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RECHERCHES
SUR LESOSSEMENS
FOSSILES.
PABIS. IMPRIMERIE DE CASIMIR,
RECHERCHES
SUR LES
OSSEMENS
FOSSILES,
DE PLUSIEURS ANIMAUX DONT LES REVOfc'ni(i\i Dl l.I.OIl
0>T DÉTRUIT LES ESir.i[s;
l'AK
-GEORGES
CUVIER.
Ctuatrihnc
Ottion.
Triomphantedeseaux,dutrépasetdu temps Laterri-acrurevoirsespremiershabitons.
Delille.
TOMfcSp^EMIER.
PARIS.
EDMOND
D'OCAGNE,
EDITEUR,
12, BUE DES PETITS-ALV.USTIN.s.
J.-B. BAILLIERE,
i.îfrn, rue 'h-l'Ecole-de-Médecine,
F.-fl. LEVRACLT,
81, rue île la Harpe.
CROCHARD
,
i3,placedel'École-de-Médecine.
roret,
ii) fris, ine ITaulelcuille.
•V
qz.
C8
OBSERVATIONS
PRÉLIMINAIRES,
PAR
M
FRÉDÉRIC
CUVIER.
Je
me
faisun
devoir de présider à laréim-pression de cette nouvelle édition des
Recher-ches sur les
ossemens
fossiles,comme
jem'en
ferai
un
de présider à celle des autresou-vrages
de
mon
frère. Jen'aipour but
,dans
lessoins
que
jedonnerai h ces réimpressions,que
de veiller àce
que
tout ce qui a été publié parlui soit reproduitfidèlement et avec ce
carac-tère devérité si
profondément
gravé dans tousses
ouvrages
, qui les soustraira à toutes lesrévolutions
que
l'histoire naturelle estdesti-née à
éprouver
encore, ainsiqu'aux
atteintesque,
par des motifsquelconques
,on
pourrai!être tenté
de
leur porter.La
pensée qui présidaconstamment
à leurcomposition fut
de donner
à l'édificedel'his-toire naturelle des
animaux
une
base solidelj OBSERVATIONS
inaltérables par le
temps,
fissent participer à leurdurée
les constructions qui reposent sur eux.Cette
étendue
dans les vues demon
frère,
lesentiment profond
de
vérité quil'accompa-gna
dans toutes les circonstances de sa vie, la vaste intelligencequi lui faisait voir et lui fai-saitembrasser
àlafois tousles faitsdelascience, enfin la raison puissanteau
moyen
de laquelle il pénétrait jusqu'aux dernièresconséquences
de
ces faits,ne
luipermirent
jamaisde
voirsans peine l'imagination s'emparer
sérieuse-ment
d'une science qui , par sa nature et sonétendue,
demande
, plusque
touteautrepeut-être , de l'exactitude et
de
laprécision ; et s'il lui est arrivéde
s'opposer àune
tendance quilui paraissait fausse et
dangereuse
, ce fut bienmoins,
je puisl'attester, dans lavue de
com-battre
ou
dans l'espoir depersuader
ceux
quitravaillaient àélargir des voies
dont
il aper-cevait leterme
fatal,
que
dans
lavue
d'engarantir
ceux
qui pouvaienty
être entraînés. Il voyait la jeunesse exposée à être séduitepar des idées propres à captiver
l'imagina-tion , cette faculté la plus influente et la plus
PRELIMINAIRES. 11]
égarer dans la culture des sciences; et il se
faisait
un
devoirde
la tâche pénibledu
pré-cepteur qui ,
pour
satisfaire à la voixde
saconscience, travaille à régler les passions
de
ses élèves, dût-il craindre
de ne
pasl'empor-ter sur
ceux
qui les excitent et les flattent.A
enjuger
par les observationsque
mon
frère avait recueillies, et par
quelques
notes quisemblent
indiquerlesquestions auxquellesil n'avait point encore touché, et qu'il se
pro-posait
de
traiterdans
une
édition nouvelle deses
Recherches
sur lesossemens
fossiles, cetouvrage
était destiné à s'enrichir à la fois desfaits
nombreux que
lessavans de touslespays
semblaient
ne
rechercherque
pour
les luicommuniquer,
et des vérités générales, surla nature des
animaux
anciens, qui s'enpou-vaient déduire (i).
(1) Lorsquelesujets'yprêtera,les faitsnouveaux
recueil-lisparmonfrère pourrontêtre jointsautexte,mais ennote
seulement,afin de conserveràce texte sa puretéprimitive. Le plusgrand nombredecesfaits, cependant,estdestiné a
trouver placedansleSupplément dontmonfrère avait pré-paré touslesmatériaux,etque M. Laurillard sepropose d'a-jouteraux Recherchessurlesosfossiles.
IV OBSERVATIONS
Un
des sujets qui devaient faire l'objetde
sesméditationsconsistedans les faits
nouveaux
recueillis
en
Egypte
parM.
Cbampollion,
et.en
vertu desquels cet illustreacadémicien
, cecréateur aussi d'une science nouvelle, s'était
cru fondé à reculer l'origine
de
laracehumai-ne
fort au-delà des limitesque
lui assignaientles
monumens
de
la science jusqu'alorscon-nus
; et àen juger
parquelques-unes des notes dontnous venons de
parler,mon
frère étaitloin de regarder
comme
démonstratives lespreuves
qui résultaient des découvertesde
sonsavantcollègue.
Malheureusement
il n'a rienajouté à l'expression de cedoute qui
nous
per-mette
d'en indiquer les motifs.On
aparu
croireque
l'opinion demon
frèresur cette origine des
hommes
tenait àun
pré-jugé propre
à l'aveugler sur les faits quiser-vaient de base à ses raisonnemens.
On
adonc
combattu
cetteopinion,comme
on
combattraitune
hypothèse
,mais
une
hypothèse
menson-gère ,bonne
toutau
plus à étayer descroyan-ces
que
la raisonne
pourrait plusadmettre.Ce
ne
sont point les érudits qui se sont chargésde
celte tâche; ce n'est point dans lesPRELIMINAIRES. V
aune
plusgrande
antiquitédu monde;
l'examencritique
auquel
cesmonumens
avaient étésou-mis, dansle discours préliminaire des
Recher-ches sur les
animaux
fossiles, laissaitpeu
d'es-poir d'arriver à d'autres résultats
que
ceux
auxquels ils avaient conduit.
Ce
futparmi
lesnaturalistes
que
se trouvèrent les adversairesles plus ardens
de
lanouveauté
d'originede
notre espèce, etc'est
dans
lescouches
du
glo-be
qu'ils cherchèrent despreuves
favorablesàleur opinion.
