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La ville ouverte. Le projet ouvert dans la fabrique de la bille

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Academic year: 2022

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Master

Reference

La ville ouverte. Le projet ouvert dans la fabrique de la bille

SCHMIDT, Robin Nicolas

Abstract

La fabrique contemporaine de la ville repose sur un paradigme de planification sous-tendu par des idéologies néolibérales générant des espaces cloisonnés, garantis et contrôlés. Ce travail tente de réfléchir à une alternative à cette tendance au travers du concept de ville ouverte. Le but est dans un premier temps de conceptualiser cette notion et d'en faire émerger les principales dimensions. Le deuxième volet consiste en une analyse de trois cas présentant des aspects ouverts afin d'en faire émerger des caractéristiques pertinentes et de comprendre comment ceux-ci ont vu le jour. Le but est ainsi de réfléchir aux instruments, aux formes et aux processus permettant de relever le défi l'opérationnalisation de tels projets et d'en esquisser la posture de l'urbaniste dans ce genre de démarche.

SCHMIDT, Robin Nicolas. La ville ouverte. Le projet ouvert dans la fabrique de la bille. Master : Univ. Genève, 2018

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:111269

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Modifié à partir de : Cohabita, av. de la Renaissance, rues Murillo, Hobbema, Leys, Bruxelles, Belgique, 1976 - © Atelier Lucien Kroll ©ADAGP

LA VILLE OUVERTE

Le projet ouvert dans la fabrique de la ville

Robin Schmidt

Juin 2018

Faculté des sciences de la société

Maitrise universitaire en développement territorial Mention aménagement du territoire et urbanisme Directrice : Dr. Lisa Lévy

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– RÉSUMÉ –

La fabrique contemporaine de la ville repose sur un paradigme de planifica- tion sous-tendu par des idéologies néolibérales générant des espaces cloison- nés, garantis et contrôlés. Ce travail tente de réfléchir à une alternative à cette tendance au travers du concept de ville ouverte. Le but est dans un premier temps de conceptualiser cette notion et d’en faire émerger les principales di- mensions. Le deuxième volet consiste en une analyse de trois cas présentant des aspects ouverts afin d’en faire émerger des caractéristiques pertinentes et de comprendre comment ceux-ci ont vu le jour. Le but est ainsi de réfléchir aux instruments, aux formes et aux processus permettant de relever le défi de l’opérationnalisation de tels projets et d’en esquisser la posture de l’urbaniste dans ce genre de démarche.

Mots clés : ville ouverte, projet ouvert, expérimentation, improvisation, pro- cessus ouvert, indétermination, désordre.

– REMERCIEMENTS –

Je tiens ici à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé et soutenu durant ce mémoire. Je remercie particulièrement ma directrice Dr. Lisa Lévy de m’avoir accompagné dans mes recherches et mes réflexions ainsi que pour son temps, sa patience et ses conseils avisés tout au long de mon travail.

Je remercie également tous mes compagnons de bibliothèque ainsi que toutes les personnes qui m’ont consacré du temps et ont répon- du à mes questions. Un merci tout particulier à Mme  Jade Rudler, M Julien Ineichen, M Louis Mejean, Mme Claudia Meier et M Louis Oberson, qui ont pris le temps de m’écouter et de répondre à mes interrogations, ainsi qu’aux membres du Jackie Pall Theater Group pour leur accueil.

Merci à Noémie Schmidt, Laurent Schmidt et Olivier Lamon pour leurs relec- tures attentives, leur sens du détail et leurs conseils toujours pertinents ainsi qu’à Léna Vaudan pour ses encouragements, son soutien, sa motivation iné- branlable et sans qui ce travail n’aurait pas vu le jour.

Enfin un grand Merci à Atelier Simple, pour les aventures passées, les char-

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1. INTRODUCTION 7 1.1. Détruire les villes avec poésie et subversion ? 7

1.2. Réflexions introductives 9

1.3. Problématique et questions de recherche 11

1.4. Annonce du plan 13

2. CADRE MÉTHODOLOGIQUE 15

2.1. La question de ma posture 15

2.2. Temps de la recherche 16

2.3. Récolte de données 17

2.4. Corpus d’analyse et justification 18 2.5. Grille de lecture et méthodes d’analyse 20

3. RÉFLEXIONS THÉORIQUES 22

3.1. La production de l’espace 22 3.2. Planification et production de la ville néolibérale 24 3.3. Une approche par la ville ouverte 30

3.4. Faire la ville 40

4. CONCLUSIONS INTERMÉDIAIRES 50

4.1. Synthèse 50

4.2. Questionnements intermédiaires 51 – TABLE DES MATIÈRES –

LE PROJET OUVERT: DIGRESSION AVEC LE COLLECTIF JACKIE PALL

54

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5. REVUE DE CAS 61 5.1. Le laboratoire Mauvaise Herbe ? 61

5.2. Terrain Gurzelen 73

5.3. Bühneland 83

6. RÉFLEXIONS SUR LE PROJET OUVERT 95

6.1. Instruments 95

6.2. Formes 105

6.3. Processus 111

6.4. Posture de l’urbaniste 115

6.5. Tableau récapitulatif 123

7. SYNTHÈSE, CRITIQUES ET LIMITES 125

7.1. Synthèse 125

7.2. Critiques et limites 128

8. CONCLUSION 131

9. BIBLIOGRAPHIE 134

9.1. Ouvrages 134

9.2. Articles 136

9.3. Vidéos 138

9.4. Autres 140

10. SOURCES 141

10.1. Documentation 141

10.2. Entretiens et discussions 143

10.3. Iconographie 144

11. PLAN DÉTAILLÉ 146

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1. INTRODUCTION

1.1. Détruire les villes avec poésie et subversion ?

La ville qui m’entoure et qui se construit à l’aube de 2018 m’enthousiasme peu.

Le futur du métier d’urbaniste qui m’est présenté dans le cadre de mes études encore moins. Les espaces urbains se ressemblent, me font me sentir ano- nyme, perdu, dans une masse uniforme, propre et sans surprise. J’y retrouve bien souvent les mêmes espaces publics, les mêmes parcs, les mêmes rues pié- tonnes, les mêmes bancs, les mêmes terrasses. Les projets que je rencontre présentent les mêmes formes, les mêmes contraintes budgétaires, les mêmes nécessités de rentabilité.

Ma position d’urbaniste en devenir m’interroge sur notre manière de construire, de concevoir, d’agir, mais surtout d’être. Quel est le sens du métier d’urbaniste aujourd’hui ? Comment faire, proposer mieux ? Faut-il « détruire les villes avec poésie et subversion » comme le suggère le fanzine Désurba- nisme (2014) ? Ou alors trouver des solutions par l’action ? Essayer de nouvelles choses, explorer d’autres théories ? Expérimenter et tester d’autres manières de faire ? Rassembler d’autres idées ?

Expérimental et multiple, ce travail se veut comme une porte ouverte vers des idées alternatives de fabrication de l’espace. Il rassemble des idées pour ouvrir, à sa mesure, de nouveaux champs de réflexion, pour dépasser l’horrible sen- sation d’inchangé et d’immuable que je perçois dans la production spatiale actuelle.

S’il m’est impossible de tout révolutionner, je tente ici un assouplissement du champ du possible, une alternative à la rigidité de la conception actuelle des villes, et vous délivre ma propre pierre à l’édifice que constitue le défi de l’ur- banisme de demain.

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1.2. Réflexions introductives

Ce travail s’inscrit tout d’abord dans une volonté de critique de la fabrication actuelle de la ville. Me sentant en important désaccord avec les méthodes pla- nificatrices contemporaines, ou du moins, ce que j’en perçois, mon idée a été d’approfondir le sujet afin de comprendre les mécanismes régissant le déve- loppement urbain auquel j’assiste. Rapidement, je me suis rendu compte de l’aspect néolibéral de la fabrication de la ville tout comme l’existence de nom- breuses théories critiques à son égard. Il m’a dès lors fallu cerner globalement ce concept afin d’en comprendre les liens avec la fabrication de la ville. Sans vouloir entrer dans une vision dichotomique et simpliste du sujet, il semble aujourd’hui clair que les fonctionnements néolibéraux dans leur ensemble participent de problèmes majeurs tels que l’accroissement des inégalités, la surexploitation des ressources, l’accélération des flux et de la croissance, etc.

