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Konrad Witz: le retable de Genève. Etat des recherches, 2004

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Konrad Witz: le retable de Genève. Etat des recherches, 2004

TERRIER ALIFERIS, Laurence & Musée d'art et d'histoire de Genève

Abstract

Rapport complet de recherche élaboré en vue de la préparation d'une exposition sur Konrad Witz au MAH de Genève.

TERRIER ALIFERIS, Laurence & Musée d'art et d'histoire de Genève. Konrad Witz: le

retable de Genève. Etat des recherches, 2004. Musée d'art et d'histoire de Genève, 2004, Etat des recherches sur Konrad Witz en 2004

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:94243

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Konrad Witz : le retable de Genève

Etat des recherches

Laurence Terrier, octobre 2004

Rapport de recherche, Musée d’Art et d’Histoire de Genève

Le retable de Genève réalisé par Konrad Witz, dont seuls deux volets ont survécu à l'iconoclasme réformateur, se trouve au Musée d'art et d'histoire de Genève depuis son inauguration en 1910. Pour le moment, il est situé dans une petite salle du Musée, relativement mal mis en valeur et où le recul nécessaire à l'observation de l'œuvre s'avère peu satisfaisant. Il est l'une des œuvres les plus importantes du Musée, mais également la pièce maîtresse dans l'ensemble de la production de Konrad Witz. En effet, seule œuvre signée et datée, le retable constitue le point de départ de toute recherche sur le peintre. Il représente également une œuvre unique dans l'histoire de l'art, puisqu'il s'agit de la première composition de cette dimension1 à représenter un portrait de paysage identifiable, dans lequel se déroule un épisode biblique. Etant donné l'importance de ces panneaux, ils furent abondamment étudiés (nous avons répertorié, pour le XXe siècle, plus de 130 articles concernant le retable de Genève contre moins d'une centaine concernant les autres peintures de Konrad Witz , en particulier le retable du Miroir du Salut). Cependant, malgré la profusion de littérature concernant les volets, nous pouvons remarquer qu'à peine une vingtaine d'ouvrages ou d'articles sont réellement dignes d'intérêt et tentent d'apporter des éléments sérieux aux questions que posent ce retable. En effet, il faut bien constater que de nombreux problèmes non résolus nous empêchent de le comprendre totalement et, malgré les diverses tentatives pour les élucider, cette œuvre n'a pas encore dévoilé tous ses mystères. C'est pourquoi, le Musée d'art et d'histoire de Genève a décidé, en 2002, de tenter de résoudre toutes les difficultés et d’essayer d’apporter des réponses aux discussions et divergences d'opinions qu'engendrent le retable. Pour ce faire, le Musée s'est donné pour mission d'exécuter tous les examens techniques possibles (radiographies, réflectographie, analyse de la technique picturale) et de les étudier d'une manière approfondie. Ces examens constituent en effet le véritable travail primordial qui permettra de faire avancer la recherche stylistique et historique, non seulement sur le retable de Genève, mais également sur l'ensemble de l'œuvre attribuée à Konrad Witz. Parallèlement à ces examens scientifiques, il était indispensable de faire un bilan de l'état des recherches et de dépouiller, pour ce faire, toute la littérature concernant Konrad Witz. Une bibliographie exhaustive fut donc dressée et analysée afin de considérer comment le peintre et son œuvre, et plus particulièrement le

1 Par exemple, les Très Riches Heures du duc de Berry des frères Limbourg illustrent plusieurs portraits de châteaux situés dans leur contexte naturel.

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retable de Genève, furent étudiés au fil du temps. Cela permit de constater où se trouvent les lacunes dans la recherche et donc dans quelle direction il faut la poursuivre. Plusieurs questions essentielles demeurent irrésolues et nous en dressons ici la liste.

Y a-t-il eu une restauration antérieure à celle de 1835? Que signifient exactement les textes d'archives? Quel était l'emplacement primitif et qui est le personnage agenouillé dans la scène de la Présentation? Comment se présentait le retable à l'origine? Que signifie l'iconographie de l'ensemble du retable et de chacune des scènes? Konrad Witz a-t-il ou non reçu une formation flamande? Est-il l'auteur de toute l'œuvre, ou des aides l'ont-ils assisté?

Toutes ces questions demeurent sujettes à controverse et une étude sérieuse est nécessaire, rigoureuse et approfondie pour tenter d'y répondre une fois pour toutes. C'est donc dans cette optique que six spécialistes - Frédéric Elsig, Philippe Lorentz, Cäsar Menz, Anne Rinuy, Nicolas Schätti et Jean Wirth - décidèrent de s'attaquer au problème en prévoyant, pour 2006, une exposition sur le retable de Genève et son influence en Savoie. Pour cela, un dépouillement complet de toute la littérature concernant Konrad Witz leur était utile afin de voir où se situaient exactement les problèmes et dans quel sens aller pour les résoudre. A cela prétend donc notre travail, à savoir montrer quel est l'état actuel des recherches et pointer le doigt sur ce qu'il serait important d'étudier afin d'apporter des réponses aussi définitives qu'elles puissent l'être.

I. Biographie de Konrad Witz

Nous connaissons peu de la vie de Konrad Witz. Cependant, il apparaît dans les archives de Bâle et de Constance qui nous fournissent des témoignages intéressants. Nous savons qu'il naît vers 1410 et qu'il vient de Rottweil sur le Neckar, au sud de l'Allemagne, puisqu'il apparaît ainsi nommé dans les archives de Bâle le 10 janvier 14352. A Constance, nous trouvons un Hans Witz, apparemment le père de Konrad, reçu bourgeois de la ville en 1412 et un Witz der jung quatre ans plus tard, ainsi qu'un Cunrat Witz en 1418, 1419 et 1420. Dans les années suivantes, toujours à Constance, apparaissent soit Witz soit Cunrat Witz et cela jusqu'en 1434. Cette année-là, Konrad Witz est mentionné pour la première fois dans les archives de Bâle dans le livre de la corporation Himmelzunft en tant que maître de la guilde qui comprenait essentiellement des peintres, des orfèvres et des maîtres- verriers3. Six mois plus tard, il acquiert la citoyenneté bâloise. C'est à ce moment qu'il apparaît sous le

2 Conrat Witz von Rotwiler der maler. Miegroet a retranscrit tous les extraits d'archives de Bâle et de Constance qui se rapportent à Konrad Witz et à sa famille. Nous renvoyons donc le lecteur à ces pages (MIEGROET 1986, pp. 96-120).

3 Der moler[...], der goldsmid[...], der glaser[...]. Voir le texte de la guilde de Saint-Luc daté du 21 septembre 1437, ibid. p. 108.

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nom de Konrad Witz de Rottweil, comme nous venons de l'indiquer. Nous apprenons qu'en 1441, il effectue une peinture murale, aujourd'hui disparue, dans le grenier de la ville (Kornhaus) avec le célèbre peintre Lawelin, oncle d'Ursula Treyger, qu'épousera Konrad Witz environ à cette période.

Ursula est la fille d'un autre artiste, Jacob von Wangen, nommé "Treyger" et d'Elsin von Tietwilr. Le jeune couple achète la maison "Zum Pflug" en 1443, et c'est alors la dernière attestation de Konrad Witz à Bâle. L'année suivante, le peintre fait un séjour à Genève pour y exécuter le retable, puis nous ne savons plus rien de lui jusqu'en 1447. Cette année-là, sa femme est dite veuve dans les archives de Bâle. Il semblerait que le père de Konrad soit resté à Constance depuis le départ de son fils jusqu'à la mort de ce dernier, puisque nous voyons un Witz dans cette ville en 1437, 1443 et 14444. En 1448, il est présent à Bâle et s'occupe de la famille Witz. La même année, Ursula décède en laissant ses cinq enfants mineurs. Quatre d'entre eux meurent lors de la peste en 1454 et la dernière, Katharina, entre au couvent.

