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Article pp.547-564 du Vol.6 n°4 (2008)

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Texte intégral

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des ressources pédagogiques numériques dans l’enseignement supérieur

Le cas de l’Université en ligne (UEL)

Laurent Petit

SGTICE - Université Pierre et Marie Curie (Paris 6) Labsic - Université Paris-Nord (Paris 13)

laurent.petit@upmc.fr

RÉSUMÉ. L’auteur part d’une interrogation sur le découplage introduit dans l’Université en ligne (UEL) entre une minorité d’enseignants chargée de la conception des ressources pédagogiques numériques d’une part, une majorité d’enseignants des premiers cycles scientifiques à qui revient la responsabilité du développement de l’usage d’autre part. Il tente alors de mettre au jour les stratégies à l’œuvre au stade de la conception. Grâce à la mise au point d’une méthode originale d’analyse des écrans, il montre que ces stratégies s’inscrivent elles-mêmes dans des logiques industrielles divergentes et toutes inabouties. Cette approche est susceptible d’éclairer d’un jour nouveau les tensions et les évolutions que connaît l’enseignement supérieur, à travers la question des ressources numériques et des enjeux qui s’y rattachent.

ABSTRACT. The starting point of this research is the examination of the meaning of the disconnection introduced by the Université en ligne (UEL, Online University) between a minority of teachers in charge of the design of digital learning resources on the one hand, and a majority of teachers of the scientific ungraduate level who are responsible for developing the use of the resources on the other hand. The author then attempts to uncover the strategies at work in the design stage. Based upon the analysis of the digital resources developed within UEL as they appear on screens, this research shows that these strategies follow different industrial logics, all of them unsuccessful. This approach is likely to shed new light on the tensions and developments in higher education, through the issue of digital resources and related matters at stake.

MOTS-CLÉS : conception de ressources numériques, stratégies d’acteurs, logiques industrielles.

KEYWORDS: design of digital resources, actor’s strategy, industrial logic.

DOI:10.3166/DS.6.547-564 © Cned/Lavoisier

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Introduction

Le programme Premier cycle sur mesure en sciences (PCSM), dénommé ensuite Université en ligne (UEL), qui a pris plus tard la forme d’un campus numérique appelé CampuSciences, que l’on retrouve aujourd’hui au cœur de la dernière-née des Universités numériques thématiques (UNT) Unisciel, a cristallisé des enjeux multiples et changeants tout au long de sa longue vie. Le changement de nom du programme constitue d’ailleurs un bon indice d’évolutions plus générales que nous ne pouvons détailler ici1. Au-delà des circonstances de son apparition, du jeu d’acteurs et des facteurs exogènes qui ont déterminé la configuration des ressources produites dans ce cadre, le cas UEL2 pose un certain nombre de questions qui peuvent se rapporter à une question fondamentale qui touche à l’autonomie respective des phases de conception et d’utilisation des ressources pédagogiques numériques3.

Précisons d’emblée que nous ne nous inscrivons pas dans une problématique d’usages. Des études d’usages, réalisées aujourd’hui dans différents terrains, seraient d’un grand intérêt mais ne suffiraient pas à éclairer à elles seules cette question générale du transfert des ressources dans d’autres contextes que ceux des concepteurs.

Nous faisons l’hypothèse que nous pourrons davantage appréhender la question du découplage entre la conception et l’utilisation en raisonnant en termes d’enjeux et, plus précisément, en nous focalisant sur les enjeux présents au stade de la conception des ressources.

Par cette posture, nous ne cherchons pas à écarter la question fondamentale de l’usage. Mais nous nous inscrivons résolument dans un cadre de référence qui considère que la formation des usages sociaux ne résulte pas d’une somme de micro- ajustements individuels entre une offre et une demande. Une telle approche part du présupposé qu’il existe une relation symétrique entre le concepteur et l’utilisateur. À la suite de Jean-Guy Lacroix et al. (1993), nous pensons plutôt que les usages sociaux résultent d’un processus dialectique dans lequel « il s’avère que c’est l’offre qui détient le rôle initiateur et, par la suite, moteur dans le développement des usages » (op. cit., p. 94). L’usager y a évidemment son mot à dire. Il peut rejeter purement et simplement l’offre qui lui est faite ou bien opérer par détournement de l’usage tel qu’il a été prescrit par les concepteurs. Cependant, pour reprendre le titre de l’ouvrage célèbre de Jacques Perriault (1989), si la logique de l’usage relève effectivement d’une négociation, celle-ci s’opère, selon nous, dans le cadre d’une relation dissymétrique entre l’offre et la demande. Autrement dit, pour revenir à la question posée au départ, la façon dont les acteurs de l’UEL ont, dès le stade de la

1. Sur ce point, voir Petit L. (2008).

2. Nous l’appelons ainsi dans l’article dans la mesure où l’essentiel de nos analyses portent sur la période 1997-2003.

3. Dans cet article, nous prenons « ressource » dans le sens restrictif des supports matériels intervenant dans la formation ; le terme ne désigne donc pas tout ce qui est mobilisé pour qu’un enseignement puisse se dérouler. Nous considérons que le qualificatif « pédagogique » s’applique aux ressources produites et/ou utilisées par des enseignants.

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conception, pensé l’usage (à destination de qui, dans quels contextes, etc.) pose les conditions ou, si l’on préfère, définit le cadre de l’usage à venir.

Hypothèses, corpus et méthodes Stratégies et logiques

Pour dépasser le constat de querelles entre les acteurs, nous faisons l’hypothèse que nous pourrons mettre au jour des stratégies, au sens défini par Crozier et Friedberg (1977) de reconstitutions a posteriori des comportements des acteurs à partir des régularités observées. Ensuite, et cette proposition constituera la seconde hypothèse, corollaire de la première : ces stratégies ne prennent tout leur sens que si l’on parvient à les mettre en rapport avec des logiques sociales qui les dépassent. La notion de logique renvoie ici aux logiques sociales structurant le champ de la communication et de la culture mises en évidence par Bernard Miège (1996), dont l’adaptation au champ de l’éducation, à travers la notion d’industrialisation de la formation élaborée par Pierre Mœglin (1998), pose question.

