urbaine. Cependant, le rôle de la sphère privée et des religieuses, notamment celles de Saint-Vincent de Paul qui perçoivent également des subventions pour leur fourneau économique, reste essentiel.

3) Le XX

ème

siècle, l’ère assistancielle

L’histoire de l’offre sociale à Rennes au vingtième siècle n’a, du propre aveu de l’adjoint à la solidarité de la ville Frédéric Bourcier, que peu été documentée. Il n’existe pas de travaux universitaires sur la question, les archives n’ont pas toutes été déposées, et une partie de celles qui l’ont été sont maintenant aux Archives Nationales du Monde du Travail, à Roubaix.

a) L’émergence des associations Loi de 1901

Le quartier de Cleunay a vu naître deux des grandes associations en lien avec l’exclusion qui existent toujours aujourd’hui. Ce sont les deux seules associations dont j’ai pu remonter la création en consultant les archives, et au cours de mon entretien avec Sylvain Guédo de la Sauvegarde de l’Enfance à l’Adulte 35.

i) Les premiers pas d’ATD Quart Monde à Rennes

Après la deuxième guerre mondiale, Rennes est en période de mutation. Dans ce contexte d’exode rurale et d’arrivée de populations peu fortunées dans la ville, des étudiants créent en 1965 un « Club Science et Service » qui dépend du mouvement ATD Quart Monde. Il leur fallait rester fidèle à l’identité propre du mouvement créé en 1957 par le Père Joseph Wresinsky au cœur du camp des sans-logis de Noisy-le-Grand. C’est donc le quartier de Cleunay qui est choisi par les membres du club car c’est un des plus pauvres de la ville et sa réputation est mauvaise : La ligne de bus desservant cleunay est appelée « Ligne U » pour cités d’Urgence25.

25 ATD Quart Monde Pays de Rennes. « 50 ans de lutte contre la mise re dans le Grand Ouest » dans Groupe

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24 C’est en 1970 que le premier volontaire permanent du Mouvement s’installe directement sur place, dans la cité de la Frette. Des actions culturelles sont alors menées, comme une bibliothèque de rue, ou des temps de loisir pour les enfants « à l’aide d’une marionnette pour créer le contact ». Des cours de rattrapages scolaires sont également mis en place dans la cité de la Frette. Mais cette initiative privée ne sera pas la seule à être lancée à Cleunay peu ou prou à la même période, car les initiatives se multiplient pour répondre à l’urgence sociale.

ii) La création du Relais

Le relais a été créé en 1962 par des habitants du quartier de Cleunay. Selon Sylvain Guédo, responsable du Relais centre-ville, ces derniers avaient besoin de professionnels de l’éducation spécialisée pour s’occuper de « jeunes blousons noirs » qui erraient dans le quartier. Cette démarche s’inscrit dans une volonté de faire de la prévention sociale. Il ne s’agit pas nécessairement d’apporter une aide physique (de la nourriture ou un toit) mais bien de proposer un accompagnement à des publics susceptibles de se laisser enfermer par l’exclusion sociale. Selon Sylvain Guédo, Rennes a été la quatrième ville à tester la prévention spécialisée. Des éducateurs ont donc été rémunérés pour aller au contact de ces jeunes qui troublaient les habitants du quartier de Cleunay.

En 1968, le Relais passe sous la gestion de la Sauvegarde de l’enfance à l’adolescence, et il faut attendre le début des années soixante-dix pour voir apparaître un fonctionnement en équipes comme aujourd’hui, réparties par quartiers. En 1982, l’équipe de Cleunay ferme et est déplacée dans le centre-ville. En effet, c’est au début des années 80 qu’apparaît le phénomène au nom peut- être légèrement péjoratif de « punks à chiens ». Cette « bande » occupe les marches de l’opéra place de la mairie et ne fait pour le moins pas l’unanimité parmi les riverains. Forts de leur expérience à Cleunay, l’équipe du Relais est donc missionnée pour aller à la rencontre de ces personnes. De cette expérience découle l’organisation du Relais encore aujourd’hui. En effet, les différentes équipes réparties dans la ville visent un public jeune compris entre 11 et 21 ans, résultat de sa création pour les jeunes de Cleunay et la continuation par la Sauvegarde de l’enfance à l’adolescence ensuite. Mais l’équipe du Centre-ville, à la différence des autres, s’occupe des

