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Cours d'histoire suisse

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Cours d'histoire suisse

ROSSI, Pellegrino

ROSSI, Pellegrino. Cours d'histoire suisse . Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2000, 339 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:138345

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SUISSE

GRAN OS TEXTES

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El

COLLECTION GENEVOISE

Cours d'histoire suisse

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Pellegrino Rossi

Cours d'histoire suisse

Edité et préfacé par

Alfred Dufour

Helbing & Lichtenhahn Bâle · Genève · Munich 2000

Faculté de Droit de Genève

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Rossi, Pellegrino:

Cours d'histoire suisse/ Pellegrino Rossi. Ed. et préf. par Alfred Dufour. Faculté de Droit de Genève. - Bâle ; Genève ; Munich : Helbing et Lichtenhahn, 2000

(Collection genevoise) ISBN 3-7190-1907-1

La publication de cet ouvrage a été honorée par une subvention du Fonds Rapin de l'État de Genève.

Crédits photographiques de la page 2: Centre d'iconographie genevoise, Collection de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève; des pages 16, 80, 248, 271, 294 et 322, Cabinet des Estampes, Bibliothèque nationale suisse, Berne; carte historique, hors texte, copyright Hallwag SA, Berne.

Tous droits réservés. L'œuvre et ses parties sont protégées par la loi. Toute utilisation en de- hors des limites de la loi demande l'accord préalable de l'éditeur.

ISBN 3-7190-1907-1

© 2000 by Helbing & Lichtenhahn, Bâle

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Le Cours d'histoire suisse que Pellegrino Rossi donne à Genève en 1831-1832 mé- rite à plus d'un titre de retenir l'attention. Destiné à développer le patriotisme helvéti- que de la jeunesse du dernier venu des XXII Cantons de la Confédération suisse de

1815 en la familiarisant avec les «lieux de mémoire» de sa nouvelle patlie, il constitue d'abord, en effet, le premier enseignement d'histoire nationale dispensé à l' Acadé- mie de Calvin. Ensuite, donné de décembre 1831àmi-avril1832, il coïncide, d'une part, avec le grand tournant que représente dans l'histoire constitutionnelle de la Suisse moderne l'amorce de la première procédure de révision du Pacte fédéral de 1815, d' auti·e pait, avec la nouvelle dimension helvétique que prend la carrière politique de Pellegrino Rossi de par sa désignation comme l'un des représentants de Genève à la Diète fédérale le 2 mai 1832. En ce sens, le Cours d'histoire suisse de 1831-1832 et le Projet d'Actefédéral de décembre 1832 auquel aboutit la procédure de révision amorcée en mars 1831 - le Pacte Rossi - apparaissent étroitement liés l'un à l'autre, l'un constituant la préparation del' autre. Enfin, le Cours d'histoire suisse professé par Rossi à Genève représente l'amorce d'un enseignement d'histoire constitution- nelle de la Suisse, puisqu'il est le premier à exposer les particularités institutionnelles de la formation de la Suisse et à en souligner l'originalité en Europe: la relation spéci- fique entre mouvement communal et fédéralisme, entre liberté communale et prin- cipe fédéral, seule à même d'assurer la sauvegarde del' unité dans le respect de la diversité. De ce fait ce Cours d'histoire suisse intéresse aussi bien les historiens du droit constitutionnel que les historiens helvétiques etc' est à ce titre que sa publica- tion trouve sa place dans l'une des séries historiques de la Collection genevoise; elle ne pouvait mieux inaugurer aussi la nouvelle série Grands Textes.

* * *

Bien que nous ayons déjà eu l'occasion del' exposer à deux reprises-dans notre Hommage à Pellegrino Rossi ( 1787-1848) de 1998, publié pour le 150ème anniver- saire de sa mort1, et dans une communication de 1998 à la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève en guise de commémoration du 150ème anniversaire de no- tre Etat fédéral2 - il ne nous pai·aît pas inutile de rappeler comment ce Cours d'histoire suisse se situe dans la carrière académique et politique de Pellegrino Rossi à Genève comme dans son œuvre et sa pensée d'historien.

1 Cf. A. DUFOUR, Hommage à Pellegrino Rossi (1787-1848), Genevois et Suisse à voca- tion européenne, Coll. Genevoise, «Les Grands Jurisconsultes», Bâle-Genève-Munich 1998, 156 p.

2 Cf. A. DUFOUR, «Pellegrino Rossi historien de la Suisse - En marge du 15ryme anniver- saire de l'Etat fédéral», Bulletin de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève, t. 28, 1998, pp. 45-70.

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Réfugié à Genève dès 1815 au lendemain de la déroute du Roi Joachim Murat (1767-1815), auquel, jeune avocat et professeur bolonais, ils' était rallié, Pellegrino Rossi parviendra assez rapidement, grâce à ses relations d'affaires et à ses amitiés mondaines, à se faire une place dans le monde académique comme dans le monde politique genevois de la Restauration.C'est ainsi qu'après un cours privé mémorable de jurispmdence sur «1' origine et le développement du droit, surtout chez les Romains»

en février 1819, Rossi sera nommé par appel le 3 avril de la même année à la chaire de droit romain et de droit criminel de la Faculté de Droit, faisant du même coup figure de premier professeur catholique à l'Académie de Calvin. Enseignant en plus du droit romain et du droit criminel la procédure pénale et le droit international, voire même, dès 1826, le droit constitutionnel - qu'il professera aussi à Paris dès 1834-18353 -, Pellegrino Rossi dispensera encore à l'Académie, en 1827, le premier enseignement d'économie politique et, en 1831-1832, le premier cours d'histoire nationale que nous publions aujourd'hui, s'illustrant par ailleurs par une série de cours libres de législation et d'histoire: législation des peuples anciens, droit diplomatique, histoire romaine, histoire des Pays-Bas et histoire moderne. Mais, si brillant soit-il, Pellegrino Rossi n'est pas qu'un professeur à la mode, que le Tout-Genève de l'époque tient à entendre et à voir comme un autre Talma (BONSTETTEN); c'est également un savant romaniste et un jurisconsulte de premier ordre, estimé des plus hautes autorités scien- tifiques del' époque, que ce soit Savigny en Allemagne ou les fondateurs de la Thémis à Paris, avec lesquels il est en correspondance. Rossi fondera et dirigera ainsi dès 1820 à Genève avec P. F. Bellot (1776-1836), E. Dumont (1759-1829) et Sismondi ( 1773-1842), une Revue scientifique d'envergure et de rayonnement européens: les Annales de Législation et de Jurisprudence, qui deviendront en 1822 lesAnnales de Législation et d'Economie politique. Si les Annales de Législation genevoises ne survivront pas aux interventions intempestives des Cabinets de la Sainte-Alliance, ses rédacteurs préférant se saborder en 1823 plutôt que de se soumettre à la censure préa- lable du gouvernement genevois, elles n'en exerceront pas moins une fonction médiatrice appréciable dans le monde scientifique européen de !'époque de par la diffusion qu'elles assureront en français des principales thèses de la science juridique allemande, en particulier de !'Ecole du droit historique de Savigny (1779-1861), et de la philosophie du droit anglaise, notamment de !'Ecole utilitariste de Bentham (1748-1832), comme par la familiarisation qu'elles opéreront avec les caractéristi- ques des institutions judiciaires britanniques. Reconnu par Savigny comme le grand inspirateur des Annales de Législation genevoises, Rossi se fera cependant surtout connaître sur le plan scientifique par la publication en 1829 de son Traité de Droit pénal, qui ne sera pas loin de susciter autant d'écho qu'un demi-siècle plus tôt le Traité des délits et des peines de Beccaria (1738-1794 ), son illustre compatriote.

