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UN PERSONNAGE : MOÏSE LEVY, GRAND RABBIN DU CONGO BELGE ET DU RUANDA-URUNDI 1937-1991 5

Dans le document Haut-Katanga, tome 1 (pdf - 21 MB) (Page 178-183)

REGARD DU XXI E  SIÈCLE SUR LES CONSTITUANTS ET LES ÉVOLUTIONS DU PASSÉ

2. ÉTUDES RÉCENTES SUR LA MINORITÉ BLANCHE AU KATANGA

2.3. LES ISRAÉLITES DU KATANGA

2.3.3. UN PERSONNAGE : MOÏSE LEVY, GRAND RABBIN DU CONGO BELGE ET DU RUANDA-URUNDI 1937-1991 5

Moïse Rahamin Levy, fils de Meir et de Piha Reina, est né à Antalya (Turquie), le 12 août 1915.

Durant la guerre gréco-turque, la famille fuit à Rhodes.

Après ses études à l’Alliance israélite universelle, il cherche un emploi et choisit d’aider son père dans son petit restaurant.

Un jour, le directeur du Collège rabbinique, le Dr Azriel Kahan, s’arrête devant sa porte et l’inter-pelle. Il lui dit de présenter un concours d’entrée à ce prestigieux établissement, afin d’obtenir une bourse.

Il le passe avec succès et entreprend en 1930 des études dans ce collège avec de grands professeurs et docteurs originaires pour la plupart d’Italie.

Fin  1936, une délégation de la Communauté d’Élisabethville (Katanga-Congo belge) part à Rhodes pour y chercher un rabbin. Elle se rend au Collège rabbinique où l’on invite Moïse Levy à célébrer le service du vendredi soir en sa présence.

Conquise, elle l’engage à venir au Congo.

Arrivé à Élisabethville en mars 1937, Moïse y est très bien accueilli par les 187 familles juives laissées sans guide spirituel durant sept ans. Il y découvre la synagogue et se rend compte que la communauté est déjà bien organisée.

Il y mène une vie intense et riche d’activités, qui l’amène aussi à voyager à l’intérieur de la colonie jusqu’en 1960. Plusieurs fonctions lui incombent  : rabbin, chantre, mohel (circonciseur), chohet (égorge rituellement les ruminants aux sabots fendus et volailles), professeur, scribe, président du Conseil rabbinique. Non seulement il les remplit toutes avec dévouement, mais il parvient aussi à sauver cer-tains des membres de sa communauté de la prison.

5. Ce paragraphe est de Malca Levy, fille du rabbin Moïse Levy.

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Après une étude scrupuleuse de leur dossier pour le tribunal civil, il plaide leur cause auprès d’autorités laïques, tout en restant président du Conseil rabbi-nique, pour les affaires religieuses, tels les divorces. 

En 1950, le primat d’Israël, le grand rabbin Meir Hai Ouziel, le nomme grand rabbin. Il entre officiel-lement en fonction en 1952, quand la communauté a rénové ses statuts. La Communauté israélite du Katanga devient Communauté israélite du Congo belge et du Ruanda-Urundi. Dès lors, il est nommé grand rabbin du Congo belge et du Ruanda-Urundi.

Dès son installation comme rabbin du Katanga, il entretient des relations chaleureuses avec le gou-verneur du Katanga, M. Amour Maron, qui règle un petit problème au cimetière juif de la ville.

Invité à toutes les cérémonies officielles, au même titre que toutes les autres autorités religieuses, Moïse Levy entretient des relations, des plus cordiales, avec les autorités belges successives. Elles ne se limitent pas seulement aux invitations du 21 juillet, des dif-férents Te Deum, du Nouvel An... et s’avèrent plus amicales avec différents gouverneurs. Ils lui témoi-gnent beaucoup d’estime et du respect, des marques de sympathie qui se révèlent réciproques.

À la bat6 mitzvah (communion) de sa fille Rivca, il s’adresse, dans son discours, aux personnalités invitées et leur demande de lui permettre de les

« considérer comme ses amis ». Je vous invite à lire le livre «  Moïse Levy, Un Rabbin au Congo  » de Milantia Bourla Errera (Bourla Errera 2000), où il donne des exemples de ses relations d’amitié avec les autorités de la ville et autres.