Malgré ces renseignements précieux, plusieurs éléments nous manquent. Son lieu de naissance demeure inconnu, mais nous pouvons supposer qu'il vit le jour à Constance5 ou à Rottweil6. Il décède entre 1444 et 1447, mais quand et où exactement, nous l'ignorons; en tout cas il est mort jeune, puisque ses enfants étaient encore mineurs. Nous ignorons également son lieu de formation artistique.

Par ailleurs, ainsi que le signale Joseph Hecht, il est fait mention pour la dernière fois de Konrad Witz dans les archives de Constance en 14267. L'auteur se demande où il a pu être entre ce moment et son arrivée à Bâle huit ans plus tard. De plus, fait troublant, Konrad et Hans, originaires de Rottweil, n'apparaissent pas dans les Actes de cette ville8. Mais finalement, nous connaissons tout de même l'essentiel : qu'il se trouvait à Bâle au moment du Concile et qu'il jouissait d'une réputation certaine, puisqu'il laissa un bon héritage à sa famille.

II. L'histoire du retable depuis la Réforme jusqu'à nos jours II. a. Les emplacements successifs du retable

4 Nous verrons plus loin que son absence entre 1437 et 1443 a permis de supposer qu'il se trouvait peut-être en Savoie à cette époque.

5 Ainsi que le pensèrent GANZ 1917, p. 5 et WENDLAND 1924, p. 121.

6 Voir MAYOR 1896, p. 95 et DEHIO 1930, p. 210.

7 HECHT 1937.

8 Ibid., p. 354.

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Nous savons que l'œuvre fut exécutée en 1444, grâce à l'inscription qui se trouve sur le cadre de de la scène de la Pêche miraculeuse qui nous révèle également le nom du peintre : hoc opus pinxit magister conradus sapientis de basilea m cccc xliiii. Il faut attendre 1689, date à laquelle un voyageur anglais - nous y reviendrons un peu plus loin - la décrit dans son récit de voyage, pour avoir la première mention certaine de l'œuvre. Elle se trouve à cette époque dans l'ancien Arsenal Saint-Aspre de Genève construit en 1559. En août 1535, la Réforme atteignit Genève et une vague iconoclaste frappa la ville. Les volets du retable de Genève furent saccagés par de nombreux coups de sabre portés aux visages. Nous ignorons ce qu'il advint de la partie centrale, mais elle fut probablement la cible principale du saccage; le pire put être évité pour les volets, qui furent amenés à l'abri. Lors de la construction de l'Arsenal, ils y furent sans doute déposés bien que leur présence ne soit attestée qu'en 1689. En 1732, les panneaux sont transférés à la Bibliothèque Publique, afin d'y être mieux conservés9. A l'occasion du Jubilé de la Réforme en 1835, ils sont restaurés par Mme Bourdet, puis, en 1843, lorsque la Bibliothèque effectue des échanges d'œuvres avec le Musée Rath, les panneaux trouvent place en ce lieu jusqu'en 1874 où ils passent au Musée archéologique, situé alors dans un sous-sol de la Bibliothèque publique. Ils sont finalement installés au Musée d'art et d'histoire lors de son ouverture en 1910.

II. b. Les restaurations

Comme nous l'avons signalé, l'œuvre fut saccagée lors de la Réforme; tous les visages furent balafrés, exceptés ceux du panneau de la Délivrance. Le retable connut deux restaurations, en 1835 et en 1917. La première, due à Julie Bourdet, fut critiquée quelques années après déjà10. Elle repeignit plus qu'elle ne restaura. La seconde restauration11, dirigée par Philippe Benz à Bâle, s'appliqua à supprimer la précédente, afin de retrouver l'œuvre dans l'état d'avant 1835 et de combler les lacunes engendrées par les coups de sabre. Grâce au travail minutieux et consciencieux de ce restaurateur, les visages retrouvèrent plus ou moins leur aspect original12. Cependant, Danielle Buyssens mit en

9 Il [M. Baulacre] a aussi raporté qu'en suite de la permission du Magnifique Conseil il avoit fait aporter à la Bibliothèque deux anciens Tableaux d'Eglise qui étoient restés dans le vieux Arsenal, où ils risquoient d'être endommagés. Dans l'un on voie l'adoration des Mages, et dans l'autre un Evêque de Genève à genou devant la sainte Vierge et l'enfant Jésus, et qui leur est présenté par saint Pierre; que cet Evêque [mot illisible] à côté de lui un chapeau de Cardinal, ce doit être Jean de Brognier Cardinal de Viviers qui présida au Concile de Constance et qui fut administrateur de l'Evêché de Genève; que ces Tableaux sont sur du bois et peints en détrempe et des deux côtés, ce qui prouve qu'ils servoie [sic] d'armoire à un autel, aparemment à celui de saint Pierre; que ces Tableaux étant les seuls que le zèle Réfomateur ait épargnés méritoient d'être conservés.

(REGISTRE BPU 1732, séance du 2 septembre 1732)

10 Sur Julie Bourdet et cette restauration, voir l'article de TISSOT 2001.

11 A ce sujet, voir en particulier BOVY 1925.

12 Henri STIERLIN (1960), estima que les deux restaurations furent une catastrophe. Wendland avait déjà élevé quelques critiques sur la restauration de 1917 (WENDLAND 1924, p. 61). Cependant, la grande majorité de la critique reconnut à sa juste valeur le travail de Philippe Benz, effectué avec une constante réflexion afin que l'œuvre retrouve au mieux son aspect originel.

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évidence certains faits, on ne peut plus troublants, et émit l'hypothèse d'une restauration antérieure, peut-être au XVIIe siècle13. En effet, il semble que la première mention certaine du retable vienne de William Bromley, qui, en 1689, visite l'Arsenal Saint-Aspre où étaient alors exposés les panneaux. Il rapporte dans le récit de son voyage que "in the Arsenal they shew, for the absurdity of them, two Pictures that were Altar-pieces in this City, before the Reformation."14. Il ne fait absolument pas état des nombreuses balafres qui devaient défigurer l'œuvre. Le Registre de la BPU de 1732, cité ci-dessus en note 9, ne mentionne pas non plus des dommages subis par ces tableaux. Baulacre, dans un article sur Brogny, écrit que ce dernier "paroit dans la Bibliothèque de Genève sous deux figures bien diférentes. On l'y voit d'abord représenté dans un bas relief en bois, come un jeune Porcher. Mais on l'y voit après cela peint fort honorablement en Prélat. C'est dans un Tableau qui étoit autrefois sur le grand Autel de nôtre Cathédrale."15 Sénebier en 1786 va même jusqu'à décrire les deux parties comme étant "fort bien conservées"16! Et en 1788, il ajoutera que le portrait du donateur est comparable à celui de Brogny dans le vestiaire de la cathédrale d'Annecy17. Ces témoignages, de Baulacre et de Sénebier, troublent, puisqu'ils laissent supposer que le portrait était en bon état et que le personnage représenté pouvait être identifié à Brogny au moyen d'un autre portrait. Cependant, et Danielle Buyssens le mentionne également18, nous pouvons lire dans le Registre de la Direction de la Bibliothèque, lors de la séance du 5 septembre 183519 : " Les tableaux des retables en particulier peints en retrempe sur un bois vermoulu et percés ou déchirés par des coups de sabre au moment de la Réformation ont exigé beaucoup de soins et de temps de la part de Mme Bourdet qui est très versée dans ce genre de réparation. Elle demande 1°: 5 francs par portrait et 2°: 25 francs pour chacun des 4 tableaux : elle demande qu'il lui soit permis d'en achever la réparation, vu qu'elle a laissé son ouvrage à moitié fait et annonce qu'il lui faudroit encore quinze jours non pour rien changer, ôter ou ajouter, mais uniquement pour rallier les diverses parties qu'elle a commencé de nettoyer, ouvrage qui porteroit à 50 francs la somme demandée pour chaque tableau." Nous trouvons donc là une trace des dégâts visibles sur l'œuvre ainsi qu'une réparation effectuée par Mme Bourdet. Il n'en demeure pas moins surprenant qu'il s'agit là de la seule mention des coups. Une étude approfondie de la stratigraphie des peintures en plusieurs endroits de la couche pictural s'avère donc absolument nécessaire. Il est en effet essentiel de

13 BUYSSENS 1993. Pour ce remarquable article, l'auteur a effectué un travail minutieux dans les sources des XVIIe et XVIIIe siècles. Elle apporte des éléments essentiels et nouveaux indispensables pour toute recherche sur le retable.