C'est que Rossi tendra à concilier, dans la perspective éclectique propre à toute sa pensée juridique et politique, tout à la fois «les principes spiritualistes classiques avec

3 Cf. A. DUFOUR, «Pellegrino Rossi publiciste», in: Des libe1tés et des peines, Actes du Colloque Pellegrino Rossi, Genève 1979, Genève 1980, pp. 215-247.

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les principes humanitaires de Beccaria et les principes utilitaristes de Bentham»

(J. GRAVEN).

Pellegrino Rossi n'est cependant pas qu'un savant de cabinet, ne sortant de sa tour d'ivoire que pour communiquer le fruit de ses recherches. Parallèlement à sa carrière académique, il entamera très tôt à Genève toute une carrière politique, qui s'articulera en deux phases se recoupant partiellement: cantonale genevoise (1820-1830 et 1831-1833) et fédérale suisse (1832-1833). C'est que, à peine nommé à l'Académie, Rossi se voit coup sur coup octroyer par le Conseil d'Etat- le gouver- nement genevois - le droit de bourgeoisie de la Cité de Calvin le 1er mars 1820 et présenter pour un mandat décennal comme candidat au Conseil représentatif - le Par- lement genevois-, connaissant une élection triomphale le 19 août 1820 de troisième élu sur 55 candidats par 715 voix sur 972. Dès lors, parallèlement à sa carrière scien- tifique, Pellegrino Rossi poursuivra une carrière parlementaire genevoise d'une extraordinaire intensité, illustrée tout à la fois par une éloquence magistrale, qui fera de lui, «seul orateur du Conseil représentatif dont le français n'était pas la langue maternelle» (W. E. RAPPARD ), le véritable oracle du Parlement genevois, et par une activité législative incessante, qui le verra entre 1820 et 1830 non seulement interve- nir dans la quasi-totalité des débats, mais surtout s'engager dans 27 Commissions parlementaires et faire fonction de Rapporteur pour plus de la moitié d'entre elles:

ainsi notamment en matière de fêtes religieuses ( 1821 ), de mariage civil ( 1824 ), de publicité des débats parlementaires ( 1826), de police des constructions ( 1829) et de police des fortifications (1829). Réélu avec éclat, après 1' année obligatoire de congé, en août 1831, deuxième sur 45 candidats par 948 voix sur 1128 votants, Rossi s 'enga- gera aussi activement dans son second mandat (1831-1833), mais avant tout à propos de questions fédérales, rapportant en particulier régulièrement sur les instructions et sur la politique de la députation genevoise aux Diètes fédérales de 1832-1833. C'est qu'alors l' «Italien-Genevois», comme on 1' appelait familièrement, entame la deuxième phase fédérale suisse de sa carrière politique, qui va faire de lui, avant le Général Guillaume-Henri Dufour ( 1787-187 5), le premier homme politique genevois à desti- née nationale helvétique.

Préparée par l'engagement de publiciste de Rossi dans les affaires fédérales avec le lancement le 16 mars 1832 du Fédéral, le premier journal politique genevois réso- lument fédéraliste, la carrière parlementaire helvétique de Pellegrino Rossi s'amorce avec sa désignation le 2 mai 1832 par le Conseil représentatif comme l'un des députés de Genève à la Diète fédérale avec le Syndic J. J. Rigaud, désignation renouvelée le 20 juin 1832 et les 22 février et 19 juin 1833. Aux Diètes ordinaires et extraordinaires réunies en 1832 à Lucerne et en 1833 à Zurich, cette carrière se profilera comme celle d'un médiateur et d'un conciliateur entre «l'impatience des uns» et «1' aveugle résis- tance des autres», prônant une politique de modération et de «progrès graduel» à l'image de la politique genevoise du Syndic J. J. Rigaud. C'est dans ces conditions que la carrière parlementaire helvétique de Rossi trouvera sa première consécration fédé- rale avec la nomination du député italo-genevois dans la Commission de révision du Pacte fédéral de 1815 constituée à la Diète fédérale de Lucerne en juillet 1832 et

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qu'elle sera couronnée avec sa désignation comme Rapporteur de la dite Commis- sion le 22 novembre 1832, ce qui associera désormais son nom au Rapport comme au Projet d 'Acte fédéral publié le 15 décembre 1832, connu précisément dans l'histoire constitutionnelle de la Suisse sous le nom de Pacte Rossi. Sommet de laphasefédé- rale suisse de la carrière politique du professeur et jurisconsulte genevois, le Pacte Rossi représente en quelque sorte l'aboutissement de tout son engagement scientifi- que et parlementaire et c'est dans cette perspective qu'il faut comprendre l'enseignement d'histoire nationale que Rossi donne à Genève en 1831-1832.

Il s'en faut de beaucoup cependant que le Cours d'histoire suisse que Rossi professe à Genève au moment où prend forme la procédure de révision du Pacte fédé- ral de 1815 ne soit qu'une manœuvre politique. Le Cours d'histoire suisse que le professeur genevois dispense entre décembre 1831 et mi-avril 1832 prend place, en effet, dans le contexte de toute une série de cours historiques qu'il donne à l' Acadé- mie entre 1819 et 1833 et s'inscrit surtout dans l'œuvre et la réflexion d'un véritable historien, inspiré par une authentique philosophie de l'histoire.

Le Cours d'histoire suisse de Pellegrino Rossi à Genève se situe ainsi d'abord dans le contexte de ses différents enseignements historiques à l'Académie comme le Cours d'histoire de la République romaine de 1819-1821, donné périodiquement jusqu'en 1830, le Cours d'histoire des Pays-Bas de 1821-1822, redonné en 1830-1831, et le Cours d'histoire moderne ou d'histoire du XVJIJème siècle professé en 1833.

Mais le Cours genevois d'histoire suisse doit surtout être compris comme l'expres- sion de la pensée historique d'un émule des Doctrinaires parisiens, qui est tout à la fois un adepte des thèses de l'Ecole allemande du droit historique et un représentant del 'historiographie romantique française. C'est que Rossi, dans ses cours historiques comme dans ses contributions historico-juridiques, témoigne d'une réflexion sur l'objet de la connaissance historique autant que d'une \lision de toute l'histoire de l'humanité qui font de lui un vrai philosophe de l'histoire.

Quant à l'objet de la connaissance historique, pour Rossi c'est moins la matière humaine individuelle que la «matière humaine dans sa masse», qu'il ne conçoit dans toute son ampleur que sous la forme del' «histoire universelle». Il s'en explique dès son Cours d'histoire de la République romaine en ces termes:

«Celui qui voulant étudier la nature humaine se borne à étudier l'individu ar- rive à des résultats incomplets; car la nature se développe dans l'individu d'une manière tellement exiguë qu'il est impossible d'avoir des généralités. Mais celui qui aborde la nature humaine dans sa masse se met à l'abri de prendre comme définitifs des résultats incomplets. Car si la nature se manifeste dans l'individu, elle se mani- feste aussi dans l'espèce[ ... ] Mais où est le théâtre où l'espèce humaine se montre partout et en tout temps d'une manière générale? C'est incontestablement l'histoire.

Aussi définirions-nous l'histoire le miroir où la nature humaine vient se réfléchir [ ... ]. Ce développement progressif de l'homme, la civilisation, est représenté par l'histoire. C'est aussi quel 'histoire se sépare de la biographie comme les masses se séparent des individualités[ ... ].»

