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Article pp.287-299 du Vol.20 n°114 (2002)

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Westminster Tales. The twenty first century crisis in political journalism

de Steven BARNETT et Ivor GABER

par Erik NEVEU

Fruit de la coopération entre deux universitaires londoniens (dont un ancien journaliste de radio-télévision), ce petit livre est probablement l’un des meilleurs textes parus en langue anglaise ces dernières années sur les évolutions du journalisme, et spécialement du journalisme politique.

La facture du livre est dans son principe assez classique. Un chapitre s’organise autour d’une problématique de l’opinion publique. Il interroge à la fois les effets des sondages et de leur mobilisation sur le travail journalistique, plus largement les diverses techniques par lesquelles les journalistes (spécialement ceux des « tabloïds ») tentent de se poser en interprètes autorisés de la vox populi. Un autre chapitre se centre sur la presse écrite et propose en particulier une très intéressante exploration des changements tant dans les méthodes de travail que dans la configuration de la chaîne hiérarchique des services politiques.

Le chapitre sur la presse audiovisuelle se structure, lui, autour de la relation conflictuelle entre journalistes et gouvernants pour le contrôle de l’agenda.

La succession des chapitres conduit ensuite à des questions sur la nature et l’importance de l’influence des propriétaires de groupes de presse quant à la ligne éditoriale et à l’engagement de leurs titres, à un examen de la

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machinerie dont se sont dotés les partis britanniques, puis les ministères, pour tenter d’encadrer et de dominer les journalistes et les médias. Mais c’est aussi l’univers quotidien des pratiques journalistiques qui est l’objet de développements stimulants qui concernent le « changement de la culture du reportage ».

La table des matières et la construction du livre offrent donc un « menu » assez classique qui ne peut rendre compte de l’intérêt de ce livre. Celui-ci doit essentiellement à quatre séries de raisons. La première tient à un choix en matière de terrain : si le matériel du livre prend pour partie appui sur diverses séquences de la campagne électorale de 1997 qui vit le triomphe des travaillistes, il se fixe bien davantage sur l’activité des journalistes en période ordinaire, dans le quotidien de leurs interactions avec élus et ministres. Un pareil choix rompt utilement avec la polarisation exclusive sur les séquences électorales de nombreuses études. Cette attention au quotidien des échanges et des jeux d’interdépendances, le côté savoureux sans jamais être anecdotique de nombreux exemples et vignettes doit aussi à l’évidence à la possibilité d’intégrer dans l’analyse des fragments d’expériences, des

« choses vues » par Gaber dans l’exercice du métier de journaliste.

En troisième lieu, si selon la formule-pastiche de Bourdieu – « Il faut considérer les faits sociaux comme des relations » – la force de ce livre est de promouvoir un mode relationnel d’analyse. L’angle d’approche retenu est clairement de se fixer d’abord sur les journalistes politiques en action, mais la préséance pratique donnée à ce terrain et ces acteurs n’aboutit jamais à les isoler. Toutes leurs pratiques sont au contraire analysées et rendues intelligibles comme tributaires d’un jeu complexe d’interdépendances avec la masse croissante de leurs collègues, la hiérarchie et les propriétaires des titres, les professionnels de la politique et leurs spécialistes en communication, les pressions commerciales. La force de ce travail est enfin de proposer une interprétation nette, critique et argumentée des évolutions du journalisme politique contemporain, sans jamais donner le sentiment de glisser dans le jeu stérile qui consiste à radicaliser un point de vue, à sélectionner dans les données disponibles celles qui arrangent une démonstration1.

1. Démarche en cela toute différente de celle du livre de McNair, « Journalism and democracy », Routledge, 2000, rubriqué dans le numéro 112-113 de cette revue.

