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Combien vaut un visage? : l'évolution d'une sensibilité : la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse au cours de la deuxième moitié du XXe siècle

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Academic year: 2022

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Combien vaut un visage? : l'évolution d'une sensibilité : la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse au cours de la deuxième

moitié du XXe siècle

WINIGER, Bénédict

WINIGER, Bénédict. Combien vaut un visage? : l'évolution d'une sensibilité : la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, 2008, no. 40, p. 11-25

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42112

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COMBIEN VAUT UN VISAGE ? L’EVOLUTION D’UNE SENSIBILITE.

LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL FEDERAL SUISSE AU COURS DE LA DEUXIEME MOITIE DU XXe SIECLE*

Prof. Bénédict WINIGER Université de Genève

1. INTRODUCTION ... 12

2. LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL FEDERAL SUISSE ... 12

3. CONCLUSION ... 24

______________

* Rapport présenté dans le cadre du 11e Colloque de droit européen de la sécurité sociale, GENEVE, 14 septembre 2007.

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I. INTRODUCTION

Dans cette analyse, je m’intéresserai à la situation des victimes de lésions faciales. Je me demanderai, dans quelles situations matérielles elles se trouvaient et dans quelle mesure la jurisprudence du Tribunal fédéral a évolué entre 1900 et 1955.

D’une part, j’ai choisi ce type de blessures parce que le visage est une partie essentielle de notre corps. Sur le plan fonctionnel, c’est là que sont logés trois de nos sens : la vue, l’ouille et l’odorat. Mais aussi du point de vue social, le visage joue un rôle central, puisqu’il est au centre de la communication. La diminution d’un de ces sens ou une défiguration peut poser à la victime des problèmes d’une extrême gravité.

D’autre part, malgré sa fonction centrale pour l’homme, le visage n’est pas - pour la plupart des activités professionnelles - directement un outil de travail comme, par exemple, une main ou une jambe. Cela pose au juge des problèmes délicats dans la fixation de la réparation. J’essaierai à ce propos de montrer une évolution du discours juridique au fil du temps.

Par ailleurs, le degré d’importance que le juge attache notamment au visage nous informe peut-être sur des sensibilités qui évoluent dans la société – évolution qui a peut- être joué un rôle dans la conception des assurances sociales.

II. LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL FEDERAL SUISSE

Le 20 juin 1899, Rosa Merz1 travaillait dans le service d’emballage du fabriquant de chaussures Strub Glutz & Cie SA. En s’arrangeant dans un local étroit sa coiffure, ses cheveux s’embourbaient dans une courroie de transmission qui lui arracha la chevelure et la blessa grièvement à la tête, à l’oreille droite, dans le visage et à la main droite. Suite à l’accident, Rosa Merz a séjourné pendant environ 10 mois à l’hôpital de Olten. Selon les médecins, sa capacité de travail après l’accident était de 30- 40% et elle allait souffrir durablement d’une défiguration physique considérable.

Rosa Merz, alors âgée de 16 ans, a demandé à l’employeur des dommages- intérêts à hauteur de frs. 5'000.- ainsi que les frais médicaux qui s’élevaient à environ frs. 900.-

En premier lieu, le Tribunal fédéral constata que seule la loi fédérale sur la responsabilité civile des fabricants du 25 juin 18812 était applicable, à l’exclusion d’une application parallèle de l’ancien code des obligations de 1881. Selon l’art. 6 de la loi,3 le

1 ATF 27 II 406.

2 Voir Feuille fédérale suisse XXXIII, vol. III, n° 30 du samedi 9 juillet 1881 (à consulter, à partir de 1849, sur le site http://www.admin.ch/ch/f/ff/index.html).

3 Loi fédérale sur la responsabilité civile des fabricants du 25 juin 1881.

Art. 6 L’indemnité qui doit être accordée en réparation du dommage comprend : a…

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maximum du dommage réparable pouvait s’élever à six salaires annuels, plus les frais médicaux.

Ensuite, notre Haute Cour constata que la base pour le calcul de l’indemnité était le salaire actuellement perçu. La seule exception à cette règle concernait les apprentis, dont le coût pour la formation était un élément du salaire, coût dont il fallait tenir compte dans le calcul.

La Haute Cour réfuta explicitement l’idée selon laquelle il fallait tenir compte du jeune âge de la victime et de ses perspectives professionnelles. Elle écarta ainsi la conviction de la première instance, selon laquelle Rosa Merz aurait gagné très prochainement non pas frs. 1 par jour, mais frs. 2.50. Elle justifia cette solution par un raisonnement étonnant, selon lequel on ne tenait pas non plus compte des perspectives de déclin d’un travailleur plus âgé. Considérant en même temps la situation des personnes jeunes et âgées, la Cour trouvait la solution de la loi plutôt équilibrée. Elle oubliait évidemment que la situation plus généreuse pour les travailleurs en déclin n’était pas d’une grande utilité pour les jeunes victimes.

