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Haut-Katanga, tome 1 (pdf - 21 MB)

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Joris Krawczyk

Mohamed Laghmouch Pierre Kalenga Ngoy

Médard Kayamba Badie Jean Omasombo Tshonda

Sous la direction de Jean Omasombo Tshonda

République démocratique du Congo

HAUT-KATANGA

Tome 1 Cadre naturel, peuplement et politique

Lorsque richesses économiques et pouvoirs

politiques forcent une identité régionale

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HAUT-KATANGA

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La série de publications dont cet ouvrage est le onzième est dédiée à la mémoire de Benoît Verhaegen. Arrivé au Congo au moment de la décolonisation, il anima pendant près de trente ans de carrière diverses structures de recherche et d’enseignement. Promoteur de la démarche de « l’Histoire immédiate », il a, par ses écrits, par sa parole, par ses enseignements, joué un rôle majeur dans les études sociales congolaises.

Nous nous souvenons avec émotion et respect de l’homme et du maître.

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HAUT-KATANGA

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La présente étude, issue du projet « Provinces », soutenu financièrement par la DGD et coordonné par le service Histoire et Politique du Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), est le fruit d’une collaboration entre chercheurs des diverses sections de cette institution, chercheurs des instituts partenaires congolais (CEP, CERDAC et CRGM), qui se sont réparti le territoire de la République démocratique du Congo RDC), et cher- cheurs identifiés à l’intérieur de chaque (qu’il s’agisse des actuels « districts » ou, pour quelques-unes de ces entités, déjà de « provinces », qui attendent d’accéder au statut de province, comme le prévoit la Constitution de la RDC promulguée le 18 février 2006).

LE CEP

Le Centre d’études politiques (CEP), (re)créé en 1999 à l’Université de Kinshasa, rassemble des chercheurs/

enseignants relevant de diverses disciplines des sciences sociales ayant le politique pour champ d’études. Ses activités couvrent quatre domaines, la recherche, la formation, la documentation et la publication, ayant tous pour principal sujet la RDC.

LE CERDAC

Le Centre d’études et de recherches documentaires sur l’Afrique centrale (CERDAC) de l’Université de Lubumbashi poursuit les buts suivants : promouvoir des recherches coordonnées sur l’héritage du passé des peuples d’Afrique centrale et collationner la documentation nécessaire et utile à cette fin.

LE CRGM

Le Centre de recherches géologiques et minières de la RDC (CRGM) est un service public fonctionnant sous la tutelle du ministère de la Recherche scientifique. Il a été créé par ordonnance-loi n° 82/040 du 5 novembre 1982 en remplacement du Service géologique du ministère des Mines. Sa mission principale est de promou- voir, exécuter et coordonner des travaux de recherche scientifique et des études diverses dans le domaine des géosciences. La cartographie géologique, l’inventaire et l’étude métallogénique des ressources minérales, l’étude des risques naturels d’origine géologique, l’expertise des substances minérales et la constitution des bases de données géologiques figurent parmi ses tâches essentielles.

LE MRAC

Le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), l’un des dix établissements scientifiques fédéraux que compte la Belgique, abrite des collections tout à fait remarquables (objets ethnographiques en provenance d’Afrique cen- trale, archives complètes de Stanley, photothèque et filmothèque, cartes et données géologiques, collection de zoologie de millions de spécimens, xylothèque tropicale). En tant qu’institut de recherche scientifique consa- cré à l’Afrique, il occupe une place importante sur la scène internationale dans les domaines de l’anthropologie culturelle, de la zoologie, de la géologie, de l’histoire et de l’économie agricole et forestière.

Le service Histoire et Politique (qui a intégré l’ancienne section d’Histoire du Temps présent, coordinatrice du projet « Provinces ») est l’un des services du Musée royal de l’Afrique centrale. Cette section était née de l’intégration au musée de l’Institut africain, créé en 1992, qui avait alors absorbé le Centre d’étude et de docu- mentation africaine (1971). Elle poursuit une double mission de documentation et de recherche. Ses activités sont axées sur l’ancienne Afrique belge et particulièrement le Congo/Kinshasa.

www.africamuseum.be

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Sous la direction de Jean Omasombo Tshonda

République démocratique du Congo

Lorsque les richesses économiques et pouvoirs politiques

forcent une identité régionale

Tome 1 : cadre naturel, peuplement et politique

HAUT-KATANGA

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Ce volume comporte deux tomes qui ne peuvent être vendus séparément et présentent le même référencement.

Dépôt légal : D/2018/0254/01 ISBN : 978-9-4926-6907-0

Relecture : Marcel Wunga et Edwine Simons.

Mise en page : Fabienne Richard (Quadrato) Imprimé par : Snel Grafics

© Musée royal de l’Afrique centrale, 2018 Leuvensesteenweg 13

B-3080 Tervuren www.africamuseum.be

Tous droits de reproduction, par quelque procédé que ce soit, d’adaptation ou de traduction, réservés pour tous pays. Toute reproduction (même partielle), autre qu’à usage pédagogique et éducatif sans fin commerciale, de cet ouvrage est strictement interdite sans l’autorisation écrite préalable du service des Publications, Musée royal de l’Afrique centrale, 13, Leuvensesteenweg, 3080 Tervuren (Belgique).

Une version en ligne de cet ouvrage est gratuitement consultable sur le site du musée : http://www.africamuseum.be/research/publications/rmca/online/

Coordinateur du projet « Provinces »

Jean Omasombo Tshonda, chercheur au service Histoire et Politique, MRAC, professeur à l’Université de Kinshasa (RDC).

Auteurs du tome 1

Ce tome est le fruit de la collaboration entre les chercheurs de terrain, en RDC, et les chercheurs du service Histoire et Politique et de différents autres services du MRAC à Tervuren.

Les chercheurs du service Histoire et Politique du MRAC ont complété et enrichi une première version de l’ouvrage reçue de Pierre Kalenga Ngoy qui a dirigé l’équipe locale à Lubumbashi. Jean Omasombo s’est chargé des chapitres concernant son orga- nisation politico-administrative et les évolutions politiques depuis l’Indépendance du pays en 1960. Médard Kayamba Badie, historien au CERDAC, a été invité à travailler au MRAC sur la partie concernant le peuplement. Joris Krawczyk s’est chargé de l’iconographie. Mohamed Laghmouch est l’auteur des cartes administrative, orographique, hydrographique et de l’occupation du sol. Tous ces chercheurs sont considérés comme les auteurs principaux de la monographie. Leur nom est cité ci-dessous.

Les disciplines non couvertes par les chercheurs congolais ou ceux du service Histoire et Politique, telles la flore, la faune, les risques naturels… ont bénéficié de contributions de chercheurs extérieurs ou d’autres services du MRAC. Leur nom est repro- duit en regard du titre de leur texte, ainsi que dans le sommaire et la table des matières.

Jean Omasombo Tshonda, politologue, chercheur au service Histoire et Politique, MRAC (Belgique) et professeur à l’Université de Kinshasa.

Pierre Kalenga Ngoy, historien, professeur à l’Université de Lubumbashi.

Médard Kayamba Badie, historien, a été professeur à l’Université de Lubumbashi.

Joris Krawczyk, attaché au projet « Provinces », au service Histoire et Politique, MRAC (Belgique).

Mohamed Laghmouch, cartographe, service Risques naturels (Sciences de la Terre) et Cartographie, MRAC (Belgique).

Toutes les photographies sont droits réservés ou sous copyright mentionné. Toute question ou demande d’autorisation doit se faire par écrit auprès du MRAC, service des Publications, 13, Leuvensesteenweg, 3080 Tervuren (Belgique).

En couverture : « Place de l’Identité katangaise », Lubumbashi. Photo équipe locale, 7 novembre 2015.

En couverture de l’étui : exploitation artisanale de l’« hétérogénite » dans le parc à résidus de Panda-Shituru.

Photo et © Raf Custers, 2013.

