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Anthime. ,!7IC8J5-acdfei! Anthime. et autres récits. Bernard Boucher. Bernard Boucher. Anthime. Bernard Boucher. et autres récits

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Anthime

et autres récitsBernard Boucher

Bernard Boucher

Anthime

et autres récits

Dans la maison de Gabriel se trouvait une pièce sans nom, entre la cuisine et le salon, qui désemplissait rarement. Entouré de chaises droites, berceuses ou rembourrées, cet entre-deux devenait, par intermittence, le lieu où se racontaient des histoires, des expéditions, des peurs, des menteries, tout ce qui peut tenir dans l’imagination et sortir de la bouche d’un homme.

La Gaspésie est pays de mer, de champs, de forêts, de vent, de travail et de parlure. Les Gaspésiens ici regroupés autour d’Anthime en ont arpenté les routes et peuplé les villages, y laissant empreintes d’hommes et de femmes. Les agissements des uns et les exploits des autres font le chemin qui mène au salon, au garage ou à l’arrière-cuisine qu’aurait pu avoir fréquentés Jacques Ferron du temps où il chaussa les bottes du docteur Cotnoir. Le récit réorganise tout, ajoutant de-ci un peu de mystère, de-là un rien de la philosophie des chômeurs, l’hiver.

Sous la plume de Bernard Boucher, la légende prend corps. Son chemin à lui, c’est celui qui remonte à la transformation de ce qui est arrivé en ce qu’ont retenu et dit « ressasseurs de vieilles histoires » et

« menteurs agréés ». C’est-à-dire à la vérité dans ce qu’elle se grime pour être plus belle, pour simplement être belle.

erture : Gilles Pellerin

et autres récits

Anthime

Bernard

Boucher

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ANTHIME

ET AUTRES RÉCITS

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Du même auteur :

Ravaudage, poèmes, Rimouski, Editeq, 1982. Épuisé.

La fusée d’écorce, roman, Montréal, Boréal junior, 1995.

La forêt qui marche, roman, Montréal, Boréal junior, 2000.

Yann et le monstre marin, roman, Montréal, Boréal junior, Les triplets de Gradlon 1, 2001.

Brigitte, capitaine du vaisseau fantôme, roman, Montréal, Boréal junior, Les triplets de Gradlon 2, 2002.

Pépin et l’oiseau enchanté, roman, Montréal, Boréal junior, Les triplets de Gradlon 3, 2003.

Le tournoi des malédictions, roman, Montréal, Boréal junior, Les triplets de Gradlon 4, 2004.

Mimi chat, poèmes, Montréal, Les 400 coups, 2004.

Le trésor de la Chunée, roman, Montréal, Boréal junior, Les triplets de Gradlon 5, 2006.

Les géants sont immortels, roman, Montréal, Boréal junior, Les triplets de Gradlon 6, 2008.

Les prisonniers du vent, roman coécrit avec Romain Bally-Kenguet-Sokpe et Yves Pinguilly, Paris, Oskar Jeunesse et Montréal, Hurtubise, 2009.

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BERNARD BOUCHER

Anthime

et autres récits

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Maquette de la couverture : Anne-Marie Jacques Photographie de la couverture : Gilles Pellerin Photocomposition : CompoMagny enr.

Distribution pour le Québec : Diffusion Dimedia 539, boulevard Lebeau

Montréal (Québec) H4N 1S2

Distribution pour la France : DNM – Distribution du Nouveau Monde

© Les éditions de L’instant même, 2014 L’instant même

865, avenue Moncton Québec (Québec) G1S 2Y4 info@instantmeme.com www.instantmeme.com

Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2014

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Boucher, Bernard, 1950- Anthime et autres récits

ISBN imprimé 978-2-89502-354-8 ISBN PDF 978-2-89502-861-1 1. Gaspésie (Québec) – Romans, nouvelles, etc. I. Titre.

PS8553.O779A7 2014 C843’.54 C2014-941693-8

PS9553.O779A7 2014

L’instant même remercie le Conseil des arts du Canada, le gouvernement du Canada (Fonds du livre du Canada), le gouvernement du Québec (Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC) et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec.