Jusque-là, toutes lesobservations bien
cons-tatées conduisaient à cette conclusion
très-légitimement
tirée parmon
frère,que
l'espècehumaine
était postérieureaux
dernièresca-tastrophes qui avaient
mis
hnu
nos continensactuels. Il importait
donc
àceux
quine
vou-laientpasqu'il
en
fût ainsi, de découvrirdans
des
couches
anciennes,dans
cellesoù
l'ontrouvait des restes
d'animaux
dont l'existenceétait censée antérieure à la nôtre, des restes
de
squeletteshumains
: par làils acquerraientla
preuve
incontestable, directe,dela fausseté de l'opinion contre laquelle ils se déclaraient.Les recherches auxquelles conduisirent ces
décou-vj OBSERVATIONS
vert des
ossemens
humains
mélangés
à desossemens de
cesanimaux
anciens quiparaissent avoirvécu
sur notre sol avantnous
;mais
l'es-pérance
d'avoir détruit parune
seuleobser-vation , par
un
seul fait,une
généralitéim-portante, et d'avoir entraîné
dans
lamême
chute les vérités
cosmogoniques
quitrou-vaient
en
elleun
appui
etlesraisonnemens
surlesquels
elle-même
reposaiten
partie,ne
se soutint pas long -
temps
:un
examen
at-tentif
de
ces faits adémontré
leur nullité, et ils sont rentrés dans leur obscurité première.Rien
sans doute n'était plus naturel et plusjuste
que
decombattre
une
opinionqu'onn'a-doptait pas, à condition toutefois qu'on sût
pourquoi
on
la rejetait. Piienmême
n'étaitplus légitime
que
de rechercher des faitsfavo-rablesà l'opinionqu'onadoptait, n'eût-on
pour
cela
aucun
autre motifque
cetteopinion toutenue
;mais
pourquoi
cetteardeur
contreune
vérité contingente qui n'eut jamais la* préten-tion d'avoir
un
autre caractère, à laquelleon
n'avait
aucun
fait à opposer,qu'aucun
vicede
raisonnement
nesouillait, etqui parconséquent
avait droit a l'assentiment
de
tous les espritsPRELIMINAIRES. V1J
nie bornerai à faire
remarquer que
vînt-on
àaffaiblir
ou
à renversermême
cette véritécontingente par la découverte de débris
hu-mains
dans les anciennescouches de
la terre,cela n'ôterait rien
au
mérite des recherchesprofondes et des
raisonnemens ingénieux
d'oùellea étédéduite, ni par
conséquent
àlagloirede
celui qui se livra avecassiduitéaux unes
etqui soutintles effortspersévérans
que
deman-daient lesautres; et
que
le discoursoù
elle estprouvée
si clairement etexprimée
avec tantdenoblesse, n'en restera pas
moins un
modèle
éloquent
pour
tous les esprits droits quitra-vailleront
au
perfectionnement
des sciencespar
un
sincèreamour
de
la vérilé.La
méthode
sévère quirègne dans
cedis-cours,l'enchaînement qui en lie toutesles
pro-positions, la
rigueur
qui caractérise toutes lesformes
souslesquelles leraisonnement
s'ypré-sente,
ne
resterontmuets que pour
cesintelli-gences
malheureuses
privéesde
tonte logiquenaturelle, auxquelles la vérité
semble
sans at-traits, et qui, aaucun
signe,ne
savent la re-connaître.Je dois à présent défendre
mon
frère d'unnié-Vllj OBSERVATIONS
rite;
mais
si samémoire
m'impose
cettedé-fense
comme
un
devoir, d'autresconsidéra-tions la rendent
pour
moi
difficile. J'ai toutlieu d'espérer
cependant
qu'une
discussion toute scientifique, à laquelle présidera lesen-timent d'affection
que
jeporteau
savantque
jeme
vois forcéde combattre
, conservera leca-ractère
de
gravité qui lui convient, etque
rienn'échappera h
ma
plume
quine
soitcon-forme
à ce sentiment.Le
reproche qu'on faitàmon
frère estde
ne
pas avoir adopté
comme
certaine,pour en
faire la base de ses travaux sur les
animaux
perdus
,une
hypothèse
renouvelée destemps
anciens, et qui consiste à faire dériver d'une
ou
de plusieurs espèces primitives toutes lesespèces animales, tant cellesqui ont existé
au-trefois
que
celles quiexistent aujourd'hui.On
suppose
que
son intelligence n'était pasassez
étendue
pour
une
aussivasteconception;qu
attaché à l'observation des faits matériels,il luiétait impossibledes'éleverau-delà :
sem-blable à
ceux
dont la vue, forcéede
s'arrêtercontinuellement sur des objets qui
ne
peu-vent être vus
que
de près, finit parne
plusPRELIMINAIRES. IX
sais sil lui serait jamais
venu
à l'espritde
sedéfendre
de
cereproche
; j'en
doute
: car jene
trouve pasun
seulmot
dans ses notes quis'y rapporte. D'ailleurs, bien loin
de
regardercette
hypothèse
comme
une
vaste conception,illa mettait
au rang
decesjeux légersdel'ima-ginationaveclesquelslavéritén'a rien
de
com-mun
,dont
on peut
s'amuserquand
ils sontaccompagnés
de
grâceetd'adresse,mais
quiperdent tousleurs
agrémens quand
on
lesprend
au sérieux.
îNousvoudrionsqu'il
nous
fûtpermis de nous
renfermer
surce sujet dans le silence qu'ilpa-raissait disposé à garder;mais,
pendant
sa vie,ce silence avait
une
significationqu'il n'a plus,aujourd'hui
que
lereproche
se renouvelle, eta laquelle le notre
ne peut
suppléer.Les
Recherches
surlesossemens
fossiles, <•(tousles travaux qui, à l'imitation
de
ceux-ci,ont
eu pour
objet lesanimaux
dont
les restesse trouventenfouis
dans
les parties inférieuresde notre sol, etqui vivaient sur nos continens
avant la dernière catastrophe qui a
mis
ceux-ci àdécouvert, tous ces travaux,dis-je, ont
dé-montré
que
lesanimaux
anciens, sansX OBSERVATIONS
existent aujourd'hui;
que
pluson
descend
pro-fondément
dans la terre, plus ces différencesaugmentent;
et enfinque
lenombre
deses-pèces aquatiques,
comparées
aux
espècester-restres,va
également en augmentant,
àmesure
qu'on
passe descouches
supérieuresdu
globeaux couches
inférieures : ainsi lesanimaux
amamelles
ne
se trouveraientque
dans lescouches
superficiellesou
dans
lescouches
moyennes,
et lesanimaux
oviparesviendraientaprès. Voilà les faits établis par ces travaux,
chacun
les reconnaît; et toutes les conséquen-ces, toutes les inductions légitimes qu'ilsren-fermaient
en
avaient ététirées etexprimées dans
un
langagepur
etclair.Ce
n'étaitpas assezpour
des esprits
moins
sévères. Suivanteux,
il fal-lait, par la considération
de
l'ensemble desfaits
de
lascience ,en
déduire cette autrecon-séquence,
que
les espèces nouvelles n'étaient pointspécifiquementdifférentesdes anciennes;qu'ellesn'en étaient
que
des modifications;que
tous ces
animaux
ne
se divisaientqu'en simplesraces, et
que
ces races s'étaientformées
sousl'influence des divers milieux dans lesquels les
espèces primitives avaient successivement
PRELIMINAIRES. XJ
nos jours.