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Préface par Guido Gryseels 9 Avant-propos De la sécession katangaise au Haut-Katanga : réflexions sur plus de cinquante ans

d’histoire politique africaine par Herbert F. Weiss 15

Introduction Origine du nom Katanga 21

PREMIÈRE PARTIE LE HAUT-KATANGA PHYSIQUE 29

Chapitre 1. Géographie : localisation, relief et hydrographie . . . 31

Chapitre 2. La végétation par Joëlle De Weerdt, Benjamin Toirambe, Astrid Verhegghen, Pierre Defourny, Hans Beeckman . . . . 43

Chapitre 3. Forêt claire de Miombo : source d’énergie et d’aliments des populations du Haut-Katanga par Michel Mpundu Mubemba . . . 55

Chapitre 4. Les risques naturels dans le Haut-Katanga par Jean-Paul Kakesa Kambembo . . . 65

Chapitre 5. La faune par Mark Hanssens . . . 75

DEUXIÈME PARTIE PEUPLES ET OCCUPATION DE L’ESPACE 85

Chapitre 1. Mouvements migratoires des peuples du Haut-Katanga . . . 87

Chapitre 2. Peuples et parlers . . . .119

Chapitre 3. Création de l’Union minière et « nouvelles immigrations » . . . 139

Chapitre 4. Population européenne, filières méditerranéennes et communautés juives dans le Katanga colonial. Regard du XXIe siècle sur les constituants et les évolutions du passé par Sabine Bompuku Eyenga-Cornelis et Malca Levy . . . .171

Chapitre 5. Implantation des missions européennes . . . 185

Chapitre 6. Formation de nouveaux rapports sociaux au Katanga . . . 219

TROISIÈME PARTIE ORGANISATION POLITICO-ADMINISTRATIVE ET VÉCU DE LA « SÉCESSION KATANGAISE » 249

Introduction . . . .251

Chapitre 1. Évolution de l’organisation politico-administrative à partir de l’EIC . . . .257

Chapitre 2. La sécession katangaise : vers le déclenchement . . . 313

Chapitre 3. La mise en place de la sécession : chronique d’une manœuvre politique autour de Moïse Tshombe . . . . 339

Chapitre 4. Soutien à la sécession : présence des Belges au Katanga et différentes interventions dans un même événement . . . 367

Chapitre 5. Le bras de fer entre le gouvernement belge et les conseillers belges autour de René Clémens . . . 387

Chapitre 6. Sur la marche de la sécession du Katanga : quelques documents . . . 411

Chapitre 7. La crise congolaise à l’épreuve du face à face Élisabethville-Léopoldville . . . .435

Chapitre 8. Après la sécession du Katanga : reprendre pied dans l’arène politique congolaise . . . .503

Chapitre 9. La fin de Tshombe à Léopoldville : le Haut-Katanga sous le régime Mobutu . . . 535

Chapitre 10. Des guerres du Shaba à la chute de Mobutu . . . .557

Chapitre 11. Le Haut-Katanga sous les règnes des Kabila, père et fils . . . 595

Épilogue. Sécession du Katanga et identité katangaise : enjeux et surcharge par Jean Omasombo . . . .613

TABLE DES MATIÈRES 683 Carte administrative du Haut-Katanga

http://www.africamuseum.be/sites/default/files/media/docs/research/publications/rmca/online/monographies-

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PRÉFACE

Avec deux tomes consacrés à une même province, le projet «  Provinces-Décentralisation  » du Musée royal de l’Afrique centrale déroge au principe adopté dans la série des monographies parues jusqu’ici. La richesse et la complexité des thématiques étudiées ont imposé le recours à une double publication.

Au final, l’unité de ces deux ouvrages puise dans un thème rassembleur  : Haut-Katanga  : lorsque richesses économiques et pouvoirs politiques forcent une identité régionale. En s’arrêtant sur leurs titres respectifs, Cadre naturel, peuplement et politique et Bassin minier : matrice et horizon, on observe assez vite qu’il s’agit de coupler l’étude socio-politique à l’étude socio-économique. L’essentiel n’est pourtant pas là, car à l’inverse des réalités souvent décrites dans d’autres provinces de la République démocra- tique du Congo, ici le second axe ne constitue pas l’appendice du premier  : au Katanga, c’est l’esprit d’entreprise du grand capital financier qui traça l’es- pace administratif devenu province, puis transforma son peuplement. La nature et la localisation des res- sources naturelles, l’état des moyens technologiques également, ont dicté la conduite de l’occupant euro- péen à l’égard des groupes locaux pour tendre vers le contrôle et la mise en valeur de cet espace.

Parmi les quatre entités issues du démembre- ment du Katanga en 2015 dans le cadre du processus de décentralisation en cours, seul le Haut-Katanga continue aujourd’hui de porter le nom de l’an- cienne province. Son espace accueille la ville de Lubumbashi (ex-Élisabethville), chef-lieu provin- cial et siège administratif de la direction générale de deux anciens fleurons industriels : la Gécamines (ex-Union minière du Haut-Katanga) et la Société nationale des Chemins de fer du Congo (SNCC).

On y trouve aussi Likasi (ex-Jadotville), la deuxième ville historique du Katanga, qui fut longtemps le premier pôle industriel du pays. Une prégnance éco- nomique, politique et symbolique forte certes, mais que les populations originaires ne se sont pas appro- prié. On y reviendra.

Élisabethville et Jadotville furent construites dans des zones peu peuplées, à proximité des premiers gisements miniers industriels (Étoile, Kambove) et le long du tracé de la voie ferroviaire. À partir du milieu des années  1930, elles devinrent graduelle- ment «  belgo-kasaïennes  », avec une connotation accentuée de Luba et de Wallons. La progression des masses luba dites « du Kasaï » et l’érosion pro- portionnelle des groupes « autochtones » déboucha sur des rapports conflictuels à base ethnique, atti- sés par la difficulté des conditions de vie. Après la Deuxième Guerre mondiale, les Luba du Kasaï, qui constituaient désormais le groupe le plus nombreux, furent régulièrement ciblés par les Luba du Katanga et les Bemba. Ce qui était ressenti comme une perte d’emprise sur un sol ancestral a nourri les discours sur l’autochtonie. En même temps, le creuset qui a forcé la création d’une « identité katangaise » est aussi celui qui en brouille les repères en amalgamant dans les villes les ressortissants de souches cultu- relles exogènes à la région et en tenant à l’écart des mannes économiques les ethnies se réclamant de lignées locales séculaires. Celles-ci furent mainte- nues à la périphérie du développement industriel et urbain, dans les campagnes.

À un rapport de force démographique défa- vorable aux tenants de cette « identité » se nouent des éléments de revendications culturelles. Histo- riquement, les populations originaires ont manifesté

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une certaine passivité à l’égard des influences cultu- relles des autres parties de l’ancienne province. Elles se rattachent à des aires dominantes extérieures à leur espace, venues en particulier des anciens pou- voirs centraux des royaumes lunda, luba et kazembe.

Cette conception même amène une contradiction dans le vécu politique, entre une accumulation de références fortes liées à des traditions dominantes et cette faiblesse culturelle locale. En réaction, les ini- tiatives récentes de ressortissants du Haut-Katanga tentent d’opposer aujourd’hui la reconstitution d’une force de gravité «  autochtone  ». Cette dimension, longtemps restée immergée, est mise en tension par la décentralisation actuelle : autant la première expérience (1962-1966) découlait des circonstances nées de la sécession du Katanga, autant, dans le pro- cessus actuel, le flottement puis le lâché brutal de 2015 font suite (en partie) aux velléités régionalistes katangaises.

Dans son épilogue du tome 1, Jean Omasombo s’attarde sur cette tension à partir de la portée poli- tique de la symbolique monumentale de Lubumbashi.

L’érection, en 2006, à l’entrée de la ville du monument de Laurent Désiré Kabila, président unitariste, puis, en 2010, celle au centre-ville du monument de Moïse Tshombe, l’ancien leader de la sécession katangaise, et enfin, en 2014, la création de la place de l’Identité katangaise rééditent symboliquement une confron- tation régionale déjà vécue à la décolonisation du Congo. Ces initiatives illustrent les louvoiements des dirigeants actuels entre posture provinciale et visées nationales, chacun usant du Katanga comme d’un moyen de marchandage politique. Omasombo montre qu’il y a en cela une continuité depuis Moïse Tshombe et Godefroid Munongo jusqu’à Joseph Kabila et Moïse Katumbi, en passant par Gabriel Kyungu et Jean Nguz. Au final, il ressort que cha- cune de ces personnalités politiques a réclamé ou réclame le pouvoir national en se fondant sur son appartenance au Katanga  ; il y a lieu, dès lors, de se demander en quoi consistent tous ces affichages identitaires qui subjuguent le communautaire pour des ambitions individuelles.