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À Magali, pour son enthousiasme À Ernest, l’oncle qui m’a beaucoup raconté

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Anthime, la sagesse incarnée

[…] seul celui qui reste libre de tous et de tout accroît et préserve la liberté sur terre.

Stefan Zweig.

A

nthime charpentait du matin au soir selon les raffinements du métier. Ma mère, qui le dit, l’a connu ; l’homme dont elle se souvient était son grand-père.

À la vérité, ma mère a peu connu son grand-père. Elle en a conservé une impression furtive : ce qu’elle répète à son sujet est la distillation des mots entendus dans son enfance, leur alcool de souvenirs hâtifs, un marc d’estime.

Anthime portait une casquette de toile grise comme celles des cheminots sur les photos d’avant. J’imagine. Dans son visage mince, moustachu, s’agitaient des yeux inventifs dont les découvertes étaient relayées par une bouche constamment en mouvement. En toute saison, pour protéger sa santé fragile, il s’enroulait dans une écharpe sur laquelle il boutonnait jusqu’au col sa chemise carreautée rouge et noir, l’indémodable.

J’extrapole. Pauvre, il nouait un cordon pour retenir son pantalon d’étoffe ancienne rapiécé avec des brins de laine aussi gris que ses cheveux, pantalon ample aux cuisses mais serré aux

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Anthime et autres récits

mollets, car il l’avait rentré dans les longs bas qui sortaient de ses bottines de cuir mollies, usées, trouées. Je crois.

Ses concitoyens lui manifestaient de l’estime, se disant qu’il exerçait le même métier que Joseph. Mais pas seulement. Cet homme vaillant, consciencieux, à ses affaires, s’était acquis une réputation de sagesse. Sa compétence lui apportait le respect.

Ma mère disait : depuis tellement d’années qu’il charpentait, toute personne avait pu apprécier son travail. Il faisait tel qu’on s’était entendu, livrait dans les délais et ne demandait que ce qu’on lui devait. Si quelqu’un voulait connaître son opinion, il la donnait en marquant le pour et le contre, en détaillant ses arguments, consolidant ses idées. Avec lui, on voyait clair, estimait-on. Et si, en plus d’une opinion, on lui réclamait un conseil, il commençait par situer le contexte, mettre en garde, découper et ciseler les tenants et les aboutissants ; le conseil était fourni emballé.

Les organisateurs politiques se rendaient sur ses chantiers pour discuter avec lui. Pas de politique quand je travaille, leur répondait-il. Passe à la maison si ça te chante, t’es le bienvenu.

Qui se présentait chez lui était bien reçu, quel que soit son parti.

Le charpentier lui disait les choses comme il les voyait, pas bleues, pas rouges, vraies. Anthime était un homme libre. Pour cette raison, il exprimait sa pensée comme le noroît souffle où il veut. C’est d’ailleurs sa liberté qui attirait ces gens, ils venaient mettre leur montre à l’heure chez un homme qui ne ratait pas une journée de travail, même malade. Tiré du récit de famille.

On ne trouve pas de photo d’Anthime, il est mort avant que les Kodak se répandent, que le docteur Cotnoir arrive avec le sien. Pour dire que son image n’existe que dans le bouche-à- oreille, selon lequel il avait un crâne ovale, dégarni, un nez effilé, la moustache frisée qu’il roulait entre le pouce et l’index, la barbe faite sans précautions. Son teint pâle, verdâtre, attirait

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l’attention sur sa santé défaillante. Le seul diagnostic qui a traversé le temps veut qu’il ait souffert, comme Montaigne, de la maladie de la pierre, autrement dit de coliques néphrétiques.

Pour combler son désir de tranquillité, il s’était construit un atelier en retrait de sa maison, attenant à ses bâtiments domestiques : un hangar à bois, une soue à cochons, un poulailler et une écurie. Il s’y rendait journellement pour réfléchir à ses plans, tailler des matériaux, s’adonner en paix à des bricolages personnels. Il en allait de ses idées comme de sa charpenterie. Depuis toujours, il semblerait, il exerçait son regard particulièrement vaste et lucide à l’observation de ses concitoyens et de leurs travaux. Tout ouvrage attirait sa curiosité : l’œil en éveil, il prenait le temps de l’examiner dans le détail, de décomposer mentalement les étapes de sa fabrication, de comprendre la logique de son auteur, de s’en émerveiller, pour finir par se dire que si un autre homme avait réussi, lui aussi le pouvait. Les poutrelles de son atelier débordaient de croquis, d’ébauches, de projets suspendus pour qu’ils mûrissent.