14 Nous n'avons pas pu consulter l'ouvrage de BROMLEY 1692. Il est cité par BUYSSENS 1993 p. 121.

15 BAULACRE 1749, p. 9.

16 SÉNEBIER 1786, p. 37.

17 Ibid, p. 41. GRILLET (1807, p. 142) dira exactement la même chose. Bien plus tard, MAYOR (1896, p. 98, note 2) s'opposera à la ressemblance du donateur représenté sur le retable avec les portraits d'Annecy et celui où il paraît en porcher, conservé alors non plus à Genève mais à Turin. Il constate que ces portraits sont bien postérieurs au Retable de Genève et la mutilation des visages n'auraient pas pu permettre de faire une copie du prélat.

18 BUYSSENS 1993, p. 129.

19 REGISTRE BPU 1835.

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pouvoir répondre ainsi à ces questions, à savoir : quelle fut exactement l'ampleur de la restauration de 1835 et y en a-t-il eu avant ?

La partie centrale a donc totalement disparu. Il est certes possible d'échafauder des hypothèses, cependant l'élément clef du retable nous fait définitivement défaut. De même, le destin de l'œuvre jusqu'en 1689 restera pour nous probablement toujours un mystère. Les mentions des panneaux au XVIIIe siècles troublent, et peuvent laisser supposer une restauration des volets avant celle de 1835.

Nous pouvons espérer que les examens scientifiques pourront nous fournir des indications précieuses à ce sujet.

III. Histoire de la réalisation du retable

Nous ne connaissons malheureusement que bien peu d'éléments sur le contexte de la réalisation du retable. Nous savons en outre que le commanditaire ne peut être que François de Metz en raison des données chronologiques. Les armoiries peintes sur le cadre des scènes extérieures sont les siennes ou celles de son oncle Jean de Brogny, évêque de Genève. Or, ce dernier décède en 1426 et son neveu lui succède à ce moment au siège épiscopal, position qu'il occupera jusqu'à sa mort en mars 1444. De plus, la scène de la Présentation montre un évêque auquel l'on présente un chapeau de cardinal.

François de Metz reçut cette dignité de Félix V en 1440 et devint alors cardinal de Saint-Marcel, mais nous verrons que ceci ne constitue pas un élément déterminant, puisque le prélat représenté pourrait être Brogny, qui exerça également ces deux fonctions ecclésiastiques. François de Metz se rendit au Concile de Bâle et rencontra probablement Konrad Witz à ce moment. Le cardinal quitta la ville en 1443, suivi par le peintre quelques mois plus tard.

III. a. Les textes d'archives

Les textes d'archives qui nous sont parvenus sont malheureusement peu explicites et ne peuvent guère nous renseigner avec certitude sur la question du commanditaire et sur l'emplacement primitif.

Louis Blondel en 1942 a découvert et retranscrit20 plusieurs textes des archives de Genève concernant, à son avis, le retable de Konrad Witz. Tout d'abord, deux passages du Registre des Comptes du Chapitre. Le premier date du 20 février 1444 : Item libravit de mandato venerabilium virorum dominorum chantorum A. Piocheti H. de Chissiaro die XX februarii magistris qui faciebant tabulam

20 BLONDEL 1942. Après vérification avec le Pr Jean Wirth, il s'avère que les transcriptions proposées par Blondel sont exactes.

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Reverendissimi Domini cardinalis Sancti Marcelli, iii s.21. Il nous apprend qu'une tabula fut exécutée pour François de Metz par des maîtres. Le terme de tabula pose problème, car ce terme est souvent utilisé pour désigner un retable ou une image peinte, mais pas uniquement22, d'autant plus que cette tabula est faite et non peinte et que plusieurs maîtres sont payés une somme extrêmement petite. Bien que la date et le propriétaire de l'œuvre coïncident, nous ne pouvons certifier qu'il s'agit bel et bien là de notre retable. Dans le même registre, se trouve le deuxième passage, postérieur à la mort de François de Metz survenue le 07 mars 1444 : Item libravit Bertheto de Quarro notario pro clausula testamenti bone memorie Domini cardinalis Sancti Marcelli pro quadam comissione tradita venerabili Domino Anthonio Piocheti ad corrigendum altare, xxxv s.23 Un notaire fut payé pour exécuter une clause du testament du cardinal de Metz, à savoir corriger un autel. Ici, le terme altare est employé, contrairement à l'extrait précédent. Il n'est donc pas certain du tout qu'il s'agisse du même objet dans un cas et dans l'autre. Un troisième texte, du 01 avril 1468, se trouvant dans les Registres des Délibérations du Chapitre est transcrit également par Blondel : Fiat mandatum Domino Kalendrio solvat tres scutos pictori pro pictura tabule existentis supra magnum altare.24 On paie un peintre pour une peinture du retable se trouvant sur l'autel majeur. S'il s'agit bien du retable de Genève, se situant sur le magnum altare, il aurait donc subit deux modifications, en 1444 et en 1468. Là encore, les examens scientifiques pourraient nous fournir des réponses décisives en tâchant de constater s'il y a pu y avoir des modifications immédiatement après l'exécution de l'œuvre. Nous voyons donc que ces trois premiers extraits ne sont pas clairs et nous ne pouvons être sûrs qu'il s'agisse là du retable de Genève.

Mais si des examens scientifiques montrent des modifications qui auraient eu lieu au XVe siècle, il serait alors possible de considérer les deux derniers textes d'archives comme ayant trait au retable de Konrad Witz. Blondel ajoute encore deux autres passages plus tardifs, qui selon lui se rapportent également au retable de Genève. Le premier, toujours dans le Registre des Délibérations du Chapitre, à la date du 1er juin 1527, R.P dominus Aymo de Gingino concanonicus mera et libera voluntate dedit pro mundando cenam Paduano, videlicet quinque scutos25, signale un nettoyage de la cène effectué par un Padouan, puis le 6 décembre 1535 : "Plus livré aut masson qui az osté les images de laz cenne de Sainc Pierre, du commandement du sindique Bandire, 3s., 10d. "26. Dans ces deux extraits, le

21" Item, le 20 février, il [le Chapitre] donna trois sols, à la demande des vénérables chantres A. Piochet et H. de Chissiaro, aux maîtres qui ont fait le panneau du Cardinal de Saint Marcel."

22 Voir DU CANGE, article « Tabula », en particulier les numéros 1 et 2.

23 "Item, il donna 35 sols au notaire Berthet de Quarro pour la clause du testament du cardinal de Saint Marcel, de bonne mémoire, pour une commande confiée au vénérable sir Antoine Piochet pour corriger l'autel.

24 "Qu'on exécute la demande du seigneur Kalendrius de payer trois écus à un peintre pour une peinture du panneau se trouvant sur l'autel majeur."

25 "R.P. sir Aymo de Gingin, confrère chanoine, donna de sa pure et libre volonté au Padouan 15 écus pour nettoyer la cène." Selon DEONNA (1951, p. 75), il s'agit peut-être de Jean de Padoue, cité dans les Registres du Conseil, qui serait également le "Jean le peintre" mentionné dans ces Registres. Nous tenons en outre à souligner l'importance de cet article, extrêmement bien construit, qui reprend d'une manière claire tous les arguments émis jusqu'alors sur les principaux problèmes tels que l'emplacement primitif, le donateur et la reconstitution du retable.

