M ARION C AREL
Notion d’inférence valide : quelques remarques sur l’enseignement du calcul propositionnel classique
Mathématiques et sciences humaines, tome 130 (1995), p. 43-59
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NOTION
D’INFÉRENCE
VALIDE :QUELQUES REMARQUES
SUR L’ENSEIGNEMENT DU CALCUL PROPOSITIONNELCLASSIQUE
arion CAREL*
RÉSUMÉ -
Il est habituel, pour enseigner la logique aux étudiants littéraires,de faire correspondre
auxnotions logiques (implication,
disjonction...)
des expressions de la langue (si...alors, ou...). Les enseignants espèrent que cette traductionlinguistique
aidera àcomprendre
lesconcepts formels.
Fondé sur une expériencepédagogique,
cet article montrequ’en fait
les expressionslinguistiques
utilisées ne représentent les connecteurslogiques que si elles ont été elles-mêmes déjà comprises à travers le modèle logique. L’auteur explicite les hypothèses linguistiques à faire à propos de si...alors pour que cette expression apparaisse comme une
illustration de l’implication matérielle.
SUMMARY - A few remarks on the teaching of propositional calculus
Teaching logic to litterature students is generaly
supposed
to require connecting the logic concepts (e.g, material implication,disjunction)
to language words (infrench, si...alors, ou). The teacher uses to expect this translation into linguistics helps understand the formal concepts. The present paper is based on teaching experience, andshows that making the linguistic expressions valid equivalents of the logic operators implies the expressions
have been understood within the logic model. The paper sets the linguistic hypothesis necessary for si...alors to
represent
properly
the material implication.INTRODUCTION
Tous les cours d’initiation à la
logique
adressés aux étudiants de Sciences Humainesprésentent
les diverses notions du Calcul
Propositionnel classique (CP)
et du Calcul des Prédicatsclassique
enparallèle
avec des énoncés dulangage
naturel.Ainsi,
on"explique" l’implication
matérielle en l’associant au si...alors de la
langue
et on"explique"
laquantification
universelleen l’associant au mot tous. S’ensuivent alors des exercices où l’on demande aux étudiants de formaliser à leur tour des énoncés du
langage
ordinaire. Et celagénéralement
pour des raisonspédagogiques :
si un étudiant enmathématiques
estcapable (ou
devraitl’être) d’accepter
que les conceptsqu’il
utilise ne soient que formellementdéfinis,
un étudiant en Sciences Humaines nepeut
comprendre
uneapproche purement mathématique,
notamment parcequ’il conçoit
lesmathématiques
avant tout comme l’outil d’une autre démarche.*
Département
de mathématiques de l’UFR dePsychologie,
Université Paris X, 200 avenue de laRépublique,
92000 Nanterre.
Nous voudrions ici
souligner
certaines des difficultés que rencontre une telleprésentation,
si
pédagogique qu’elle puisse paraître.
Non que nous militions pour unenseignement purement
mathématique
de lalogique.
Mais parce quel’interprétation linguistique
nous sembleappeler quelques précautions parfois négligées.
Eneffet,
certainesprésentations
de lasémantique
duCP donnent à
l’interprétation linguistique
le rôle d’illustration : ils’agirait
de montrer, demanifester,
aux étudiants le sens des définitions vérifonctionnelles des connecteurs en leur donnant deséquivalents linguistiques. Or,
derrière cettepratique,
il y a unehypothèse théorique
très
forte,
et selon nous irréaliste : on suppose que le CP est la formalisation naturelle desmots et, ou,
si...alors,
ne... pas,donc,
de lalanguel.
Enfait,
le CP necorrespond
à aucunsentiment
linguistique
immédiat. Cequ’il représente,
c’est lalangue
vue à travers unecertaine théorie
linguistique -
detype gricéen,
comme nous le verrons. C’estpourquoi l’espoir
de fairecomprendre
le CP par desimples équivalences linguistiques
nous semble vain.Selon nous, il faut au contraire mettre en avant le caractère
purement mathématique
du CP etinsister,
moins sur cequi l’apparente
aulangage usuel,
que sur cequi
l’endistingue.
L’interprétation linguistique
pourra alorsjouer pleinement
son rôle : faireapparaître
lepouvoir,
les
contraintes,
et leslimites,
del’usage
desmathématiques
en Sciences Humaines.Nous
présenterons
ces remarques à l’occasion dequelques problèmes
rencontrés lors denotre
enseignement,
ousuggérés
par lui. Plusprécisément,
nous nous limiterons à ceux que soulève la notion d’inférence duCP,
notammentlorsqu’elle prend
pourprémisses
desimplications.