Ce raisonnement trahit d’ailleurs l’optique du Tribunal fédéral qui adopta ici le point de vue du patron, pour lequel cette considération équilibriste était évidemment pertinente. Pour ne laisser aucun doute à ce sujet, le Tribunal fédéral ajouta d’ailleurs que la limite supérieure du dédommagement avait comme but de limiter la responsabilité du patron et d’exclure tout impondérable surgissant avec un calcul qui tiendrait compte de la progression future du salaire. La seule marge de calcul qu’il accepta était une augmentation ou une réduction de l’indemnité à l’intérieur du maximum fixé – soit 6 salaires annuels au plus – et à condition que l’augmentation ou la diminution future du salaire était non pas probable, mais certaine.

Combien valait le visage de Rosa Merz ? Selon le Tribunal fédéral, il valait 6 salaires annuels d’une jeune fille, plus les frais médicaux. Ni son jeune âge et le salaire extrêmement bas, qui, selon le tribunal de première instance, aurait rapidement augmenté d’un facteur de 2,5, ni l’incapacité de travail de 60-70 %, ni la défiguration grave, ni les perspectives de vie compromises n’étaient considérés comme facteurs pour le calcul des dommages-intérêts. La question des douleurs endurées ne fut même pas évoquée.

b. En cas de blessure ou de maladie :

les frais quelconques de la maladie et des soins données pour la guérison,

le préjudice souffert par le blessé ou le malade par suite d’incapacité de travail, totale ou partielle, durable ou passagère.

Le juge fixe la quotité de cette indemnité, en prenant en considération l’ensemble des circonstances de la cause, mais, même dans les cas les plus graves (articles 1 et 3), il ne peut allouer une somme supérieure en capital à six fois le montant du salaire annuel de l’employé ou de l’ouvrier, ni excéder la somme de six mille francs.

Les frais de traitement médical, d’entretien et d’inhumation ne sont pas compris dans ce maximum.

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En l’occurrence, la question n’est pas de savoir si la solution adoptée était généreuse ou non, mais plutôt, si elle était matériellement satisfaisante pour la victime.

A l’évidence, les 6 salaires annuels mettaient Rosa Merz, à terme, dans une situation financière extrêmement précaire et on ne voit pas comment elle ne tombait pas à la charge soit de sa famille et de ses proches, soit de la communauté.

Seulement sept ans plus tard, en 1907, le Tribunal fédéral tint un langage très différent. Dans la cause Riedel contre Buol,4 la demanderesse Olga Riedel, une fille âgée de 8 ans, se fit mordre au visage par le chien du restaurateur et maître-boucher Buol. Les rapports médicaux firent état d’une profonde plaie d’environ 7 centimètres entre le nez et l’extérieur du visage et de différentes autres lésions et déchirures autour des yeux et du nez. La guérison était accompagnée de plusieurs complications douloureuses. Un des médecins traitants finit son rapport par le constat que « la fille qui était belle auparavant sera fortement défigurée par cette cicatrice pour le restant de sa vie ». L’ophtalmologue conclut à des complications ultérieures possibles parce qu’un muscle de l’œil avait été touché et ajouta que la fille subissait par la défiguration un désavantage significatif (bedeutender Nachteil). L’expert judiciaire n’exclut pas des complications ultérieures dans la région nasale. Il qualifia la défiguration de ‘durable’, mais essentiellement cosmétique.

Cette cause fut soumise à la responsabilité du détenteur d’animaux5. Dans les considérants, les juges retenaient d’abord une négligence très grave du défendeur, étant donné une absence totale de surveillance d’un chien qui avait déjà mordu à de multiples reprises (ein unvertrautes, bissiges Tier). Pour fixer les montants dus à la défenderesse, le Tribunal fédéral retint trois postes différents : les frais médicaux, les désavantages économiques futurs de la victime ainsi que le pretium doloris et autres réparations du tort moral. Ce sont surtout les désavantages économiques futurs qui retenaient l’attention de la Haute Cour. La demanderesse avait fait valoir que la défiguration la désavantagerait à l’avenir dans toutes les activités liées à des tâches de représentation.

Les juges constataient – à mon sens à juste titre – que cela ne constituait pas une incapacité de travail, mais une compromission de l’avenir, réglée dans l’art. 53,2 de l’ancien Code des obligations.6 Ils approuvèrent le constat de l’instance précédente, selon laquelle la défiguration allait restreindre le champ d’activités possibles de la victime ainsi que ses chances de mariage. Ils considérèrent ces deux éléments comme des facteurs compromettant l’avenir de la demanderesse. En tenant compte à la fois de la faute grave du défendeur et de la possible aggravation de l’état de santé de la victime, ils fixèrent le dédommagement pour ce point à frs. 4000.-.

4 ATF 33 II 124.

5 Code des Obligations suisse du 14 juin 1881 (Feuille fédérale suisse XXXIII, vol. III, n° 26, samedi 18 juin 1881) (aCO).

Art. 65. En cas de dommage causé par un animal, la personne qui le détient est responsable, à moins qu'elle ne justifie l'avoir gardé et surveillé avec le soin voulu, et sauf son recours si l'animal a été excité soit par un tiers, soit par un animal appartenant à autrui.