(voir notamment Springer, 2016; Mayer, 2015; Harvey, 2008, etc)

Dès lors, la production, le développement et la gouvernance actuels des villes et de leurs espaces répondent aux mêmes logiques néolibérales; on parle alors d’urbanisme néolibéral. Cette forme de développement, principalement axée autour de logiques de marché, contribue à produire d’une part des espaces basés sur des mécanismes de rentabilités, d’attractivité économique, de domi- nation et d’exclusion de classes défavorisées (voir notamment : Mayer, 2013 ; Springer, 2016 ; Brenner & Schmid, 2015, etc. ) D’autre part, ce fonctionne- ment génère des espaces cloisonnés, prédéterminés et uniformisés, tant dans leurs conceptions, leurs formes que dans leurs usages. La ville est ainsi nor- mative et garantie par les personnes qui en maîtrisent son développement.

Elle est préétablie et mobilise des outils de planification stricts, à de larges échelles économiques et spatiales souvent sur fond de rhétorique progressiste à l’image des « smart cities », des « villes créatives » ou encore des « villes glo- bales » (Besson, 2017; Swyngedouw et al., 2002; Durand, 2017).

Cette standardisation bénéficiant donc à des fonctionnements que je considère comme néfastes, tristes et périlleux pour la société et son environnement, me pousse à me poser la question d’une alternative, d’une autre manière de penser et concevoir la ville, de la produire, de l’appréhender et enfin, de la vivre. Car non content de critiquer ces fonctionnements, il n’en reste pas moins que cette critique risque de rester vaine si elle ne se limite qu’à cela, sans développer de

Critique d’un monde néolibéral

Monde néolibéral et villes néolibérales

Trouver de nouvelles idées

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Dans ce contexte, un concept m’a paru être une piste de réponse intéressante : la notion de ville ouverte, ou open city en anglais, considérée comme le point d’ancrage de ce travail de recherche. Cette idée telle que je la conçois est un concept développé par le sociologue américain Richard Sennett (1973 et sui- vants) qui propose une approche radicalement différente des méthodes ac- tuelles de production de la ville rencontrées jusqu’alors dans mes études. Bien que n’ayant pas encore rédigé d’ouvrage à proprement parlé sur le sujet, Richard Sennett a consacré une bonne part de ses travaux à aborder cette notion sous différents angles. Au travers de la ville ouverte, Richard Sennett questionne à la fois la production actuelle de la ville occidentale – considérée comme fermée – et réfléchit à des méthodes et des outils pour le développement de projets urbains ouverts (idem). Selon le sociologue, un des grands problèmes des villes contemporaines réside dans leur nature extrêmement figée, prédé- terminée et cloisonnée. Leurs espaces sont conçus sans laisser de flou, d’indé- fini, d’incertitude. La ville ainsi pensée ne laisse pas de place aux rencontres, à l’inconnu, à la coopération ou encore à la confrontation. Le sociologue milite dans le sens d’une approche plus ouverte de penser et de créer la ville, une approche moins déterminée et déterministe des espaces et des plans, moins linéaire, basée sur des notions telles que l’incomplétude, la complexité ou l’en- tropie; des notions qui se retrouvent souvent à l’encontre de la planification (Sennett, 2006 et suivants)

Il est bien entendu insensé de voir la ville ouverte comme une panacée, une solution universelle dans la fabrique urbaine, cependant, elle offre des pistes intéressantes dans les manières alternatives de concevoir l’espace, les usages et plus généralement la vie, la politique et la démocratie au travers des villes. Elle permet de questionner la manière de « faire la ville » en proposant d’autres ma- nières d’approcher le problème. Ce questionnement est d’autant plus impor- tant de par ma posture d’urbaniste en devenir. En effet, étant progressivement à la fin de mes études et ayant presque un pied dans le monde professionnel, il me semble important d’interroger ma position, mon rôle dans le métier d’ur- baniste.

Enfin, il est important de noter que ma réflexion sur la ville ouverte est à la fois base théorique c’est-à-dire le prisme à travers lequel je regarde, et sujet de mon analyse. Cette double nature peut sembler à première vue problématique, mais elle permet de se libérer de certaines contraintes des démarches inductives ou déductives en permettant de développer et de comprendre de manière plus globale un concept encore peu mobilisé dans un champ d’étude et de projet très expérimental.

La ville ouverte

Double nature de la ville ouverte

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1.3. Problématique et questions de recherche

L’objet de ce mémoire réside dans une exploration de la notion de ville ouverte, d’un point de vue théorique, mais également pratique. L’objectif est d’interro- ger les modes de faire la ville, en considérant qu’il n’est a priori pas possible de produire de la ville ouverte à l’aide des outils traditionnels de l’urbanisme.

En effet, il est possible de déceler, à travers l’idée de ville ouverte, un aspect quelque peu contradictoire lorsqu’il s’agit de réfléchir à sa concrétisation dans le contexte actuel de développement spatial. Si son aspect critique de la ville contemporaine fermée rejoint en substance les théories critiques actuelles, au moment de penser à son opérationnalisation ou à sa mise en pratique, la ville ouverte devient dès lors plus difficile à envisager. Il semble de prime abord compliqué d’allier les tendances néolibérales et planificatrice de production avec une idéologie ouverte de la ville, au sens où le définit Richard Sennett.

La planification néolibérale se détermine dans une forme de maîtrise et de contrôle des espaces et de leurs moyens de production, ne laissant pas ou peu de place aux dimensions indéterminées et instables de la ville ouverte. Les outils de production néolibéraux se trouvent alors inadaptés au développe- ment d’espaces pensés comme un système ouvert, tant dans leurs formes que dans leur processus de production. Le principal défi de ce travail est donc celui de l’opérationnalisation de la ville ouverte.

L’objectif de ce présent travail n’est cependant pas d’élaborer une méthode-re- cette toute faite de la production de ville ouverte, mais d’explorer comment cette notion peut être mobilisée dans les processus de fabrication de la ville.

Comment d’une part elle permet de réfléchir à des alternatives aux processus de planifications classiques et comment d’autre part elle prend forme de ma- nière concrète dans la production spatiale. Le présent travail tentera donc, à travers l’analyse de différents cas, mais également au travers d’un regard porté sur mes propres pratiques et expériences, de répondre aux questions de re- cherche suivantes :

Sortir des outils traditionnels

Questions de recherche

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Au regard du caractère complexe et multidimensionnel des questions ici posées, ce travail doit moins être considéré comme une réponse méthodo- logique claire et précise que comme un cheminement de réflexions permet- tant d’approcher une notion encore peu étudiée et de réfléchir à de nouveaux outils permettant de l’approcher. Le défi peut sembler de taille, il tentera très humblement d’émettre à sa mesure quelques réflexions et de soulever diverses interrogations dans le vaste domaine de la fabrique urbaine.

- Comment un projet ouvert peut-il s’insérer dans les dyna- miques actuelles de production de la ville ?

Plus précisément :

- Quelles sont les caractéristiques de la production de la ville ouverte ?

- Quels en sont les outils formels, les dispositifs et les instru- ments ?

- Quelles formes spatiales cette production peut-elle prendre au niveau physique et social

Et enfin :

- Quelle posture adopte l’urbaniste dans le développement d’un projet ouvert ?

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1.4. Annonce du plan

Ce travail est structuré en deux volets principaux : une partie théorique ex- plorant les processus de fabrication de la ville, la notion de ville ouverte et ses implications dans une optique d’opérationnalisation suivie d’une partie analy- tique dont le but est d’émettre des réflexions quant à la notion de projet ouvert.