Quand
je dis les espèces, il seraitpossible
que
, sansle vouloir, jecommisse
une
erreur. Je devrais
vraisemblablement
direl'es-pèce
: car,suivantlesystème
que
j'expose,ilne
dut y en
avoiroriginairementqu'une
seule,re-présentéesansdoute par
un nombre
quelconque
d'individus, si ce n'estpar des molécules
orga-niques vivantes,
comme
le supposait Buffon,lesquels individus se développant
chacun dans
des conditions particulières, qui, depuis des
milliers d'années, se sont
elles-mêmes
modi-fiées des milliers de fois, ont fini par produire ce
monde
d'animaux
quicouvrent
aujourd'huinotre globe, depuis les êtres
microscopiques
,
dont toute l'existenceparaîtvégétative,jusqu'à
l'homme
intelligent et libre.Lorsqu'on n'est pas familiarisé avec l'étude
approfondie de la nature,
on
peut,au
premier
abord, se laisser séduire par
un
système
qui,simple dans sonprincipe,conduità l'explication
non
moins
simplede
toutes les différencesanimales.
Ceux
qui sont dans l'habituded'a-doptersansautre
examen
lesidéesde
cetordre,quand
elles flattent leur imagination,ne
con-çoivent rien
de
plusheureux
que
cesystème
,Xlj OBSERVATIONS
renoncer sans peine a la faculté de disposer k
son gré de toutes les forces
de
la nature etde
fairenaîtreen
quelque
sorte, souschaque coup
de
baguette, l'unou
l'autre des êtres qui sontici-bas
doués
de vie etde
sensibilité?Jamais
lepaganisme
, dans toutesajeunesse ettoute sonignorance, n'eut
une
poésie plus hardieetplusbrillante!
Ceux, au
contraire,qui ont
compris
que
toutsystème
doit reposer sur des faits,
pourront
aussi adopter celuique
nous venons
d'exposer, parce qu'ils croiront
qu'un
telsys-tème
ne
peut pas avoir étéproposé
sansqu'au-paravant
on
aitacquis, partoutes les voies, lesgaranties
de
sa certitude; etcependant
rienn'est
moins
fondéque
cette croyance.Quand
on cherche
à se rendrecompte
desconnaissances qu'il faudrait posséder
pour
donner
une
base réelle à ce système, des faitsqui auraient
dû
être constatéspour
qu'il putnaître d'ailleurs
que
de l'imagination,
pour
qu'il fût le résultat d'une induction tant soit
peu
fondée,on
reste bientôtconvaincu
qu'ilne
peut
reposerque
sur des analogiestrom-peuses, qu'il n'est
que
le fruitmalheureux
d'un faux raisonnement.
En
effet,pour
PRELIMINAIRES. Xllj
faudrait d'abord avoir
quelques
notionspo-sitives sur les conditions dans lesquelles les
premiers
animaux
se trouvèrent , et sur leschangeniens
successifsque
ces conditions ontéprouvés
jusqu'à l'étatde
stabilitéoù nous
sommes
arrivés,en admettant
même,
préa-lablement par supposition, la simplicité des
premiers
animaux
: or, sur ces différenspoints, notre ignorance est complète, et
nous
sommes
réduits à leur sujetaux
plus vainesconjectures. Il serait nécessaire ensuite
de
constater, par des observations bien faites, si
en
effet ces conditions ont de l'influence sur ledéveloppement
desanimaux,
et quelle estau
moins
l'influencede
quelques
-unes
d'entreelles, si cen'est l'influence
de
toutes. Eli bien!notre ignoranceesttout aussi
complète
et nosconjecturestout aussi vaines sur ces questions
que
surlespremières. Enfin,n'ayantpu
encoreapprécierl'influencedes conditions ni passées,
niprésentes
,
pour
modifierlesespèces, ilauraitau
moins
fallu trouver dans les faits quinous
environnent, dans les espèces d'aujourd'hui,
deces modifications profondes
dont
les causes,quoique
cachées,ne peuvent cependant
êtreXIV OBSERVATIONS
de
l'uneou
l'autredesconditionsoù
seseraienttrouvésles
animaux
quinous
lesprésenteraient;car
autrement
sur quoi reposeraitdonc
l'idéede
ceteffetdes circonstances sur lesprincipauxsystèmes d'organes des
animaux? La
vérité estcependant
que
la sciencene
possèdeaucun
faitde cette nature.
Jamais
on
n'a vu,dans
aucune
limiteetsous
aucune forme,
une
espècechan-ger
de
condition d'existence,pour
setransfor-mer
en toutou en
partie enune
autre espèce;et
pour peu
qu'on soit initié dans cetordrede
connaissances, l'idée
de
cette transformation,
quelque
graduelle qu'onlasuppose,ne
peut
seconcevoir.
Cesrésultats,auxquels larechercheseule des
faits
nous
conduit,sonttels,qu'onseratentéde
nous
accuser d'exagération; etcependant
nous
sommes
encore loin d'avoir tiréde
ces faits toutes lesconséquences
qui se présentaientd'elles-mêmes en faveur de l'opiniondont
nous
prenons
la défense.Sans
doute
cette idéede
la transformationdes espèces les
uues
dans les autres, ettoutesles suppositions qui l'accompagnent, trouvent
à s'appuyer sur
quelques
phénomènes
naturels.PRELIMINAIRES.
XV
l'explication de la nature
ne purent
se passerau
moins
d'analogie : c'esten
effet sur desana-logies
que
cette idée repose.Mais
comme
en
bonne
logique il n'estpas permis,dans
lacon-clusion d'un raisonnement,
de
dépasserlapor-tée des prémisses,
de
même
on ne
peut,d'ana-logies posées
en
principes, tirer des véritésd'un ordre différent
de
celuide
ces analogies;
et c'est certainement
pour
n'avoir pas faitde
cette règle tout le cas nécessaire, qu'on est
tombé
dans
l'erreurque
nous nous trouvons
forcé
de combattre
; c'est ce qu'ilnous
serafa-cile de
démontrer.
Ily
a plus : toutes ces idéesfausses, bizarres, obscures,
que
le naturalismea mises
en
vogue,n'ont elles-mêmes pasd'autrecause
que
cet oubli d'une règle sans laquellel'induction, bien loin d'être
une
sourcede
ri-chesses
pour
lessciences,ne
serait,au
contraire,pour
elles,
qu'une
sourcede
trouble etde
con-fusion.
Chacun
saitque
nosanimaux
domestiques
se divisent
en
racesplusou moins nombreuses,
suivant les espèces;
que
ces races se caractéri-sent parla taille, parles proportions
du
corps,par le
degré
de
développement
dequelques
XVj OBSERVATIONS
parla
longueur
despoils, parles couleurs,etc.Chez quelques-unes de
nos racesde
chiens lesplus domestiques,
on
voitun
cinquième
doigtsedévelopper aux
piedsde
derrière,composé
quelquefois d'os aussi
complètement
formés
que
ceux
des autres doigts; et c'est, je crois, lamodification
organique
héréditaire la pluspro-fonde qui
nous
soit offerte par lesanimaux.
Nous
ajouteronsque
toutes les modificationsaccidentelles qui sereproduisent
pendant
plu-sieurs générations finissent par se transmettre
des pères
aux
enfans,et par devenir descarac-tèresderace.
