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FORUM DES 100

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M a g a z i n e q u a d r i m e s t r i e l d e l ' U n i v e r s i t é d e L a u s a n n e - N ° 5 0 M a i 2 0 1 1 - G r a t u i t

ISSN 1422-5220

Interview Peut-on m’expliquer le fossé ville- campagne?

Biologie

On dit que les vipères attaquent et qu’elles tombent des arbres.

Vrai ou faux? La science face aux clichés

Société

Cet hiver, le président du PDC incitait les Helvètes à rester au pays durant l’été.

Franc fort oblige, il faudrait aider le secteur hôtelier.

C’est donc l’été ou jamais de goûter au bon air des Alpes, comme de nombreux touristes étrangers l’ont fait avant nous

FORUM DES 100

Pourquoi la Suisse s'en tire

mieux que les autres

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É D I T O

AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 1

Collaborateurs : Sonia Arnal, Michel Beuret, Laurent Bonnard, Michel Danthe, Elisabeth Gordon, Pauline Rumpf, Anne-Sylvie Sprenger

Photographie et recherches images : Nicole Chuard

Photos de couverture : Didier Burkhalter : Reuters - Pascal Lauener Société : swiss-image.ch /

Engadin St. Moritz - Christof Sonderegger Biologie : Ursenbacher

Interview : swiss-image.ch / Basel Tourismus - Alexander Paulus

Correcteur :Albert Grun Concept graphique : Richard Salvi, Chessel Mise en pages : Mo communication visuelle www.mographic.ch Publicité : Erik Streller-Shen, Go! uni-Werbung AG, Rosenheimstrasse 12, 9008 St-Gall, Tel. +41-71-244 10 10 http://www.go-uni.com Swissprinters IRL, Renens

Editeur responsable : Université de Lausanne Marc de Perrot, secrétaire général Philippe Gagnebin, responsable de la communication, chef de service Francine Zambano, responsable de l'information

Florence Klausfelder, assistante Unicom, service de communication et d'audiovisuel

Université de Lausanne Amphimax - 1015 Lausanne tél. 021 692 22 80 uniscope@unil.ch Magazine de l’Université

de Lausanne : N° 50, mai 2011 Tirage 30’000 exemplaires 48’400 lecteurs (Etude M.I.S Trend 1998) http://www.unil.ch/unicom/

page6524.html Rédaction : Rédacteur en chef : Jocelyn Rochat, journaliste au Matin Dimanche

Nous serions, nous les Suisses, l'une des plus grandes réussites de la planète. Ça fait drôle de l'écrire en toute simplicité, mais, bon, après l'avoir lu mot pour mot dans le très sérieux Finan- cial Times, pourquoi se priver de cet instant d’immodestie? Quand on fait face à 4% de chômage, au

sortir d'une crise financière qui a laminé des géants comme l'Espagne (20% de sans- emploi) ou les Etats-Unis (10%), on pour- rait légitimement se voir dans le T-shirt du Roger Federer de l'économie. Sans oublier que la Suisse finit presque toujours sur le podium dès qu'un grand média ou un ins- titut spécialisé établit l'un de ces fameux ran- kings qui donnent le ton aujourd'hui.

Nous serions donc «l'une des plus grandes réussites de la planète», et nous avons du mal à le croire. Comment expliquer un tel écart entre la manière dont l'étranger per- çoit la Suisse (c'est d'ailleurs le thème du prochain Forum des 100, qui se déroule tout soudain à l'UNIL) et l'image que les Hel- vètes se font de leur pays?

Avançons une hypothèse. Nous sommes très certainement – et c'est une grande qualité – les champions du monde de l'autocritique.

A chaque fois que paraît un article agressif, quelque part sur la planète bleue, il fait écho sous nos latitudes. La Suisse arrête Roman Polanski? Nous allons devenir la honte du monde civilisé, prédit Yann Moix dans un pamphlet et dans de nombreuses interviews accordées à la presse locale. Les électeurs votent contre les minarets? C'est parce que le peuple suisse «est un salaud collectif», sug- gère Claude Askolovitch, du Journal du Dimanche. Et voilà ce commentaire sanguin

aussitôt repris en belle place dans les médias helvétiques.

Deux exemples parmi d'autres.

Arrêtons-nous un instant sur cette manie de recenser méticu- leusement nos critiques les plus véhémentes. D'abord, parce qu'elle en dit long sur l'atten- tion que portent les Suisses au monde qui les entoure, y compris dans ses manifestations les moins nuancées. Ensuite, parce que cette capacité d'entendre le buzz planétaire explique, très paradoxalement, les succès économiques des Helvètes.