Après un rapide cadrage méthodologique permettant de justifier mon ap- proche, la première partie théorique tentera de baliser les concepts théoriques mobilisés pour ce travail tout en reflétant le cheminement de pensées qui a permis le développement de ma réflexion sur le sujet. Il est important de noter que ce volet théorique n’a pas été conçu comme un simple état de l’art, mais comme une véritable première réflexion encadrant mon sujet, le balisant de manière critique et donc orientée. Au fil de mes recherches, la question de la ville ouverte est apparue comme éminemment politique et idéologique, le cadrage théorique l’a donc été tout autant, au risque de perdre une certaine forme d’objectivité. Le but est de pouvoir orienter ma réflexion en vue des in- terrogations des cas pratiques afin de générer un débat constructif. Le cadrage théorique s’achèvera avec quelques conclusions intermédiaires permettant d’approfondir mon questionnement initial tout en offrant une ouverture vers la partie analytique de ce travail.

Cette dernière se déclinera en deux chapitres : un premier, consistant en une revue de trois cas concrets, interrogés de manière systématique. Ces projets sont le laboratoire Mauvaise Herbe ? mené à Genève durant l’été 2017, l’instal- lation Bühneland, montée sur le site du festival Les Georges en juillet 2017 à Fribourg et le projet Terrain Gurzelen, investissant les infrastrucures de l’an- cien stades municipal de la ville de Bienne depuis 2016. Ce chapitre permet- tra en outre de déceler des traits et des tendances permettant de comprendre l’opérationnalisation d’un projet de type ouvert. Le deuxième chapitre de mon analyse consistera en un balayage plus général de l’idée d’ouverture en ap- profondissant différentes notions et dimensions d’une approche ouverte du projet, à la lumière de plusieurs autres cas et entretiens, venant illustrer mes propos. Ces illustrations se concentrent sur le travail d’architectes ou d’ur- banistes, des projets temporaires en Suisse ou ailleurs ou encore des actions menées par différents collectifs travaillant dans l’aménagement.

Cadre théorique

Partie analytique

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Le but de ce travail sera donc de tenter d’explorer de manière transversale l’idée de projet ouvert, au travers d’exemples, de cas et d’expériences variées à la lumière des réflexions théoriques ayant guidé ma recherche. L’objectif n’est naturellement pas de faire un portrait théorique exhaustif et rigide de la ville ouverte et de ses possibles mises en œuvre, mais d’en explorer quelques as- pects ou dimensions ainsi que leurs applications effectives dans la perspective d’une réflexion plus large concernant la fabrique urbaine contemporaine.

Enfin, ce travail s’achèvera avec une discussion des quelques résultats obtenus et une réflexion générale sur les limites d’un projet ouvert, de la ville ouverte telle que définie pour ce travail ainsi que celles que présentent ma démarche et mon mémoire.

Ce travail se veut avant tout expérimental et ouvert. Il cherche à adopter une posture ouverte pour traiter de ce sujet complexe. Pour inviter le lecteur à faire de même, une digression connecte les deux volets de mon mémoire. Cette digression est issue d’une longue discussion avec le collectif théâtral parisien

« Jackie Pall Theater Group » dont l’approche de la création m’est apparue par- ticulièrement parlante dans le cadre de ce travail. Elle permet d’élargir l’idée de projet ouvert au travers d’un exemple qui s’éloigne des sciences de l’espace et du territoire et offre la possibilité au lecteur de faire un « pas de côté », d’adop- ter un autre angle de vue sur le sujet. Si celle-ci a été insérée entre les deux volets de ce travail, cela ne veut pas pour autant dire que c’est à ce moment-là qu’il est nécessaire de la lire. Il revient donc au lecteur de décider quand il juge opportun de « prendre une pause » dans la lecture en se penchant sur cette digression.

Digression

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2. CADRE MÉTHODOLOGIQUE

2.1. La question de ma posture

2.1.1. Posture d’apprenti chercheur.

Me trouvant à la frontière entre la fin de mes études, et le – complexe et flou –

« monde professionnel », il me semblait important de questionner ma posture dans une telle recherche. Durant cette année et demie de recherches et de ré- flexions, j’ai eu la chance de mener des projets concrets, d’expérimenter la pra- tique d’urbaniste au travers de différentes aventures qui m’ont ainsi conféré le rôle « d’apprenti-chercheur », terme que j’emprunte à Florian Chiapero (2017) du Collectif ETC. Mes expériences pratiques et mes réflexions théoriques se sont ainsi constamment interinfluencées.

Cette posture a en outre permis de récolter bon nombre de données m’ayant servi dans mes réflexions. Elle n’a toutefois pas été simple tout le temps à adop- ter. Ce double jeu a parfois eu tendance à me faire perdre un certain recul de mise sur ce genre de travail. Sans prétendre à une objectivité impossible, j’ai toutefois constamment gardé à l’esprit cette position afin d’éviter au maximum les pièges d’une subjectivité aveuglante.

2.1.2. Posture ouverte

Au fil de cette recherche, il m’est apparu impossible de ne pas adopter une pos- ture ouverte pour parler d’un tel sujet. En effet, il semblait extrêmement dif- ficile d’établir des cadres stricts pour traiter un sujet comme celui-ci. L’aspect mouvant, complexe et multifacette de la notion de ville ouverte me contrai- gnait à moi-même adopter une posture dans laquelle je devais m’adapter, faire avec l’inconnu, revoir mes idées en permanence afin de pouvoir la comprendre ou du moins l’approcher.

Ainsi, l’entièreté de ce travail s’est davantage construite comme une « discus- sion avec moi-même », une introspection concernant un sujet complexe et difficile à cerner. Cet aspect est essentiel afin de comprendre la démarche qui a guidé au final le travail dans son ensemble et qui a permis de donner lui une substance.

Pratiques et réflexions inter influencées

Prendre du recul

Adopter une posture ouverte pour parler d’ouverture

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2.2. Temps de la recherche

Cette recherche s’est déroulée sur un temps relativement long durant lequel le travail n’a pas été particulièrement linéaire. Initiée en janvier 2017, elle s’est tout d’abord focalisée sur un sentiment de rejet par rapport à ma formation et à l’idée de la profession d’urbaniste que je me faisais. Je me sentais alors profondément en désaccord avec les méthodes planificatrices actuelles et donc proches de théories anarchistes, anticapitalistes et anti-planificatrices.

J’ai donc mené des recherches exploratoires sur le sujet de la non-planifica- tion. Au fil de mes recherches, m’est alors apparu le concept de « ville ouverte » développé par Richard Sennett. Cette notion a dès lors été un premier point d’ancrage théorique à ma recherche.

Une première phase de cette recherche a donc consisté en l’élaboration d’une bibliographie afin de conceptualiser la notion de ville ouverte. Le sujet étant extrêmement vaste, il m’a été compliqué de définir un champ de recherche précis. Cette première phase de travail théorique a de fait été préservée d’une approche empirique. C’est d’ailleurs seulement à la suite de celle-ci qu’une deuxième phase de mon travail a pu démarrer.

Cette deuxième phase a donc consisté en la formation d’un cadre théorique plus défini en parallèle de ma recherche de sources, de la récolte et de l’analyse de données. Il est important de noter la dimension itérative de ce travail. Si, une première phase de recherches théoriques a été effectuée sur le sujet, le montage de mon cadre théorique principal s’est approfondi en parallèle de la récolte et l’analyse de mes sources. Ces deux parties se sont donc constam- ment influencées, apportant différents éclairages et angles de réflexion au fur et à mesure de ma recherche. À force d’itération entre aspects théoriques et explorations pratiques mon plan a passablement évolué, à l’image d’un projet ouvert, il s’est adapté en fonction de mes réflexions, de mes lectures et des projets que je rencontrais.