Au cœur de ces embardées politiques, qui oscillent entre repli provincial et stature nationale, la question de l’«  identité katangaise  » est sou- vent agitée, mais on peine à la définir. C’est dans la sécession du Katanga (juillet 1960-janvier 1963) qu’on semble en trouver l’expression la plus élabo- rée. Née de l’échec pour les candidats katangais dits

« de souche » des consultations de 1957, la Conakat fut créée pour servir de cadre d’appropriation du Katanga dorénavant compris comme revenant à ses originaires. Dès cette époque, et ultérieurement, on s’est accroché aux biens de la province dont on se disputait la propriété. Paradoxalement, aucun des principaux agitateurs de la thèse katangaise n’est ori- ginaire de son centre de gravité politique, social et économique. Ce qui pousse aujourd’hui les peuples locaux sanga, kaonde, aushi, lamba, bwile, kunda, lomotwa, zela, shila, lala, lembwe, sumbu et temba à revendiquer d’en être les vrais représentants, déniant aux divers conquérants régionaux dont les Yeke (à travers leur chef M’siri), les Lunda, les Chokwe ou les Lubakat la capacité à masquer continuellement leur existence. Pourtant, on ne saurait identifier la popu- lation du Katanga à un ensemble culturel homogène.

A fortiori dans les villes du sud où l’immigration a apporté l’essentiel de la population. Et l’anthropolo- gue Pierre Petit avertit : « se représenter les groupes peuplant le Katanga ancien et présent comme autant d’entités correspondant à un contenu culturel défini de façon univoque serait non pas une simplification grossière, mais bien une méprise1  ». Partant, il est impossible d’isoler une entité ethnique ou culturelle à qui attribuer cette identité.

Elle ne semble pas davantage s’asseoir sur un consensus relatif à son extension territoriale, ce qui soulève d’autres questions. Comment cette «  iden- tité katangaise » se projette-t-elle dans l’espace ? Les peuples dits « locaux » sont majoritaires en milieu rural ; leurs conceptions portent-elles sur le même Katanga que celles des élites politiques, qui puisent dans une revendication née dans les villes  ? Dans l’imaginaire identitaire, quelle est la part de l’emprunt aux conceptions coloniales ? Les considérations éco- nomiques pas plus que l’évolution de l’organisation politico-administrative n’apportent de réponse tran- chée. Sous l’angle économique, le bassin industriel minier fut brièvement assimilé au Haut-Katanga industriel, unique zone de la colonie exclusivement dédiée à l’activité de ses industries (minières), et rat- taché pour l’alimentation de ses centres à plusieurs bassins vivriers successifs (Tanganyika, Lomami, Kasaï). Sous l’angle politico-administratif, il fut

1. Petit, P. 2015. « L’ethnicité au Katanga », in Hasson, M., Katanga, des animaux et des hommes, vol. 1 : Les Animaux et la Société. Tervuren : MRAC, p. 97.

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un temps question d’intégrer au Katanga la région minière dite des « champs diamantifères du Kasaï ».

Ce projet n’aboutit pas  ; au contraire, la réforme administrative de 1933 lui détacha le Lomami, dont les ressortissants luba, devenus dès cet instant étrangers au Katanga, furent appelés «  Kasaïens  ».

Quant aux limites internes, elles fluctuèrent sou- vent sous la colonisation, et à l’exception du cas de Kolwezi (voir plus bas), elles ne furent définitive- ment fixées qu’en 1966. La partie consacrée dans le tome 1 à l’organisation politico-administrative et à la « sécession katangaise » montre en fait que dès la décolonisation le jeu des acteurs politiques katan- gais fait éclater ce cadre administratif, puisque s’y jouent des positionnements individuels dictés par des rivalités ethniques (Sanga contre Yeke) ou des considérations tactiques (tous les «  ténors  » étant issus de groupes allochtones à l’espace du Haut- Katanga). Plus tard (octobre 1976), c’est en rapport avec les velléités autonomistes régionales que ce qui se présentait comme le Sud-Katanga fut amputé de la ville de Kolwezi créée en 1971, du nouveau terri- toire de Mutshatsha (ex-territoire de Kolwezi) et du territoire de Lubudi (intégrant la chefferie bayeke) suite à leur constitution en district urbano-rural.

Le district du Lualaba perdait ainsi ces entités. Mais ce coup porté à la taille servait également les inté- rêts de G. Munongo, fraîchement intronisé mwami des Bayeke et rallié à l’autorité de l’État-Zaïre : face à l’hostilité des Sanga, celui-ci voulut se donner un espace de pouvoir séparé de la prégnance lunda.

La géographie économique, enfin, est trop incons- tante pour servir de soubassement à cette identité.

La richesse du Katanga qui aiguise les revendica- tions identitaires est d’abord celle de sa partie sud, et plus précisément celle d’un espace (la ceinture de cuivre) circonscrit à moins de 10 % de la superficie de l’ancienne province, et en majeure partie versé dans le Haut-Katanga. L’occupation et l’organisation de ce territoire furent à partir de 1891 l’affaire d’une formidable entreprise financière et commerciale modelée par les rivalités belgo-britanniques pour le contrôle des gisements. Dès 1910, les trois éléments de ce qui allait être la « signature » économique et sociale katangaise furent réunis : l’industrie minière, le rail et la ville. La progression entre 1910 et 1931 du réseau ferroviaire a finalement morcelé le Katanga en deux régions distinctes et complémentaires, l’une de forte densité de peuplement, industrielle com- merciale et administrative, et l’autre, vaste étendue

rurale faiblement occupée par l’administration colo- niale et aux établissements commerciaux clairsemés, connectée aux axes ferroviaires par les routes ou des pistes, le long desquelles les villages furent contraints de s’aligner2. Le triptyque mines-rail-urbanisation issu de la matrice cuprifère a créé un nouveau centre de gravité en fonction duquel le pouvoir colonial a procédé au redécoupage des espaces économiques et sociaux préexistants. Mais les développements consacrés à la paysannerie dans le tome 2 montrent que ces transformations centripètes n’ont pas affecté d’égale façon ni simultanément l’organisation sociale et agraire des zones périphériques, et que les déci- sions du pouvoir colonial ainsi que les intérêts des sociétés minières, ferroviaires et commerciales, ont joué un rôle déterminant, mais à géométrie variable, principalement à partir de la fin des années  1920.

Certaines régions plus difficiles d’accès furent tardi- vement reliées à l’économie des centres, et en sont aujourd’hui à nouveau relativement isolées par la dégradation actuelle des conditions de circulation.

Les villes du sud ont par ailleurs développé dès l’origine de fortes attaches en matière d’échanges commerciaux et de circulation de personnes avec la Rhodésie du Nord, devenue Zambie, et seule la poli- tique interventionniste de l’État colonial a suspendu pour un temps ces liens. Après la crise économique de 1929-1933, la contrainte et la politique tarifaire coloniales maintinrent par la force les relations économiques entre les villes et leur arrière-pays.

Parallèlement, à partir de cette époque et jusqu’à la zaïrianisation de 1973-1974, le réseau commercial développé à l’intérieur du pays par les négociants méditerranéens, essentiellement hellènes, joua un rôle de courroie commerciale auprès des centres ruraux, et permit de maintenir après l’indépendance des liens entre les cultivateurs africains et les grands bassins de consommation du Sud. Ces liens sont aujourd’hui érodés : ils n’ont pas vraiment résisté à la dégradation de l’organisation des transports, à la zaïrianisation, aux pillages de 1991 et à l’insécurité physique héritée de la dernière guerre et qui sévit encore dans une grande partie de la province. Les villes s’appuient plus que jamais sur le Sud dans leurs relations commerciales, notamment en ce qui

2. Vellut, J.-L.  1981. Les Bassins miniers de l’ancien Congo belge. Essai d’histoire économique et sociale (1900-1960), coll.