6 aCO Art. 53. En cas de lésion corporelle, la personne lésée a droit au remboursement des frais et aux dommages et intérêts résultant d'une incapacité de travail totale ou partielle.

Si elle a été mutilée ou défigurée d'une manière qui compromette son avenir, le juge peut aussi lui allouer une indemnité pour ce préjudice.

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En ce qui concerne le pretium doloris et autres torts moraux, soumis à l’art. 54 de l’ancien Code des obligations,7 la Haute Cour tint compte de la gravité des blessures, du degré des douleurs physiques passées et à venir ainsi que des souffrances psychiques, notamment de la diminution de la joie de vivre, pour allouer une somme de frs. 2000.-

Combien valait le visage de Olga Riedel ? Outre les frais médicaux, qui n’étaient pas contestés par les parties, le Tribunal fédéral alloua frs. 4000.- pour la compromission de l’avenir économique et frs. 2000.- à titre de tort moral, soit un total frs. 6000.-.

Une comparaison avec le cas Rosa Merz frappe par la différence des montants alloués. Rosa Merz reçut 7 ans auparavant seulement frs. 1800, plus les frais médicaux, soit moins d’un tiers de la somme allouée à Olga Riedel. Si on tient compte du fait que les deux jeunes femmes étaient gravement défigurées dans le visage et que, en plus, Rosa Merz souffrait d’une incapacité de travail d’environ 60-70%, le sort d’Olga Riedel, aussi lourd ait-il été, aurait probablement paru enviable à Rosa Merz. Certes, les deux jugements ont été rendus à un intervalle de 7 ans.8

Mais, ce qui frappe davantage encore, c’est la différence entre les deux discours juridiques. Dans le cas Olga Riedel, les juges se concentrèrent d’abord sur la compromission de l’avenir économique de la victime, en détaillant les différents point déterminants : les possibilités de travail et les chances de mariage. Dans le cas Rosa Merz, rien de tout cela ne fut même évoqué. Ensuite, le Tribunal fédéral s’intéressa, dans le cas Riedel, aux douleurs endurées et distingua même entre douleurs physiques et psychologiques. A nouveau, dans le cas Merz cette problématique fut à peine effleurée.

Comment expliquer cette différence importante entre les deux causes ? Le point central est sans doute la base légale, à partir de laquelle les décisions furent prises : dans le cas Merz, la loi fédérale sur la responsabilité civile des fabricants du 25 juin 1881, dans le cas Riedel l’ancien Code des obligations. Une des différences essentielles entre ces deux corps de normes résidait dans le fait que la loi sur la responsabilité des fabricants fixait, en son art. 6, les prestations maximales du fabricant à 6 salaires annuels. L’employeur ayant offert ce maximum dès le départ, le débat autour des critères d’allocation pouvait paraître largement inutile. A la différence de cette lex specialis, l’ancien Code des obligations ne fixait pas de telles limites et imposait ainsi une discussion des critères d’allocation. En comparant les deux résultats, force est de constater qu’il ne faisait pas bon vivre sous la lex specialis qui, en comparaison avec la lex generalis et dans certains cas au moins, pouvait aboutir à des désavantages très considérables. Evidemment, ce constat paraît paradoxal, étant donné qu’on attendrait de cette lex specialis une meilleure protection plutôt du travailleur que de l’employeur.

7 aCO art. 54. En cas de lésion corporelle ou de mort d'homme, le juge peut, en tenant compte des circonstances particulières, notamment s'il y a eu dol ou faute grave, allouer une somme équitable à la victime ou a sa famille, indépendamment de la réparation du dommage constaté.

8 Une comparaison des salaires moyens montre que, entre 1900 et 1913, les prix n’ont pas évolué de manière notable. Voir infra n. 20.

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La même année, dans la cause Steiner contre Zini,9 le cheval du défendeur avait rué et frappé, le demandeur en plein visage, lui cassant les mâchoires inférieure et supérieure et des dents. Le demandeur était hospitalisé pendant plus d’un mois ; il subissait une incapacité complète de travail de 4 mois et une incapacité à raison de 50%

également pendant 4 mois. Le Tribunal fédéral suivit l’instance précédente en allouant environ frs. 1000.- pour perte de gain (en partant d’un revenu mensuel de frs. 180.-).

Outre les frais médicaux, il alloua frs. 500.- pour un dentier, réparations futures y comprises.

Cette cause était soumise aux dispositions réglant la responsabilité du détenteur d’animaux de l’ancien Code des obligations.10 La deuxième instance reconnut que le demandeur avait subi une lésion grave qui allait, à l’avenir et de temps en temps, compromettre sa capacité de travail. Néanmoins, elle n’alloua aucune réparation à ce titre et biffa également le pretium doloris de frs. 300.- que la première instance avait alloué. Sur les deux points, le Tribunal fédéral suivit l’instance précédente, en ajoutant que l’accident ne présentait pas de circonstances particulières suffisantes justifiant des dommages-intérêts pour les douleurs subies. Notons en outre qu’une défiguration, qui s’était vraisemblablement produite, ne trouva même pas mention, alors que l’art. 53 aCO11 permettait de tenir compte des défigurations compromettant l’avenir de la victime.