Une fois les données récoltées, une analyse a pu être construite. Au vu de la diversité des sources, une analyse de contenu a été opérée. Cette méthode a permis de dégager certaines tendances, de regrouper des idées, de distinguer des limites et d’émettre différentes réflexions critiques à leur sujet. Ces ré- flexions ont ensuite été synthétisées lors de la phase conclusive de mon travail, ouvrant sur des interrogations plus larges.

Il sera donc ici encore question de préciser ma méthodologie de récolte de sources ainsi que ma méthodologie d’analyse de ces dernières.

Première phase

Deuxième phase

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2.3. Récolte de données

Les données ont été récoltées au fil de rencontres, des différents projets décou- verts durant mes recherches, des expériences personnelles ainsi qu’en rencon- trant plusieurs professionnels de l’aménagement.

Ils ont été choisis d’une manière plus ou moins arbitraire, piochés au fil de mes recherches sur la notion de ville ouverte ou en tissant des liens avec des ex- périences personnelles. Certains de ces projets ont également été portés à ma connaissance lors de différentes interventions menées avec le projet Mauvaise Herbe ?, projet d’expérimentations dans l’espace public menés en parallèle de mes cursus avec d’autres étudiants. L’ensemble des données récoltées présente l’avantage de rassembler des caractéristiques très diverses, à plusieurs échelles et touchent de près ou de loin à une définition large de l’urbanisme ou des sciences de l’espace. Le but étant d’élargir les conceptions et d’ouvrir de nou- veaux champs de réflexions au travers de la diversité de ces exemples.

Une partie des sources ont été récoltées à l’aide d’entretiens semi-directifs in- dividuels ou en groupe. Ce type d’entretien a été choisi en raison du compro- mis qu’il offre entre un dialogue dans un climat de confiance et une discussion plus formelle permettant l’obtention d’informations sur des points précis (Ber- thier, 2010; Freyssinet-Dominjon, 1997). Les entretiens ont tous été menés selon un guide d’entretien élaboré avant chaque rencontre. Ces guides com- portent, en plus des informations de base permettant l’archivage de l’entretien, les thèmes importants devant être abordés, ainsi que d’éventuelles questions de relance lorsque la discussion s’épuise ou qu’il est nécessaire de rebondir sur un autre sujet. Cette approche permet alors au sujet de s’exprimer et d’aborder des thèmes de manière spontanée (Berthier, 2010).

La plupart des entretiens ont été enregistrés avec l’accord des participants, complétant ainsi des prises de notes personnelles. Ils ont par la suite été trans- crits de manière à mieux pouvoir utiliser et analyser les informations récol- tées. Les transcriptions ont été effectuées de manière littérale, restant au plus proche des enregistrements. Ainsi ont été inclus toutes les communications verbales comprenant également les hésitations ou les fautes inhérentes au lan- gage oral ainsi qu’un maximum de détails non verbaux tels que les rires, les ironies ou certaines gestuelles significatives. À noter que deux entretiens n’ont

Choix des projets

Entretiens semi-direc- tifs

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Les données restantes ont été récoltées autrement qu’à l’aide d’entretiens. Cer- taines émanent de sources officielles concernant un projet telles que des bro- chures, des vidéos ou toutes autres publications en lien avec celui-ci. Aussi, beaucoup de données issues d’expériences personnelles dont les souvenirs ont été notés dans des carnets ou des archives personnelles ont été rassemblées.

Enfin des transcriptions de réflexions individuelles ou de groupe ainsi que différents débats, conférences ou présentations ont été collectés.

2.4. Corpus d’analyse et justification

Mon corpus d’analyse contient les éléments suivants : - Entretiens avec des professionnels dans le domaine - Des expériences personnelles

- Des entretiens

- Textes de présentations de projets - Des notes personnelles de terrain

À noter qu’il est difficile de bien distinguer l’analyse de la réflexion étant donné la nature de mon sujet. En effet, ce travail se veut comme une réflexion géné- rale au travers d’une analyse. Quand bien même j’ai tenté d’être le plus objectif possible, les réflexions personnelles jalonnent et influencent le déroulement de l’analyse. Le but a alors été de prendre une posture plus en retrait lors de la synthèse et de la critique afin de limiter une approche trop subjective et de montrer les limites de ma recherche.

Mes sources principales peuvent être divisées en quatre catégories : - Tout d’abord une première catégorie est issue de différentes

expériences concrètes personnelles. Durant mon cursus uni- versitaire, j’ai eu l’occasion de mener deux projets en lien avec une réflexion sur l’aménagement urbain : le laboratoire d’expé- rimentations dans l’espace public Mauvaise Herbe ? et la ges- tion du projet Bühneland, projet d’aménagement du festival Les Georges à Fribourg. Ces expériences personnelles seront donc également une source abordée de manière réflexive, par observation participante. Cette approche est un aspect impor- tant de ce travail qui explore, entre autres dimensions, l’idée de réflexion par l’action. Mobiliser des expériences personnelles et mener des réflexions sur celles-ci semblaient alors primor- dial pour explorer le concept de ville ouverte.

Données personnelles

(20)

- Une deuxième catégorie de sources concerne directement des informations en lien avec les trois projets analysés : La Mau- vaise Herbe ?, le projet Bühneland et l’expérience du Terrain Gurzelen a Bienne. Il a été question de récolter des données sur ces différents projets présentant des caractéristiques intéres- santes pour mon analyse. Différentes sources écrites et orales ont ainsi été récoltées au travers d’entretiens semi-directifs et de recherches documentaires.

- Une troisième catégorie de sources récoltées pour ce travail inclut plusieurs entretiens avec des professionnels de la fa- brique urbaine ont été menés. Ces personnes ont retenu mon attention par leur approche innovante du projet. Ces entretiens ont servi d’entretiens exploratoires et complémentaires dans le cadre mon analyse. Ils ont permis de tester et d’approfondir certains aspects au fur et à mesure de mon travail théorique.

- Enfin, une quatrième catégorie concernant d’autres sources est venue alimenter mon analyse. Celles-ci ont également été piochées au cours de mes recherches. Elles sont constituées de retranscriptions d’émissions radio ou de vidéos, de conférences ou d’articles. Elles permettent de venir appuyer certaines ré- flexions, d’illustrer certaines idées et permettent de donner un peu de poids à mon analyse. Sans être approfondies, elles viennent compléter et étayer mon analyse.

À noter que l’ensemble des sources peut être consulté en fin de travail dans le chapitre 10 : Sources en fin de travail.

L’hétérogénéité des cas, des sources et des méthodes de récolte peuvent être considérées comme importantes. Cette diversité n’en est pas moins primor- diale pour ce travail. En effet, au vu de la complexité et la multidimensionna- lité de mon sujet, il m’a semblé nécessaire d’élargir au maximum mon corpus de sources. Étant de natures différentes, les méthodes de récolte ont ainsi été adaptées en fonction des données récoltées.

Hétérogénéité des cas et des méthodes

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2.5. Grille de lecture et méthodes d’analyse

2.5.1. Grille de lecture

Après avoir longuement tergiversé autour de l’élaboration d’une « grille d’ana- lyse classique » ne me satisfaisant jamais vraiment, il m’est apparu que l’essence même d’une telle grille présentait un aspect problématique. Définir a priori des axes d’analyse semble quelque peu incompatible avec l’idée d’ouverture que je me fais. Et il me semble important d’adopter une posture ouverte afin de parler de ville ouverte. Par l’édiction de thèmes d’analyse en amont ma ré- flexion se retrouvait enfermée dans un schéma préétabli, limitant et mutilant, pour reprendre les termes d’Edgar Morin (1990). De mes grilles d’analyse dé- coulaient des absurdités peu naturelles lorsqu’elles étaient appliquées à chaque cas et il m’était difficile d’adapter ces mêmes grilles tout en gardant une cer- taine cohérence.

