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Ligatures : la reproduction des femmes indigènes au Guatemala, entre contrôles et résistances

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Academic year: 2021

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(1)

HAL Id: tel-02481238

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02481238

Submitted on 17 Feb 2020

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Ligatures : la reproduction des femmes indigènes au Guatemala, entre contrôles et résistances

Anaïs Garcia

To cite this version:

Anaïs Garcia. Ligatures : la reproduction des femmes indigènes au Guatemala, entre contrôles et résistances. Sociologie. Université Toulouse le Mirail - Toulouse II, 2018. Français. �NNT : 2018TOU20093�. �tel-02481238�

(2)

THÈSE

En vue de l’obtention du

DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE

Délivré par l'Université Toulouse 2 - Jean Jaurès

Présentée et soutenue par

Anaïs GARCIA

Le 23 novembre 2018

-Ligatures- La reproduction des femmes indigènes au Guatemala, entre contrôles et résistances

Ecole doctorale : TESC - Temps, Espaces, Sociétés, Cultures

Spécialité : Anthropologie sociale et historique Unité de recherche :

LISST - Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires Thèse dirigée par

Stéphanie MULOT et Valérie ROBIN

Jury

Mme Arlette GAUTIER, Rapporteur Mme Laëtitia ATLANI-DUAULT, Rapporteur

Mme Jules FALQUET, Examinateur M. Michel NAEPELS, Examinateur Mme Stéphanie MULOT, Directeur de thèse Mme Valérie ROBIN AZEVEDO, Co-directeur de thèse

(3)

TH ` ESE TH ` ESE

En vue de l’obtention du

DOCTORAT DE L’UNIVERSIT´ E DE TOULOUSE

D´elivr´e par :l’Universit´e Toulouse - Jean Jaur`es

Pr´esent´ee et soutenue le23 novembre 2018 par :

Ana¨ıs GARCIA

- Ligatures -

La reproduction des femmes indig`enes au Guatemala, entre contrˆoles et r´esistances.

JURY

La¨etitia Atlani-Duault Directrice de recherche en anthropologie `a l’IRD Rapporteure

Jules Falquet Maˆıtresse de conf´erence HDR en sociologie `a l’Universit´e Paris Diderot

Membre du Jury

Arlette Gautier Professeure de sociologie `a l’Universit´e de Bretagne Occidentale

Rapporteure

St´ephanie Mulot Professeure de sociologie `a l’Universit´e Toulouse Jean Jaur`es

Directrice de th`ese

Michel Naepels Directeur d’´etudes en anthropologie `a l’EHESS, Directeur de recherche CNRS

Membre du Jury

Val´erie Robin Azevedo Professeure d’anthropologie `a l’Universit´e Paris Descartes

Directrice de th`ese

Ecole doctorale et sp´´ ecialit´e :

TESC : Anthropologie sociale et historique

(4)

Au cours de ces six années de thèse, beaucoup de personnes m’ont apporté des réflexions et du soutien, y compris dans les moments les plus difficiles. J’ai essayé d’en réunir une part essentielle dans ces deux pages. Je présente mes excuses aux personnes que j’ai oubliées.

Je tiens tout d’abord à remercier mes directrices de thèse Stéphanie Mulot et Valérie Robin Azevedo, pour la richesse de leur accompagnement, pour leur confiance, pour leur soutien.

Je remercie les membres du jury d’avoir accepté d’explorer mon travail et de le commenter.

Je remercie le LISST-CAS de m’avoir soutenue dans la réalisation de mes recherches.

***

Mes séjours sur le terrain de Huehuetenango ont été marqués par des expériences émotion- nelles et réflexives intenses. Je remercie toutes les personnes qui m’ont entourée et accompagnée dans cette aventure.

Elsa, Raquel, Dalberta, Feliciana pour leur amitié, leur confiance, leur travail à mes côtés et leurs familles pour leur accueil. Ustedes son la esencia de mi trabajo queridas.

Les patojas et l’équipe de l’internat Ixmucané. Angélica, Mayali, Bertilia, Yomara, Ixmu. . . Celia la chistosa por tu cariño.

Les personnes dans les communautés pour leur partage et leur confiance, en particulier Elvira, Caterina, Petrona, Francesca, Alicia, Fortunato, Gonzalo. Aprendí mucho a sus lados.

Les personnels de santé d’Aprofam, de la clinique de planification familiale de l’Hôpital de Huehuetenango, du centre de santé de Todos Santos. Convivimos tanto que nunca les olvidaré.

Chiroy, Tony, Pily, Maria, pour m’avoir permis de me sentir protégée. Cuídense también.

Le groupe Actoras de Cambio et les organisations féministes de Huehuetenango. Giulia Maero, Amandine Fulchiron, Cecilia Merida et Aura Marina Yoc Cosajay, chercheuses et amies, qui ont facilité mon insertion sur le terrain et alimenté mes réflexions. ¡La lucha sigue chicas !

Le centre de recherche, de documentation et de publication Cedfog où j’ai beaucoup travaillé, qui a tant œuvré à la compréhension des problématiques sociales huehuetèques et à la formation scientifique des leaders communautaires. Cedfog a disparu en 2017 faute de maintien des financements de la « coopération internationale ». Conchita, Jorge, gracias por lo que lograron hacer con Cedfog y gracias por recibirme.

***

Merci aux différentes institutions et associations scientifiques qui m’ont accueillie, qui

m’ont proposé une collaboration, ou avec lesquelles j’ai échangé : le CRASC (Oran), le CEMCA

(Guatemala), FLACSO (Guatemala), l’ENSIAS (Rabat), Women in War (Paris), Efigies.

(5)

Morgane, Rita, Lati, Mahmoud, les mots sont insuffisants pour vous signifier tout ce que vous représentez pour moi, et évidemment cette thèse ne serait rien sans votre amour, votre soutien et votre bienveillance quotidienne. Merci de m’avoir maintenue debout et insufflé de la force et de la combativité tant de fois.

Ma famille, Sista, Mama, Papa, Keylita, pour vous être adapté·e·s tant bien que mal aux complexités de mon mode doctorat, pour votre intérêt et votre valorisation, même après des corrections lourdes et interminables !

Le crew docts-CAS : un vrai bonheur ces six ans passés à vos côtés. Clara ma guru adorée love-love, l’indispensable Jeanne l’inventive, la pétillante Ariela la juste, la merveilleuse Magic- Marine, l’incroyable Abi de science fiction, Queen Aude la voix de la sagesse, l’extra-ordinaire Anélie la forte, Maxime my best co-rebut forever, Cyniq-Ben le rageux tout mignon. . . Je sais même pas comment on peut réaliser une thèse si vous n’êtes pas là pour y mettre tant de fun, de solidarité et d’esprit d’équipe.

Célia et Elsa pour leur accompagnement sociologique tout au long de l’expérience de thèse et lors d’un séjour sur mon terrain de recherche.

Alfonsina, Alice, Mounia, Leslie, Chiara, Irene pour la collaboration et la réflexion partagée.

Brahim Hamid et Boujemâa Ait-Kalati pour braver amicalement les aléas informatiques.

Salvador Montoya et Modesta Suárez pour les débriefings thèse improvisés.

Max pour la schématisation et Lotty pour la traduc. Les couz’ vous êtes au top !

Les doctorant·e·s du CERS, de DR, de l’IRIT et d’Arpège, les membres d’ATRIA, le collectif précaire de l’Université du mirail.

Les footeuses de m***, la bande de la cité U, le DAL, le collectif pour des sexualités autonomes, toutes mes sœurs et tous mes frères de lutte.

Mes ami·e·s, mes proches, mes camarades, qui ont fait preuve d’intérêt, de chaleur, de

patience et de compréhension. Diane, Fanny, Clara, Renata, Ma’en, Beto, Steve, Amilhoux,

Amadou, Junior, Frantz, Rein, Catia, Hadrien, Mahamoud, Yacin, Fethi, Carmen, Wilfrido,

Agusto, Gabi, Jordi, Muhammad, Khalid, Estrellita, Gabo, Julie, Litos, Jero, Felipe, Fran-

cisco, Igwee, Juan, Adji, Erasme, Mohamed, Yaser, Eddo, Ludovic, Ibrahim, Debo, Hikma, Don

Christ, la famille Ebengo, Momar, Bassam et ses enfants, Cheikhouna, Ahmad, David, Fab, Si-

mon, Patience, Sergio, Tabou, Nabeel, Amine, Evy, Émilie, Willy, Maud, Jenni, Tzutu. . . et

tant d’autres !