Combien valait le visage de ce maître cordonnier de 39 ans ? En fait, il ne valait rien. Le Tribunal fédéral consentit, ensemble avec la deuxième instance, les frais liés au rétablissement des fonctions physiques : soins des mâchoires et frais pour un dentier. Le visage en tant que tel et sa défiguration probable ne faisaient pas l’objet d’une discussion. Etait-ce dû au fait que Steiner était marié ou que l’extérieur d’un homme dans sa situation n’était pas particulièrement valorisé ? Sans doute, l’apparence faciale ne compromettait pas, aux jeux des juges, la situation matérielle de la victime. Mais, le Tribunal fédéral fit un pas de plus. Il ne tint même pas compte des incapacités temporaires de travail que la blessure allait engendrer à l’avenir, sans parler des douleurs subies. En d’autres termes : non seulement le visage ne valait rien, mais même des compromissions passagères de la capacité de travail ne méritaient pas de réparation.12

La comparaison entre les affaires Steiner et Riedel montre d’importantes différences dans la jurisprudence du Tribunal fédéral, même si les deux décisions ont été basées sur la même loi. Nos juges avaient considéré dans le cas Steiner que les deux mâchoires cassées du maître-cordonnier et la perte de quelques dents ne justifiaient pas

9 ATF 33 II 582.

10 aCO art. 65 (supra n. 5).

11 aCO art. 53 (supra note 6).

12 D’ailleurs, huit ans plus tard, dans la cause Iten contre Hugener (ATF 40 II 274), la demanderesse, qui avait été blessée grièvement et avait notamment perdu un oeil lors d’une explosion, faisait valoir, outre les frais médicaux, des dommages-intérêts parce qu’elle avait perdu 30% de sa capacité de travail, mais sans faire valoir des dommages-intérêts pour la défiguration qu’elle avait subie. A nouveau, on peut se demander si le fait qu’elle était déjà mariée au moment des faits n’avait pas joué un rôle dans la formulation de la demande.

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de pretium doloris, alors que, chez Olga Riedel, ils tinrent compte de manière détaillée des douleurs physiques et psychiques, présentes et futures. Certes, l’âge des deux victimes pouvait jouer un rôle dans l’appréciation des douleurs : Steiner était un artisan de 39 ans et Olga Riedel une petite fille de 8 ans.

La situation de la victime de lésions faciales continua à se modifier par la suite.

Trois décennies après la dure décision Rosa Merz, dans une cause de 1930, Elektrische Strassenbahn Wetzikon-Meilen AG et Schiesser contre Fischer,13 le demandeur Fischer, alors âgé de trois ans, se promenait entre les deux rails du tramway Wetzikon-Meilen, en tournant le dos au wagon de tram qui s’approchait de lui. Le conducteur du tram, occupé à trier des sacs postaux au lieu d’observer la course de son véhicule, ne vit pas le petit garçon. Le tram le renversa sur son chemin et passa par-dessus son corps. Depuis, le demandeur portait une grande cicatrice bien visible (grosse und auffallende Narbe) dans la partie gauche de son visage. Il demanda aux défendeurs la somme de frs.

10'000.- Au cours de la procédure, l’entreprise de tramway régla les frais médicaux et lui proposa frs. 2000.-

Dans ses considérants, le Tribunal fédéral se pencha sur les raisons qui pouvaient justifier dans ce cas des dommages-intérêts (Schadenersatz). Il approuva le point de vue de l’instance précédente, selon laquelle la défiguration pouvait limiter le choix professionnel de la victime et la désavantager dans la compétition professionnelle.

Il y ajouta que ce type de séquelle pouvait rendre plus difficile et plus pénible l’avenir économique de la victime (Erschwerung des wirtschaftlichen Fortkommens). Il lui parut probable que Fischer n’aurait pas les facilités professionnelles et économiques d’une personne qui n’était pas défigurée. De ce fait, le parcours professionnel de Fischer serait plus difficile et les efforts à fournir plus importants que ceux d’autres personnes. De ce fait, ajouta le Tribunal fédéral, on pouvait même parler d’une incapacité partielle de travailler. Notons en passant que cette dernière remarque tranche avec le cas Riedel contre Buol, où les juges avaient pris le soin de distinguer entre les difficultés futures découlant de la défiguration et l’incapacité de travail.

Toutefois, le Tribunal fédéral ne se limita pas à des considérations économiques.

Il suivit l’instance inférieure dans son constat que les douleurs subies par un petit enfant méritaient l’allocation d’un tort moral au même titre que ceux d’un adulte. En outre, le Tribunal fédéral reprit l’idée que la défiguration allait probablement provoquer des sentiments d’infériorité (Minderwertigkeitsgefühle) qui exigeaient également réparation. Il confirma entièrement la décision de l’instance précédente qui avait fixé la réparation des désavantages économiques futurs à frs. 1500.- et le tort moral à frs.