1. IMPLICATION
MATÉRIELLE
ET si...alors :Nous nous proposons de montrer ici
qu’une
foisinterprétées linguistiquement,
lespropriétés qui
définissentl’implication
matérielle nes’imposent
pas pour décrire si...alors.l.l. si...alors est-il un connecteur
linguistique ?
Par
définition,
lesigne d’implication
matérielle est un connecteurlogique.
Apartir
de deuxformules,
il en construit une troisième et laproposition exprimée
par cette dernière esttotalement déterminée par les
propositions qu’expriment
les formules dedépart.
Nousentendons ici par
"proposition"2
un certainobjet, considéré,
en termesfrégéens3,
comme le"sens" d’une
formule,
etauquel
estassocié,
à titre dedénotation,
l’un des éléments d’un ensemble10 ; 1} -
à l’exclusion de l’autre. Dans cetteperspective,
laproposition
conditionnelle p -> q est déterminée par lespropositions
p etq4
et par suite la valeurqui
lui est associée estfonction,
etuniquement fonction,
des valeurs associées à cespropositions.
Admettre que si...alors est
l’équivalent linguistique
del’implication matérielle,
c’est doncsupposer que,
parallèlement,
si...alors est ce que nousappellerons
un connecteurlinguistique :
il doit
permettre,
àpartir
de deux énoncéslinguistiques
A etB,
d’en construire untroisième,
dont le sens est totalement déterminé par ceux des deux
premiers;
deplus,
le sens des énoncés doit êtreassociable,
comme c’est le cas pour lespropositions,
à deux valeurs(que
l’oninterprète, quand
ils’agit d’énoncés,
comme le vrai et lefaux).
C’est là ce que nous supposonslorsque,
décrivant A et B par deuxpropositions
p et q, nous formalisons l’énoncé si A alors B par p -> q.1 Notons que les logiciens ne font pas cette hypothèse : ils utilisent ces mots essentiellement pour faciliter la lecture de leurs formules - cf. l’introduction de Church [56].
2 Cette terminologie est en accord, notamment, avec Kleene [67]
(page
12 de la traductionfrançaise).
3
Cf.
Frege [1892].4 Par abus de langage, nous écrirons p, q, p -> q etc., pour désigner, tantôt les formules exprimant les propositions (plutôt que d’entourer les symboles de guillements), tantôt les propositions elles-mêmes.
Mais une telle
description s’impose-t-elle ?
Peut-on observer que si...alors est un connecteurlinguistique ?
Cela ne semble en tout cas pas être
toujours
évident pour les étudiants. Soit parexemple
àformaliser :
( 1 )
si Pierre amenti,
Jean est alorscoupable
Nous attendons d’eux
qu’ils dégagent
les deux énoncés Pierre a menti et Jean estcoupable
etqu’ils
y reconnaissent deuxpropositions :
cellesexprimées
parp : Pierre a menti
et : .
q : Jean est
coupable
(1)
se formalisant alors : p -> q.Or,
il arrivequ’ils proposent
pour énoncé élémentaire : Pierre amenti,
Jean estcoupable
obtenu, semble-t-il,
parsimple
effacement de si...alors dans(1).
Autrementdit,
ils n’observent pas que l’énoncé(1)
est construit àpartir
des énoncés Pierre a menti et Jean estcoupable.
Et
effectivement,
cetteanalyse
de(1)
nes’impose
pas. Lagrammaire,
parexemple,
propose
d’analyser (1)
en une subordonnée si Pierre a menti et uneprincipale
Jean est alorscoupable.
Sous cetteanalyse, ( 1 )
n’est pas le résultat d’uneopération
interne entre énoncés : si(1)
et laprincipales
sont desénoncés,
la subordonnée si Pierre a menti n’est par contre pas un énoncé. Enfait,
la subordonnée est ici conçue comme uncomplément
circonstanciel et, onpourra le remarquer, elle
partage
avec ces derniers lapropriété syntaxique d’être,
sous certainesconditions, déplaçable -
soit derrière laprincipale,
comme dans Jean estcoupable
si Pierre amenti;
soit à l’intérieur même de laprincipale,
comme dansJean,
si Pierre amenti,
est alors luiaussi
coupable. Ainsi,
de cepoint
de vuesyntaxique,
si...alors n’est pas un connecteur.Par
ailleurs,
admettre que si... alors est un connecteurlinguistique,
c’est supposer que siA,
alors B esttoujours analysable
en deux énoncés A et Binterprétables indépendamment
l’un del’autre. Or tel n’est pas le cas d’un énoncé comme
(2) : (2) si quelqu’un vient,
alorsje
lui ouvrirai Car commentinterpréter
lui ? Un énoncé dutype
de :si Pierre
vient,
alors il apportera des cassettesne
poserait
pas ces difficultés car sonconséquent
a le même sens que Pierre apportera descassettes :
après
instanciation des pronoms, il serait doncinterprétable
isolément. Mais cetteinstanciation n’est pas
possible
dans le cas duconséquent
de(2).
