V LÉON LAYA
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LES PAUVRES
D'ESPRIT
COMÉDIE
EN TROIS ACTES, EN PROSE
V^OUV ELLE ÉDITION
Ta
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS RUS VIVIENNB,
2 BIS,ET BOULEVARD DES ITALIENS,
ifiA LA LIBRAIRIE NOUVELLE KBCCCLXVI
(
in
2009 with funding from University of Ottawa
http://www.archive.org/details/lespauvresdespriOOIo
LES
PAUVRES D'ESPRIT
COMp:die
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Franrai<;
,
le 27 novembre 1856.
/
MÊME AUTEUR
LE PORTRAIT VIVANT,
comédie entroisactes et enprose.UN COUP DE LANSQUENET,
comédieen deuxactes eten pro^.-LES JEUNES GENS,
comédie entroisactes eten prose.LES PAUVRES D'ESPRIT,
comédieen troisacteset en prose.LE DUC JOB,
comédie en quatre actesetenprose.LA LOI DU CŒUR,
comédie entrois actesetenprose.EMMA,
comédieentroisactes.LES CŒURS D'OR,
comédie entrois actes,mêlée dechant.L'
É
TO
TTR N
E AU
, comédie entrois actes, mêléede chant.LE D.\NDT,
comédie en deuxactes,mêléede chant.GEORGES ET MAURICE,
comédieen deuxactes, mêléede chant.LA PEAU DU LION,
comédie en deuxactes.LES DEMOISELLES DE NOCE,
comédie ondeuxactes, mêléede chant.LA LIONNE,
comédieon deux actes,mêléede chant.UNE MAITRESSE ANONYME,
comédie en deux actes, mêlée de chant.LA RECHERCHE DE
L'INCONNU,
comédieendeuxactes,mêléede chant.LE PREMIER CHAPITRE,
comédieen unacte.LE HOCHET D'UNE COQUETTE,
comédie en unacte.LÉO NIE,
drame en un acte.LE POISSON D'AVRIL,
comédie-vaudeville enun acte.DEUX VIEUX PAPILLONS,
comédie-vaudevilleen unacte.JE CONNAIS LES FEMMES,
comédie en un acte.RAGE D'AMOUR,
comédie-vaudeville enun acte.L'ŒIL DE VERRE,
comédie-vaudeville enunacte.LE GROOM,
comédie-vaudevilleen unacte.LA ROBE DE CHAMBRE,
comédie en unacte.UN MARI DU BON TEMPS,
comédie en unacte.LA LISTE DE MES MAITRESSES,
comédieen un acte.LE POLTRON,
comédie-vaudeville en un acte.•
I.AV K. INrP HIMKL'H, Kl'R SA1S'T-BKN'i
LES
PAUVRES D'ESPRIT
COMÉDIE
EN TROIS ACTES, EN PROSE
LÉON LAYA NOUVELLE EDITION
in
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PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS RUE VIVIENNF,
2 BIS, ETBOULEVARD DES ITALIENS,
|jA
LA LIBRAIRIE NOUVELLE 1867
i'ous droits réservés
LE BARON DELAURE,
membre del'Institut.
MM. Provost.
ROUSSEAU,
notaire honoraireAnselme.
PBOSPEJÎ ROUSSEAU,
son fils, sonsuccesseur Bressa.nt.
ALBERT MONFORT, homme
de lettres. Lafontains.ROSIER,
libraire-éditeur Got.FR.\NÇOIS,
domestique de Rousseau. . . Castbl.HORTENSE,
femme deMonfortetfille du (Arnov ld-Plrss
y.Mmes)
baronDelaure (Favart.
HENRIETTE,
nièce dubaron Delaure. . .Emilie
Dubois.LA BARONNE DELAURE
I.ambqdin.MARIANNE..
. , . Em.ma Flei'rt:ede nosjours, à Dieppe.
/UT
LES
PAUVRES D'ESPRIT
ACTE PREMIER.
Cnsalon simple, mais confortable;portes latérales; cheminée au fond avec glace sans tainqui laisse voir lamer; à gauche et àdroite de la cheminée,portes-fenétresouvrantsurune terrasse, ayant vuesurlaplage.
Portes latérales, en biais, à deuxbattants, dechaque côtédes fenêtres;
celle dedroite servantd'entréeprincipiile, cplle de gauche ouvrant dans lasalleàmanger. Petiteporte à droiteallant dans des appartements
SCÈNE PREMIÈRE.
FRANÇOIS, MARIANNE.
MARIANNE
,entrantparla gauche,et apercevantle valetde chambre, en tenue dumatin,vesterouge ettablierblanc, quidispose lefeu àlacheminée dufond.Ah! monsieur
François!jevous
cherchais,et nevous
voyais pas...FRANÇOIS.
Jeprépareles feux
pour
lesoir.MARIANNE.
C'est vrai qu'à Dieppe, à lafind'août,les après-midi sont fraîches! J'allais
vous
prévenirque
cesdames
nepeuvent
2
prendre aujourd'hui leurbain qu'à dix heures; il ne faudra pas servir ledéjeuner avant onze heureset demie.
FRANÇOIS.
Très-bien, mademoiselle Marianne;
mais
c'estennuyeux
ces marées, çadérange
leservice!... enfin, lesmaîtresaiment
ça.MARIANNE.
Eh!
mais...Vous
aussi?Je croisbien!
FRANÇOIS.
MARIANNE.
FRANÇOIS.
,Savez-voussi le célèbreauteur se baigne, lui ?
MARIANNE.
M.
Monforl?oui, oui; il vient departirpour
l'établissement avecsafemme
etmademoiselle
Henriette.FRANÇOIS.
Je serais curieux dele voir
dans
l'eau!un
poêle,en mer...aux
prises avec la vague... àlabonne
heure... ça fait bien!...tandis
que
IM.Rousseau
fils,un
notaire, ça devraitnager en eau douce.MARIANNE.
Il
nage
pourtant fièrementbien,M.
Prosper!—
Maisvoici, je crois,M. Rousseau
qui entresurlaterrasse avecM.
le baron.FRANÇOIS.
Le
savant docteur?...MARIANNE.
Tenez... il regarde do cecôté... (onaperçoiteneflot,sur latcrraise dufonil, sepromenant, puis s'arrôtant, Rousso.uietleb.iron Delaure.)
FR ANC
01S.Ml!
oui... il aune
tète... on voitque
ce doit èlre plein!—
Il parait (piec'est
un
fierhomme!...
MARIANNE.
Et
aimable1...ACTE PREMIER
3FRANÇOIS.