47 modules dans 4 disciplines scientifiques

Le corpus que nous avons choisi d’analyser est conséquent puisque l’ensemble des réalisations rangées sous la bannière Université en ligne (UEL) regroupe aujourd’hui 47 modules destinés aux premiers cycles scientifiques (19 en mathématiques, 13 en physique, 10 en chimie, 5 en biologie). Il correspond, selon les concepteurs, à un équivalent de 1200 heures de formation. L’ensemble du contenu est aujourd’hui disponible en ligne librement à l’adresse www.uel.education.fr. Pour les besoins de l’analyse, nous avons distingué deux versions, l’une correspondant aux 18 modules existant en 1999 (et dans l’état où ils étaient à cette date), l’autre correspondant aux évolutions postérieures à cette date : elle comprend donc les 29 nouveaux modules et les évolutions éventuelles des modules antérieurs.

Dépasser la connaissance directe de l’objet

Les premières analyses ont été menées à partir des matériaux dont nous disposions : connaissance directe du contexte, comptes rendus de réunions, documents de communication, entretiens, etc. Cette connaissance nous a amené à formuler le constat de divergences multiples parmi les acteurs, divergences qui peuvent contribuer à expliquer les incohérences éditoriales qu’une analyse des réalisations révèle rapidement.

Mais, pour aller plus loin, nous avons été amené à élaborer une hypothèse méthodologique qui fait de l’inscription de stratégies divergentes à l’écran le moyen d’objectiver les différences d’approche qu’une observation empirique laisse entrevoir. D’où une focalisation sur les écrans selon une méthode propre détaillée

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ultérieurement où il s’agit de mettre au jour ce que nous avons appelé des

« discordances », par emprunt à la géologie sédimentaire4.

Pour la suite des analyses, nous avons fait appel à des modèles élaborés dans un autre domaine, en l’occurrence celui des industries culturelles.

Nous présenterons le cheminement en trois étapes. Pour chacune d’elle, nous préciserons la méthode employée, les principaux résultats et les analyses qui en résultent. Dans l’ordre, nous traiterons donc des résultats d’une analyse des matériaux multiples à notre disposition, puis nous tenterons de mettre au jour d’éventuelles stratégies d’acteurs à partir d’une analyse des écrans pour, finalement, essayer d’inscrire les stratégies repérées dans des logiques sociales.

Première étape : l’expérience comme point de départ de l’analyse Acteur de l’UEL

Disons d’emblée que nous fûmes responsables de 1997 à 2001 du suivi de ce projet pour le compte du ministère français en charge du développement des technologies d’information et de communication dans l’enseignement supérieur.

Nous étions donc bel et bien un acteur à part entière du projet. La connaissance intime des vicissitudes du projet qui en résulte peut se révéler précieuse dans l’analyse que nous projetons d’en faire. Elle peut également être dangereuse si elle empêche de trouver la distance nécessaire au travail du chercheur.

Élisabeth Fichez et Julien Deceuninck (1999), alors qu’ils étaient tous deux impliqués à la fois dans les mutations de la formation et engagés dans la réflexion théorique sur l’industrialisation de la formation, ont montré, dans un article intitulé

« Chercheur et acteur face à l’industrialisation de la formation », comment le point de vue du chercheur pouvait nourrir l’acteur. Il pouvait l’aider en particulier à trouver du sens à son rôle d’innovateur et à peser sur les évolutions. Nous espérons montrer que, symétriquement, l’expérience de l’acteur peut alimenter l’activité du chercheur pourvu que celui-ci se garde de quelques pièges tentants comme la justification a posteriori de l’action entreprise, la distribution des bons et des mauvais points ou, ce qui revient à peu près au même, la tentation d’apparaître comme un visionnaire du passé.

Cette connaissance directe ne constitue en aucune manière une garantie contre l’adoption d’un point de vue partial. Il sera évidemment nécessaire de l’enrichir et de la compléter. Elle permet cependant de contextualiser l’objet d’étude et, au-delà, de

4. Le géographe Pierre George (1970, p. 138) précise que les discordances correspondent à des « discontinuités dans une série stratigraphique se marquant par une lacune sédimentaire (interruption du dépôt pendant une période plus ou moins prolongée) et par le dépôt de couches nouvelles dont les strates forment un angle avec les précédentes ».

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donner à voir la complexité et la multiplicité des enjeux présents au stade de la conception.

Cette première étape est donc caractérisée par la variété des sources, qu’il s’agisse des discours des acteurs sur l’objet réalisé, des documents produits quelle qu’en soit la nature (documents de travail, de communication, etc.), de la connaissance directe de l’objet et des terrains dans certains cas, d’entretiens avec les acteurs5, etc. Ces sources, en bonne méthode, ont été systématiquement croisées et recoupées.

Contextualiser

La notion d’enseignement sur mesure développée par Maryse Quéré est, à coup sûr, un élément fondamental de ce contexte. Par une analogie explicite avec le théâtre classique, il s’agit de rompre avec la règle des trois unités (d’action, de temps et de lieu) qui caractérise l’enseignement supérieur français, dans ses premiers cycles en particulier. Selon M. Quéré (1994, p. 2), le « sur mesure » consiste « à offrir des réponses multiples et diversifiées en termes de contenus, de modalités d'entrée, d’orientation et réorientation progressive, de modalités d'études visant l'acquisition progressive de l'autonomie dans l'apprentissage et s'adaptant aux différents styles cognitifs des apprenants, de procédures de certification, en optimisant qualitativement et quantitativement l'usage des ressources disponibles (humaines, logistiques, documentaires), ceci dans une perspective coopérative destinée à un meilleur aménagement du territoire ».