(6)

Table des matières

Prologue / Ouverture 11

Introduction 17

1 Carences dans les études sur la planification familiale au Guatemala . . . . 20

2 Anthropologie et santé de la reproduction . . . 21

3 La question reproductive dans les études féministes . . . 22

4 Intersectionnalité et gouvernement des corps . . . 23

5 Contexte néo-libéral et de post-conflit . . . 24

6 Articulation scientifique et perspective globale de l’analyse . . . 25

I Présentation du terrain 29 1 Éléments contextuels 31 I Identités culturelles, territoires, société et colonialisme au Guatemala . . . 32

II Une structure sociale, ethnique et politique héritée des inégalités face à la pro- priété de la terre . . . 35

III La guerre (1960-1996) et l’exacerbation des tensions sociales . . . 40

IV La région de Huehuetenango, au cœur de la violence et de la mondialisation néolibérale . . . 41

2 Accès aux terrains et choix méthodologiques 49 I Terrain auprès d'acteurs institutionnels . . . 49

1 Sonder le discours institutionnel à partir des sources écrites et audiovisuelles 49 2 Décortiquer les postures institutionnelles dans des entretiens avec des ad- ministrateurs locaux . . . 50

II Terrain au sein des structures de santé . . . 51

1 Accès au terrain des professionnel·le·s : nécessité de l'observation participante 51 2 Limites du terrain auprès de patient·e·s . . . 54

III Terrain dans la ville de Huehuetenango et dans plusieurs communautés . . . 54

1 Le terrain en dehors du terrain : utilisation de discours urbains variés . . . 54

2 Questionner la vie sexuelle et reproductive : entretiens formels et informels 55 3 Le recours à des interprètes : enrichissement des dynamiques d'entretien . . 56

3 Considérations réflexives 59 I Traiter des données complexes . . . 60

1 Des données essentielles à l'épreuve de la déontologie . . . 60

2 Interprétation des silences et des détours discursifs . . . 61

2.1 Repérage des stratégies de contournement . . . 61

2.2 Les détours discursifs : un héritage du conflit armé ? . . . 64

(7)

2.3 Intégrer les détours discursifs à l'analyse : apports et risques de surin-

terprétation . . . 65

II Usages des attributs de l'anthropologue . . . 67

1 La « docteure » étrangère blanche . . . 67

2 Le genre de l'anthropologue dans la relation d'enquête . . . 70

2.1 Accéder aux hommes . . . 72

2.2 Accéder aux femmes . . . 74

III Difficultés de la distanciation et dangers de l'imprégnation . . . 76

1 Rester chercheuse en permanence ? . . . 77

2 Gérer les situations et les récits de violence . . . 80

2.1 Normalisation de la violence . . . 80

2.2 Traitement éthique de la question de la violence . . . 81

2.3 Risques de la posture critique sur le terrain . . . 81

II Des politiques de planification familiale 85 4 L’encadrement de la reproduction : du global au national 89 I La santé, les femmes et la reproduction enjeux du « développement » global . . 90

1 Un développement néo-libéral . . . 90

2 La santé globale . . . 92

3 Le genre, un axe fort des politiques de développement . . . 94

4 Émergence des droits reproductifs onusiens . . . 95

II Le néo-malthusianisme au sein des perspectives de développement . . . 98

III Les programmes de planification familiale au Guatemala . . . 102

1 Cadre institutionnel des programmes guatémaltèques de planification fami- liale . . . 105

2 Partenariat financier contraignant . . . 107

2.1 Présence et exigences d’USAID . . . 109

2.2 Des objectifs chiffrés à atteindre . . . 110

2.3 Vers la massification ciblée des méthodes durables et définitives . . . 114

3 Clientélisme et corruption . . . 116

3.1 Une « culture de la corruption » omniprésente et naturalisée . . . 116

3.2 Corruption et santé publique . . . 118

3.3 Liens forts entre détenteurs de pouvoir à toutes les échelles . . . 119

3.4 La lutte contre la corruption comme moyen d'ingérence états-unienne dans le champ politique guatémaltèque . . . 120

5 Normer la reproduction, contrôler la population 123 I Les dispositifs sanitaires et éducatifs locaux . . . 125

1 Associer l'éducatif au sanitaire . . . 125

1.1 Éduquer : informer ou promouvoir ? . . . 125

1.2 Formation des personnels de santé . . . 126

2 Privilégier l’éducation aux normes néo-malthusiennes à l’information sur les méthodes contraceptives . . . 130

3 La charla : mode de transmission du discours éducatif à destination des mères132 II Construction d'une norme procréative . . . 135

1 Informer pour normer . . . 135

2 Éduquer des (futures) mères à être « responsables » . . . 139

(8)

3 « Ladiniser » la reproduction nationale . . . 144

III Santé reproductive et planification familiale . . . 147

1 Lier santé materno-infantile et planification familiale . . . 147

1.1 Les visites médicales de « contrôle » de la mère et l’enfant . . . 147

1.2 Baisser le taux de mortalité materno-infantile . . . 150

1.3 Accouchement médicalisé et stérilisation . . . 152

1.4 Primat des impératifs néo-malthusiens sur la santé des femmes . . . 155

2 Intégrer les comadronas (sages-femmes traditionnelles) aux dispositifs . . . 156

IV Le contrôle et la contrainte . . . 160

1 Le pouvoir bio-médical . . . 160

2 Cibler des populations « vulnérables » . . . 163

3 Conditionner pour faire adhérer . . . 165

4 Les politiques autoritaires envers les populations rurales indigènes . . . 167

III Des personnels de santé guatémaltèques 171 6 Servir la nation en régulant la reproduction des mères indigènes 175 I La question reproductive au prisme du racisme . . . 175

1 Culturalisme politique guatémaltèque : de l'altérité à l'inégalité . . . 175

1.1 Une culture nationale ladina . . . 175

1.2 Gestion de l'altérité indigène . . . 181

1.3 Les perspectives multiculturelles . . . 183

1.4 Santé interculturelle et ethno-gouvernementalité . . . 185

1.5 La référence au modèle occidental . . . 188

2 Stigmatisation des comportements « indigènes » en matière de reproduction 191 2.1 Ignorance supposée des indigènes et diffusion de « rumeurs négatives » . 192 2.2 Les représentations racistes et stéréotypées de la culture indigène . . . . 196

2.3 Appropriation raciste des argumentaires néo-malthusiens . . . 198

II Un esprit missionnaire de la planification familiale . . . 202

1 Mission humanitaire, spirituelle, éducative et civilisatrice des profession- nel·le·s . . . 203

1.1 Homologies avec une action à caractère humanitaire . . . 203

1.2 Des personnels de santé évangélistes . . . 205

1.3 La « ladinité » médico-sociale . . . 207

2 Politiser les professionnel·le·s, dépolitiser les patient·e·s . . . 209

7 Conformer les femmes indigènes à la norme procréative 213 I Les femmes indigènes sur la ligne de mire . . . 213

1 Différencier les traitements selon ethnicité, sexe, classe. . . . . . 213

1.1 Définir, catégoriser et orienter les patient·e·s . . . 214

1.2 Une plus grande liberté contraceptive pour les femmes ladinas ? . . . 217

2 Féminisme colonial . . . 219

2.1 « Lutter contre le machisme » par le contrôle reproductif des femmes indigènes . . . 220

2.2 « La femme indigène », figure docile . . . 225

2.3 Représentations de la sexualité indigène . . . 228

3 S'approprier légitimement le corps des femmes indigènes . . . 234

3.1 Définition et négation du consentement . . . 234

(9)

3.2 Rapport collectif et public à la santé reproductive des femmes . . . 238

II Nuances de la norme procréative à l'épreuve du terrain . . . 241

1 Ambiguïtés des postures des professionnel·le·s : Différences discours/pratiques242 1.1 Patientes indigènes, personnels de santé ladinos : Des modes de vie et des appréhensions du corps et de la santé pas si éloignés . . . 242