Avant d'examiner
ces faitsen
eux-mêmes
,relativement
au
système
quinous
occupe
,nous
ferons d'abordremarquer
qu'al'exceptionde
lanourriture, qui, par sonabondance, peut
être favorable à l'accroissement
de
la taille,
aucune
des causesde
ces modificationsne
nous
est
connue
, etque
nous ne
pouvons
parau-cun
moyen
les produire, paraucune
circons-tance les faire naître; elles
ne
serventdonc
absolument
à rienpour
faire apprécier l'effetdes causes auxquelles
on
attribue lesmodifica-tions des espèces et leur transformation les
PRELIMINAIRES. XVlj
Nous
rappelleronsensuiteque
jamaison
n'avu une
de
ces espècesdomestiques
semontrer
avec les caractères
dune
autre espècede
songenre, domestique ou
sauvage; jamaisun
de
nos chiens n'est
devenu
un
loup,un
chacalou
un
renard;jamaisun
cheval n'a pris les traitsd'un âne,ni celui-ci
ceux
d'un zèbre; jamaisaucune
variétéde
nos chèvresne
s'estméta-morphosée
en
une
variétéde
nosmoutons
, etréciproquement;
jamais par conséquent,aucun
fait
de
cette nature n'apu
servir defondement
à l'induction
du
faitgénéral de transformationqui
nous
occupe.Voyons
si ce fait général trouvera plusd'ap-pui dans les faits particuliers
que
nous
avons rapportés plus haut.Les différencesdans la taille constituent ton!
au
plusun
caractère spécifique,témoin
nosgrandes
et nospetitesracesd'animaux
domesti-ques
:ilenest demême
, danscertaines limites ,des proportions
du
corps;l'oursmaritime,l'ourscommun
et l'oursaux
longues lèvresnous
endonnent
lapreuve;
et c'est encoreun
carac-tère d'espèce
que
nous
trouvons dans lede-gré de
développement
desmembres
,comme
nous
lemontrent pour
lesjambes
l'élan et leXVllj OBSERVATIONS
renne
, etpour
laqueue
lemacaque
propre-ment
dit etlerhésus:c'estàplusforte raison cequi sera
pour
lalongueur
desoreilles, ainsique
pour
lalongueur
et la couleur des poils; l'âneest l'espèce la plus voisine
du
cheval; lavigo-gne
à la fine etlongue
toisonne peut
êtresé-parée
du lama
au
pelage ras,etnous avons
desécureuils fauves, gris, noirs, etc.
Tous
cesfaits rentrent
donc
dans la catégoriede ceux
que
la science considèrecomme
propresseu-lement
à distinguer, dansun
même
genre
,les espèces les
unes
des autres,en
un mot
,comme
des caractères spécifiques.La
seulechose qu'on
pût
conséquemment
en
induire,c'est
qu'une
espèce pouvaitatteindreà la tailledune
espèce voisine ,en
prendre
lespro-portions, le pelage, les couleurs, etc.;
mais
le
système
croulerait par sa base, s'il étaitcondamné
à n'admettreque
lechangement
d'une espèce dans
une
autre espècedu
même
genre; il lui faut le passage des espèces d'un
genre
àun
autre genre, d'un ordre àun
autreordre, d'une classe à
une
autre classe, et c'estce passage, en efl'et, qui a étéconclu des faits
PRELIMINAIRES. XIX
L'existence,et
que
nous
avons caractérise.On
adonc voulu
trouverdes analogies entredesfaitsqui n'en avaient point, entre des organes
de
l'ordre le plus inférieur, caractéristiques des
espèces,et des organes de l'ordre le plusélevé,
carastéristiques des genres, des ordres
ou
desclasses; entre des organes qui n'ont
presque
aucune
influence surles conditionsd'existenced'un
animal
, etceux
desquels ces conditionsdépendent
essentiellement:en
un
mot,
comme
nous
l'avionsannoncé,
on
a,danslaconclusion,dépasséles prémisses,
on
a faitun
fauxraison-nement.
Il
nous
reste àexaminer
si lesystème
de latransformation des espèces trouve
un
meil-leur
appui dans
le fait très-important
du
dé-veloppement
d'uncinquième
doigt,que dans
les faits
que
nous venons
d'apprécier.Ce
fait étantunique, nous
pourrionsmon-trer
combien
est étroite la base qu'il oifreau
système;
nous
pourrions aussiargumenter
de
ladivergenced'opinionsquiexistesur l'origine
de
nos différentes races dechiens;
nous
pourrionsmême
refuser d'admettre qu'il lut légitime d<concluredesfaitsde la domesticité
aux
faits dead-XX
OBSERVATIONSmettons
comme
favorableau système
ledéve-loppement
du
cinquième
doigt chezles chiens;quel avantage ce
système
pourra-t-ilen
tirer?Évidemment
aucun;
carle pasque
cedévelop-pement
luipermet de
faire letientencore bienéloigné de la limite des genres; et
malgré
lesrapports
nombreux
quiexistententreleschiens,lesderniersgenres delafamilledes
martes
et les civettes, jamaisaucun
fait n'apermis
d'élever lemoindre
doute surla séparation absoluede
cesgenres.
Le
doigt supplémentairede
quel-ques
races de chiensdomestiques
estdonc
un
fait tout aussi insignifiant
que
les autres , dans lepoint devue
sous lequelnous
leconsi-dérons.
Ce
n'estpas en faisant intervenir,comme
on
le fait
dans
laquestion quinous
occupe,l'auto-ritébienfaible
de
De
Maillet,celleplusrespec-table tle Bufibn
ou
cellede
Lamarck,
qu'onen
facilitera la solution.
Chacun
saitque
les idéesque
Bufibn aexprimées
dans son Discours surla dégénération des
animaux
et dans sesEpo-ques
de lanature,comme
cellesque Lamarck
a exposées surles causesdes différentes
formes
des
animaux
, n'ontobtenu
aucune
croyance , ont étégénéralement
regardéescomme
desPRELIMINAIRES. XX]
jeux de leur imagination,
ou
comme
lescon-séquences de principes
admis
sansdémonstra-tions; et si
on
lit encore cesEpoques de
la na-ture , c'estque
les productions d'ungrand
écrivain ont
un
mériteindépendant
delavéritédes idées qu'il
exprime.
Or
pourquoi ne
crut-on
pasau système
que
Buffon développait avectant
de
lucidité etd'éloquence, et à celuique
Lamarck
appuyaitde
tantde
suppositions arbi-traires? C'estque
ces systèmes n'étaient pointconformes
aux
faits; c'est qu'ilsne
reposaientsur
aucune
observation précise, suraucune
expérience rigoureuse.
Pour
qu'on soiten
droit
de
reproduire ces systèmes,de
s'appuyer de leur autoritépour
les faire envisager sousun nouveau
pointde
vue, il faudrait qu'ilstrouvassent dans les faits qui leur étaient
op-posés, des faits quileur fussent
devenus
favo-rables;
que
par là ils inspirassent plusde
con-fiance qu'ils n'en inspiraient à leur
première
apparition
; qu'en
un
mot,
la science à leurégard eûtentièrement
change;
et,comme
nous
venons
de le voir, c'est ce qui n'est point.En
les apportant en
preuve
du
système
que
nous
combattons
etavec lequelilsseconfondent,on
XXlj OBSERVATIONS
on
fait ce qu'en logiqueon
nomme
une
pétitionde principes.