C'est rare qu'on fasse
un médecin
baron!... faut-il qu'il aitcoupé
des jambes,ou
qu'il aiteu des inventions!MARIANNE.
Je remonte.
FRANÇOIS.
Et moi, je vais ranger le petit pavillon.
—
Dites donc...(ami-voix, allantavecellevers la droitependant que lebaronDelaure etRous- seauparaissent verslefond à gauche.)C'est drôlo, par exemple,
qu'un homme comme
celui-làait tant de plaisir àcauser avec lepèreRousseau
!MARIANNE.
Comment? deux
vieux amis!... (apart,souriant.)Est-ilbête!...(EUesort.)
FRANÇOIS.
Après
ça... ça lereposepeut-être, l'autre !... (iissortent, «nus- seau etDelaure sont en scène.)SCENE
II.ROUSSEAU, DELAURE.
ROUSSEAU.
Que
jete saisgré d'êtrevenu,mon
cher Delaure!DEL AURE.
Pouvais-tu douterde
mon empressement
àjouir avec toi de cesquelques jours derepos,que
jeprends,non
sans remords...surtout,
pour mes
pauvresmalades du
Parvis-Notre-Dame...(car l'Hôtel-Dieu,
mon
ami, c'est laclientèle sacrée!...) maisj'aipu
laisser, là-bas,un
demes
confrères,très-capabledeme
sup- pléer.— Quant
à l'Académie, et à quelquescommissions aux-
quellesleministrem'a
faitl'honneur de m'adjoindre...ROUSSEAU.
Jelecrois bien!
4
DELAURE.
Avec
quelques rapportsque
j'enverrai d'ici, cela s'arran-gera.
ROUSSEAU.
Comment
trouves-tudu temps
pourtoutceque
tu fais?DELAURE.
En dormant
peu, et en organisantmes
heures,comme
fai- saientleshommes
supérieursqui ontétémes
maîtres.ROUSSEAU.
Et
que
tu as,depuis, laissés loin derrière toi.DKLAURE,
souriant enluiserrant la main.Devant, tu
veux
dire!...ROUSSEAU.
Et modeste, par-dessusle miirché!... Laisse-nous,
au
moins, ces qualiîcs-làlTu me
dirasque nous
n'y aurions pasgrand
mérite!—
mais, à propos de mérite, je n'ai fait, hierau
soir, qu'entrevoir ton gendre,une
heure à peine! ilm'a
paru fort bien.DELAURE.
N'est-ce
pas? Ton
filsl'avaitperdu du
vue...ROUSSEAU.
Sans doute; la poésieetle notariat...
DELAURE.
Albert nous disait qu'ilsavaient été assez liés,
au
collège Henri IV.ROUSSE
AU.Oui, oui; et alors, Prosporétait
un
lauréat...un
fort!... ton gendrel'a, depuis, rattrapé!...Tudieu
!j'ai lu son dernier ou- vrage...DE LAURE.
...
Oui
t'a plu, n'est-ce pas?Oh!
c'estun
esprit très-distin-gué
!ACTE PREMIER.
5ROUSSEAU.
Il sera, avantpeu,
de l'Académie?
DE LAURE.
C'est vraisemblable.
ROUSSEAU,
plus intime.Et...
comme homme? comme
gendre...pasd'écart...defolie?D
ELAURE.
Du
tout.ROUSSEAU.
C'est
que
ceshommes
d'imagination sont quelquefois, lu le sais,un peu
désordonnés...DELAURE
(souriant).Jesais... qu'on le dit; et sansqu'ils le soient peut-être plus
que
lesimbéciles...donton
ne dit rien, parce qu'on ne s'enoccupe
pas!— Quoi
qu'il en soit, rien de semblable, jusqu'icidu
moins, je te l'assure...ROUSSEAU.
Ah!
tantmieux!
DELAURE.
Je
ne
vois, enlui,au
contraire,depuiscescinqmois de ma-
riage,
que
des habitudesfort simples,un
caractèretrès-doux,et toutes les allures d'unhomme
de famille, qui appartientau
grand, auvraimonde
littéraire, dontil a la dignité, et (sounant.)un peu
aussi peut-êtreles soucis,les ardeurs et les fièvres!!...mais on
ne fait rien sanselles!ROUSSEAU.
C'est vrai!
— Ah
! cher ami,que
je suisheureux de
ceque
tume
dislà,pour
ta belle etbonne
Hortense!Comme
elle doit être fièrede
son mari!DELAURE.
Elle l'aime trop sincèrement
pour que
l'orgueiltrouvebeau-
coup déplace
dans son bonheur.—Mais, pendant que nous
sommes
seuls,jeserais bien aise de causerun peu
avec toi de6
LES PAUVRES D'ESPR[T.
certain petit secret de
cœur
qu'ilm'a semblé
surprendre, cet hiver, dansmon
salon... etsur lequel, simes
prévisions, con- firmées par les observations dema femme,
étaient réellement fondées, ilserait demon
devoir d'appelerton attention.ROUSSEAU.
Je t'éCOUte. (Ilssesont assis.)
DE LAURE
J'aicru voir... (j'abordecarrément la question)
que
tonbon
etaimable fils, Prosper,fortassidu, cet hiver, à
mes
jeudis, avait été assezempressé
auprèsdema
jeunenièce Henriette; et c'est, entre nous, àcause decelaque
j'avaisun peu
hésité àl'emme-
nericiavecnous
:mais
teslettres ayant insisté, et les choses étant d'ailleurs restées, là-bas, tout à faitdans
levague, grâce à laparfaite réservede
Prosper, ilnous
a paru, àma femme
et à moi, qu'il n'y avait pas,comme on
dit, péril enlademeure;
etnous avons
cédé à tes instances: sealement jeme
suisditque
je t'avertirais.ROUSSEAU.
Tu
nem'apprends
riendu
tout : Prosper m'avait toutcon-
fié; etc'est
même
à sa prièreque mes
lettres ontinsistépour que
tafemme
voulût bienamener
tanièce.DELAURE.
Mais,
mon
ami.je dois...ROUSSEAU,
r«rrètant, enlui prenantla main.Tu
vasme
parlerde
sonpeu
de fortune?... Cettequestion, tuleconçois, ne peutme
prendreau dépourvu,
puisquesamère, tabonne
sœur, a étéma
cliente, et que, par conséquent,mon
fils, depuissix
mois mon
successeur, apu
connaître, à sou etdenier, son petit capital...
de
80à 100,OJO
fr.,jecrois, dontles titresdorment dans
son étude.I)EI,AU R E, le regardant.
