• Aucun résultat trouvé

C) L’épreuve de la mobilité, forger la réinsertion

1) La politique de la mise en mouvement, le combat sdf

a) Mettre en marche, dynamiser les sans-abris

La conception commune est qu’un sans-abri qui ne bouge pas dans la ville se sclérose. La mobilité est perçue comme l’une des conditions sine qua non de la réinsertion, ce qui justifie à priori la mise en mouvement. Cela repose sur un axiome, c’est-à-dire que l’on part du postulat que la faculté de se mouvoir dans les rues va encourager les sans-abris à engager des démarches pour se réinsérer.

Aller de structures en structures représente donc une forme d’entrainement, de réadaptation à un rythme dynamique et nécessaire pour s’en sortir. Dans les faits, selon les travailleurs sociaux rencontrés, on ne peut que difficilement constater ou évaluer la portée de cette tentative de mise en mouvement. Les sans-abris sont un groupe social extrêmement hétérogène, et on ne peut attendre

34 Martuccelli D., Forgé par l’épreuve, l’individu dans la France contemporaine, Ed. Armand Colin, 2006, p.12.

35 Ibid, p.123.

37 qu’ils agissent et pensent tous de la même manière.

Cette politique -qui n’en est pas une puisqu’elle ne fait l’objet d’aucun texte ou même discours officiel- est à comprendre sur le mode de la mise à l’épreuve. Or tous n’ont pas la même faculté à se soumettre à l’épreuve. Sans généraliser à outrance, il est possible de considérer que le public sans-abri considère toute épreuve comme un repoussoir. Vivre dans la rue est déjà une épreuve en soit. Ne pas savoir où l’on va dormir le soir, résister au froid l’hiver, parvenir à manger tout en nourrissant leurs chiens quand ils en possèdent, représentent déjà des formes d’épreuve qui consomment leur « capital d’effort ». Plus la faculté de se mouvoir est nécessaire, et donc plus il y a d’étapes, moins les fins d’insertion paraissent atteignables.

Pour autant, le fait est qu’un individu habitué à marcher tous les jours plusieurs kilomètres verra moins d’inconvénients à enchainer les rendez-vous pour les démarches. Cependant, cela relève toujours du profil de l’individu. Prenons l’exemple de Lionel, 36 ans, vivant dans une tente cachée non loin de la station de métro Italie. Il marche avec son chien toute la journée, jusqu’à perdre 40 kilos en un an et demi (probablement à cause de la malnutrition également). Mais cela ne signifie pas qu’il est enclin à entamer des démarches. La situation personnelle importe, et mobilité ne vaut pas volonté de se réinsérer. C’est un éventuel préalable, mais ce n’est pas l’élément déclencheur.

b) Invisibiliser, empêcher l’occupation de l’espace public

Mettre les SDF en mouvement, c’est aussi une manière de les empêcher de monopoliser l’espace public. Les riverains du centre-ville ne voient pas toujours d’un bon œil les agroupements de sans-abris. Si l’on prend l’exemple de Sainte-Anne, le large groupe de personnes en situation de marginalité, situé à l’entrée du métro, peut représenter des nuisances pour quelqu’un qui ne partage pas les codes des sans-abris. La musique forte, les aboiements des chiens, les cris des personnes prises de boisson, les déchets que l’on peut parfois retrouver, sont des éléments que les riverains dénoncent, et font remonter à leurs élus.

L’occupation de l’espace par des publics sans-abri est parfois considérée comme une nuisance à laquelle il convient de mettre fin. Ainsi, proposer des parcours dans la ville entre les différentes structures est une manière d’invisibiliser les populations marginales, d’empêcher qu’elles élisent

38 domicile à un point fixe.

Pour le groupe de personnes à Sainte-Anne, cet argument pour justifier la mise en mouvement n’est que peu efficace. Le fait est qu’ils restent, toute la journée pour certains, près de l’entrée du métro.

Cela tient à d’autres éléments que la simple volonté de rester au même endroit, qu’importent les efforts déployés par l’offre sociale pour les déloger de leur plein gré. En effet, le phénomène de non-recours mis à part, la principale raison expliquant le fait que ces personnes restent au même endroit tient au fait que ce lieu précis est celui de rencontre des sans-abris venant d’arriver en ville.

Même si la figure du vagabond est datée et ne peut plus représenter rigoureusement tous les sans-abris, il reste que certaines personnes choisissent une vie d’errance entre les villes.

Ainsi, il n’y a pas lieu pour ces personnes d’entreprendre des démarches ou même d’aller se faire connaitre des différentes structures qui leur sont consacrées. Ils ne resteront que quelques jours ou quelques semaines ici, et il n’y a pas d’intérêt à bouger de là où ils posent leur sac. Ceci montre que le phénomène du sans-abrisme n’appelle pas à des solutions universelles.

c) Favoriser l’ouverture

L’une des composantes de la vie d’un sans-abri ou d’un marginal au sens large tient à sa propension au repli sur soi et à l’isolement. Les interactions sociales limitées ou en tout cas peu diversifiées socialement, tendent à précipiter la mise à l’écart d’un public déjà au ban de la société.

C’est dans une optique de désenclavement des populations précaires que la ville de Rennes a mis en place la carte « sortir ». Le dispositif liste une série d’objectifs dans le rapport du Comité de suivi en date du 25 avril 2017 confié par Frédéric Bourcier. Ainsi l’on retrouve des thèmes tels que

« Stimuler l’ouverture », « Créer du lien social et rompre l’isolement », « inciter à l’autonomie pour l’accès aux loisirs », « favoriser la cohésion sociale ».

Il s’agit de « sortir » pour « s’en sortir ». C’est l’Association pour la Promotion de l’Action et de l’Animation Sociale qui anime le dispositif, mais c’est bien le CCAS qui instruit les dossiers et délivrent les cartes. Plus de 800 structures de loisirs réparties sur 31 communes de Rennes Métropole font partie du dispositif. Selon les chiffres du rapport, il y a 26000 utilisateurs de la carte dont les trois-quarts à Rennes. Pour une personne seule, le coût des activités est pris en charge à

39 70% lorsque le revenu mensuel n’excède pas 964€.

Il apparait donc que la mise en mouvement ne se fait pas uniquement sur le mode de l’obligation ou de la coercition. Il y a une partie incitative, qui doit susciter une envie de se mobiliser pour les publics marginalisés.