26 DUFOUR 1919 et 1925 retranscrit déjà ces deux derniers extraits.

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problème principal qui se pose consiste à comprendre la signification du mot cena, "cenne" en ancien français. Il s'avère que le plus souvent ce mot désigne un repas27. Nous ne pouvons donc pas être d'accord avec Dufour qui propose de lire scenam et considérer par ce fait "laz cenne de Sainc Pierre"

comme le retable de Konrad Witz28. Cependant, il se pourrait, ainsi que Naef l'a supposé, qu'il s'agisse d'une sainte Cène29. Les textes d'archives qui nous sont parvenus ne nous fournissent donc absolument aucun secours fiable pour la compréhension de notre retable et il est dès lors inutile de les invoquer, pour le moment, comme preuves. Cependant, si les examens de la couche picturale nous révèlent des modifications postérieures de peu à l'exécution du retable, nous pourrons considérer que les textes de 1444 et 1468 concernent le retable.

III. b. Le commanditaire et l'emplacement primitif

Revenons alors en 1732, au moment de l'entrée de l'œuvre dans la Bibliothèque. Baulacre pensa en premier lieu à un retable de la cathédrale Saint-Pierre représentant Brogny30 (l'inscription, et donc la date, n'étant pas lue). La Corbière31 verra la date en 1752 mais lit 1415. Il conclut donc que Brogny, évêque de Genève à cette date, est le personnage agenouillé devant la Vierge et que le retable n'était pas destiné à la cathédrale elle-même, mais à la chapelle des Macchabées, fondée par Brogny. Dès lors, cette opinion prévaudra longtemps32. Et tous ceux qui s'exprimèrent sur le tableau, sans pour autant préciser leur avis quant à l'emplacement original, reconnaissaient Brogny dans la scène de la Présentation33. La raison de cette identification était donc essentiellement due à une erreur de lecture de la date. Blavignac, le premier, déchiffre l'inscription correctement en 1845 : "J'ai lu distinctement au-dessous de ce dernier sujet la date M CCCC XLIIII et le nom de CONRADUS SAPIENTIS DE BASILEA, qui est peut-être celui du peintre auquel nous devons ces ouvrages."34 Il émet alors l'hypothèse qu'il pourrait s'agir de François de Metz. Près de vingt ans plus tard, Archinard reprend la découverte de Blavignac35, mais il restera le seul jusqu'à Mayor en 1896 et Burckhardt en 1901. Ces deux derniers firent une découverte capitale en 1895, puisqu'ils furent attirés par la similitude que présentait le retable avec les panneaux de Bâle attribués alors à l'école de Gérard de Saint-Jean. Ils

27 Pour tous les auteurs suivants, cene, ceine, cener et coena désignent un repas, un festin ou la Cène du Christ.

(DU CANGE 1842, p. 414; GODEFROY 1883, p. 13; HUGUET 1932, p. 149; TOBLER, p. 86).

28 DUFOUR 1919 et 1925. Il est suivi par DEONNA 1951, p. 75.

29 NAEF 1937, p. 120, note 5. Selon lui, cette sainte Cène était la peinture principale de la cathédrale, ainsi que l'atteste le texte d'archive de 1527, que nous avons cité à la page précédente, et le retable de Witz ne se trouvait donc pas là.

30 REGITRE BPU 1732 et BAULACRE 1749, p. 9.

31 LA CORBIERE 1752, p. 541.

32 GRILLET 1807, p. 412; MALLET 1844, p. 178; RIGAUD 1845, pp. 42-43 et RIGAUD 1876, pp. 32-33.

33 SENEBIER 1786, p. 37 et SENEBIER 1788, p. 41; JdG 1827, p. 2; LE FEDERAL 1843, p. 3; CAT. RATH 1846, p. 90, 1859, p. 91 et 1870, p. 54; GAULLIEUR 1853.

34 BLAVIGNAC 1845 p. 121.

35 ARCHINARD 1864 pp. 227-228.

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mirent ainsi un point de départ aux recherches sur Konrad Witz et sur son œuvre36. Cependant, pour eux, François de Metz a bel et bien commandé le retable, mais en souvenir de son oncle Brogny, représenté sur le panneau de la Présentation à la Vierge, puisque ses armoiries sont peintes sur le cadre. D'autres par la suite suivront cette opinion37 et bien plus tard Miegroet l'argumentera38. Dès Burckhardt, la question du commanditaire ne posera plus problème, tout le monde admettant qu'il s'agit de François de Metz39. Cependant, l'emplacement prévu du retable et l'identité du donateur agenouillé restent sujets à discussion.

Mandach, en 190740, remarque que le retable ne peut convenir à la chapelle des Macchabées en raison de sa taille. En effet, il devait mesurer environ 6m20 de largeur tandis que la chapelle ne mesure que 6m05. Par contre, le chœur de Saint-Pierre, avec ses 9 mètres, permet au retable de s'ouvrir41. Ce lieu semble mieux approprié, d'autant plus qu'Amédée VIII avait fondé en 1426 une messe solennelle de Saint-Pierre-ès-liens à laquelle le retable de Konrad Witz fait justement allusion. Par ailleurs, un incendie en 1430 détruisit une partie de la cathédrale; le chœur fut particulièrement atteint. Mandach pense que François de Metz, qui chercha à réparer les dommages et à reconstituer le mobilier, demanda un retable à Konrad Witz dans ce but. Mandach ne s'accorde pas non plus avec l'opinion répandue concernant le donateur représenté. Selon lui, il ne s'agit pas de Brogny mais de François de Metz. Pour appuyer son opinion, il invoque le réalisme du portrait42, qui ne peut être exécuté que d'après un modèle vivant, et la nomination récente de François de Metz. Par ailleurs, Jean de Brogny et François de Metz possédant les mêmes armes, les écussons du cadre ne permettent pas l'une ou l'autre identification. Nous voyons ainsi que déjà en 1907 les hypothèses les plus vraisemblables concernant le donateur et l'emplacement primitif furent formulées : à savoir que le retable fut commandé par François de Metz à Konrad Witz dans le contexte de la réparation de la cathédrale, que les dimensions de l'œuvre prouvent qu'elle ne pouvait se trouver qu'en ce lieu, et que le donateur représenté agenouillé est François de Metz et non Brogny. Bien que ces opinions ne firent pas l'unanimité par la suite, elles furent cependant les plus largement admises43. Blondel dépouillera les textes d'archives de Genève et trouvera les extraits que nous avons cités plus haut, prouvant à son avis que le retable se trouvait dans

36 MAYOR 1896 et BURCKHARDT 1901. Burckhardt groupe en plus autour de Konrad Witz deux autres oeuvres : le panneau de Strasbourg et la Sainte-Famille de Naples. Cet article, malgré sa date, trace l'ensemble de la question Konrad Witz et représente une lecture indispensable pour aborder l'artiste et son œuvre.

37 WALLERSTEIN 1909, p. 64; REAU 1910, p. 94.

38 Nous détaillerons cette argumentation un peu plus loin.

39 Outre Florens Deuchler qui soutiendra que Félix V a commandé l'œuvre. Nous reviendrons un peu plus loin sur cette hypothèse.

40 MANDACH 1907, pp. 365-367.

41 Chaque panneau encadré mesure 148 cm de large sur 169 cm de long. Le retable ouvert devait donc en réalité mesurer environ 676 cm de longueur.

42 MANDACH 1907, pp. 368-369. Rappelons cependant que Mandach a sous les yeux la restauration de 1835!

43 GIRODIE 1911; BURCKHARDT 1913; GANZ 1917; GRABER 1921; ÜBERWASSER 1938; BINZ 1973;

DOHMANN 1979; CHAPUIS 1992; entre autres.