Et, franchement... (je ne parle pas de ton fils...
un amou-
reux ne calcule guère!)—
bien franchement, Rousseau, cela no tarrt'terait |)as?ACTE PREMIER.
7ROUSSEAU.
Très-franchement,
non;
etje vaistediremes
raisons:j'ai,ilya quelques années, exercé sur
Prosperun
grand acte d'auto- rité:je l'ai arrachéaux
lettres... qu'il aimait avecpassion,pour
le faire entrer danslenotariat... qu'iln'aimait pas
du
tout. Ila cédé,non
sans lutte,mais
loyalement; et c'est là oùj'ai jugél'homme!
Aussi,lejouroù je lui ai laissémon
étude, qui vaut 300,000fr. (ADeiaure.) au basmot... jelui ai ditqu'elle serait sa dot, etque
sonmariage
la doublerait;mais
que,pour
leré-compenser
de m'avoirsacrifié autrefois (souriant.) ses premières amours...jevoulaisqu'il fûtentièrementlibrepour
lessecondes, etse mariât selon soncœur,
sanspour
celaen êtrepluspauvre;que
si,dèslors,lafemme
qu'ilchoisirait avaitmoins
de100,000
écus, je parferaisle reste.C'estdonc
10,000 livres derevenuque
cela m'enlèvera; maisje lesmets
decôté; etmon
filsles aura toutde suite,au
lieude
lesavoirplustard!..Voilà tout.DELAUBE
, émuetsouriant, enluiserrant la main.Tabellion!!!
ROUSSEAU.
Cela posé, je n'aurai
donc
plus à teparlerde ta nièceque pour
tedemander,
àtoi quiles connaistousdeux, si tu verrais danscette union lebonheur
de chacun?...DE
LAU
RE.A
cetégard,et bienfranchement,àmon
tour, oui! Henriette estune
excellente nature vive, etvéritablement digne de lui.ROUSSEAU.
Ah!
D
ELAURE.
Habituée à vivre au milieu de nous, dans
un
salonque
veulent bien visiterquelqueshommes
supérieurs, quelquessom-
mités littéraires dont je suis redevable àmon
gendre, etque
n'effraye pas trople contactde
la science,ma
petite niècey
a contracté l'amour naïfdetout ce qui est intelligent, élevé!...ROUSS EAU.
Très-bien!
DEL AU
RE.Sous une
véritable légèreté d'oiseau, elle adu
sérieuxdans l'esprit,une absence complète de
coquetterie, etun
curieux dédain detoutcolifichet.ROUSSEAU.
Vrai?
DE LA
URE.Elle est
bonne
musicienne, et dessine déjà d'unemanière
charmante!...mais
toutcela, sanss'en enorgueillir...Oh!
Dieu!non
:elle est trop vivepour prendre
letemps
de se regarderau
miroir; etsapenséemarche
tropvite,pour
qu'elleaitde
l'a-mour-propre.
Rousseau!
Tu me
ravis!DEL AU RE.
Voilà, en gros, ses qualités!
— Quant
à ses petits défauts...ou
plutôt ses travers... ilssont, peut-être,un peu mon œuvre?
ROUSSEAU.
Comment?
D
ELAURE.
C'est, par exemple,
une
habitudede
tout dire, qui enfait parfoisune
enfant terrible; c'est encoreune
petite imagination,un peu
plus active peut-êtreque
tune
le souhaiterais,en
ce qu'elledonne
naisî^ance à quelques rêves naïfs, à quelqueser- reursd'appréciation sur leshommes
et surles choses;mais
ces erreursmêmes
partenttoujours,chez elle, d'unbon
sentiment, ce quinous empêche
de troplesheurter,pour
nopas en ébranler la base.ROUSSEAU.
Je suis
de
ton avis!... et reconnais,comme
toi, dans tout cela,de
grands avantages contre de petits inconvénients.DELAURE.
La voici.
ACTE PRE3IIER.
SCENE
III.Les Mêmes, HENRIETTE.
HENRIETTE,
entrant par le fond, àgauche.Bonjour,
mon
oncle! (eUo courteluiet l'embrasse.)DELAURE.
Eh
bien,mon
enfant, tu nevoisdonc
pasmonsieur?
HENRIETTE.
Ah!
pardon!... (a oeiaure.)Mon
Dieu! si; j'avaismôme vu monsieur
lepremier... mais...ROUSSEAU.
L'élan?
HENRIETTE,
un peu confuse.Oui...
ROUSSEAU.
Vous
avez bien fait d'y céder,ma
belle demoiselle!... seu- lement,comme
votre oncle trouveque vous
avezeu tort, etque vous me
devezune
réparation,pour vous
punir,je vous de-mande
votre joli front, afinde
réjouirun peu mes
vieilles lèvres.HENRIETTE,
s'avançant en souriant.Ça
ne punit pasdu
tout, monsieur.DELAURE.
Tu
viensde
prendre ton bain?HENRIETTE.
Oh!
ily a longtemps! Jeme
suispromenée,
depuis,une grande demi-heure
surla plage...pour
fairema
réaction.DELAURE.
Et
où estIlorlense?1.
HENRIETTE.
Elle vient : elle est avec son mari, car
M.
Monfort était avec nous... ilme
donnaitmême
le bras, ce qui faitque
beau-coup
demonde
se retournaitpour nous
regarder... c'est-à-dire lui!...comme
lorsquejesuisavecvous,mon
oncle!... Ily avait desgroupes
de messieurs qui se le montraient... ils avaientl'airdesedire : «
Ah
bah?...—
Oui!— Vraiment?
»— Et
ils leregardaient,de
gauche, de droite; et lui, il se promenaitcomme un
simple mortel!...Contemplant
lamer de
son œil inspiré.— Ah! que
c'estbeau
le talent! (s'exaitant.) la gloire!...(Ellerencontre le regard de Rousseau, et s'arrête, un peu embarrassée dece qu'eUevientdedire.)
DELAURE,
bas à Rousseau.Voilà!
ROUSSEAU,
arrêtant ensouriant Delaure.—
A Henriette.Eh
bien! demain,quand vous
vouspromènerez
àmon
bras.,(parce
que
jeveux,demain, vous
faire faire,àmgn
tour, votre réaction),vous
verrez aussicomme
ils se retourneront touspour nous
regarder, en se disant : « Quelle est celte jeune et jolie personne?...—
C'est la niècede Delaure...— Le
célèbre savant?...—
Oui...—
Ah!...—
Etce noblevieillard, à l'allure encore leste et hardie, qui luidonne
le bras, qui est-ce?—
C'estRousseau,
un
ancien notaire,un
autre gaillard, d'un fier mérite!... »HENRILTTE,
ù part, souriant.Il est modeste!