Histoire, juin 2015, p.8

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25 personnes sans-abris ou en situation de marginalité et qui ont entre 16 et 25 ans, cela dans l’optique de s’adapter au profil des errants qui diffèrent d’un quartier à l’autre. Au cours des années 80 ou 90, la Sauvegarde de l’enfance à l’adolescence devient la Sauvegarde de l’enfance à l’adulte, changeant donc totalement la portée de l’association. Cette dernière aura, à partir de ce moment, une visée bien plus globale et des objectifs plus généraux en termes de lutte contre l’exclusion. Une partie des archives ont été transférées aux archives du Monde du travail à Roubaix26, je n’ai pu les consulter. Dans sa conférence, Alain Vilbrod fait état du flou qui entoure l’histoire de la Sauvegarde dans les années 70 à 80, sans réellement expliquer sa renaissance quelques années plus tard.

b) La prévention dès l’enfance, nouvel outil de lutte contre l’exclusion

On observe dans la période d’après-guerre un glissement dans le traitement de la question des publics en situation d’exclusion. En effet apparait la question de la prévention de l’exclusion, et ce dès l’enfance pour des publics susceptibles d’éprouver des difficultés à s’insérer par la suite.

Instaurées en 1943, les Associations Régionales de Sauvegarde de l’Enfance à l’Adolescence (ARSEA) ont parmi leurs missions celle de permettre une coordination sur le plan régional des actions en faveur de l’enfance et de l’adolescence « inadaptées ». Elles ont donc dans ce cadre la possibilité de créer et gérer des établissements ou des services afin de répondre aux besoins existants en matière d’équipement sanitaire et sociale. La Fédération Bretonne de Sauvegarde de l’Enfance à l’Adolescence, créée en 1944, a pris en charges deux services : Le centre d’accueil de Ker Goat et le centre d’observation et de triage La Prévalaye. Le centre de Ker Goat n’est pas situé à Rennes, mais il accueille les enfants et les adolescents de toute l’Ille-et-Vilaine.

i) La prise en main de la prévention par l’Etat

Jusqu’en 1962 les ARSEA étaient des structures atypiques faisant la jonction entre la sphère publique et la sphère privée. Il s’agissait d’associations créées par une circulaire du gouvernement,

26 VILBROD, A. « Endosser les he ritages du passe pour tracer sa propre voie, Ce que peut nous apporter la connaissance de l’histoire de la Sauvegarde en Bretagne et notamment en Ille-et-Vilaine », confe rence d’Alain Vilbrod, 2012

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26 ayant pour but de mener à bien une politique de coordination entre les organismes en faveur de l’enfance, en majorité privés. Entre 1962 et 1964, les ARSEA deviennent les CREAI (Centre régional d’études, d’actions et d’informations). Dans une note de la revue Sauvegarde de l’enfance, le CREAI est mentionné en ces termes :

« Un arrêté du 22 janvier 1964 a créé un centre technique national et des centres régionaux qui se substituent aux seize Associations régionales pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, créées en 1943 à l’impulsion du ministère. Ces organismes, fonctionnant sous le régime de la loi du 1er juillet 1901, constitueront les outils techniques du ministère – qui les subventionne – et des inspecteurs divisionnaires de la Population et de l’Action sociale dans ce domaine particulier.»27 Selon Mathias Gardet, une circulaire du 10 septembre 1964 viendra le rappeler en ces mots : « Les centres techniques ne sont pas un rassemblement d’œuvres mais l’outil technique du ministère. »28 On voit donc se dessiner, vingt après la fin de la guerre, une prise en charge de plus en plus publique de l’exclusion via ces politiques de prévention entreprises par l’Etat.