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le chœur de la cathédrale44. Mais cela ne suffira pas à convaincre tout le monde, puisque certains continuèrent à penser que le retable fut commandé pour la chapelle des Macchabées. Ganz avait auparavant déjà avancé un argument, qui selon lui suffisait à justifier l'emplacement dans cette chapelle : "Der ungewöhnlich niedrige Altar war nicht für die Kathedrale bestimmt, sondern für die angrenzende Marienkapelle, in deren dreiseitig geschlossenes Chorhaupt er hineinpasst, wie das Schmuckstück in sein Futteral."45. Quelques années plus tard, Naef reprendra cet argument et ajoutera que l'état de la cathédrale en 1444 était en trop mauvais état suite à l'incendie survenu en 143046. Il prend donc le même événement qu'avait pris Mandach comme argument, mais pour aboutir à une conclusion opposée. De plus, et nous l'avons déjà mentionné à la note 29, selon Henri Naef, une sainte Cène peinte ornait le maître-autel.

Miegroet47 reprend l'opinion déjà mentionnée de considérer l'œuvre comme une commande de François de Metz en hommage à son oncle, représenté dans la scène de la Présentation. Il signale que le chapeau de cardinal présente des particularités qui ne furent jamais observées. Le nombre de pompons, qui s'élève à vingt, se réfère à la fonction d'archevêque. Néanmoins le blason n'est pas vert comme il se devrait, mais rouge; il s'agit donc en plus d'une référence à la fonction de cardinal. Le chapeau désigne ainsi un attribut de cardinal-archevêque. Or, entre 1378 et 1450, à Genève, un seul homme porta ce titre : Jean de Brogny. C'est donc lui qui est représenté dans la scène de la Présentation. La démonstration semble séduisante et presque convaincante. Cependant, Julien Chapuis48 mit le doigt sur la faille : le nombre de pompons associés à différentes fonctions ecclésiastiques ne fut codifié que bien après le XVe siècle, et seulement en 1832 pour les blasons des cardinaux. Les arguments de Miegroet ne possèdent donc aucune valeur. Néanmoins, sa proposition de considérer l'œuvre comme une épitaphe commandée par François de Metz en hommage à son oncle décédé est intéressante49. Il reprend l'opinion des savants de la fin du XIXe siècle et il semble à première vue que rien ne puisse s'opposer à cette hypothèse et qu'elle gagne à être tenue en considération.

Une dernière supposition fut avancée - elle aussi sans validité - par Florens Deuchler, lancée pour la première fois en 198450. Le spécialiste estime que le commanditaire de l'œuvre est Amédée VIII, élu pape sous le nom de Félix V en 1440 : Saint-Pierre présente ainsi son propre successeur. En 1430, Amédée VIII avait établi les Statuta Sabaudiae, un ensemble de lois destinées à garantir la paix

44 BLONDEL 1942.

45 GANZ 1924, p. 58.

46 NAEF 1936, p. 267 et NAEF 1937, p. 120. Par la suite, STANGE 1951, pp. 137-138 et SNYDER, 1985, p.

225, entre autres, suivront cette opinion.

47 MIEGROET 1986, pp. 13-15.

48 CHAPUIS 1992, p. 33.

49 MIEGROET 1986 p. 16.

50 DEUCHLER 1984; puis il développera l'argumentation en 1985 et en 1986.

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et la sécurité dans son duché. Le paysage de Konrad Witz serait alors un manifeste de cette Savoia felix. De plus, la date de 1444 est significative pour Félix V, puisque le 6 avril, il élit son évêque auxiliaire, Barthélémy Vitelleschi en tant que cardinal. Le chapeau cardinalice présenté dans la scène de la Présentation se référerait à cette élection. Barthélémy Vitelleschi aurait joué dans la commande du retable un rôle important auprès de Félix V. Pour soutenir son argumentation, Deuchler tente d'éliminer l'élément qui s'oppose totalement à son hypothèse : il met en doute l'authenticité des cadres, et donc des armoiries. Cette solution fut immédiatement éliminée par les travaux du Musée d'art et d'histoire dirigés par Anne Rinuy et Claude Lapaire qui prouvèrent l’authenticité du cadre, de l'inscription et des armoiries51.

Pour résumer, dès Burckhardt, il fut communément admis que le commanditaire du retable est François de Metz. Cependant, des divergences d'opinions demeurèrent quant à l'identité du personnage agenouillé qui pourrait être François de Metz ou alors Jean de Brogny et dans ce cas-ci, la scène de la Présentation serait à considérer comme une épitaphe. Il se pourrait bien que la proposition de Miegroet ne soit pas dénuée de sens. Cette question reste à approfondir par une étude complète de l'iconographie des scènes de Présentations et de Sedes Sapientae. L'emplacement primitif fut également sujet à controverse. Cependant, l'argument décisif en faveur de la cathédrale elle-même est celui de l'extrême largeur de l'œuvre. Nous voyons donc, que pour des raisons de dimensions, le retable ne pouvait se situer dans la chapelle des Macchabées. Les arguments iconographiques ne nous permettent pas de trancher, car si Saint Pierre est bien au centre de l'iconographie sur trois des quatre volets, les panneaux intérieurs sont axés sur la Vierge à laquelle la chapelle était alors dédiée. Il demeure cependant évident que le retable se trouvait dans le chœur de la cathédrale, mais il nous est impossible de déterminer s'il ornait le parvus ou le magnus altare.

III. c. Reconstitution du retable

Burckhardt est le premier à supposer qu'outre le panneau central, il manque également deux autres volets52. Le format longitudinal inhabituel lui fait penser que le retable devait, à l'origine, mesurer 2,7 mètres de haut. Il estime donc que le retable comportait la Fuite des Apôtres de Rome et le Martyr de saint Pierre, car il serait étonnant que ces scènes ne soient pas représentées dans la cathédrale dédiée à l'apôtre. Mandach considère également que le retable comprenait quatre panneaux53. Les deux parvenus jusqu'à nous ne pouvaient se trouver côte à côte, en raison de la discontinuité du décor dans les faces extérieures. Les charnières imposent que le panneau de la Pêche soit à gauche de celui de la Délivrance, mais ils pouvaient se trouver sur deux étages. La meilleure

51 LAPAIRE et RINUY 1986.

52 BURCKHARDT 1901, pp. 282-283.

53 MANDACH 1907 pp . 364-365. Il sera suivi par ESCHERICH 1916 p. 152 et GANZ 1947, p. 55.

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solution serait, selon lui, que le panneau de la Pêche et de l'Adoration des Mages se trouverait en haut et le panneau de la Délivrance et de la Présentation en bas, en raison de la perspective des deux panneaux. La configuration inverse s'avère impossible par la place du donateur en haut. Cependant, l'auteur sent bien que cette solution comporte des défaillances : entre autres, la place de la signature au niveau supérieur s'avère étrange. Par la suite, certains reprirent cette idée54, et d'autres imaginèrent que la mort de Konrad Witz55 ou celle de François de Metz56 interrompit les travaux : seul un volet57 étant à ce moment réalisé, il fut alors partagé en deux et forma ainsi deux volets. Tous ceux qui invoquent l'idée d'un retable à quatre panneaux le font en raison du format longitudinal inhabituel et de la différence de perspective entre les deux panneaux. Les travaux d'Anne Rinuy rendent cependant ces hypothèses totalement impossibles. Comme nous l'avons vu, l'étude des cadres montre en effet qu'ils ne portent pas de signe de frottement, ce qui exclut qu'il y ait pu avoir quatre panneaux58. Par ailleurs, les cadres furent montés avant d'être peints, ce qui exclut également un changement de plans59. Mais, comme le signale à juste titre Julien Chapuis60, la question ne pourra être définitivement résolue que lorsque les examens radiographiques et réflectographiques seront publiés. Cela permettra de connaître l'importance d'un éventuel travail d'atelier et la forme prévue du retable. Il ajoute qu'il est à ce titre également essentiel de connaître précisément les endroits qui sont l'œuvre de restaurateurs.

Vient ensuite le problème du panneau central. Etait-il sculpté ou peint? Que représentait-il?

