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I: La dispersion de l'offre sociale à Rennes : Construction historique d’un support politique 13

2) L’exercice de la bienfaisance au XIXè

« Du cloaque des misères humaines, notre troisième république a fait croître comme un rosier d’avril né d’un cercueil, toute une floraison de lois d’assistance »14

a) La bienfaisance à Rennes

i) Le bureau de bienfaisance

Selon le règlement du Bureau de Bienfaisance paru en décembre 1866, ce dernier a pour mission de gérer et répartir les sommes produites par les biens lui appartenant et celles mises à sa disposition par l’autorité administrative ou par les particuliers. Il doit en outre distribuer aux indigents, qui remplissent les conditions, les secours dont la nature et la quotité sont autant que possible, et en fonction des ressources du Bureau, mises en rapport avec leurs besoins.15 Il est placé sous la direction d’une commission administrative composée du Maire et de quatre membres nommés par le Préfet. Cette commission est assistée par les religieuses de Saint-Vincent de Paul avec lesquelles un traité a été conclu à la création du Bureau.

Dans un commentaire du règlement en date de l’année 1868, on fait état du souhait de voir Rennes divisée en quatre circonscriptions formant chacune un Bureau de Bienfaisance auxiliaire. En 1887, on constate que le Bureau de Bienfaisance est resté unique. La ville de Rennes comptant sept paroisses, chacune d’elle constitue alors une circonscription « à laquelle est spécialement attachée une sœur chargée de visiter les pauvres, les malades et de leur porter à domicile les secours dont ils ont besoin ». Selon l’article 15 du règlement cité par Martine Joly, « les sœurs hospitalières de Saint-Vincent de Paul sont spécialement chargées de visiter les indigents à domicile et de leur distribuer les secours. Elles prennent des renseignements sur la position des familles qui sollicitent des secours, consignent leurs observations sur un bulletin imprimé joint à a toute demande d’admission et font leur rapport à la commission ». Ainsi, ces sœurs apparaissent comme la cheville ouvrière du Bureau de Bienfaisance, en assurant les tâches relatives au fonctionnement, et en

14 NEYBOUR, J. « Une expe rience sociale : la Loi d’assistance du 14 Juillet 1905 », dans La revue socialiste, n°279, mars 1908, pp. 237-247

15 JOLY, M. « Indigence et socie te de bienfaisance a Rennes de 1860 a 1914 », me moire d’Histoire sous la direction de LEONARD Jacques, Rennes, Universite de Haute Bretagne, 1976, p.64

19 prenant part tant aux décisions qu’à leurs exécutions. Le bureau de bienfaisance n’est donc ni un organisme privé, ni un service public municipal à part entière. C’est une structure laïque en relation étroite avec une communauté religieuse.

Le bureau de bienfaisance apporte différents secours que l’on peut classer en six catégories distinctes :

-Secours alimentaire : Viande cuite ou crue, pain (à raison de maximum 5 kilos par semaine et par personne), soupe.

-Médicaments : Médicaments proprement dits, mais aussi bouillons, bandages -Chauffage : Fagot et charbon, du 1er novembre au 1er mars

-Linge : Draps, vêtements

-Secours pécunier : Bons pour les loyers, au nom des propriétaires

-Apprentissage : Un maître ouvrier prend en charge les enfants des deux sexes entre 12 et 15 ans, sans rémunération mais avec la garantie d’être entretenus

Ces secours sont soumis à des restrictions, les denrées alimentaires ne sont fournies qu’en cas de maladie constatée ou pendant la « mauvaise saison » (de novembre à mars), le linge n’est que prêté et les approvisionnements en chauffage et en pain ne peuvent être réalisés que dans un cadre budgétaire stricte suivant les conditions les plus avantageuses.16

ii) Le financement de la bienfaisance

Le Bureau de Bienfaisance de Rennes perçoit des revenus. Ces derniers proviennent de loyers d’immeubles, d’une grande partie de rentes sur l’Etat dont la nature reste inconnue, de rentes sur les hospices ainsi que d’intérêts sur des fonds placés. En outre, la ville donne une subvention à hauteur du tiers des recettes totales. Des spectacles ont également lieu, pour lesquels le Bureau touche des droits. Une partie non-négligeable des recettes provient de dons, quêtes, aumônes, ou

16 Ibid, p.86

20 bien fêtes de bienfaisance. Pour l’année 1885, sur les 97 436 francs de recettes totales, 30 000 proviennent de la ville17 , le reste relevant du privé, dotations, rentes... Les fonds privés sont dominants, et de ce fait la municipalité ne dispose que d’un faible droit de regard sur les comptes du Bureau ainsi que sur sa manière de conduire la politique de bienfaisance. La situation est paradoxale car le Maire de Rennes est le « Président-né » du conseil d’administration du Bureau.