Parexemple,
on nepeut
pasparaphraser
ceconséquent
parj’ouvrirai
àquelqu’un, puisque
la personne àqui
le locuteur ouvrira est, selon(2),
non une personnequelconque,
maisprécisément
celle dontparle
l’énoncéantécédent,
c’est-à-dire cellequi, éventuellement,
viendra.De
plus,
pour que si...alors soit effectivement un connecteurlinguistique,
il faudrait que l’énoncé antécédent et l’énoncéconséquent aient,
non seulement un sens, mais aussi unedénotation.
Or,
leconséquent
de :5 Dans le cas de si Pierre a menti, alors Jean est
coupable,
la principale alors Jean estcoupable
nous semble êtreaussi un énoncé.
s’il fait beau,
alorsallons-y
n’est ni
vrai,
ni faux.Enfin,
mêmequand
l’énoncé en si... alorspeut s’analyser
en deux énoncésinterprétables indépendamment
l’un de l’autre et pourvus d’unedénotation,
un dernier obstacleempêche parfois
de considérer que cetemploi
de si...alors réalise un connecteurlinguistique :
le sens del’énoncé en si...alors n’est pas
toujours
fonction du sens de l’énoncé antécédent et du sens de l’énoncéconséquent.
C’est cequi
seproduit
dans desexemples comme6 :
(3) si
Pierre estintelligent,
alors Jean est ungénie
ou : .
(4) si
tu assoif,
alors il y a de la bière aufrigidaire
En
effet,
le sens de(3)
n’est pas fonction de celui de Pierre estintelligent
et de celui de Jean estun
génie
maisplutôt
de ceux de onpeut
dire que Pierre estintelligent
et on peut dire que Jeanest un
génie. Quant
à(4),
son antécédent est une condition à lapossibilité
discursive d’asserter leconséquent :
ilpermet
d’éviter desréponses
commequ’est-ce
que çapeut me faire ?
Cettefois,
si...alors reliedonc, semble-t-il,
non le sens de tu assoif
à celui de il y a de la bière aufrigidaire,
mais celui de tu assoif à
l’assertion de il y a de la bièreau frigidaire.
On
pourrait
penser éviter ces diverses difficultés enarguant qu’elles
sont soulevées par desemplois marginaux
desi...alors,
voire en fait des réalisationshomonymes
d’autresmorphèmes.
Dans cette
perspective,
onparaphraserait
parexemple (2)
par(2’ ) : (2’) j’ouvrirai à
toutes les personnesqui
viendrontet on
distinguerait
alors deux familles d’énoncéssi A,
alors B : ceuxqui,
comme(1),
seraientle résultat de
l’opération
d’un connecteurlinguistique
sur A etB;
et ceuxqui,
comme(2),
seraient en fait des reformulations d’énoncés
généraux,
tels que(2’),
formalisables seulementen Calcul des Prédicats. Sous cette
hypothèse, si
Pierrevient,
il apportera des cassettes seraitsemblable,
nonplus
à(2),
mais à(1).
Mais une telle distinction nes’impose
pas dupoint
devue de la
langue.
Enparticulier,
ramenerl’analyse
de(2)
à(2’),
et nonl’inverse,
n’estqu’une conséquence
del’impossibilité qu’il
y a àinterpréter
leconséquent
de(2) indépendamment
del’antécédent de
(2).
Defaçon générale, distinguer
diversemplois
de si...alors ne seraitjamais qu’un
coup de forcethéorique,
dû à cette volontépédagogique
de voir dans si...alors unopérateur
de même nature quel’implication
matérielle. Onpourrait
aussi bien abandonnerl’hypothèse
que le si...alors de lalangue
est un connecteurlinguistique
et lui attribuerplutôt
unefonction
susceptible
de rendrecompte
de ces diversemplois.
L’observation de lalangue, qui
était censée manifester aux étudiants la
signification
del’implication matérielle,
mènerait alorsau contraire à opposer les
propriétés
de si...alors et del’implication.