ROUSSEAU,
prenantla main de Heniielle.Puisque,n'étant rien, ne sachantrien, ayant toujours
vécu
obscur, il a suamener l'homme
le pluséminent
de lascience modoiiie à le choisir,pendant
quarante ans,pour
ami,pour
confident,pour
conseil... etpour
frère d'adojjtion!!!... C'est assez fort cela, hein? et voilàune
gloire(jui en vaut bienune
autre, n'est-ce pas? (Il rembrasso surle front.)ACTE PREMIER.
i\DEL AU RE,
bas à Henriettede l'autre côté.Disdonc, il
me semble
qu'il tedonne un peu
sur lesdoigts, là, hein?ROUSSEAU,
souriant.Oh! non!
(Lui embrassant les doigts.) llsSOntSi gentlls!SCENE IV.
Les Mêmes, MONFORT, HORTENSE.
hortexse.
Ahl mon
père...HENRIETTE,
à part.11 n'estpassot!
MON FORT,
saluantRousseau.Monsieur...
ROUSSEAU.
Votremain,je
vous
prie. [MontfonetRousseau se donnentlamain.)HENRIETTE,
de même.Et
ilal'air bon!...HORTENSE.
Eh
bien! Henriette, je t'attends.Xous
avonsà faire del'an- glaisavant déjeuner.HENRIETTE.
Je suis à toi.
ROUSSEAU,
à Monfort.Comment vous
êtes-voustrouvé, ce matin, envousréveillant àDieppe
?MONFORT.
Ravi, monsieur,
comme
on doit l'êtreen présence dela plus admirable nature, etde
la plus aimable hospitalité.Madame
Monforta
dû
vous enexprimer
déjà tousmes
remercîraents...je devrais ajouter
mes
excuses!...ROUSSEAU.
Et que
dirons-nous,mon
Gisetmoi?
lui qui retrouveun
ancien camarade,perdu
au milieudu
courant de la vie,mais
dont il suivait les triomphes avec tant d'orgueil et de joie;moi,à qui
vous
voulez bienamener
votrebelleetchèrefemme, que
j'aimetant, etme
procurer l'occasion devous
connaître...un peu
plusque
toutlemonde
!MONFORT.
Mille grâces!...
ROUSSEAU.
Vous
venez de faireun
longséjourenBourgogne?
MOXFO
RT.J'aiconduit
ma femme
chezma sœur,
quine voulaitpas la laisser partir; etvous
^ecomprenez?
ROUSSEAU.
... D'autant
mieux que
jeme
propose,moi
aussi, d'ôtre fort exigeant;mais nous vous
laisseronstravailler... ceque vous
avez faitlà-bas,j'espère?M ONFORT.
Fort peu!...
on
netravaille réellement qu'àParis.ROUSSEAU.
Dans
cette foule?MONFOJIT.
Il n'y a
que dans
lafoule qu'ons'isole.ROUSSEAU.
Alors,
vous
êtesservi à souhait!Dieppe
est en cemoment
Paris; etj'en
augure que vous nous
resterezlongtemps!HORTENSE,
vivement.Oui, oui.
MONFORT.
Madame
Monfortun
peu plusque
moi,je lecrains bien...ROUSSEAU.
Comment?
ACTE PREMIER.
13MOXFORT,
J'ai laplus
grande
envied'êtretrès-indiscret; mais...HORTENSE.
Non,
non, non! Les prescriptions demon
père sont for- melles...—
N'est-il pas vraique vous m'avez commandé
les bainsde mer?
D
ELA U RE, souriant.Oui;
mais
lui...HORT EXSE.
... Lui abesoin d'air, derepos...
MOXFORT,
souriant.Ah Dieu
! del'air!du
repos!— Vous voyez devant
vous, monsieur,un prétendu homme
delettresqui, depuistrois mois, viten touriste, passantdu Béarn
en Bourgogne... et deBour- gogne
en Normandie...HORTENSE.
Mais
comment
passez-vous deBourgogne
enNormandie?...
avec
un
crayon dans votre poche,pendant
laroute; et, à l'ar- rivée,un
aS'reux petit buvard...-MOXFORT.
Charmant,
aucontraire!HORTEXSE.
Quand
je penseque
c'estmoi
qui le lui ai donné, avec lagarniture : le papier, les
plumes
et l'encre... c'est-à-dire tout ce qu'il fautàmonsieur pour
se tuer, etm'enlevermon
mari!..caril neleur enfaut pas davantageà cespoètes!
HEXRIETTE.
C'est
commode, au
moins,une
carrière où, sans plus d'atti- rail,on
va à lapostérité!HORTEXSE.
Tu
trouves celacommode,
toi?Oui!pour
les paresseux qui, tout en nefaisant rien,peuvent
sedonner
les airsde
travaillerbeaucoup
!... Maisque
c'estperfide etfunestepour
ceux qui,nevoyant autour d'eux ni table ni livres, ne s'aperçoivent pas qu'ils ont la pensée toujours tendue,
que
toutes les heuresy
passent, et qu'ils se fatiguent à cejeulMONFORT.
Docteur, ai-je l'air d'un
homme
bienfatigué?DELAURE.
Hortense ne sait pas
que
lesforcesde
l'intelligence s'aug-mentent
parl'activitémême.
HORTENSE
, résignée.A
merveille,mon
père!DELAURE,
bas à Monfort.Pardonnez
à sa tendresse.W CNF OR
T.Lui pardonner!...
N'en
suis-jepasprofondément
touchél (lu seserrent lamain.)ROUSSEAU.
Ah
! voicimon
filset tafemme.
SCÈNE V.
Les Mêmes, PROSPER, MADAME DELAURE.
ROUSSEAU,
allantàmadameDelaure.Chère dame...
PROSPER.
Monsieur
le baron!DELAURE,
lui serrantla main.Mon ami
!PROSPER,
à Monforl.Bonjour1
MONFORT.
Je no l'ai pas vu
aux
hinns.ACTE PREMIER.
15PROSPER.
Je n'en ai pas pris; ce matin,je n'étais pas en train; l'air était frais...
ROUSSEAU.
Ah!
le poltron!PROSPER.
Je suis allé voir sur la jetée l'arrivée
du vapeur
leJVew- Haven. La mer
avaitun peu
faitdanser les passagers;—
et ilyavaitlà de
bonnes
figures... (saluant Henriette.)Ah! mademoi-
selle!