Ces relations d’amitié s’étendent également jusqu’aux représentants de différentes communautés religieuses, catholiques, protestantes, orthodoxes, bahaïs, musulmanes... L’échange de courrier contenu dans ses archives en témoigne.

Dans son livre Le Collège Saint-François de Sales ou l’Institut Imara au fil des années (1912-2002), le père Marcel Verhulst sdb (Verhulst 2005)7, écrit en page 15 :

«  Comme la plupart des salésiens étaient venus au Congo dans l’espoir d’être de vrais missionnaires auprès

6. Bat (fille), bar (fils) − bat (ou bar) mitzva : équivalent de la communion solennelle catholique dans la religion juive ou de l’initiation des adolescents en Afrique.

7. Le père Marcel Verhulst sdb : salésien de Don Bosco (voir Verhulst 2005).

des Africains, ils ne se sentaient pas à leur place dans les classes primaires et dans les humanités avec leur population scolaire européenne clairsemée et hétéro-clite. [Note 22 :] non seulement par les nationalités et les langues, mais aussi par les confessions religieuses.

C’est surtout cet aspect que Mgr Sak relevait comme négatif en écrivant en 1926-1927 au supérieur géné-ral des salésiens Don Rinaldi : « L’école pour enfants blancs à Élisabethville offre peu d’intérêt religieux, il y a là des Juifs, des Sud-Africains, protestants, etc. mêlés aux chrétiens moins nombreux [...] »

et en page 23 :

«  En tant qu’école “officielle”, elle devait être et fut effectivement une école pluraliste et œcuménique avant la lettre. Effectivement on y admettait, sans dis-tinction, les jeunes européens [sic] dont les parents appartenaient à des confessions différentes (concrète-ment des protestants et des orthodoxes), ou même des jeunes sans appartenance religieuse particulière. Les élèves reçurent comme professeur de religion −  des personnes désignées par leur ministre de culte. C’est ainsi qu’on a vu un rabbin donner des cours aux élèves juifs et un pope aux élèves orthodoxes. »

En ville, il n’y a qu’un seul rabbin, le rabbin Moïse  M.  Levy. Chose étonnante, il a pu donner des cours de religion dans les écoles religieuses, à l’Institut Marie-José et au Collège Saint-François de Sales. Quand les a-t-il commencés ? Était-ce avant, pendant ou après la guerre (1945) ? Il faut rappeler l’esprit qui régnait à l’époque en Europe.

Il fallait alors un grand esprit d’ouverture et de tolérance pour se faire accepter et accepter ses inter-locuteurs chrétiens. L’Église était toute puissante et souhaitait «  sauver des âmes  » en cherchant à convertir des Juifs. Il y a eu des cas d’antisémitisme provoqués par des élèves, des pères et des sœurs. Ils furent rares, mais ils eurent lieu. Grâce à son inter-vention, les cas se sont raréfiés.

Dès 1947, à l’établissement de l’Athénée royal, il donnera des cours de religion dans les trois écoles de la ville.

Dans sa correspondance, nous découvrons des invitations de collèges et de séminaires lui deman-dant d’aller y parler et débattre d’un sujet. Très vite, il se fit de très bons amis parmi eux. En voyage dans la colonie, il fera parfois un détour pour aller saluer l’un ou l’autre père ou pasteur de ses connaissances.

Dès son arrivée au Congo, il va vers l’autre. Il est sincère, ouvert, tolérant et surtout franc et direct :

« Il dit ce qu’il pense et pense ce qu’il dit », précise-t-il. C’est ainsi qu’il approchera Mgr de Hemptinne, avec qui il entretiendra aussi une relation basée sur la confiance et la considération réciproques.

À son décès, il est le premier à prononcer une oraison funèbre qu’il lira à la radio du Collège Saint-François de Sales. Son texte est inséré dans un numéro de « Rayon », journal de l’ordre qui se trouve à l’abbaye de Zevenkerken à Loppem.