Le projet dit alors « PCSM » se situe à la rencontre d’une notion élaborée au sein même du ministère en charge de l’enseignement supérieur en France et d’acteurs innovants de terrain prêts à un investissement personnel important et affiliés à l’un des réseaux liés historiquement aux instances ministérielles, le Réseau universitaire des centres d’autoformation (RUCA). La feuille de route donnée aux concepteurs est à la mesure de cette ambition. Le projet de création de ressources pédagogiques pour les premiers cycles scientifiques agréé par le ministère prévoit en effet une utilisation large de ces produits : « ils doivent pouvoir être utilisés pour une autoformation en salles de ressources ou bibliothèques, mais aussi pour un enseignement présentiel encadré, ou encore hors de l’établissement pour un enseignement à distance ». Les concepteurs ont donc pour mission de réaliser ni plus ni moins que le produit universel, susceptible de répondre aux attentes et aux conditions d’utilisation les plus variées pour l’ensemble des premiers cycles universitaires scientifiques.

Un objectif aussi large laisse évidemment la place à de multiples interprétations.

Une analyse de l’ensemble des sources à notre disposition montre que les acteurs n’ont pas tous compris la commande de la même manière.

5. Voir par exemple Petit L. (2006).

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Divergences

Cette analyse nous permet en effet de mesurer combien, derrière l’idéal fédérateur du « sur mesure », les objectifs annoncés n’étaient pas partagés par tous, que des stratégies différentes étaient manifestement à l’œuvre et que la compréhension de celles-ci ne pouvait se faire que par une recherche généalogique et une mise en relation avec des phénomènes qui dépassaient le périmètre du projet.

Cette recherche généalogique montre que deux projets se sont trouvés en concurrence. Celui qui emporte la mise vise à la « création de ressources pédagogiques médiatisées pour les premiers cycles scientifiques », comme le précise le titre du dossier préparé pour le ministère datant de juillet 1996. Il y est dit que « le projet consiste à développer une production de documents destinés à faciliter la mise en place [d’un enseignement sur mesure, médiatisé et modulaire en premiers cycles scientifiques] ». C’est ce projet qui reçoit le premier financement conséquent en 1997. Mais une autre proposition était en lice. La même année 1997 a vu apparaître le projet « Multimédia au service de l’enseignement supérieur » ou MuSES qui, à la différence du projet précédent, articule la création de ressources disciplinaires avec une plate-forme de gestion de ces ressources (qui reprend l’ancien Concerto 8136) et un système d’information sur les ressources et les pratiques (Éducapuce).

Ces deux projets sont le reflet de deux approches concurrentes existant à cette époque au sein du RUCA : d’un côté, la priorité à la production de ressources ; de l’autre, une approche de type ingénierie de formation, mettant davantage l’accent sur les dispositifs de médiation. Or, le consensus dont se réclameront souvent les

« producteurs » du RUCA s’est fait sur un projet de production de ressources, non sur le projet d’ingénierie de formation. Ce choix est lourd de conséquences.

Utiliser en premier lieu les matériaux dont nous disposons nous permet, et c’est là un premier acquis, de cerner les enjeux dont l’UEL a été à la fois l’objet et le témoin. Mais une question se pose alors. Ces divergences trouvent-elles une expression dans les écrans réalisés ? Si oui, tient-on là une manière d’objectiver les stratégies à l’œuvre au stade de la conception des ressources ?

Deuxième étape : stratégies à l’écran

À la différence de nombreux autres projets, l’UEL n’a pas produit que des discours ni des plaquettes de communication mais une somme d’écrans considérable qui mérite d’être un objet d’analyse à part entière. Comme nous l’avons vu, un projet de production de ressources l’a emporté sur un autre. De ce fait, les écrans réalisés

6. Projet datant de 1993, porté par une université membre du RUCA, consistant à mettre au point un « système (de gestion) d’autoformation et d’auto-évaluation formative à l’aide des ressources pédagogiques multimédias », financé par le ministère en 1995 et abandonné l’année suivante.

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dans le cadre de l’UEL sont devenus la réalité la plus significative pour les acteurs, au point que les acteurs membres du réseau qui n’étaient pas « producteurs » se sont retrouvés peu ou prou disqualifiés.

Dans la conception de la « stratégie » retenue, où est-il le plus légitime d’observer des régularités de comportement, si ce n’est à l’endroit où les enjeux principaux se sont déplacés, c’est-à-dire à l’écran ? Les deux approches concurrentes que nous venons de mentionner sont le produit d’une histoire. Mais nous faisons l’hypothèse que c’est sa manifestation éventuelle à l’écran qui donne à cette confrontation une réalité susceptible d’influer sur les conditions de l’utilisation.

L’UEL en « surface »

Comment l’UEL se présente-t-elle à travers ses premiers écrans ? Une première analyse de l’UEL, en « surface », permettrait-elle de rattacher cet ensemble de ressources numériques à un genre ?

Énonciation éditoriale

Nous ferons alors appel à la notion d’énonciation éditoriale, adaptée à un « texte » d’un type particulier, l’« écrit d’écran », notion élaborée par Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier (1999). Nous suivons Yves Jeanneret (2000) quand il refuse d’opposer l’écrit à l’écran : le premier désigne un type d’organisation symbolique et l’autre un type de support (un dispositif, comme la page, le tableau ou l’étiquette).

Selon Yves Jeanneret, « annoncer le passage de l’écrit à l’écran, c’est faire une sérieuse erreur de méthode, c’est annoncer le remplacement du texte par son support ».