ii) Les centres de Ker Goat et de la Prévalaye

Créé par une assistante sociale, Anne-Marie de la Morlais, en 194029, le centre de Ker Goat est le plus ancien et le plus connu des établissements gérés par la FBSEA. D’abord installé près de Hinglé dans ce qui est alors les Côtes-du-Nord, le centre est transféré à Pleurtuit en Ille-et-Vilaine en 1951, afin de permettre une modernisation et une extension des bâtiments. Il est aussi connu sous le nom de centre George Bessis, premier directeur mort en déportation en 1944. Ce centre a pour objectif d’accueillir des jeunes âgés de 8 à 16 ans en internat, en priorité ceux ayant des troubles du caractère, du comportement ou en « danger moral »30. Dans le cadre de la réinsertion sociale, le centre a ouvert une classe permettant aux adolescents de préparer le certificat d’études.

En 1967, une annexe au centre est envisagée à Léhon, toujours dans le nord de l’Ille-et-Vilaine. Il s’agit d’un foyer de semi-liberté dont le but est de permettre un suivi des enfants du centre. Mais

27 Sauvergarde de l’enfance, n°8/9, 1964, p. 396-397

28 GARDET, M. et VILBROD, A. L’éducation spécialisée en Bretagne 1944-1984, Les coordinations bretonnes pour l’enfance et l’adolescence inadaptées, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p.127

29 Note sur le centre de Ker Goat, Archives de partementales d’Ille-et-Vilaine, 155 J

30 GARDET, M. et VILBROD, A., Ibid, p. 11

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27 ce projet ne verra pas le jour faute de subventions. En 1985, le CREAI Bretagne transfère la gestion du centre à l’Association pour la Réalisation d’Actions Sociales Spécialisées. Le centre existe toujours mais il est maintenant divisé en sept sites distincts, avec le site principal toujours situé à Pleurtuit.

Le centre de la Prévalaye a lui été ouvert le 9 octobre 1944 par Jacques Guyomarc’h et sa femme, suite au besoin d’observation dans l’action sociale à l’enfance. Son existence est liée à l’implication des pouvoirs publics dans les domaines de l’enfance et de l’adolescence puisque ces centres d’observation sont imposés par la circulaire de 1943. Son rôle est d’envoyer de jeunes mineurs dans les services les plus appropriés à leur « rééducation », suite à une observation plus ou moins longue en internat. Dans les années soixante-dix, le centre de la Prévalaye est transféré au lieu-dit

« Les Rabinardières » à Saint-Grégoire, pour des raisons de mise aux normes d’agrandissement.31

c) Loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions

La loi est votée le 29 juillet 1998, et s’ouvre comme suit : « La lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la Nation. »

Il y a deux orientations fondamentales à retenir dans cette loi. D’abord le traitement des exclusions : la loi affirme que les processus d’exclusion sont divers et complexes, qu’ils peuvent prendre leur source dans des problèmes familiaux, de santé, financiers, professionnels, etc. La loi couvre donc aussi bien la protection sociale que la santé, l’éducation, la culture, la formation, l’emploi et tous les autres domaines en lien avec l’exclusion. D’autre part, la loi réaffirme l’accès aux droits fondamentaux. Elle considère que le problème des personnes en situation d’exclusion ne provient pas d’un manque de droits à disposition mais bien d’un accès aux droits fondamentaux existants.

Il faut donc créer les conditions par lesquelles cet accès au droit sera facilité.