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Si le terme de « crise » s’inscrit dès le titre de l’ouvrage, c’est que Barnett et Gaber soutiennent l’idée d’un rétrécissement du potentiel des journalistes politiques en matière d’éclairage autonome et de mise en intelligibilité des dossiers politiques. La structuration du système d’interdépendances est telle que les journalistes ont de plus en plus de mal à disposer d’une vraie maîtrise sur le produit final de leur travail, ou plus exactement à disposer d’une autonomie au sein du jeu de pouvoirs et de confrontation de ressources que reflètent leurs articles et reportages. Sans résumer ici un travail concis et dense, on renverra tout spécialement aux pages sur les effets paradoxaux d’une concurrence accrue entre de multiples médias. Loin d’être porteuse des vertus mythiques que lui prêtent les versions les plus niaises des discours libéraux, celle-ci – combinée à la production d’un flot croissant de matériel prêt à médiatiser par des sources hautement professionnalisées – aboutit paradoxalement à la promotion d’un journalisme assis où le simple suivi de la production des collègues et concurrents dévore un temps considérable.

Dans le même temps se rétractent les moments et espaces (comme le fameux lobby de Westminster) où les journalistes politiques pouvaient aller collecter directement une information non formatée, nouer avec des élus des relations qui leur permettaient de collecter des propos non pasteurisés par les services de communication. Les développements en forme d’inventaire du répertoire des tactiques et techniques dont dispose un gouvernement pour gérer, valoriser, étouffer des informations en fonction de leur capacité de gêne ou de publicité positive sont également très stimulants.

Le sens général de l’analyse, ou du moins la menace croissante que les auteurs discernent dans le fonctionnement du journalisme politique outre- Manche est fort bien condensée dans la formule d’un journaliste de la BBC, Jeremy Paxman : « Good journalism is bad business and too often bad journalism is good business ». En aidant à comprendre les rouages de ce cercle vicieux du fonctionnement médiatique contemporain, Barnett et Gaber invitent aussi à y réagir sans naïvetés.

Steven Barnett et Ivor Gaber, Westminster Tales, The twenty first century crisis in political journalism, Continuum 2001.

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La Galaxie internet de Manuel CASTELLS

par Bernard MIEGE

La publication récente de ce volume, entièrement consacré au phénomène internet, procède de la part du sociologue de Berkeley, du souci de combler un vide qui avait été remarqué dans ses trois épais volumes de L’ère de l’information: dans cette somme, en effet, les techniques de l’information et de la communication fonctionnaient un peu comme une boîte noire et, pour l’essentiel, l’auteur s’en tenait à une vision assez largement partagée par une grande partie des sociologues, celle du « procès d’informatisation » ; seul un court chapitre tentait d’introduire le multimédia, mais de façon fort limitée2. A l’image des trois tomes de L’Ere de l’information, La galaxie internet est un ouvrage fort documenté, où les références, cette fois-ci, puisent abondamment dans le web, tout en donnant toujours la primeur aux rapports officiels et aux études dépendant de firmes. Ce recours à une documentation aussi complète que possible a la même fonction que précédemment, faire comprendre aux lecteurs qui n’ont pas la chance de vivre en Californie, donc à la source du nouveau monde en train de se faire, la réalité et la profondeur des changements informationnels en cours. D’où des passages à vocation didactique sur l’histoire du net (depuis Arpanet) ou sur les différentes sous- cultures informatiques, avec comme conclusion principale : la culture de l’internet est « fondée sur une foi technocratique dans le progrès humain ; mise en œuvre par des communautés de hackers adeptes de la libre créativité technologique ; intégrée à des réseaux virtuels qui veulent réinventer la société ; et matérialisée par des entrepreneurs motivés par le gain, dans le cadre de mécanismes propres à la nouvelle économie. » (P. 80.) Sur tous ces points, il y aurait matière à discussion. Peut-on accepter sans s’interroger cette histoire officielle du net, et ce libéralisme une fois de plus réaffirmé du Pentagone devant les initiatives de quelques chercheurs ? Est-elle crédible cette histoire basée sur les coups de force géniaux de quelques personnalités de premier plan, positionnés à la frontière de la recherche scientifique et des affaires ? D’où viennent ces cultures différentes, comment ont-elles pu

2. Cette recension prolonge des analyses publiées dans le n° 101 de Réseaux, Questionner la société de l’information et dans un article récent de Bernard Miège, intitulé « La société de l’information : toujours inconcevable », publié dans la Revue européenne des sciences sociales, 1er trimestre 2002.