1.2 Dépassement de la dichotomie professionnelle-patiente par le genre et l’ethnicité . . . 245

2 Une prestation qui s'adapte aux conditions quotidiennes d'exercice . . . 248

2.1 Le fonctionnement difficile et aléatoire des services de santé reproductive 248 2.2 Trancher entre responsabilité de l’État et responsabilité des populations 250 IV Des femmes indigènes rurales 253 8 Une cosmovisión indigène de la planification familiale ? 257 I Exprimer et penser la planification familiale . . . 257

1 Vocabulaires de la contraception . . . 257

1.1 Nommer la planification familiale et les méthodes contraceptives . . . . 257

1.2 « L'opération » . . . 260

1.3 Le transfert du vocabulaire des professionnel·le·s . . . 264

2 Des idées approximatives ou fausses de la contraception ? . . . 266

2.1 Des représentations issues des professionnel·le·s ? . . . 266

2.2 Dé-ligaturer . . . 269

2.3 La (dé)régulation des menstrues . . . 270

3 Les expériences comme support . . . 275

3.1 Des représentations issues de ses propres expériences contraceptives . . . 276

3.2 Des représentations issues des expériences des femmes les plus proches . 278 3.3 La référence à « une femme de la communauté » - le statut de la rumeur 282 3.4 L'expression d'une condition corporelle commune . . . 285

II Calculer le nombre d'enfants souhaité et leur espacement . . . 289

1 Aléatoire de la vie précaire face à la notion de « planification » . . . 295

1.1 Une précarité qui multiplie le nombre de grossesses . . . 296

1.2 Une précarité qui limite le nombre d’enfants . . . 299

1.3 Dimension inexplicable dans le phénomène reproductif . . . 302

1.4 Associer planification, aléatoire et précarité dans le choix d’une contra- ception . . . 303

2 Intégration partielle de la norme procréative institutionnelle . . . 307

2.1 Un idéal qui correspond au modèle institutionnel . . . 307

2.2 Intégrer la norme pour s’intégrer soi . . . 308

2.3 Adhésion résignée au modèle normatif . . . 309

9 Normes de genre, rapports à la sexualité et logiques reproductives 311 I Planification et patriarcat . . . 311

1 Risques et inégalités dans la sexualité pré-conjugale . . . 311

2 L'union comme perspective d'émancipation - la grossesse comme perspec- tive d'union . . . 313

3 Résidence patrilocale et preuve de la capacité reproductive féminine . . . . 317

4 Négociation et pouvoir conjugal dans la décision de planifier . . . 320

II La planification, une responsabilité féminine . . . 321

(10)

1 Assumer une paternité : choix le moins intuitif . . . 322

2 Le refus masculin de perte de fertilité . . . 329

III Des sources d'informations pour les hommes ? . . . 331

1 Les espaces masculins d'information : la question sexuelle avant la question reproductive . . . 331

2 De l'omission de s'informer au refus de transmettre l'information . . . 334

IV Articulation entre planification et santé reproductive . . . 338

1 Expériences dures en santé reproductive . . . 339

2 Impact des effets secondaires . . . 340

3 La stérilisation comme solution aux effets secondaires . . . 341

V Des pratiques liées à des modes de vie en mouvement . . . 343

1 Planifier en milieu rural . . . 343

2 Approche générationnelle . . . 347

2.1 Générations de femmes, générations de normes reproductives ? . . . 347

2.2 La critique de l'union précoce . . . 351

10 Stratégies féminines de planification familiale 355 I Trouver de l'information . . . 355

1 Des réseaux de partage d’expériences entre femmes . . . 356

2 S'informer hors du cercle proche . . . 361

2.1 Les travailleuses du sexe . . . 361

2.2 Les femmes étrangères occidentales . . . 362

2.3 Trouver une brèche informative auprès des professionnel·le·s de santé . . 363

II Planifier non-médicalisé . . . 368

1 « Planifier naturel » . . . 368

1.1 Remèdes à base de plantes . . . 368

1.2 « Méthodes naturelles » . . . 370

2 Des méthodes « impensées » . . . 371

2.1 La virginité et le retard de l’âge du mariage . . . 373

2.2 La migration . . . 375

2.3 La circulation des enfants : confiage, adoption, maternage . . . 376

2.4 L’infanticide par l’abandon . . . 379

2.5 L’avortement . . . 380

III Contourner les injonctions contraceptives . . . 384

1 Stratagèmes de contournement des injonctions institutionnelles . . . 385

1.1 Instrumentaliser les représentations sur l'indigénéité . . . 386

1.2 Banalisation du mensonge face aux personnels médicaux . . . 390

1.3 Mettre en place une dynamique collective de résistance . . . 393

2 Stratagèmes de contournement des injonctions familiales et communautaires 395 2.1 Se cacher pour planifier . . . 395

2.2 Travail de transmission des informations . . . 397

IV Un corps féminin qui doit rester autonome et puissant . . . 400

V Des violences et des citoyennetés post-conflit 411 11 Un continuum de violences 415 I Les dangers des institutions étrangères et ladinas : entre mythes et réalités . . . 416

1 L’origine des rumeurs . . . 418

(11)

2 Expériences indigènes des mauvais traitements . . . 421

3 La peur du Ladino/de l’étranger et la menace de lynchage . . . 423

II Une guerre sans fin . . . 426

1 Violences, politiques répressives et citoyennetés . . . 426

1.1 Une société violente héritée du conflit ? . . . 426

1.2 La réactualisation du système de patrouilles d’auto-défense civile . . . . 428

1.3 Politiques répressives de mano dura . . . 430

1.4 Craintes répressives diffusées par les institutions sanitaires . . . 431

1.5 Illustration du continuum de violence au sein d’une communauté . . . . 433

2 L’incorporation de la violence . . . 435

III Une citoyenneté féminine empêchée par l’atteinte au corps . . . 437

1 Des violences gynécologiques au féminicide . . . 437

1.1 Banalisation des atteintes à l’intégrité corporelle des femmes . . . 437

1.2 Émergence et instrumentalisation du féminicide . . . 440

2 La sexualité et la santé reproductive affectées par les violences . . . 443

IV Un État qui crée et renforce l’oppression patriarcale . . . 445

V Aspirations et choix de vie des femmes . . . 451

1 Des possibilités d’études limitées . . . 451

2 La conjugalité comme frein à l’épanouissement personnel des femmes . . . 454

3 La migration comme perspective d’avenir . . . 457

12 Enjeux des résistances indigènes 461 I Reconnaissance du génocide et politiques multiculturelles en post-conflit . . . 463

1 Un procès historique pour génocide . . . 463

2 Mémoires de la guerre et mayanisation . . . 465

3 Assigner et cantonner les femmes au rôle de reproductrices de la culture maya . . . 469

4 Mayanisation et patriarcat . . . 474

5 Impacts du contrôle communautaire et familial sur le corps des femmes . . 476

II Essentialisation de l’identité féminine indigène . . . 479

1 Usages du vêtement indigène féminin . . . 479

2 Incarnation de la nature . . . 481

3 Une socialisation genrée traditionnelle . . . 482

III Formulations intersectionnelles des femmes indigènes . . . 487

1 Conscience des rapports d’oppression imbriqués . . . 487

2 Les perspectives émancipatrices au cours de l’histoire locale . . . 490

3 Un féminisme indigène pour la vie, le corps et le territoire . . . 493

Conclusion 496

Épilogue 501

Bibliographie 505

(12)

« Les enfants latino-américains continuent obstinément à naître et à revendiquer leur droit naturel à une place au soleil sur ces terres magnifiques qui pourraient offrir à tous ce qu’elles refusent à presque tous » - Eduardo Galeano - Les veines ouvertes de l’Amérique Latine

1

1. Galeano,Las venas abiertas de América Latina.

(13)
(14)

Prologue / Ouverture

Ana, Eva, Lena

Histoires de trois femmes indigènes mam d’une communauté de Huehuetenango

***

(15)
(16)

Ana prépare les tortillas en me racontant son alphabétisation tardive durant son exil au Mexique au cours de son adolescence. Elle s’y était réfugiée pour fuir les violences sexuelles et les massacres des années 1980, perpétrés par les groupes militaires et paramilitaires.