Eh
! s'il existait la plus faiblepreuve
, jene
dirai pasdela transformation,
mais de
lapos-sibilité
de
latransformationdune
espècedans
une
autre espèce,comment
serait-il possiblequ'un
anatomiste,un
physiologiste,un
natu-raliste, quel qu'il fût, pûtdésormais attacher son intelligence à
un
autre ordre dephéno-mènes?
Ilfautne
pasavoir réfléchià tout ceque
cette transformation
suppose de
miraculeux
,
pour
croirequ'un
esprit capablede
laconce-voir puisse résister à l'ascendant d'une telle
pensée;
pour
qu'à l'instantmême
ou
elleseraitreconnue
possible, ilne s'opérât pasune
révo-lutionfondamentale dans
toutes les sciencesqui,
de
prèsou de
loin, ontlesanimaux
pour
objet, l'hbien! cettetransformation estde
nou-veau
proclamée
, et riende
semblablene
nous
menace.
Il ne reste pasmême
la ressourcecommune
de supposerque
cetteidéen'estsans effetque
parceque
lesiècle n'estpas à sahau-teur,
que
parcequ'elledevance
lestemps où
elleseracomprise;qu'ilen est
en
un
mot pour
elle,comme
ilen
futpour
cellesde
Galilée sur lePRELIMINAIRES. XXllj
que
les rêveriesde
De
Maillet parurent, c'esten 1778
que
Buffon publia sesEpoques de
la nature,etLamarck
estvenu
ilyaplusde
trenteans, renchérir sur les idées
de
sesprédéces-seurs: or,
Ion ne
supposera pas que, depuis, lasciencesoitrestée stationnaire! C'est
qu'aujour-d'hui,
comme
au
milieudu
18esiècle,
comme
à l'époque de Buffon,
comme
au temps de
La-marck,
non-seulement
aucun
fait n'arendu
probable cette transformation,
ne
luia prêté leplus faible appui;
au
contraire,tous les faits lacombattent
, dansquelque
phénomène
naturelqu'on les
cherche
etde
quelque
expériencequ'ontente de les faire sortir.
Si,dansla critique
que
jeviensde
faire d'unsystème
que
j'auraisvoulu pouvoir
laisser à d'autres le soinde combattre
, jeme
suis bienfait
comprendre,
j'ailieu de croire qu'ontrou-vera
mon
frèreau
moins
excusablede ne
pasavoir adopté des idées qui,
pour
son esprit siavide de certitudes et de lumières, devaient
au
moins
paraître environnées de doutes etd'obscurités.
Je
me
bornerai à l'examen desdeux
sujetsqui viennent de
moccuper
: l'antiquité de laXXIV OBSERVATIONS PRELIMINAIRES.
animales les
unes
dans les autres.Ce
sont lesdeux
seules questions qui aient été élevées(i
une manière
directe contre des opinionsque
tout légitimait,et
que
toutlégitime encoreau-jourd'hui. J'aurais
pu en
aborder d'autresen-core : les travaux de
mon
frèresonttropnom-breux
et trop importans, et ils avaient élevétrop
haut
sa considération,pour
que
lacri-tique ait
pu
leur êtreépargnée
etsurtoutpour
qu'elleaittoujoursétéprésentée d'une
manière
équitable;
mais
comme
ces questions ne serapportent qu'indirectement
aux Recherches
sur les
ossemens
fossiles, je nem'y
arrêterai point ici. J'aurai d'ailleursprobablement
l'oc-casion d'y revenir lorsqu'aura lieu la
réim-pression dequelqu'un de
ses autres ouvrages.ELOGE
M*
IMS
IBillû©»
(DWHIBIBa
PAR
CI.. LATTRIIIAIIS,CONSERVATEUR DOCàKllEBI b'ifiATOlllP
ai csiimb'uiMour.nati telle de paru.
Discourscouronnepar l'Académiedes sciences, bclles~leltres etartsde Besançon, dans saséance du'.i.\ août i833.
ELOGE
SQ»
3M2
EBAÏB©»
couwiiBiih
Laviedessavansnous enseigne à chaque
page que les grandes vérités n'ontété
découvertesetétabliesquepardesétudes prolongées,solitaires,dirigées
constam-mentversunobjet spécial,guidéessans
cesse par une logique méfiante et ré-servée.
Cbvibr, El. lùst.desmembresdo l'Académie desSciences,
Si des génies supérieurs n'avaient
de temps
à autre paru dans lemonde
, et n'étaientvenus
com-muniquer
aux sociétés l'activitéde
leur esprit, celles-ci seraient toutes encore dansun
état bienvoisinde leurenfance.
Après
avoirpourvu
à leursplusimpérieuxbesoins, les
hommes,
retombés
dansleurindolencenaturelle, n'auraientfait
aucun
effortpour
entrerdansla carrièredu
perfectionnement,etl'état d'ignorance dans lequel se trouvent encore
des peuplades
nombreuses
serait peut-êtreaujour-d'hui celui de l'humanité tout entière. Mais telles
I
n'étaient point nos destinées : il entrait dans les
vues
du
pouvoirsuprême que
notre intelligence4
ÉLOGEil a voulu
que
, parmi quelques unes de nosraces,
et principalement parmi celle à laquelle
nous
ap-partenons , des génies créateurs se
manifestas-sent,
pour
mettre en circulationde nouvelles idées,pour
dévoilerdenouveaux
faits,
pour
engagerleurscontemporains dans des routes nouvelles, et
pour
les exciter, par l'attrait de la curiosité
ou
parl'es-poir
de
nouvelles jouissances, àdenouveaux
travaux.L'histoire des sciences
nous apprend que
plu-sieurs
de
ces précepteursdu
genrehumain
,de
ceshommes
que
le destin a fait naîtrepour
être la puissancemotrice de leurâge, paraissentensemble
à de certaines
époques,
comme
pour
s'excitermu-tuellement par
une
noble émulation, sans laquellepeut-être le feu qui les
anime
ne
répandrait pasd'aussi vives clartés!
La
findu
dernier siècle fut l'une des plusbril-lantes
de
cesépoques;
danspresque
tousles genresde
savoir, elle adonné
naissanceàde
grandshom-mes
, qui, en ouvrantde
nouvelles routesà notreesprit, ont fourni
de nouveaux
alimens à nospen-sées,
donné un
nouvel essor à notre imagination;etsans contredit celui dont
nous
entreprenonsde
l'aire l'éloge fut l'un
de
ceux qui jetèrent le plus viféclat, par la sagacitéde ses vues, par l'extrêmeclarté qu'ilsutmettre dans l'expositionde ses idées,
par l'immense étendue
de
ses connaissances, etDE M. LE BAttON CUVIER. 5
Au moment
où
ses premiers écrits parurent,au-cun
naturaliste peut-être ne pensaitque
lazoolo-gie
put
encore illustrerun
nom.