Si nous surfons actuellement sur la vague, c'est sans doute parce que nous nous levons tôt pour aller travailler le matin (mais nous ne sommes pas les seuls), parce que nous avons des idées (ce n'est pas un monopole) et des hautes écoles très compétitives. Mais aussi, et surtout, si nous sommes devenus «l'une des plus grandes réussites de la planète», c'est parce que nous ne voulons pas entendre par- ler de cette couronne honorifique.

Là encore, c'est étrange à écrire, mais c'est bon à savoir. Car, comme le dit Stéphane Garelli, professeur à la Faculté des HEC dans ce numéro (c'est en page 11), «il ne faut pas trop y croire soi-même, au risque de s'endormir sur ses lauriers et de très vite cesser de l'être».

Merci donc d'oublier très vite les lignes qui précèdent, et de rester bien focalisés sur les critiques qu'on entend autour de nous. Ce n'est peut-être pas le top pour notre ego, mais c'est tellement bon pour notre avenir.

Jocelyn Rochat

Jocelyn Rochat Rédacteur en chef

«L'une des plus grandes réussites

de la planète», c'est nous

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Edito . . . page 1 É C O N O M I E

Pourquoi la Suisse s'en tire mieux que les autres . . . .page 4 Selon le «Financial Times», la Suisse est tout simplement la plus grande réussite de la planète. Mais peut-on prendre ce compliment au sérieux? Les participants au prochain Forum des 100 de L'Hebdo, organisé à l'UNIL, ainsi que les jubilaires de la Faculté des HEC, qui a 100 ans cette année, auront de quoi y réfléchir.

C R I M I N A L I T É Les mystères de la fausse

monnaie . . . . page 10 Du 25 au 27 mai, l'UNIL ouvre ses portes au public pour une sixième édition des «Mystères». Les scientifiques y aborderont, entre autres, le thème de la monnaie et des faux-monnayeurs. Rencontre à l'Institut de police scientifique avec le professeur Christophe Champod et le doctorant Martin Fürbach, deux experts en sciences forensiques.

AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 2

Sommaire

Les 28 et 29 mai 2011, de 11 h à 18 h, plus de 300 chercheurs,

enseignants et étudiants vous accueilleront sur le campus de Dorigny. Ils vous feront découvrir de nombreux aspects de l'économie qui vous surprendront. Une énigme, une douzaine de

laboratoires et une quinzaine d'ateliers vous donneront l'occasion d'exercer votre curiosité scientifique et vos talents d'investisseur.

Diverses animations ludiques et scientifiques vous sont proposées tout au long de la journée.

Il n'est pas nécessaire de s'inscrire spécifiquement à chaque atelier. Les visites peuvent se faire au gré de la curiosité de chacun.

Toutes les animations sont gratuites et destinées à un public de 7 à 100 ans.

Vous pouvez découvrir un avant-goût de ces journées avec notre article consacré aux faux-monnayeurs, à lire en pages 12-21 de ce magazine.

Plus d'infos sur Internet, à l'adresse:

www3.unil.ch/wpmu/

mysteres

Les Mystères de l'UNIL, enquête avec les

scientifiques

I N T E R V I E W

La ville n'est plus tout à fait ce qu'elle était, la campagne non plus…

Et la Suisse s'y perd . . . . page 20 Après la barrière de rösti, c'est le fossé ville-campagne qui est devenu la nouvelle explication à la mode pour justifier les divergences des Helvètes, les dimanches de votations, quand Bâle et Zurich votent comme les Romands. Qu'en est-il réellement? Les réponses d'une spécialiste de l'UNIL.

B I O L O G I E Vipères: la science face

aux clichés . . . . page 32 Les beaux jours venus, ces serpents craints sortent de leurs abris, au grand dam des promeneurs. Les vipères vont-elles attaquer? Se cacher dans un arbre et tomber dans leur cou? Téter le pis des vaches? Non, car toutes ces histoires ne sont que des légendes que les experts battent en brèche.

H I S T O I R E Jésus a-t-il voulu fonder

le christianisme? . . . . page 40 L'’homme de Nazareth voulait-il fonder une nouvelle reli- gion? Non, répondent les spécialistes depuis quelques années. Jésus voulait réformer le judaïsme, et cette ten- tative a échoué, avant que le message du Christ, retrans- mis par Paul, triomphe hors de Judée et convainque tout l'Empire romain. Les explications de deux experts de l'UNIL.