HENRIETTE.
Monsieur!
MADAME DELAURE,
à part.Pauvre
garçon!R0USSE.\L'
, à quiHortense etDelaure ontditquelques motstout bas.Ah!
c'est juste!—
Prosper, tu as penïé à notregrande promenade pour
aujourd'hui,au manoir d'Ango?
PROSPER.
Oui,
mon
père.M ON FORT.
... Sile
temps vous
le permet,mesdames...
MADAME DELAURE.
En
effet, ilm'a
semblé, tout à l'heure, sur la terrasse, qu'il secrouvraitun
peu...ROUSSEAU.
Bah!... Delaure, tu vas
nous
direcela, loi,un
savant!DELAURE
, gaiement.Je ne suis pas astrologue! Enfin, voyons! (n remonte ave«
Prosperet Slonfort.)
HORTENSE,
àRousseau.Que
ça serait contrariant!HENRIETTE,
àtous deut.Mon
baigneur m'a assuréqu'il ferait très-beau!HORTENSE.
ÂQI... [Elle remonte avec Rousseau.)
HENRIETTE,
àsa tante.Mon
baigneurm'a...MADAME DE LAURE.
J'ai entendu.
HENRIETTE.
... Etces gens-là s'yconnaissent!
MADAME DELAURE.
Oui, oui; tant
mieux
!... [Laprenant àl'écart.)—
Mais dis-moi:notreconversationd'hier net'a pas
empêchée
dedormir?
HENRIETTE.
Oh
!du
tout!...Vous
aviezune
idée,vous m'avez
interrogée, et jevous
airépondu
franchement.Du moment que
nimon
oncleni
vous
ne devez insister,je suis tranquille.MADAME DELAURE,
àpart.Petiteingrate!
HENRIETTE.
Seulement,
vous me
promettezde nouveau
le silence, par rapportà...JIADAME DELAURE.
...
A
lui!Le moment
seraitmal
choisi de le rompre,con-
naissanttesmauvaises
dispositions!HENRIETTE.
Pas mauvaises,
ma
tante!...Mon
Dieu! personnellement je nele trouve pas ma!!MADAME DELAURE.
Pas
mal
!... Maisil est fortjolihomme
!HENRIETTE.
Oh
! est-cequ'ilyadejolishommes?
Moi, jelestrouve tous très-bien... [Gaiement.) ou très-mal,comme vous
voudrez!...pourvu
qu'unhomme
soitdistingué, c'estle grand point! JeneACTE PREMIER.
17 tiens ni à la beauté ni à la fortune! Seulement, ilme
fautun homme
supérieur!MADAME DELAURE.
Voyez-vous
ça!...un homme
à ta taille?HENRIETTE.
Vous
vousmoquez
! maisce n'est pasvous, lafemme
demon
oncle, qui devez trouver
mauvais que
je veuille,moi
aussi, porterun nom
célèbre!...MADAME DELAURE.
Oui, oui! j'ai parfaitementcompris : tu voudrais bien l'ap- peler
madame
Rousseau, s'ilyavaitdevant : Jean-Jacques!HENRIETTE.
Voilà!
MADAME DELAURE,
àpart.Eh
bien!jet'en feraismon compliment
!DELAURE,
revenantlepremier de laterrasse.Allons, je crois, Henriette,
que
ton baigneur avait raison...PROSPER.
II.ferasuperbe!...
H
OR
TEX
SE.Et monsieur
ne connaît rienaux
astres!...un
poëte! c'esthonteux
!MOXFORT.
J'enfaisl'aveu.
MADAME DELAURE,
à son mari.Viens-tu avec
moi
?DELAURE.
OÙ donc
?MADAME DELAURE,
bas.Pour
Hortense! [vivement.]Prends
garde!...DELAURE,
vivement.Ah!
oui. (Haut.) Rousseau,j'accompagne ma femme
qui aalTaire,
un
instant, dans la ville.ROUSSEAU.
Très-bien! le déjeunerest
pour
onze heures et demie, n'ou- bliezpas?
DELAURE.
C'est convenu.
HORTENSE.
Allons, Henriette!
HEN RIETTE.
Me
voici! (a pan, la rejoignant.)Femme
d'un notaire!... Oli!non
!ROUSSEAU.
A
tout à l'heure, messieurs! (Rousseau, neUure et madameDelaiire sortentparle fond, Henriettepar la gauclie, Monfortet Prosperrestent seuls.)SCÈNE VI.
MONFORT, PROSPER.
PROSPER,
un instant seulsur le devant delasoi'^ne.Oserai-je parler à Monfort'? (Tristement.)
Bah!
à quoi bon,maintenant?
MONFORT.
Ah
! y avait-il dessièclesque nous
nenous
étionsvus,mon
cher Prosper1
P
ROSPER.
C'est vrai.
MONFORT,
lui serrant lamain.Et que, depuis longtemps, j'auraisvoulu
me
féliciteravectoidu nouveau
lienque
votre intimitéaveclafamille dema
femmes venaitde créerentrenous
!PROSPER.
Par malheur, jen'étais pasà Paris, lorsde ton mariage.
MONFORT.
Et, lelendemain, je partais
pour
lesPyrénées...ACTE PREMIER.
19PROSPER.
Près de (a
mère
?MOXFORT.
Que
sa santéy
retient, depuis quelques mois... et d'où,mAme,
j'espérais lavoir revenir plustôt!PROSPER.
Puis, tu as voyagé, jele sais...
MONFORT.
Et
on m'a
retenudeux
grandsmois
en Bretagne.PROSPER.
D'où tu
nous
rapportes,sans doute,quelque nouveau
succès,quelque
importantouvrage?
MONFORT.
Pas
entièrement terminé.PROSPER.
Cinq
actes?MONFORT.
Oui.
PROSPE
R.Bravo!...
Tu
disaisque
tune
travaillais pas...MON FORT.
Pas assez!... Et, à ce propos, j'ai
envoyé
quatre actes àmon
copiste, qui doitte les adresser, ici, directement, aujour- d'huiou demain
: jeprends
la liberté de terecommander un peu
particulièrementce... colis!PROSPER.
Sois tranquille!... je dirai qu'on ait soinde
me
lesremettre aussitôt... (L'entraînant sur le canapé à gauche.) Mais raCOnte-moldonc un peu comment
s'est faitcebienheureux mariage
;car,au
milieu decemonde
de Dieppe,ou
plutôt deParis, c'estàpeinesi
nous
avonspu
échanger, hier, quelquesparoles.MONFORT.
En
effet.PROSPER.