Ses parents et neuf de ses frères et sœurs sont restés à proximité du village pour limiter les pillages et les destructions, en se cachant régulièrement. Certain·e·s étaient proches de la guérilla, comme Ana. À sa majorité, Ana est revenue au Guatemala, a travaillé dans les plantations de la côte et s’est mise en couple avec un autre saisonnier. Éprouvée par ce travail harassant et mal payé, Ana profite du retour d'une certaine stabilité politique pour rejoindre sa communauté. Les femmes mam n’héritent pas des terres familiales, mais Ana demande alors à son père de lui donner un terrain comme à ses frères pour qu’elle et son mari puissent cultiver du maïs, des haricots, des fruits, des légumes pour leur propre consommation et du café pour le vendre. Elle tombe enceinte de sa fille Eva à 22 ans.

Durant sa grossesse, elle souffre de lourdes infections vaginales, et de douleurs abdominales, qu’elle attribue à la maladie du susto, contractée pendant la guerre, en raison de la peur et des violences. Elle frôle une fausse couche, d’autant qu’elle travaille dur dans les champs.

Son deuxième enfant, Derek, naît dans des conditions encore plus difficiles, quatre ans plus tard. Lors d’une consultation à l’hôpital, un personnel médical pose un stérilet au cuivre à Ana. Elle le gardera 11 ans, soit une année au-delà de sa péremption, parvenant difficilement à négocier dans les structures de santé le retrait du stérilet sans qu’on lui en remette un nouveau ou qu’on la stérilise. Ana voulait avoir un autre enfant, car elle était souvent seule à la maison. Elle tombe enceinte trois mois après le retrait du stérilet.

Cela la surprend, car elle adhérait partiellement aux rumeurs qui circulent dans son village sur la réputation stérilisante de l’usage de méthodes contraceptives médicalisées. Pendant sa grossesse, elle travaille dans des plantations de la côte pour financer les études de ses deux adolescent·e·s. Elle a toujours trouvé important que ses enfants étudient, car elle leur souhaitait une condition sociale meilleure que la sienne. Elle ne voulait pas qu’ils soient pauvre et discriminés comme elle. Comme pour ses deux aîné·e·s, elle tente d’accoucher chez elle de son troisième et dernier enfant, Marcus. Face aux complications présagées par la sage-femme, elle se résigne à faire une césarienne à l’Hôpital public de Huehuetenango, même si elle craint d’y mourir ; les institutions médicales font peur dans sa communauté, car elles sont vécues comme un espace de danger et d’oppression. Il est très rare que des femmes de la génération d’Ana aient si peu d’enfants dans la communauté. Selon plusieurs de ses amies, Ana a pu gagner en liberté, entre autre dans sa gestion reproductive, par le fait qu’elle soit propriétaire de sa maison et de terres cultivables. Elles estiment qu’il est plus difficile de prendre ses propres décisions en résidant chez la famille de son mari, comme c’est l’usage. Ana s’entend relativement bien avec son conjoint, sauf quand il boit et n’assure pas les tâches qui lui reviennent. Il travaille dur, sur leurs terres dès qu’il peut, dans les plantations de la côte quand il faut ramener plus d’argent. Il est sûrement l’un des seuls hommes de la communauté qui utilise des préservatifs comme moyen de contraception avec son épouse, la responsabilité contraceptive incombant le plus souvent aux femmes.

Il soutient également Ana lorsqu’elle exige des autorités communautaires des réparations

ou une protection, pour les femmes violentées qui viennent lui demander de l’aide. Il s’est

d’ailleurs fait passer à tabac plusieurs fois par des hommes de la communauté, qui préfèrent

voir se perpétrer un ordre patriarcal violent : « Tiens ta femme ! » lui a t’on dit. Il faut

dire qu’Ana est une des femmes qui participent le plus activement à la vie politique de

sa communauté, et cela dérange. D’autant que dans l’exil et le refuge, elle s’est formée à

des idéaux révolutionnaires et à l’organisation solidaire entre femmes. Sans spécifiquement

chercher à les transmettre à sa fille Eva, celle-ci s’en est imprégnée. Ana continue de préparer

les tortillas tout en regardant de façon bienveillante et fière Eva qui danse avec sa petite-fille.

(17)

***

Eva a 21 ans. Elle est la première femme diplômée de la communauté. La plupart des

voisines de son âge ne sont même pas allées à l’école, d’autant que les instituteur/rice·s

sont souvent absent·e·s car ils/elles viennent de très loin et sont mal payé·e·s. Eva est elle

même qualifiée en tant qu’institutrice, mais elle a préféré saisir l’opportunité de travailler

comme animatrice et coordinatrice d’activités pour une organisation de femmes. Elle

complète son salaire en fabricant des sucreries qu’elle vend au marché à deux heures de

route. À 16 ans, Eva fréquentait un homme résidant dans le chef-lieu municipal, marié et

père de deux enfants. Afin de ne pas exposer une sexualité active, Eva n’a pas envisagé

de chercher une méthode contraceptive au centre de santé municipal. Elle était consciente

des risques, grâce à la prévention en milieu scolaire, mais surtout par les informations

glanées discrètement dans les paroles d’autres femmes. Elle demandait à son compagnon

de pratiquer le coït interrompu. Elle est malgré tout tombée enceinte. Son compagnon

fut heureux d’apprendre cette grossesse accidentelle et assura qu’il s’occuperait des deux

familles. Puis, il a interdit à Eva de voir ses ami·e·s, de sortir sans sa permission. Elle n'a

pas supporté et lui a déclaré que, dans ces conditions, elle préférait élever seule sa fille. Il

a alors estimé qu’il n’avait pas à assurer la charge économique de l’enfant. Il vit toujours

avec sa famille « officielle » et ne donne rien à Eva. Quand il la croise par hasard, il lui

dit encore aujourd'hui qu'elle ne doit pas faire n'importe quoi, qu'elle doit être une fille

respectable... Au début de sa maternité, elle a fréquenté un autre homme qui lui a proposé

de se marier et de reconnaître l’enfant. Désillusionnée, Eva a décliné cette proposition

comme les suivantes, tout en gardant une sensibilité romantique. Sa fille Mel est née par

césarienne à la clinique de l’ONG Aprofam de Huehuetenango, bien qu’Eva aurait aimé

accoucher chez elle avec l’aide d’une voisine sage-femme. Mel est tombée gravement malade

plusieurs fois, mais le poste de santé de la communauté a toujours été vide de matériel

et de personnel. Une nuit où le risque était vital, Eva a dû se résigner à amener Mel en

urgence à Huehuetenango. Pour payer un homme de la communauté qui les a emmenées

en voiture, ainsi que les frais médicaux, elle a dû emprunter de l’argent, car la somme

dépassait trois mois de son salaire. Le transport est compliqué dans cette communauté de

montagne. Les habitants se sont battus pour qu’un bus passe tous les jours à l’aube, et

ont obtenu cela récemment. À pied, il n’existe qu’un seul moyen d’atteindre rapidement la

route ou la municipalité, après 2h30 de marche sur un chemin réputé très dangereux : il y

aurait des vols, des viols et des assassinats. Eva est souvent amenée à se déplacer, dans le

cadre de ses activités professionnelles. Comme elle est souvent absente ou occupée, c’est

sa mère, Ana, qui s’occupe principalement de Mel. L’économie de toute la famille dépend

des revenus d’Eva. Elle veille seule aux besoins de sa fille et rembourse aussi les frais de

construction de sa petite maison, sur le terrain de sa mère. Quand elle aura terminé, elle

tentera d’économiser pour pouvoir reprendre ses études, tenter d’entrer à l’université. Une

bonne partie de l’argent qu’Eva donne à ses parents est investie pour financer les études

de son petit frère Marcus. Enfin, elle subvient aux besoins de Milky, le fils de son frère

Derek et de sa ‘belle-sœur’ Lena.