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cohabiter assez harmonieusement, et continuent-elles à fonctionner ne parallèle, etc. ? Tout au long des 350 pages de l’ouvrage, des questions de ce genre ne peuvent manquer de se poser au lecteur, peu convaincu par l’optimisme non dissimulé du sociologue de l’« informationnalisme », ce nouvel état d’esprit qui marque le nouveau mode de développement du capitalisme.

Mais avant de revenir sur quelques-unes de ces questions, il est nécessaire de s’intéresser à la trame de l’ouvrage. Celui-ci, découpé en 9 chapitres, envisage en fait successivement l’histoire et la culture de l’internet, ses relations avec le monde des affaires et la supposée « nouvelle économie », la politique de l’internet, et enfin sa géographie, y compris la fracture économique mondiale (comme dans les ouvrages précédents, les données géopolitiques sont parmi les plus intéressantes). L’essentiel de l’argumentation, cependant, concerne le domaine économique, au point que la thèse centrale de l’ouvrage soit résumée ainsi par Manuel Castells : « La nouvelle économie, dont le fer de lance est le cybermonde des affaires, n’est pas une économie en ligne, mais une économie propulsée par les technologies de l’information, reposant sur la main d’œuvre autoprogrammable et organisée autour des réseaux d’ordinateurs. Telles ont apparemment les sources de la croissance de la croissance de la productivité du travail, donc de la création de richesse à l’ère de l’information. » (p. 126).

Les TICs, et particulièrement les réseaux d’ordinateurs et les réseaux sont donc essentielles à la croissance d’économies désormais dépendantes du traitement de l’information et de la communication ; dans ce contexte, l’innovation est directement liée à la production d’un savoir nouveau, à l’existence d’une « main d’œuvre autoprogrammable, très instruite, capable de mobiliser le savoir nouveau pour accroître la productivité » et à « la présence d’entrepreneurs compétents ».

Cette thèse complète et prolonge les analyses des ouvrages antérieurs, elle ne les modifie point. Il est évidemment aisé de faire grief à Castells – qui a vraisemblablement écrit, en tout cas achevé, La Galaxie internet au cours de l’année 2001 – de n’avoir pas tenu compte des déboires de la « nouvelle économie ». C’est en effet surprenant, d’autant qu’il appuie son raisonnement sur l’exemplification de Cisco (modèle avec Dell de l’entreprise en réseau), de Amazon.com ainsi que de Nokia. Ces firmes, et d’autres qui ont largement licencié et vu le cours de leurs actions chuter, sont selon lui, seulement en situation de « crise relative » ; la convergence du

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cycle de l’innovation et du cycle des affaires avec le cycle financier a en quelque sorte accentué la récession comme elle avait accentué la croissance, mais cette dernière reprendra, et il faut faire confiance à la Bourse, car « la force motrice de la nouvelle économie est le marché financier » (p. 138). De ce fait, au-delà d’appréciations conjoncturelles erronées, ce qui apparaît encore plus clairement que précédemment c’est la consistance du nouveau

« mode de développement » (à savoir l’ère de l’information, ou la société de l’information), pierre angulaire du raisonnement du sociologue, et supposée prendre la place du mode de développement précédent, le mode de développement industriel ; ce mode de développement a de plus en plus de mal à se distinguer du mode de production dominant et même hégémonique, le mode de production capitaliste. Tous les efforts de Manuel Castells pour dissocier l’un, le mode de développement, de l’autre, le mode de production, s’avèrent vains, en dépit du recours… pathétique à l’analyse économique.

L’ordre informationnel apparaît désormais pour ce qu’il est : une stratégie des Etats et des groupes dominants.