J’ai donc décidé d’élaborer un cadre de questions me servant de porte d’en- trée dans la lecture de mes cas. Ces questions ouvertes permettent à la fois d’approfondir la présentation des cas et de faire émerger les premières dimen- sions caractéristiques qui me serviront dans le deuxième temps de l’analyse.

Ces interrogations n’émergent cependant pas de nulle part, mais sont basées sur mes lectures théoriques et les grandes notions retenues. Ces questions ont été élaborées de manière itérative entre la construction de mon analyse, diffé- rentes intuitions personnelles et l’approfondissement de mon cadre théorique.

Cette grille de lecture est donc composée de huit questions principales et de quelques sous-questions permettant de préciser certaines thématiques.

Au travers de ces questionnements, l’idée d’aborder le sujet d’une manière quelque peu naïve et de tenter de comprendre dans un premier temps com- ment et en quoi les cas analysés participent ou non d’une ville plus ouverte.

Les questions permettent en quelque sorte de confronter directement les axes théoriques dominants aux cas concrets. Le croisement des réponses apportées avec les grandes caractéristiques issues de mes explorations théoriques per- mettra dans un deuxième temps de proposer une analyse structurée.

L’idée n’est pas de systématiser la ville ouverte – ce qui serait grossièrement contraire à l’idée même de ville ouverte –, mais de comprendre comment Grille mutilante

Grille de questions

(22)

« possibiliser » une démarche ouverte; de réfléchir à comment de tels projets, dans leurs aspects ouverts ont réussi à s’insérer dans une ville planifiée et maî- trisée.

Enfin, il est important de préciser que cette démarche ne cherche pas à cacher une potentielle incapacité à structurer une réflexion, mais de véritablement entreprendre une approche en adéquation avec mon sujet. Cela peut paraître quelque peu naïf de ma part, mais il me semblait plus naturel de procéder de la sorte. Sans construire de structure a priori, il m’est difficile de savoir quelle direction prendra mon analyse, mais il m’est possible au travers d’une telle démarche de mieux interroger le concept de ville ouverte. Tout d’abord sous forme de dialectique (questions-réponses) très simple pour ensuite discuter cela au travers d’une réflexion plus large, englobant tous les projets à la lu- mière de différents thèmes émergeant en première lecture. En adoptant une position ouverte, je fais le pari d’avoir une analyse et une réflexion plus en phase avec la notion même de ville ouverte.

2.5.2. Méthodes d’analyse

Suite à l’interrogation des trois cas d’analyse, il a été question de compiler les réponses au travers de thématiques générales à savoir la question des instru- ments, des formes, des processus et de la posture de l’urbaniste.

Ces thématiques sont explorées à la lumière de différentes dimensions res- sortant de mes lectures de cas et illustrée à l’aide de mon corpus de sources complémentaires. L’idée de cette méthode est de pouvoir systématiser mes lec- tures et d’en ressortir des traits caractéristiques afin de pouvoir les confronter aux réflexions théoriques de la première partie. Le but n’est pas de confirmer ou d’infirmer les idées théoriques développées mais d’élargir l’idée de projet ouvert en tentant de comprendre comment ceux-ci voient le jour et sous quelle forme.

Démarche ouverte

(23)

3. RÉFLEXIONS THÉORIQUES

Il est question ici de développer une première approche théorique sur la base des définitions et réflexions émises en introduction. Après un rapide cadrage sur la notion d’espace, le but est de tout d’abord esquisser les modes de produc- tion de la ville contemporaine et d’en cerner les limites. Il sera ensuite ques- tion de baliser le concept de ville ouverte à la lumière des différents auteurs mobilisés pour ce mémoire et d’en comprendre les enjeux sociaux et spatiaux.

Enfin, une troisième partie traitera de la problématique du faire afin de pou- voir comprendre dans quelle mesure et selon quelles approches il est possible de produire – intentionnellement – de la ville ouverte.

L’idée de ce chapitre est donc de conduire une exploration théorique et cri- tique de la notion de ville ouverte, afin de cerner en quoi elle peut constituer une alternative à la ville garantie.

3.1. La production de l’espace

Il est important de noter que pour parler de ville ouverte, il est nécessaire d’évoquer la notion d’espace. Cette dernière est considérée dans sa double nature : topologique/physique (espace géométrique, tridimensionnel, eucli- dien) et perçue (attribution de valeur sociale, de valeur d’usage, de significa- tion). Ces deux natures se confrontent, se coconstruisent et s’interinfluencent en permanence, en fonction des usages, des significations et valeurs dont les espaces sont chargés. Ainsi les espaces sont le résultat de leur construction physique et matérielle d’une part et d’autre part fonction des usages, des va- leurs sociales et des significations que les gens qui les pratiquent y apportent (Lévy et Lussault, 2013 ; Lussault, 2007; De Certeau, 1990 ; Lefebvre, 1974).

L’espace est donc le résultat des pratiques qu’il accueille, génère et permet.

Par extension la ville peut être considérée comme telle, comme la « projec- tion d’une société sur le terrain » (Lefebvre,1968 : 62). Si l’espace est le résul- tat de la production de celui-ci relève d’une « réalisation collective des socié- tés » (Lévy et Lussault, 2013 : 816), la vie urbaine suppose alors « rencontres, confrontations des différences, connaissance et reconnaissances réciproques (y compris dans l’affrontement idéologique et politique) des façons de vivre, des «patterns» qui coexistent dans la ville » (Lefebvre, 1974 : 24).

La double nature de l’espace

Fabrication de l’espace et droit à la ville

(24)

L’espace est donc source de tensions pour sa maîtrise et son appropriation (Lus- sault, 2007). Cette considération soulève la question centrale pour ce travail du

« droit à la ville ». Développée dans les années 1960 par Henri Lefebvre (1968), cette idéologie trouve aujourd’hui toujours une résonnance importante. Le sociologue évoque le droit à la ville comme un droit fondamental, non pas au sens juridique, mais politique. « Le droit à la ville ne peut se concevoir comme un simple droit de visite ou de retour vers les villes traditionnelles. Il ne peut se formuler que comme droit à la vie urbaine, transformée, renouvelée » (Lefebvre, 1967 : 35). La ville est donc considérée comme un droit universel dans une idée de participation à sa création, sa production et sa transforma- tion.

Cette conception fondamentale dans une perspective critique de la fabrique spatiale participe de la base idéologique de ce travail. Cette approche permet donc de baliser mon les réflexions suivantes autour de la fabrication urbaine contemporaine.

(25)

3.2. Planification et production de la ville néolibé- rale

Ce chapitre est consacré à la définition des mécanismes actuels de production de la ville contemporaine. Il tente de mettre en évidence le contrôle spatial des fonctionnements néolibéraux au travers de mécanisme de planification.

3.2.1. Ville et néolibéralisme

Comme évoqué en introduction, ville et néolibéralisme sont intrinsèquement liés. C’est du moins le prisme à travers lequel je regarderai pour asseoir les bases théoriques de ce travail. La ville est considérée ici comme un lieu de production capitaliste, à la fois résultat et condition des modes de produc- tion néolibéraux. Différents auteurs se sont attelés à étudier les mécanismes de fabrication de cette dernière en adoptant des positions critiques, marxistes.

C’est le cas notamment de Neil Brenner et Nik Theodor (2005), David Harvey (2008), Magrit Mayer (2013) ou encore Christian Schmid (Brenner & Schmid, 2015). Magrit Mayer (in Brenner et al. 2012 & Mayer, 2013) propose d’ail- leurs un bon résumé chronologique de l’évolution socio-économique capita- liste et ses transformations sur les dynamiques spatiales et urbaines depuis les années 1960 et la crise du fordisme, jusqu’à l’apparition d’un urbanisme néoli- béral dans les années 2000. Elle définit alors l’urbanisme néolibéral comme la production de villes globalisées, principalement basées sur les dérégulations des marchés du logement, des espaces publics consuméristes et standardisés, fondé sur l’attractivité économique et l’exclusion des classes défavorisées.