(18)

***

Lena est occupée à faire la vaisselle avec Milky entre ses pattes, mais elle regarde amusée Eva et Mel qui dansent. Lena est d’une communauté voisine. Elle n’a jamais reçu d’informations sur la contraception avant de tomber enceinte d’un rapport avec Derek, auquel elle a cédé, ou bien consenti, elle ne sait pas trop. Alors qu’elle avait 13 ans, elle flirtait avec lui à la sortie de l’école, « il a insisté et c’est simplement arrivé ». Le père de Lena a alors exigé des parents de Derek qu’ils prennent chez eux sa fille et le bébé, et qu’ils donnent une somme compensatoire. En anthropologie on appelle ça « le prix de la fiancée » ; les personnels des institutions guatémaltèques appellent ça « acheter/vendre une femme » ; les mam qui le pratiquent ont des dizaines de manières de nommer et de pratiquer cette transaction matérielle, en fonction des différentes situations de mise en concubinage, liées aussi à des paramètres nouveaux d’études, de migrations... Ana et son mari se sont endettés pour donner la somme demandée par le père de Lena. Elle correspondait à la somme qu’il avait dépensée pour sa fille afin qu’elle étudie, ce qu’elle ne pouvait plus faire à présent dans sa nouvelle situation de jeune mère. Lena préférait accoucher dans la communauté avec une sage-femme, malgré les risques liés à son jeune âge. Au delà du confort d’une naissance chez soi et de son prix réduit, elle craignait aussi des maltraitances dans une structure médicale, en répression du fait d’être une jeune fille indigène, tombée enceinte avant ses 15 ans. Peu de temps après la naissance de son bébé, Lena a eu un accident dans un pick-up de transport collectif qui rejoint le chef-lieu municipal où elle allait vendre quelques denrées au marché. Elle a utilisé des béquilles pendant plus de six mois et ne pouvait ni porter son bébé, ni sortir de la maison, car le chemin est trop pentu. Elle ne pouvait donc ni rapporter de l’argent, ni réaliser de travaux domestiques. Cette période a été dure financièrement et physiquement pour la famille, d’autant que Derek, qui avait 17 ans, passait son temps dehors avec ses amis au lieu de travailler avec son père, d’aider à la maison ou de s’occuper de son enfant.

Peu de temps après, Derek a pu réaliser son projet de partir clandestinement aux États- Unis avant ses 18 ans. Il a convaincu ses parents de mettre une partie de leur terrain en hypothèque pour financer son voyage, en les assurant qu’avec ce qu’il gagnera aux États-Unis, il pourrait participer à une bonne part de l’économie familiale. Arrêté par la police migratoire à son arrivée, il s’est endetté auprès d’un co-détenu pour payer sa caution. Mineur, il pouvait rester sur le territoire, mais il fût contraint de dépenser tous ses premiers salaires à rembourser la dette qu’il avait contractée. Lorsqu’il arriva enfin à dégager un peu d’argent, il en conditionna l’envoi à ses parents : il insista pour que son père mette Lena à la porte avec Milky, encore bébé, car il voulait s’en déresponsabiliser.

Ana et Eva refusèrent et continuèrent d’assumer la charge financière de Lena et Milky,

tout en tentant de rembourser l’hypothèque. Un an plus tard, ils apprendront que Derek

a une nouvelle famille aux États-Unis et Lena décidera alors de négocier avec son père

pour retourner vivre dans sa famille avec son enfant.

(19)
(20)

Introduction

L’histoire du Guatemala semble marquée par l’oppression des populations indigènes. En effet, pendant la période coloniale espagnole (1524-1821), ces populations ont été expropriées de leurs terres et leur travail a été intensément exploité au profit du pouvoir colonial. Ces faits se sont poursuivis après l’indépendance (proclamée en 1821). Le Guatemala a été, par la suite, le théâtre d’une violence inouïe menée par l’armée et les paramilitaires envers ces mêmes populations, durant la récente guerre civile (1960-1996)

2

. Les résistances indigènes se sont sou- vent soldées par une forte répression ; l’aspect génocidaire du conflit armé en est probablement l’expression la plus extrême. Tout au long des périodes mentionnées, le pouvoir politique au Guatemala a manifesté un caractère raciste dans ses projets d’organisation sociale, légitimant la soumission des populations indigènes aux intérêts économiques des classes dirigeantes. Or, la condition de cette soumission a été le maintien de cette population dans une position subalterne, par un état de pauvreté et de précarité, mais aussi de contrôle important, parfois violent

3

. La signature des accords de paix en 1996, constituait un enjeu important dans la réduction des in- égalités au sein de la population guatémaltèque, divisée entre Indigènes et Ladinos

4

. Pourtant, aujourd'hui encore, un racisme latent et manifeste imprègne les structures sociales, politiques et économiques du pays, particulièrement hiérarchisées

5

.

Ayant préalablement réalisé un travail de recherche sur les constructions identitaires de Guatémaltèques ladinos de classe aisées en situation migratoire

6

, je me suis intéressée à cette histoire nationale, à ses implications dans le présent, dans la configuration des rapports de pouvoir au Guatemala. Dans un après-conflit censé réconcilier les Guatémaltèques, quelles que soient leurs origines ethniques, et les rassembler en tant que citoyens, il convient d’interroger les ruptures et les permanences dans les formes d’oppression des populations indigènes. Dans le panorama actuel, on constate tout d’abord que les indices de pauvreté les plus élevés sont caractéristiques des zones indigènes du Guatemala. Ensuite, on observe que la population in- digène est fortement encline aux travaux les plus précaires en termes de conditions de travail et de salaires, que ce soit dans l’espace national (travail dans les plantations, dans les mines, travail domestique. . .), ou dans la migration vers les États-Unis. On remarque également que cette même population est fortement touchée par de multiples formes de discrimination et de

2. Selon la Commission pour l’Éclaircissement Historique, mandatée par les Nations Unies, les 36 ans de guerre ont été marqués par 200.000 morts et disparus, 1,5 millions de déplacements forcés, plusieurs milliers de violences sexuelles, des destructions de maisons et de biens : CEH,Guatemala memoria del silencio.

3. Taracena Arriola, Invención criolla, sueño ladino, pesadilla indígena; Adams et Bastos, Las relaciones étnicas en Guatemala, 1944-2000.

4. UnLadino désigne un Guatémaltèque non-indigène, hispanophone et « occidentalisé » Martínez Peláez, La patria del criollo.

5. Casaús Arzú,Guatemala.

6. Dans le carde de mon mémoire de master en anthropologie : Garcia, « “Tanto que no sabes”.

(Re)présentations de soi d’un groupe de Latino-américains en situation migratoire à Toulouse. »

(21)

violence, intrafamiliale, dans l’espace public, dans le travail, au sein des institutions... Mais aussi, on s’aperçoit que de nombreuses résistances s’organisent, notamment à l’initiative des femmes, qui se confrontent pourtant aux conditions de vie les plus violentes et difficiles. Cette résistance est portée par des groupes féministes indigènes, qui conceptualisent leur situation d’oppression par l’imbrication des rapports de pouvoir de genre, de classe, d’ethnicité, et qui œuvrent à la réappropriation de leurs corps

7

.

Imprégnée des luttes féministes françaises, j’ai été surprise de constater que les groupes féministes indigènes mettaient peu en avant les revendications concernant l’accès à la planifica- tion familiale médicalisée. En creusant ce thème, j’ai découvert le lien fort qui pouvait exister entre la question de la gestion reproductive des femmes indigènes et la mémoire du conflit. Ce lien se matérialise assez spécifiquement autour d’une méthode contraceptive : la stérilisation chirurgicale féminine. Dans les rapports produits par les organisations féministes, la stérilisation contrainte apparaît comme l’une des nombreuses formes de violences sexuelles exercées sur le corps des femmes indigènes pendant la guerre

8

. Par ailleurs, d’autres organisations indiquent l’existence actuelle de stérilisations forcées dans une perspective eugéniste, en continuité avec l’entreprise génocidaire des années 1980, ayant touché les populations mayas

9

.

En parcourant les rapports des organismes de financement des programmes de planification familiale médicalisée, j’ai rapidement constaté que ces programmes étaient bel et bien orientés vers la promotion de l’usage massif de méthodes contraceptives durables (implant, stérilet) et définitives, et donc particulièrement de la stérilisation féminine. Ils étaient ciblés en priorité sur la population féminine indigène rurale ayant déjà enfanté.