D’un côté, les éléments constitutifs du « paratexte7 » de l’UEL (l’économie des signes ou la navigation dans les premiers écrans, les rubriques-clés : Aide, À propos, Guide d’étude) comme ceux du « texte » lui-même (la structuration par les cinq activités, les parcours dans les contenus disciplinaires) signent une maquette au sens éditorial du terme. Les résultats de cette analyse montrent en effet qu’un consensus semble avoir été trouvé sur la hiérarchisation des disciplines selon un ordre

« naturel » que n’aurait pas renié Auguste Comte (Mathématiques, Physique, Chimie, Biologie), sur la manière d’entrer dans l’UEL par un cheminement aussi encadré que peu explicité qui aboutit rapidement au « module8 », sur la structuration des contenus par les cinq activités, présentées selon un ordre immuable

7. Nous reprenons la définition du paratexte de l’écran de Jeanneret et Souchier (1999, p. 100) : « ensemble des éléments fonctionnels (textuels ou iconiques) qui permettent la bonne gestion du texte ; la barre d’outils en est un bon exemple ». À la manière d’un paratexte livresque, ce sont les éléments qui rendent le « texte » accessible au « lecteur ».

8. Une fois entré dans un module, l’utilisateur est censé y rester : la circulation entre les modules n’est pas facilitée, encore moins entre modules de disciplines différentes.

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correspondant, la dernière activité mise à part9, à la structuration de l’enseignement à l’université (dans l’ordre : Apprendre, Simuler, Observer, S’exercer, S’évaluer).

D’un autre côté, au sein de chaque module, voire de chaque activité au sein d’un module, une liberté assez grande semble avoir été laissée à chacun des auteurs. On trouve en effet une grande variété de traitement, d’approches et de réalisation au sein d’une même activité, cette diversité se retrouvant dans la description de la teneur de chacune au sein du guide d’étude. Mais la liberté des auteurs ne va pas jusqu’à pouvoir changer l’ordre des activités ; elle s’arrête à la possibilité de ne pas faire figurer dans le menu la rubrique correspondante lorsqu’une activité n’a pas été traitée.

Du polycopié au manuel numérique

Les marques de l’énonciation éditoriale peuvent donc à la fois être constitutives d’une maquette, au sens éditorial du terme, et d’une coquille qui autoriserait le dépôt et la juxtaposition de contenus hétérogènes. L’UEL semble donc hésiter entre une œuvre collective et un conservatoire de ressources disparates. Alors que la première signerait l’intention du manuel, la seconde renverrait à la forme du polycopié. Pour le dire autrement, l’UEL se présente comme un manuel numérique qui s’inspire du polycopié mais qui veut s’en distinguer.

Si la maquette étudiée propose le cadre susceptible d’opérer le passage du polycopié au manuel pour les premiers cycles scientifiques de l’enseignement supérieur, le processus est manifestement inabouti. Nous faisons l’hypothèse que les incohérences visibles à l’écran dès ce stade de l’analyse ne sont pas uniquement liées au caractère inabouti du processus mais davantage le résultat à l’écran de l’entrechoquement de stratégies divergentes. Pour espérer pouvoir repérer celles-ci, il nous faut analyser les écrans dans leur « profondeur ».

L’UEL dans ses « profondeurs »

À ce stade de l’analyse, nous nous proposons en effet de « descendre » jusqu’aux conditions de production ainsi qu’aux modalités d’utilisation imaginées par les concepteurs.

Nous faisons l’hypothèse que nous pourrons y déceler des « discordances » qui vont bien au-delà de simples incohérences éditoriales. Ce terme emprunté à la géologie désigne en effet une zone de contact entre deux systèmes ayant leur logique propre. Mais pour espérer mettre au jour d’éventuelles discordances, l’analyse des écrans ne peut se faire sans méthode.

9. Celle-ci introduit une notion d’auto-évaluation que l’on aurait pu s’attendre à trouver en meilleure place dans la hiérarchie des activités proposées.

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Grille d’analyse

Une analyse systématique de quinze modules nous amène à faire des constats sur les incohérences repérées. Par exemple :

– entre des consignes et ce que l’utilisateur peut faire : dans certains modules, la rubrique « Aide » ne correspond pas à ce que l’utilisateur peut réellement faire ;

– entre des consignes à l’échelle de la maquette et d’autres à des échelles plus fines : dans beaucoup de modules, la description des activités dans le guide d’étude ne correspond pas au contenu de la rubrique « Aide » générale ;

– entre des consignes locales et ce qu’induit la maquette : dans certains exercices, il est explicitement demandé de ne pas utiliser l’une des fonctionnalités présente dans le bandeau pourtant réputé « commun ».

Tout se passe comme si, parmi un ensemble de parcours et d’actions possibles, en nombre fini mais dont les combinaisons peuvent déboucher sur un nombre de possibilités très important du fait même de la navigation par liens hypertextes, les concepteurs avaient tenu à prescrire des choix et à en induire d’autres.

Ces remarques nous conduisent à bâtir une grille, fondée sur l’articulation des trois dimensions de l’induit (ou l’agencement des formes de l’écran), du prescrit (les consignes) et du possible (les actions possibles pour un utilisateur potentiel) à des échelles pertinentes par rapport au corpus retenu (l’UEL, le « module », l’échelle infra-modulaire). Nous pouvons schématiser la grille d’analyse ainsi obtenue par le tableau suivant10.

Échelle de l’UEL

Échelle du module

Échelle inframodulaire L’agencement des formes

de l’écran : dimension de l’induit Les consignes :

dimension du prescrit

Les actions : dimension du possible

Modularités enchâssées

En accord avec l’hypothèse méthodologique exposée précédemment, nous faisons de la recherche de formes de standardisation à l’écran la clé de la mise au jour de régularités que nous rapporterons à des stratégies d’acteurs. L’articulation des dimensions de l’induit et du prescrit à trois échelles (l’UEL, le « module », l’échelle infra-modulaire) nous permet de mettre au jour des éléments standardisés à

10. La grille finalement construite est évidemment beaucoup plus détaillée mais ne peut être reproduite dans toute sa complexité ici.