© Ursenbacher© N. Chuard

© Hélène Tobler

Unicom © N. Chuard

Le rendez-vous (1)

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E N A P A R L É !

Allez savoir !

REUTERS/Michael Buholzer

Allez savoir! ,

c'est 50 numéros et 17 ans d'histoire

Le rendez-vous (2)

Robert Boesch/ENGADIN St. Moritz

A

vec ce numéro, le magazine de l'UNIL atteint officiellement le cap des 50 numéros. Mais, en réalité, ce numéro jubilaire constitue le 51eépi- sode d'une aventure scientifico-médiatique décidée au début 1994 par le recteur d'alors, Pierre Ducrey.

Car tout a commencé par un numéro 0. La première édition d'Allez savoir!, qui succède à UniLausanne, précédent magazine de l'UNIL, portait un numéro zéro, car nul ne savait alors s'il y en aurait d'autres. Au sommaire de ce numéro inaugural, il y avait des sujets sur «Nos ancêtres les Helvètes», «La sieste, bon ou mauvais sommeil?» ou «Comment évaluer les professeurs?» Autant de thèmes qui ont convaincu les lecteurs et les responsables que le projet méritait de continuer.

Le magazine poursuit dès lors ses parutions au rythme de trois à quatre numéros par année. Le 10enuméro d'Allez savoir! sort ainsi en janvier 1998. Avec, au som- maire, des articles consacrés au Titanic, qualifié de

«mythe insubmersible» quelques semaines avant la sor- tie du film de James Cameron, dont on ne sait pas encore s'il sera un succès phénoménal ou un échec retentissant.

On y apprend aussi en exclusivité quand, comment et où a été retrouvée la tête du major Davel, volée peu après son exécution.

Le 20enuméro sort de presse en juin 2001. C'est l'hé- roïne de jeux vidéo Lara Croft qui illustre la Une, alors qu'un autre article du magazine se demande si les filles vont désormais prendre les armes, comme l'intrépide héroïne du cybermonde. Un autre sujet de cet Allez savoir!

évalue l'intérêt du cannabis quand il est utilisé à des fins thérapeutiques.

Le 30e numéro du magazine de l'UNIL sort en octobre 2004.

Publié quelques semaines avant

l'élection présidentielle américaine, il contient un article quasi prophétique sur le Dieu de George W. Bush.

C'était juste avant que les protestants états-uniens ne plébiscitent leur très croyant président.

Le 40e numéro du magazine de l'UNIL sort en décembre 2007, avec Alain Delon (en Jules César) en couverture. Allez savoir! vous y propose de décou- vrir enfin la vérité sur l'assassin du dictateur romain, à l'occasion de la sortie du film «Astérix aux Jeux olympiques».

Enfin, vous tenez entre vos mains le numéro 50 d'Allez savoir!. Entre 1994, et la parution du numéro 0, et mai 2011, date de sortie de cet exemplaire 50, le tirage de

ce magazine est progressivement monté à 30'000 exemplaires, ce qui en fait le titre le plus distribué de la presse universitaire et polytechnique romande.

Merci à tous nos lecteurs, avec une pensée spéciale pour ceux qui nous accom- pagnent depuis dix-sept ans déjà.

Jocelyn Rochat

Vous pouvez retrouver tous ces numéros, sauf le 0, à l’adresse suivante:

www.unil.ch/unicom/page6524.html

«Regarder le monde, comprendre la Suisse»

C

'est le titre de l'édition 2011 du Forum des 100 organisé à l'UNIL par le magazine L'Hebdo.

Défis démographiques et migratoires, sécurité, trans- parence, globalisation, émergence de nouvelles puis- sances, révoltes populaires, rôle de la technologie, redéfinition des règles de la gouvernance: les fron- tières politiques, économiques et culturelles du monde bougent et se transforment sans cesse. Dans cette ère de changements profonds, comment se positionnent la Suisse et la Suisse romande?

Parmi les orateurs: Joseph Deiss, président de l'Assem- blée générale de l'ONU (en vidéo), Didier Burkhalter, conseiller fédéral, André Kudelski, CEO de Nagra, Jean- Christophe Rufin, ancien ambassadeur de France au Sénégal et écrivain. C’est en page 4

S O C I É T É C'est l'été ou jamais de goûter

au bon air des Alpes . . . . page 48 Cet hiver, le président du PDC suisse incitait ses compa- triotes à rester dans les frontières pour les vacances. Une invitation qui rejoint le passé prestigieux des Alpes, comme nous le rappellent le professeur Claude Reichler et Daniela Vaj, de l'UNIL.