On ne manquera pas de signaler trois autres questions, parmi beaucoup d’autres qu’amène chez le lecteur la lecture de La galaxie internet (référence oblige à M. McLuhan avec cette adaptation : le message c’est le réseau !) : – l’insistance avec laquelle l’auteur considère que l’internet est une technologie de la liberté ; mais comme il admet, dans le même temps, que les puissants peuvent l’employer pour opprimer les faibles, on ne s’explique pas en quoi le réseau des réseaux mérite ce qualificatif. Ce point rejoint ce que nous avons suggéré ci-dessus à propos de l’histoire de cette technique : l’explication « libérale », sinon libertaire, de l’émergence du net doit-elle toujours être soutenue ? Ne convient-il pas de la remettre en cause, sous peine d’éclairer la situation présente par des explications contournées (« Mais des intérêts économiques, idéologiques et politiques sont aujourd’hui en mesure de s’approprier l’infrastructure, de filtrer l’accès et d’infléchir l’utilisation de l’internet, voire de la monopoliser. », p. 335). La thèse de l’inflexion n’est pas soutenable ;

– l’accent mis sur l’internet, comme support matériel de l’individualisme en réseau (i.e., en tant que structure sociale), est une perspective heuristique, mais faut-il pour autant reprendre, comme une voie de passage obligée, l’analyse d’auteurs comme Howard Rheingold sur les communautés virtuelles, bases et sources d’une nouvelle interaction sociale ? L’internet appuie et accompagne les mutations des modes de sociabilité, sous des

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modalités diverses, cela se vérifie, mais pour autant la dimension virtuelle des nouvelles interactions sociales ne doit pas être surestimée ;

– le constat (!) selon lequel les systèmes scolaires, autoritaires ou plus ouverts, équipés ou non en TICs, sont dans l’incapacité de se servir efficacement des techniques nouvelles et, par conséquent, la nécessité d’une pédagogie nouvelle qui développe une capacité autonome d’apprentissage, procède de raisonnements pour le moins simplistes, et en particulier cette idée : « Puisque l’essentiel de l’information est en ligne, ce qu’on demande vraiment à l’élève, c’est d’être en mesure de déterminer celle qu’il convient de chercher, de savoir comment la trouver, la traiter, puis l’utiliser dans un travail précis… » (p. 313). Ainsi conçu, avec de telles orientations, le e- learning a toute chance de se révéler comme un immense échec pédagogique, communicationnel et social.

La critique, et même la déconstruction, des thèses de Castells sont d’autant plus nécessaires qu’elles apparaissent à des lecteurs non familiarisés par les approches des sciences humaines et sociales comme une voie d’accès vers les travaux relevant de ces disciplines : La galaxie internet ne saurait être négligée…

Manuel Castells, La galaxie internet, Fayard éditeur, 2002 (pour la traduction française), 365 pages.

Children and their Changing Media Environment, a European Comparative Study

de Sonia LIVINNGSTONE et Moria BOVILL

par Hervé GLEVAREC

Cinquante ans après l’arrivée de la télévision dans les foyers, ce sont les nouveaux médias (ordinateur et l’internet, chaînes du câble et du satellite, vidéo, jeux) qui prennent une place grandissante au sein des familles et acquièrent une présence particulière pour les enfants et les adolescents en termes de loisirs, d’éducation et de liens sociaux. Il est ainsi dorénavant possible de parler « d’environnement médiatique ».

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L’ouvrage dirigé par S. Livingstone et M. Bovill restitue les résultats d’une enquête européenne menée en 1997 et 1998 par des équipes nationales de chercheurs auprès d’enfants et d’adolescents âgés de 6 à 16 ans issus de douze pays : Belgique, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Angleterre, Israël, Italie, Pays-Bas, Espagne, Suède et Suisse. L’enquête quantitative qui a porté sur 11 000 individus a été complétée d’une enquête qualitative par entretiens3.