Il aimait se retrouver seul, ne se mettait pas en quête d’auditoire ni d’approbation. C’est ma déduction.

Anthime n’était ni agriculteur ni cultivateur, mais à la manière des hommes de son époque il lui fallait un potager, des patates, des œufs, faire boucherie. Et un cheval pour aller à la messe, se rendre sur les chantiers, sortir son bois de chauffage.

Ma mère dit que son grand-père parlait sans arrêt. Affable, il aimait la conversation et appréciait la compagnie des autres sans la rechercher pour autant. Il n’avait cependant pas besoin de se trouver en présence d’humains pour parler : il parlait à ses charpentes, à ses outils, aux éléments, aux poules, aux cochons et à son cheval. Sans doute l’être avec lequel il passait le plus de temps. Est-ce ainsi qu’il atteignit au plus sublime art de vivre, celui de rester soi-même ? La question est fondée.

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Anthime et autres récits

Anthime trouvait plaisir aux longues randonnées en charrette. Il ne rechignait pas à élever un bâtiment dans le deuxième village même s’il lui fallait des heures pour s’y rendre. Il louait ses forces et ses talents un prix convenable et jamais personne ne se plaignait d’abus. On peut considérer que ce sont ces longues randonnées qui fignolaient la liberté et la rigueur de sa pensée. Seul sur son siège, les cordeaux pendant dans les mains, son cheval n’attendant pas ses instructions pour se guider, il pouvait aussi bien que dans son atelier construire et déconstruire ses raisonnements à la manière des mortaises de ses bâtis. Il se serait trouvé une autre motivation à son désir d’effectuer pareils déplacements : le mouvement incessant de la voiture aurait eu un effet apaisant sur ses coliques. Ma mère a entendu dire qu’une fois il était rentré, après une journée particulièrement douloureuse, à califourchon sur le dos du cheval. Fait rarissime chez les hommes du village, il s’en serait expliqué par les bienfaits du balancement de l’animal sur son bas-ventre.

Dans ses jeunes années, Anthime s’était intéressé à la chose publique. Il observa avec attention, se souvient-on, la manière dont s’y prenaient ses concitoyens et il aurait conclu, dans sa conscience déjà éveillée, qu’il pourrait aider à l’avancement de la cause commune. Il se reconnaissait des dispositions pour jouer les intermédiaires, rapprocher les opinions, trouver les terrains d’entente. Toutes qualités que les esprits partisans rejettent, sentant d’instinct qu’elles vont court-circuiter leur extrémisme, éteindre leur feu de paille. Le jeune charpentier ne s’en offusqua pas, il avait tant à faire dans son atelier pour perfectionner son métier tout en cherchant à comprendre et rester fidèle à son moi profond. C’est mon interprétation.

Maintenant que les années avaient passé, nombreuses, que les uns et les autres dans le comté admiraient son œuvre

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faite de maisons, édifices publics et divers bâtiments d’utilité, le regard sur l’homme se modifiait. Il s’était acquis par son attitude, ses opinions, son indépendance, sa clairvoyance, une réputation d’intelligence que la plus obtuse partisanerie n’aurait pu lui dénier. L’hystérie bleu et rouge ne conduisait qu’à l’impasse, à l’absurdité de choix indéfendables, à des enflures de personnalités suscitant colère et cynisme. Aussi, pendant ces années, Anthime se détourna du bruit des institutions et se concentra davantage sur la maîtrise de son art et de ses idées.