Cet urbanisme néolibéral se décline dès lors sous différentes formes, à l’image des « creative cities » ou des « smart cities » (Mayer, 2013 ; Mould, 2014), les- quelles contribuent à fonder un cadre structurel à un développement et une gouvernance capitaliste de l’espace (Brenner & Theodor, 2005; Brenner et al.

2009; Knox & Pain, 2010; Mayer, 2013, etc.). En d’autres termes, « l’organisa- tion spatiale [contemporaine] est à la fois une condition, un cadre et un méca- nisme de mobilisation de stratégies néolibérales » (Brenner & Theodor, 2005 : 106). Il est donc possible de parler de domination néolibérale des espaces.

Approche critique

Villes néolibérales

(26)

3.2.2. Le paradigme de la planification

Il est dès lors possible de faire le lien entre cette domination néolibérale des espaces et le fonctionnement planificateur de la fabrique urbaine. En effet, la production actuelle des espaces urbains semble reposer essentiellement sur une approche planificatrice des espaces. Dans son travail, Anne Durand (2017) retrace la tradition planificatrice en France qui selon elle « constitue un paradigme central dans le processus de fabrique des villes » (Durand, 2017 : 24).

La planification urbaine constitue une réponse linéaire et rationnelle dans le monde occidental. Historiquement elle est l’art d’organiser le futur en figeant l’avenir, en s’appuyant no- tamment sur le dessin et la cartographie (Durand, 2017 : 22).

Anne Durand souligne ici l’aspect de maîtrise spatial au travers du plan. Elle définit d’ailleurs la planification comme l’organisation d’une « succession d’ac- tions dans le temps pour aboutir à un objectif particulier » (Durand, 2017 : 22).

Si depuis la crise de 2008, les processus planificateurs se sont « assouplis » et ont cherché à développer des méthodes moins rigides (Durand, 2017), nous res- tons dans une tendance fonctionnaliste de la conception des espaces. L’image de la Charte d’Athènes édictée en 1933 par Le Corbusier (1971), promouvant une forme forte de « zonification » des espaces n’a pas beaucoup évolué. En Suisse, cette maîtrise de la forme spatiale et de l’évolution territoriale est éga- lement très présente. Les nombreux types de plans présents dans la législation nationale en témoignent, et ce, à toutes les échelles : plans sectoriels, plans directeurs cantonaux, plans d’affectation, etc. Il en va de même pour toutes les spécificités cantonales : plans localisés de quartier, plans directeurs commu- naux, plans partiels d’affectation, etc. (Tanquerel, 2015).

Ce paradigme de planification bénéficiant aux mécanismes néolibéraux évo- qués plus haut génère alors des espaces contrôlés, cloisonnés, homogènes et ségrégés. La planification rend difficiles l’adaptation, la mutation et le change- ment. Jane Jacobs (1961) dénonçait d’ailleurs déjà ce fonctionnement dans son ouvrage vie et déclin des grandes villes américaines.

Planification néolibérale

Cloisonnements et

« zonification »

(27)

3.2.3. Uniformisation et ville garantie

Le développement d’une urbanisation standardisée, uniforme et garantie, tant au niveau des usages que des formes est un aspect de la domination néolibé- rale et planificatrice qui attire particulièrement mon attention.

En effet, nous assistons aujourd’hui à une tendance à l’uniformisation et l’ho- mogénéisation de l’architecture et du développement urbain (Knox & Pain, 2010). La globalisation économique et culturelle, la libéralisation des marchés ou l’intensification des flux économiques et migratoires sont autant de fac- teurs expliquant cette uniformisation. L’entrepreneuriat urbain, c’est-à-dire le travail sur l’image des villes notamment par la mise en valeur de projets d’ar- chitectures « star », à portée internationale participe également de cette ho- mogénéisation esthétique, formelle et technique tout comme l’intensification des échanges à l’intérieur même des professions liées à la construction et à l’aménagement (Guggenheim & Söderström, 2010). De plus, les dynamiques néolibérales entraînent un développement urbain devenant lui-même cause de son accroissement; ce phénomène devient visible notamment au travers de la multiplication de « mégaprojets urbains », basés sur des modèles de crois- sance générant eux-mêmes la nécessité d’augmentation de nouveaux projets (Swingedouw et al. 2002).

Cette dynamique de croissance mène à une forme d’esthétisation des espaces, principalement basée sur une consommation visuelle de l’espace public ac- compagnée d’une intensification du contrôle de ces derniers par des groupes et intérêts privés (Knox & Pain, 2010). La ville est donc considérée un espace de consommation de biens et de services standardisés répondant aux logiques de production de masse, influençant tant les modes de consommation, les usages et les pratiques culturelles (Zukin, 1997 : 825-826).

Le sociologue Marc Breviglieri (2013) parle alors de « ville garantie ». Au tra- vers de ce concept, il montre comment les logiques économiques de marchés créent une ville et des espaces publics dans lesquels tout est contrôlé.

[…] Une ville qui voudrait donner l’assurance de la qualité de ses propriétés et qui prétend en (faire) partager l’évaluation. Elle donnerait la garantie par-là, de ce que l’on considère « généralement » comme une circulation fluidifiée, une qualité patrimoniale, un bon assortiment de commerces, Uniformisation

des espaces

Consommation et contrôle

La ville garantie

(28)

des services efficaces, un degré de rentabilité satisfaisant des investissements, etc. […] Mais la mise en forme d’un espace référentiel et informationnel qui soutient l’édification de la ville garantie tend cependant à lui faire perdre certaines de ses qualités sensibles. La métropole contemporaine altère, neutralise et aseptise les ambiances les plus inqualifiables, les moins traduisibles, de l’ordre de celles qui pourraient donner aux villes une profondeur troublante, des tonalités affec- tives changeantes, des opportunités de dérive sans repère.

(Breviglieri, 2013 : 214)

Ainsi la fabrication néolibérale de la « ville garantie » est basée sur des cri- tères de performance et de propriétés mesurables qu’il est ainsi possible de comparer à d’autres villes. Au travers de normes « universelles », la ville et ses espaces remplissent ou non un cahier des charges précis tant au niveau cultu- rel, sécuritaire, spatial, social ou encore économique. Les villes peuvent ainsi se mesurer en fonction de coefficients d’attractivités permettant de « séduire et de capter des capitaux humains et financiers » utiles à son fonctionnement (Breviglieri, 2013). Marc Breviglieri (ibid. : 226) parle alors de « libéralisme normalisateur » :

C’est là un trait fondamental de la ville garantie : elle potentialise l’existence d’un monde de tonalité libérale, notamment en promouvant l’empowerment d’un sujet indi- viduel libéral capable de s’orienter dans un monde configuré comme un espace d’options certifiées (Breviglieri, 2013 : 227).

Car au terme de l’édification de la ville garantie, c’est encore au crédit d’une mesure qu’il faut se fier : l’exemplarité affichée de la production architecturale et urbaine, exportable et garantie par des indicateurs objectifs de qualité, peut se ré- sorber dans l’équivalent monétaire et se retrouver ainsi dans la zone d’intérêts calculables de ses créanciers, eux-mêmes soumis aux exigences des capitaux transnationaux qui ali- mentent les flux d’échanges globalisés (Breviglieri, 2013 : 217).

La ville garantie correspond à des normes, des prédictions qui déterminent un

Normalisation

(29)

Cette normalisation de l’espace urbain passe également par une normalisa- tion des usages, des manières de faire et par une forme de rejet de l’indéfini et de l’intermédiaire; une forme accentuant alors au maximum les limites entre espaces privés et publics, l’entre-deux n’ayant pas de place. Au nom de la sé- curisation et de la « tranquillisation », les espaces publics sont ainsi neutres, aseptisés, restreints dans leurs usages et prévisibles. L’idée est d’y faire évoluer des individus autonomes et repliés sur eux-mêmes afin d’éviter toutes tensions ou possibilité d’appropriation. L’espace est ainsi « garanti », incontestable, car sensé être objectif, maîtrisé et donc contrôlé (idem), excluant « toute originali- té, toute différence, tout choc, toute inconvenance, tout besoin […] susceptible de l’animer, de lui donner sa véritable corporéité spatialisante » (ibid : 233).