3500.-, soit la moitié de la somme initialement réclamée par le demandeur.

Avant d’analyser ce jugement de 1930 et de le comparer à celui de 1900 dans l’affaire Rosa Merz, relevons à titre préliminaire que les deux décisions ont été prises sur la base de deux lois spéciales différentes : le cas Fischer tombait sous la loi fédérale sur la responsabilité civile des entreprises de chemins de fer et de bateaux à vapeur et

13 ATF 56 II 396.

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des postes du 28 mars 1905. L’art. 314 de cette loi prévoyait notamment le remboursement des frais médicaux et des dommages-intérêts pour incapacité de travail.

En cas de mutilation ou défiguration, le juge pouvait en outre allouer une indemnité pour la compromission de l’avenir du lésé. La cause Merz, en revanche, était soumise, nous l’avons vu, à la loi sur la responsabilité civile des fabricants du 25 juin 1881 qui fixait un plafond de 6 revenus annuels. L’employeur ayant d’emblée offert le maximum prévu par la loi, cette cause rendit la marge d’appréciation du juge moins importante.

Les raisonnements juridiques étaient donc nécessairement différents.

Relevons ici avant tout l’évolution du discours de nos juges. Dans l’arrêt Rosa Merz, la préoccupation première était la réparation des fonctions vitales et le montant à allouer pour une perte de gain présente et future. La défiguration de la victime et les désavantages qui pouvaient en découler pour elle jouaient tout au plus un rôle marginal.

Certes, la discussion avait été coupée du moins partiellement par la loi elle-même qui prévoyait pour la réparation un plafond de six salaires annuels. Néanmoins, la douleur endurée par la victime, la gravité des séquelles et les conséquences graves sur sa vie ne furent même pas évoquées pour allouer, finalement, la réparation maximale que la loi prévoyait.

Dans l’arrêt Fischer, l’optique des juges avait complètement changé. Ensemble avec l’instance précédente, le Tribunal fédéral mit l’accent sur les triples conséquences de la défiguration : premièrement, cette dernière revenait à une incapacité de travail partielle, du fait qu’elle désavantageait la victime dans son évolution économique.

Deuxièmement, elle avait engendré des douleurs au moment de l’accident et, troisièmement, la victime allait éprouver des difficultés psychologiques dans sa vie future. C’est largement autour de ces trois facteurs que le raisonnement des juges tournait.

Sur le plan matériel, il est évidemment délicat de comparer les deux décisions.

Mais, pour évaluer la valeur de la somme versée à Fischer, nous pouvons comparer la base de calcul utilisée par le Tribunal fédéral avec d’autres causes de la même période.

Dans une cause Fischer contre Sauter15 qui avait été tranchée en 1930, les juges partaient d’un salaire annuel de frs. 4260.- pour un ouvrier partiellement handicapé et dans une cause de 192816 d’un salaire annuel de frs. 7400.- pour un policier de 35 ans.

Si on compare les frs. 5000.- alloués au garçon Fischer, auxquels il faudrait encore

14 Loi fédérale sur la responsabilité civile des entreprises de chemins de fer et de bateaux à vapeur et des postes du 28 mars 1905 (voir feuille fédérale suisse 1905/2, 894-900).

Art. 3. Les lésions corporelles donnent à la personne lésée droit au remboursement des frais et aux dommages- intérêts pour incapacité de travail totale ou partielle. Si le blessé a été mutilé ou défiguré d'une manière qui compromette son avenir, le juge peut aussi lui allouer une indemnité pour ce préjudice.

Art. 8. S'il y a eu faute de l'entreprise ou des personnes mentionnées à l'article 1er, alinéa 2, le juge peut, en tenant compte des circonstances particulières, notamment quand il y a eu dol ou faute grave, allouer à la partie lésée ou, en cas de mort, à la famille de la victime une somme équitable, indépendamment de la réparation du dommage constaté.

15 ATF 56 II 283.

16 ATF 54 II 294 Hinnen und Genossen gegen Jaeger.

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ajouter la capitalisation jusqu’à l’âge adulte de la victime, on s’aperçoit rapidement et en tenant compte des difficultés décrites par les juges, que les dommages-intérêts et le tort moral qui lui étaient versés risquaient de le mettre dans une situation économique plutôt précaire.

Quinze ans plus tard, en 1955, Irene Wenger, alors âgée de 2 ans et 8 mois, échappa à la surveillance de ses parents et se glissa sous la barrière d’un passage à niveau des Chemins de fer fédéraux (CFF) pour aller jouer avec des petits camarades.

Happée par un train, elle subit des lésions à la jambe droite et à la tête. Après des soins hospitaliers, les médecins diagnostiquèrent comme lésions permanentes une défiguration cosmétique importante du visage (beträchtliche kosmetische Entstellung) et un strabisme ainsi qu’une forte perte de la vue de l’oeil gauche.

La lésée demanda aux CFF les frais médicaux, frs 13'608.- de dommages- intérêts et frs. 2000.- de tort moral. En légère modification du jugement de l’instance cantonale, le Tribunal fédéral lui accorda les frais médicaux, une rente mensuelle équivalant à un capital de frs 13'608.- et frs. 2000.- de tort moral.