Il arriva un jour qu’une délégation de ses concitoyens vînt lui annoncer que sa présence était réclamée à la mairie. On lui apprit que des modérés de tous horizons se ralliaient à sa candidature et qu’on espérait qu’il mette son discernement au service de la population. Dans sa sagesse, Anthime comprit qu’il n’avait rien à gagner à se lancer ainsi sur la scène publique, sinon à faire le plaisir de ceux qui le sollicitaient. Au feu des problèmes, bousculé par les opposants à tout et à rien, il risquait de compromettre sa paix d’esprit et sa sérénité. Lui qu’on voyait travailler en chantonnant, s’expliquer à lui-même le plan à réaliser en découpant, rabotant, fraisant et perçant les pièces de bois, évaluer le point d’aboutissement d’un madrier, d’une poutre, d’un linteau, en prédisant : ça, ça va mourir ici ; ça, ça va mourir là, celui-là ne se concevait pas à la mairie. Facile d’en déduire qu’il se demandait, dans telles circonstances, comment préserver l’incorruptible clarté de son esprit devant les menaces de la frénésie partisane. Il se rendit malgré tout à la requête populaire par devoir, fit un compromis avec sa conscience, et se mit en frais d’administrer une municipalité située entre le bord de l’eau et la montagne, entre besoins et services, entre déraison et bon sens. Homme d’une petite éducation, il consacra plus d’heures, de jours et de mois qu’il ne l’aurait voulu à cette cause qu’il respectait, mais qui l’éloignait de son atelier et de

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Anthime et autres récits

son œuvre. Il lui donna tout de même une dizaine d’années après lesquelles il se retira. La dernière sollicitation qu’on lui adressa fut pour le nommer juge de paix, fonction qu’il accepta avec le sourire.

Le vieillard qu’il était devenu s’amusait des questions des enfants. Ma mère se souvient que son grand frère, Cyrille, lui avait demandé : pourquoi grand-père Anthime tu parles tout seul quand tu travailles ? Il lui avait répondu que c’était parce qu’il essayait de faire le ménage dans ses idées et que, quant à être contredit par n’importe qui, aussi bien l’être par soi-même.

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La promesse de Roland English

Ces sages t’ouvriront le chemin de l’éternité et t’élèveront à des hauteurs d’où personne ne peut être forcé à redescendre.

Sénèque.

U

n beau grand pays a fini par exister à force de l’étirer, de lui additionner des provinces, pour qu’il tienne entre deux océans. De peur qu’il ne se disloque aux premiers soubresauts, il fut résolu de lui faufiler un fil de fer, d’une extrémité à l’autre de ses terres, pour garantir son unité.

Ses pères investirent dans la construction d’une voie ferrée toute la valeur symbolique de leur création. Ainsi naquit un pays dont la mère serait une locomotive promenant sa générosité a mari usque ad mare, selon sa devise latine. D’une mare à l’autre, traduisaient les insolents.

Ce pacte de génie, qui prescrivait de faire tenir ensemble les morceaux épars d’un continent que rien ne prédestinait à se souder, fut scellé en 1867. L’Acte fut signé pour le plaisir de la reine d’Angleterre, qui craignait que l’indépendance étatsunienne – acquise à ses dépens – et ses ambitions continentales ne se propagent chez sa pacifique conquête. C’est

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Anthime et autres récits

dans ces circonstances que naquit le pays qui se trouve au nord de l’Amérique du Nord.

Il est d’un usage universellement reconnu qu’un candidat lorgnant un poste de député fasse des promesses à ses futurs électeurs. Parce qu’il désirait plus que tout siéger au Parlement du grand pays, y avoir une chaise à son nom à la Chambre des communes, un fin renard de la rivière du même nom, politicien de la Gaspésie, eut une vision digne de celle des pères fondateurs : il ferait construire un rameau ferré sur le Grand Tronc intercolonial afin de rattacher fermement le Nord de sa péninsule au grand pays. Telle fut sa promesse.

Ce politicien se nommait Roland English. Était-ce à cause de ses origines s’il avait le don de lire dans les pensées de ses concitoyens isolés, oubliés, abandonnés à leur sort en rien enviable ? En effet, comment pouvaient-ils être fiers, s’identifier à leur pays quand aucune locomotive ne sifflait à leurs oreilles, quand le privilège de humer la fumée de son charbon patriotique leur restait inaccessible. Dans ses rêveries stratégiques, Roland comprit le désarroi de ses chers électeurs. Voilà pourquoi, enfin devenu candidat, il se mit en frais de parcourir la campagne la bouche remplie de douceurs partisanes ; il chanta si bien qu’il finit par gagner son siège au Parlement, en juin 1957. Mais de peine et de misère, ne devançant son opposant que de quelques votes chèrement acquis.