C'est,je crois,
aux
Pyrénéesque
tuasconnu
cesdames?
MONFORT.
A
Bagnères,où
ellesétaient allées passerplusieursmois,un peu
par raison de santé,un peu
aussipour
y attendrele retourdu
baron, parti, par ordredu gouvernement, pour
faire sur le littoralde
la Méditerranée des observations d'un hautintérêt médical...PBOSPER.
Sur
le typhus?J'ai luson rapportà l'Académie dessciences;il l'a
donné
àmon
père.MONFORT.
Eh
bienI le fléauvenait précisémentde
se déclarer àTunis
lorsqu'ily débarqua...
— Tu
jugesde
l'inquiétude desafemme
et
de
sa fllle!...PROSPER.
Oui.
M ON FOR
T.Le
hasard fitque
je reçusalorsune
lettred'unde mes
amis, enragé coureur, qui s'y trouvaiten
cemoment.
Ilme
parlaitde
l'arrivéedu
célèbre baron,de
saconduite héroïqueau
milieu des pestiférés, et de son récent départ, en pleine santé,pour
les côtesd'Alger et de Maroc.
— Ma
foi, sans connaître laba-
ronne Delaure, je n'hésitai pas à lui porter bien vitecesnou-
velles rassurantes : lamère
et la fille, heureuses,comme
tu le penses, furenton
ne peut plustouchées dema démarche;
et,comme mon nom
neleurétait pastout à fait inconnu...PROSPER.
. Parbleu!
MONFORT.
Elles
me
parlèrentavec beaucoup de bonne
grâcede mon
dernier succès, etdaignèrent
me
prier de no pasm'en
tenir h cettevisite.PROSPER.
.Ah!
ces poêles!ACTE PREMIER.
21M OXFORT.
Je revins bien vite, et souvent!... je fus amoureux... plus viteencore;car je crois
que
je l'avaisété dèsle premier jour!...
Et,
comme
lesmédecins
m'avaientabsolument
prescritlerepos...je
me
laissai aller à faireun
petitroman
en action... quitte à l'écrire plustard.PROSPER,
souriant.Était-celà le repos prescrit parla Faculté?
MOXFORT,
Je m'aperçusbientôt
que non
; et, sentantle troubleme
ga- gner très-avant, jecompris qu'homme de
lettres, sans patri-moine
sérieux, jeme
trouvais placé devant cettejeune fille, fort belle et assez riche, dansune
voie délicate!... Aussi, je m'apprêtaisà refouler bien loin tousmes
soupirs, lorsque, dansune
causerie, àmes
yeux, la dernière,on me
laissa entrevoirque
j'étais trop méfiant!...Tu
devines le reste: j'aimais...j'étais aimé!... et,
quand
lebaron
revintde
son voyage, safemme,
excellentepour
moi, luimontra
les choses sousun
sibon
jour, qu'il se prêtaaudénoùment de
la meilleure grâcedu monde!
PROSPER.
Et il fitbien!...
MON FORT.
Mais toi,voyons... tun"imitespas
mon exemple?
celadevrait être déjà fait!...un
notaire! car tu as pris, depuis six mois, l'étudede
tonpère? Étrange choseque
la destinée!... jet'avais quitté surles degrésdu
Parnasse, et je teretrouve...PROSPE
R....
Sur
lesmarches
de l'hôteldu
Châtelet!...Que
veux-tu?,.,nous
disons : « Notrevie. »Non-sens
stupide! c'estnous
qui somntiesà elle, etc'est ellequinous
mène... en attendantqu'ellenous
quitte!MON FOR
T.Plains-toi donc!
PROSPER.
Oh
!mon
Dieu, non... la plainte estune
sottise,comme
toute chose inutile!En
résumé, je crois avoir fait toutboimement mon
devoir.Au
sortirdu
collège, encore étourdi demes
lau- riers universitaires, et de cefameux
prix d'honneur quime
criaitbien haut:
Macle animo,
luMarcellus
eris!jeme
lançai avec ardeurdans
la noble carrière des lettres, parun
sentier émailléde feuilletonsetde
vaudevilles.MONFORT.
Tes
débuts promettaient.PROSPER,
souriant.C'étaitalors
mon
avis;mais mon
pèreayant eu vent demes
prouessesanonymes,
et voulantsans douteme
laissermes
illu- sions,ne me donna
pas letemps
de les perdre, et crutdevoir borner làmon
élan. Ilm'aborda un beau
matin,armé
d'unbon
sens foudroyant, et d'un calme... chargé d'orages! «Mon
cherfils,
me
dit-il, j'ai travaillépendant
trente anspour
te faire tonlit, et tu
me
permettras d'opposerquelque
résistance,en
t'en.voyant jeter les
plumes
au vent : tume
parais avoir pris lechange
surlebutdemes
dispositions; et ilesttemps,jelevois, de te lebien préciser ; tu seras notaire, et tu te marieras.Voilà la vieque
j'ai projetéepour
toi; ellea étélamienne,
etjem'en
suisbien trouvé.—
Maintenant, sij'ai voulu, d'abord, faire de toiun homme
lettré, c'estque
je tiens qu'il n'y a pasd'homme du monde
véritablement à sa placesansune
éducation libérale et complète;mais
si,de
ceque
tu as eu des succèsdans
tes classes, tu en as concluque
tu n'étais plusbon
à être notaire, lu asnourri lit,mon
ami,une
erreurqui,pour
êtrebanale, n'en est pasmoins
profonde: c'est précisomont pnrce(|ue tacarrière (levait te garderdans un
milieu d'occupations arides,que
j'aidû
d'autant plus tenir à orner ton esprit do ressources qui te fissent échapper, loi et les liens, à lamonotonie
et à» l'ennui, véritables plaiesdo
certains intérieurs.—
Los lettres t'y aide- ront;legoût nes'enperdpas,quand
onles asincèrement aimées;cl ce sont
de
belles fleursqu'on peut cultiver, sans en vendre.ACTE PUE.MIER.
23 C'est ceque
j'ai fait, à l'ombre, dansmon
petitcoin deterre;et c'estceque
tuferas. Je teconnais; car jen'ai rien tantobservéque
ta nature, et je puiste dire : voilà laligne'! »— Tu com-
prends,mon
ami,que
jene
rédigepas; et tu reconnais-là ces phrasescarréesqui vont aubut. fortesdeleurdroit?MONFORT.
...Et de ce
bon
sens foudroyant dont tumo
parlais tout à l'heure!PROSPER.
Oui!