J’ai alors cherché à connaître l’ampleur réelle de ce phénomène de stérilisation et l’effecti- vité de son caractère ciblé. En 1987, la fécondité des femmes indigènes, de 6,8 enfants, était 36 % supérieure à celle des femmes non-indigènes, de 5 enfants. Six ans après les accords de paix, en 2002, elle était de 64 % supérieure (6,1 enfants chez les femmes indigènes et 3,7 chez les non- Indigènes)

10

. En 2012, au moment de commencer cette recherche, le taux de fécondité était de 4,5 enfants pour les femmes indigènes et de 3,1 pour les femmes non-indigènes

11

. Les pouvoirs publics et organismes internationaux qui financent les programmes d’extension de la contra- ception médicalisée jugent insuffisante cette baisse, pourtant significative, de la fécondité des femmes indigènes. Bien qu’elles soient plus ciblées par les programmes, ces femmes ont toujours une fécondité plus élevée et ont moins recours aux méthodes contraceptives médicales que les autres femmes

12

. Le phénomène de stérilisation chirurgicale n’est finalement effectif que sur un pourcentage assez faible de femmes indigènes en âge reproductif. Dans le panel de contraceptifs médicalisés, on observe qu’elles utilisent principalement l’injection trimestrielle hormonale de Depo-provera. Ce moyen de contraception est jugé marginal dans les pays du Nord, où il est ré- servé uniquement à certaines catégories de population, dans le contexte psychiatrique ou auprès de femmes pauvres immigrées

13

. Tout comme l’implant et le stérilet, utilisés également dans une moindre mesure par les femmes indigènes guatémaltèques, ces méthodes contraceptives scellent l’intervention et la compétence médicale en matière de planification familiale.

7. Falquet,Pax neoliberalia.

8. www.unamg.org/pronunciamiento-final-tribunal-de-conciencia-contra-la-violencia-sexual-hacia-las- mujeres-durante-el

9. Alfredo Embid, « Del control de natalidad al genocidio ».

10. Adams,Etnicidad e igualdad en Guatemala.

11. INE - Institut National de Statistiques, « ENCOVI - Encuesta Nacional de Condiciones de vida 2011 ».

12. Comisión Económica para América Latina y el Caribe, « Salud materno-infantil de pueblos indígenas y afrodescendientes de América Latina ».

13. Bretin, « Marginalité contraceptive et figures du féminin ».

(22)

La stérilisation ne s’avère finalement pas une pratique si diffusée au regard de sa promotion et de sa dénonciation eugéniste. Le secteur médico-social semble toutefois pleinement mobilisé par les programmes, dansune mission de baisse drastique de la fécondité des femmes rurales indigènes. De ce fait, on peut légitimement s’attendre à ce qu’il participe à une construction sociale sexuée et racisée des modalités du gouvernement des corps

14

. Pour en faire le constat précis, il s’agit de décrire comment les dispositifs de santé façonnent des pratiques et des représentations spécifiques de la contraception, de la reproduction et de la sexualité des femmes indigènes. Quels sont alors leurs impacts dans les choix et les trajectoires de vie des femmes ?

Dans les rapports des organismes de financement des programmes de planification fa- miliale médicalisée, les bénéfices espérés des dispositifs proposés sont multiples (émancipation des femmes, préservation environnementale, baisse de l’analphabétisme, baisse de la mortalité materno-infantile. . .), et s’articulent autour d’un objectif principal : la lutte contre la pauvreté.

Or, malgré la baisse continue de la fécondité au fil des ans, les indices nationaux de pauvreté étaient équivalents en 2000 et en 2011. Les taux de pauvreté les plus importants se concentraient toujours dans les départements indigènes de l’Altiplano Occidental

15

, zone pourtant traitée en priorité par les programmes.

Cette région de l’Altiplano Occidental est très riche en ressources naturelles. Elle est habitée en grande majorité par des populations indigènes, réparties de façon éparse, et regroupées selon plusieurs groupes ethnolinguistiques. Elle a été très marquée par la violence durant la guerre, par les massacres, les violences sexuelles, les disparitions, les destructions de bien, l’expropriation et le déplacement forcé vers le Mexique frontalier. Dans cette zone de mémoire vive du conflit, les dispositifs médico-sociaux de santé reproductive se trouvent profondément imprégnés des tensions entre catégories ethniques, sociales et de sexe. Aussi, c’est dans cette région que l’État guatémaltèque a été régulièrement accusé de mener des campagnes de stérilisation forcée des femmes, surtout dans le département de Huehuetenango

16

.

C’est en identifiant un certain nombre d’enjeux autour de la question des stérilisations que j’ai décidé de mener une étude sur la planification familiale dans le département de Hue- huetenango. Je me suis demandée ce qu’impliquait la mise en place de campagnes ciblées de stérilisation dans des communautés où la mémoire de la guerre et du génocide est vive, et où il existe une méfiance importante envers les dispositifs institutionnels. Je me suis rapidement aperçue que se limiter à lire les tensions existantes en opposant les institutions et un groupe Maya homogène était toutefois réducteur. Sur le terrain, j’ai pu distinguer, dans un premier temps, la position des leaders masculins indigènes, qui soupçonnent les institutions d'une volonté eugéniste guidant leurs programmes de santé reproductive. Se sentant investis d'une mission de perpétuation de la culture maya à travers le contrôle reproductif des femmes à un niveau communautaire et familial, ils convoquent parfois le motif génocidaire pour limiter leur accès aux méthodes contraceptives et aux structures de santé. Les femmes persistent le plus sou- vent à s'y rendre, bien qu'elles supportent difficilement les cadres normatifs et contraignants auxquels elles sont confrontées au sein de ces structures. Elles inscrivent les discriminations qu'elles y subissaient dans un « continuum de violences »

17

physiques, verbales, psychologiques, économiques, symboliques, en tant que femmes, indigènes, rurales et pauvres.

En effet, les femmes rurales indigènes rencontrées évoquent un racisme qui s’exprime de manière spécifique et exacerbée envers elles. Leurs conditions de vie sont extrêmement difficiles

14. Bretin,Contraception, quel choix pour quelle vie ?

15. INE - Institut National de Statistiques, « ENCOVI - Encuesta Nacional de Condiciones de vida 2011 ».

16. Taracena Arriola,Etnicidad, estado y nación en Guatemala. 17. Bourgois, « Théoriser la violence en Amérique ».

(23)

et les institutions ne permettent en rien leur amélioration, malgré un mouvement féministe indigène local important, formé autour de nombreuses revendications. Ces femmes ont peu accès à la santé et à l’éducation. Leur précarité est en train de s’accroître, dans un contexte d’exode rural des hommes, mais aussi d’une partie des femmes, en partie dû au manque d’opportunités, à la contamination environnementale et à l’expropriation. De plus, elles sont particulièrement exposées à des violences sexistes, dans les espaces publics et privés, mettant en péril leur intégrité mentale et physique.

Cette précarisation des femmes, assortie de violences multiples, a été théorisée par plusieurs auteures. Certaines montrent que de nombreux crimes perpétrés actuellement contre les femmes au Guatemala, et plus largement en Amérique Centrale et au-delà, touchent spécifiquement les populations les plus pauvres et racisées. Pour ces auteures, ce phénomène de violence exacerbé s’inscrit dans un contexte de mondialisation néolibérale, et participeau prolongement des di- verses violences menées contre les femmes dans d'autres espaces sociaux

18

. Cette continuité entre les espaces se doublerait également d’une continuité historique. En effet, au Guatemala, le taux élevé de féminicides s'inscrirait en continuité avec les violences sexuelles et meurtrières de la guerre, et leur impunité

19

. Ce cas de violence extrême participerait, conjointement à d’autres formes de violences ciblées, à la négation de droits pour les femmes indigènes, dont le droit à disposer de leur propre corps

20

.