Il nouera une belle amitié avec Moïse Tshombe, président du Katanga (province qui a fait séces-sion jusqu’en 1963). Après un exil en Espagne, Moïse Tshombe reviendra au Congo en tant que 1er ministre de la République du Congo sous le pré-sident Kasa-Vubu. Il va devoir repartir après la prise du pouvoir par le général Joseph Désiré Mobutu qui devient président de la République. Sous son régime, le grand rabbin, devenu grand rabbin du Zaïre, aura également de bonnes relations avec le nouveau chef d’État.

Malheureusement, la zaïrianisation cause des dégâts pour l’économie du pays : on décide d’enlever aux Européens commerçants, fermiers, fabricants…

leurs affaires pour les remettre à des « acquéreurs »

nationaux qui ne les gèrent pas de la même manière.

De nombreux membres devront une fois encore quitter le pays et la communauté se réduit toujours plus.

Si ses activités communautaires sont moindres, il ne reste pas inactif. Il est invité à donner des cours à la mission catholique de Lubumbashi, à la mission protestante de Mulungwishi… et au grand séminaire des bénédictins et des salésiens. Dès le début de son séjour au Congo, il a noué de bonnes relations entre toutes les communautés religieuses, ce qui permet-tra de faire régner un climat d’entente et de tolérance dans ce pays, déjà avant la guerre 1940-1945.

Son jubilé de 50 ans de présence au Congo constitue le point d’orgue de ses relations. Un groupe de Zaïrois, dont le professeur Patrice Mufuta est le président, décide, en effet, de célébrer son jubilé à la synagogue en 1987. La cérémonie religieuse a lieu en présence des autorités religieuses chrétiennes, grecque orthodoxe, musulmane, bahaï, des auto-rités civiles et une nombreuse assistance. Le grand rabbin Moïse Levy célèbre son jubilé dans une belle atmosphère d’entente  : chacune des autorités reli-gieuses est invitée à lire un psaume ou un chapitre de

De gauche à droite : le grand rabbin Levy, Moïse Tshombe et Mgr Cornelis, archevêque d’Élisabethville. Dans le fond Arnold Lamoral.

(HP.1961.74.306, collection MRAC Tervuren ; 1961.)

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la Bible, le service est accompagné de beaux chants de la chorale israélite et d’une chorale zaïroise. Il est suivi d’une séance académique où toutes les autorités prennent la parole. Il soulignera que cet événement est le premier du genre dans l’histoire, en général, et dans l’histoire des religions, en particulier.

Toute cette vie active lui a valu différents mérites, qu’il reprend dans son livre :

- inscription au Livre d’or par la Congrégation israélite à l’Agence juive de Jérusalem, en témoi-gnage de reconnaissance des services rendus à la Communauté du Congo et du Ruanda-Urundi, en 1950 ;

- médaille d’argent du prince régent Charles de Belgique, en 1945 ;

- médaille d’or de Sa Majesté le Roi Baudouin 1er, en juin 1955 ;

- médaille d’officier de l’Ordre national du mérite d’Italie, en 1962, remise par le président de la République d’Italie, Son Excellence Gronchi ; - médaille de l’Ordre national du Léopard des

mains du président de la République du Zaïre, Joseph Désiré Mobutu, en juin 1966 ;

- médaille d’or du mérite de la République du Zaïre, en 1970 ;

- commandeur de l’Ordre du mérite du prési-dent de la République d’Italie, Son Excellence Saragat, en 1967 ;

- grand officier de l’Ordre du mérite du président de la République d’Italie, Son Excellence Petini, en 1983.

Il rappelle au jubilé avec quelle émotion il a reçu le diplôme de « Rav Hachalem 8 » des mains de ses vénérables maîtres de Jérusalem et leur dernière recommandation : « Te voici dirigé dans la voie de la sagesse. Achemine-toi dans le sentier de la droiture.

Tiens-toi fermement à ton éducation, ne l’aban-donne pas. Conserve-la, elle est ta vie. Tiens comme devoir de revoir tes études régulièrement, une fois par an. » Son principe de vie essentiel sera « Aime ton prochain comme toi-même ».

Une 2e cérémonie religieuse a lieu à Kinshasa, dans le courant de la même année, célébrée par la communauté israélite de la capitale et son président Clément Israël, en présence des autorités du gouver-nement de Mobutu qui était absent de la ville.

