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mai-juin 2018 page 131
J O U R N É E D U G R O U P E F R A N C O P H O N E D ’ H É P A T O - G A S T R O E N T É R O L O G IE E T N U T R IT IO N P É D IA T R IQ U E S
Léa, quatorze ans, est adressée en consul- tation de nutrition et gastroentérologie pédiatriques de l’hôpital Trousseau pour une hypertriglycéridémie à 7 g/l. C’est une jeune fille en bonne santé, qui mesure 156 cm et pèse 66 kg. Son examen cli- nique est normal. On trouve dans les anté- cédents familiaux un cousin âgé de cinq ans qui a été hospitalisé à deux reprises pour une pancréatite aiguë, liée, selon les parents de Léa, à un problème de lipides (triglycérides > 10 g/l).
La première question devant cette hyper- triglycéridémie (HTG) est de savoir si le prélèvement a bien été fait à jeun. La deuxième est de définir le degré (tableau I) et le type de l’HTG.
Les HTG secondaires sont de loin les plus fréquentes chez l’enfant. Ainsi, dans une cohorte de 300 enfants âgés de deux à dix-neuf ans présentant une HTG, une cause secondaire a été identi- fiée dans les trois quarts des cas [1] . Il faut donc rechercher une étiologie à l’HTG de Léa, en pensant tout d’abord à l’obésité, qui est une cause fréquente de dyslipidémie, comme l’a montré une étude portant sur 384 enfants obèses : 8 % d’entre eux avaient une HTG, 9 % un LDL cholestérol élevé et 13 % un HDL cholestérol abaissé [2] . Chez Léa, le surpoids peut être l’un des facteurs res- ponsables de l’HTG, puisque son indice de masse corporelle est à 27.
La liste des autres causes d’HTG est longue : diabète, lipodystrophie, hypo- thyroïdie, hypercorticisme, glycogénose de type I ou III, syndrome néphrotique, insuffisance rénale chronique, lupus, syndrome d’activation macropha- gique… sans oublier l’alcool et la gros- sesse à l’adolescence.
CHERCHER UNE CAUSE IATROGÈNE
Troisième question : Léa prend-elle des médicaments ? En effet, un traitement antibiotique par amoxicilline-acide cla- vulanique lui a été prescrit récemment pour un abcès dentaire, ainsi que du pa- racétamol pour des céphalées. Léa est également sous traitement par isotréti- noïne depuis quelques semaines pour une acné importante. Si les antibio- tiques et le paracétamol n’ont pas d’im- pact sur le profil lipidique, l’isotréti - noïne en revanche peut augmenter les triglycérides. Effectivement, chez Léa, cela contribue à augmenter son HTG, et l’arrêt du traitement aura un effet, per- mettant une baisse de la triglycéridémie de 7 g/l à 2 g/l.
D’autres médicaments sont susceptibles de provoquer une HTG : les estrogènes, les antipsychotiques, les antidépres- seurs, les corticoïdes et les thiazidiques.
Compte rendu du 3
econgrès ECHANGE (Echange de Consensus Hôpital-Ambulatoire en Nutrition, Gastro-entérologie et hEpatologie) organisé par le Groupe francophone d’hépato-gastroentérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP) en octobre 2017 Rédaction : M. Joras
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts
Hypertriglycéridémie de l’enfant : quelles questions se poser ?
D’après la présentation de J. Lemale, service de nutrition et gastroentérologie pédiatriques, hôpital Armand-Trousseau, Paris
Tableau I
Triglycéridémie: valeurs normales et pathologiques selon l’âge (g/l)* [3]
Age Normale Limite Haute Très haute Sévère 0-9 ans < 0,75 > 0,75 - 0,99 > 1 - 4,99 > 5 - 9,99 > 10 10-19 ans < 0,9 > 0,9 - 1,29 > 1,3 - 4,99 > 5 - 9,99 > 10
* Mesure après 12 h de jeûne ou juste avant un repas chez les petits nourrissons.
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LA NOUVELLE CLASSIFICATION DES DYSLIPIDÉMIES
La découverte d’une HTG impose d’ana- lyser l’ensemble du bilan lipidique.