Aussi, en examinant plus précisément les politiques d'extension de la planification familiale médicalisée dans le département de Huehuetenango, l’ambition de cette thèse est de décrypter certains enjeux autour de la stérilisation ciblée des femmes indigènes, dans un contexte de post-conflit où se développe un rapport d’appropriation particulièrement violent du corps de ces femmes. Il s’agit de faire apparaître les rapports sociaux entre des femmes indigènes et différents acteurs institutionnels, professionnels, communautaires et familiaux, et leurs impacts sur les trajectoires reproductives, afin de les inscrire dans une configuration plus large de rapports de pouvoir locaux, nationaux et internationaux. J’ai exploré l’encadrement des femmes indigènes par les politiques de planification familiale et cherché à identifier en quoi il est un révélateur des rapports hiérarchiques de genre, d’ethnicité et de classe au Guatemala. À l’intersection de ces nombreux enjeux de pouvoir, comment les femmes indigènes se retrouvent-elles au cœur d'une question reproductive en tension avec laquelle elles doivent composer, pour négocier leur statut de citoyennes ? Comment, finalement, comprendre et envisager les droits reproductifs dans un cadre où les choix des femmes en matière de planification familiale sont classés et hiérarchisés, mais surtout dans un cadre où les conditions d’accès limitées à la santé, à l’information, à la sécurité, à la justice et à d’autres ressources ne permettent pas toujours de garantir les droits ? 1 Carences dans les études sur la planification familiale au Guatemala

Il existe peu d’études poussées en sciences sociales sur la planification familiale au Gua- temala. La question de la contrainte autour des stérilisations, passées et présentes, est parfois mentionnée, mais n’a jamais été étudiée. La sociologue Emma Chirix est la première à explorer profondément le thème de la sexualité chez des populations indigènes guatémaltèques, dans une étude qu’elle publie en 2011

21

. La plupart des études sur les thèmes de la sexualité, de la santé reproductive, de la planification familiale, menées jusqu’à aujourd'hui, sont commanditées par

18. Fregoso et Bejarano,Terrorizing Women; Falquet, « Des assassinats de Ciudad Juárez au phénomène des féminicides ».

19. Sanford,Guatemala : del genocidio al feminicidio. 20. Falquet,Pax neoliberalia.

21. Chirix,Los deseos de nuestro cuerpo = ru rayb’umlal ri qach’akul.

(24)

les pouvoirs publics ou diverses organisations internationales impliquées dans les programmes de développement. Elles ont pour objectif de guider des groupes professionnels dédiés à la santé sexuelle et reproductive à atteindre de meilleurs résultats concernant la santé materno-infantile, le contrôle de la natalité ou la prévention du VIH. Ces études privilégient les données chiffrées, sans réaliser de véritable travail empirique. Il en ressort une vision naturalisée du corps et une conception essentialisée de la sexualité. Témoignant d’une influence positiviste ou malthusienne, ces études sont empreintes d’une vision néo-colonialiste et anti-nataliste. Elles sont imprégnées de préjugés et de jugements de valeurs, préférant mettre en avant les failles des populations en matière de gestion reproductive. Les femmes indigènes y sont présentées comme responsables de la surpopulation et les problèmes liés à la reproduction leur sont toujours attribués. Ces études justifient, de fait, une relation de domination envers des groupes sociaux qui ont été exclus historiquement, par la soumission des corps et de la sexualité des femmes, spécialement les femmes indigènes

22

.

Il était donc nécessaire de mener une étude en sciences sociales depuis une approche différente. La période dans laquelle la présente enquête s’est déroulée (2012-2015) a été parti- culièrement propice, car elle correspondait à un moment à la fois de désengagement de l’État dans de nombreux domaines, dont celui de la santé et de la sûreté pour les femmes, et à la fois d’affirmation d’un intérêt renouvelé des politiques de santé reproductive et de planification familiale envers les femmes, par l’État, mais aussi par les organismes internationaux. Cette recherche menée dans ce contexte permet de faire émerger de nombreux éléments de compré- hension pour penser les rapports des femmes à l’État et aux institutions, à partir de la question reproductive.

2 Anthropologie et santé de la reproduction

Au Guatemala comme ailleurs, les institutions qui prennent en charge la question de la planification familiale, dans une dimension tant éducative qu’appliquée, sont directement rat- tachées à des structures de santé. La sanitarisation de la planification familiale s’est justifiée à travers l’affirmation d’une nécessité de prévention de la souffrance des femmes et de l’ensemble de la société. Ce phénomène correspond à un processus de traduction sanitaire de problèmes sociétaux, conceptualisé par Didier Fassin sous le nom de « sanitarisation du scoial »

23

. Ce processus de sanitarisation s’est opéré sur un plan conceptuel - formulation du problème de planification familiale dans le vocabulaire de la santé publique -, institutionnel - recours des organismes publics et privés à des modes d’intervention spécifiques à la santé publique -, et interactionnel - dans la relation professionnel·le-usagèr·e par exemple

24

. Les pratiques de sa- nitarisation visent à intégrer des populations jugées marginalisées et exclues. Or, comme l’ont montré plusieurs auteur·e·s, dans une société inégalitaire, ces pratiques peuvent aboutir finale- ment à une réification de la marginalisation et de l’exclusion

25

. Aussi, dans la lignée des travaux en anthropologie de la santé, il faut considérer l’aspect politique des problèmes liés à la santé et leur combinaison étroite avec la violence structurelle et les inégalités

26

. Il est alors essentiel d’intégrer la restitution des savoirs, des pratiques et des expériences de planification familiale à une analyse des conditions concrètes d’existence, tout comme des contextes macro-sociétaux qui alimentent les violences structurelles. Il s’agit ainsi de penser la manière dont le poids des

22. Chirix.

23. Fassin, « Entre politiques du vivant et politiques de la vie ».

24. Pelchat, Gagnon, et Thomassin, « Sanitarisation et construction de l’exclusion sociale ».

25. Pelchat, Gagnon, et Thomassin.

26. Farmer et Castro, « Violence structurelle, mondialisation et tuberculose multirésistante ».

(25)

structures et les rapports de pouvoir sont incorporés

27

.

Les réflexions anthropologiques autour de la planification familiale se mêlent à un domaine récent de l’anthropologie, celui de la santé de la reproduction. Les études anthropologiques en santé de la reproduction s’imprègnent à partir des années 1980 du développement de l’anth- ropologie médicale critique, puis de l’anthropologie politique de la santé publique. Ces études arborent un soucis de restitution du cadre social, économique et politque dans lequel s’in- tègre leur objet de recherche. Elles prennent peu à peu en compte l’influence des politiques publiques de gestion des naissances et les conséquences sur la planification familiale des fem- mes

28

. Dès les années 1980, B. Jordan montre comment les naissances s’inscrivent au cœur d’un ensemble de constructions sociales spécifiques, les produisent et les reproduisent, notamment en terme de « savoir d’autorité ». Elle observe alors la manière dont les savoirs sur la nais- sance sont classés, légitimés et délégitimés

29

. D’autres chercheuses montreront aussi comment la bio-médicalisation aspire à s’étendre en cherchant à écarter peu à peu du champ de la santé reproductive les systèmes de santé et de rapport au corps différents

30

.

3 La question reproductive dans les études féministes À propos de la question reproductive, Didier Fassin écrit :

« Phénomène affirmant de la manière la plus indiscutablement naturelle et universelle la division sexuelle des fonctions sociales, il est en même temps le plus culturellement inscrit dans les rapports de domination entre genres qui prévalent dans chaque société : c'est sa condition physiologique de reproductrice qui sert à justifier en grande partie la position qui est réservée à la femme »

31

.

Le travail reproductif, tel qu’il a été nommé et conceptualisé par les études féministes, est loin d’être naturel. Il est organisé socialement, et constitue une part importante de la division sexuelle du travail

32

. Les travaux anthropologiques sur la reproduction permettent de constater la manière dont les enfants naissent au milieu d’arrangements sociaux complexes, à travers lesquels se négocient au fil du temps des modes de propriétés, de positions, de droits et de valeurs. En ce sens, la reproduction et la maternité, dans leurs aspects biologiques et sociaux, sont inextricablement liées à la production de la culture

33

. Les désirs des femmes en matière de contraception et de maternité varient selon de nombreux facteurs sociaux, historiques, politiques et culturels. Or, du point de vue des femmes, la réussite d’un programme de planification familiale se mesure notamment au fait qu'elles aient les enfants qu'elles désirent

34

.