Roland ne se trouva pas le seul mal élu du pays, son gouvernement de conservateurs demeurant minoritaire. Difficile dans ces conditions de tenir ses promesses, fussent-elles les plus unificatrices, chargées d’un lourd poids symbolique permettant à un chapelet de villages de se voir admis dans le grand dessein confédéral.

Sauf qu’il fallait compter avec le chef de Roland, un vieux bouledogue aussi britannique que son député était English.

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La promesse de Roland English

Convaincu qu’il se trouvait porté par un élan favorable, le dogue puissant et gros n’attendit pas un an et repartit battre la campagne. Trop heureux, le nouveau député reprit la route enneigée, voire impraticable, pour entonner, une octave plus haut, sa promesse électorale : notre chemin de fer, nous l’aurons.

Élisez-moi ! Et il fut réélu, en mars 1958.

C’est fait, nous avons gagné notre chemin de fer en Gaspésie du Nord, clama la population, qui n’aurait pas été loin d’organiser des fêtes naïves à l’intention du député, s’il avait eu l’affabilité de revenir remercier ses électeurs. Car il tardait à effectuer son retour triomphal, il semblait que tout ne fût pas limpide dans son projet.

Les férus d’histoire rappelèrent que La Punaise, comme on appelait, affectueusement pour les uns, ironiquement pour les autres, le train qui reliait Mont-Joli à Matane, existait déjà depuis 1910. Cela donnait la mesure du temps qui passait dans la concrétisation du vœu des pères du pays d’assembler tous les morceaux du casse-tête de ce dominion britannique.

Si l’horloge de l’unité pouvait faire montre d’une telle lenteur, comment une poignée de villages, essaimés par sauts et par buttes sur un littoral de caps et de montagnes, comment allaient- ils s’y prendre pour accélérer le cours du temps politique ? Même les plus dévoués commencèrent de se demander si la promesse de Roland était réalisable. Avait-il lancé des paroles en l’air, dans le beau ciel gaspésien, aux pastels à aucun autre comparables, pour se gréer d’une chaise dans une chambre commune ?

Pour rassurer les ardents et démontrer la bonne foi de Roland, la population fut mise au courant que la chambre de commerce de Gaspé-Nord, des industriels, le député English lui-même, main dans la main avec son voisin de Bonaventure, Bona, et même le député provincial du comté, s’étaient

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Anthime et autres récits

rendus en délégation caresser les oreilles du bouledogue de premier ministre, en plein hiver du grand pays. Un geste d’apprivoisement sympathique qui avait servi à lui rappeler la promesse de son député, autrement dit celle de son parti.

Cette impressionnante délégation savait bien que l’animal de premier ministre venait d’une province, plate comme un filet de morue, où il n’y avait aucun cap, aucune colline, a fortiori pas de montagnes ni de morue, d’ailleurs. Elle craignait que ce citoyen de la Saskatchewan, le nom sur lequel tous trébuchaient, sauf Roland – à cause de son patronyme ? –, ne rejette du revers de la main son projet parce qu’il avait trop de relief. Bref.

Donc, les plus calculateurs se dirent que si Roland s’était fait réélire, en mars, en réitérant sa promesse de chemin de fer, trois mois après avoir caressé les oreilles du vieux bouledogue, c’est que ce dernier lui avait fait un signe d’approbation, de la truffe ou de la queue.

Mais rien ne se passait. Pas un tracé, pas de ballast répandu, encore moins une traverse posée et un rail dessus. Rien que des paroles qui s’envolaient.

Et puis surgit dans le débat nord-gaspésien la question de la longueur du chemin ferré. D’un commun entendement, on croyait que la promesse poursuivait l’objectif de faire se raccorder les deux tronçons existants, celui de ladite Punaise, qui stoppait à Matane, et celui du Chaleur, qui contournait la péninsule par le sud en longeant la baie dont il portait le nom pour atteindre Gaspé. Autrement dit, une promesse de Matane à Gaspé.