Dans le même ordre d’idée, l’architecte Nicolas Soulier (2018-a) parle du phé- nomène de « stérilisation » des espaces via des logiques de règlementations, de sécurisations et de maîtrises des usages. L’espace est ainsi contrôlé dans ses formes et dans ses pratiques

3.2.4. La Ville Fermée

La tendance néolibérale de la production des espaces, le paradigme de planifi- cation dans les logiques de fabrique de la ville et la tendance à l’uniformisation des espaces urbains et de leurs usages sont relevés par Richard Sennett (2006 et suivants) dans ce qu’il décrit, par opposition à la ville ouverte, comme une ville fermée. Il est donc intéressant de brièvement définir celle-ci et d’en es- quisser certains traits caractéristiques.

La ville fermée est notamment basée sur différentes caractéristiques aliénantes et ôtant certaines libertés, ce que le sociologue considère comme néfaste. Elle offre des expériences limitées, basées sur le contrôle et la maîtrise des usagers.

Ainsi se forme une certaine « infantilisation » des usagers de la ville fermée dans laquelle les fonctions ainsi que les usages sont prédestinés et maîtrisés (Sennett, 2006 et suivant).

Pour expliquer cette vision, Richard Sennett (2006) mobilise la notion de

« système intégré ». Un système intégré est un système « à l’équilibre », dans lequel chaque chose possède une place définie, intégrée à un système gé- néral, rejetant ainsi toute forme de contestation envers ce système ou tout ce qui ne correspond pas à la bonne marche de ce dernier. Il est compo- sé de règles permettant de maîtriser un maximum de paramètres (histo- riques, sociaux, architecturaux, culturels, esthétique, légaux, économiques).

Cette idée de « scientifisation »  au travers de la génération de normes n’est Rejet de l’indéfini

Stérilisation et contrôle

Maîtrise et perte de liberté

Système intégré

(30)

la Convivialité : « Les gens sont mieux éduqués, mieux soignés, mieux trans- portés, mieux distraits et même souvent mieux nourris, à la seule condition que, pour unité de mesure de ce mieux, on accepte docilement les objectifs fixés par des experts. » La norme est ainsi considérée comme une « vérité », un bien absolu et généralisé.

Ainsi une ville fermée en système intégré est une ville neutre, dans laquelle il est difficile de s’orienter, de reconnaitre et de différencier les lieux, car ceux-ci sont standardisés et semblables aux autres villes fermées. Les espaces y sont génériques, surdéterminés. Les investissements fonciers sont effectués en lien avec des fonctions standardisées des espaces et non en réaction au contexte spatial. Cette manière de concevoir la ville engendre des formes de cloison- nements, de ségrégations sociales, spatiales et économiques. De plus, selon Sennett (2006), cette surdétermination et cette « surspécification » des formes et des espaces impliquent une forme de difficulté à l’adaptation. Lorsque les contextes changent, il devient compliqué d’adapter ou de moduler la fonction et l’usage d’un espace. À l’instar des critiques néolibérales de la fabrication de la ville, la ville fermée est perçue comme standardisée et intégrée à un sys- tème global, normatif et contrôlé. Les ségrégations générées permettent une forme de simplification des espaces (idem). Pour résumer, un système fermé (et toutes les personnes planifiant un tel système) a horreur du désordre et de ce que cela pourrait engendrer (Sennett, 1973). L’architecte Patrick Bouchain résume bien cette situation :

En classant et programmant systématiquement l’es- pace, on empêche l’avènement de situations imprévues qui génèrent la ville (Bouchain, 2012 : 78).

Pour résumer, il est défendu dans ce chapitre que tant dans la forme que dans les usages, les mécanismes néolibéraux modèlent les villes et leurs fonctionnements au travers notamment d’une maîtrise du développement des espaces par des processus de planification. Ces processus produisent ainsi des espaces cloisonnés, uniformes, normatifs et déterminés conduisant à une forme « garantie » de la ville contemporaine, dont les usages, centrés sur les individualités, limitent les possibilités d’interactions. De plus la cri- tique semble vaine tant la maîtrise néolibérale demeure importante. Dans ce contexte qu’il est possible de qualifier de « fermé », la notion de ville ouverte

Fermeture et rigidité

(31)

3.3. Une approche par la ville ouverte

La production actuelle des villes, principalement basée sur des logiques néo- libérales et planificatrices, génère donc des espaces cloisonnés, uniformisés, garantis et donc fermés. Dans ce contexte, le concept de ville ouverte apparait comme une alternative. Il convient donc dans ce chapitre d’en esquisser les contours et les caractéristiques principales à la lumière des écrits de Richard Sennett et de différents auteurs dont les écrits entrent en résonnance avec ceux du sociologue.

3.3.1. La question de l’ouverture

Que veut -dire ouvert ? La notion d’ouverture est un concept large et polysé- mique. Il s’avère de fait nécessaire de baliser ce terme et de comprendre ce qu’il signifie dans un cadre de production urbaine.

Bien que quelque peu désuet, l’article de F. Fiala (1947) résume efficacement certaines bases concernant les définitions d’une approche ouverte ou fermée.

Il y conçoit notamment la notion d’ouverture comme une capacité de remise en question, d’expérimentation :

Qu’est-ce qu’une philosophie ouverte ? C’est une philo- sophie dominée par l’idée que l’expérience externe ou interne comporte ou peut comporter un enseignement si pénétrant que même les principes sur lesquels elle se fonde puissent être touchés et doivent être remaniés en conséquence (Gonseth cité par Fiala, 1947 : 147).

L’ouverture est alors liée à l’idée de mutations, de mouvements; elle laisse place à différents possibles et évoque l’adaptation. Richard Sennett, en l’opposant à la « fermeture », qualifie l’ouvert ainsi :

Close means over-determined, balanced, integrated, linear. Open means incomplete, errant, conflictual, non-lin- ear (Sennett, 2006 : 14).

Cette idée peut être approfondie à la lumière la théorie de la pensée complexe développée par le philosophe Edgar Morin (1990) notamment au travers de son ouvrage Introduction à la pensée complexe. Selon l’auteur, cette manière de penser « comporte la reconnaissance d’un principe d’incomplétude et d’incer- Approche primaire 

Une approche par la complexité

(32)

titude » (Morin, 1990 : 11), et nécessite également « l’aspiration à un savoir non parcellaire, non cloisonné, non réducteur » (idem). De par sa nature incom- plète et inachevée, la pensée complexe doit traiter avec le fouillis, le désordre, l’incertitude ou encore la contradiction (ibid. : 21-22). La pensée complexe demande dès lors une forme de rejet de la simplification, du cloisonnement et de la généralisation.

Edgar Morin fait le parallèle entre pensée complexe et pensée ouverte par op- position à une vision fermée et réductrice. Il parle de « système ouvert » (ibid. : 29-30) en empruntant cette notion à la thermodynamique et en l’opposant à un « système clos » :

Le système clos n’a guère d’individualité, pas d’échange avec l’extérieur, et est en très pauvre relation avec l’environ- nement, le système auto-éco-organisateur a son individua- lité, elle-même liée à de très riches, donc dépendantes, rela- tions avec l’environnement. Plus autonome, il est moins isolé (Morin, 1990 : 46).