1.2. Valeurs de vérité des énoncés en si...alors :
Une fois
posé
quel’implication
matérielle est un connecteurlogique,
nous achevons sacaractérisation en
explicitant
par une tablel’opération qui,
àpartir
des valeurs despropositions
antécédente et
conséquente, permet
de calculer la valeur de laproposition
conditionnelle : cette dernière neprend
la valeur 0 que dans un seul cas,lorsque
son antécédentprend
la valeur 1 et sonconséquent
la valeur 0.Ainsi,
supposer que si...alors estl’équivalent linguistique
del’implication matérielle,
c’est admettre que les énoncéscomportant
si...alors nepeuvent
être faux que dans un seul cas :lorsque
l’antécédent est vrai et leconséquent
faux. Ce que lesétudiants,
avec une constanceremarquable,
contestent. Selon eux, il existe un autre cas où les6 Nous reprenons ces exemples et leurs analyses à Ducrot [72], pp.175-179.
énoncés en si...alors sont faux :
lorsque
l’antécédent est faux et leconséquent
vrai. Autrementdit,
même dans les cas où il serait vraisemblable d’admettre que si...alors est un connecteurlinguistique,
il ne semble pas évidemment observable que la dénotation de ces énoncés soit celle queprévoit
la table del’implication
matérielle.D’où
provient
cette résistance des étudiants à associer à si...alors la fonction de vérité del’implication
matérielle ?D’abord,
de la similitude des contrefactuels avec ces cas où l’antécédent de si...alors est faux. Pour montrerqu’un
énoncé en si...alors à antécédent faux etconséquent
vrai serait à son tourfaux,
il n’est ainsi pas rare que les étudiantsproposent
des contrefactuels comme :si les chats
volaient,
ilsn’auraient pas
d’aileQu’est-ce qui
nous autorise àrejeter
de telsexemples ?
Comparons :
(5) si
Pierre est venu, alors Jean estparti (6)
si Pierre était venu, alors Jeanserait parti
En admettant
qu’il
y ait un sens à attribuer à(6)
une valeur de vérité(alors
que(6)
estinfalsifiable)
on notera que cette valeur de vérité nedépend
pasuniquement
des valeurs attribuées aux constituants de(6).
D’où onpeut
conclurequ’aucun
connecteurlogique
nepeut
formaliser en CP cetype d’emploi
de si...alors. Maispourquoi
ne pas aussirejeter (5) ? Ainsi,
on
pourrait,
à la suite de Ducrot dans Dire et ne pasdire,
décrire(5)
et(6)
comme réalisant tousles
deux, grâce
à leuremploi
desi...alors,
les actes suivants :.
d’abord,
celui de demander à l’auditeurd’imaginer
que Pierre est venu, cela sansréférence à la situation réelle
.
puis ensuite,
d’affirmer dans ce cadre que Jean estparti.
(5)
et(6)
sedistingueraient alors,
non par lemorphème
que leursemplois
de si...alorsréalisent,
mais en cela seulement que(6) présupposerait
deplus
que Pierre n’est pas venu. Enfait,
si l’on opposel’emploi
conditionnel àl’emploi
contrefactuel desi...alors,
c’est parce que l’on supposeau
départ
que(5)
est formalisable par uneimplication
matérielle etqu’ainsi,
enparticulier,
onaccepte
de lui attribuer une valeurquand
son antécédent est faux. Or c’est là unehypothèse
fortecar
quiconque
saurait que Pierre n’est pas venu n’asserterait pas(5).
Pour ne pas conclure de là que(5)
est fauxlorsque
son antécédent estfaux,
il faut supposer que des raisons discursivesgénérales,
et non pas des raisons de contenu,empêchent,
dans ce cas, d’asserter(5).
Cequi,
ensoi,
nes’impose
pas.Ainsi,
ce n’est pas un fait observable que(5)
est vrailorsque
son antécédent est faux et sonconséquent
vrai : que(5)
admette une formalisationimplicative,
et que(6)
reflètequant
à luil’emploi
d’un autremorphème,
ce n’est pas une donnée.Par
ailleurs,
si les étudiants refusent d’attribuer à si...alors la fonction de vérité del’implication matérielle,
c’estpeut-être
aussiqu’en langue,
l’énoncé isolé siA,
alors B ne reflètepas aussi clairement que le suppose le
parallèle
avecl’implication matérielle, l’opposition
dunécessaire et du suffisant. Il nous semble en effet tout à fait
remarquable
que la table queproposent
les étudiants pour si... alors estprécisément
celle que nous attribuons àl’équivalence.