3. DÉMOGRAPHIE

Au début du xxe siècle, la population européenne d’Élisabethville passa de 360 à 1 029 habitants après l’érection de l’usine de Lubumbashi et l’arrivée du rail de Broken Hill en 1910, profitant de l’afflux de migrants venus d’Afrique australe comportant en son sein des Belges, des Britanniques, des Boers, des Grecs, des Italiens et des Russes. Une seconde vague de migrations alimenta cette population à la fin de la Première Guerre mondiale, notamment grâce au développement des infrastructures ferroviaires

8. « Rav Hachalem » : Rav – rabbin, Hachalem – littéralement

« complet », signifie parfait, titre de grand rabbin.

Synagogue de Lubumbashi construite en 1929 par Cloquet.

(HP.1956.15.5244, collection MRAC Tervuren ; photo H. Goldstein, © Sofam.)

Groupe d’élèves de religion israélite à l’institut Marie-José à Élisabethville.

(Photo collection famille Levy ; droits réservés.)

Le grand rabbin Moïse Levy et sa fille Rivca à la gare d’Élisabethville pour saluer le roi Baudouin avant son départ.

(Photo collection famille Levy ; droits réservés.)

Le grand rabbin Moïse Levy à la Synagogue d’Élisabethville avec le Nonce apostolique Mgr Torpiliani et son secrétaire privé

à droite. À gauche, le révérend père Sommers.

(Photo collection famille Levy ; droits réservés.)

Dans la tribune, à Kinshasa, les représentants de différentes religions vont être décorés de l’Ordre du Léopard

par le président Mobutu.

(Photo collection famille Levy ; droits réservés.)

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et industrielles. La population « blanche » passa de 1476  habitants en 1920 à 4168  habitants en 1930.

La politique de l’Union minière du Haut-Katanga, du BCK, de même que l’essor du « copper belt9 » en Rhodésie du Nord et la grande crise des années 1930 provoqua l’exode des ressortissants d’Europe du Nord et la permanence de la composante méditer-ranéenne au Katanga, sous sa forme sépharade (en provenance de Rhodes et d’Alexandrie), hellène (les autres îles du Dodécanèse et Chypre) et italienne (issue de trois villages autour de Vercelli/Verceil, dans le Piémont). La crise des années 1930 affecta cette composante sociale européenne qui diminua de 30 % et compta alors 2838 individus. En revanche, la population européenne d’Élisabethville doubla après 1945 et la ville comptait 13 808 habitants européens en 1960. Depuis 1960, la communauté blanche vit en

« insularité » au Katanga, repliée sur elle-même.

Benjamin Rubbers estime à plus de 30  000  les Belges, Grecs et Italiens composant la minorité blanche du Katanga à la fin des années cinquante, tandis que Milantia Bourla Errera évalue à plus de 110 000 unités la communauté européenne dans son ensemble à travers tout le Congo belge pour près de 13 millions de Congolais. Dans les années cinquante, la communauté israélite du Katanga et du Congo faisait partie intégrante de la population du Congo belge.

En 2009, Benjamin Rubbers ne dénombrait plus que 1300 Européens au Katanga, à Kolwezi et à Likasi toutes communautés confondues. Moïse Rahmani estimait qu’avant l’indépendance du Congo, près de 2 % des expatriés étaient juifs. À l’indépendance, près de 3000 Juifs habitaient le Congo et près de 2500 résidaient à Élisabethville. Après l’indépendance du Congo, les Européens d’Élisabethville et un nombre important de membres de la communauté israélite se déplacèrent vers la Rhodésie du Nord.

On assiste aussi au phénomène du vieillissement démographique dans ces communautés au Congo : le groupe sépharade et italien se décompose rapide-ment tandis que le groupe hellène se renouvelle du fait de la grande crise socio-économique en Grèce. En 2004, les listes consulaires consultées par Benjamin Rubbers attestaient de 850 Belges, 350 Grecs et 120 Italiens au Katanga, mais comme le mentionne cet

9. Littéralement « la ceinture de cuivre ».

auteur, les sources disponibles manquent de préci-sion à cet égard. Aujourd’hui, ce sont les Italiens et les Chinois qui semblent se développer alors que les groupes sépharades et vercellois ont presque com-plètement disparu.

Dans le document Haut-Katanga, tome 1 (pdf - 21 MB) (Page 178-183)