« Les Cahiers du CEDAF », n° 7. Bruxelles, p. 40.

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concerne l’apport de vivres (maïs) et l’expédition des produits miniers désormais réglée par camions.

Insaisissable donc, cette « identité katangaise », impossible à catégoriser, mais son ombre plane inlassablement sur la politique locale et nationale depuis plus de cinquante ans. Des analyses apportées dans le tome 1 et de l’apport des parties économiques du tome 2, rien n’indique que celle-ci procède d’un projet politique véritable fondé sur des invariants culturels, ethniques et économiques. Il s’agit davan- tage d’un objet forgé par les luttes de pouvoir autour des richesses de la province, et constamment mar- chandé en fonction du pouvoir central. Ce qui explique sa plasticité, malléable au gré des acteurs et renouvelable selon les circonstances.

De ces richesses qui forcent l’idée d’une identité, les gisements miniers sont les principales manifes- tations. La matrice de l’économie du Haut-Katanga demeure son bassin cuprifère, dont l’exploitation industrielle ou artisanale est une forte pourvoyeuse d’emplois et est génératrice de devises pour les institutions locales. C’est également un horizon impossible à dépasser, malgré les discours poli- tiques, pour développer d’autres pôles de croissance.

C’est un problème, car le redressement spectaculaire du secteur minier n’a pas apporté localement tous les bénéfices escomptés par le régime minier adopté en 2002-2003. La titrisation du sol en carrés miniers et la multiplication des projets contrôlés par des opé- rateurs privés ont engendré de nouvelles formes de prédation en milieu rural. En zones urbaines également, où beaucoup d’unités industrielles sont implantées dans des zones densément habitées, les populations riveraines ont à endurer des formes de pollution diverses qui menacent directement leur santé. Finalement, on attendait de la croissance du secteur minier qu’elle génère une importante manne financière qui rejaillirait partiellement sur les enti- tés locales ainsi refinancées ; mais les « trous » de la rente autant que la rémanence des pratiques de rétention au niveau central tarissent la source, dont les retombées fiscales se mesurent au compte-goutte au niveau des territoires et entravent le fonctionne- ment des administrations publiques locales.

La Gécamines, héritière de l’Union minière, est associée à la plupart des nouveaux projets miniers.

Autre objet historiquement protéiforme, cette mori- bonde minière impossible à achever se débat depuis des années avec un passif colossal, et s’est muée en courtier du sous-sol katangais. Une partie de la

mémoire populaire katangaise s’ancre à cette entre- prise, dont l’image a évolué de celle d’une « dévoreuse d’hommes » dans ses premières années à celle d’une entité «  totalitaire  », puis, dans les années  1980, à celle de dernier reliquat de l’État providence, au moment de la faillite économique et sociale du Zaïre.

On lui a longtemps collé cette étiquette d’« État dans l’État », pour qualifier la propension de l’entreprise à subvenir aux besoins matériels et sociaux de ses employés tout en en contrôlant tous les aspects de leur vie privée. Survinrent les années  1990, la

«  décennie perdue  », où une autre facette de l’en- treprise émergea, celle d’un monde social gangrené par la corruption à tous les niveaux hiérarchiques en partant de la tête. Depuis l’époque de l’Union minière, les liens entre la direction de l’entreprise et le pouvoir politique ont toujours été très forts.

Jusqu’à aujourd’hui où perdure l’héritage des années Mobutu consistant à désigner les hauts dirigeants par ordonnance présidentielle, et où la compagnie fonctionnerait désormais comme un «  État paral- lèle  », dérogeant impunément aux lois. Désormais reléguée au rang de « nain » minier, la Gécamines s’est muée en un géant courtier, détenteur des clés de l’accès aux richesses minières du Katanga. « Plus que jamais, lit-on dans l’introduction du tome 2, la capacité de la compagnie à peser sur l’économie pro- vinciale et nationale semble intacte, même si depuis son époque de producteur hégémonique, celle-ci revêt désormais d’autres formes. »

Concluons par un retour sur la dualité villes- campagnes. La géographie économique et humaine de la province actuelle distingue comme par le passé deux zones  : l’une urbanisée et industrielle, forte- ment connectée, où se crée l’essentiel de l’activité économique, et qui rassemble les administrations, les commerces et les activités de service ; et l’autre rurale, peu peuplée, mal reliée par les voies de com- munication, subsistant par les ressources tirées de l’environnement naturel immédiat (cultures, pro- duits forestiers ligneux et non ligneux, eau, etc.).

Élisabethville et Jadotville, chevillées à l’exploitation intensive du bassin cuprifère, sont devenues en très peu de temps les deux nœuds de l’un des maillages industriels les plus dynamiques de l’Afrique sub- saharienne à l’époque coloniale, de même que des enclaves démographiques hautement concentrées et cosmopolites. L’urbanisation s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui : entre l’indépendance et le tournant des années  2010, la proportion de citadins est passée

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approximativement d’un peu moins de la moitié à deux tiers environ de la population du Haut-Katanga.

Lubumbashi et Likasi en absorbent la quasi-totalité.

Les villes elles-mêmes ont subi des transformations géomorphologiques remarquables à travers le temps, elles se sont densifiées et leur emprise s’est étendue, la barrière raciale s’est transformée en une strati- fication sociale perceptible dans l’occupation des quartiers.

Hors des centres, l’expansion économique colo- niale fit vaciller les sociétés agraires, déjà fragilisées depuis le milieu du xixe siècle. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, l’architecture de l’édifice capi- taliste-colonial bâti au Katanga reposa en grande partie sur l’exploitation des campagnes sollicitées successivement, et parfois simultanément, pour la main-d’œuvre, l’alimentation des centres et du per- sonnel administratif, la circulation des hommes et des marchandises, et l’ouverture et l’entretien d’un réseau moderne de communications (chemins de fer et routes). La pression sur les sociétés agraires se relâcha après 1945, et l’on vit même avec l’activisme d’intellectuels humanistes et l’entrée dans le jeu d’uni- versitaires issus des sciences sociales, se déployer des programmes dits de « reruralisation ». Plus tard, les programmes déployés par la Gécamines entretin- rent une forme d’assistance aux petits paysans, mais à certaines exceptions près, la petite agriculture afri- caine n’est pas sortie de la crise, en grande partie à cause de l’absence de véritable politique agricole des dirigeants congolais et zaïrois. La province est confrontée depuis l’indépendance à un déséquilibre alimentaire qui a pris au fil du temps des proportions abyssales. Celui-ci est difficilement compensé par des importations massives de maïs zambien. Même s’il est moins bien doté que ses anciens bassins agro- pastoraux traditionnels (Tanganyika, Haut-Lomami, etc.), le Haut-Katanga possède pourtant plusieurs zones au potentiel agricole avéré (bassin de la Lufira, plateaux des Marungu, etc.) et l’agriculture paysanne locale a déjà fait preuve par le passé de capacités de résilience et d’adaptation. Mais comme autrefois, le tropisme industriel des dirigeants persiste à les pousser à encourager davantage le développement d’une agriculture industrielle, plutôt que d’investir dans la petite agriculture.

Ces réflexions émergent du vaste travail de recherche et d’analyse entrepris dans ce double volume portant sur la province du Haut-Katanga, mais elles ne suffisent pas à en résumer le contenu.

Dans le premier tome, au-delà des chapitres sys- tématiquement consacrés à l’environnement naturel, aux peuplements, aux missions et à l’organisation politico-administrative, les contributions relatives d’une part à la création de l’Union minière et à l’immigration de travailleurs africains, d’autre part à certaines composantes de l’immigration extra- africaine dans le Katanga colonial, apportent des éclairages particuliers sur ces questions spécifiques à la province. La partie la plus innovante concerne tou- tefois sans conteste les chapitres sur la sécession du Katanga. Ceux-ci apportent des développements qui débordent largement le seul espace du Haut-Katanga.