Est-ce un hasard ? En tout cas, comme nous le
signalions,
c’est avec constancequ’ils proposent
cette
table,
et avec la même constancequ’ils explicitent
des énoncés comme :Pierre est étudiant si Marie est étudiante
Pierre est étudiant seulement si Marie est étudiante
sous la même forme :
si Marie est
étudiante,
alors Pierre est étudiant et si Marie n’est pasétudiante,
alorsPierre
n’est pas
étudiantAinsi,
non seulement il n’est pas observable que si... alors estl’équivalent linguistique
del’implication matérielle,
mais il serait même défendable derejeter
ceparallèle,
le si...alors de lalangue
nedistinguant
pas nettement le nécessaire du suffisant - ce quel’implication matérielle,
par sa non
commutativité,
oppose au contraire très clairement. Demême,
à la différence del’implication matérielle,
si...alors nesupporte
pastoujours
bien lacontraposition. Ainsi,
l’énoncé :
si Pierre
vient,
alors on va au cinémane
peut
se transformer en :si on ne va pas au
cinéma,
alors Pierre ne vient pas A cause del’aspect temporel,
on formeraitplutôt :
si on ne va pas au
cinéma,
alors ce sera parce que Pierre n’est pas venuComment,
dans cesconditions,
l’observation des énoncés en si... alorspourrait-elle
aider lesétudiants à
comprendre
cequ’est l’implication
matérielle ? 1.3. si...alors et donc :De
même,
le CP oppose radicalement(aussi
bien au niveausémantique
quesyntaxique) l’implication
matérielle etl’inférence 7
et, pour fairecomprendre
aux étudiants cetteopposition,
on a
parfois
à nouveau recours à lalangue :
ils’agirait
de l’assimiler à cequi
oppose, enlangue,
si...alors et donc. Soit ainsi à formaliser en CP le discours :
Si Pierre a
menti,
alors Jean estcoupable.
Or Pierre a menti. Donc Jean estcoupable.
Nous attendons des étudiants
qu’ils l’analysent
en deuxprémisses : (Pl) Si
Pierre amenti,
alors Jean estcoupable
(P2)
Pierre a mentiet une conclusion :
(C)
Jean estcoupable
Puis
qu’ils
considèrent lespropositions :
p : Pierre a menti q : Jean est
coupable
et
représentent
le sens desprémisses
et de la conclusion en fonction de p, q et des connecteurs etopérateurs
du CP :7 Dans cet article, nous entendrons par "inférence" ce qui, pour les logiciens, correspond à la définition
sémantique de la notion de déduction.
(Pl)p->q (P2) p (C) q
Ce
qui
n’est pas sans leur poser des difficultés. Parexemple,
certains étudiants nedistinguent
pas lesprémisses
des énoncés élémentaires(c’est-à-dire
des énoncés choisis commebase
sémantique
et par suite formalisés par des formulesatomiques)
et ainsi testent la validité de l’inférence en montrant, non pas que[(Pl) &8 (P2)
->(C)]
est unetautologie,
mais en évaluant[p
& q ->q]. D’autres, confondant, semble-t-il,
si... alors etdonc,
neparaissent
mêmeplus capables
derepérer
la conclusion d’un discours etaffirment,
parexemple,
que la conclusion dans le texte :Si Marie vient le Mardi
Gras,
Pierrefera
descrêpes.
Or si Pierrefait
descrêpes,
ilachètera du lait. Mais Marie viendra un autre
jour,
donc Pierre n’achètera pas de lait.est : .
Marie viendra un autre
jour
donc Pierre n’achètera pas de lait"énoncé"
qu’ils
formalisent ensuite par uneimplication.
La démarche que nous attendons d’eux semble ainsicomporter
desprésupposés qui
ne vont pas de soi.Quels
sont-ils donc ?En
premier lieu,
cetteapproche
suppose uneopposition
radicale entre si...alors d’unepart,
or et donc d’autre
part. Ainsi,
tandis que si...alors estsupposé permettre
de constituer unobjet
du même
type
que, parexemple,
Pierre amenti,
or et donc sontsupposés
structurer un autretype d’objet.
Nous dirons que :si Pierre a
menti,
alors Jean estcoupable
est un
énoncé,
tandis que :Si Pierre a
menti,
alors Jean estcoupable.
Or Pierre a menti. Donc Jean estcoupable.
est un discours. Plus
précisément,
nousparlerons
ici de discours inférentiel.Enfin, lorsque
nous souhaiterons laisser indéterminé le statut d’une certainesuite,
nousparlerons
detexte.
Comment
justifier
aux étudiants que l’on établisse une différence de nature entre énoncéset
discours,
c’est-à-direqu’on
fassel’hypothèse linguistique qu’il s’agit
de deuxobjets
fondamentalement différents ?
