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L’aller-vers associatif, tentative de palliation du problème de la mobilité

C) Adapter l’offre sociale : l’avènement de l’aller-vers

1) L’aller-vers associatif, tentative de palliation du problème de la mobilité

a) L’expérience des maraudes

i) L’organisation des maraudes

Plusieurs structures ont mis en place un système de maraudes, c’est-à-dire de tournées dans le centre-ville pour aller à la rencontre des publics en errance. Parmi ces structures, on retrouve à Rennes la Croix Rouge, le Secours populaire (mais je n’ai pu le vérifier sur le terrain, cela a simplement été évoqué au cours d’entretiens) et le Secours catholique. C’est au sein de cette dernière que j’ai pu prendre part à ces tournées de rue.

Elles ont lieu tous les lundis et mercredis soir, de 19h à maximum 22h. Les bénévoles se réunissent au local de l’association, rue Saint-Georges, et se divisent en deux équipes : Une couvrira le nord du centre-ville, de la place Hoche à la place de la République, en passant par la place Sainte-Anne, l’autre couvrira le sud du Centre-ville, de la place de la République à la Gare. J’ai pris part à une quinzaine de maraudes, et ai fait le choix de toujours intégrer l’équipe du secteur nord. Etant donné que pour les besoins de l’enquête il me fallait échanger avec des sans-abris et non pas simplement observer, il était préférable de privilégier la qualité des liens que leur quantité. Cela m’a permis d’apprendre à connaître une petite dizaine de sans-abris que je ne voyais pas à l’accueil de jour du

64 Secours catholique le lundi après-midi.

Le profil des bénévoles était plutôt homogène, nous étions en majorité des étudiants ou jeunes adultes, avec quelques retraités occasionnellement. La nature non-laïque de l’association ne transparait pas véritablement dans les maraudes ou pendant l’accueil de jour. Certains bénévoles sont athées, d’autres non, mais la foi n’est pas un prérequis, ni même un sujet de conversation récurrent. Une seule fois, lors d’une maraude en présence de l’aumônier de l’association, nous avons lu un texte à caractère religieux avant de commencer la tournée.

Il s’agissait donc de marcher dans le centre-ville en s’arrêtant auprès de tous les sans-abris que l’on rencontrait, équipés de thermos, de café soluble et de soupes en poudre. Ici l’aspect aide alimentaire n’est qu’anecdotique, cela sert surtout de prétexte pour engager la conversation avec les publics rencontrés.

ii) Être auprès des sans-abris

La véritable visée des maraudes est de faire connaissance avec les publics en errance. C’est à travers cela que l’on retrouve la dimension de « l’aller vers », car l’horaire fait que les publics rencontrés sont constitués en majorité de personnes qui n’ont pas ou peu recours aux structures d’aide. En effet, l’horaire tardif signifie que les personnes rencontrées n’auront pas de toit pour le soir, et c’est pour la plupart une habitude. La quasi-totalité des personnes en errance à Sainte-Anne dorment sous des tentes ou dans des camions aux prairies Saint-Martin. Cela permet donc aux associations d’être en contact avec des personnes que l’on ne voit pas dans les structures, et d’avoir une vision d’ensemble des publics marginaux dans le centre-ville. Chaque maraude se termine par ailleurs par la rédaction d’un compte rendu de la soirée indiquant le prénom des personnes rencontrées, des informations sur leur situation, s’ils déclarent aller bien ou si au contraire elles font état d’un mal être. Ces comptes rendus des maraudes précédentes sont théoriquement lus avant de partir en tournée, car cela permet de savoir comment aborder telle ou telle personne si elle est présente aux endroits habituels.

Pour les bénévoles le but est de créer une discussion, de s’enquérir de l’état d’esprit des personnes ou de répondre à leurs interrogations. Bien souvent, les publics en errance n’ont pas de réaction de rejet, ils sont pour la plupart habitués et connaissent les bénévoles, au moins de vue. Lorsqu’il ne s’agit pas de personnes regroupées en bande, la nécessité de discuter se fait bien plus ressentir. Les

65 sans-abris qui sont seuls sont en situation d’exclusion absolue, et les bénévoles sont souvent les seuls interlocuteurs de la journée.

La mission principale est alors de les informer sur les possibilités qui s’offrent à eux, les assurer du fait qu’ils ont tout à gagner à se présenter dans telle ou telle structure pouvant les aider à formuler leurs demandes et à élaborer un projet pour s’en sortir. L’exclusion est un cercle vicieux, l’isolement et le repli sur soi nourrissent un mal être qui ne peut permettre d’envisager de sortir de la marginalité. C’est dans ce schéma que s’inscrit l’aller-vers, c’est-à-dire la mise en œuvre d’une démarche qui ne se contente pas d’attendre que les hommes et femmes en situation d’extrême précarité fassent l’effort de se rendre dans les structures, mais bien qui engage le premier pas vers la réinsertion. Ceci n’enlève rien au fait que sans une impulsion de la part de la personne, aucune action concrète de réinsertion ne peut être entreprise.

b) Le Relais et le Fourneau, le déplacement comme outil de travail

Dès la création du Relais dans les années 60, les équipes d’éducateurs se déplaçaient dans le quartier de Cleunay à la rencontre des jeunes en situation d’errance ou d’exclusion. Sur le même modèle, l’équipe du Fourneau peut être contactée par des riverains qui souhaitent une intervention dans leur zone d’habitation. Il arrive que des groupes de sans-abris prennent leur quartier dans des zones résidentielles, produisant éventuellement des nuisances sonores ou ce que les riverains peuvent considérer comme des dégradations. L’équipe du Fourneau peut alors être sollicitée, mais cela ne se fait pas sur le modèle de la dénonciation. Il arrive également que ce soient de sincères inquiétudes pour la santé d’un individu isolé et exclu qui motivent à contacter l’équipe du Fourneau.

C’est l’expression la plus développée de l’aller-vers, car il s’agit de véritablement arpenter les rues à la recherche des publics marginaux. Les portées sont multiples, elles permettent en premier lieu d’identifier d’éventuels nouveaux arrivants en ville. En outre cela permet de rencontrer directement des publics susceptibles d’avoir recours aux structures d’aides, mais qui sont en situation de non-recours pour des raisons propres à tout un chacun. Le but recherché, au fond, est le même que lors des maraudes, mais ce sont des professionnels qui connaissent mieux leur terrain et les manières

66 d’aborder les publics marginaux de telle façon que ceux-ci considèrent l’offre sociale comme une opportunité et non comme une contrainte.

Si cette dimension « d’aller-vers » et de déplacement des professionnels de l’offre sociale n’est pas nouvelle, il reste que ce n’est que récemment devenu un véritable outil de travail pour les éducateurs. Le non-recours à l’offre sociale et la problématique de l’accès aux droits sont des thématiques au cœur de l’action sociale, et c’est donc en partie par le biais de cette stratégie de déplacement que les professionnels du secteur entendent faciliter l’accès aux droits de tous.