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«Et de plus il n'y a quel 'histoire universelle qui puisse être appelée complète, car une histoire pa11iculière d'un peuple, quelque brillant que soit le rôle qu'il a joué, n'estjamais qu'unfragment séparé de ce qui l'a précédé et de ce qui l'a suivi, de ses causes et de ses effets[ ... ].» 4

Cette dernière formule renvoie directement aux réflexions développées par Rossi dans sa première contribution aux Annales de Législation et de Jurisprudence de 1820 sur la philosophie de l'Ecole du Droit historique:

«L'histoire tout entière n'est qu'un recueil d'événements qui sont devenus la cause d'effets non seulement imprévus, mais contraires aux intentions de leurs auteurs. Sans cela le monde eût été stationnaire[ ... ] C'est dans ce sens surtout que l 'Ecole historique a raison d'affirmer que le présent n'est que la conséquence né- cessaire, l'accomplissement inévitable du passé ainsi quel 'avenir le sera du présent. »5

Pour ce qui est de sa vision del' histoire de l'humanité, elle est celle d'une lutte pour la justice et pour la liberté, qui s'exprime, comme en écho à la célèbre thèse de l' Introduction à l'histoire universelle de Michelet-«Avec le monde a commencé une guerre qui doit finir avec le monde et pas avant, celle del' homme contre la nature, de l'esprit contre la matière, de la libe11é contre la fatalité» 6 - dans la grandiose formule de la 18èmeLeçon de son Cours d'histoire suisse:

«C'est ainsi que toujours dans l'histoire de l'humanité le progrès et la résis- tance ne cessent de s 'engrener [sic] [ ... ]. C'est ainsi que ce n'est que lutte contre lutte sur le théâtre du monde, c'est le lot de l'humanité, et en conséquence le décret de la Providence.»

«Ce n'est pas seulement son pain, mais son bien-être, la justice, la liberté pra- tique que l'homme doit gagner à la sueur de son front. Ici-bas il y a une lutte continuelle entre le bien et le mal, le juste et l'injuste, ces éléments sont toujours en présence, mais je le crois, pas toujours avec la même force; l'un augmente, l'autre s'affaiblit et lorsque la lutte sera finie, lorsque le triomphe sera assuré, le champ de bataille sera clos: le monde n'est pas autre chose quel' arène de l'humanité.» 7

C'est dans ce double contexte d'une conception globale et universaliste de la connaissance historique et d'une vision progressiste etprovidentialiste de l'histoire de l'humanité, quis' apparente davantage à l'historiographie libérale française d'un Guizot qu'à celle d'un Savigny, qu'il faut comprendre le Cours d'histoire suisse que Pellegrino Rossi donne à Genève en 1831-1832. Il s'en ouvre lui-même à son audi- toire dès la 1 ère Leçon en lui concédant que l'histoire des Suisses n'est que l'histoire

4 Cf. Ms. Cours Univ. 410, BPU Genève, pp. 1-2.

5 Cf. Annales de Législation et de Jurisprudence, Genève 1820, t. 1, pp. 364-366.

6 Cf. J. MICHELET, lntrod11ctio11 à l'histoire universelle (Paris 1831), rééd. Bruxelles 1835, p. 7.

7 Cf. Ms. Cours Univ. 412, BPU Genève, Cahier n° XI, p. 329, infra, p. 161.

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«d'un peuple modeste, dont la seule ambition est de ne pas cesser d'être lui-même»

et qu'elle ne saurait lui plaire «ni par les événements, ni par les prodiges del' art»8:

«Cependant, nous ne désespérons pas de vous faire entendre avec quelque plaisir l'histoire de la Suisse. Car il est un point de vue sous lequel cette histoire se présente avec un intérêt tout particulie1: Essayons de faire comprendre quel est ce point de vue[ ... }. L'histoire, c'est l'humanité avec tous ses éléments qui se développent, c'est un drame sans spectateurs, où nous sommes tous acteurs; ceux-mêmes qui croyaient n'être que spectateurs sont acteurs en ce sens que le repos nécessaire pour regarder rentre dans les fastes de l'humanité.

Le problème général, c'est le développement, le progrès del' humanité, c'est le jeu de tous les ressorts. Mais il est aussi des problèmes particuliers, différents pour chaque peuple. Le premier problème dépend des lois fondamentales de la nature, le second des modifications de ces mêmes lois; le premier est le problème humain, le second, nous pouvons l'appeler le problème national; le premier est le progrès gé- néral, le second est le plus grand progrès possible dans des circonstances données.

La solution du premier est le résultat de la lutte des lois morales de l'homme contre la nature; la solution du second est le résultat de la lutte d'une fraction du genre humain avec une nature spéciale. »9

Le Cours d'histoire suisse de Rossi ne saurait toutefois se réduire à l'élucidation de la solution du problème suisse: la sauvegarde de l'unité dans le respect de la va- riété par la conjonction de la liberté communale avec le principe fédéral. C'est que Rossi, tributaire du maître à penser des Doctrinaires, François Guizot (1787-1874) et de son Cours sur !'Histoire de la civilisation en Europe (1828) 10, a une conception européenne de l'histoire comme pmgrès de la liberté et qu'il intègre de ce fait!' émer- gence en Suisse de la liberté communale comme du principe fédéral dans une imposante synthèse de l'histoire de l'Europe.

Ainsi que le montre bien la distribution de la matière des trente-trois Leçons qui suivent la Leçon introductive, Rossi privilégie à cet égard le temps des origines - celui de «l'Helvétie romaine et barbare», qu'il étend jusqu'à la formation des premiè- res alliances confédérales et qu'il traite de la 2ème à la 9ème Leçon - et les temps héroïques-ceux du second moyen-âge, qu'il prolonge jusqu'aux lendemains de la bataille de Marignan ( 1515) et auxquels il se consacre de la 1 oème à la 26ème Leçon; il poursuit en s'attachant à la première partie del' époque moderne allant de la Réfor- mation aux Traités de Westphalie ( 1648) de la 26ème à la 30ème Leçon; la quatrième période qu'il aborde alors est celle de la seconde partie del' époque moderne qui va des Traités de Westphalie à la Révolution française (1789) et qu'il expose entre la 31 ème et la 33 ème Leçon; il conclut enfin en évoquant la période contemporaine, qui fait l'objet de sa dernière Leçon.S'ils' étend en fait pareillement sur les temps origi-

8 Cf. 111s. cit., Cahier n° 1, pp. 1-2; voir infra, p. 1.

9 Cf. 111s. cit., foc. cit., pp. 2-5; voir infra, pp. 1-2.

IO Cf. F. GUIZOT, Cours sur !'Histoire de la civilisation en Ewvpe (1828), Paris 1829;

rééd. P. Rosanvallon, Paris 1985.

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nefs et héroïques, c'est précisément qu'il a à cœur de situer l'origine, la genèse et l'essor de la nation suisse et de la structure confédérale qui lui donnera forme dans le contexte des grands courants del' histoire européenne. Et ce qui frappe à cet égard le lecteur d'aujourd'hui comme l'auditeur genevois d'alors, c'est autant l'étonnante per- ception des facteurs de la civilisation occidentale, de l'époque de l'Empire romain à celle de l'avènement des ptincipaux Etats nationaux modernes, que la remarquable mise en évidence des principes de leur intervention comme des événements qui vont l'illustrer dans le développement de l'histoire de l'Europe.

Concernant ainsi les facteurs principaux de la formation de la civilisation en Europe, Rossi, s'inspirant visiblement jusque dans sa terminologie du fameux Cours de Guizot11, met particulièrement en évidence tout d'abord, d'une part, le rôle de Rome, facteur d' ordre12, d'autre part, le rôle du christianisme avec son sens de la responsabilité personnelle, facteur d' individualité13, enfin, le rôle des Germains, fac- teur d'indépendance et de liberté individuelle14. Ensuite, il s'attache à dégager les facteurs de variété et d'individualité que vont constituer le principe féodal15, puis le principe commwwl16 et les petits Etats, enfin les facteurs successifs d'unité que re- présentent, d'un côté, la Papauté, puis le Saint-Empire, principes d'unité catholique17,face aux forces centrifuges de la féodalité et, d'un autre côté, le principe monarchique face au principe communal18 comme les grands Etats nationaux face aux petits Etats qui n'auront sus 'inspirer du principe fédéra/19C'est ainsi qu'à cha- que époque de nouveaux principes se font jour, dont le choc ou l'amalgame contribue à l'essor de la civilisation, c'est-à-dire au progrès de la liberté.