Une
première
solution consisterait à constater que lesobjets
que nous avonsappelés
"énoncés"
(par exemple
lesprémisses
et laconclusion)
sont les réalisations dephrases grammaticales,
c’est-à-dire deproduits
de lasyntaxe.
Pour montrer que les discours inférentielsne sont pas de même nature que les
énoncés,
il suffirait alors de constaterqu’aucun produit
dela
syntaxe
ne leur est associé. On remarqueracependant
que, pour démonstratif que celasoit,
on se contenterait finalement ici de repousser le
problème
au niveau de lasyntaxe :
carpourquoi
la
syntaxe
n’associerait-elle aucunephrase
à :Pierre a mentc’ donc Jean est
coupable
alors
qu’elle
enassocie,
parexemple,
une à :puisque
Pierre amenti,
Jean estcoupable
8 Nous notons "&" le connecteur k1 du CP.
C’est
pourquoi
il nous sembleplus
intéressantd’opposer
les énoncés et les discoursinférentiels,
nonplus grammaticalement,
maissémantiquement.
Par extension del’usage
quenous avons fait
jusqu’à présent
de ce terme, nousappellerons
"énoncé" un textequi exprime
une
proposition exprimable
aussi par une formule du CP et nous montreronsqu’à
la différencede ses
prémisses
et de saconclusion,
un texte articulé par doncn’exprime
pas uneproposition.
Considérons en effet le texte :
(T1)
Pierre a menti donc Jean estcoupable
Si c’était un énoncé
complexe,
construit àpartir
des énoncés Pierre a menti et Jean estcoupable,
donc serait un connecteur
linguistique
et il devrait êtrepossible
d’attribuer à(Tl)
une valeur devérité,
fonction des valeurs de vérité despropositions
p et qexprimées
par lessegments :
Pierre a menti
et : .
Jean est
coupable
de
(Tl).
Maisquelle
serait cette fonction ?Quel
connecteurlogique
doncinterprèterait-il ?
On
pourrait
d’abord penser àreprésenter
donc par &(en s’inspirant
de la traduction de mais et depourtant
par&,
souvent admise par leslogiciens).
Dans ce cas,(T 1 )
serait formalisé par :p&q
Cependant,
les étudiantsremarquent
facilement que : il y a des pommes et il y a despoires
ne décrit pas les mêmes situations que :
il y a des pommes donc il y a des
poires
D’autre
part,
on nepeut
pasdavantage
formaliser donc par la formule :car cette formule est
logiquement équivalente
à :De
plus,
sous cette secondeformalisation, (Tl)
aurait les mêmes conditions de vérité que :(T 2)
Pierre a menti et si Pierre amenti,
alors Jean estcoupable.
Donc Jean estcoupable.
car
(’T2),
dans cetesprit, correspondrait
à la formule :Or,
cetteexpression
estlogiquement équivalente
à celle que cetype
de formalisation attribuerait à(Tl) :
Conséquence
insatisfaisantepuisque
l’onreprésenterait
donc par deux formuleséquivalentes,
des textes dont l’un seul
(à
savoir(T2))
est senti comme inférentiellementcomplet
Ces difficultés
notées,
on peut alors montrerqu’on
les évite en considérant que(Tl)
et(T2)
sont des
discours,
et non pas des énoncés.En
effet,
ilsuffira, ayant
formalisé les énoncés par des formules duCP,
de formaliser le discours inférentiel par un autretype d’objets. Ainsi,
nous pouvons choisir de formaliserchaque
discours inférentiel par untriplet
constitué de :. ce
qui
argumente, c’est-à-dire l’ensemble des formules formalisant lesprémisses
. ce
qui
estconclu,
c’est-à-dire la formule formalisant la conclusion. un
signe
d’inférencesignifiant,
pardéfinition,
que dans toutes les situations où cequi
argumente
est le cas, cequi
est conclu est vrai.Ce
signe
formaliserait donc.Ainsi,
tandis que les connecteurs, si...alors parexemple, permettent
de construire de nouveauxénoncés,
or et donc structurent etqualifient
le discours :.or, en
regroupant
lesprémisses, indiqueque
c’estensemble,
et nonséparément9, qu’elles
mènent à la conclusion
. donc
sépare
l’ensemble desprémisses
de la conclusion etdissymétrise
le discours enposant
que la vérité despremières oblige
à admettre la seconde.C’est de cet élément de sens
apporté
par donc quedépendra
la correction du discoursinférentiel, la possibilité linguistique
d’utiliser donc.Qualifiant
le discours danslequel
donc estinséré,
cet élément de sens introduitl’aspect général, tautologique,
quel’approche
en formulescomplexes
nepermettait
pasd’exprimer.