Pour Ganz, non seulement le retable comportait quatre panneaux, mais le panneau central était sculpté61. Il ne fut pas seul à le penser62, mais cette hypothèse fut toujours énoncée sans aucun argument. Wendland réagit à cette opinion : le centre était peint. Il prend pour preuve les deux intérieurs d'églises peints par Konrad Witz, la Sainte Famille de Naples et Sainte Marie Madeleine et Sainte Catherine de Strasbourg. Dans ces œuvres, on aperçoit des retables, peints et non sculptés63. Il propose comme œuvre qui pourrait être le panneau central du retable de Genève, le Ratschluss der Erlösung, conservé à Berlin au Kaiser Friedrich-Museum64, représentant sur fond d'or une Trinité sur

54 GANZ 1917, p. 7, entre autres.

55 RÖTTGEN 1958, p. 98. Nous n'avons pas pu consulter cet ouvrage, mais il est mentionné par BARRUCAND 1972, p. 126.

56 BARRUCAND 1972, p. 127.

57 Il s'agit du panneau gauche pour RÖTTGEN (1958, p. 98) et du droit pour BARRUCAND, ibid.

58 D'autant que, comme le Pr Jean Wirth nous l'a signalé, on ne trouve pas, à cette époque, de retable où un volet serait formé par deux panneaux mobiles et encadrés séparément.

59 LAPAIRE et RINUY 1987, pp. 135; 138.

60 CHAPUIS 1992, p. 37.

61 GANZ 1917, p. 7.

62 GRABER 1921, p.22; GANZ, 1917, p. 7; BAUM, 1926/27, p. 101; DEHIO 1930, p. 211 pensent également que le panneau central était sculpté.

63 WENDLAND 1924, p. 64.

64 En 1956, ce musée change de nom et s'appelle depuis le Bode Museum. Nous ne savons pas pour l'instant avec certitude si cette œuvre se trouve aujourd'hui conservée là.

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un large trône et une Visitation65. Si on imagine ce panneau au centre du retable ouvert, donc entouré à gauche par l'Adoration et à droite par la Présentation, nous avons alors trois scènes d'Adorations qui occupent les deux tiers de chaque composition, entourées d'éléments architecturaux, avec toujours deux personnages sur le côté. Ce panneau, qui mesure actuellement 132cm×159cm66, fut coupé d'environ 55 centimètres sur la gauche lors d'une restauration. La hauteur du panneau est la même que celle des panneaux de Genève. Wendland montre, par des comparaisons stylistiques, que ce panneau est de la main de Konrad Witz. Puis, il met en évidence un lien iconographique entre notre retable et le panneau de Berlin : le thème du Salut. Nous pensons que la démonstration de Wendland s'appuie sur des éléments solides et que le thème du Salut est effectivement l'enjeu principal du retable de Genève : les quatre scènes y font allusion. Nous reviendrons sur cela un peu plus loin, mais il est évident que l'argumentation de Wendland doit être vérifiée et surtout largement développée, car bien que fondée sur des éléments pertinents, elle reste insuffisante67. Ce panneau fut également considéré comme le panneau central du Retable du Salut68, et mérite d'être attentivement étudié afin de constater ses liens effectifs ou non avec Konrad Witz.

Comme nous l'avons vu, certains estimèrent que le panneau central était sculpté. Cependant, aucun de ceux qui énoncèrent cette hypothèse ne l'argumentèrent. Ils se fondent selon toute vraisemblance sur la soi-disant découverte de Bossert en 190969 qui retranscrit dans un article un fragment de poème dans lequel on apprend, selon lui, que Witz était marié à une très belle femme, qu'il était sculpteur sur bois et possédait un grand atelier. Bossert fonde son propos sur le vers 5 : "Do was ey(n) maler wiczen". Pour lui "maler wiczen" signifie "peintre Witz", tandis qu'il nous semble plutôt qu'il s'agit d'un adjectif70; la phrase signifie " là vivait un peintre sage ". Il est dit dans le poème que cet homme habitait dans une ville, sans préciser laquelle. Rien ne permet donc d'avancer des hypothèses sur Konrad Witz en se basant sur ce fragment.

L'hypothèse d'un retable comportant deux volets, formés chacun de deux panneaux, fut totalement réfutée grâce aux travaux effectués par Claude Lapaire et Anne Rinuy. Par contre, il

65WENDLAND 1924, pp. 64-71; GRABER 1924, pp. 16-17; WINKLER 1924 p. 136 et JANTZEN 1927, p. 146 reprendront les arguments de Wendland.

66 Les panneaux de Genève mesurent 132cm´159cm. La largeur du panneau central devait mesurer 338cm.

67 STANGE (1951, p. 138) s'opposera totalement à cette hypothèse, sans expliquer pourquoi et sans proposer une autre solution et DEONNA (1951, p. 71) n'est guère plus convaincu.

68 GANZ 1947, pp. 47-48. Pour Mela Escherich, le Ratschluss der Erlösung est une copie d'un original perdu (ESCHERICH 1924/25, p. 191-192) ; Dans son article paru l'année suivante, elle traite plus particulièrement du motif de la clef (ESCHERICH 1925/26). Pour plusieurs ce panneau ne peut être de la main de Witz en raison de la faiblesse de la qualité d'exécution : STANGE 1951, p. 132.

69 BOSSERT 1909.

70 DEHIO (1910, p. 60, note 3) dans une note d'un article au sujet des inscriptions d'artistes, remarque également qu'il s'agit d'un adjectif. BOSSERT (1910) ripostera à cette brève allusion de Dehio par un article de plusieurs pages montrant qu'il ne s'agit pas d'un adjectif. Il n'est cependant toujours pas convaincant. STANGE (1951 p.

136) estime également que "witzen" est à prendre comme un adjectif et FELDGES (1967, p. 27) déclare qu'il n'est pas possible de s'appuyer sur ce fragment pour affirmer quoique ce soit au sujet de l'atelier de Konrad Witz à Bâle.

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demeure difficile de déterminer si le panneau central était peint ou sculpté. Nous sommes enclins, pour le moment, à estimer que la proposition de Wendland est à prendre en considération dans une étude iconographique. Il se pourrait bien que le thème du Ratschluss der Erlösung coïncide avec le thème général du Retable de Genève. Nous ne pensons certes pas que l'œuvre de Berlin est de la main de Witz, mais l'hypothèse de Mela Echerich, c'est-à-dire de considérer cette œuvre comme une copie d'un original perdu de Konrad Witz, nous paraît séduisante.

IV. L'iconographie

L'iconographie des quatre scènes pose de multiples problèmes. Pour le panneau de la Pêche miraculeuse, la difficulté majeure consiste à cerner quel épisode biblique précis est relaté. Pour les autres scènes, il s'agit surtout de problèmes d'identification de certaines statuettes peintes ou de compréhension de motifs bien précis. Mais ce qui demeure le plus délicat et le plus essentiel reste à comprendre quelle est l'intention véritable de l'œuvre; y a-t-il, comme Teasdale-Smith et Deuchler l'ont supposé, une volonté politique par rapport aux problèmes de l'Eglise de l'époque? Durant les XVIIIe et XIXe siècles, les érudits ne s'intéressèrent que peu à l'iconographie. Ils percevaient le tableau comme un document historique sur la peinture de Genève et un témoignage pictural d'avant la Réforme71. A la fin du XIXe, on commence à s'interroger sur le peintre et l'emplacement primitif du retable, ainsi que sur l'identité du donateur, mais l'iconographie ne commence à intéresser les spécialistes qu'avec l'article de Burckhardt en 1901. Nous allons observer chaque panneau l'un après l'autre et voir les solutions et les hypothèses proposées par les spécialistes durant le XXe siècle.