La classification de Fredrickson est remplacée par une nouvelle classifica- tion distinguant l’hyperchylomicroné- mie et la dysbêtalipoprotéinémie, qui s’accompagnent de taux de triglycé- rides très élevés, et l’hyperlipidémie combinée familiale et l’hypertriglycéri- démie familiale, au cours desquelles l’augmentation des triglycérides est plus modérée (tableau II) .
L’hyperlipidémie combinée familiale (ty- pe IIb) est relativement fréquente puis- qu’elle touche entre 1 et 2 % de la popu- lation. Elle est due à une surproduction de VLDL et d’ApoB100 par le foie et à une diminution de la récupération des acides gras par le tissu adipeux. Son ex- pression est rare chez l’enfant, souvent limitée à une hypercholestérolémie ou à une hypertriglycéridémie isolée, favori- sée par l’obésité. De nombreux variants génétiques ont été identifiés.
L’hypertriglycéridémie familiale (type IV endogène) est très rare chez l’enfant ; elle ne s’exprime qu’après la puberté.
Elle est caractérisée par une augmenta- tion de la production des VLDL et une diminution des HDL secondaires à une anomalie de l’absorption des acides bi- liaires par diminution de leur transpor- teur iléal (SCL10A2).
La dysbêtalipoprotéinémie (type III) est également très rare ; sa prévalence est estimée entre 1/5 000 et 1/10 000. Elle associe une hypercholestérolémie (> 4 g/l) et une HTG (de 4 à 8 g/l). Elle est caractérisée par une accumulation des chylomicrons, des VLDL et des IDL due à une anomalie de la captation et du métabolisme des remnants de chylo- microns. Cliniquement, on observe des xanthomes tendineux et tubéreux ; les xanthomes au niveau des plis palmaires sont pathognomoniques. Chez l’adoles- cent, cette dysbêtalipoprotéinémie peut être favorisée par l’obésité, une hypo- thyroïdie ou la prise d’estrogènes.
CAS CLINIQUE (SUITE)
Les résultats du bilan lipidique de Léa montrent un LDL-C à 1,60 g/l, à la limi- te supérieure de la normale, et un HDL-C à 0,40 g/l, à la limite inférieure de la normale. Il convient dès lors de prescrire un bilan lipidique à ses pa- rents. La mère a un bilan normal
(LDL-C : 1,2 g ; HDL-C : 0,5 g/l, TG : 1 g/l). Le père a, en revanche, une dys- lipidémie (LDL-C : 2 g/l, HDL-C : 0,30 g/l ; TG : 2,40 g/l et taux d’ApoB100 augmenté).
L’hypertriglycéridémie de Léa est donc multifactorielle, due à une probable hy- perlipidémie combinée familiale, au surpoids et à la prise d’isotrétinoïne.
mai-juin 2018 page 132 Tableau II
Nouvelle classification des dyslipidémies
Phénotype Anomalies LP Bilan lipidique I Hyperchylomicronémie Chylomicrons TG > 99
epercentile IIa LDL CT > 90
epercentile
± TG > 90
epercentile selon le type IIb Hypercholestérolémie LDL et VLDL CT et/ou TG > 90
epercentile
familiale selon le type
III Dysbêtalipoprotéinémie VLDL remnants CT et TG > 90
epercentile et chylomicrons
IV Hypertriglycéridémie VLDL TG > 90
epercentile, familiale cholestérol non HDL < 1,6 g/l V Chylomicrons TG > 99
epercentile
et VLDL
Conduite diagnostique devant une hypertriglycéridémie de l’enfant Hypertriglycéridémie (HTG)
– contrôle à jeun – bilan lipidique complet
– bilan des parents
HTG modérée ≥ 2 g/l
Pure
Causes secondaires +++
Mixte LDL > 1,3g/l
Cause primaire (enquête familiale) Rechercher cause secondaire aggravante
HTG familiale (rare chez l’enfant, s’exprime après la
puberté)
Hyperlipidémie combinée familiale
(s’exprime à l’adolescence)
Dysbêta- lipoprotéinémie
(rare)
Séquençage autres gènes Séquençage lipoprotéine
lipase
Ac anti-LPL Hyperchylomicronémie
HTG majeure ≥ 10 g/l
Chylomicrons, TG/CT > 2,5 Pancréatite Identifier la cause de décompensation
ApoB ↑ ApoB ↓
Recherche négative
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mai-juin 2018 page 133 Quant à son cousin, son hypertriglycéri-
démie très élevée et ses antécédents de pancréatite aiguë évoquent une hyper- chylomicronémie, dyslipidémie autoso- mique récessive liée le plus souvent à une mutation de la lipoprotéine lipase.