Eneffet, lorsque
nous avons tenté de décrire donccomme un connecteur
linguistique,
nouspouvions
seulement dire que doncprésente
commevraie une certaine
implication.
Maintenant que donc estsupposé qualifier
lediscours,
nouspouvons dire
qu’il présente
cetteimplication (dont
l’antécédent est laconjonction
desprémisses
et le
conséquent
laconlusion)
commetautologique.
Le discours inférentiel sera correct si etseulement si tel est le cas.
Cependant,
le fait que cet élément de sens fassetoujours
référence à une certaineimplication,
c’est-à-dire à une notiondissymétrique,
conduit à la difficulté suivante.Considérons le discours inférentiel :
(T3) il a plu :
le sol doit donc être mouilléet
comparons-le
au discours inférentiel :(T4)
le sol est mouillé : il doit donc avoirplu
A cause de la
dissymétrie
del’implication, l’approche précédente
conduit à radicalement opposer ces deux discours alorsqu’il
semblequ’en
lescomplétant
par la mêmeprémisse :
le sol est mouillé
quand
ilpleut
il est
possible
de lesinterpréter
enlangue
comme deux discours inférentiels corrects.L’approche
de donc que nous proposons aux étudiants ne rend ainsi pascompte
de tous sesemplois
enlangue.
On favorise les cas où :9 On
pourrait
ici opposer or à d’ailleurs et noter quel’emploi
de or est difficile alors que d’ailleurs estpossible
dans : .
Pierre a menti et si Pierre a menti, alors Jean est
coupable.
Or Marie a dit la vérité et si Marie a dit la vérité, alors Jean estcoupable.
Donc Jean estcoupable.
(discours inférentiel dont les deux prémisses conduisent
séparément
à la conclusion).le sol est mouillé
quand
ilpleut
est
interprété
comme :la
pluie
est cause de l’humidité du solplutôt
que :l’humidité du sol est
signe
depluie
Ce
qu’il
faudraitpeut-être
mettre enparallèle
avec la difficultéqu’on
a à fairecomprendre
quel’implication
matérielle ne décrit pas unrapport
causeJeffet.Résumons notre démarche. Il
s’agissait
de nousjustifier
d’attribuer à si...alors et de refuser à donc le caractère de connecteurlinguistique.
Pour lefaire,
nous avons utilisé le CP.Sans les contraintes du
CP, l’opposition
de nature entre si...alors et donc nes’imposerait
pas :aucun sentiment
linguistique
immédiat nepermet
de l’observer.Ainsi,
defaçon générale,
le CPn’est en rien la formalisation naturelle de
si...alors, donc,
et, ou, ne...pas.L’application
decet outil à
l’analyse
de lalangue
repose sur deshypothèses linguistiques, indépendantes
du CP.Or,
si certains étudiants n’arrivent pas à formaliser lalangue,
c’est enparticulier
parce que,précisément,
ils neperçoivent
pas ceshypothèses,
ou,quand
ils lesperçoivent,
parcequ’ils
n’en
comprennent
pas le statut etprennent
pour un défaut de lalogique,
voire desmathématiques
engénéral,
cequi
est en fait une difficulté de certaines démarcheslinguistiques.
C’est
pourquoi
il nous sembleimportant
de mettre en évidence ceshypothèses.
Deplus, dégager
ainsi cequ’il
faut nécessairement supposer pour associer une formule du CP et unénoncé de la
langue, permet
de montrer que le CP estcontraignant
et, par làmême, signifiant :
ce n’est pas un
simple tableau,
malcommode aux yeux desétudiants,
de lalangue.
2. CP ET DISCOURS
INFÉRENTIELS :
UNE APPROCHEGRICÉENNE
DU SENSPlus
précisément,
si le CPpeut représenter
lalangue,
ils’agit
de lalangue
vue à travers unethéorie du sens de
type gricéen.