—
Jenem'y
suis pourtant pasrendu du premier
coup.MONFORT,
souriant.C'estprobable!
PROSPE
R.Mais, je l'avouerai,
quand
la raisonprend
cetteforme
pré- cise, cetaccentd'autoritésuprême; quand,
surtout, cettesim- ple parole: «J'ai travaillépendant
trente anspour
te faire ton lit... »nous
entre là au cœur... avecun
regard pleind'uneten- dresse profonde... ah!mon
ami,quelque grand
qu'ait été notre rêve, ily
a dans cette prosemâle
et naïvequelque
chosede
plusgrand
encore...comme un
soufflepuissantquinous
trouble,nous
pénètre... et rejette bienloindans l'ombre (àmoins
d'êtreun
colosseou
de génieou
d'orgueil), toutes les petites vanités demonsieur
notreesprit!M ON FORT,
ému.Et
tu ascédé?
Tu
le vois...PROSPER.
MONFORT.
Et tu as fait
courageusement
litièrede
tesjeunes lauriers, detes premiers succès, de tesbellesespérances, pouraugmen-
ter le
nombre
de ceshommes que
leurs facultés et leurs pre- miers travaux appelaient à prendre rangparmi
les élusde
la.pensée et
de
lascience... etque
les événements,ou
le respect filial,aidéd'une hautephilosophie,ontjetésdans les professions modestes!... esprits souvent élevés, artistes inconnus, poètesPAUVRES
io:norés
d'eux-mêmes...
natures d'élite, enfin, dont la vie n'a laissémettre au jourque
l'intelligence active, l'austère déli- catesse et la probité rare!...Tu
as bien fait,mon
ami, tu as agi enhomme
d'esprit etdecœur,
etj'ai foique
leciel bénira ta vie.PROSPER,
lui serrant la main avec un triste etfinsourire.Merci,
mon
cher Monforl, Merci... car ceque
tu viensde
dire est biendit;mais comme
tu ferais bien aussi de l'im- primer!MON FORT,
souriant.Comment?
PROSPE
R.Cela
nous
vengeraitun peu
des lazzisparlesquels messieurs les gens de lettresacquittent cettemodestieetcebon
sens...que
tuas, peut-être,quelque
raison d'exalter ici?MON FOR
T.Oh!
des plaisanteries!PROSPE
R....
Qui
ontde plus gravesconséquences
etde
plus doulou- reux effetsque vous
nelesupposez... car,au fond,vous
n'êtes pasméchants.MONFORT,
gaiement.Non
!PROSPER.
Jele sais,j'ai été
un peu
des vôtres!—
Et, pourtant, avec ces plaisanteries,mon
cher, on faitdirejournellementàmaintes jeunes filles,charmantes du
reste, etqui ne sont en cela qu'é- tourdiment cruelles: «Monsieur un
tel,mon
mari?...un
no- taire!...Oh!
non, ilme
faut, à moi,un homme
d'intelligence...un homme
distingué, etquime
fassehonneur!...»Comme
c'est flatteur,hein? — Tu
souris!...MONFORT.
...
De
ta naïveté!... c'estque
la personne qu'onleurpropose ne leur plaîtpas.ACTE PREMIER. 25 PROSPER.
Que
la personneleur plaiseounon
!M ON FOR
T.Alors, ce sontdepetites sottes.
PROSPER.
Non!
MON FOR
T.Et vous devez remercierleciel
de
leur refus.PROSPER.
C'est-à-dire, nous en prendre à
un
enfant d'un travers quiestvotreœuvre
etnon
la sienne?— Comment
! vousnous
signalezau dédainde
la galerie (etquand
je dis nous, je de- vrais dire toutce qui n'est pas vous) !Le
premierjouvenceau
venu,un peu
organisépourla période, appartientsans contesteau monde
de la pensée! 3Iais nous quisommes
notaire,ou
avoué, oucommerçant, ou
magistrat...du moment que nous
ne tenonsni burin, nipinceau, niplume, vous nous
reléguezdans
le...
milieu
bourgeois, ce qui est leproh! pudor!
desan-
ciens!... Et,quand
vousnous
avez ainsi bien dénigrés,dé-
classés, déshérités detoutegrandeur
et de toute poésie,vous vous
étonnezqu'une
petite nature de seize ans, naïve, élevée, poétique,nous appréhende
à l'égal d'unechenille,ou
d'un gla-çon?
Rourgeois!mais
c'estpour
en mourir! Rourgeois!— Et
qu'êtes-vous donc,
vous
autres?... desmarquis
deMoncade?
Prenez-y garde! vous
y
tournez. (Lui prenant la main.)Quand
je dis: vous, ai-je besoind'ajouterque
je neparle ni deshommes
deta trempe, qui ontla force, c'est-à-dire laraison, la justice, la bienveillance, ladignité; ni de ces esprits modestes qui, à défaut delalouange,
commandent
à tousle respect qu'ils pra- tiquent?... Mais, là, vrai,mon
ami, tu devrais le dire à quel-ques-uns
de tespetitsconfrères,hargneux
etdédaigneux
: c'estune
pitié devoirune meute
de roquets littéraires venir japperaux jambes
detelhomme,...
notaireou
industriel,gentilhomme,
soldat oumarchand,
qui,dans
son étude, son coin de terre, sa caserneou
son comptoir,estsouvent pluslettréqu'eux; lit son2
26
Horace, dontils ne traduiraientpas
un
vers; sait Corneille et Boileau, dontils outragent leslois;admire
Shakespeare, adore Molière... etpour
tout dire, enfin...«... N'estpassibête,
«
Que
vousautres,messieurs, vous vousmettezentête!...»M ON FORT,
gaiement.Voyons,
voyons, calme-toi!...PROSPE
R.Tu
as raison; mais tume
prends, vois-tu,dans un mauvais moment
!M N
F RT.Comment
?PROSPER.
Rien.
MON FORT.
Mon Dieu
1 leschoses se sonttoujours passéesainsi!PROSPER.
Tant
pislMON FORT.
EtMolière,
que
tu cites, aassez plaisantélesmédecins!
PROSPER.
Molière nes'en prenait pas à la science, pas plus qu'il
ne
dénigrait les lettres, enmontrant
Trissotinl... il combattait les ridicules!... Eux!... s'attaquentaux
professionsmêmes!... Des
enfants de89!... Ils en prennentcinq,six, dix (auxquelles sou- ventils doiventleur patrimoine), et lesmettent, par catégorie, auban du
ridicule!... ce quine lesempêche
pas de veniren-
suitedans
notre cabinet, s'ilsont besoin de nos conseils...ou
demieux
encore!...M ON FORT,
lui pn-iiniitIn main.Tu
deviensamer,mon ami;
etce n'est |)Iuslàmon bon
Pros- pcr, si indulgent, si généreux, obligeant avecune
si délicateet discrète alîection plus d'un de nos pauvres camarades... iMouve- mcDtde Prosper.).lesaisccque
je dis!ACTE PREMIER.
