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« Médecin de campagne », le film anti-séries ?

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REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH 30 mars 2016

672

bloc-notes

« Médecin de campagne », le film anti-séries ?

ue trouve-t-on, dans ce film à l’intrigue réduite à l’os ? De très belles scènes de documentaire sur la vie en campagne.

La médecine comme façon de dire l’existence d’un monde qui se meurt, aux habitants res- semblant à de nouveaux sauvages qui luttent contre la disparition.

Cela suffit-il ? Pour le dire autrement : en quoi y a-t-il du mythologique dans ce film, au même titre que dans les séries médicales qui occupent les postes de télévision et une partie du temps de curiosité disponible de nos contemporains ? Qu’est-ce qui, dans les scènes rurales de « Médecin de campagne », parvient à scotcher les spectateurs devant l’écran de cinéma (car oui, la salle était comme subju- guée) ? De l’humain dénudé, dévoilé. La banale souffrance quotidienne, la mort qui approche, la vérité dite, rude et simple. Figure principale du film, le Dr Jean-Pierre Werner (superbe- ment joué par François Cluzet), n’est pas qu’un médecin-fournisseur de prestations d’un bled campagnard. Il en est le sage, la référence, le porte-voix, l’individu à part, presque sacré.

Werner est un bavard solitaire, empathique et émotionnellement renfrogné. Il fait partie de ces médecins qui, chargés de responsabilités, ont besoin d’en alléger le poids par ces vieux systèmes de décalage que sont l’humour, la dérision ou la bougonnerie.

Généraliste à l’ancienne, Jean-Pierre Werner traîne un paternalisme dépassé et une bien- veillance presque suspecte, comme s’il devait se racheter d’un trouble passé. Au début du film, on lui découvre une tumeur au cerveau.

Mais il refuse sa maladie, continuant à s’oublier dans sa pratique.

A ce médecin obstiné, l’oncologue-ami qui le soigne envoie en douce une consœur tout juste diplômée (Mathilde, sous les traits de l’excellente Marianne Denicourt), encore humide derrière les oreilles, pour l’aider à décrocher.

Le résultat, c’est que Jean-Pierre Werner ne décroche pas – il va même guérir (un peu trop miraculeusement) de sa tumeur – mais que c’est elle qui accroche. Au début, il la bizute.

Gentiment. En la lâchant dans les cours de ferme, où les bêtes flairent, bien sûr, la cita- dine. Petites scènes de comédie. Elle s’en sort bien. Mais elle fait une grosse bêtise, typique des débutants (mais pas seulement : la bêtise

de tous ceux qui pensent que la technique représente ce que la médecine a de mieux à offrir). A un vieillard au terme de sa vie, laquelle se résume à son affection pour un chien aussi fatigué que lui, Jean-Pierre avait promis qu’il le laisserait mourir à domicile. Et voilà que, appelée par la famille à la suite d’une crise, Mathilde, bien intentionnée, enfreint la promesse de Jean-Pierre : elle l’hospitalise. Rien n’est plus difficile que le renoncement. Jean-Pierre par- donne. Leur relation peut commencer à ne plus être que professionnelle. Et Mathilde à incarner le généralisme de demain.

Dans les séries télévisées médicales récentes, toutes hospitalières, c’est la technique, l’urgence mais aussi les incessantes interactions entre soignants et soignantes qui font la trame et le théâtre de l’action. Dans « Médecin de cam- pagne », rien de cela. Juste du low tech, des visites à domicile et de la pratique face à face avec le patient, les mains nues. Ce qui nous vaut une superbe galerie de portraits. De petites gens aux corps fatigués, des taiseux qui parlent par petits gestes, des handicapés de toutes sortes qui ne se livrent qu’à hauteur d’homme.