Dans cette perspective de véritable «psychomachie» (A.THIERRY), la Révolu- tion française apparaît alors à Rossi comme l'aboutissement du conflit séculaire inauguré par la Réforme protestante entre le principe de libre examen et le principe d'autorité, la Royauté, le principe monarchique, n'en faisant pas moins les frais que la féodalité, le principe féodal, et que la Papauté ou le Saint-Empire, le principe d'unité catholique.

Il Cf. op. cit., lère_3ème Leçon, passim, rééd. cit. pp. 55-111.

12 Cf. Cours d'Histoire Suisse, CHS, Ms. cit., Cahier n° 1, p. 22 et Cahier n° II, pp. 41-43;

infra, pp. 11 et 20-21.

13 Cf. CHS, ms. cit., Cahier n° III, pp. 77-78; Îl(fra, p. 37.

l4 Cf. CHS, ms. cit., Cahier n° IV, pp. 94-101; infra, pp. 45-47.

15 Cf. CHS, ms. cit., Cahiern° V, pp. 122-124 et Cahiern° VI, pp. 158-155; Ïltfra, pp. 57-58 et pp. 70-74.

16 Cf. CHS, ms. cit., Cahier n° VI, pp. 165-167; infra, pp. 77-79.

17 Cf. CHS, ms. cit., Cahier n° V, pp. 140-142; infra, pp. 66-67.

18 Cf. CHS, ms. cit., Cahier n° I, pp. 8-10; infra, pp. 4-5.

19 Cf. Cours sur l'histoire du XVJJlème siècle, ms. Cours Univ. 413, BPU Genève, 3ème Leçon, 1er Cahier, p. 20.

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Rossi n'est cependant pas seulement historien et philosophe del' histoire. Les

«conditions» qu'il requiert de toute histoire «sont au nombre de trois: la critique, la philosophie et l'art>>20C'est dire que, dans sa propre démarche d'historien, il ne se contentera pas d'établir la vérité des faits - la critique-et d'en dégager le sens, de saisir l'esprit des événements - la philosophie; il lui importera encore de le faire

«sous l'empire de l'idée du beau» et de «faire preuve d'imagination», en «se transpor- tant lui-même au milieu du pays et des faits qu'il veut peindre» et en y transportant son auditoire -l' mt21. Dès lors le Cours d'histoire suisse mettra encore en œuvre toute une esthétique historique, caractérisée par un exceptionnel pouvoir d'évocation et par un sens remarquable de la couleur locale, qui font apparaître Pellegrino Rossi, familiarisé par plusieurs voyages d'étude avec la réalité de la «Suisse profonde», comme un des premiers «inventeurs» des «lieux de mémoire helvétiques». C'est ainsi que, tout en retraçant avec une intelligence peu commune de la particularité des institutions politiques suisses le développement des principales étapes du principe fédéral dans son articulation avec l'affirmation de la liberté communale et tout en s'en tenant pour la périodisation au canevas traditionnel de l'historiographie helvétique moderne, il va mettre en scène, avec l'art consommé del' orateur antique rangeant les «images vives»

des choses et des événements qu'il veut retenir, les lieux privilégiés de l'histoire de la Suisse. Forgeant, sur les traces sans doute del 'historien schaffousois Jean de Müller (1752-1809)22, mais surtout du publiciste helvéto-prussien Henri Zschokke ( 1771-1848)23, les images-chocs des hauts-lieux de la formation et del' essor de la Confédération - lieux mythiques, géographiques ou monumentaux, privés ou publics, matériels ou symboliques-, l'historien et jmisconsulte italo-genevois parvient ainsi à restituer avec un bonheur exceptionnel le serment du Grütli comme la tempête sur le Lac des Quatre-Cantons, le défilé du Morgarten ( 1315) comme les champs de bataille de Sempach (1386) ou de Nafels (1388), les combats des Appenzellois au Vogelinsegg (1403) et au Stoos (1405) comme les batailles de Saint-Jacques sur la Birse (1444), de Grandson etde Morat (1476), mais aussi le spectre de la guerre civile et la média- tion de Saint Nicolas de Flüe (1481), la Jère Paix de Cappel (1529) et l'interposition à Soleure del' A voyer Wengi (1532), la retraite de Marignan (1515) comme l'héroïque résistance du Nidwald aux troupes d'occupation françaises (1798) ... Et Rossi sait aussi faire revivre les grandes.figures de l'histoire helvétique, qui sont avant tout des figures cantonales, qu'il s'agisse de Rodolphe Brun ( 1310-1360), de Rodolphe Stüssi ( 1380-1443) ou de Hans Waldmann ( l 435-1489) pour Zurich, de Rodolphe d'Erlach (1299-1360) ou d'Adrien de Bubenberg (1431-1479) pour Berne, d'ltal Reding

20 Cf. ms. Cours Univ. 410, p. 4.

21 Cf. ms. cit., foc. cit.

22 Cf. J. von MÜLLER, Geschichte der schweizerischen Eidgenossenschaft, (Leipzig, 1780/

1786-1808), Zurich, 1825-1829; 1 ère trad. fr. partielle, continuée par P. H. MALLET,

Histoire des Suisses, Lausanne, 11vol.,1794-1801.

23 Cf. H. ZscHOKKE, Des Schweizerlands Geschichte fiir das Schweizervolk, 1822; trad.

fr. Chs. MONNARD, Histoire de la Nation Suisse, Lausanne 1829.

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(1370-1447) ou d'Aloïs Reding (1765-1818) pour Schwytz, de l'Avoyer Wengi (1485-1549) pour Soleure, enfin de Philibert Berthelier (1465-1519) ou de Besançon Hugues (1491-1533) pour Genève. Son art de la résurrection des grands hommes n'atteint cependant sa plénitude qu'avec l'évocation des figures de proue de l'histoire intellectuelle ou politique de l'Europe intéressant directement ou indirectement l'his- toire de la Suisse, qu'il s'agisse de Jean Calvin (1509-1564) à Genève ou de Charles Quint (1500-1558) à Yuste, dont il brosse un saisissant portrait dans sa 30ème leçon, ou qu'il s'agisse del' apparition de Bonaparte sur la scène du monde, dont il trace un tableau pathétique au seuil de sa dernière leçon le 17 avril 1832.

Par son art de la mise en scène, sensible dans sa véritable restitution des «lieux de mémoire» de l'histoire helvétique, comme par son art du portrait des grandes figu- res de l'histoire de la Suisse, en un mot par son esthétique historique, Pellegrino Rossi achève de se révéler ainsi dans son Cours d'histoire suisse comme un disciple de l'historiographie romantique et libérale française du début du XIXème siècle, confirmant ce que donnent à penser ses autres cours historiques genevois.

* * *

L'édition que nous proposons ici du Cours d'histoire suisse de Pellegrino Rossi re- présente la première version continue et complète des leçons données par le profes- seur italo-genevois sous les auspices del' Académie de Calvin de décembre 1831 à mi-avril 1832. Elle reproduit le texte intégral de la rédaction manuscrite du cours déposé depuis 1951 à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève (BPU) sous la cote Ms. Cours Universitaires 41224, qui constitue un véritable sténogramme des leçons d'histoire nationale de Rossi à Genève et quel' on doit à un étudiant demeuré anonyme. Nous avons complété ce texte, d'une part, par les indications et les annota- tions marginales d'un autre manuscrit de cours, déposé depuis 1890 à la Bibliothèque Sainte Geneviève à Paris 25 et que l'on doit à un auditeur grec de Rossi à Genève, le comte Cesare-Alessandro Mes sala (1815-1833)26, d'autre part, par les c01Tections et adjonctions apportées à ce manuscrit par Pellegrino Rossi lui-même27. Si, ne dispo- sant pas d'un manuscrit de cours autographe de Rossi même, mais seulement de notes de cours fragmentaires de sa main28 , nous avons préféré pour la présente édition le

24 Cours d'Histoire Suisse, Ms. Cours Univ. 412, BPU Genève, Cahiers n°8 I à XVIII.

25 Cf. Chs. KüHLER, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque Sainte Geneviève, tome second, Paris 1896, p. 682; voir ms. 3412, Réserve.