La discussion des différents éléments de la demande portait notamment sur la rente et le tort moral. Par rapport à la rente, la demanderesse avait réduit de son plein gré le taux d’invalidité prévisible à 20%, alors que les experts l’avaient situé entre 20 et 30 %. Quant au montant, elle partait de l’idée qu’elle travaillerait probablement comme ouvrière dans une fabrique et proposa comme base de calcul un revenu mensuel de frs.

350.-, soit le montant correspondant à un capital de frs. 13’608-. Sur ce point, le Tribunal fédéral accepta la demande, mais imposa au lieu du capital le versement d’une rente.

Quant au tort moral, le Tribunal fédéral se basa sur l’art. 8 de la loi fédérale sur la responsabilité des entreprises de chemin de fer17 de 1905. Etant donné que les Chemins de fer fédéraux avaient commis une faute parce que la barrière du passage à niveau ne répondait pas aux exigences légales de sécurité, il alloua à la demanderesse frs. 2000.- à titre de tort moral en considérant, en quelques mots, que Irene Wenger allait souffrir, en tant que femme, des suites cosmétiques de l’accident et du strabisme de son œil gauche.

Combien valait le visage d’Irene Wenger qui était invalide à 20 % environ ? Une rente équivalant à un capital de frs. 13'608.-, soit 20% d’une rente mensuelle de frs.

350.-.

Quelques mois plus tard, le Tribunal fédéral avait à connaître d’un cas concernant une fille de deux ans et demi, Isabelle Ackermann, qui avait été mordue par un chien.18 Selon les rapports médicaux, la morsure avait causé une déchirure grave entre l’œil droit et l’oreille, la bouche et le nez. Après guérison, il restait une vilaine

17 Voir supra n. 14 ; à notre connaissance, cet article n’a pas été révisé dans l’intervalle.

18 ATF 81 II 512.

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cicatrice rose. Les experts constatèrent également qu’une opération cosmétique permettait peut-être de rendre la cicatrice moins visible, mais excluaient qu’elle pourrait disparaître avec le traitement.

Le cas fut soumis aux art. 56 et 46 du Code des obligations. La demanderesse réclama du défendeur frs. 20'000.- à titre de dommages-intérêts et tort moral. En première instance, on lui accorda frs. 9000.-. La deuxième instance confirma la décision.

Le Tribunal fédéral prit en compte les soins médicaux de frs. 100.- et y ajouta frs. 300-500.- pour la future opération cosmétique. Il pronostiqua même que cette intervention n’occasionnera pas de douleurs. Il soumit le dommage définitif à une nouvelle expertise qui devait intervenir après l’opération.

Par rapport à la capacité de travail d’Isabelle Ackermann, les juges constatèrent que, avec ou sans opération, elle ne serait pas diminuée. En revanche, dirent-ils, la cicatrice compromettait définitivement l’apparence extérieure de la fille et, par conséquent, portait atteinte à son avenir économique.

Ils constataient également qu’Isabelle, en tant que fille de pharmacien, ne se contenterait probablement pas d’un travail manuel et sera par conséquent limitée dans le choix professionnel, étant donnée qu’elle ne pourra pas s’engager dans une activité professionnelle exigeant un extérieur agréable, ou, à tout le moins, elle serait confrontée dans ce cas à des difficultés supplémentaires par rapport à ses concurrentes. Par ailleurs, ajouta la Haute Cour, l’expérience de la vie enseignait qu’une fille défigurée avait des possibilités réduites de se marier et d’améliorer ainsi sa situation économique.

Finalement, le Tribunal fédéral constata que la demanderesse avait subi des douleurs physiques et devait, en plus, porter un fardeau moral (seelische Belastung) consécutif à la défiguration durable de son visage.

Sur la base notamment de ces considérations, le Tribunal fédéral alloua frs.

7000.- de dommages-intérêts et frs. 2000.- à titre de tort moral, en ajoutant que cette dernière somme aurait sans autre pu s’élever à frs. 3000.- ou 4000.-.

Combien valait le visage d’Isabelle Ackermann ? Outre les frais médicaux, il valait 7000.- de dommages-intérêts pour la compromission de l’avenir économique et frs. 2000.- pour tort moral, soit un total de frs. 9000.- plus les frais médicaux et l’opération cosmétique future (env. frs. 500.-). Notons que seulement 1/18 de cette somme servait au rétablissement physique de la victime. Les autres 17/18 servaient de dommages-intérêts pour la dégradation de l’avenir économique et devaient compenser les difficultés physiques et psychiques. Cette solution tranche particulièrement avec le cas du maître-cordonnier Steiner de 1907,19 où les juges s’étaient également basés sur la responsabilité pour animaux, mais où ils réparèrent seulement les fonctions physiques

19 Voir supra.

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de la victime, en laissant de côté non seulement la perte de gain future occasionnée par les difficultés que l’artisan Steiner ne manquerait pas de rencontrer, mais aussi la douleur subie par une personne qui s’était fait détruire les mâchoires par un coup de sabot. Elle tranche bien sûr encore davantage avec la cause Rosa Merz contre Strub Glutz & Cie SA de 1900, où la Haute Cour n’évoqua même pas la défiguration et les peines passées et futures de la demanderesse.