À FAIRE
첸
Contrôler le dosage sur un deuxième prélèvement réalisé un mois plus tard après 12 h de jeûne.
첸
Eliminer une hyperglycérolémie.
첸
Faire un bilan lipidique complet : l’HTG est-elle isolée ou associée à d’autres anomalies lipidiques ?
첸
Réaliser un bilan lipidique chez les parents.
첸
Réaliser, selon les cas, une électro- phorèse des lipides.
첸
Adresser l’enfant ou l’adolescent à un centre spécialisé si le taux de TG est su- périeur à 10 g/l et en cas d’antécédents de pancréatite aiguë.
첸
Eviter les complications, principale- ment la pancréatite aiguë, qui survient généralement pour des taux très élevés (au-dessus de 10 g/l), mais parfois pour des valeurs plus basses.
À NE PAS FAIRE
첸
Calculer le LDL cholestérol avec la formule de Friedwald lorsque le taux de TG est supérieur à 4 g/l.
첸
Répéter les bilans sanguins.
첸
Mettre en place un régime strict inadap té sans avoir essayé de com- prendre la cause de l’HTG.
첸
Angoisser la famille. L’association entre HTG isolée et risque cardiovascu- laire est débattue : l’HTG seule semble être un facteur de risque indépendant à l’âge adulte et son rôle athérogène est discuté.
LE TRAITEMENT [4]
첸
Dans le cas des HTG secondaires, il convient de traiter la cause, notamment d’arrêter le médicament qui en est à l’origine ou d’équilibrer la pathologie responsable.
첸
Dans le cas de l’hyperlipidémie com- binée familiale, il n’y a pas de traite- ment spécifique chez l’enfant, mais une surveillance régulière devra être mise en œuvre à l’âge adulte.
첸
Dans la dysbêtalipoprotéinémie et
l’hypertriglycéridémie familiale, la prise en charge est essentiellement diété- tique, avec une diminution des sucres simples et des acides gras saturés, des apports en lipides mono-insaturés (hui- le d’olive, de canola, de noisette) et une augmentation des oméga 3 (poisson).
첸
Dans les hypertriglycéridémies primi- tives, le traitement est également avant tout diététique, avec une exclusion à vie des triglycérides à chaîne longue, en fa- vorisant les apports en triglycérides à chaîne moyenne, en acides gras essen- tiels et en vitamines liposolubles. Une activité physique régulière est préconi- sée. Les médicaments comme le fénofi- brate et l’acide nicotinique ne sont pas recommandés chez l’enfant. 첸
Références
[1] DE FERRANTI S.D., CREAN S., COTTER J. et al. : « Hypertri- glyceridemia in a pediatric referral practice : experience with 300 patients », Clin. Pediatr. (Phila.),2011 ; 50 :297-307.
[2] MIMOUN E., AGGOUN Y., POUSSET M. et al. : « Association of arterial stiffness and endothelial dysfunction with metabolic syndrome in obese children », J. Pediatr.,2008 ; 153 :65-70.
[3] « National Cholesterol Education Program (NCEP) : highlights of the report of the expert panel on blood cholesterol levels in children and adolescents », Pediatrics,1992 ; 89 :495-501.
[4] MANLHIOT C., LARSSON P., GUROFSKY R.C. et al. : « Spec- trum and management of hypertriglyceridemia among children in clinical practice », Pediatrics,2009 ; 123 :458-65.
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