Il semblait,en
effet,
que
Linnaeus, par sesméthodes
précise* et faciles; Euffon, par ses tableaux animés, sesvueshardies, et cette alliance
inconnue
jusqu'à luide
la science avec l'éloquence, eussent épuisé lamatière; mais,
pour
l'homme
de génie, la natureest
une
source intarissable d'études et demédita-tions.
En
appliquant les principes de laméthode
naturelle à la classificationdes
animaux, M.
Cuvierparcourut
une
carrière zoologiquenon moins
bril-lante et
non
moins
étendueque
cellede
cesdeux
grands
hommes.
Jusqu'à lui, quoiqu'elle eût
occupé
Camper,
Iîlu-menbach
, Hunier, Daubcnt.on, etVicq-d'Azyr,l'a-natomie
comparée
n'avait guère été qu'un objetde
curiosité
ou
de
dissertations plusou moins
ingé-nieuses;M.
Cuvier suten
faireune
science,deve-nue
entre sesmains
la base fondamentalede
l'his-toire naturelle, et la source la plus
abondante de
vérités physiologiques.
Les
travauxdesde
Saussure, des Deluc, des Pal-las et desWcrner,
paraissaient avoiramené
la géologie à la perfection qu'elle pouvait atteindre;M.
Cuvier, par la découverte d'un genrede
monu-mens
que
la nature vivante a laissé dans les6
ÉLOGEnouvel ordre d'idées, dont les développeincus
fé-conds
ontchangé
le caractère de sa philosophie.Tel est
en
abrégé ceque
cet Aristote destemps
modernes
a faitpour
la zoologie,pour
l'anatomiecomparée
, etpour
l'histoire de la terre.Il
semble que
les travaux nécessairespour
don-ner ainsi
une
nouvelle impulsion à trois branches dessciences naturelles devaient suffirepour
occu-per etpour
illustrer la plus longue vie; mais cen'était point assez
pour
la vaste intelligencede
M.
Cuvier. Historiendessciences etde l'Académie,professeur éloquent, auteur d'ouvrages immortels,
il a voulu rendre à ses contemporains des services
plus immédiats,
en
s'associant au corps chargéde
diriger l'instruction
de
la jeunesse, et les talensqu'ildéveloppa dansces nobles fonctions ayant fait connaître au pouvoir sa capacité
pour
les affaires,il fut appelé dans les derniers jours
de
l'empire àprendre
partaux travauxdu
conseil d'Etat, etquel-ques
années plus tard à présiderune de
sessec-tions. C'est ainsi qu'il futentraîné
dans
une
car-rière
que
lesévènemens de
nos jours ontrendue
si difficile, etdans laquelle, exercé
comme
ill'étaità la recherche
de
la vérité,animé de
ce respectreligieux
pour
l'équitéque
lui inspirait la droiturede
son caractère , éclairé parde profondesconnais-sances administratives, et guidé par
une
intégritéDE M. LE
BARON
CL'VIER.y
homme
d'Etat,une
célébrité peut-être égale à cellequ'il a su conquérir
comme
savant.On
comprend
que,menant
defrontdestravauxsi divers, ilsaient été plusou moins
mêlésl'un àl'autre.Pour nous,
qui n'écrivons pas sa biographie, mais son éloge, c'est-à-direune
appréciationde
sesmé-rites, afin de ne point fatiguer le lecteur par des
retours fréquens sur le
même
sujet, au lieu del'ordrechronologique de sestravaux,
nous
suivronsl'ordre des matières
que nous venons
sommaire-ment
d'indiquer, etnous
essaieronsde
caractériser sans interruption ce qu'il a faitsurchacune
d'elles;mais
comme
de lonss détails sur sa viene nous
permettraientpas de
nous
livrer àcetexamen, nous
n'indiquerons
que ceux
quinous
paraissentabso-lument
indispensables.Georges-
Chrétien -Frédéric-Dagobert
Cuviernaquitle
a5
août 1769,à Montbéliard, alorschef-lieu d'une principauté appartenant aux ducs
de
^
urtemberg
, de païens qui n'étaient rienmoins
que
dans l'aisance; et,comme
tantd'hommes
émi-nensdont
ilnous
a tracé l'histoire, il fut obligédelutter, dans sa jeunesse, contre l'infortune.
Son
père. après quarante ansde
servicesdistin-gués dans
un
régiment suisse à la solde de laFrance, n'avait
pour
soutenir sa famille qu'unemodique
pension de retraite, etle jeune Cuvier se vit obligé,pour
ne pas être à charge à ses païens,8 ÉLOGE
d'accepter, à 1âge de dix-neuf ans, aussitôt après
avoirachevé sesétudes, le
modeste
emploi depré-cepteur dans
une
ancienne famille deNormandie.
Cette résolulion,
que ceux
desesamis qui savaientapprécier son génie naissant considéraient
comme
déplorable, fut
cependant
l'origine de sa fortune.C'est ainsi qu'à notre insu le destin
nous
conduitsouvent au succès par le
chemin
qui semblaitdevoir
nous
en éloigner.D'une
rare aptitude àtous lestravauxde
l'esprit,doué
d'unemémoire
prodigieuse, il avaitmontré
de
bonne
heure
un
goût trèsprononcé pour
l'his-toire naturelle etpour
le dessin,que
dès sonen-fance il regardait et qu'il a toujours considéré
depuis
comme
lemoyen
le plus sûrde
faciliterl'étude
de
cette science.A
l'âgede
dix ans,un
Uuffon étant
tombé
entre ses mains, il le lut avecavidité, et ne prit
aucun
repos qu'il n'en eût copiétoutes les figures
pour
les enluminer d'aprèslesdescriptions.
Ce
goûts'était fortifié à l'académie deStuttgard,où,
sur le récitde
ses brillantes dispositions, leduc
Charles deWurtemberg
l'avaitspontanément
placé.
Tout
en étudiant dans cette célèbre insti-tution (i) la philosophie, lesmathématiques,
le droit et lessciences administratives, ilavaitardem-ment
suivi les cours d'histoire naturelle, et s'était livrépendant
sespromenades
à la formation d'unDE M. LE BAÏÏON CUVIER.
9
herbieretd'une collectiond'insectes (2). Ses entre-tiens avec ses condisciples, et particulièrement avecM. Kielmeyer
, le pèrede
laphilosophiede
lanature, contribuèrent
également
aux rapidespro-grès qu'il fit dans toutes les branches de l'histoire naturelle (5).
Arrivé en
Normandie
dans l'année1788,
les fa-cilitésque
lui donnait le voisinagede
lamer
luifirent naître lapensée d'en étudierlesproductions;
il s'attacha d'abord aux
animaux de
la classe desversde
Linnéc;
mais ayant éprouvé quelquesdif-ficultésdansladéterminationdesespèces,et
même
des genres, tels qu'ils étaient alors établis, il cher-cha si leur structure interne
ne
pourrait pas luidonner
des caractères plus précis; et ce besoinde
classer les faits, qui paraissaitentraîner
irrésistible-ment
son esprit, lui fit bientôt sentir qu'il était impossible d'assigneraucun
caractèrecommun
à cesanimaux,
et qu'il restaitun
vide à rempliren
zoologie.