En revanche, la cause Isabelle Ackermann est relativement proche de la cause Riedel contre Buol de 1907 où la petite Olga s’était fait mordre par le chien du maître- boucher. 48 ans plus tard, les juges se référaient extensivement à cette cause pour motiver leur décision. Les critères étaient restés les mêmes et, par rapport aux décisions analysées, le discours ne s’est pas fondamentalement modifié entre 1907 et 1955, même si les juges de Mont-Repos étaient probablement plus sensibles à la situation future de la fille du pharmacien Ackermann que ne l’étaient leurs collègues au début du siècle face au sort de la fille de l’artisan Riedel.

Si on voulait former des groupes par rapport aux considérations des juges, il faudrait retenir ensemble les décisions concernant les enfants – deux filles et un garçon, tous âgés de moins de 11 ans. La discussion de l’avenir économique y est détaillée et nuancée. Les juges y abordèrent, outre les frais médicaux qui posaient généralement peu de problèmes, les dommages-intérêts pour la compromission de l’avenir économique et la restriction dans le choix professionnel ainsi que le tort moral pour des douleurs physiques et psychiques.

Un autre groupe formerait les décisions par rapport à des adultes. Notamment la cause de l’artisan Steiner, mais aussi d’autres décisions auxquelles je renvoie dans les notes, montrent une discussion pauvre et peu nuancée. L’avenir économique y joue un rôle secondaire et la défiguration ne pèse pas lourd, même pas pour les femmes. Un cas extrême est sans doute celui de la jeune ouvrière Rosa Merz, où la défiguration ne fut même pas mentionnée, ni la compromission de l’avenir économique.

Sur le plan économique, toute comparaison est délicate, du fait que la valeur de l’argent a évidemment varié pendant la première moitié du siècle. J’essaierai toutefois d’établir des ordres de grandeur sur la base d’informations non publiées de l’Office fédéral des statistiques.20

20 1913

Plus de 18 ans

Ouvrier (ferblantier, chef de chantier) : env. 7.80/jour

Ouvrière 3.36/jour

Moins de 18 ans

Garçons 2.79/jour

Filles 2.24/jour

1930 (sous réserve de modifications des techniques statistiques) Plus de 18 ans

Ouvrier qualifié ou partiellement qualifié 12.57/jour

Sans formation 9.90/jour

(13)

Pour comparer les 6 cas, j’adopterai la démarche suivante : je comparerai la somme allouée à chacune des victimes au revenu moyen correspondant, lors de l’année de la décision, à la catégorie à laquelle la victime appartenait selon les juges. Cette comparaison vise à évaluer dans quelle situation économique les victimes se trouvaient après l’accident.

Rosa Merz (1900)

16 ans au moment des faits ; assimilée au statut de jeune ouvrière après apprentissage ; Incapacité de travail de 60-70 % ; défiguration grave du visage et notamment de la main Base de la décision : loi sur la responsabilité civile des fabricants (1881)

Somme allouée sans frais médicaux et perte de gain passée

(6 salaires annuels) : 1800.-

Revenu moyen/année de sa classe (personne sans formation particulière) ; chiffres de 1913 pour jeunes femmes de moins de 18 ans

(2.24 x 300)21 672.-

Rosa Merz reçut environ 2,7 salaires annuels de sa classe, en souffrant d’une incapacité de travail de 60-70% et d’une défiguration grave.22

Olga Riedel (1907) 8 ans au moment des faits ;

Défiguration durable ; complications médicales ultérieures possibles ; compromission de l’avenir économique et du choix professionnel ; tort moral pour pretium doloris physique et psychique et diminution des chances de mariage

Moins de 18 ans (toutes catégories) 5.45/jour

1955 (sous réserve de modifications des techniques statistiques) Plus de 18 ans

Employé qualifié (avec apprentissage, p.ex. comptable)

Homme 998/mois

Femme 654/mois

Employé partiellement qualifié (p.ex. aide-comptable)

Homme 720/mois

Femme 487/mois

Sans qualification (Hilfsangestellter)

Homme 634/mois

Femme 420/mois

21 Les chiffres de 1913 pour cette catégorie correspondent à peu de choses près à l’estimation que le tribunal de première instance avait faite dans l’arrêt Merz en 1900, en supposant que la demanderesse devrait gagner prochainement frs. 2.50/jour.

22 A titre de comparaison direct avec les chiffres de l’année 1900, un garçon qui avait été happé par un train et dont l’incapacité de travail avait été estimée à 0-10% reçut la même année une réparation du préjudice de frs. 1000.- (ATF 26 II 635). Notons au passage que, dans cet arrêt basé sur la loi fédérale sur la responsabilité des entreprises de chemin de fer etc de 1875, les juges avaient du moins mentionné que ses chances de mariage n’étaient pas compromises par les séquelles de l’accident, alors que, dans le cas Merz, les juges s’étaient tus également sur ce point.