On voit traités de manière détaillée, à partir d’une vue de l’intérieur, les événements qui se sont dérou- lés. Les chercheurs du MRAC ont bénéficié d’une documentation unique, des archives particulières inédites et chronologiquement cohérentes prove- nant des acteurs intimes de la sécession. Comme si l’on suivait leurs conversations au moment même de leur action sur le terrain, il arrive régulièrement dans l’écriture de certaines parties qu’on leur laisse la parole. Comme si ceux-ci échangeaient entre eux, exprimant leur fond de pensée sans crainte d’être vus. On sait donc répondre à la question de savoir qui a fait la sécession du Katanga et quels furent réel- lement ses buts.

Le second tome se consacre aux questions éco- nomiques et sociales de la province. Là encore, pourtant, on ne retrouvera pas le canevas des pré- cédentes monographies. La prépondérance des villes et du secteur minier justifie d’y consacrer de larges développements. Dans le cas des villes, les chercheurs du MRAC ont compulsé d’importantes études, souvent non publiées, pour retracer l’évolution de Lubumbashi et de Likasi, ainsi que de leurs habitants, jusqu’à nos jours. Les chapitres relatifs à l’agriculture, et plus spécifiquement à la petite paysannerie, ont pu s’appuyer sur certains travaux précurseurs dans les années 1950, sur les recherches historiques réalisées dans les années 1970 à l’Université de Lubumbashi, ainsi que sur les résultats d’une récente enquête de terrain ; ils ont en outre bénéficié de l’expertise d’un agronome de l’Université de Lubumbashi. Enfin, l’étude des secteurs auxiliaires, et des transports en particulier, a bénéficié d’études historiques inédites, du témoignage d’acteurs internes au secteur et de l’accès à certains documents interdits à la diffusion, qui débouchent sur une analyse pointue des pro- blèmes et enjeux liés au redéploiement de certains

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HAUT-KATANGA

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pans de l’organisation des transports. L’iconographie de ce double volume est mise en valeur par les illus- trations issues des riches collections du MRAC.

Finalement, les données rassemblées dans les deux tomes conduisent à une unité de vue. Celle-ci montre que la prétention consistant à dire que l’on savait déjà assez du Katanga de par les travaux déjà menés pourrait se révéler trompeuse. Sur divers aspects, la vue doit évoluer et les connaissances apportées sont plus nombreuses  ; disons que les assertions deviennent davantage plus affinées en induisant même des considérations éloignées de ce qui était jusqu’alors soutenu. À titre d’exemple, il existe une nette divergence entre ce qui est affirmé dans ce volume et ce que rapporte Jacques Brassinne, pourtant acteur des événements. Sur le Congo donc, les chercheurs du MRAC insinuent que des difficul- tés majeures se présenteraient encore à la fois sur l’accès à l’information et dans la manière de traiter celle-ci. Les pesanteurs qui ont entouré la décoloni- sation en 1960 et marqué la construction de l’État congolais n’ont toujours pas totalement disparu.

Outre les apports des institutions partenaires congolaises (CEP, CERDAC et CRGM) et de l’équipe locale qui a travaillé à partir de Lubumbashi, cet ouvrage a bénéficié dans sa réalisation de la colla- boration du professeur Médard Kayamba Badye de l’Université de Lubumbashi. Il fut invité en 2014 au MRAC pour renforcer l’équipe de coordination MRAC du projet «  Provinces-Décentralisation  » dans l’écriture de la partie portant sur le peuple et l’occupation du Haut-Katanga. Mais il va décéder en juillet 2016. Je tiens à honorer sa mémoire pour

sa contribution qui traduit la marque de l’historien académique qu’il avait été.

Il faut souligner aussi l’aide remarquable reçue de Liévin Mwangal Mpalang’a-Maruy du CERDAC qui, à plusieurs occasions, apporta des données sur la connaissance des Lunda, et celle de Basile Nsenga de la CAID, qui a utilement renseigné les chercheurs sur la situation de Kasenga.

Il me plaît également de remercier le Groupe Forrest International, Michel Hasson, John Matt (COMIDEC) et Augustin Lumpala (UMOJA) pour avoir contribué gracieusement à enrichir l’iconogra- phie de ces deux ouvrages.

Je n’oublie pas l’apport d’autres personnes qui ne souhaitent pas être citées et qui ont donné de leur temps bénévolement, pour partager leur expertise sur des sujets quelquefois très pointus. Que toutes trouvent ici l’expression de la reconnaissance du MRAC.

J’associe à ces remerciements la Coopération belge au développement, la Politique scientifique fédé- rale et le ministère belge des Affaires étrangères qui appuient les travaux de recherche du MRAC. Depuis 2008, le projet « Provinces-Décentralisation » béné- ficie de leur soutien.

Enfin, je félicite Jean Omasombo-Tshonda, Guillaume Léonard et toute l’équipe de coordina- tion du projet « Provinces » pour la réalisation de ce double livre, ainsi qu’Isabelle Gérard et son service des Publications du MRAC.

Guido Gryseels, Directeur général

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1Observateur et analyste depuis 1959 de l’his- toire politique de la République démocratique du Congo, le cas particulier du Katanga m’est familier.

Mes premières recherches ont concerné la lutte pour l’indépendance du Congo. En raison de leur grand nombre, il était difficile au début de distinguer parmi les partis ceux qui étaient vraiment significatifs, et je fus bien servi par la chance dans mes choix : dans l’Ouest et le Nord, mon attention s’est portée sur l’Alliance des Bakongo (ABAKO), le Parti solidaire africain (PSA) et le Mouvement national congolais/

Lumumba (MNC/L). Au Katanga en revanche, je n’ai pu retenir ni la Conakat, ni la Balubakat, quoiqu’il fût pourtant clair très tôt que la province – surtout sa partie sud – représentait un enjeu fondamental.

Cette omission était circonstancielle : mes premières visites sur le terrain ont débuté au printemps 1960 et l’acquisition de l’indépendance était si rapide que je n’ai atteint le Katanga qu’en novembre de cette année, soit après la date critique du 30 juin, et alors que la province était en plein sécessionnisme. Ma récep- tion sur place fut par ailleurs difficile, contrairement à mes expériences précédentes  : ma citoyenneté américaine, qui était jusqu’alors un atout, ne l’était plus, sans doute parce que le gouvernement des États-Unis refusait de reconnaître l’indépendance du Katanga. En outre, mes recherches2 se concentraient

1. Professeur émérite, Université de la ville de New York (CUNY).

2. Ces recherches de terrain d’Herbert F. Weiss ont donné lieu à l’ouvrage Political Protest in the Congo. The Parti solidaire africain during the Independence Struggle (1967, Princeton University Press), ouvrage traduit en français en 1994 sous le titre Radicalisme rural et lutte pour l’indépendance au Congo-

sur des partis politiques que les Katangais considé- raient comme leurs opposants les plus importants et cela était certainement connu de mes interlocuteurs belges. En conséquence, mes rencontres avec le pro- fesseur René Clemens et avec le major Guy Weber furent polies mais improductives. Du côté congolais, j’ai pris contact avec certains des chefs de la Conakat, dont l’un d’eux m’a même glissé des comptes-rendus de plusieurs réunions du bureau politique du parti qui révélaient qu’à chaque meeting quelques Belges participaient pleinement à côté des leaders congo- lais. J’ai aussi pris contact avec un parti maintenant oublié, la Balubakat pro-Conakat, et quelques autres partis.

De manière générale, au cours de mon séjour, j’ai pu observer le fort rejet de Patrice Lumumba, de l’ONU, ainsi que celui des États-Unis. J’ai constaté également la mobilisation réussie de l’opi- nion publique en faveur de l’indépendance du Katanga à Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi).

Cependant, je n’ai pas circulé dans le nord de la pro- vince, où il y avait de bonnes raisons de supposer que ce soutien n’était pas partagé.

Il est important de rappeler que les élections de mai 1960 ont révélé un clivage dans la province entre deux alliances politiques qui a scindé le vote des élec- teurs en deux (50/50). L’opposition principale entre ces deux alliances était totale, puisque la Balubakat et ses alliés soutenaient l’unité du Congo, tandis que la Conakat et ses alliés accordaient leur soutien à la sécession katangaise. L’ensemble Balubakat et

Zaïre. Le Parti solidaire africain (1959-1960) et paru à Paris aux éditions L’Harmattan.