26 Cf. Chs. KüHLER, op. cit., /oc. cit., et P. E. SCHAZMANN, P. Rossi et la Suisse, Genève 1939, pp. 111-112.

27 Cf. P. E. SCHAZMANN, op. cit., pp. 112-113.

28 Cf. P. ROSSI, Notes sur /'Histoire de la Suisse, ms. 3413, Bibliothèque Sainte Gene- viève, Paris, Réserve; cf. P. E. SCHAZMANN, op. cit., p. 113.

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manuscrit de cours anonyme déposé à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève au manuscrit déposé à la Bibliothèque Sainte Geneviève de Paris, en dépit de la relecture et de la correction de ce dernier par Pellegrino Rossi lui-même, c'est que seul le manuscrit de cours de Genève nous est apparu complet; le manuscrit de cours de Paris dû au jeune Comte Messala, dont nous citons les principales variantes29 comme les corrections, les adjonctions et les versions dues à la plume de Rossi30, s'est révélé, en effet, à un examen comparatif très attentif, d'une part,lacunaire-il manque no- tamment l'intégralité de la 24ème Leçon31 -, d'autre part, inégalement condensé, par- ticulièrement à partir de la sème Leçon. Sans doute le seul historien qui ait prêté atten- tion à ce jour au Cours d'histoire suisse de Rossi que nous présentons ici - P. E. ScHAZMANN dans la deuxième partie de son P. Rossi et la Suisse de 193932 - s'est-il fondé sur ce seul manuscrit de cours de Paris dont il a souligné l'intérêt et qu'il a minutieusement décrit33. Mais c'est qu'aucun autre manuscrit n'était alors à la dis- position des historiens, puisque le manuscrit de cours de Genève n'a été disponible qu'à partir de 1951. Il n'en faut pas davantage, nous semble-t-il, pour justifier notre choix.

A la différence du manuscrit de cours de Paris dû à C. A. Messala et formé de 20 cahiers inoctavo reliés en un volume, comprenant 349 feuillets de 213 sur 172 mil- limètres, couve1ts recto-verso d'une élégante écriture de 26 lignes par page, le manuscrit de cours anonyme de Genève comprend 18 Cahiers inoctavo, numérotés de I à XVIII et non reliés, de 250sur190 millimètres, d'un nombre variable de feuillets-entre 15 et 32 par cahier - de 225 sur 173 millimètres, paginés recto-verso de 1 à 673 et couverts d'une écriture fine et très régulière de 23 lignes par page. D'une lecture relativement aisée, il retranscrit, jusque dans ses inégularités stylistiques et ses italia- nismes, le discours du professeur avec une fidélité à l'expression orale que nous avons tenu à respecter. Nous n'en avons modifié quel' orthographe et la ponctuation et cor- rigé çà et là que les inexactitudes formelles de date ou de lieu en l'indiquant par des crochets; nous avons par ailleurs spécifié par des sic les lectures problématiques et les tournures propres au style de Rossi; enfin, chaque fois que cela nous paraissait oppor- tun, nous avons donné entre crochets les variantes du manuscrit de cours de Paris comme les c01Tections, les adjonctions et les versions de la plume même de Pellegrino

29 Cité: ms. P.

30 Cité: con:, adj. ou vers. P. R.

31 Cf. ms. 3412, Bibliothèque Sainte Geneviève, Paris, Réserve, Cahier n° XIII in fine,

pp. 229-230, adj. P. R.; voir infra, p. 218: P. Rossi, qui renvoie à «l'Histoire de Dubochet»

et à son «Cahier», y supplée par son propre texte condensé; cf. infra, pp. 218-231, en notes.

32 Cf. op. cit. (26), pp. 107-168. Nous laissons délibérément de côté les brèves référen- ces, parfois inexactes, à ce cours d'un H. D'IDEVILLE «Pellegrino Rossi bourgeois de Genève, 1817-1833», in: Revue historique, t. XXX, 1886, p. 241, et d'un L. LEDERMANN,

Pellegrino Rossi, l'homme et l'économiste (1787-1848), Paris 1929, pp. 87-88.

33 Cf. op. cit. (26), pp. 111-113. .

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Rossi - ces dernières en notes de bas de page lorsque le professeur a entendu combler lui-même les lacunes du manuscrit de cours de Paris. Précisons en conclusion qu'en dépit de la reproduction de ces ajouts de la main de Rossi, dès lors que nous éditions le texte du manuscrit de cours d'un de ses élèves anonymes, nous n'avons pas cru, à l'instar des éditeurs des Cours au Collège de France de Jules Michelet34, devoir annoter ce texte comme l'aurait sans doute requis l'édition d'un manuscrit de Pellegrino Rossi lui-même. Nous espérons par là avoir aussi contribué à laisser au premier cours d'histoire suisse donné à Genève toute sa spontanéité, sa verve et son enthousiasme, si caractéristiques de la latinité de son auteur.

Alfred DUFOUR

La Tour/ Cologny, le 28 janvier 2000

34 Cf. J. MICHELET, Cours au Collège de France, 2 vol., l (1838-1844) - Il (1845-1851), pub!. par P. Viallaneix, Paris 1995.

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(19)

~fil

But de ce cours

(Cahier n° l) [1.]

Je me propose de vous raconter l'histoire des Suisses, de ce peuple qui, renfermé dans cette grande citadelle qu'on nomme l'Hel- vétie, content de défendre l'enceinte où la Providence l'avait placé, n'eut aucune envie de conquête; peuple modeste, dont la seule ambition est de ne pas cesser d'être lui-même; peuple valeureux qui meurt de chagrin lorsqu'il s'éloigne de ses lacs et de ses gla- ciers. C'est que, sous cette position de fer qui affronte les combats, se cache une poésie tout entière, la poésie des montagnes.

Quel attrait particulier peut nous offrir cette histoire? A vous surtout qui arrivez dans nos murs des bords de la Neva, de la Ta- mise, de la Seine? Est-ce la nature physique de la Suisse, sublime et gracieuse tout à la fois, et qui, par ses tableaux gigantesques, se joue des imaginations les plus fécondes? Mais ce n'est pas là de l'histoire. Serait-ce la carrière politique de la Suisse? Mais que n'y a-t-il pas ici qui ne se trouve ailleurs? Et quand je vous montrerai les champs de Morgarten, de Grandson et de Morat couve1ts de sang, vous avouerez que c'est là une histoire, mais toutes ces batailles ne sauraient alimenter un long récit. Ajoutons ce qui est vrai. L'his- toire de la Suisse ne saurait vous plaire, ni par les événements, ni par les prodiges de l'art. L'homme, malgré cette imagination qui fait tout son plaisir, ne peut s'empêcher de contempler avec admira- tion les traces du doigt de Dieu dans un pays où elles sont gravées si profondément; le sentiment de l'art paraît absorbé dans le culte.

Nous ne voulons emprnnter à la Suisse ni les caprices d'un roi, ni ces longues transactions diplomatiques qui sont souvent l'apanage des grands Etats.