L A V I E À L’ U N I L

L'UNIL en livres . . . page 56 Formation continue . . . page 60 100 ans d’économie à Lausanne . . . page 62 Abonnez-vous, c’est gratuit! . . . page 64

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AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 4

S elon le «Financial Times», la Suisse est tout simplement la plus grande réussite de la planète.

Mais peut-on prendre ce compliment au sérieux?

Les participants au prochain Forum des 100 de L'Hebdo, organisé à l'UNIL, ainsi que les jubilaires de la Faculté des HEC, qui a 100 ans cette année,

auront de quoi y réfléchir.

Le prochain Forum des 100, organisé par le magazine L'Hebdo (ici l'édition 2010) aura lieu le 12 mai à l'UNIL.

Il aura pour thème «Regarder le monde, comprendre la Suisse»

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É C O N O M I E

Pourquoi la Suisse s'en tire mieux que

les autres

© Hélène Tobler

AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 5

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AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 6

Chess/Wikimedia Commons

L

a Suisse est le pays le plus com- pétitif au monde selon le World Economic Forum (le 4èmeselon le classement de l'IMD), elle a très bien résisté à la crise et elle présente un taux de chômage que tous ses voisins lui envient. Une réussite qui ne passe pas inaperçue et qui ne se limite pas à l'éco- nomie. Marine Le Pen nous cite en exemple pour notre système démocra- tique. Le chercheur franco-suisse Fran- çois Garçon a publié coup sur coup deux ouvrages où il explique aux Fran- çais pourquoi ils feraient bien de nous imiter, et le Financial Times a publié un article expliquant, tout simplement, que la Suisse serait «la plus grande réussite de la planète».

Regarder le monde qui nous jette des fleurs, et comprendre la Suisse

Quelles sont les clés de ce succès? La Suisse mérite-t-elle ces lauriers? Les par- ticipants au prochain Forum des 100, une manifestation du magazine L'Hebdo dont

la prochaine édition (12 mai) aura lieu à l'Université de Lausanne, auront l'occa- sion d'en discuter lors d'une journée de réflexion et de débats placés sous le thème «Regarder le monde, comprendre la Suisse».

Le monde, justement, ne cesse de nous jeter des fleurs ces temps-ci. C'est vrai pour notre démocratie: «Nous avons beaucoup à envier au système politique helvétique», a-t-on par exemple entendu.

Ce plaidoyer pour les institutions suisses, c'est Marine Le Pen qui le fait – elle s'exprime beaucoup sur ce thème depuis quelques mois.

L'hommage inattendu de Marine Le Pen

En Suisse, comme dans ces propos recueillis par 24 Heures, à qui elle a encore dit plus clairement: «Le référen- dum et l'initiative populaire tels qu'ils existent en Suisse permettent au peuple d'exercer son droit souverain à décider de son avenir politique. Ce système par- ticipatif redonne à la démocratie toute sa signification, qui est et doit rester le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple.» Mais aussi en France, où elle n'a pas manqué de vanter les mérites de la démocratie directe helvé- tique, quand il s'est agi des votes sur l'in- terdiction des minarets, du renvoi des étrangers criminels, ou, moins récem- ment, de la non-adhésion à l'Union européenne.

Même la façon dont les Suisses ont inté- gré sans heurts les 22% d'étrangers qui composent sa population, en faisant «res- pecter ses codes et ses traditions», lui semble exemplaire.

É C O N O M I E

P o u r q u o i l a S u i s s e s ' e n t i r e m i e u x q u e l e s a u t r e s

Le conseiller fédéral Didier Burkhalter sera l'un des invités vedettes du Forum des 100. Il sera invité à parler du regard que le monde porte sur la Suisse.

Un regard qui nous surprend parfois par sa bienveillance, notamment quand c'est celui de Marine Le Pen

REUTERS/Michael Buholzer

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AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 7

© N. Chuard

Stéphane Garelli est professeur à la Faculté des HEC de l'Université de Lausanne et à l'IMD, où il dirige le Centre de la compétitivité mondiale

Un best-seller pour expliquer les vertus suisses aux Français

Evidemment, l'enthousiasme de la pré- sidente du Front national embarrasse – d'aucuns préféreraient qu'elle ne l'ex- prime pas lors de ce type de scrutins.