DE LA SÉCESSION KATANGAISE AU HAUT-KATANGA : RÉFLEXIONS SUR PLUS DE CINQUANTE ANS

D’HISTOIRE POLITIQUE AFRICAINE

par Herbert F. Weiss1

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HAUT-KATANGA

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alliés est sorti avec un léger avantage des élections, puisqu’il a totalisé 110 091 voix, alors que la Conakat et ses alliés n’ont eu que 104 871 voix. Ce résultat ne doit pas occulter une histoire plus complexe, mais il traduisait néanmoins une démarcation politique au sein de la province doublée d’une division géogra- phique nord/sud. Malgré le léger avantage électoral des unitaristes, les forces pro-sécession ont gagné la majorité des sièges à l’Assemblée provinciale, en partie grâce à l’aide du Parlement belge, et l’indépen- dance de la province fut déclarée dès le 11 juillet, soit quelques jours à peine après l’indépendance du pays.

En 1960, les « unitaristes » avaient trois bonnes raisons de s’opposer aux velléités sécessionnistes, qui existaient non seulement au Katanga, mais aussi au Kasaï. Tout d’abord, la perte du Katanga et du Sud-Kasaï aurait profondément affaibli l’économie du Congo indépendant en retranchant les régions minières les plus productives et les plus riches (à l’époque ces régions contribuaient à plus de 50  % du revenu national). Deuxièmement, la sécession de Katanga a été perçue, avec raison, comme forte- ment inspirée, non pas par la défense de principes légitimes, mais par le souci de préserver les intérêts belges, du secteur industriel et minier ainsi que ceux des colons. Troisièmement, comme on l’a noté ci- dessus, la moitié des électeurs katangais ne voulaient pas se séparer du Congo. Néanmoins, la sécession du Katanga s’est produite  ; elle s’est réalisée avec l’aide des troupes belges et des mercenaires blancs, et grâce à une mobilisation militaire et civile réussie dans la partie sud de la province. Il est évident que le Sud, politiquement dominant, n’a accordé aucun droit à l’autodétermination au Nord-Katanga. Cette situation a généré, dans le nord, une guerre civile sanglante, puis, une répression tout aussi sanglante de la résistance.

Comment tout cela a-t-il fini ? Le pouvoir central, appuyé par les pays du Tiers-Monde, les États-Unis, le bloc soviétique et l’ONU, a cherché à mettre fin à la sécession. Lumumba a engagé dans le conflit l’ar- mée mutinée du Congo, avec un résultat désastreux ; Mobutu et le Collège des commissaires, puis plus tard le Premier ministre Cyrille Adoula ont tenté la voie des négociations. Le secrétaire général Dag Hammarskjöld a fait de même, avant de recourir à la force, puis de revenir aux négociations  ; il paya finalement de sa vie ses efforts. Mais rien de cela n’a réussi.

La solution vint, en fin de compte, de l’interven- tion armée de l’ONU, avec le soutien diplomatique et logistique de l’administration américaine de John  F.  Kennedy. Jusqu’au dernier moment, le Royaume-Uni, la Belgique et la France, aussi bien que l’Afrique australe dominée par les Blancs, s’y sont opposés et ont plaidé pour la continuation des négociations. Or celles-ci n’avaient fait que prolonger l’état de sécession. Cette fois, en décembre 1962-jan- vier 1963, l’usage de la force militaire a finalement réussi et le Katanga a été réintégré au sein du Congo.

Comment expliquer l’opposition des États-Unis à la sécession, alors que ses principaux alliés euro- péens l’ont effectivement soutenue ? Cette position semble en effet contrevenir à la doctrine américaine du droit à l’autodétermination des peuples, et plus encore, à la logique du soutien aux régimes forte- ment pro-occidentaux et anti-communistes dans un contexte de guerre froide. Or, le Katanga était anti- communiste et pro-occidental. La raison principale de l’attitude américaine s’explique par l’intense lutte d’influence qui existait entre les États-Unis et le bloc soviétique dans le Tiers-Monde et les régions non ali- gnées d’Asie et d’Afrique, notamment. Elle explique également le ralliement des États-Unis au régime de Léopoldville après que l’on eut réussi à élimi- ner Lumumba et les lumumbistes du pouvoir, ainsi que le soutien actif à Mobutu et Adoula. Dans leur lutte contre les lumumbistes et les sécessionnistes, Léopoldville et Washington ont été victorieux, mais aucun des deux pays n’a cependant anticipé la consé- quence de cette victoire : l’exclusion des lumumbistes du pouvoir a généré l’émergence de rébellions au Congo à partir de 1963, rebellions qu’on peut consi- dérer comme le premier mouvement révolutionnaire postindépendance en Afrique. Combattre ces rébel- lions et rétablir la stabilité fut difficile et coûteux, en particulier en vies humaines congolaises.

Par la suite, j’ai surtout relevé les évolutions majeures qui ont traversé le Katanga. D’abord, à la surprise de la plupart des observateurs, Moïse Tshombe, le chef vaincu de la sécession katangaise, a concouru avec succès pour le poste de Premier ministre du Congo « entier ». Son ancienne armée, la Gendarmerie katangaise, également connue sous le nom de « Tigres katangais », s’est exilée en Angola où, avec une flexibilité idéologique surprenante, ses membres ont d’abord rejoint le régime colonial portugais pour, après l’indépendance angolaise de

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novembre 1975, rejoindre le régime du MPLA3 – passant ainsi d’un soutien aux colonialistes à celui d’un régime marxiste, sans jamais abandonner l’ob- jectif d’un Katanga indépendant.

Le nationalisme de Mobutu semblait, dans une large mesure, l’emporter sur les velléités autono- mistes des Katangais, tandis que, dans le même temps, la région maintenait sa domination éco- nomique sur l’ensemble du pays. Mon analyse à distance de ces développements au cours des décen- nies suivantes me porte à considérer que, même si l’idée d’un Katanga indépendant n’est jamais morte, elle a diminué brusquement chaque fois que les élites katangaises occupaient des positions importantes ou dominantes à Kinshasa. Cela a commencé quand Tshombe est devenu Premier ministre en 1964 et a continué jusqu’à nos jours.

Dans les premiers temps de la dictature de Mobutu, entre 1965 et 1976, le Mouvement popu- laire de la révolution (MPR) a plus ou moins réussi à mobiliser à la fois les élites et les masses partout au Congo, et ce, même si cette mobilisation apparaissait un peu moins forte au Katanga. Les élites katangaises ont, comme celles d’autres provinces, concouru pour obtenir des postes importants dans le régime de Mobutu avec l’espoir de surmonter le favoritisme du régime à l’égard des originaires de l’Équateur. Mais, alors que la popularité du régime mobutiste déclinait, la population au sud du Katanga a, en 1977 et 1978, accueilli favorablement les incursions militaires des Tigres venus de l’Angola. La question reste posée de savoir si les populations du nord de la province seraient restées loyales à Kinshasa et à Mobutu, au cas où ces incursions se seraient prolongées jusqu’au nord. Il est également intéressant de souligner que le Front de libération national congolais (FLNC) – nom du mouvement politique des Tigres du Katanga pendant les années 1970 – ne réclamait plus seule- ment l’indépendance du Katanga, mais adoptait un programme socialiste. Même la demande d’indépen- dance était atténuée par le désir de renverser Mobutu.

Si les Tigres n’ont pas vaincu le régime mobutiste, ce n’est pas en raison de l’efficacité de l’armée nationale (FAZ, Forces armées zaïroises) mais, une nouvelle fois, à cause du soutien militaire étranger accordé au régime de Mobutu. En d’autres termes, alors que les personnalités katangaises étaient minoritaires à

3. MPLA : Mouvement pour la libération de l’Angola.

Kinshasa, les masses du sud du Katanga, sinon les élites, ont de nouveau soutenu une tentative d’indé- pendance. Il faut également noter que cette initiative contre le régime n’a eu aucun relais parmi les forces non katangaises anti-Mobutu  : par exemple, le maquis de Laurent Désiré Kabila à Fizi-Baraka n’a pas lancé d’action simultanée.