Quant à ces détails anecdotiques, ces détails de la vie ordi- naire, nous ne saurions vous en entretenir au long. Le Suisse écrit peu, publie moins encore, tout son soin est de bien parler et de bien faire. Cependant, nous ne désespérons pas de vous faire entendre

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[Leçon l"'l avec quelque plaisir l'histoire de la Suisse. Car il est un point de vue sous lequel cette histoire se présente avec un intérêt tout parti- culier. Essayons de faire comprendre quel est ce point de vue.

L'histoire a revêtu des formes diverses. Telle que les Anciens la connaissaient, elle était une œuvre d'artiste, le beau était son but principal; peindre un peuple, c'était faire un tableau de main de maître; c'était le travail des historiens artistes avant tout; quelques Grecs, quelques Romains, un petit nombre même d'Italiens nous en ont offert le type. L'histoire critique est une seconde forme; ceux qui l'ont suivie ont eu plus de soin du vrai que du beau. - Plus tard, et nous arrivons au 18ème siècle, l'histoire s'est peu occupée de la cri- tique et encore moins du beau comme artiste. Elle s'est occupée d'un but spécial qu'elle voulait atteindre, elle est devenue une arme philosophique, c'est l'histoire telle qu'elle a été traitée parune foule d'écrivains dont Voltaire est le chef. Le but atteint, l'histoire est redevenue artiste, mais dans un autre sens et sous une autre forme;

elle est devenue artiste dans ce sens qu'elle a voulu être pittores- que; représenter tous les détails d'une époque, les plus importants comme ceux qui le sont moins; l'artiste a cru que désormais l'his- toire devait tenir lieu d'une espèce de drame ou de ballet, qu'on la lirait comme on assiste à une représentation théâtrale. C'est une forme particulière, c'est la forme artiste de la seconde manière. Mais est arrivée aussi une seconde forme philosophique ou plutôt la seule forme philosophique. On s'est demandé: Qu'est-ce que !'histoire?

L'histoire, c'est l'humanité avec tous ses éléments qui se dévelop- pent, c'est un drame sans spectateurs, où nous sommes tous acteurs;

ceux-mêmes qui croyaient n'être que spectateurs sont acteurs en ce sens que le repos nécessaire pour regarder rentre dans les fastes de l'humanité.

Le problème général, c'est le développement, le progrès de l'humanité, c'est le jeu de tous les ressorts. Mais il est aussi des problèmes particuliers, différents pour chaque peuple. Le premier problème dépend des lois fondamentales de la nature, le second des modifications de ces mêmes lois; le premier est le problème hu- main; le second, nous pouvons l'appeler le problème national; le premier est le progrès général, le second est le plus grand progrès possible dans des circonstances données. La solution du premier est le résultat de la lutte des lois morales de l'homme contre la nature;

la solution du second est le résultat de la lutte d'une fraction du genre humain avec une nature spéciale.

Nous n'aspirons pas au tableau général, c'est là que réside la haute philosophie, nous nous bornons à un tableau partiel qui peut s' encadrer dans le tableau général. Mais qui déterminera notre choix?

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Géographie physique de la Suisse

Diversités qui en résultaient chez les habitants pourles mœurs

Diversité d'origine

Le choix du tableau particulier se rattache à la question de savoir Introduction

s'il contient un problème particulier, s'il en a les caractères. Ce n'est qu'à ces conditions qu'on peut atTêter ses regards sur un petit peu- ple; car en général on doit toujours préférer les formes larges et bien prononcées d'un grand tableau, aux traits toujours minutieux d'une miniature. Maintenant, quel est le problème suisse? Voyez, avant tout, cette vaste chaîne de montagnes qui s'étend des bords du Rhin aux confins de la Hongrie ... Elle s'élève à l'extrémité du lac Léman et forme un immense croissant qui oppose à l'Italie une bar- rière perpendiculaire et redoutable. Mais, au Nord, ces montagnes prennent des formes moins rudes, et ces masses variées et itTéguliè- res, cette vaste bigarrure, coupées de lacs et de torrents, se groupent autour du grand noyau des Alpes, Uri, Unterwalden, etc., noyau dont le centre est le St-Gothard, d'où la Suisse distribue ses eaux à

!'Océan, la Méditerranée, la Mer Noire, et l'Adriatique.

Quelle variété il en résulte dans les climats et les cultures? A quelques pas de distance, des glaciers, des montagnes boisées, des vallons riants, des pics de la Gemmi et du Grindelwald, vous des- cendez vers les bords fertiles du Rhin et du Rhône. Quelle variété par conséquent dans les mœurs et les habitants? Aussi eussent-ils été originairement d'une seule race (ce qui n'est pas), il était im- possible qu'il ne se formât pas des peuplades de caractères différents.

La nature physique était là qui l'exigeait; cette nature physique, que

! 'homme peut modifier, mais avec laquelle il ne peut lutter sans se soumettre d'avance ou être vaincu. En Suisse chaque vallée est un monde, chaque montagne une frontière, surtout un abîme sépare une peuplade d'une autre.C'était un pays d'anachorètes, de châ- teaux rebelles à toute loi, un asile à ces hommes que le frottement avec leurs semblables avait blessés.

L'histoire justifie pleinement cette induction, en effet, la Suisse doit l'origine de plusieurs de ses villes à la retraite, aux remords, ou à l'amour del' indépendance personnelle; on pouvait de là entendre le bruit du monde et n'en être pas vu.

L' Abbaye d'Einsiedeln put cacher à !'Empereur l'existence d'une peuplade tout entière, et elle obtint de cette manière la pos- session d'un territoire fertile; elle l'avait cachée avec d'autant de facilité [sic] qu'on cacherait une peuplade au milieu de l'Afrique.

Ajoutons que les habitants de la Suisse n'étaient pas d'une même race, la main puissante de Rome n'avait pas eu le temps de leur imprimer un cachet d'uniformité; les relations des peuplades frontières avec la France, l'Allemagne, etc., avaient modifié diffé- remment leurs mœurs.

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[Leçon l"'l Diversité de conditions

Diversité de religion

La féodalité

Moyens possibles pour la renverser

Elle cède à la monarchie

La Suisse fait un pas de plus

Ajoutons les éléments divers dont se composait la société hel- vétique, c'était une réunion de seigneurs, de barons, de feudataires, de prélats, d'abbés, tous indépendants ou aspirant à l'être; et à côté d'eux un peuple de bergers et un peuple de serfs.

Que d'éléments différents! Que de chances pour qu'il n'y eût jamais une unité Suisse, une nation Suisse! et cependant la nation Suisse a existé et existe encore. La réforme a éclaté et la Suisse a vu s'ajouter un nouvel élément à ceux qui existaient déjà, il en résulta des discordes intérieures, des guerres civiles et religieuses, et l'unité Suisse a continué à subsister. Il y avait donc là une vie particulière.

Le problème a été résolu; et d'une manière durable.

Il y a plus. L'Europe et aussi la Suisse, après la mort de Char- lemagne, se trouvèrent complètement enlacées dans la féodalité, dans cet ordre hiérarchique, nécessité du temps. Les éléments changè- rent, le besoin des' en délivrer se fit sentir; cette grande révolution devait s'opérer, la féodalité devait tomber. Mais ce peuple européen qui commençait à être un peuple, comment pouvait-il y parvenir?

Trois moyens se présentaient à lui: 1 °, sa capacité populaire, sa propre force; 2°, le sacerdoce; 3°, la philosophie.