Deux grands thèmes structurent cet ouvrage collectif très réussi : les pratiques médiatiques des jeunes européens et les usages sociaux qu’ils font des médias. Ecrit dans une langue fluide, cet ouvrage à plusieurs mains manifeste une grande cohérence sans redondance entre les différents contributeurs.

Les pratiques médiatiques des jeunes européens

Le cadre socio-économique national s’avère en grande partie déterminant des équipements et des usages des nouvelles technologies : les pays du sud de l’Europe, moins riches et plus familialistes, s’opposent aux pays du nord, plus riches et plus individualistes. Du point de vue de l’environnement médiatique et technologique, la France, l’Italie et l’Espagne sont moins dotées que la Grande-Bretagne et les pays nordiques. Au Danemark, en Suède, en Allemagne et en Israël, plus de la moitié des familles ont accès à la télévision câblée ou au satellite. Si la Belgique et les Pays-Bas semblent être les plus gros possesseurs d’ordinateurs, les pays nordiques et Israël ont l’accès le plus élevé à l’internet.

Dans ces différents contextes, qui sont les adolescents européens qui ont accès aux nouveaux médias ? à quels médias ? quelles pratiques en ont-ils ? L’accès à la télévision et au magnétoscope est très semblable d’un pays à l’autre : 90 % des enfants ont accès à la télévision dans leur maison. Avoir un téléviseur dans la chambre est surtout fréquent en Grande-Bretagne et au Danemark. La probabilité de posséder une télévision dans sa chambre augmenterait chez les plus âgés, parmi les garçons et dans les milieux

3. Un aspect de cette recherche a fait l’objet d’un article de D. Pasquier et J. Jouët dans le numéro « Les jeunes et l’écran », Réseaux, n° 92-93, 1999. L’équipe française est représentée par D. Pasquier qui signe ici un article : « Media at Home: Domestic Interactions and Regulation », p. 161-177.

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populaires. Les chiffres pour la France indiquent un fort dédain pour la possession d’un téléviseur dans la chambre. En revanche, sur la possession individualisée de livres, la France tient avec les Pays-Bas la première place.

La télévision est le média qui a le plus d’utilisateurs en Europe. Le temps télévisuel des adolescents semble supérieur au temps consacré aux supports audio, plus encore dans les foyers populaires. L’Angleterre et Israël sont bien au-delà de la moyenne de deux heures de visionnage quotidien de la télévision dans les pays étudiés. Aucun tableau spécifique n’est consacré à la radio. Celle-ci semble être amalgamée sous la variable « média audio ». Les jeux électroniques ont pris la troisième place après la télévision et les médias audio. Le temps de lecture s’est, lui, réduit.

Pour chaque pays, la possession d’un ordinateur et d’une liaison à l’internet est plus forte dans les milieux aisés que dans les milieux au statut socio- économique plus bas, tandis que c’est l’inverse pour les machines reliées à la télévision. Toutes nationalités confondues, les garçons sont les premiers à adopter les médias interactifs. Les filles nomment la hi-fi et la télévision comme ayant le plus d’importance dans leur vie.

La comparaison des trois items que sont le « plaisir », la « lutte contre l’ennui » et « l’apprentissage » indique à propos de la télévision qu’elle satisfait aussi bien au motif du plaisir qu’à l’évitement de l’ennui. Ce sont les supports imprimés et informatiques qui sont privilégiés aux fins d’apprentissage.

La place des médias

Ulla Johnsson-Smaragdi propose une typologie des styles d’usagers : les

« faibles utilisateurs », les « traditionalistes », les « spécialistes ». Le premier groupe des « faibles utilisateurs » est le plus large (4/5e de l’ensemble) ; il correspond à des téléspectateurs qui regardent 2,5 h/jour un média ; les

« traditionalistes » et les « spécialistes » constituent le cinquième restant. Les premiers représentent en quelque sorte le profil moyen, ceux qui ne consomment ni par excès ni par défaut un type de média. Ils passent environ 4 h/jour avec un média, principalement la télévision. Les « spécialistes » utilisent les médias pendant près de 5 h/jour ; ils sont fans de la télévision, des livres, des ordinateurs ou bien des jeux vidéos. En règle générale, le

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temps passé avec les nouveaux médias s’ajoute aux précédentes activités relatives aux anciens médias.