Je me suis rendu en 2004 avec une équipe de recherche dans l’Est de la RDC, afin d’évaluer l’action humanitaire des États-Unis dans la région. C’était un moment particulièrement critique pour l’Est en général, et pour le nord du Katanga en particu- lier. Le Katanga avait été divisé, pendant la guerre, entre le gouvernement de Kinshasa et la rébellion du RCD/Goma. Sous le contrôle de ce dernier, le nord du Katanga avait été élevé au statut de province avec une capitale, Kalemie, et possédait son propre gou- verneur. À mon arrivée, l’ancienne province venait d’être reconstituée, et, lors de mon séjour, un cocktail de départ fut même organisé pour le « gouverneur » nommé par le RCD/Goma ! J’ai, à cette occasion, été surpris de découvrir la présence, à la périphérie de Kalemie, d’éleveurs banyamulenge (des Tutsis du Sud-Kivu) qui s’y étaient récemment installés avec leur bétail, sous la protection des autorités du RCD/

Goma.

L’extrême nord du Katanga était, durant la guerre, une zone de combats entre les forces combinées du Rwanda et du RCD/Goma et les Mai-Mai, soutenus par Kinshasa. Parfois, des villages entiers s’échap- paient dans les forêts pour éviter d’être pris dans les feux croisés ou d’être accusés par l’un ou l’autre côté de collaborer avec l’« ennemi ». Notre équipe s’est rendue dans un village essentiellement composé de Batwa (pygmées) et de groupes ethniques bantu locaux, probablement luba ou apparentés. Tous ces villageois étaient revenus de la forêt, indemnes, après la guerre. En fait, les Batwa, habiles à survivre en forêt, avaient aidé leurs voisins à s’en sortir. Or, dans ce même village, les Batwa se plaignaient des discri- minations persistantes de la part des Bantu.

Nous l’avons déjà dit, à la suite de la réunification de la RDC en 2002-2003, le Nord du Katanga a été réintégré dans la province contrôlée par Lubumbashi.

Pourtant, en 2004, on peinait toujours à perce- voir les signes d’un quelconque changement dans l’administration. Dans la ville de Kalemie, aucune nouvelle police n’était installée, et aucune nouvelle administration ne semblait réellement fonctionner depuis le démantèlement de l’ancienne structure.

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HAUT-KATANGA

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Cette période d’immobilisme ne fut bien sûr que transitoire, puisque le gouverneur Moïse Katumbi a entrepris plus tard divers projets locaux de déve- loppement. Mais que s’est-il passé au Nord-Katanga en général ? D’une part, Kinshasa n’avait plus besoin des Mai-Mai et les avait abandonnés. D’autre part, Lubumbashi a peiné à affirmer son emprise sur le nord du Katanga. Il s’en est suivi une longue période d’insécurité et de violence. Contrairement à ce qui s’est produit dans les Kivu, les groupes mai-mai n’ont donc pas été récompensés pour leur soutien à Kinshasa durant la guerre contre le RCD/Goma et le Rwanda. Ainsi lâchées et confrontées au désastre économique de leur région, dénuées des ressources matérielles et habituées à disposer d’un certain pou- voir, ces ex-milices se sont retournées contre les populations locales à un point tel que l’on rapporte des cas où les jeunes hommes s’en sont pris à leurs propres communautés. Ces événements ont nourri un climat de conflits, de violence et d’insécurité.

Ces nouvelles milices qui ont émergé dans ce cli- mat étaient encore parfois appelées Mai-Mai, mais elles ont également adopté le nom de Kata-Katanga (kata signifiant « couper » ou « séparer » le Katanga) : en d’autres termes, elles se sont désormais ralliées à l’ancienne idée d’un Katanga séparatiste. Diverses sources fiables ont également signalé qu’elles avaient cessé de soutenir Joseph Kabila, leur parent ethnique.

Tous ces bouleversements semblent également avoir mis fin au long fatalisme et à la passivité de la communauté batwa. En conséquence de quoi, les conflits locaux ont changé de nature et de pro- tagonistes : d’une lutte opposant les milices locales, le RCD/Goma et les Rwandais, on a glissé vers une sanglante querelle de voisinage entre Bantu et Batwa.

Les jours où ces derniers ont sauvé la vie de leurs voisins du village ont été oubliés.

Bien installées et profitant de la rente du cuivre du sud, ni Kinshasa ni Lubumbashi ne se préoccu- pèrent vraiment de la violence qui agitait le nord du Katanga, même lorsque les unités de Kata-Katanga se sont répandues au sud et qu’elles ont brièvement envahi la ville de Lubumbashi elle-même.

J’ai visité Lubumbashi en 2014. Cette fois, je fus accueilli avec beaucoup de chaleur et de géné- rosité par les élites locales, les intellectuels, les dirigeants des ONG, le gouvernement provincial et les activistes. J’ai rencontré et interrogé beaucoup de personnalités politiques parmi les plus importantes.

Une des rencontres les plus intéressantes fut celle

avec un groupe d’intellectuels d’un certain âge : les

« Notables Katangais ». Ardents partisans de l’indé- pendance du Katanga, ils avaient soumis un long mémorandum au Conseil de sécurité de l’ONU en vue d’obtenir son soutien dans leurs revendications.

Historiquement bien informés, ils ignoraient néan- moins la façon dont la communauté internationale appréhende la plupart des mouvements sécession- nistes. Aussi, à la suite de l’absence de réaction du Conseil de sécurité, ils déposèrent contre celui-ci une plainte pour malversation auprès de la Cour pénale internationale ! J’ai essayé d’apporter un peu de réalisme à cette conversation en soulignant qu’il n’existait pas de précédents où la communauté inter- nationale avait reconnu une sécession sans qu’elle n’eut été marquée par un conflit long, violent, et en rappelant que le Katanga avait été vaincu dans sa tentative. J’ai également soulevé le point suivant : si vraiment, il y avait tant d’aspiration à l’indépendance, pourquoi n’y avait-il pas eu de soulèvement lorsque, en 1996-1997, l’État Zaïre avait perdu toute capacité de la réprimer ? Leur réponse fut révélatrice : « Nous pensions que Laurent Kabila était un Katangais, mais il s’est avéré qu’il était lumumbiste tout du long ». En d’autres termes, ces sécessionnistes pensaient que la défaite du régime mobutiste et la victoire de Laurent- Desiré Kabila offriraient au Katanga le choix d’opter pour son indépendance. Ils ont conclu, par la suite, que le nouveau régime poursuivait des objectifs qui différaient profondément des leurs.

Néanmoins, leurs préoccupations m’ont amené à réanalyser les conditions d’application du principe d’autodétermination dans les années  1960, partout en Afrique. Toutes les luttes d’indépendances ont été menées au nom du droit à l’autodétermination : c’était la base morale sur laquelle s’effectuait la mobi- lisation, s’organisaient les soutiens populaires et la recherche d’alliés extérieurs et se menait la lutte contre les régimes coloniaux. Mais pourquoi était- ce, à cette époque, inadmissible d’appliquer ce droit à des sous-unités des colonies ? Cette question est particulièrement intéressante puisque pratiquement toutes les colonies avaient des frontières artificielles créées par les colonisateurs européens.