Marine Le Pen n'est pourtant pas la seule personne à faire preuve d'une admiration sans bornes pour les institutions suisses.

Pas du tout stigmatisé pour son idéolo- gie, le chercheur franco-suisse François Garçon s'est penché dans deux livres,

«Le modèle suisse» (2008) et «La forma- tion des élites» (2011), sur le fonction- nement du pays. Du fédéralisme à la concurrence fiscale cantonale en passant par le parlement de milice, la paix sociale ou le système éducatif, le chercheur ne tarit pas d'éloges sur nos mérites. C'est surtout la façon dont le pouvoir est décentralisé qui le convainc, un point for- cément sensible pour qui vit à Paris.

4% de chômage en Suisse, 10% aux Etats-Unis, 20%

en Espagne…

Mais le domaine dans lequel le succès du pays fait le plus d'envieux est l'économie.

Le pays a très bien résisté à la crise.

Comme le relève François Garçon, son taux de chômage en 2009 n'a guère dépassé les 4%, alors que les Etats-Unis en étaient à 10% et des pays européens, l'Espagne ou l'Irlande par exemple, en étaient respectivement à… 20% et 11,7%.

Ce succès est établi aux yeux de la com- munauté internationale par les deux ran- kings sur la compétitivité économique qui font référence: le «Global Competi-

tiveness Report» du WEF (World Eco- nomic Forum), dans la dernière édition duquel la Suisse a été classée première, et l'«IMD World Competitiveness Year- book», où elle est 4e.

La Suisse, ce n'est pas que des banques

Stéphane Garelli est professeur à la Faculté des HEC de l'Université de Lau- sanne et à l'IMD, où il dirige le Centre de la compétitivité mondiale qui publie

chaque année ce «Yearbook». Il a déve- loppé son explication sur ce succès éco- nomique qui fait des envieux. «A l'étran- ger, on a souvent l'impression que la Suisse, c'est des banques. Mais c'est avant tout un tissu industriel composé d'entreprises actives dans des domaines très variés. Economiquement, c'est l'atout majeur du pays.»

Avec Nestlé, Novartis, les innombrables grandes marques de montres, et bien sûr les banques, notamment UBS et Credit

La rencontre de la Suisse et de l'Espagne, personnifiée ici par Micheline Calmy-Rey

et José Luis Zapatero, c'est aussi la rencontre de deux situations économiques

sensiblement différentes: quand les Helvètes connaissent 4% de chômage,

les Ibères en affrontent 20%

REUTERS/Sergio Perez

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AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 8

É C O N O M I E

P o u r q u o i l a S u i s s e s ' e n t i r e m i e u x q u e l e s a u t r e s

Suisse, l'économie nationale est en effet très bien représentée dans l'agroalimen- taire, la pharma, l'horlogerie de qualité, la finance ou d'autres secteurs encore.

Notre économie est aussi diversifiée qu'excellente

Si le pays a mieux résisté que nombre de ses voisins durant la crise, c'est pour une

grande part grâce à cette particularité:

quand un pan de l'économie rencontre des problèmes – l'horlogerie, par exemple, a connu une phase difficile et a dû avoir recours au chômage partiel – les autres peuvent prendre la relève pour malgré tout produire de la croissance.

En outre, ces multinationales ou entre- prises actives dans des industries

diverses jouent très souvent les premiers rôles à l'échelle de la planète. «Notre éco- nomie se caractérise donc par sa diver- sification, mais aussi son excellence dans ces différents secteurs, précise Stéphane Garelli. Il existe dans le monde très peu d'économies qui peuvent s'appuyer sur des compagnies très compétitives dans autant de champs différents, et c'est donc un avantage concurrentiel certain.»

«Un pays, c'est aussi ce qu'il fabrique»

Comme la forte dimension «de produc- tion qu'a su garder le pays, contrairement par exemple à la Grande-Bretagne, qui a tout démantelé de ses manufactures his- toriques. Qui peut dire aujourd'hui ce que produit l'Angleterre? Or, le «made in», ça n'est pas anodin, comme termi- nologie: un pays, c'est aussi ce qu'il fabrique», estime Stéphane Garelli.

Forcément, avec la grande vague de l'outsourcing vers la Chine ou d'autres pays émergents, la production indus- trielle en Suisse a changé – «elle est de type 2.0, pour faire une analogie avec le web». Elle a donc su se réinventer.