La notion de droits reproductifs, promue par les Nations Unies, reconnaît l’autonomie reproductive des femmes, tant face à l’État qu’au conjoint, ou toute personne extérieure. Il s’agit donc de droits individuels. Pourtant, de nombreuses études montrent l’importance de l’injonction, voire de l’imposition, conjugale mais aussi médicale, dans le choix contraceptif, en

27. Massé, « Les nouveaux défis pour l’anthropologie de la santé ».

28. Jullien, « Du bidonville à l’hôpital ».

29. Jordan,Birth in Four Cultures.

30. Davis-Floyd et Sargent,Childbirth and Authoritative Knowledge. 31. Fassin, « Femmes, travail, maternité ».

32. Tabet,La construction sociale de l’inégalité des sexes.

33. Ginsburg et Rapp, « The Politics of Reproduction » ; Mathieu,L’anatomie politique.

34. Gautier, « Programme de Planification Familiale et Liberté Reproductive Au Yucatan (Mexique) ».

(26)

particulier concernant la stérilisation

35

. Il existe donc des formes de stratifications, qui auto- risent des personnes à jauger de la capacité d’autres personnes à la reproduction et à l’usage contraceptif, en fonction des groupes sociaux, ethniques, sexuels auxquels elles appartiennent

36

. La diffusion de méthodes contraceptives médicalisées peut alors aussi bien se plier aux rhéto- riques de la libération, que du contrôle des corps et de la sexualité des femmes

37

.

En effet, la planification familiale dépend par exemple de manière importante des rapports de pouvoir quant à la gestion des relations sexuelles. Aussi, les rapports hiérarchiques entre les sexes sont tels, qu’avoir des enfants est un bien à gérer dans un échange sexuel et économique qui est désavantageux pour les femmes

38

. La potentialité reproductive de l’homme est quant à elle intouchable. Les enfants et leur planification sont mesurés depuis les femmes, considérées comme les reproductrices biologiques, mais aussi culturelles de la nation. Il existe donc une démarche de responsabilisation collective globale des femmes en tant que groupe des destinées nationales, qui s’appuie sur une démarche de responsabilisation individuelle des femmes sur leurs choix reproductifs. Leur corps devient ainsi un fort enjeu de pouvoir

39

. Comme le montre Colette Guillaumin, la reproduction fait alors partie intégrante des rapports de sexage, qui accaparent le corps des femmes et leur force de travail de manière à la fois privée et collective

40

. Il s’agira donc ici de comprendre comment des mécanismes d'assujettissement des corps féminins indigènes, historiquement et localement situés, fusionnent avec un modèle de développement global, qui masque un renforcement des inégalités.

4 Intersectionnalité et gouvernement des corps

Comme cela peut déjà apparaître à travers les premières lignes de ce manuscrit, mon engagement féministe a largement orienté mes questionnements et mon étude. Loin de constituer un biais pénalisant dans mon travail, ma formation au féminisme, militante et scientifique, a permis d’alimenter ma réflexion sur les multiples rapports de pouvoir. Comprendre les rapports de pouvoir constitue, à mes yeux, une contribution essentielle des sciences sociales à la vie sociale et politique. C’est pourquoi je souhaite inscrire la recherche proposée ici dans le champ des études féministes, à partir d’une approche intersectionnelle. Ma démarche prend en compte l’imbrication de différents rapports de genre, de race, de classe, d’âge, de géographie. . . Cette analyse intersectionnelle sera contextualisée historiquement, politiquement et socialement, afin d’échapper à l’écueil d’un traitement universaliste ou culturaliste. Elle permettra d’observer en quoi l’encadrement de la reproduction des femmes indigènes est à la fois un révélateur des rapports hiérarchiques ethniques, de genre, de classe, au Guatemala et à l’échelle mondiale, et à la fois un vecteur de renforcement de ces rapports.

Au delà de la gestion de la reproduction, la planification familiale concerne la définition des identités de genre et de rapports entre les sexes, les conditions sociales d’exercice de la sexualité, la mobilité sociale et ses limites

41

. La question de la santé reproductive des femmes indigènes n’est pas seulement liée à l’application de dispositifs médicaux, mais aussi à l’application de politiques économiques nationales et internationales colonialistes et capitalistes sur le corps des

35. Gautier, « Les droits reproductifs selon le personnel sanitaire au Yucatan ».

36. Bretin, « Marginalité contraceptive et figures du féminin ».

37. Takeshita, The Global Biopolitics of the IUD.

38. Ribeiro Corossacz,Identité nationale et procréation au Brésil. 39. Yuval-Davis,Gender and Nation.

40. Guillaumin,Sexe, race et pratique du pouvoir.

41. Ribeiro Corossacz,Identité nationale et procréation au Brésil.

(27)

femmes, et d’autant plus lorsqu’elles sont pauvres et racisées

42

. Étudier la manière dont les institutions organisent et gèrent la reproduction peut aider à déterminer comment le racisme, en tant que système d’idées et de pratiques d’exclusion, interfère dans les dimensions nationale et individuelle de la reproduction. La structure triangulaire historique entre race, nation et reproduction place la reproduction humaine comme un champ à l’intérieur duquel se définit la communauté nationale

43

. L’espace de la subjectivité ne permet pas toujours de distinguer des directions politiques évidentes. Toutefois, les milieux médicaux apparaissent dans de nombreuses études comme des espaces où des perspectives de société nationale amènent à façonner et à contraindre les corps et les individus. L’extension de l’emprise des institutions de santé sur le corps des femmes transformealors les modes de régulation de la vie reproductive, des relations familiales, des rapports à la filiation. Cette extension entraîne également une reconfiguration des rapports au pouvoir et des modes de subjectivation de l’expérience, particulièrement de l’expérience corporelle

44

.

Dans la continuité de Foucault, de nombreux/ses auteur·e·s montrent comment les sociétés contemporaines se saisissent du corps, de la vie et du vivant, et en définissent les limites et les usages légitimes. De nouvelles bio-politiques se dessinent, sans surveillance univoque mais par des formes multiples d'intervention étatique et de régulation sociale

45

. Le présent travail relève différents mécanismes de contrôle qui régulent les affiliations citoyennes et bio-politiques. Il s’agit de décrypter des politiques de planification familiale qui classent, organisent et civilisent.

L’édiction de normes procréatives auprès des femmes indigènes, jugées déficientes et vulnérables, s’articule autour d’un idéal d’encadrement et de protection des femmes et des peuples indigènes.

Or, cet encadrement peut justifier des pratiques violentes pour contraindre les résistances des corps et des sujets. Si l’objectif est de s’emparer du corps des femmes pour le mettre au service de la reproduction de la nation, alors le refus d’accorder à ces femmes leur droit à la libre disposition de leur corps les relègue à une citoyenneté de seconde zone. Comment sont donc intriqués, au sein d’un même État, différents statuts et degrés de citoyenneté, pour partie associés à des comportements sexuels et reproductifs prescrits ?

5 Contexte néo-libéral et de post-conflit

Chirix met en évidence une temporalité particulière de post-conflit et de développement néo-libéral au Guatemala, dans laquelle s’inscrivent les démarches de contrôle reproductif des femmes indigènes. Or, le travail de recherche présenté dans ce manuscrit se déroule dans cette temporalité, double mais insécable. Le « post-conflit » guatémaltèque désigne la fin des luttes armées ouvertes, à partir de la signature des accords de paix de 1997. Cette période se caractérise par la reformulation de certaines considérations politiques, culturelles et sociales, parallèlement à diverses constructions mémorielles de la guerre. Toutefois, les formes de continuités dans la violence interrogent la notion de post-conflit. Pour certaines organisations de la société civile, l’avènement des politiques néo-libérales dans ce contexte alimente ce sentiment d’un conflit inachevé. Les mesures de libre-échange entraînent une augmentation de la pauvreté et de la précarité, par exemple par la dépossession de territoires pour des méga-projets agricoles ou extractivistes de multinationales. La mondialisation néo-libérale aggrave les conditions de vie et de santé, notamment des femmes pauvres et racisées, qui sont à la fois privées de services

42. Chirix,Los deseos de nuestro cuerpo = ru rayb’umlal ri qach’akul. 43. Ribeiro Corossacz,Identité nationale et procréation au Brésil.

44. Faya Robles, « De la maternité en milieu populaire à Recife. Enjeux et arrangements entre dispositifs de régulation et expérience sociale. »

45. Fassin et Memmi,Le gouvernement des corps.

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