Dans un contexte de réduction régulière des programmes pour enfants sur les médias généralistes, y a-t-il une relation entre un type de médias et le contenu de ses programmes ?

Les centres d’intérêt des jeunes utilisateurs portent en premier lieu sur le sport, la musique, les animaux et la nature. Le statut socio-économique et le lieu d’habitation n’influent pas sur ces préférences. L’âge et le sexe oui : le goût pour la musique et les romans croît avec l’âge ; la diversification des centres d’intérêt est plus forte chez les filles que chez les garçons. En définitive, il ne semble pas y avoir de spécialisation marquée des médias selon les centres d’intérêt. La télévision reste le média central dans tous les sens du terme (premier en terme de choix et au centre social des autres) quels que soient les centres d’intérêt de l’écoute.

Les usages des médias au cœur de l’autonomie adolescente et de la démocratie familiale

Un « second » ensemble de chapitres est consacré aux analyses du contexte social dans lequel prennent sens les pratiques médiatiques. Quelle place occupent les médias au sein de l’espace domestique, dans les rapports entre parents et enfants à l’intérieur des familles ?

La plupart des jeunes interrogés disent écouter leur programme préféré en compagnie d’autres membres de la famille : la compagnie maternelle arrive en tête en ce qui concerne la télévision ; les pères et frères sont jugés compétents pour ce qui touche au maniement de l’ordinateur. Dans son article sur les incidences familiales des usages médiatiques, D. Pasquier indique que, dans les familles populaires, l’ordinateur, possédé par les plus compétents en la matière, soit justement les enfants, a un statut symbolique certain mais une utilité culturelle marginale, alors que dans les milieux aisés, il est davantage intégré à la vie collective domestique.

Le contrôle parental, notamment maternel, semble s’exercer en priorité sur la télévision et le téléphone. En fait, le contrôle familial est plus lâche qu’il n’y paraît ; il porte moins sur le contenu que sur la part temporelle des médias par rapport à d’autres activités (devoirs, repos…). En ce qui concerne les

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nouveaux médias, la maîtrise adolescente (de l’ordinateur et de ses adjuvants) renverse la hiérarchie traditionnelle des statuts. A l’instar, en France, du « jeu » verbal des animateurs de la radio Skyrock à propos du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le jeu avec les règles entourant les médias est une façon pour un enfant d’en apprendre sur le monde adulte.

D’un point de vue général, si la télévision était historiquement un média familial et domestique, les ordinateurs et jeux vidéos tendent à s’inscrire dans d’autres espaces, hors maison, au sein des relations entre pairs et, surtout, dans la chambre. C’est là le propos du chapitre consacré par S. Livingstone et M. Bovill à la « culture de la chambre », la chambre étant devenu cet espace où les adolescents peuvent exprimer leur identité, exercer un contrôle personnel, diriger à distance leur relation à la famille et aux amis. En effet, les 15-16 ans déclarent passer la moitié de leur temps libre dans leur chambre où la présence des supports médiatiques que sont la télévision, l’ordinateur et les jeux vidéos est exponentielle et s’ajoute à celle des livres, de la musique et de la radio.

Face aux réactions parentales négatives – dans les milieux aisés surtout – à une présence des médias dans la chambre, les auteurs montrent un paradoxe médiatique : plus cet espace de la chambre adolescente se privatise avec l’entrée des médias, plus il devient public (espace de réunions des copains, espace public à domicile). De fait, les adolescents regardent fréquemment la télévision avec un ami (à l’inflexion près de la culture familiale des pays sudistes et de la culture tournée vers les pairs des pays nordistes). Avoir la télévision dans la chambre favorise tout autant la consommation individuelle que celle partagée avec des amis (celle des films d’action ou d’horreur par exemple). Parler sur et des médias représente l’incidence la plus forte des médias sur les relations entre pairs. Les livres et magazines restent très importants dans la culture juvénile féminine. Les garçons partagent, eux, les jeux. Les médias électroniques restent en effet les plus marqués par les différences de genre.