La philosophie? Oui, Messieurs, il y en avait une dans ce temps, mais bien suspecte, impopulaire, en hostilité avec le principe reli- gieux; les masses ne pouvaient pas s'y adresser. - Le sacerdoce? Il était devenu trop politique, trop féodal, il se présentait sous deux points de vue: le point de vue spirituel, et les peuples ne le compre- naient pas; le point de vue politique, et les peuples ne le voulaient pas. Restait la capacité du peuple. Il ne l'avait pas; les hommes des communes étaient habiles à administrer des intérêts municipaux, mais dès qu'ils' agissait d'idées plus élevées, d'intérêt généraux, ils étaient nuls. Les peuples se trouvaient donc avec le besoin de secouer le joug de la féodalité, et sans secours pour cela. Il leur fallait un levier et ce fut le pouvoir monarchique; ils se jetèrent dans ses bras et y furent reçus. Ils y éprouvèrent quelquefois des étreintes vigoureuses, mais la féodalité était renversée; ils cessèrent d'être se1fs, mais ils ne devinrent pas libres, c'était à notre époque de leur rendre ce service. La féodalité ne fut plus qu'un hors-d'œuvre; le principe monarchique absolu était nécessaire pour la détruire, mais quatre siècles plus tard, il subit le même sort. D'ailleurs elle ne fut pas détruite également partout; ici elle fut renversée de fond en com- ble, là elle ne fut que modifiée, ces anomalies seront éternelles, elles sont un fait général qui est concevable, explicable.

Voilà ce que fit l'Europe et elle fit bien, parce qu'elle fit tout ce qu'il lui était possible de faire. Mais la Suisse voulut aller plus

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Sort des autres Etats qui veulent la faire [sic]

comme elle

La Suisse subsista parce que l'unité s'y est jointe àla variété

loin; tous les peuples avaient cessé d'être feudataires, ils étaient Introduction devenus sujets; la Suisse voulut cesser d'être féodale sans être su-

jette; le problème de la Suisse était d'être, d'être malgré les obstacles, d'être autrement que l'Europe. Nous assisterons au travail social qui devait le résoudre, travail d'un peuple qui prend une route à lui seul, franchit tous les obstacles; et qui, s'il commit quelques er- reurs, s'il chancela quelquefois, ne tomba jamais; d'un peuple qui a toujours une histoire à lui, tandis qu'ailleurs c'est l'histoire des rois.

Nous y trouverons moins de célébrité, plus de véritable gloire, moins d'éclat, plus de mérite.

Il y a eu encore d'autres anomalies, d'autres peuples qui ont échappé au pouvoir monarchique. Les républiques italiennes, elles périrent par suite de leurs dissensions intestines; Venise, l' aristo- cratie avait gangrené le peuple et lorsqu'elle voulut le retrouver palpitant sous sa main, elle trouva son œuvre, un corps encore froid et sans âme, il était m01t.

La Suisse a eu ses dissensions intestines, son aristocratie, ses hommes influents et populaires ... elle existe encore. Heureux ins- tant qui lui dicta le vrai principe de son existence sociale; il fallait la variété sans fusion, l'unité avec une profonde variété; elle a trouvé la solution de ce problème dans le lien fédéral que d'autres ne su- rent jamais ni former ni consolider. Elle conserva l'expression du caractère européen, l'unité avec la variété; ailleurs ce fut l'unité qui domina, en Suisse ce fut la variété; ainsi le voulait sa nature physi- que. Ce ne furent pas des mains libres qui élevèrent les pyramides du désert; et lorsque la Grèce dut être une, elle n'était plus. A cha- que peuple sa localité, et de là la forme qui lui convient; aux vastes plaines, l'unité; aux îles et aux montagnes, la variété. Partout où cette loi est violée, dites qu'il y a des maîtres puissants, la servitude en est la conséquence.

Sans doute la raison des hommes du XIVème et du XVème siè- cle ne pouvait être aussi éclairée que celle des hommes du xvmème, mais la formule est trouvée, malheur à la Suisse si elle l'oublie!

En Suisse la séparation est naturelle, la fusion rationnelle, son histoire est le développement de ces principes: ni séparation com- plète; ni fusion absolue. Tel est le point de vue sous lequel nous la considérerons. Nous y trouverons de hauts faits, des traits d'un cou- rage gigantesque et d'un dévouement sans bornes; nous y verrons souvent aussi les passions en jeu, mais là où il y a des passions, il n'y a plus de petit peuple.

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[Leçon 1 "'l Genève avait aussi un problème analogue à résoudre, sa tâche était plus difficile, elle l'a cependant accomplie, et les grands de la terre ont tourné vers cette ville des regards toujours pleins, sinon d'amour, au moins d'admiration. Elle a droit à être comprise dans ce cours et elle le sera.

Division Nous le diviserons en cinq périodes:

1° Période. L'Helvétie romaine et barbare. Nous présenterons cette période sous la forme d~un tableau rapide.

Il0 Période. Première période suisse qu'on peut nommer: temps héroïques de la Suisse. Nous la prolongerons jusqu'à la réforme.

III0 Période. Depuis la Réformation jusqu'au traité de Westphalie en 1648.

IV0 Période. Depuis le traité de Westphalie jusqu'à la Révolu- tion française.

V0 Période. L'espace compris entre la Révolution française et l'année 1815; espace où, malgré la préoccupation de l'Europe, les malheurs, le courage, l'ancien esprit helvétique se font cependant admirer.

(25)

z_<mo Leçon Grande migration des peuples

Il ne nous en reste que des documents obscurs

Difficulté de fixerles temps

Nous ne nous étendrons pas suries origines des Helvétiens

L'Helvétie barbare et romaine

[2.]

Quel que soit le peuple dont on commence à raconter l'his- toire, on remonte nécessairement à une époque d'incertitude et de ténèbres. Quelle espérance peut-on avoir de suivre pas à pas à tra- vers la nuit des temps ces grandes familles humaines marchant, un peu à l'aventure, à la conquête du globe, débouchant del' est à l'ouest;

qui tantôt se croisent, s'entrelacent, tantôt se poussent, se succèdent sur la face de la terre, comme la vague à la vague, comme le flot efface le flot sur la plaine mouvante de l'Océan?

Où était alors l'histoire [con. ms. P: l'historien] de ces gran- des migrations? Où étaient du moins le chroniqueur et l'analyste?

Où sont les lois de ces peuples, et en grande partie même, où sont leurs langues? Il ne nous reste que des débris informes, et dont sou- vent l'authenticité n'est nullement assurée; dès lors il n'y ad' autre champ ouvert pour nous que celui de la conjecture à laquelle se sont joints trop fréquemment les faiblesses nationales, l'orgueil du sa- vant.

Ces difficultés sont singulièrement augmentées par une circons- tance que voici: les peuples ont leurs traditions et dans ces traditions ils ne veulent tromper personne, mais ils se trompent eux-mêmes.

Ce qui est arrivé il y a dix ans se confond avec ce qui est arrivé un siècle auparavant et souvent la même tradition, la même chanson qui la rappelle, est composée de deux lambeaux, l'un d'une époque éloignée, l'autre d'une époque rapprochée, et la progression des temps est bouleversée. Dès lors que devient la critique?

Heureusement nous n'avons pas besoin d'entrer dans ce détail [con. ms. P: dédale] pour le travail que nous avons entrepris. Et je dis heureusement, car il faut reconnaître que la partie critique de l'histoire est peu propre à être traitée dans un cours; on ne saurait approfondir suffisamment des discussions plus difficiles qu'intéres- santes; mais ces recherches sont nécessaires quand on veut raconter

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Première période

César et Tacite leur donnent une origine Gauloise

l'histoire d'un grand peuple; elles ne le sont pas, ou le sont beau- coup moins, quand il s'agit d'un peuple dont les destinées n'intéressent pas le monde entier; elles sont encore nécessaires, lors- que sans elles on ne peut parvenir à trouver le caractère d'un peuple et ce n'est pas le cas de l'Helvétie; nous pouvons, sans remonter à ces discussions épineuses, connaître ce qu'elle était, aussi nous ne nous arrêterons que peu d'instants sur l'origine du peuple helvétien;

aussi nous dispenserez-vous de vous parler d'Hercule, de Lémanus et de je ne sais quel roi de Babylone qu'on dit avoir joué un rôle dans cette histoire. Il n'y a là qu'une seule question plausible, c'est celle-ci: les premiers habitants de l'Helvétie (et par là nous enten- dons les premiers dont l'histoire fasse mention) venaient-ils de la France ou del' Allemagne, de la rive droite ou de la rive gauche du Rhin? Sans remonter aux Gaulois et aux Teutons pour chercher de quelle souche ils descendaient, nous nous demanderons à laquelle de ces deux nations appartenaient les Helvétiens.