Cette loi marque l’avènement de l’aller-vers, c’est-à-dire d’un nouveau paradigme dans le combat contre les exclusions. Il ne suffit plus de proposer des services aux personnes exclues, il convient de tout faire pour que ces populations aient recours à leurs droits fondamentaux. Dans la ville de

31 Note sur le centre d’observation de la Pre valaye, Archives de partementales d’Ille-et-Vilaine, 155J

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28 Rennes, des établissements comme l’Abri de la rue Papu sont créés après cette loi, selon Sylvain Guédo.

Des bilans ont été dressés, ils montrent les effets limités des mesures décidées. La saturation de l’offre de logements persiste, le phénomène d’illettrisme n’est pas enrayé, les politiques d’accès à la culture et au sport ne font toujours pas partie d’une véritable politique nationale mais sont conduites essentiellement dans le cadre des politiques de la ville. 32

B) Rendre compte de la dispersion organisée de l’offre sociale 1) Les démarches administratives, condition de l’accès aux droits

a) Le pôle Précarité et Insertion de la Sauvegarde de l’enfance à l’adulte 35 i) Coordination accueil orientation

La SEA35 est divisée en trois pôles distincts : Le pôle Précarité Insertion (PPI), le pôle Milieux ouverts et le pôle Accueil familial. Le PPI a pour mission d’accompagner les personnes en situation d’exclusion, de les informer des démarches pouvant être entreprises, de les suivre dans leurs projets. Lorsqu’une personne est en situation d’exclusion et de marginalité, la première étape dans l’accès au droit est d’être informé et orienté vers les structures existantes. Pour ce faire, la SEA35 a mis en place la Coordination Accueil Orientation, situé rue de la Barbotière, près de la rue Paul Bert. Ce service est ouvert du lundi au vendredi, sauf le mardi, de 9h30 à 12h. L’après- midi, de 14h à 17h, l’accueil se fait uniquement sur rendez-vous. C’est donc vers ce service qu’on oriente les personnes sans ressources ou sans domicile fixe lorsqu’elles ont besoin de renseignements précis. Cela étant dit, ce n’est évidemment pas la seule manière dont circulent les informations, la plupart des structures pouvant compter sur des éducateurs spécialisés qui ont une bonne connaissance du terrain et des structures consacrées aux personnes en situation de marginalité.

Cependant, au cours de mes entretiens, maraudes, et après-midis passés à l’accueil du Secours

32 VILCHIEN Danielle, PUYDEBOIS Ce dric, LESAGE Ge rard. Rapport de synthe se : e valuation de l’application et de l’impact de la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative a la lutte contre les exclusions. Inspection ge ne rale des affaires sociales. Inspection ge ne rale de l’administration de l’e ducation nationale et de la recherche. Paris ; La Documentation française, mars 2007.

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29 Catholique, j’ai pu constater plusieurs fois qu’il arrive que les éducateurs, ou les assistants sociaux d’une manière générale, aient des difficultés à cerner la totalité des structures jouant un rôle dans l’accompagnement des personnes précaires. Ceci justifie donc l’existence de la CAO, car s’il arrive que des éducateurs spécialisés se perdent dans les méandres de l’offre sociale, les personnes en situation de précarité sont a fortiori encore plus susceptibles de passer à côté d’informations pourtant nécessaires à leurs démarches d’insertion.

ii) L’élection de domicile

La SEA35 a réuni dans les mêmes locaux les services de la CAO, du puzzle et de l’élection de domicile. Ce dernier est ouvert tous les jours sauf le mardi de 9h à 12h30 et de 14 à 17h, uniquement sur rendez-vous. L’élection de domicile est une dimension essentielle pour toute personne en situation d’exclusion, puisqu’il s’agit du point de départ à toutes les autres démarches. En effet pour recevoir son courrier, obtenir une carte d’identité ou percevoir le Revenu de Solidarité Active, il est obligatoire de disposer d’une adresse. La domiciliation est à la fois un droit et une procédure, toute personne ne disposant pas d’adresse peut en faire la demande. En cas de non-présentation pendant plus de trois mois, l’élection de domicile est radiée et le courrier renvoyé à l’expéditeur.