Que nenni ! Il s’avéra que le député s’était fait élire sur un tiers de promesse, le rail ne devant parcourir qu’un tiers du chemin, qui allait de Matane à Sainte-Anne-des-Monts. Cette rumeur eut l’heur d’en refroidir plusieurs. Il n’empêche qu’un an après la réélection de Roland, une pétition circula dans le

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Tellement pris par sa description, le chasseur en oublia de dire qu’il avait tiré. Comment voulez-vous toucher une cible à la brunante ? C’était le dernier soir. On rentra chez soi avec la promesse de se rattraper l’année suivante.

Sur sa chaise, Gabriel perdit en volubilité. Il n’en raconta pas moins qu’il s’était retrouvé au Troisième lac, un an plus tard.

Manque de chance, il a plu tout le temps. Avec les garçons, on s’est conté des histoires dans le camp qui sentait le poulailler.

Cela n’a pas empêché qu’on aperçoive des pistes et du fumier non loin de la vasière.

La troisième année au Troisième lac devait s’avérer la bonne. Un matin qu’il avait simulé les amours de la femelle, Gabriel a entendu le mâle se prélasser dans l’eau sur l’autre rive. Toujours cet impressionnant panache. Il aurait eu son arme à portée de main qu’il se serait trouvé trop loin pour courir le risque de le manquer.

La quatrième année, l’animal a bardassé près de la baraque, a rôdé sur la berge – des pistes partout –, et un étranger d’un campement rival a rapporté l’avoir entrevu sans arriver à le mettre en joue.

Mais un beau panache, il n’y avait pas à redire !

Les avis sont toujours partagés au sein des chasseurs sur la manière de montrer son trophée. Il y a ceux, dont Gabriel, qui prônent de détacher les cornes du crâne pour l’exposer bien en évidence sur le capot ou sur le châssis surmontant la cabine. À leurs yeux, c’est une question d’élévation d’esprit, ça démontre plus de classe. Et il y a les autres, plus nombreux, les partisans de la guillotine trouvant une joie grossière à exhiber la tête de celui à qui, mort, ils refuseraient désormais leur respect. On décapite des rois pour recréer des aristocraties.

Année après année, le panache de l’orignal du Troisième lac, que les villageois en étaient venus à appeler l’orignal de

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Un testament celtique

Gabriel, gagnait en largeur et en agrément. D’une fois à l’autre, les deux occupants du ravage se toisaient, jouaient la scène de la séduction, sentaient leur fumier, marchaient dans leurs pas et, au moment qu’il choisissait, l’orignal laissait entrevoir ses bois à Gabriel qui ratait sa cible. Chacun se donnait rendez-vous l’année suivante.

Pendant dix ans, Gabriel est monté à son camp. Puis, un jour, il a annoncé qu’il ne s’estimait plus assez en santé pour continuer. Tout son cérémonial de chasseur lui manquerait, il s’ennuierait de ce coup d’œil furtif mais émouvant sur le panache de son orignal. La onzième année, le camp du Troisième lac est demeuré figé, éteint, sans odeur, dans le silence.

Un animal devenu vieux a tourné autour des installations, a attendu qu’on essaie de le leurrer avec une imitation de femelle, mais s’est endormi sur sa déception. La ramification de ses bois avait atteint la perfection. Il appartenait maintenant à l’élite de sa race, il ne lui restait rien à prouver pour qu’on salue en lui le seigneur de la forêt. Le déploiement de sa ramure aurait inspiré les artistes comme chez les Celtes qui la représentèrent sur des autels ou leur chaudron magique.

Dans la relation complexe entretenue entre le gibier et le chasseur, il n’était pas dit qu’on se séparerait sans compassion.

Un matin de novembre, Gabriel s’est rendu à l’étable située en bordure du bois. D’un pas vieilli, torturé par ses rhumatismes, l’esprit vague, il avait eu envie de se rassurer auprès de son bétail.

À l’instant où il est arrivé devant la porte du bâtiment, sa surprise a failli l’étouffer d’apercevoir dans le sentier, en direction de la forêt, les deux morceaux du panache qu’il a reconnu immédiatement. Et, dans la neige, les pistes qu’il avait observées tellement de fois autour de leur lac. Il a peiné à soulever les bois pour les emporter dans la maison tellement

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ils pesaient lourd. L’œil halluciné, le sourire mélancolique, tel qu’elle l’a découvert, sa femme a accepté avec commisération que cette histoire demeure leur secret. Elle l’a rassuré, personne ne l’avait vu rentrer.