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des échelles plus fines que ce qu’induisait la maquette et donc d’alimenter la question de la modularité.

Deux stratégies principales cohabitent au sein du même programme. La stratégie A – dominante – regroupe 34 modules sur 47. Si elle est marquée par une grande diversité de traitement des contenus, elle tire sa cohérence du fait que le « module », au sens de l’UEL, y constitue une unité indivisible. Les modules correspondant à la stratégie B (au nombre de treize) se distinguent précisément par une granularité plus fine que le module. Plusieurs indices concordants permettent de délimiter des

« ressources » autonomes correspondant à une notion (un chapitre ou un sous- chapitre) associée à l’une des cinq activités de l’UEL : une navigation particulière en rupture avec ce qu’impose normalement la maquette « commune », des objectifs et un générique complet systématiquement présents en début de chaque « ressource », etc. Ces indices se multiplient au fur et à mesure de l’enrichissement de l’UEL : apparaissent ainsi dans la deuxième version de l’UEL des rubriques d’indexation attachées à chaque « ressource », une nouvelle navigation par liens hypertextes entre

« ressources associées », etc.

Mais, tout en étant distincte, cette modularité correspondant à la stratégie B est enchâssée dans la première, dans la mesure où elle s’insère – plus ou moins bien – dans la maquette « commune » d’abord au service du type A. Nous tenons là assurément une discordance majeure du programme.

Cette étape de l’analyse nous permet de mettre en évidence deux stratégies principales coexistant de façon déséquilibrée au sein de l’UEL. Il nous faut voir désormais comment ces deux stratégies se positionnent par rapport au projet initial d’autoformation dont, rappelons-le, le RUCA est le porteur.

À la recherche de l’autoformation

Pour ce faire, tentons dans un premier temps de situer les écrans par rapport aux différents courants de la technologie éducative définie par Pierre Mœglin (2005, p. 130) comme « la science industrielle des outils et médias éducatifs et science de leur industrialisation ». Il s’agit ici de convoquer la dimension du possible à différentes échelles, c’est-à-dire concrètement d’analyser les actions possibles pour un utilisateur potentiel dans les cinq activités proposées par l’UEL. Sans pouvoir détailler ici les analyses, disons que cette recherche en généalogie ne permet pas de différencier nettement les deux stratégies A et B. Elles s’inscrivent toutes deux dans une continuité par rapport aux pratiques en vigueur dans l’enseignement tel qu’il est pratiqué dans les premiers cycles universitaires scientifiques en France, pratiques que l’on pourrait rattacher à ce qu’Alain Chaptal (2000, p. 60) qualifie d’« instructionnisme », terme qui caractérise des approches pédagogiques centrées sur l’enseignant dont la tâche consiste, selon Legros et Crinon (2002, p. 33), « à présenter les objectifs et le contenu de la leçon, à situer ce contenu par rapport aux connaissances déjà acquises, à guider l’élève dans ses exercices d’apprentissage et à l’évaluer ». Tout au plus peut-on remarquer que les modules correspondant à la

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stratégie B se distinguent par une approche en termes d’autoévaluation formative beaucoup plus pensée, marquée par un soin particulier accordé aux exercices (exercices guidés, problèmes de synthèse) et aux tests d’auto-évaluation (tests sur une notion) fondés sur l’atteinte d’objectifs définis à l’avance et l’amorce de conseils en fonction des résultats obtenus.

Pour aller plus loin, il nous faut désormais nous interroger sur les usages projetés, c’est-à-dire sur la manière dont les relations concepteurs/utilisateurs ont été pensées par les concepteurs eux-mêmes et dans quels contextes sous-jacents. Dans les faits, cela revient à analyser le contenu et le ton des consignes (dimension du prescrit, toutes échelles) et à confronter les résultats à l’image du concepteur et à celle de l’utilisateur inscrites dans le produit telles qu’elles se dégagent du contenu des activités (dimension du possible, toutes échelles). L’analyse systématique des consignes montre que celles-ci s’adressent tantôt à un étudiant, tantôt à un enseignant dans une approche très prescriptive. Si cette double prescription n’est pas moins présente dans les manuels du secondaire, elle résulte davantage, dans le cas de l’UEL, d’une juxtaposition de pratiques insuffisamment harmonisées. Par ailleurs, dans une large majorité de modules, le contexte d’utilisation projeté dans l’UEL est un contexte local, proche voire très proche des concepteurs.

En bref, les ressources ont d’abord été réalisées par les concepteurs comme s’ils s’adressaient à leurs propres étudiants tandis que, dans certains cas du moins, les auteurs ont bel et bien envisagé une diffusion plus large de leurs réalisations. Ce fait est plus manifeste pour les ressources du type B dans la mesure où une diffusion potentielle à un public plus large fait partie intégrante de leurs caractéristiques : approche modulaire spécifique en phase avec des consignes où sont précisés systématiquement les objectifs de chaque « ressource » ; rubriques d’indexation liées à chaque « ressource », normalement destinées à un enseignant prescripteur mais dont certaines rubriques s’adressent davantage à l’usager final11. Ce fait tempère le constat d’« ouverture » des ressources de ce type puisque les rubriques d’indexation sont censées donner la clé d’accès aux ressources12.