Et dans cette production dont la Suisse a su garder le contrôle, les PME jouent un très grand rôle. «Dans tous les pays du monde, vous avez une, deux ou trois grandes entreprises industrielles fortes qui tirent la nation et créent sa richesse, ana- lyse Stéphane Garelli. Or en Suisse, vous avez un tissu industriel composé de mil- liers de PME, en outre très compétitives.»

© N. Chuard

Jean-Pierre Danthine a été professeur à la Faculté des HEC (1980-2009), qui célèbre son centenaire cette année, avant de devenir membre de la direction

de la Banque nationale suisse

REUTERS/Toby Melville REUTERS/Christian Hartmann

L'économie se caractérise par sa diversification (ci-dessus le célèbre couteau et la manifestation horlogère Baselworld), mais aussi son excellence dans ces différents secteurs. Ce qui lui permet de traverser les crises à moindre mal

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AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 9

Plus que les autres, la Suisse recherche l'innovation

Un des grands atouts des entreprises suisses, c'est qu'elles développent énor- mément à l'interne le secteur «recherche et développement», ce qui place le pays en tête des nations pour ce qui est de l'in- novation technique et technologique.

Un aspect que relève aussi René Levy, professeur honoraire de sociologie de l'Université de Lausanne, dans son ouvrage «La structure sociale de la Suisse»: «La Suisse compte la proportion la plus élevée par habitant de requêtes de brevets auprès de l'Office européen des brevets, devant l'Allemagne, la Fin- lande et la Suède; même d'après le nombre absolu de nouveaux brevets, elle détient la 9eposition.»

Les innovations dont ces PME font preuve sont des gages de succès pour le futur, d'autant plus qu'elles sont actives, comme les grandes multinationales, dans une multitude de domaines. Les pays européens qui s'en sont bien sortis durant la crise, comme l'Allemagne, la Suède ou

le Danemark, ont aussi ce profil «d'ato- misation de l'économie, qui vous protège en période de récession - tous vos œufs ne sont pas dans le même panier. A titre de comparaison, les Etats-Unis, qui pei- nent eux à sortir de la crise, tiraient en 2008 41% de leurs profits du même sec- teur, la finance…»

La balance commerciale est l'une des plus positives au monde

Enfin, dernier point fort de l'économie suisse aux yeux du professeur, elle est très tournée vers l'extérieur. René Levy souligne également dans son ouvrage l'importance de «l'insertion économique de la Suisse dans l'espace international», notant que la part des exportations dans le PIB national est passée de 25% en 1950 à 40% en 2008.

«La balance commerciale est l'une des plus positives au monde, explique ainsi Stéphane Garelli. En outre, les entre- prises et PME suisses ont su se tourner rapidement vers les pays qui ont conti- nué à produire de la croissance durant la crise, l'Asie notamment, et plus parti- culièrement la Chine.»

Mais si la Suisse réussit si bien écono- miquement, c'est aussi grâce au contexte et aux conditions-cadres garanties par l'Etat. «Les infrastructures, les systèmes d'éducation et de santé sont d'excellente qualité et participent évidemment de la

REUTERS/Vincent Kessler

REUTERS/Denis Balibouse

Dans les années qui viennent, la Suisse devra trouver un moyen de commercer davantage encore avec la Chine

(ici la rencontre du conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann avec Chen Deming, ministre chinois du commerce). Un avenir qui passera forcément par l'innovation, symbolisée ci-dessous par la machine géniale de Fusionman

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compétitivité du pays, analyse le profes- seur. Je citerai aussi les mesures de frein à l'endettement comme élément majeur.»

En un siècle, la richesse du pays a quadruplé

Dans une conférence donnée à l'occasion des 100 ans de la Faculté des Hautes Etudes Commerciales de l'Université de Lausanne, Jean-Pierre Danthine, qui y fut professeur (1980-2009) avant de devenir membre de la direction de la Banque nationale suisse, a projeté en guise d'introduction un graphique qui montre l'évolution du PIB par habitant depuis 1911, année donc de création de l'école. En un siècle, il est passé, à franc constant, de 17 000 francs à 70 000 francs – la richesse par habitant produite dans le pays a donc quadruplé…

Ce n'est pas innocemment que Jean- Pierre Danthine a mis en parallèle ce développement spectaculaire et la nais-

sance des HEC: sous forme de boutade, il a évidemment lié les deux événements par un lien de causalité, expliquant le succès économique de la Suisse par la qualité de la formation des gradués en commerce de l'Université de Lausanne.