Werner les regarde et les écoute, dans des scènes d’une délicatesse extrême. Son travail se situe à mille lieues des « Urgences » ou « Grey’s Anatomy » : il consiste à arracher ses malades au sordide. Plus que des soins médicaux, il leur donne de la dignité. Mais, comme les soignants des séries télévisuelles, le personnage princi- pal, c’est lui. La souffrance et la détresse des patients ne donnent que les points de départ.

L’intérêt vient de ce que sa personnalité déploie pour ne pas succomber au burn-out, au non- sens ou, pire, à l’indifférence.

Dans leur grande majorité, les médecins de fiction sont beaux, doués, mais perclus de fai- blesses. Prenez le Dr House. C’est un boiteux génial qui souffre d’une douleur chronique qui l’a rendu dépendant aux analgésiques. Le Dr Werner, lui, a une tumeur au cerveau. Les deux sont des médecins passionnés en même temps que quasi anosognosiques, en tout cas mauvais patients. Ce qui révèle une commune faille de leur personnalité. Peut-être la faille par laquelle leur compassion se fraie un passage détourné vers les autres. En tout cas, les deux regardent au-delà des apparences. La vérité clinique et intime des patients apparaît à House, alors qu’elle échappe à tous les autres. Chez Werner, c’est encore mieux : il n’y a pas de diagnostic.

Comme souvent en médecine générale. Mais lui aussi, par son attitude, dévoile les patients à eux-mêmes. Ici et là, sous les regards de House et Werner, on trouve le tout-venant des humains, les bizarres, les asociaux, les marginaux,

les tordus, avec leur cortège de plaintes décalées dans Dr House auquel s’ajoute, dans le « Médecin de campagne » des ribambelles d’oies, des vaches, des chiens méchants et un chien étique. Et face à cette cohorte d’humains et de non-humains, le message est le même : l’important apparaît lorsqu’on s’intéresse autant aux détails qu’à l’ensemble, à l’individu qu’à son monde.

C’est dans un présent augmenté, qui an- nonce le futur, que se déroulent les séries télé- visées hospitalières. Alors que « Médecin de campagne » prend comme décor une pratique médicale qui n’existe déjà plus : où la bureau- cratie reste discrète, où les visites à domicile représentent la norme, où les médecins ont le temps de discuter. Alors que les généralistes modernes, eux, passent leur temps à répondre aux mille documents et questionnaires des caisses maladie, et subissent en plus leurs brimades.

Le cabinet du Dr Werner, c’est le roman- tisme d’avant le péché moderne du contrôle et de l’efficience. Et d’avant la prise de pouvoir par les données et les machines.

Thomas Lilti, le réalisateur, lui-même mé- decin, nous donne à voir ce que nous aimons et que nous regretterons avec une infinie nostalgie si nous le laissons disparaître au lieu de le ré- nover. Avec humour et justesse, il se moque des projets de maisons de santé, lorsque leur seul intérêt concerne les promoteurs immobi- liers. Comme si construire des maisons allait résoudre ipso facto le problème de pénurie de médecins et permettre aux personnes de con- tinuer à être respectées dans leurs différences.

Werner fait penser à Jean-Paul Studer, merveilleux généraliste neuchâtelois décédé en 2012, qui écrivait :1 la médecine est un « enga- gement construit autour d’un souci pour la communauté de tous les jours, d’un souci civilisateur, oserais-je dire, quand il s’agit de donner du sens à la souffrance humaine, à la vieillesse, au handicap, mais aussi à l’obésité, aux dépendances, à l’épuisement, aux douleurs chroniques… Et d’en rendre compte. Un souci séditieux, dérangeant… faisant surgir cette question : Où veut-on peut-être que nous ne soyons pas ? »

Allez voir « Médecin de campagne », film porteur de ce souci, hymne à la fragilité humaine et à la beauté de la médecine.

1 Dans : Cartes blanches. Treize médecins, autrement.

Genève : Ed Médecine et Hygiène, 2010.

Q

Bertrand Kiefer

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