Ce droit de regard limité de la sphère publique a pu mener à une gestion, sinon malhonnête, pour le moins peu claire. En effet, en 1868, les recettes déclarées par le Bureau s’élèvent à 52 461 Francs, dont 51 243 seront dépensés. Or le Bureau perçoit cette année-là une somme de 35 000 Francs dont il n’est fait état ni dans les recettes ni dans les dépenses. Cette somme a peut-être été utilisée pour améliorer le patrimoine du Bureau, ce qui ne rentrerait pas dans les dépenses de fonctionnement.

Dans tous les cas, il est impossible de retrouver trace de l’utilisation de cette somme.18

b) Les fourneaux économiques

Dès 1855 et jusqu’à l’année 1872 au moins, les maires de Rennes ont envoyé des lettres aux édiles de différentes villes françaises et belges, pour s’enquérir de l’éventuelle existence de fourneaux économiques dans ces villes, ainsi que leur mode de fonctionnement le cas échéant. Les lettres de réponses des maires de Bordeaux, Bruxelles, Reims, Marseille ou encore Lille montrent que l’assistance alimentaire municipale n’en était, à l’échelle nationale, qu’à un stade expérimental.

Dans une lettre du 18 décembre 1871 signée par le deuxième adjoint de la ville de Bordeaux, ce dernier écrit : « Par votre lettre du 14 de ce mois, vous me faites l’honneur de me demander s’il existe à Bordeaux des fourneaux économiques. À votre question je ne puis répondre que négativement. »19 En revanche, Lille, Marseille ou encore Reims ont répondu positivement aux demandes du Maire Pierre Martin, nommé par Adolphe Thiers après la guerre franco-prussienne de 1870-1871.

À Rennes, la première société de fourneaux économiques est créée à l’hiver 1879 à l’initiative

17 Ibid, p.110

18 Ibid, p.113

19 Lettre adresse e au maire de Rennes par le cabinet du maire a Bordeaux, le 18 de cembre 1871. Archives municipales de Rennes, 2Q4.

21 privée de Monsieur Foucqueron, avocat et conseiller général. Il préside la société et écrit dans le compte rendu de ses opérations en date du 28 novembre 1880 :

« Nous pouvons le dire avec bonheur, notre premier essai a réussi, non pas complètement, il ne faut pas se faire d’illusion, mais autant qu’on pouvait l’espérer, et il n’est pas douteux qu’une seconde expérience ne confirme la première […] »

Deux fourneaux sont ouverts, un carrefour Jouaust et un rue Saint-François, aujourd’hui rue de Redon. En cinquante-cinq jours, ce sont 19 114 bons de bouillons, café, cidre et portions de viande qui sont distribués. A la fin de l’hiver, la société présente un déficit de 622 francs, imputable en partie à la volonté de « faire les ventes au meilleur marché possible », ainsi qu’aux coûts fixes d’installation et de fonctionnement des fourneaux.

Monsieur Foucqueron procède par la suite à un plaidoyer où il indique que, malgré l’évident succès et le bien-fondé de la démarche, poursuivre l’exercice des fourneaux dans un cadre privé serait difficile, voire inenvisageable. En effet, à la fin du rapport, la Commission de la Société « charge M. le Président de faire les démarches nécessaires pour que la Société rennaise des Fourneaux économiques devienne une œuvre complètement municipale. Elle décide qu’en cas de refus, les objets mobiliers seront vendus et que la Société sera liquidée. »20