IV. a. La Pêche miraculeuse

La scène biblique se déroule à l'intérieur d'un paysage représentant les environs immédiats de Genève. Konrad Witz se trouvait aux Pâquis pour peindre cette vue. A l'arrière-plan, on reconnaît ce qui est aujourd'hui les Eaux-Vives, Malagnou, Frontenex, Cologny. Les montagnes sont identifiables:

les Voirons, le Môle, le Petit Salève et le Mont Blanc. Le Christ se tient majestueusement debout, au bord de la rive droite, il regarde et désigne de la main saint Pierre qui vient en nageant vers lui. Ce dernier figure à deux reprises, puisqu'il se trouve également dans une barque, entouré de cinq autres apôtres qui remontent le filet ou gouvernent le bateau. Un détail extrêmement important relevé par

71 "[] ces tableaux étant les seuls que le zèle Réformateur ait épargnés méritoient d'être conservés."

(REGISTRE BPU 1732, p. 173); "Ils seraient donc doublement remarquables, soit comme peinture, soit pour l'histoire de notre pays." (JdG 1827, p. 2); "Mais ce qui fait le mérite de ces tableaux et leur a valu une place dans le Musée [] est qu'ils sont la première page dans l'histoire de la peinture à Genève. (LE FÉDÉRAL, p. 3).

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Jean Wirth72 ne fut jamais mentionné dans la littérature : le vent est contraire à la direction de la barque, ainsi que le suggère le mouvement du manteau et du corps de l'apôtre à l'avant. Cette scène ne se déroule donc pas, comme il a toujours été dit, dans une nature paisible par un temps calme. Sur la droite, nous apercevons les premières maisons de la ville et dans le paysage au fond, de nombreux personnages qui vaquent à diverses occupations; des femmes lavent leur linge, des hommes chassent, des troupeaux paissent. Nous apercevons également un cortège de chevaliers se dirigeant vers les portes de la ville, avec en tête le drapeau de Savoie exhibé.

Burckhardt identifia la scène avec celle relatée dans l'Evangile de saint Jean : l'Apparition du Christ au bord du lac de Tibériade (Jn 21, 1-8)73. La majorité des critiques74 reconnurent également cette scène, mais Forrer en 1943 remarqua que certains éléments n'étaient pas issus de l'Evangile de Jean75. Selon lui, quatre épisodes bibliques sont réunis : l'Appel de Pierre (Mtt 4, 18-22), la Pêche miraculeuse (Luc 5, 1-10), Jésus marchant sur les eaux (Mtt 14, 22-33) et l'Apparition du Christ au bord du lac de Tibériade (Jn 21, 1-8). Il remarque qu'il ne s'agit pas d'une scène particulière, mais de toutes réunies76. Puis, il compare la scène de Konrad Witz avec une miniature d'un manuscrit de Padoue, datant à son avis de la deuxième moitié du XVe siècle. La composition se rapproche de Witz, bien que plusieurs éléments s'en différencient, tels que les dragons et les tours, la mer agitée et non calme, et seules trois personnes se dressent sur le bateau. Forrer signale un fait intéressant : dans la miniature, nous percevons dans le filet des petits poissons et un gros. Ce dernier semble demander de l'aide aux apôtres et se laisse pêcher avec joie, contrairement aux autres. Il se peut qu'il y ait là une allusion à Matthieu (13, 47-50) : "Le Royaume des Cieux est encore comparable à un filet lancé dans la mer et qui ramène toutes sortes de poissons. Lorsqu'il est plein, on le tire sur le rivage sec et on s'assied. On choisit dans les paniers les bons et on jette les mauvais. Ainsi en sera-t-il à la fin des siècles. Les anges arriveront et sépareront les mauvais d'avec les justes et ils les jetteront dans la fournaise du feu. Là seront les pleurs et les grincements de dents.77" Forrer constate ensuite que chez Witz, il y a également un gros poisson dans la même attitude que celui de la miniature. Cette remarque a son importance, puisqu'il nous semble en effet que la dimension eschatologique est le thème dominant du retable de Konrad Witz. Mais pour appuyer cette hypothèse, les sources écrites des Pères de l'Eglise et d'autres sources à travers le Moyen-Age doivent être dépouillées et analysées. Dans ce

72 Lors d'une conversation à propos de l'iconographie de la scène de la Pêche miraculeuse, Jean Wirth souligna cet élément qui s'avère capital pour la bonne compréhension de l'image.

73 BURCKHARDT 1901, p. 282.

74 ESCHERICH 1916, p. 160; GRABER 1921, p. 25, MENG-KOEHLER 1947, p. 40, entre autres.

75 FORRER 1943.

76 Ibid., p. 32.

77 Iterum simile est regnum caelorum sagenae missae in mare et ex omni genere congreganti quam cum impleta esset educentes et secus litus sedentes elegerunt bonos in vasa malos autem foras miserunt sic erit in consummatione saeculi exibunt angeli et separabunt malos de medio iustorum et mittent eos in caminum ignis ibi erit fletus et stridor dentium.

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sens, le remarquable article de Molly Teasdale-Smith est de loin celui qui traite la question de l'intention de l'œuvre de la manière la plus complète et la plus sensée78. En s'appuyant sur des sources ayant trait au Concile de Bâle, elle met en relation la scène du Christ apparaissant au bord du lac de Tibériade avec la situation politique de l'Eglise à cette époque. Très rapidement, au sein même du Concile de Bâle, un conflit éclate contre Eugène IV qui refuse de reconnaître le mouvement concilaire.

La principale question débattue consiste à savoir qui possède l'autorité la plus grande : le pape ou le Concile. Cette question était présente dès le XIIe siècle79, mais, vu la situation, le débat fut particulièrement mouvementé durant le Concile. En effet, Eugène IV tenta de dissoudre le Concile de Bâle et de le transférer à Bologne, ignorant ainsi le décret Frequens du Concile de Constance qui affirmait qu'un concile ne peut être transféré ou annulé que par sa seule autorité.80 Molly Teasdale- Smith s'appuie également sur les écrits des Pères de l'Eglise et remarque que systématiquement apparaissent l'image du navire comme symbole de l'Eglise et l'image de la mer comme symbole du siècle. De plus, dans le commentaire de Jean de Saint Augustin, en particulier, qui sera lu par les pères du Concile, le récit de Jean (21, 1-8) est contracté d'un point de vue allégorique avec celui de Luc (5, 1-11). On y perçoit une dimension eschatologique nette : les sept disciples dans le bateau signifient le septième âge, qui est celui de la fin du monde; le rivage symbolise également la fin du monde. Le filet, chez Jean, est à la droite du bateau et ne retire donc que ce qui est bon; tandis que chez Luc, il n'y a pas de différenciation : les bons et les mauvais sont pêchés. Le filet cassé (chez Luc) représente le schisme de l'Eglise tandis qu'au Jugement dernier, le filet est intact (chez Jean) et représente uniquement les élus à l'intérieur d'une Eglise unifiée81. Molly Teasdale-Smith remarque que par rapport à l'épisode de Jean, Konrad Witz a modifié deux éléments primordiaux : Jésus se tient sur l'eau et non sur le rivage et le bateau contient six apôtres et non sept. Chez Augustin, nous l'avons vu, le rivage et le chiffre 7 signifient la fin des temps. Le sixième âge est celui de l'homme, donc le temps présent, et le Christ n'est pas sur le rivage, ce qui efface la notion de fin des temps. Konrad Witz a donc souhaité commenter les événements de son époque en effaçant ce qui contient une symbolique eschatologique. La démonstration de Teasdale-Smith est tout à fait remarquable et nous pensons que cet auteur a su apporter des éléments intéressants au sujet de l'intention première de l'œuvre. Il nous semble qu'un travail un plus complet sur l'exégèse biblique et sur l'iconographie de la Marche du Christ sur l'eau, dans la tradition de la Navicella de Giotto, permettrait d'approfondir la question.