Si les modules composant l’UEL ne portent guère, dans leur grande majorité, la trace d’une intention de développement de l’autonomie de l’apprenant, ils ne peuvent cependant être mis sur le même plan en regard du projet initial d’autoformation. Les modules correspondant à la stratégie B se distinguent par l’approche la plus aboutie en matière d’autoévaluation formative, un niveau de granularité des documents multimédias que l’on peut qualifier de moyen, une standardisation des grains, une indexation systématique, etc. Cependant, les auteurs dans leur grande majorité, et ceux du type B tout autant que les autres, semblent

11. Tantôt on s’y adresse à un prescripteur par l’emploi de formules neutres pour désigner les étudiants, tantôt à l’usager final par l’emploi du « vous » et le conseil de « prendre des notes manuscrites pour bien assimiler l’ensemble du chapitre ».

12. Aucune commune mesure cependant avec les ressources du type A pour lesquels aucune indexation que ce soit n’est visible sur le site de référence.

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avoir du mal à concevoir un usage des ressources qu’ils ont produites sans eux. En somme, les acteurs de l’UEL hésitent à donner à l’usager les moyens de déconstruire et de reconstruire leurs ressources, c’est-à-dire finalement les moyens du « sur mesure » prôné par ailleurs. L’utilisateur final correspond donc prioritairement pour un auteur à ses propres étudiants, tout en pensant pouvoir toucher simultanément d’autres publics dans d’autres contextes.

Troisième étape : l’inscription dans des logiques sociales

Pour éclairer le sens de ces stratégies qui divergent sur certains points, convergent sur d’autres, nous faisons l’hypothèse qu’il nous faut les inscrire dans des logiques sociales, quand bien même ces dernières ne sont pas visibles des acteurs eux-mêmes.

Sur le point de l’inscription des stratégies mises en évidence dans des logiques sociales, un questionnement en termes d’enjeux industriels s’est imposé par sa valeur heuristique. L’appel à la notion d’industrialisation de la formation (Mœglin, 1998)13 nous a en effet amené à une première révision du questionnement. Il ne s’agit plus tant de déterminer si les ressources qui avaient été produites étaient innovantes ou non sur le plan pédagogique, mais davantage de cerner dans quelle mesure elles se situent dans la continuité ou en rupture par rapport au paradigme « quasi industriel »14 régissant aujourd’hui encore l’enseignement universitaire. En effet, nous l’avons souligné, une rupture s’annonce par la dissociation introduite par les acteurs entre la conception et l’utilisation : il s’agit d’en prendre la mesure à l’écran et d’en éclairer la portée.

Selon Pierre Mœglin (2005, p. 211), « la question d’une socio-économie de l’accès médiatisé au savoir (…) s’inspire de celle que, sur les industries culturelles en général, des chercheurs formulent au milieu des années 1970 ». Ils affirment le caractère industriel de la culture et de la communication médiatisée et que la valorisation s’y fait de façon spécifique et emprunte des modèles différents selon les circonstances, les produits et les filières15.

13. Pierre Mœglin (1998, p. 22) propose une caractérisation de l’industrialisation de la formation par trois dimensions : technologisation, rationalisation et idéologisation, la marchandisation étant considérée comme un phénomène distinct.

14. Le degré de rationalisation atteint par la formation fait que le modèle auquel on peut le rapporter est qualifié par Pierre Mœglin (1998, p. 25) de « quasi industriel ».

15. La théorie des industries culturelles distingue (dans l’ordre d’apparition) le modèle éditorial ou de la « marchandise culturelle », le modèle du flot, le club, le compteur et, enfin, le modèle dit du courtage informationnel.

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Premier niveau : le modèle éditorial

Si nous mettons en rapport le phénomène UEL aux modèles issus des industries culturelles et compte tenu des remarques précédentes, nous ne sommes pas surpris de rencontrer en premier lieu le modèle éditorial dans l’UEL. Cependant, il ne s’applique qu’imparfaitement au cas de l’UEL, même si elle recouvre une réalité certaine. Il est présent dans la tentation du manuel numérique de référence, tentation palpable à l’examen détaillé des ressources. Si ces ressources sont majoritairement conçues dans le souci premier de s’adresser aux étudiants proches des concepteurs, elles portent – certes inégalement – les traces d’une intention de diffusion plus large.

L’acteur central existe : le CERIMES (Centre de Ressources et d’Information sur les Multimédias pour l’Enseignement Supérieur) est l’éditeur de l’UEL depuis 2001.

Mais sa présence ne suffit pas à garantir la conformité au modèle. Sans pouvoir entrer ici dans les détails, disons que l’économie du manuel n’est pas la même dans le supérieur et le secondaire.

Le modèle éditorial semble plus poussé par l’acteur central de la stratégie B, marqué par la volonté d’être l’éditeur de ressources permettant l’autoformation. Les modules du type B se composent en effet de briques moyennes standardisées et indexées, susceptible d’être diffusées hors du cadre de l’UEL. Cette approche du

« sur mesure » pourrait également s’inscrire dans d’autres modèles, celui du courtage notamment… Mais cela supposerait une rupture plus grande encore.

Deuxième niveau : le club

L’acteur central de l’UEL, qui est aussi l’acteur central du type A, peut aussi être vu comme le gestionnaire d’un club, garant de la disponibilité des services et responsable de la gestion des abonnés. Il se charge de trouver le financement de la production, en allant chercher, au nom de tous, les subventions publiques nécessaires. Il prend également en charge la disponibilité des services : si le site de présentation de l’UEL est hébergé par le CINES (Centre Informatique National de l’Enseignement Supérieur), si l’éditeur public des ressources est officiellement le CERIMES, c’est lui qui assure le service de téléchargement des modules pour les universités « clientes » via un Intranet sécurisé. Il assure, par ce biais également16, la gestion du club des abonnés, en l’occurrence celui des universités participantes, pas

16. Le téléchargement est possible selon trois modalités : par dates, par modules, complet ; il comprend une foire aux questions sur les problèmes de téléchargement, d’installation et d’utilisation technique du programme ; il propose également une liste de diffusion sur les aspects techniques de l’UEL.