Linnaeus et Buffon avaient popularisé la science,
l'un en la rendant facile, l'autre
en
luidonnant
un
caractère philosophique et lui prêtant tous les
charmes
de l'éloquence ; mais cette popularitémême
l'ayant prodigieusement enrichie, ildeve-nait indispensable d'admettre
une
méthode
declassification, et les systèmes fondés sur
un
seul10 ÉLOGE
selon leurs degrésd'affinité,
M.
Cuvier pensa qu'ilfallait appliquer à la zoologie des principes
analo-gues à
ceux
de laméthode
naturelle introduits toutnouvellement avec tant
de bonheur
dans labota-nique, et qui consistent « à distribuer les faits
dont
»la science se
compose
en
propositions tellement«graduéeset
subordonnées
dans leurs généralités,«que
leurensemble
soit l'expression des rapports «réels des êtres '(4). »
Comme
il n'avait guère à sa dispositionque
desanimaux de
la classe des vers, distribués parLin-nœus
de la manière la plus étrange, cefutsureux
qu'il entreprit d'abord de porter la réforme; mais
désirant, avant
de
rien publier sur ce sujet,con-sulterles savans qui tenaient alors le sceptre
de
lascience, il se fit mettre
en
relation avec quelquesuns
d'entreeux
parun
membre
de
l'ancienneaca-démie
qu'il venait de rencontreràValmont,
etdont
les instances l'avaient engagé à faire
un
cours debotanique à quelques amateurs d'histoire
natu-relle (5).
MM.
Millin, deLacépède
et GeoffroySaint-Hil aire l'invitèrent à serendreà Paris.Ilyarriva
en
1795; etlalecture qu'il fit, ausein des sociétésphilomatique et d'histoire naturelle , de divers
mémoires
sur l'anatomie des mollusques, desin-sectes et des zoophytes, et celle d'un aperçu sur
1 Cuvier, Rapporthistoriquesur
lesProgrèsdes sciences
DE M. LE
BARON
CUVIEU. 1llaformation etl'usage des
méthodes en
histoirena-turelle, le placèrent dès lors au rang des
natura-listes les plus distingués, et lui valurent d'être
nommé
membre
de
la Société des Arts, puispro-fesseur à l'Ecole centrale
du
Panthéon,
et bientôt aprèsmembre
de l'Institut, et suppléant auprofes-seur d'anatomie
comparée
auMuséum
d'histoirenaturelle.
Une
fois au centre d'un vaste établissement, etdisposant des
animaux
d'une grandeménagerie
,son génie prit
un
essor proportionne à sesmoyens
d'investigation.Tout en
continuantde
s'occuperde
l'anatomiedes mollusques, publiée
en
une
suitede
monogra-phies qui seront àjamais
un
modèle de
descriptionsclaires et précises, d'érudition et de critique
litté-raire, et qui témoigneront
de
sa rare habiletédans l'artdu
dessin (6),et del'adresse qu'il mettaitdanssespréparations
anatomiques
', il poursuivitsesre-cherches sur les autres invertébrés, et fitconnaître
en
1796
sa belle découverte de lacirculation et dela coloration
en
rougedu
sangde
lasangsue etdes autres annelides , et luten
1797 son célèbreMé-moire sur la nutrition des insectes,
où
il établit1 CesMémoires,
publiés danslesAnnalesdu
Muséum
, dea802à 1815, ont été réunis enun volume in-4°, qui aparu en 181 7,etseront reproduitsprochainementdansle format in-8°.
1
2
ÉLOGE
d'une manièresi logiquele
mode
de
respiration partrachées, et d'absorption par imbibition ,
que
né-cessite leur défaut
de
circulation;mémoire
qui aservi
de
base à la séparationfaite plus tardde cesanimaux
d'avec les autres articulés.Tout
en continuant, disons-nous, ces travaux, ilréunit
en
peu
detemps une
collectionnombreuse
de
matériaux qui lemirenten
étatde poser lesfon-demens
de l'analomiecomparée,
de faire ladécou-verte d'une zoologie ancienne, et d'apporter la
réforme dans le règne animal tout entier. Cette
ré-forme
commencée
dans son Tableau élémentaire,ou
Précisde
ses leçons à l'école centraledu
Pan-théon', améliorée dans les tableaux
imprimés
à lafin
du
premiervolume de
sesLeçons
d'anatomiecomparée,
perfectionnée en 1812 dansun
Mémoire
inséré dans les Annales
du
Muséum
d'Histoirena-turelle% futcomplétée, autant qu'il lui était
donné
de
le faire, dansdeux
éditionsde
sonRègne
ani-mal
3(7).
Dans
ces ouvrages , partant de ces principes ,vulgairesaujourd'hui, grâcesà lapersévérance qu'il a mise à les répandre, soit dansses écrits, soitdans
ses leçons orales, clgrâce à l'influence
que
sesidées1
Un
vol. in-8°,Paris, anG.
* 19* volume.
3 4 vol. in-8°, Paris, 1817
; etdeuxième édition, 5 vol,
DE M. LE
BARON
CUVIER. l3ont acquise,
que
l'histoire naturelle d'un être estla connaissance
de
tous les rapports, de toutes lespropriétés de cet être , et
que
toute sonorganisa-tion doitservir à lui assigner
une
place dansun
ar-rangement méthodique,
ilen
conclutque
l'anatomieet laphysiologie doiventservirde baseàlazoologie,
et
que
le faitde
l'organisation le plus général , leplus constant,doit déterminerlesgrandesdivisions,
et lesfaits
moins généraux
etplus variables, lesdi-visions secondaires. Il établit ainsi
une
subordina-tion
de
caractères etde
coupes, qui doit et peutseule être le principe d'une
méthode
naturelle ,c'est-à-dire, d'une manière d'ordonner les êtres
de
telle sorte
que
la placeoccupée
parchacun
d'euxdonne une
idée généralede son organisation et desrapports qui le lient avec tous les autres (8);
mé-thode qu'il regardait
comme
la scienceelle-même
réduite à sa plus simple expression.
C'est ainsi qu'examinant les modifications
qu'é-prouvent dans le règne animal les organes
de
lacirculation, de la respiration et des sensations, au
lieu des six classes
de
Linmeus,
c'est-à-dire, desquadrupèdes,
des oiseaux, des reptiles, des pois-sons, des insectes et des vers,M.
Olivier établitquatre grands types, des
animaux
vertébrés, desanimaux
mollusques, desanimaux
articulés, et desanimaux
rayonnes, qu'il appelleembranchemens,
etl4 ÉLOGE
à celles
que
l'on avaitde
touttemps
établiesparmi
les vertébrés.
C'était relever
de
beaucoup
l'importance desclassesinférieures ; mais déjà,depuis
Linnœus,
on
avait compris
que
ni la grandeurni l'utiliténe
doi-vent entrer
en
lignede
compte
dans les distribu-tions scientifiques, et la justesse des raisons surlesquelles s'appuya
M.