Teasdale-Smith ajoute également qu'il n'est pas anodin que la scène représentée ait lieu après la Résurrection du Christ. La montagne et le nuage au-dessus du Christ se réfèrent à son Ascension. Or,

78 TEASDALE 1970, pp. 150-156.

79 Cf. GILLE 1965, p. 16.

80 STIEBER 1978, p. 13. Sur le Concile de Bâle et le conflit l'opposant au pape, voir en particulier cet excellent ouvrage très complet et bien documenté.

81 TEASDALE 1970, p. 154.

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dans les documents du Concile, l'Ascension du Christ est liée à l'autorité papale82. A Monreale, la Pêche miraculeuse de Jean précède justement une scène d'Ascension83. Le mouvement conciliaire devait répondre à la question : Pierre et ses disciples avaient-ils reçu la puissance du Christ avant ou après sa résurrection? Le Concile répondra que Pierre reçut la puissance après la résurrection.

Il nous faut encore observer attentivement si l'épisode de Jean est le seul qui rentre ici en compte, ou si, comme certains l'affirmèrent84, il y a des allusions à d'autres scènes. Six épisodes bibliques furent mis en lien avec le panneau (Mtt 14, 24-33; Luc 5, 4-11; Jn 21, 1-8; Mtt 4, 18-22; Jn 6, 19-20 et Marc 6, 47-50). Il nous semble que deux scènes sont effectivement mêlées : l'Apparition du Christ au bord du lac de Tibériade (Jn 21, 1-8) et Jésus marchant sur l'eau (Mtt 14, 24-33). Les autres sont trop éloignées pour qu'elles puissent être en lien direct avec la représentation de Konrad Witz.

Chez Jean, sept apôtres pêchent en vain toute la nuit. A l'aube, le Christ se tient sur le rivage et leur dit de jeter leur filet à droite. Les apôtres obéissent et soulèvent leur filet plein à craquer de poissons, cent cinquante-trois exactement. Pierre reconnaît alors le Christ. Il met une tunique, car il était nu, et se jette à l'eau afin de le rejoindre. Chez Matthieu, tous les disciples se trouvent dans une barque éloignée de plusieurs centaines de mètres du rivage. Il y a une tempête, le vent est contraire à la barque. A l'aube, le Christ marche sur l'eau pour les rejoindre. Les disciples, affolés, le prennent pour un fantôme. Jésus se fait reconnaître et Pierre marche sur l'eau dans sa direction. Mais subitement effrayé, il coule. Jésus le prend par la main en lui reprochant son manque de foi. Nous avons donc dans un cas Jésus sur le rivage et dans l'autre sur l'eau. Comme Julien Chapuis l'a à juste titre précisé85, chez Konrad Witz le Christ ne se tient ni tout à fait sur l'eau, ni tout à fait sur le rivage, mais dans un endroit intermédiaire; et ceci n'est pas dû au hasard. Si la critique fut pareillement partagée pour savoir s'il se tient sur l'eau ou non, c'est probablement que la confusion est volontaire. De plus, chez Jean, la mer est calme, tandis que chez Matthieu une tempête fait rage, le vent est contraire. Nous l'avons déjà vu, le vent est, dans la représentation, contraire au bateau, ainsi que l'indique clairement le drapé de l'apôtre à l'avant. Cependant, la mer n'est pas agitée. Nous avons ici deux éléments simultanés. Les disciples sont en train de jeter leur filet à droite, comme chez Jean. Pierre dans l'eau fait référence à la fois à Jean et à Matthieu. Il semble nu sous sa tunique, ainsi que Jean le signale. Il paraît à la fois se jeter vers le Christ et à la fois faire un geste d'effroi se sentant couler. Certes, dans l'épisode de Matthieu, il n'est nullement question de pêche et en cela la scène principale est celle de Jean, mais il est tout de même évident que les deux épisodes bibliques sont ici étroitement mêlés et il s'agit alors de voir comment l'exégèse biblique interprète ces deux scènes et si elle les associe. Ce travail essentiel reste à

82 Ibid., p. 153.

83 Ibid., p. 149.

84 Pour BARRUCAND (1972, p. 122), il faut y voir quatre scènes : Jean 21, 1-8; Mtt 14, 25-31; Marc 6, 47-50 et Jean 6, 19-20; pour DEUCHLER (1985, p. 296 et 1984, p. 39), il y a également quatre scènes : Mtt 14, 24-33;

Luc 5, 4-11; Jn 21, 1-14 et Mtt 4, 18-22.

85 CHAPUIS 1992, p. 25.

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faire et permettra sans aucun doute d'améliorer la compréhension de l'œuvre. Puis, par une étude approfondie de l'histoire du Concile de Bâle et des documents relatifs à ce moment, nous parviendrons probablement à discerner si le retable fait allusion à cette crise de l'Eglise.

IV. b. La Délivrance :

La scène de la Délivrance est rapportée dans les Actes des Apôtres (12, 6-9). Hérode arrêta Pierre, le mit en prison et allait le faire comparaître. « Cette nuit-là, Pierre dormait entre deux soldats, maintenu par deux chaînes, et des gardes étaient en faction devant la porte. Et l'ange du Seigneur surgit et une lumière inonda le local. Il réveilla Pierre et lui frappa le côté : "Lève-toi vite!", lui dit-il.

Les chaînes se détachèrent des mains de Pierre. Et l'ange de poursuivre : "Mets ta ceinture et lace tes sandales!" Ce qu'il fit. L'ange ajouta : " Passe ton manteau et suis-moi!" Pierre sortit en le suivant et il ne savait pas que l'intervention de l'ange était réelle, mais pensait avoir une vision.86». Dans la représentation de Konrad Witz, deux moments successifs sont rassemblés. A droite, nous voyons l'ange secouant Pierre, attaché non par les mains, mais par les chevilles et le cou. Quatre gardes se tiennent près de la porte : l'un dort encore, tandis que les autres se sont déjà aperçus de la fuite de l'apôtre. A gauche, l'ange conduit hors de la ville Pierre somnolant, ceinturé mais nu-pied, un livre à la main. Une statuette se tient dans une niche au-dessus de la porte de la prison. Dans le ciel, nous remarquons un repentir difficile à identifier. Nous constatons que Konrad Witz ne s'est pas tenu strictement au récit. Pierre est lié par les chevilles et les épaules et, lors de sa fuite, il n'est pas chaussé et tient un livre, probablement les Ecritures Saintes. Nous ignorons encore les raisons de ces modifications, mais il est certain qu'elles ne sont pas anodines.

Le choix de la scène se réfère à la relique principale du maître autel de la cathédrale Saint- Pierre. Au Ve siècle, le roi Sigismond de Bourgogne avait apporté un bout de la chaîne à Genève. En 1426, Amédée VIII fonde une messe solennelle de Saint Pierre-ès-liens, célébrée le 1er août. Teasdale- Smith étend à ce panneau la signification qu'elle avait proposée pour le Christ apparaissant au bord du lac de Tibériade. Le fait que Pierre soit attaché par le cou et les chevilles et relâché par un ange forme une seconde allégorie qui se réfère au pape soumis à l'Eglise et au Concile. En effet, la scène suggère que le pape, tout comme Pierre, est avant tout guidé par un ange, qui personnifie les enseignements de l'Eglise et donc du Concile. Teasdale-Smith ajoute que cette allégorie est soulignée par Aeneas Silvius Piccolomini, futur pape Pie II, qui aurait sans aucun doute influencé Konrad Witz et François de

86 Cum autem producturus eum esset Herodes in ipsa nocte erat Petrus dormiens inter duos milites vinctus catenis duabus et custodes ante ostium custodiebant carcerem et ecce angelus Domini adstitit et lumen refulsit in habitaculo percussoque latere Petri suscitavit eum dicens surge velociter et ceciderunt catenae de manibus eius dixit autem angelus ad eum praecingere et calcia te gallicas tuas et fecit sic et dixit illi circumda tibi vestimentum tuum et sequere me et exiens sequebatur et nesciebat quia verum est quod fiebat per angelum aestimabat autem se visum videre.

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