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directement celui des utilisateurs finaux potentiels, enseignants et étudiants, du ressort des dites universités17.

Notons que le club caractérise le mode de fonctionnement des universités traditionnelles et, comme nous l’avons vu, l’UEL s’insère plus qu’elle ne rompt avec les logiques institutionnelles dominantes de l’enseignement supérieur. La prestation supplémentaire introduite par l’UEL n’a pas été pensée comme devant conduire à une majoration des droits pour les usagers finaux, à savoir les étudiants. De fait, ce sont exclusivement les dotations publiques (directes en provenance du ministère par le biais de divers mécanismes, indirectes en provenance des universités participantes) qui ont financé le programme.

Pourquoi évoquer le modèle du club à un deuxième niveau ? Parce que c’est bien ce modèle qui semble faire « tenir » l’ensemble hétérogène que constitue l’UEL. Il ne suppose aucune rupture et peut même favoriser le développement d’autres modèles en son sein.

L’affrontement de deux logiques

Pour résumer, on voit que le caractère disparate de la scénographie que nous avons repéré est le fruit d’une confrontation de deux logiques industrielles qui s’opère de manière larvée.

Une logique amont domine largement sans être aboutie. La logique amont est à l’origine d’un processus de production et de valorisation d’un catalogue de ressources.

Le fait qu’elle ne soit pas aboutie s’explique largement par la difficulté des concepteurs à penser l’utilisation qui peut être faite de ces ressources en dehors d’eux-mêmes. Cette logique est responsable du tropisme éditorial marqué à la fois dans les stratégies A et B.

Mais la stratégie B, est dans le même temps, imprégnée d’une logique aval. La logique aval vise à bâtir, à partir de demandes identifiées, des formations « sur mesure » à partir de grains standardisés et indexés à réagencer. Mais le modèle socio-économique lié à ce type d’approche existe-t-il aujourd’hui, en formation initiale particulièrement ?

En bref, nous voyons que le type B est à la confluence des deux logiques. C’est lui qui introduit la confrontation des deux au sein de l’UEL.

17. Évidemment ces usagers potentiels peuvent avoir un accès direct aux ressources (en consultation seulement) par le biais du site public www.uel.education.fr mais rien ne les différencie alors du public hors de toute institution éducative ; ils ne font l’objet d’aucun traitement particulier.

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Conclusion

Fécondité des hypothèses

Nous savions, avant d’entamer ce travail systématique d’analyse des écrans, que des stratégies divergentes étaient à l’œuvre dans le projet. Nous aurions pu en conclure que les incohérences que l’on peut facilement repérer à l’écran venaient de cette confrontation et nous en tenir là. S’en tenir à la diversité des stratégies telles que nous avions pu les repérer avant l’analyse des écrans aurait mené à les placer toutes sur le même plan. Nous aurions pu alors les mettre, sans nous attacher aux écrans, en rapport avec des logiques et constater que la majorité d’entre elles pouvaient être rattachées à une logique dominante tandis qu’une stratégie semblait, elle, obéir à une autre logique.

La conclusion ne serait pas fausse mais très insuffisante.

Ce qu’a révélé l’analyse des discordances à l’écran, c’est bien la délimitation de la zone de contact entre ces deux logiques principales peu conciliables : dans un premier cas, une rationalisation portant principalement sur l’amont, dans l’objectif d’enrichir contenus et modalités, d’abord du point de vue de l’enseignant ; dans un deuxième cas, un processus de rationalisation aval, dans le but de favoriser l’accès aux contenus et aux ressources, du point de vue de l’apprenant.

Le contact s’établit, par le biais des modules correspondant à la stratégie secondaire en l’occurrence. Ce fait montre bien qu’il n’y a pas coïncidence mécanique entre stratégie et logique : la stratégie secondaire à laquelle il vient d’être fait allusion, qui aboutit à des grains pédagogiques moyens éditorialisés, peut ainsi être rapportée à deux logiques distinctes, une logique amont qui met l’accent sur la diffusion de contenus conçus comme un tout cohérent et une logique aval qui privilégie l’agencement sur mesure de grains indexés. Que ces logiques se révèlent être incompatibles est riche de sens pour comprendre le cas UEL.

L’objectivation de l’analyse des écrans

Une telle analyse ne risque-t-elle pas de faire dire aux écrans ce qu’on voulait qu’ils disent a priori ? Pour se prémunir contre ce risque, il est utile de repartir des critères d’objectivité élaborés par Piaget (1977) pour les sciences humaines en prenant l’exemple de la stratégie secondaire, enchâssée dans une stratégie principale dont elle dépend et se distingue à la fois. Premier critère selon Piaget, dans une approche synchronique, c’est la simultanéité et le circuit d’interactions causales qu’il faut prendre en compte : si le phénomène n’existait pas, l’ensemble du système ne fonctionnerait pas. Or, nous pouvons facilement mettre en évidence que la totalité des treize modules correspondant à la stratégie secondaire présentent les mêmes caractéristiques principales en termes de modularité et que ces caractéristiques sont liées les unes aux autres par des liens de cause à effet (le générique en début de chaque « ressource », qui est elle-même détaillée dans une rubrique d’indexation, qui comprend des liens

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systématiques vers les autres « ressources associées », etc.). Sur le plan diachronique ensuite, il faut essayer de mettre en évidence une convergence des phénomènes selon une approche historique ou génétique. Or, lors du passage de la version initiale à la deuxième version de l’UEL, les caractéristiques propres à cette stratégie, loin de s’estomper, s’accentuent et s’affinent. Ainsi, la rubrique d’indexation, loin de disparaître, s’enrichit partout de la même manière avec le système des ressources associées sous la forme d’un pré-choix de liens hypertextes vers d’autres « ressources ».