Face à ce rapport le Conseil Municipal, réunit en session extraordinaire le 20 décembre 1880, prend acte de ce que leurs conclusions tendent à la dissolution ou à l’exploitation par la ville, ou par le Bureau de Bienfaisance, de la Société rennaise des Fourneaux économiques. Le Conseil Municipal reconnait les « services éminents qu’elle a rendus, pendant l’hiver rigoureux et exceptionnel de 1879-1880, en mettant à la disposition des ouvriers, une nourriture saine et à des prix excessivement réduits. » Tout en acquiesçant le fond du rapport de Monsieur Foucqueron, le Conseil Municipal pointe le « danger pour la municipalité à empiéter sur les attributions de l’assistance publique », et déclare que l’œuvre des fourneaux économiques ne peut être continuée que par le Bureau de Bienfaisance. La continuation ou non des fourneaux économiques dépendra donc de la délibération

20 Compte rendu des ope rations de la Socie te rennaise des Fourneaux e conomiques, le 28 novembre 1880, Archives municipales de Rennes, 2Q4.

22 de la commission administrative du Bureau de Bienfaisance.21

Dans ses délibérations, si la commission reconnait le caractère « éminemment utile » de l’œuvre de Monsieur Foucqueron, elle précise que cette dernière est « essentiellement différente par sa nature de celle que le Bureau de Bienfaisance a mission d’accomplir. » En effet, les fourneaux économiques produisaient et vendaient les denrées, ce qui ne pouvait faire partie des attributions du Bureau, qui proposait des distributions gratuites. Les arguments avancés par la commission sont relatifs aux difficultés logistiques et budgétaires d’une telle démarche, en s’appuyant sur le rapport de Monsieur Foucqueron. En conséquence, le Bureau de Bienfaisance conclut qu’il n’y a pas lieu d’accueillir favorablement la demande du Conseil Municipal.22La Société rennaise des Fourneaux économiques a donc échoué à rendre cette œuvre charitable publique.

Il faut attendre 1890 pour retrouver des documents évoquant des fourneaux économiques à Rennes.

En effet, il existe des copies de demandes de subvention émanant du « comité de secours aux indigents, fourneau économique de la Presse, fondé en 1890 » à destination du Conseil Municipal.

Il y a peu d’éléments permettant de cerner avec exactitude les conditions de fondation de cette œuvre, hormis que ce Comité « placé sous la présidence honoraire des plus hautes notabilités de la ville de Rennes, est formé exclusivement d’une vingtaine de personnes de bonne volonté, commerçants, industriels, rentiers et délégués de la Presse, en dehors de toute question politique. »23 De 1895 à 1903, la Mairie accordera des subventions allant de 200 à 400 francs, en fonction de l’état des finances de la ville.24

La publicisation de l’assistance alimentaire à Rennes s’est donc faite sur le temps long, et elle n’est pas achevée lorsque commence le vingtième siècle. Les volontés politiques affichées étaient claires, les délibérations élogieuses envers les initiatives privées, il convenait pour le Maire et ses adjoints de faciliter les œuvres charitables portant secours aux indigents pendant les durs hivers.

21 Compte rendu de la session extraordinaire du Conseil Municipal de la Ville de Rennes, le 10 de cembre 1880, Archives municipales de Rennes, 2Q4.

22 Extrait du Registre des de libe rations du Bureau de Bienfaisance de Rennes, le 26 janvier 1881, Archives municipales de Rennes, 2Q4.

23 Lettre de J.Souffleux, tre sorier, et G.Ymonet, secre taire du Comite de secours aux indigents, adresse e au Maire de Rennes, le 15 de cembre 1897. Archives municipales de Rennes, 2Q4.

24 De libe rations du Conseil Municipal de Rennes, 11 mars 1896, 27 janvier 1897, 30 de cembre 1901, 18 fe vrier 1903. Archives Municipales de Rennes, 2Q4

23 Mais ces souhaits se sont heurtés à des barrières logistiques et pécuniaires. Pour autant, les différentes mandatures de la Ville de Rennes n’ont jamais véritablement délaissé la question des fourneaux économiques et de la bienfaisance au dix-neuvième siècle. De l’envoi de lettres dès 1855 pour obtenir des informations, jusqu’aux votes des subventions à la fin du siècle, Rennes s’est attachée à répondre aux enjeux de la pauvreté urbaine. Cependant, le rôle de la sphère privée et des religieuses, notamment celles de Saint-Vincent de Paul qui perçoivent également des subventions pour leur fourneau économique, reste essentiel.