Cuvier ont faitgénéralement
adopter sa
manière de
voir : à peineun
iaiblemur-mure
se fit-il entendreen
faveur des anciennesclassifications. ]Nous avons d'ailleurssi
peu de
don-nées sur les vues de l'auteurde
la nature ,que
lesanimaux
quinous
paraissentde
peu
d'importancepar rapportà
nous
, sont peut-être aussi nécessairesau plan général
du
Créateurque ceux que nous
plaçons à la tête
de
l'échelle des êtres.L'examen
de la division des ordres, des familles et des genres, de l'établissement etde
la critiquedes espèces, serait
un
travail trop longpour
lesbornes
quinous
sontprescrites. Qu'ilnoussufGsede
dire
que
lesprincipes sur lesquelsreposent cesdivi-sions présideront nécessairement aux
changemens
que de
nouvelles observations rendront indispensa-bles;que
lesbasesdetouteclassificationzoologiquesontdésormais posées, et
que
leur soliditéprou-vera
mieux que
tous les discours, aux naturalistesfuturs, le génie élevé de l'auteur
du
Règne
animal.DE M. LE
BARON
CUVIER. l5ouvrages scientifiques : l'esprit dans lequel il est
conçu
restera seulimmuable.
Il n'estaucun
natu^raliste qui n'ensache aujourd'hui plus qu'Aristote,
aucun
élèvede
l'Ecole polytechniqne quine
soitplus savant
que
Newton
;etpeut-être, dansun
siè-cle, la vaste science
de
M.
Cuvier sur l'organisa-tion sera surpassée par cellede
tout étudiant; mais Aristote, JNewton et Cuvier n'en resteront
pas
moins
l'honneur éternelde
l'esprithumain.
Ces
ouvragesde
classifications seperfectionnaientà
mesure que
ses travauxanatomiques
,en
appor-tantàsaconnaissance
de nouveaux
faits, luipermet-taient
de
se livrer àde
nouvelles méditations; etces travaux
eux-mêmes,
grâce à son activité,ne
se firent pas attendre.A
peine quatre ans s'étaientécoulés depuis sa
nomination
auMuséum,
et déjàcommençait
la publicationde
ses immortellesle-çons d'anatomie
comparée,
devenue
absolument
nécessaire
pour
diriger lesnombreux
élèvesque
ses talens
de
professeur,en
grandissant sanscesse, attiraient à ses cours (tj).Dans
cepremier
ouvrage général, écrit sur cette matière', dans ce guide indispensable encore à tousceux
qui veulent étudier aujourd'hui cette vastescience,
M.
Cuvier, aulieu de considérerl'anatomiede
chaque
animalséparément
,examine
successi-vement chaque
organe dans toute lasérie desani-1 Publié en
l6 ÉLOGE
maux
, et note avec exactitude toutes lesmodi-fications et transformations qu'ils éprouvent,
pour
en
déduire la théorie générale de leursfonctions.Un
travail qu'il ne faut pas séparerde
cetou-vrage, et qui doit être considéré
comme
l'unde
ses plus
beaux
titres de gloire, c'est la formation d'un cabinet d'anatomie.Tout
ce qu'il enseignaitdansses leçons, il voulaitl'appuyer de preuves
dé-monstratives.
A
cet effet, il rassembla dansun
gre-nier, transformé depuis
en
une
galerie, lesprépa-rations
deDaubenlon
etde
l'ancienneAcadémie
dessciences,qu'il retrouvadélaissées et mutilées;etles multipliantpar
un
travail opiniâtre,etparune
direc-tion bienentendue de
ses aides (10), il parvintàcréer cettecollection, laplus riche qui soit encore
en
Europe, malgré leseffortsque
font quelquesau-tresnations
pour
chercheràl'égaler,etdanslaquelle,non
seulementses élèves se sont formés, mais sesémules
et ses rivaux sont venus chercher desin-spirations puisées dans des préparations souvent
faites
de
ses propres mains(il).Il serait également impossible d'indiquerici ce qui, dans celivre, appartient
nommément
àM.Cu-vier. Sans doute il a mis à contribution tous les auteurs qui s'étaient occupés de l'anatomie des
ani-maux;
il a profilé des ouvrages desSwammerdam,
des Collins, des
Monro,
desHun
ter, desCamper,
DE M. LE
BARON
CUVIER. \j etde
plusieurs autres; ruaisune
foulede faitsnou-veauxetimportans luisontdus, etce qui lui
appar-tient bien certainement, c'est lamanière élevée
de
considérer cette science; c'est la
méthode
rigou-reuse avec laquelle il a suivi
chaque
organe danstoute la série des
animaux;
c'est lapatience qu'il amise ànoter la différence qu'ils présentent, et les
effets qu'elles doivent produire; c'est la justesse d'espritqu'ila
montrée
,en
se bornant àne
déduireque
lesconséquences
qui dérivent directementdes
faits, sans s'abandonner aux séductions
de
l'espritde
système; c'estenfincette clarté, cetteconcisiondont
il adonné
une prpnvp
pr.latante,eu
réunis-santdans
une
seuleleçonsurl'économie animale,lasubstance de
nombreux
volumes
écrits sur ce sujet.Les
principales idées physiologiques quidécou-lent
de
cet ouvrage, ainsique
de tousceux de
M.
Cuvier, sontque
la vie estun
tourbillond'unecertaine matière sous
une forme
déterminée;que
le principal agent de cette vie est
un
fluideimpon-dérable, le fluide nerveux;
que
la sensation et lareproduction des êtres (12) sont des
problèmes
àjamais incompréhensibles
pour
notre esprit, etque
l'instinct est
une
sensation interne,une
sortede
somnambulisme
qui détermine certainsanimaux
1exécuter à leur insu, depuislacréation
de
l'espèce,des actionssouventtrèscompliquées, sans lesavoir
l8 ÉLOCE
Si l'analomie des mollusques a porté
M.
Cuvieràréformerlessystèmes
de
classification zoologique,l'anatomie des
animaux
vertébrés l'a conduit à ladécouverte d'un ordre de faits plus fécond encore
en brillans résultats
pour
la philosophie naturelle etpour
la théorie de la terre.Considérant qu'un être organisé
forme
un
sys-tème complet
, destiné par la nature à jouerun
certain rôle, et dont toutes les parties sont liées les
unes
aux autres, il comprit qu'il existeune
cor-rélation de formes tellement nécessaire entre ces parties, qu'aucune d'elles ne peut être modifiée
sans
que
le toutne
s'en ressente, clque chaque
modification suffît à elle seulepour
faire connaître toutes les autres; etil conclutde
làque
chaque
osdu
squelette d'un animal portedes
caractèresde
classe, d'ordre, de genre, et
même
d'espèce.Ayant
appliqué cette doctrine à la détermination des
os-semens
épars dans lesdifférentescouches
de notresol, il trouva ce
que
n'avaient aperçu niCamper,
ni
Daubenton
, qui s'étaient occupés aussi del'ap-plication de l'anatomie
comparée
àladéterminationde
quelques
os fossiles:que
ces débris d'animauxappartiennent à des races éteintes différentes de
celles qui existent maintenant (i3).
Cettedécouverte afait connaître, par lasuite
de
cesrecherches',