Nous le montrerons surl’exemple
de l’inférence.En
effet,
soitle
discours :(T5) Si
Pierre amenti,
alors Jean est innocent. Or Pierre n’a pas menti. Donc Jean n’est pas innocent.de
prémisses :
1(P1) Si
Pierre amenti,
alors Jean est innocent(P2)
Pierre n’a pas menti et de conclusion :(C)
Jean n’est pas innocent Posons enfin :p : Pierre a menti q : Jean est innocent
Pour formaliser
(T5),
il faut d’abord déterminer si(P1) réalise,
ou non, unemploi
conditionnel de si... alors. Cettequestion
est ici d’autantplus
crucialequ’une
formalisationimplicative
de(Pl)
conduit àrejeter (T5)
à cause, enparticulier,
del’opposition
fondamentale que fait lalogique
entre condition nécessaire et condition suffisante. Eneffet, (T5)
est alors associé à uneinférence de
prémisses
p -> q et non-p et de conclusion non-q : en vertu de la définitionlogique
de la
validité,
une telle inférence n’est paslogiquement
valide. Mais les étudiants ontplutôt
tendance à faire le mouvement inverse : admettant
(T5),
ilspersistent
àjuger
correcte l’inférenceprécédente,
cequi
les amène à conclure sans états d’âme de p -> q à non-p -> non-q.L’origine
de ce malentendu
classique,
et très difficile àcorriger,
est, selon nous, une confusion entre uneinférence
logique
et un discoursinférentiel,
tenu enlangue
naturelle. Force est de constater que le discoursquotidien,
à la différence de lalogique, peut
ne pas marquerl’opposition
entrecondition nécessaire et condition suffisante.
Ainsi,
des énoncés commeje
leferai
sije
veux ou- si tu manges ta soupe, alors tu auras du dessert
communiquent,
non seulement lesimplications
habituellement associées à
l’emploi
conditionnel desi...alors,
mais aussi leursimplications réciproques -
ou,plus précisément,
lescontraposées si je
ne veux pas lefaire,
alorsje
ne leferai
pas et si tu ne manges pas ta soupe, alors tu n’auras pas de dessert de cesimplications réciproques.
Onpeut
bien sûr décider autoritairement que cesemplois
de si...alors sont déviants et que les étudiants ont tort d’admettre(T5).
Mais cette décision est un coup de forcequi
nie la cohérence propre à lalangue. Que
lalogique
ait une incontestablecapacité
à saisircertains
phénomènes linguistiques,
cela n’autorise pas àembrigader
apriori
ces derniers dans leurtranscription logique
habituelle. Nous croyonspréférable
d’admettre à la fois que le discours(T5)
estacceptable
enlangue
et que la formalisation de(Pl)
au moyen del’implication
est néanmoinsjustifiable. Quel
statut faut-il alors donner à cettereprésentation implicative ?
Ou encore quepermet-elle
effectivement de conclure ? Pourrépondre
à cesquestions,
il nous semble inévitabled’opposer
cequi
est dit et cequi
est sous-entendu. Ainsi seulement on pourra admettre que(Pl) communique
les deux éléments de sens p -> q et nonp -> nonq tout en donnant un statutprivilégié
à p -> q(à
savoir celui d’être dit alors que nonp -> nonq sera ici unsous-entendu).
Ainsiseulement,
on pourradistinguer, parmi
lesdiscours
inférentiels,
ceuxqui
sontlogiquement valides,
en ce sensqu’ils
se fondentuniquement
sur cequi
estdit,
et ceuxqui
sontlinguistiquement
corrects, en ce sensqu’ils
sefondent aussi sur ce
qui
est sous-entendu. C’estlà,
selon nous,l’ancrage théorique profond
denos formalisations. Et c’est là nous donner enfin une chance d’amener les étudiants à
distinguer
condition nécessaire et condition suffisante. Mais il faut pour cela définir ces notions de "dit" et
de "sous-entendu" : nous
reprendrons
librement la démarchegénérale
de Grice tellequ’elle
estprésentée
dansRécanati[79].
On commencera d’abord par convenir que la
langue porte
enelle-même, indépendamment
de toute
énonciation,
de tout recours au contexte culturel et de toutappel
aux situationsrespectives
du locuteur et de soninterlocuteur,
un certain nombre de conventions reliant lesphrases produites
par lasyntaxe
à des formules du Calcul des Prédicats. Ces formules seront ditesexprimer
lasignification profonde
desphrases auxquelles
elles sontconventionnellement attachées.
Ainsi,
lasignification profonde
dej’ai mangé,
seraexprimée
par :
à un instant
précédant
celui de sonénonciation,
le locuteur d’un énoncé de cettephrase
amangélo
On notera que cette formule
comporte
des variables libres : pourinterpréter
un énoncéj’ai mangé,
il faut encore déterminer le locuteur et l’instant de son énonciation. En instanciant cesvariables,
on obtient une nouvelleformule,
éventuellementexprimable
en CP : c’est ellequi
sera dite
exprimer
cequi
est dit par l’énoncé. Il est donc nécessaire de faireappel
au contextepour déterminer ce
qui
est dit par un énoncé : et cela en un sensfort,
comme le montrel’exemple
suivant.Soit à formaliser :
io En toute rigueur, nous aurions dû écrire ici la formule du Calcul des Prédicats supposée correspondre à cet
énoncé pseudo-français.