La Suisse ne connaît pas de désamour de la technologie et de l'ingénierie

Reste que le point soulevé par Jean- Pierre Danthine fait sens. L'une des forces de la Suisse, c'est la qualité de sa formation et donc de la main-d'œuvre.

Proportionnellement à d'autres pays européens, le pays produit pourtant une quantité encore relativement faible d'universitaires. «En 1960, on ne relevait que 402 étudiants pour 100'000 habi- tants, en 2006 ce taux s'est élevé à 1531;

néanmoins, il demeure assez bas en com- paraison internationale. Une véritable démocratisation – c'est-à-dire un élargis-

Les jeunes Suisses sont intéressés par les sciences de l'ingénierie et la technologie, dont témoignent ici Bertrand Piccard et son projet Solar Impulse, mais encore cette vue d'une turbine à vent au Mont-Soleil (Jura bernois)

É C O N O M I E

P o u r q u o i l a S u i s s e s ' e n t i r e m i e u x q u e l e s a u t r e s

REUTERS/Michael Buholzer REUTERS/POOL New

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sement des possibilités d'accès pour les enfants de familles peu favorisées – ne s'est pas produite», relève René Levy.

Mais ces étudiants sont par contre davan- tage attirés qu'ailleurs par les sciences de l'ingénierie et la technologie. «Les jeunes ici aiment ces matières - un attrait sans doute lié à la réussite et la visibilité des deux Ecoles Polytechniques Fédé- rales. Or il y a en Occident un désamour de l'ingénierie qui risque de coûter cher en termes de développement écono- mique. Que la Suisse se distingue par une tendance opposée est très bon pour son futur», note Stéphane Garelli.

Nous sommes bons, c'est entendu, mais oublions-le très vite!

Mais ce qui fait et fera le succès du pays, soit le développement de pôles technologiques de premier plan, porte en germe un vrai risque pour son ave- nir économique. L'arc lémanique notamment, en passe «de devenir la nouvelle Silicon Valley», pour reprendre les termes de Stéphane Garelli, voit apparaître des congestions au niveau des infrastructures, de trans- ports ou de logements par exemple, qui, si elles ne sont pas résolues, pourraient

Sur l'arc lémanique, le développement de pôles technologiques de premier plan permettra peut-être de devenir une nouvelle Silicon Valley.

C'est possible si les problèmes liés aux infrastructures, aux transports et aux logements sont résolus

constituer un frein au développement.

C'est, pour l'économiste de l'UNIL, le risque tangible le plus important. «Pour ce qui est de l'intangible, il ne faudrait pas tomber dans l'autosatisfaction. C'est bien de dire au reste du monde que nous sommes excellents, mais il ne faut pas trop y croire soi-même, au risque sinon de s'endormir sur ses lauriers et de très vite cesser de l'être.»

Sonia Arnal

AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 1 1

Regis Colombo / Lausanne Tourisme

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REUTERS/Wolfgang Rattay

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Les mystères de la fausse

monnaie

D u 25 au 27 mai, l'UNIL ouvre ses portes au public pour une sixième édition des «Mystères».

Les scientifiques y aborderont, entre autres, le thème de la monnaie et des faux-monnayeurs.

Rencontre à l'Institut de police scientifique avec le professeur Christophe Champod et le docto- rant Martin Fürbach, deux experts en sciences forensiques.

C R I M I N A L I T É

AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 1 3

Un policier allemand présente une saisie de faux euros. En chiffres, il faut savoir qu'environ 500'000 fausses coupures européennes de ce genre sont saisies chaque année

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© N. Chuard

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a fausse monnaie n'est pas le domaine de la criminalité dont les experts parlent le plus volontiers.

D'abord pour des raisons de sécurité monétaire («pour ne pas renseigner les faussaires»), mais encore en matière de condamnations («pour ne pas encoura- ger les vocations»). «Moins on commu- nique sur le phénomène, moins il se déve- loppe», résume le professeur Christophe Champod, de l'Institut de police scien- tifique de l'UNIL.

Cela rend d'autant plus intéressant le rendez-vous donné par les chercheurs lausannois, qui accueilleront le grand public à la fin mai, dans le cadre des

«Mystères de l'UNIL 2011» (lire ci contre), pour évoquer les questions rela- tives au faux monnayage, un délit que les Etats ont, durant longtemps, sanc- tionné de très lourdes peines.