L'Histoire écrite de l'Helvétie ne commence que par les écrits de César et de Tacite. Or César et Tacite appellent les Helvétiens des Gaulois. César les avait vus; il ne connaissait pas l'Helvétie, mais il connaissait les Helvétiens; il connaissait les Gaulois, les ra- ces gauloises, leur manière d'être et en conséquence il ne pouvait se tromper en appelant les Helvétiens des Gaulois.

D'ailleurs tout le confirme. En étudiant la manière d'être des Gaulois et des Germains nous retrouvons chez les Helvétiens beau- coup plus le caractère gaulois que le caractère ge1main. Les peuples au-delà du Rhin étaient des peuples beaucoup moins avancés que les Gaulois, beaucoup moins attachés à une indépendance toute per- sonnelle, parce que l'agglomération sociale en était encore à ses premiers rudiments. Ils n'aimaient pas les bourgs, les villes et les villages; ils étaient, si l'on veut, rapprochés les uns des autres, mais formaient toujours corps à part. Les Gaulois au contraire avaient des villes, des bourgs et des villages; ils étaient constitués en une forme sociale plus compacte, plus une. - A ce caractère seul nous reconnaissons l'assimilation des Gaulois et des Helvétiens; ceux-ci avaient des bourgs, des villages; César en a exagéré le nombre; mais il ne s'est pas trompé sur le fait. Il a même eu entre les mains des documents, car il raconte qu'on avait trouvé dans le camp des Helvétiens des recensements de la population écrits en grec, par quoi il entendait probablement, écrits en caractères grecs, que les Helvétiens avaient pu apprendre de la colonie grecque établie à Marseille, comme nous le verrons plus bas.

(27)

Division de l'Helvétie en quatrepagi

Limites de cespagi

Une autre preuve vient encore à l'appui de ce que nous avons avancé. On sait qu'il existait des relations d'amitié entre les Gau- lois et les Helvétiens, qu'ils formaient ensemble des projets, conspiraient même ensemble, qu'ils s'unissaient par des mariages, tandis que la tradition nous rapporte qu'il y avait souvent hostilité et inimitié entre les Gaulois et les Germains.

L'autorité des deux écrivains que nous avons cités vaut bien les longs travaux étymologiques auxquels nous pourrions recourir pour prouver que le peuple helvétien était gaulois.

César nous apprend que l'Helvétie de son temps était divisée en quatre pagi, mot qu'on peut traduire par canton, car il signifie une fraction de la société helvétique ayant sa manière d'être à elle.

Il ne donne le nom que de deux seulement de ces pagi: les Tigurins et les Urbigènes. Les savants ont beaucoup discuté pour savoir quels étaient les noms des deux autres, et l'on a voulu appeler l'un Aventicus, l'autreAntuaticus, desAntuates qui habitaient les bords du Léman du côté du Valais. Nous n'osons donner ces deux déno- minations comme chose prouvée.

Même difficulté pour assigner les limites géographiques et po- litiques de ces quatre pagi. On place en général le canton des Tigurins dans la partie où se trouve maintenant la ville de Zurich qui en avait été la capitale. C'est l'opinion reçue; ajoutons l'opinion probable, quoique l'on ait dernièrement soutenu, en s'appuyant sur des ins- criptions trouvées dans le canton de Zurich, que celui des Tigurins ne s'étendait pas même jusqu'à cette ville et ne dépassait pas le lac de Morat. Quoi qu'il en soit, ce qui est plus certain, c'est que les quatre cantons ne comprenaient pas la Rhétie (actuellement les Gri- sons), ni le Valais, ni Genève, ni les bords du Rhin de Bâle à Constance. Là se trouvaient d'autres peuples que ceux des cantons helvétiques. - En résumé il paraît certain: 1° que les Gaulois for- maient les quatre cantons dont parle César; c'étaient des Gaulois Celtes; 2° que les habitants du Valais, les Véragois [sic= Véragres], les Nantuates etc. étaient aussi des Celtes, mais d'une migration différente et en conséquence n'étaient pas liés avec les quatre can- tons. 3° Les habitants des bords du Rhin pouvaient bien être venus de la Germanie; cependant il est difficile del' assurer. En fait ils ne faisaient pas partie des quatre cantons; dans la grande expédition dont nous parlerons plus tard, ils se sont bien réunis à eux, mais ce fut à leur invitation. 4 ° La Rhétie formait alors un pays à part, dont nous nous occuperons ailleurs. 5° Ailleurs nous parlerons de la po- pulation primitive des petits cantons, Schwytz, Unterwald etc. et de

Helvétie barbare

(28)

Première période Indépendance de chaque canton

[Adj.ms.P:

De l'amour de la patrie tel que nous le concevons]

[Adj. ms.P:

Il était inconnu chez les peuples sauvages]

l'époque de l'entrée dans ce pays de cette noble race qui a donné son nom à la Suisse et fondé son indépendance.

Les quatre cantons ne constituaient pas une unité politique, chacun avait son indépendance et sa liberté d'action, et nous le ver- rons bientôt, car nous verrons les Tigurins faire seuls la guerre et des expéditions. En même temps, il existait un lien entre ces can- tons, et la preuve nous la retrouvons en voyant un grand personnage accusé de trahison et traduit devant le tribunal des quatre cantons. Il y avait donc des différences essentielles dans la population de la Suisse d'alors; c'étaient les quatre cantons; les hommes du Valais composés [sic] de peuplades diverses, probablement aussi gauloi- ses; les hommes de la Rhétie ou des Grisons et les hommes de la rive gauche du Rhin de Bâle à Constance.

Tels étaient les établissements des Helvétiens du temps de César. Mais on se tromperait fort, si on comparait l'établissement de ces peuples aux nôtres, si on leur appliquait les mots de patrie et de vie. Pournous à l'idée de patrie estintimément liée celle de fixité;

le ciel qui nous a envoyé les premiers rayons de lumière, le ruisseau qui [a] étanché notre soif, la place publique, le temple, tout est pour nous la patrie. Elle est le centre de nos pensées, de nos affections, de notre sphère d'activité. Pour elle nous vivons, pour elle nous mour- rons s'il le faut; l'attaquer, c'est nous attaquer, la défendre, c'est nous défendre; l' airncher, c'est un commencement de mort; gloire, revers, tout nous appartient. S'il y a des exceptions à ce sentiment général, ce ne sont presque jamais que des exceptions individuel- les, rarement volontaires; c'est un état de souffrance qui ne cesse que par une seconde nature, par une nouvelle et véritable patrie.

Mais les peuples sauvages n'étaient souvent que voyageurs et de- meuraient dans cet état.

Le sentiment d'une patrie fixe, matérielle, est le produit de la civilisation; il naît quand l'homme sort des bornes étroites de sa personnalité, lorsqu'il a besoin de se lier au monde extérieur, de le dompter, de le faire servir à son développement moral. Oui, pour son développement, l'homme a besoin de se lier au monde exté- rieur et d'en employer toutes les ressources. Mais les peuples barbares, ils ne demandent au monde extérieur, au sol, qu'un abri imparfait et des vivres. Aussi les choses extérieures et matérielles ne sont point chez eux, comme chez nous, animées de notre souffle de vie; la cloche du village, les tombeaux sont pour eux des choses muettes; la nation, ce sont leurs enfants, leurs femmes, leurs servi- teurs; la patrie, c'est [sic] leurs chars et leurs tentes.

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