Au-delà d’une simple description de phénomènes, qu’en est-il de la légitimité de l’interprétation que nous en proposons ? Il faut, nous rappelle Piaget, opérer une

« décentration objectivante », en ayant recours, par exemple, à des modèles : Piaget (1977, p. 55) parle de « modèles conçus à leur contact ou importés d’autres disciplines ». C’est ce que nous avons tenté de faire lorsque nous avons inscrit ces phénomènes dans des logiques sociales en nous basant sur des modèles élaborés dans le cadre des industries culturelles. Nous employons le verbe « remonter » à dessein. Il s’agit d’articuler différentes échelles d’analyse, ce qui n’est pas simple puisqu’il n’y a pas de lien simple de cause à effet entre les différents niveaux de l’analyse. Cette articulation est d’autant moins simple qu’il s’agit d’une approche par induction, c’est-à- dire du niveau micro au macro et non l’inverse. Malgré tout, cette décentration objectivante est plus aisée à faire à partir des écrans qu’à partir des discours. Bien sûr, comme le fait remarquer Piaget, ces logiques peuvent elles-mêmes être marquées par l’idéologie mais il n’est alors pas interdit de les discuter pour elles-mêmes, ce qui est le cas pour la notion d’industrialisation de la formation qui fait l’objet, aujourd’hui encore, de discussions nourries18.

La grille d’analyse ainsi obtenue, croisant les trois dimensions repérées et les échelles choisies, est-elle susceptible de s’appliquer à d’autres corpus dans d’autres contextes ? Bien que le choix des dimensions et des échelles ait été fait en fonction du phénomène étudié et du questionnement retenu, il nous paraît que la situation de l’UEL est suffisamment significative pour que l’application de la grille à une autre situation mérite d’être tentée. La méthode ayant permis de l’élaborer est de toute façon susceptible d’être transférée dès lors qu’il s’agit de repérer des stratégies à l’œuvre à l’écran et de les rapporter à des enjeux qui les dépassent. Au-delà de la méthode, nous faisons l’hypothèse que l’articulation des trois dimensions de l’induit, du prescrit et du possible à des échelles pertinentes par rapport au corpus retenu resterait féconde. Mais ce n’est qu’une hypothèse qui mériterait d’être discutée dans des recherches ultérieures.

Au-delà du cas de l’UEL

Ces analyses sont-elles susceptibles d’éclairer tensions et enjeux à l’œuvre dans l’enseignement supérieur ? La généralisation des UNT et les questions qui s’y posent montrent clairement que la conception et la mise à disposition de ressources pédagogiques numériques sont désormais perçues comme des enjeux.

18. Voir Benchenna A. et al. (2007).

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Au-delà du cas de l’UEL, le souci de produire des ressources réutilisables est en effet largement partagé. Le rêve d’une automatisation complète du « workflow pédagogique » n’est jamais loin, même s’il est rarement exprimé de façon explicite.

Cependant, sans que cela soit toujours très clair pour les concepteurs, cette recherche des conditions techniques de la réutilisabilité n’a pas le même sens et ne peut prendre les mêmes formes selon les logiques industrielles à l’œuvre. À la tentation éditoriale correspond la recherche d’un outil proposant une ingénierie de la conception clé en main tandis que la construction du grand meccano pédagogique réclame, quant à elle, des grains neutralisés, normalisés et indexés. Lorsque, comme c’est le cas pour l’UEL, les acteurs se refusent à choisir clairement entre les deux logiques, il n’est pas étonnant que les tentatives, dans l’un ou l’autre sens, ne soient qu’amorcées. Les choses se compliquent encore lorsqu’il s’agit, comme pour l’UEL, d’intervenir a posteriori, comme pour redresser une conception incomplète : il n’est pas étonnant que l’utilisation de la chaîne éditoriale Scenari et l’indexation dans le cadre du campus numérique CampuSciences aient l’une et l’autre fait long feu.

Or pas davantage que l’UEL, les UNT ne choisissent clairement une logique industrielle plutôt qu’une autre lorsqu’il est annoncé sur le site Educnet qu’elles

« éditent des ressources pédagogiques, certifient leur qualité pédagogique et technique, les indexent et donc les valorisent en répondant aux critères de l'UNT, les diffusent à travers un portail institutionnel, les promeuvent auprès des enseignants ».

Dans tous les cas manque une réponse à la question : dans l’hypothèse où un choix net s’opère entre des logiques peu conciliables, qui ferait les adaptations, voire la réingénierie qui s’imposent ? La question de l’intermédiation humaine est clairement posée mais selon des modalités et dans des finalités différentes. Dans le premier cas, c’est à un éditeur qu’il faudrait faire appel ; le deuxième cas pose la question de l’émergence d’un intermédiaire d’un genre nouveau dans le champ éducatif, le courtier informationnel19 qui, en tout état de cause, ne peut constituer une solution généralisable. La question de la dissociation conception/utilisation dont nous subodorions l’importance s’en trouve du coup éclairée sous un nouveau jour.

Pourquoi une telle confrontation de logiques, même simplement amorcées, au sein de tous ces clubs ? Contentons-nous de constater que la généralisation de la logique de club est susceptible de favoriser un changement de statut des ressources. Dès lors, en cherchant à transformer des ressources pédagogiques en ressources documentaires, l’enjeu ne serait-il pas de tenter de contourner l’obstacle que constituent les enseignants quitte à n’en garder que quelques-uns pour alimenter le système, comme dans le cas de la conception du manuel dans l’enseignement secondaire par exemple ?

19. Le modèle dit du « courtage informationnel » concerne la fonction d’entremise :

« intermédiateur mandaté par l’usager ou par son représentant, le courtier informationnel (…) recherche des informations ad hoc et les fournit à la demande et sur mesure » (Mœglin, 2005, p. 225).

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