27PROSPER,
calme,.mais ulcéré.C'est
que
je souffre, en effet!MON FORT.
Hein?
PROSPER.
C'est
que
les plaisanteriesm'ont atteint, s'il faut te le dire, dansmes vœux
les pluschers!MON FORT.
Comment?
PROSPER.
Pas plus tard qu'hier,
une démarche
à laquelle pouvaitêtre attaché lebonheur
dema
vie a été faite auprès d'une jeunefille...
que
j'aime... plusque
jene puis te dire!... et quima
refusé!
MONFORT.
...
Pour
cescausesfrivoles?PROSPER.
Parfaitement!
MONFORT.
Es-tu sur?
PROSPER.
Oh!
elle en est franchementconvenue;
et je dois ajouter, avec lesréserves les plus honorables en ce quime
concerne!...Oui, oui,personnellement,
même,
je nedéplaispas; ;seleTant.) et, sous le rapport des qualitésdu cœur,
je suis parfait!(Avec amertume.) (leParfait notaire!...]
— Mais
elle voitenmoi un
avenirsanspoésie, et sesdoux
rêvesenfouisdansune
étude,aux
vertusetaux
idéesbourgeoises!—
Aussi, sais-tu par quelmot
ellea clos l'entretien avec l'aimable et excellentefemme
quiavaitencouragé mes
désirs?— Dans
sa retraite, elleappe-laità
mon
aide la grosse artillerie.,ma
fortune personnelle;et faisaitbriller
aux yeux
demon
ingrate la perspective pro- chaine dequelquejoli coupé, la conduisantau
bois: devineun
peu, poëte, ce qu'elle a répondu?...—
« J'aimemieux un
pa- rapluie! »MONFORT.
Est-cepossible!...
PROSPER.
Hein?... quel mot!.,. fsouHant.)
Charmant, du
reste!... etcomme
jele lui entendsdire!...sije tela nommais!...MONFORT.
Jelaconnais
donc?
PBOSPER,
vivement.Non.
MONFORT.
Si!
PROSPER.
Chut! Elle pourrait...
MONFO
RT.Ah bah
!... Henriette?PROSPER.
Comme
c'est d'elle,hein?MONFORT.
Comment!
elle t'a refusé?PROSPER.
Etelle a bien fait; et
quand
cemot
sidur
esttombé
là...aprèsm'avoir cruellement humilié, ila, enquelquesorte,doublé
mon amour
etmon
désespoir!MONFORT.
Pauvre ami
!PROSPE
R.Il
me
semblait l'entendre dire : Jo ne suis pas, moi, lafemme
vaniteuse et frivole, qui a besoin dechevaux pour
la traîner;je suislafemme aimante
et vaillante, fière demarcher
au brasde son mari. J'ai contre la pluie et les ventsmes
gais sourires etmes
belles couleurs;j'aicontre lessoucis et les re- versma
grâce etma
tendresseICe
n'estdonc
pasle plus richeACTE PREMIER.
29qu'il
me
faut,mais
leplus digne!... etvous
devezcomprendre,
ViaitreRousseau... (ns'arrête pleind'émotion.)MONFORT,
luiprenantlamain et leregardant.Prosper!... Il a deslarmesdansles
yeux
!P R sPER, s'eCforgantdesourire.
Moi?... par exemple!... (passant sa main sur ses yeux) Ail!
tiens!... c'estvrai! envoilà une... (Avecun sourireamer.)
une
larme de notaire... regarde ça,mon
ami... c'est curieux! vrai, il y a desprofessions qui ne devraient passepermettre ce genred'at- tendrisâement!... (Avec feu.)Oh
! mais, jene me
tienspaspour
battu!!!MON FOR
T.Très-bien1
PROSPER.
Elle sera
ma
femme!... je leveux;
et j'y parviendrai,...dussé-je... (s'exaitant.)devenir
un grand homme!... Tu m'y
ai- deras!...j'ai là-hautdes plansde comédie... etun drame
véni- tien...MON FORT,
gaiement.Parfait!
PROSPER.
Lorenzo!... Ily alà des scènes
de
gondoles...MONFORT.
Au
pont des Soupirs?PROSPER.
Je crois
que
oui.—
J'ytravaillerai...la nuit!... jete lemon-
trerai... tu
me
donneras des conseils, etje le termineraipour quelque
théâtre...MONFORT.
C'est cela!
PROSPER,
allant etvenant....
Et
nosamis me
ferontdes articlesdans
lesjournaux!
MONFORT.
Je crois bienI
P B
os PE
R.... Etj'aurai
un
succès... en cinqactes et en prose... non, envers!., çalui fera plus d'effet!...MON FORT
, souriant.Oui!
PROSPER.
Et
c'estplusfacile!...Ah
!je divague... (Passantlamain surson front.) Etmême,
tiens,mon
ami,jenesaispas ceque
j'ai...MONFORT,
le soutenant.Eh
bien! Prosper!..FRANÇOIS,
entranten livrée.Messieurs, ledéjeunerestservi! (Le domestiquesort.) P
ROSPER.
Ah! ma
foi, jecroisque
cetimbécilea raison!...je n'aipasdormi de
lanuit; jeme
suis levé àcinq heures...j'aicouru
sur lajetée... etjem'aperçois maintenantque... la nature a horreurdu
videlMONFORT.
C'est cela ! viens déjeuner!.,
pauvre
garçon!..Nous
allons boireàlasantéde Lorenzo
!PROSPER.
Ah
!j'aimeraismieux
en faire des papillottespour
sesjolischeveux
blonds!... Allons!(Us sortentparlefond.)
FIN DU PREMIER ACTE.
ACTE DEUXIEME.
SCENE PREMIERE.
MADAME DELAURE, HENRIETTE.
MADAME DELAURE.
Eh
bien! Henriette, est-ceque
tu vas toujourscourir ainsi ?HENRIETTE.
Voilà,
ma
tante.MAD AM
EDE LAURE.
Laissons ces messieurs fumer,
puisque
c'estmaintenantune
habitudeinvétérée; et prendsun peu
tabroderie: aussibien, j'aiun mot
à te dire.HENRIETTE,
après l'avoir embrassée.Ah?...je