(14)

Base de la décision : art. 65 aCO

Somme allouée : 6000.-

Revenu moyen/année de sa future classe (métier manuel) ;

chiffres 1913 pour une ouvrière (3.36 x 300) 1008.-

Olga Riedel reçut 6 salaires annuels de sa classe.

Steiner (1907)

39 ans au moment des faits ; maître cordonnier ; marié ; légère et occasionnelle incapacité de travail ; défiguration probable des mâchoires et dents remplacées par un dentier ;

Base de la décision : art. 65 aCO

Somme allouée (sans frais médicaux et perte de gain passée) 0.- Revenu moyen/année de sa classe (artisan ; chiffres de 1913) env. 2340.- Steiner n’a rien reçu pour les lésions subies et douleurs endurées ; on lui a seulement remboursé la perte de gain passée et les frais médicaux.

Fischer (1930)

Garçon âgé de 3 ans au moment des faits ;

Défiguration grave du visage constituant une ‘incapacité partielle’ de travail ; pretium doloris physique et psychique ; choix professionnel limité ;

Base de la décision : loi fédérale sur la responsabilité des entreprises de chemins de fer etc. de 1905 ;

Somme allouée sans frais médicaux pour désavantages économiques

futurs frs. 1500.- et tort moral frs. 3500.-: 5000.-

Future classe professionnelle pas précisée par le TF ;

Revenu moyen/année d’un ouvrier qualifié (12.75 x 300) 3825.- Fischer a ainsi reçu environ 1,3 salaires annuels d’un ouvrier qualifié.

Irene Wenger (1955)

2 ans et 8 mois au moment des faits :

Incapacité de travail de 20% ; défiguration du visage ;

Base de la décision : Loi fédérale sur la responsabilité des chemins de fer (1905) Somme allouée (sans frais médicaux): une rente annuelle de frs. 840.-

(soit 20% du salaire futur probable d’ouvrière), calculée à partir d’un capital

Capital de référence : 13'608.-

plus tort moral 2’000.-

TOTAL 15'608.-

(15)

Revenu moyen/année de sa classe future probable (ouvrière)23 4’241.- Ici, la comparaison avec les autres cas est délicate, parce que la victime perçoit une rente. Une comparaison à partir de la valeur en capital de la rente plus le tort moral reviendrait à 3,7 salaires annuels d’une ouvrière. A souligner que l’invalidité d’Irene Wenger fut alors évaluée à 20 %.

Isabelle Ackermann (1955) 2 ans et demi au moment des faits ;

Défiguration du visage ; compromission de l’avenir professionnel ; Choix professionnel et chances de mariage réduits

Base de la décision : art. 56 CO

Somme allouée (sans frais médicaux) ; dommages-intérêts (7000.- et

2000.- pour tort moral) 9’000.-

Revenu moyen/année de sa future classe (employée qualifiée) 7’848.- Isabelle Ackermann reçut 1,15 salaires annuels de sa classe.

III. CONCLUSION

Premièrement, les sommes allouées aux différentes victimes sont, pour plusieurs d’entre elles, clairement insuffisantes. Rosa Merz (1900), qui reçut à 16 ans 2,5 salaires annuels alors qu’elle souffrait d’une incapacité de travail de 60-70 % se trouvait sans doute, nous l’avons dit, dans une situation matérielle extrêmement tendue. Aussi Irene Wenger (1955), handicapée à (au moins) 20%, reçut avec 3,5 salaires annuels des dommages-intérêts qui ne compensaient de loin pas la perte de gain qu’elle devait subir au long de sa vie. Fischer (1930) et Isabelle Ackermann (1955), qui reçurent respectivement 1,3 et 1,15 salaires annuels, avec des défigurations qui n’impliquaient pas de véritable incapacité de travail, se trouvaient dans une situation difficile sans nécessairement tomber dans le dénuement. Le même constat est vrai pour Olga Riedel (1907), qui, toutefois, reçut avec 6 salaires annuels des dommages-intérêts moins précaires.

Deuxièmement, les arrêts du Tribunal fédéral montrent une claire évolution du discours qui, en tout cas par rapport aux enfants, se raffine progressivement. Peut-être, après les thèses matérialistes dominantes à la fin du 19e siècle, l’essor formidable de la psychologie au début du 20e siècle commençait ici à laisser des traces dans la perception de nos tribunaux.

Troisièmement, l’évolution du discours n’est pas accompagnée d’une évolution du traitement matériel, qui ne s’améliore pas au fil des décennies. Ainsi, la victime la mieux dédommagée semble bien être Olga Riedel en 1907.

23 Base de calcul : 1,88.-/heure ; env. 47h/semaines ; env. 48 semaines/année (sous déductions des vacances et jours fériés).

(16)

Force est de constater que les assurances sociales et notamment l’assurance invalidité instaurée en 1959 répondaient à un vrai besoin matériel des victimes.

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