Pourquoi a-t-on jeté l’anathème sur les indé- pendantismes internes  ? La raison principale de cette contradiction était que les mouvements sécessionnistes étaient perçus comme inspirés par les impérialistes occidentaux dans le but de créer des États faibles manipulables par les anciennes

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puissances coloniales, soit une forme de néoco- lonialisme. Cette tension entre ces deux niveaux d’indépendance s’est matérialisée en Afrique fran- cophone dans deux cas majeurs : la disparition de l’Afrique occidentale française (AOF) et de l’Afrique équatoriale française (AEF), juste avant l’obtention de l’indépendance totale. Les progressistes en Afrique et partout dans le monde se sont fortement opposés au « démembrement » des grandes entités coloniales existantes –  et j’étais certainement de ce point de vue. Mais, un demi-siècle plus tard, je pense qu’un réexamen de cette question devrait être à l’ordre du jour. Les grandes entités coloniales qui n’ont pas été divisées ont généré des conflits sanglants après l’indé- pendance. Citons par exemple le Nigéria, le Soudan, l’Angola et le Congo ; à cette liste, on peut ajouter un cas atypique, celui de l’Éthiopie/Érythrée. À la suite de ces expériences et avec le recul du temps, peut-on encore soutenir que la « force » que confère l’unité géographique méritait que l’on nie les aspirations à l’autodétermination de certaines régions à l’intérieur de ces méga-États ? L’avantage prêté à la puissance à long terme contrebalance-t-il le coût humain des conflits civils qui en ont découlé  ? Peut-on, par exemple, comparer le destin des méga-États avec celui des huit États issus de l’AOF et affirmer que, dans ces « grands » États, les citoyens ordinaires ont aujourd’hui une vie meilleure ?

Comme j’ai toujours concentré mes recherches sur les mouvements contestataires, je suis de près la question de la milice Kata-Katanga. Beaucoup de personnes que j’ai rencontrées se sont interrogées sur son leader de l’époque : Gédéon Kyungu Mutanga.

Qui était derrière lui ? Était-ce John Numbi, Joseph Kabila, Moïse Katumbi, Gabriel Kyungu ? Plusieurs interlocuteurs affirmaient que les Kata-Katanga étaient une création de toute pièce appuyée par l’un ou l’autre de ces dirigeants politiques. Je doute que tenter d’identifier une « éminence grise » derrière ce mouvement soit une bonne approche. En tout cas, si Gédéon fut « récupéré » par le régime de Kabila, il est douteux que ce transfert ait eu des répercus- sions significatives sur la milice elle-même, surtout dans le sud. Selon moi, l’existence de liens entre politiciens et milices ne permet pas de considérer celles-ci comme de simples affidées des premiers.

Mon analyse, au contraire, pose comme postulat que ces groupes fonctionnent selon une dynamique qui leur est propre. Ainsi, après mes entretiens avec plu- sieurs leaders et experts et un examen des attaques

attribuées aux Kata-Katanga, j’en suis venu à for- muler l’hypothèse suivante (dont je ferais un thème de recherche si j’étais plus jeune) : les Kata-Katanga sont – ou étaient à l’époque des faits examinés – une alliance de trois forces. D’abord, les Mai-Mai au nord (connus désormais sous un nouveau nom) avec Gédéon à leur tête, jusqu’à récemment. Ensuite les Kata-Katanga du sud qui n’ont jamais été Mai-Mai et dont l’expérience est solidement ancrée dans l’his- toire de la mobilisation militaire katangaise du sud et de l’activisme indépendantiste. Enfin, les Tigres du Katanga, toujours implantés dans le nord-est de l’Angola.

Les Kata-Katanga du sud sont les plus intéres- sants, même si, selon toute probabilité, ils sont relativement peu nombreux. Tout d’abord, alors qu’ils ont à leur portée la possibilité de faire sombrer l’économie congolaise en interrompant l’exportation de minerai et la distribution d’énergie électrique, ils s’en sont jusqu’à présent abstenus. Deuxièmement, tout indique qu’ils entretiennent des contacts assidus avec les Tigres du Katanga en Angola ; la frontière entre l’Angola et la Zambie ne semble pas devoir entraver leur mobilité. Troisièmement, selon cer- tains rapports, les Tigres du Katanga auraient non seulement formé au combat les Kata-Katanga du sud, mais ils auraient également participé à certaines attaques (contre des postes de police en l’occur- rence). Enfin, il est difficile de croire que ces actions des Tigres katangais soient inconnues des autorités militaires et des services de renseignement angolais.

Bien que l’on ne connaisse pas grand-chose sur le leadership des Kata-Katanga ou sur leur idéologie, il existe certains indices. D’abord, leur souci d’épargner les installations minières dans le sud, alors qu’on cite leur présence insistante autour de certaines mines.

Le site stratégique de Tenke-Fungurume aurait été approché par des milices –  s’agissait-il de Kata- Katanga ?  –, mais sans que cela ne débouche sur une attaque. Ensuite, le fait que les quelques fois où ils ont vraiment montré leurs visages (lors de leur brève occupation de Lubumbashi par exemple), ils ont exprimé des griefs sociaux et économiques.

Cela signifie-t-il qu’à l’instar du FLNC, ils aient des revendications sécessionnistes, mais aussi des objec- tifs sociaux  ? Si tel est le cas, il est surprenant de constater que leur antagonisme soit orienté contre Kinshasa et aucunement contre la richesse et les pri- vilèges de Lubumbashi. Enfin, il faut se demander quel parti l’Angola espère tirer de l’assistance qu’il

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offre aux Tigres du Katanga dans leur soutien aux Kata-Katanga. La réponse à toutes ces questions mériterait une recherche sérieuse.

Mais, alors que les régimes de Kabila (père et fils) ont prouvé qu’ils peuvent se maintenir à Kinshasa en laissant les Kivu s’enfoncer, année après année, dans une violence massive, on peut se demander si le même scénario pourrait se répéter si le sud du Katanga venait à brûler. Il est douteux que Kinshasa –   qui dépend essentiellement de l’exportation des

minerais katangais – puisse maintenir son contrôle sur la politique nationale, si cette région devait suivre le même chemin que celui emprunté dans l’Est et, depuis peu, dans les Kasaï.

Ainsi, le rôle futur des Kata-Katanga dans le sud du Katanga doit-il être suivi avec attention, même si pour l’instant, ils se contentent d’être spectateurs.

Washington, le 12 décembre 2017

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I

l était courant pour les explorateurs et, plus tard, les ethnologues coloniaux de chercher des explications étymologiques de toponymes ou d’anthroponymes. On trouve ainsi des interprétations aussi diverses que peu convaincantes chez certains auteurs, particulièrement ceux du xixe  siècle (Verbeken 1954  : 62-63 ; Brohez  1905  : 381-382 ; Cooley  1845). La plus ancienne mention manuscrite du mot « Katanga » en notre possession provient des informations fournies par deux pombei- ros − nom donné par les Portugais aux intermédiaires locaux qui recrutaient pour eux des esclaves ou trafi- quaient à l’intérieur des terres −, Pedro João Baptista et Anastacio José. Au tout début du xixe siècle, ces pombeiros traversèrent l’Afrique centrale de Cassange en Angola à Tete au Mozambique pour le compte du Portugal et à la demande de Francisco Honorato Da Costa, directeur du comptoir de Cassange. En 1806, ils parvinrent à la résidence du mwata yamvo,

« empereur » des Lunda et, de là, à Kazembe, au sud du lac Moero, après avoir traversé le Katanga.

Dans leur journal de route, les pombeiros mention- naient déjà les noms « Catanga » et « Tanga ». Par ces vocables, ils désignaient la contrée où l’on trouve des pierres vertes (malachites)1.

1. La date varie selon les auteurs  : 1806 d’après Auguste Verbeken et Marcel Walraet (Verbeken & Walraet  1806) ; 1808 d’après François Bontinck (Bontinck  1974  : 39-70  ; Bontinck  1996  : 559-563) ; cf.  Vellut  1972  : 61-166. Un pombeiro (hando) était généralement un leader de caravane qui dans la hiérarchie du commerce ovimbundu jouait le rôle de sous-traitant d’un armateur principal. C’est un commerçant ambulant luso-africain qui s’enfonce à l’intérieur du pays (sertanejo) ou un véritable notable ovimbundu.

S’il faut en croire les pombeiros, ce nom était connu chez les Kazembe bien avant la pénétration arabe dans la région.

Croisettes.

(PO.0.0.79647, collection MRAC Tervuren ; photo J.-M. Vandyck, © MRAC Tervuren.)

Croisettes.

(PO.0.0.79568, collection MRAC Tervuren ; photo J.-M. Vandyck, © MRAC Tervuren.)

Selon diverses versions de la tradition locale, M’siri débaptisa le Katanga en faveur de Garenganze autour de 1875, au moment où il se proclama mwami (Verbeken 1956 : 26-31).

ORIGINE DU NOM KATANGA

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