Le philosophe introduit ici l’idée de penser un système en relation avec son environnement. Un système clos n’a pas d’interaction et ne change pas; un système ouvert dépend en revanche de son environnement pour garder un état « stable » en apparence alors qu’une forme de désordre interne lui permet d’exister. À l’image d’une flamme ou d’un organisme vivant qui d’extérieur peuvent paraître stables, ceux-ci sont dépendants d’éléments matériels ou énergétiques externes pour subsister (Ibid. 29-46). Il y a donc dans l’idée de complexité, la nécessité de prendre en considération la relation forte entre un système ouvert et son environnement.

De cette manière, accepter la complexité permet de résister et de s’adapter aux changements d’environnement et aux complications (ibid. 93). Edgar Morin fait d’ailleurs l’analogie entre une zone industrielle très spécifique dans son fonctionnement et donc vulnérable à un changement socio-économique et une bactérie, qui, par la complexité et la vitalité de son organisme (système), peut s’adapter à différents changements, muter et survivre.

Une pensée complexe sera donc capable de saisir une réalité non cloisonnée,

Système ouvert

Relation

à l’environnement

Une idée d’adaptation

Appliquée à la pensée

(33)

Il est enfin possible de définir ici l’ouvert comme quelque chose de complexe, changeant et indéterminé. En ce sens, l’approche par la pensée complexe est une manière radicalement différente de penser, bien loin des principes d’un urbanisme fonctionnel et néolibéral (cf. : Chapitre précédent). Il est possible ici de trouver une relation forte entre pensée complexe et approche ouverte comme le développe Richard Sennett. Il est donc nécessaire de développer l’idée de complexité (par extension ouverte) appliquée à la pensée sur l’urbain.

3.3.2. Pensée complexe appliquée à la ville actuelle

Qu’apporte une pensée complexe lorsqu’il s’agit de la confronter au dévelop- pement actuel des villes ? Ce chapitre tente de cerner comment une telle ap- proche permet de critiquer la manière dont sont pensées les villes actuelles.

Tout d’abord, les questions d’indétermination et de remise en question pré- sentes dans la philosophe de Morin se retrouvent fortement chez Richard Sennett. Dans son ouvrage The Uses of Disorder paru en 1973, l’auteur fait le parallèle entre la posture psychologique d’un adolescent et la manière d’amé- nager les villes. Selon lui, la capacité psychologique à renoncer et à s’adapter aux changements par rapport à un plan imaginé et souvent idéalisé distingue l’adolescent de l’adulte. Pour un adolescent, un changement de plan (de vie, de carrière, relationnel ou autre) sera vécu comme un traumatisme. Beaucoup de mécanismes seront alors mobilisés pour maîtriser, garder inchangé et contrô- ler un plan fantasmé. À l’inverse, la maturité de l’adulte est définie comme la capacité à s’adapter, à changer et à perdre le contrôle tout comme l’acceptation que le monde n’est pas un rêve d’harmonie et d’ordre prédéterminé (Sennett, 1973).

Ainsi, pour le sociologue, il est possible de transposer cette différence de ma- turité au niveau de la manière de planifier et d’aménager les villes. Le plan et les processus de planification reflètent un idéal auquel une forme de « imma- turité adolescente » veut s’accrocher, évitant toutes formes d’expérimentations, de surprises ou d’imprévus. L’urbaniste est alors considéré comme technique- ment « omniscient », croyant pouvoir tout maîtriser. La peur du manque de contrôle et de l’aléatoire entraine la mobilisation de « solutions » s’appuyant sur des systèmes technologiques de plus en plus complexes, ce qui, à l’inverse, génère des formes sociales de moins en moins complexes, basées sur l’homo- généité, les règles et le contrôle (idem).

Indétermination et remise en question

Planification et adolescence

(34)

Cette critique du besoin contrôle des espaces chez les urbanistes se retrouve chez le géographe Jeff Ferrell (2012, 1689-1690). L’auteur se réfère à la très controversée et largement remise en question « broken windows theory » des chercheurs Wilson & Kelling (1982), pour expliquer en partie ce manque

« d’ouverture » et d’espaces vacants et la tendance au « remplissage » des « trous et espaces » de la ville. Selon Ferrell, cette théorie est encore tenace chez mon nombre d’acteurs politiques qui considèrent les ouvertures comme « intolé- rables » car hors du contrôle politique et économique. Le fonctionnement consumériste et économique des villes modernes tend alors à fermer les es- paces publics de vie sociale.

Même constat chez l’urbaniste John Friedmann (2002) qui impute la ferme- ture et le contrôle des espaces au climat de peur qui tend à rendre la ville fermée. Il semble donc exister un lien ténu entre ville fermée et la peur, par- ticulièrement la peur du manque de contrôle, notamment via une forme de simplification des espaces et des usages, idée que l’on retrouve également chez Richard Sennett.

People are afraid to live in a world they cannot con- trol. (Sennett, 1973 : 65)

Cette approche est approfondie notamment dans son ouvrage La Conscience de l’œil (2000) dans lequel il développe l’idée que les peurs liées à l’exposition à l’autre, notamment construite par les cultures religieuses occidentales, expli- queraient la création d’espaces « inoffensifs » et « insignifiants ».

Cette peur entraîne alors à une forme de simplification de la pensée et donc de l’action. Les designers, urbanistes/architectes Ruedi et Vera Baur dénonce également ce mécanisme de peur de la complexité et du manque de contrôle dans la conception urbaine:

La peur de la complexité est considérée comme une chimère du présent. Il s’agit souvent bien plus d’une crainte de la complication qui rend légitime le diktat d’un pragmatisme simpliste (Baur & Baur dans : Dell, 2016 : 14).

Nous revenons ici à la philosophie d’Edgar Morin qui souligne cette propen-

Vides intolérables

Peur du manque de contrôle

Simplification de la pensée

(35)

Mais alors la complexité se présente avec les traits in- quiétants du fouillis, de l’inextricable, du désordre, de l’am- biguïté, de l’incertitude… D’où la nécessité, pour la connais- sance, de mettre de l’ordre dans les phénomènes en refoulant le désordre, d’écarter l’incertain, c’est-à-dire de sélectionner les éléments d’ordre et de certitude, de désambiguïser, clari- fier, distinguer, hiérarchiser… Mais de telles opérations, né- cessaires à l’intelligibilité, risquent de rendre aveugle si elles éliminent les autres caractères du complexus; et effectivement, comme je l’ai indiqué, elles nous ont rendus aveugles (Morin, 1990 : 21).

Il est ici possible de faire le lien entre le manque d’approche complexe ou ou- verte de la ville et l’uniformisation de la ville développée au chapitre précé- dent. La question est alors de déterminer à quoi ressemble une ville pensée comme un système ouvert. Il sera question alors de réfléchir aux formes des espaces physiques dans un premier temps et aux formes sociales prenant place dans de tels espaces dans un second temps.

3.3.3. Concevoir la ville comme système ouvert

Cette approche de l’ouverture nous pousse donc à réfléchir à la signification d’une pensée ouverte et complexe appliquée à la ville, tout d’abord dans les formes physiques générées.

Il est possible de brosser sommairement un portrait des caractéristiques d’une ville ouverte ou plus largement d’un système ouvert au sens de Richard Sennett. En effet, ce dernier développe l’idée de considérer la ville comme une entité en constante mutation et non un état fixe. C’est-à-dire un modèle en équilibre instable, basé sur des réseaux complexes et changeants (Sennett, 2014). Selon Sennett (1973 : 116) il est important de sortir du paradigme haussmannien qui considère que la planification apporte ordre et clarté; la ville doit être pensée comme incohérente, sans forme à part entière. Sennett (1973) développe alors l’idée de « désordre créatif » qui naît au travers de mé- canismes plus « anarchiques » de production de la ville.

Une ville ouverte, au sens de Richard Sennett, est tout d’abord formée d’es- paces aux bordures ambiguës, permettant un chaos entropique et dynamique.

La question des limites est très importante chez Sennett (2006; 2016-b) qui fait Des espaces

aux limites floues

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