Ceci pose problème puisque cela signifie logiquement la fin de la perception du RSA, seule ressource financière régulière des personnes ayant eu recours à une élection de domicile.

b) Le Centre Communal d’Action Sociale

Le service public d’action sociale s’incarne dans les Centres communaux d’action sociale.

Les CCAS sont des établissements publics communaux dont la seule attribution obligatoire est l’aide sociale légale. À Rennes, le CCAS est situé rue de Griffon, mais il dispose de six antennes réparties sur la ville. Il y a ainsi une antenne à Cleunay (rue Noël Blayau), aux champs manceaux (rue Louis et René Moine), au Blosne (boulevard de Yougoslavie), à Maurepas (place du Gros Chêne), à Villejean (cour Kennedy) et au centre-ville (rue Kléber). Cette dispersion organisée par quartiers permet de couvrir toute la commune, sans obliger les populations précaires à se déplacer à l’autre bout de la ville. Cela s’explique par le fait que les CCAS ne sont pas consacrés uniquement aux populations marginales, qui relèvent de la Direction Insertion Aide à la Population, mais aussi par exemple aux personnes en situation de handicap, ou des personnes âgées. En effet les CCAS

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30 ont une vocation sociale globale, qui ne se limite pas aux seuls sans-abris.

Selon Frédéric Bourcier, premier adjoint à la Mairie, le budget du CCAS de Rennes est équivalent au budget global de la Ville de Bruz, qui compte un peu moins de 20 000 habitants. Ce sont en effet 11 900 000€ qui sont alloués au CCAS de Rennes dans le budget primitif de 2017. La particularité de Rennes étant que le département a délégué la gestion du RSA à la ville. Ce budget conséquent, qui a été augmenté de 32% en six ans, permet la mise en place de dispositifs comme la Tarification sociale des transports, qui est une des démarches devant être réalisée au CCAS.

Historiquement, c’est également au CCAS que se faisait l’élection de domicile, mais cela fait partie des nombreux éléments faisant l’objet d’une délégation de service public envers la SEA35. Je n’ai pas pu trouver trace lors de mon enquête, que cela soit aux archives ou pendant mes entretiens, de la date de signature de la convention entre le CCAS et la SEA35, mais toutes les personnes interrogées s’accordaient à dire que cette convention datait au minimum de la fin des années 1990.

2) Les besoins de la vie quotidienne

a) Manger à Rennes

i) Le Restaurant social Leperdit, « Le Fourneau »

Le nom du restaurant social à Rennes n’est pas sans rappeler les fourneaux économiques du XIXème siècle. Cependant, à la différence du fourneau créé par Monsieur Foucqueron, le restaurant Leperdit dépend entièrement du CCAS de la Ville de Rennes et est donc, de fait, un service public. Il est situé rue Clémence Royer, dans le quartier Cleunay, et est ouvert de 8h30 à 13h en semaine, et 8h30 à 12h le samedi. Il ferme pendant quinze jours au mois d’août, l’activité est alors transférée au foyer Benoit Labre par un système de convention. L’équipe est composée de trois éducateurs, trois cuisiniers et une infirmière, et le prix du repas est fixé à 1€ symbolique.

Le restaurant fonctionne sur un principe de libre adhésion, aucun contrat n’est signé entre les bénéficiaires et les prestataires. Pour pouvoir y manger, il faut tout de même remplir une fiche d’adhésion, qui est un questionnaire fermé permettant d’évaluer si les personnes peuvent bénéficier du service proposé. Comme c’est un service public, les bénéficiaires doivent s’identifier auprès de la structure et donc présenter des papiers d’identité au moment de l’adhésion. Dans les faits, cette règle est souple car tous les sans-abris n’ont pas nécessairement de documents d’identité et la

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