L’usage des nouveaux médias

60 % des jeunes des douze pays ont accès aux ordinateurs dans leur école.

Les pays nordiques et la Grande-Bretagne sont les plus « offrants ». L’usage ludique de l’ordinateur l’emporte sur l’usage scolaire, aussi bien à domicile qu’à l’école, parmi les plus jeunes notamment. Il reste 14 % des enfants

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européens qui n’utilisent l’ordinateur ni à domicile ni à l’école. Ainsi, les adolescents ont-ils acquis une compétence informatique, supérieure dans les familles à faible capital culturel à leurs parents, et un ensemble de discours sur les jeux, leurs qualités et leurs intérêts.

En fait, la caractéristique des usages des nouvelles technologies est leur multifonctionnalité : elles permettent de jouer et d’écrire, de dessiner, de calculer, d’utiliser les CD-Rom et l’internet, de programmer. Il n’y a pas en face des nouveaux médias une nouvelle population de consommateurs, mais des conditions d’accès différentes, des contenus utilisés divers, des attitudes propres. Si le processus de diffusion des nouveaux médias reproduit les inégalités sociales, le processus d’appropriation reproduit des inégalités de genres et d’âge, rappelle S. Livingstone dans son article de synthèse. En effet, les nouveaux médias sont marqués par une différence traditionnelle entre des garçons qui passent davantage de temps devant leur écran que les filles, privilégient les objets médiatiques, témoignent de l’intérêt pour les jeux de compétition, et des filles qui préfèrent les situations relationnelles.

Mais, notent les auteurs, ces dernières tendent à aller de plus en plus sur le terrain des garçons.

La culture médiatique des adolescents européens se présente comme une culture nationale et transnationale. Les jeunes individus se tournent en priorité vers les médias nationaux, mais, par ailleurs, ils partagent une culture dite « globale », anglo-saxonne. En fait, les processus de globalisation et d’individualisation dissocient la culture juvénile des structures nationales et de classe. Les goûts deviennent simultanément hétérogènes dans une même culture et partagée à travers les cultures. Ce qui caractérise les années 1990, c’est le déplacement de la « culture de fan » vers les plus jeunes. A l’inverse, les plus âgés se construisent une identité individuelle ne référant pas à une sous-culture.

Cette recherche, par son étendue territoriale, fournit un état des lieux de première envergure sur la place des médias dans la vie des enfants et des adolescents européens. Elle montre que les transformations de l’environnement médiatique portent davantage sur l’adolescence comme statut social dans la société et au sein de la famille, que sur les modèles culturels d’appropriation qui seraient bouleversés par rapport à une culture de l’écrit.

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Nous ferons, in fine, une remarque critique à l’approche du livre dirigé par S. Livingstone et M. Bovill : celle de ne prendre que peu en compte, paradoxalement, le « moment adolescent ». Dans ce « paradigme » culturaliste et matérialiste, il est peu fait mention en effet du motif d’intérêt

« générationnel » pour un média. Des quatorze items ou favorite topics proposés aux adolescents4 (guerre, crime, comédie…), les « problèmes des jeunes » ne font pas partie. Il y a là, semble-t-il, un enjeu essentiel de la place des médias (on pense aux radios « jeunes ») et de leur rôle dans la socialisation. Il est vrai que ce point tient peut-être moins aux changements de l’environnement médiatique qu’aux rôles sociaux que tiennent les médias dans une société.

Sonia Livingstone, Moira Bovill, Children and Their Changing Media Environment, A European Comparative Study, London, LEA, 2001, 383 pages.

4. Voir Table 6.3, p. 147.

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