De son existence, Gabriel n’eut jamais connaissance de Cernunnos, la divinité celte de la chasse embusquée dans son inconscient. Si ce dieu s’était révélé à lui, on aurait pu croire que le chasseur l’avait honoré à la fin de sa vie. Lorsque Gabriel est mort, il fixait le mur au pied de son lit où il voyait le panache et la plaque qui disait : « Je te salue, maître du Troisième lac. »

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Une première version de « Francis de La Grange » a paru dans le Magazine Gaspésie, n˚ 180, juillet 2014.

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Anthime, la sagesse incarnée 7

La promesse de Roland English 13

Babine fleurie 21

Qu’un moulin d’illusions 29

Acadia 39

La croix du Do 49

Sombré dans l’oubli 57

Cinq pouces à côté d’la mappe 63

Magellan le fabuleux 67

Jérémie ou le songe du Petit-Ruisseau 75

Virevent 83

Sa maîtresse chez Nelligan 85

Francis de La Grange 91

La tête à Esdras 103

Monsieur Charles 109

La face du curé B. 115

Chouclaques 123

Le chemin des larmes 127

Tirer au fusil 135

Un testament celtique 145

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Extraits du catalogue de nouvelles :

Helden/Héros de Wilhelm Schwarz (édition bilingue allemand-français) Voyages et autres déplacements de Sylvie Massicotte

Femmes d’influence de Bonnie Burnard (traduit de l’anglais par Stéphane Brault)

Insulaires de Christiane Lahaie

On ne sait jamais d’Isabel Huggan (traduit de l’anglais par Christine Klein-Lataud)

Attention, tu dors debout d’Hugues Corriveau Ça n’a jamais été toi de Danielle Dussault

Verre de tempête de Jane Urquhart (traduit de l’anglais par Nicole Côté)

Solistes de Hans-Jürgen Greif Haïr ? de Jean Pierre Girard

Trotski de Matt Cohen (traduit de l’anglais par Daniel Poliquin) L’assassiné de l’intérieur de Jean-Jacques Pelletier

Regards et dérives de Réal Ouellet

Traversées, collectif belgo-québécois (en coédition avec les Éperonniers)

Revers de Marie-Pascale Huglo

La rose de l’Érèbe de Steven Heighton (traduit de l’anglais par Christine Klein-Lataud)

Déclarations, collectif belgo-québécois (en coédition avec les Éperonniers)

Dis-moi quelque chose de Jean-Paul Beaumier Circonstances particulières, collectif

La guerre est quotidienne de Vincent Engel (en coédition avec Quorum)

Toute la vie de Claire Martin

Le ramasseur de souffle d’Hugues Corriveau Mon père, la nuit de Lori Saint-Martin Tout à l’ego de Tonino Benacquista Du virtuel à la romance de Pierre Yergeau Les chemins contraires de Michel Dufour Cette allée inconnue de Marc Rochette

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Tôt ou tard, collectif belgo-québécois (en coédition avec les Éperonniers)

Le traversier de Roland Bourneuf

Le cri des coquillages de Sylvie Massicotte L’encyclopédie du petit cercle de Nicolas Dickner

Métamorphoses, collectif belgo-québécois (en coédition avec les Éperonniers)

Les travaux de Philocrate Bé, découvreur de mots, suivis d’une biographie d’icelui, collectif Des causes perdues de Guy Cloutier La marche de Suzanne Lantagne Ni sols ni ciels de Pascale Quiviger

Bye-bye, bébé d’Elyse Gasco (traduit de l’anglais par Ivan Steenhout) Le pharmacien de Sylvie Trottier

Dangers, collectif belgo-québécois (en coédition avec Images d’Yvoires)

Nouvelles mémoires de Marie Claude Malenfant

Vers le rivage de Mavis Gallant (traduit de l’anglais par Nicole Côté) Peaux de Marie-Pascale Huglo

