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Google, Apple et Amazon : la médecine comme eldorado

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Academic year: 2022

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Fascinante manière qu’a Google d’avancer ses pions dans tous les domaines qui importent aux humains. L’entreprise aime les «coups de pied à la lune» : les projets qui cherchent à résoudre des «problèmes graves» avec des méthodes radicalement nouvelles. Et des pro- blèmes graves, s’il y a bien un endroit où il s’en trouve, c’est en médecine. Google y pro- gresse donc, l’esprit conquérant. Il y avait eu le projet Calico, dévoilé l’année dernière, dont le but est de lutter contre le vieillissement et même de «tuer la mort» (problème grave et dif- ficile, c’est vrai). Cet été, on apprenait que Google-Calico lançait «Baseline», une étude récoltant des données biologiques les plus complètes possibles (génome, métabolome, histoire familiale, etc.) de centaines, voire de milliers de volontaires sains. Peu après, nou- velle annonce : Calico s’associe avec une entreprise pharma (AbbVie) pour produire des médicaments innovants «contre l’âge et les maladies associées». A quoi s’ajoute une mul- titude de développements technologiques, comme les lentilles de contact permettant de suivre la glucosémie.

Mais le plus impressionnant, c’est les moyens dont Google dispose dans l’ombre de ses activités actuelles. De nombreux utilisateurs de smartphones activent la géolocalisation de Google Map, si bien que l’entreprise sait en temps réel où ils se trouvent. Elle peut savoir qui bouge moins, reste à la maison et donc a des chances d’être malade. Si une personne a confié ses données génétiques à 23andme, société liée à Google, le savoir se renforce.

Si cette même personne pose des questions sur Google, du genre : «j’ai de la fièvre, ou j’ai mal au dos, que faire ?», Google connaît ses symptômes. Et en plus, l’entreprise possède de gigantesques moyens algorithmiques, capa- bles de faire des corrélations et des comparai- sons avec une bonne partie de la population mondiale.

Signe plus tangible encore que la médecine est en train de devenir le nouveau terrain de conquête du Big data, Google est talonnée par les autres entreprises du domaine, toujours les mêmes, celles qui possèdent les techno- logies les plus puissantes, les meilleurs cer- veaux et des fortunes qui font rêver la plupart des Etats.

Ainsi, Amazon est entrée en discussion avec la FDA sur un programme que tout le monde ignore. Ce qui est sûr, c’est que «Amazon Web Services» héberge déjà des données médi- cales dans son cloud. Mais il y a surtout Apple.

En juin, l’entreprise lançait «Health Kit», une plateforme pour les développeurs d’applica- tions, capable de stocker les données liées à

la santé et de les partager avec des médecins ou des réseaux. Quelques semaines plus tard, c’est Google qui annonçait son propre projet appelé «Fit», incluant des outils pour dévelop- peurs et, là aussi, une plateforme pour stocker et partager les données.

Ces plateformes vont probablement marquer une rupture, lançant vraiment l’industrie des données de santé et de bien-être. Pour le mo- ment, rien ne permet aux utilisateurs d’agréger celles provenant d’une multitude de capteurs embarqués et d’applications. Leur fractionne- ment rappelle celui de la musique digitale avant l’introduction de l’iPod et d’iTunes. C’est l’équivalent qui est en train d’être créé : un éco- système technico-humain enclot dans une bulle consommatrice.

Mais l’écosystème des applications ne repré- sente qu’un aspect. C’est à un niveau plus vaste que se joue le futur : celui de l’utilisation massive du data mining et de la régulation algorithmique. En créant une «médecine con- duite par les données», selon la formule des entrepreneurs du Big data, on pourra optima- liser les processus soignants et organiser les comportements individuels de manière à les rendre plus efficients.

En même temps apparaît une nouvelle forme de pensée. Les algorithmes n’ont aucune prise sur les pourquoi, ils montrent des corrélations, établissent des prévisions. Comme l’univers numérique lié à la santé est en folle expansion, l’intérêt pour les causes s’estompe, la maîtrise des effets devient l’enjeu central.

Résumons. Les entreprises du Big data ont comme ambition d’investir la médecine. Pour cela, elles surfent sur la mode des réseaux sociaux, du bien-être et du souci de soi : cap- teurs et applications liés aux smartphones sont leur cheval de Troie. En parallèle, elles organisent des écosystèmes qui rendront les individus captifs et contrôlables.

La plus puissante de ces entreprises, Google, mène une étude sur la biologie de la normalité.

Elle possède dans le plus vaste «cloud» du monde une myriade de données sur le com- portement et le devenir des individus. Pour les analyser, elle rachète les entreprises d’intel- ligence artificielle les plus en pointe (Deep- Mind, par exemple), investit dans la fabrication d’ordinateurs quantiques. Sa perspective res- semble moins à une nouvelle médecine qu’à une immense utopie : elle veut identifier les éléments qui déterminent la santé et la longue vie. Puis mettre en place des stratégies anti- vieillissement. Pour enfin, à terme, «venir à bout de la mort» …

Mais attention : Google pourrait surtout boule- verser la recherche et la pratique médicales.

Elle seule maîtrise le data mining à un niveau mondial : le suivi en temps réel des données de milliards d’individus. Comparée à cela, la recherche clinique s’avère d’une grande pau- vreté, avec ses petites cohortes de patients homogènes. Tout occupé à lancer un dossier médical informatisé d’un autre âge, l’ensemble université-hôpital-industrie pharmaceutique ne fait pas le poids face au culot et à la fortune des Google et autres entreprises de la Silicon Valley. Nos hôpitaux, universités, cabinets, sys- tèmes de recherche ne sont pas prêts pour cette révolution où toutes les données parlent en même temps et où l’intelligence artificielle sert à la prévision et finit par organiser l’effica- cité.

Pas prêts ? Mais la question n’est-elle pas, à la fin : qui doit piloter la médecine ? La médecine basée sur les données affirme se focaliser sur la personne, mais elle ne s’intéresse qu’à l’individu. Soigner une personne en tant que singularité exige une approche qui aille au- delà de la raison calculante. La réponse à la hauteur de l’interrogation d’un humain malade ne peut être qu’une parole. Mais de la parole, ni le business ni la technologie ne comprennent l’incertain, le contradictoire, le flou. «Pourquoi parler puisque l’efficacité découle des algo- rithmes ?» demandera l’adepte de la médecine Google. Or non. Pas de médecine personnali- sée sans rencontre, écoute, examen du corps.

Il ne s’agit pas de garder la médecine figée dans une sorte d’idéalisation de cette ren- contre – comme le font de nombreuses mé- decines alternatives – mais de valoriser ce qu’il y a en chacun d’unique et de vulnérable, à la fois au centre de la médecine et hors de son atteinte.

Même les plus puissants des systèmes infor- matisés ne pourront traiter l’entier des informa- tions d’un individu et de son environnement. Et rien ne garantit que les algorithmes détiennent le dernier mot sur la description de la réalité.

D’où ce trouble grandissant : nous sommes dépassés par les machines que nous créons et envahis par le pouvoir de ceux qui les pos- sèdent. Il n’est pas sûr que leur efficacité et que leur intelligence artificielle, sans cesse formatée pour nous dévoiler et nous contrôler, nous donnent encore longtemps la possibilité d’exprimer ce qui, en nous, leur échappe. Par quel stratagème pourrons-nous récupérer notre destin ?

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

1688 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 10 septembre 2014

Google, Apple et Amazon : la médecine comme eldorado

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