Pornographies de Claudine Potvin

Clair-obscur, collectif belgo-québécois (en coédition avec Images d’Yvoires)

Arrêts sur image de Lise Gauvin Mémoire vive de Maurice Henrie Le dragon borgne de Gérard Cossette Carnet américain de Louise Cotnoir La route innombrable de Roland Bourneuf Trois filles du même nom de Suzanne Lantagne Les noces de vair de Jean-François Boisvert Ï (i tréma) de Gilles Pellerin

La Mort ne tue personne de France Ducasse

On ne regarde pas les gens comme ça de Sylvie Massicotte Les cinq saisons du moine de David Dorais

5-FU de Pierre Gagnon

Femme-Boa de Camille Deslauriers Par ailleurs de Réal Ouellet

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Intra-muros de Nicole Richard

Trompeuses, comme toujours de Jean-Paul Beaumier Les cigales en hiver d’Hélène Robitaille

Les enfants de Manhattan de Marie-Jeanne Méoule Sottises que tout cela d’Anne Perry-Bouquet

L’amour est un carburant propre de Virginie Jouannet Roussel Le feu purificateur de Claire Martin

L’art de la fugue de Guillaume Corbeil

Je jette mes ongles par la fenêtre de Natalie Jean

Dessins à la plume, suivi de Histoires entre quatre murs de Diane-Monique Daviau

Ici et là de Stéphanie Kaufmann

Le chat proverbial de Hans-Jürgen Greif Partir de là de Sylvie Massicotte Le cahier des villes de Louise Cotnoir

Nouvelles du Chili, traduites de l’espagnol par Nahed Nadia Noureddine, Marie-Ève Létourneau-Leblond et Louis Jolicœur Il faut me prendre aux maux de Luc Bureau

Inventaire du Sud d’Alain Raimbault

La pêche aux vélos de Marie Claude Malenfant Le cabinet de curiosités de David Dorais Dans un geste de Suzanne Lantagne

Amours insolites du Nouveau Monde de María Rosa Lojo (traduit de l’espagnol par André Charland)

Eaux troubles de Camille Deslauriers

Prends-moi au mot et donne-moi la main. Nouvelles grecques contemporaines, traduites du grec par Jacques Bouchard Noirs horizons de Gaston Sironi (traduit de l’espagnol

par Antoine-Olivier Raymond) i2 (i carré) de Gilles Pellerin Échardes de Hans-Jürgen Greif

Mathématiques intimes de Lori Saint-Martin Quelqu’un de Sylvie Gendron

Avant d’éteindre de Sylvie Massicotte Anthime et autres récits de Bernard Boucher Ce côté-ci des choses de Bertrand Bergeron

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Anthime

et autres récitsBernard Boucher

Bernard Boucher

Anthime

et autres récits

Dans la maison de Gabriel se trouvait une pièce sans nom, entre la cuisine et le salon, qui désemplissait rarement. Entouré de chaises droites, berceuses ou rembourrées, cet entre-deux devenait, par intermittence, le lieu où se racontaient des histoires, des expéditions, des peurs, des menteries, tout ce qui peut tenir dans l’imagination et sortir de la bouche d’un homme.

La Gaspésie est pays de mer, de champs, de forêts, de vent, de travail et de parlure. Les Gaspésiens ici regroupés autour d’Anthime en ont arpenté les routes et peuplé les villages, y laissant empreintes d’hommes et de femmes. Les agissements des uns et les exploits des autres font le chemin qui mène au salon, au garage ou à l’arrière-cuisine qu’aurait pu avoir fréquentés Jacques Ferron du temps où il chaussa les bottes du docteur Cotnoir. Le récit réorganise tout, ajoutant de-ci un peu de mystère, de-là un rien de la philosophie des chômeurs, l’hiver.

Sous la plume de Bernard Boucher, la légende prend corps. Son chemin à lui, c’est celui qui remonte à la transformation de ce qui est arrivé en ce qu’ont retenu et dit « ressasseurs de vieilles histoires » et

« menteurs agréés ». C’est-à-dire à la vérité dans ce qu’elle se grime pour être plus belle, pour simplement être belle.

erture : Gilles Pellerin

et autres récits

Anthime

Bernard

Boucher

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