On a ébouillanté des faussaires

Au Moyen Age, ce crime de lèse- majesté était puni par l'ébouillantage, et, si les peines sont plus clémentes de nos jours, de nombreux pays qualifient encore ce délit de «crime contre la nation». En Suisse, la traque du faussaire

Farinet (lire en page 18), abattu en 1880, rappelle toute l'intransigeance des auto- rités à ce sujet.

Une intransigeance que le professeur Christophe Champod, de l'Institut de police scientifique de Lausanne, explique volontiers: «La stabilité économique d'un pays repose en partie sur la confiance dans sa monnaie, une fonction régalienne de l'Etat. S'y attaquer revient à s'en prendre à sa sécurité.»

Une arme utilisée par Hitler

C'est ainsi que la fausse monnaie peut devenir une arme de guerre que l'on uti- lise dans l'objectif de provoquer une bru- tale dévaluation chez l'ennemi. «En 1942, rappelle le professeur Champod, l'Alle- magne nazie avait tenté d'inonder l'An- gleterre de fausses livres sterling.»

L'opération «Bernhard», c'était son nom, a été lancée dans le plus grand secret depuis le camp de Sachsenhausen.

Elle a fait l'objet de l'excellent film «Les Faussaires» (2007), où l'on voit des pri- sonniers juifs forcés de fabriquer des copies de billets anglais pour le compte d'Adolf Hitler.

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Christophe Champod (à droite) est professeur à l'Institut de police scientifique de l'UNIL. Martin Fürbach est doctorant en sciences forensiques (sciences et techniques appliquées à l'investigation criminelle) à l'UNIL

«Les Mystères de l'UNIL 2011», enquête avec les scientifiques

Les 28 et 29 mai 2011, de 11h à 18h, plus de 300 chercheurs, enseignants et étudiants vous accueilleront sur le campus de Dorigny.

Ils vous feront découvrir de nombreux aspects de l'économie qui vous surprendront.

Une énigme, une douzaine de laboratoires et une quinzaine d'ateliers (dont un permet- tant de détecter les contrefaçons de billets de banque) vous donneront l'occasion d'exer- cer votre curiosité scientifique et vos talents d'investisseur.

Diverses animations ludiques et scienti- fiques vous sont proposées tout au long de la journée. Il n'est pas nécessaire de s'ins- crire spécifiquement à chaque atelier. Les visites peuvent se faire au gré de la curiosité de chacun.

Toutes les animations sont gratuites et destinées à un public de 7 à 100 ans.

Plus d'infos sur Internet, à l'adresse:

www3.unil.ch/wpmu/mysteres

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REUTERS/Lee Jae Won © N. Chuard

Ces superdollars sont des faux venus de Corée!

De nos jours, c'est le dollar américain qui est devenu une cible de choix pour les faussaires, à la fois par la quantité de devises en circulation dans le monde entier et à cause du symbole que repré- sente le billet vert.

«Les Etats-Unis ont découvert l'exis- tence d'une grande quantité de copies presque parfaites de dollar, que l'on a appelées superdollars», rappelle Martin Fürbach, doctorant en sciences foren- siques (sciences et techniques appliquées à l'investigation criminelle) à l'UNIL.

Ces contrefaçons ont été identifiées en 2005, et leur fabrication a été attribuée à la Corée du Nord contre laquelle Washington a engagé des représailles.

La photocopie facilite le travail des faussaires

Loin de ces enjeux stratégiques, la figure du faux-monnayeur vénal incarne encore la généralité du genre. A l'ère de la photocopieuse et de l'imprimante à jet d'encre, «le travail des faussaires est faci- lité, c'est clair, note Martin Fürbach.

Leur nombre est en augmentation mais la qualité de leur travail est nettement en baisse et il est en général très facile de distinguer une copie.»

A consulter les rapports de l'Office fédéral de la police, la Suisse aurait peu à craindre des faussaires, «des individus ou de petits groupes qui produisent de la fausse monnaie à petite échelle (…).

Les billets de banque authentiques com-

portent assez de caractéristiques de sécu- rité pour qu'il soit possible de détecter les faux sans instrument.»

4000 faux billets sont saisis chaque année en Suisse

Les sommes confisquées pour la période 2008-2009 s'élevaient à 570'000 francs, un montant dérisoire face aux 40 milliards de francs en circu-

lation. «A l'heure où nous parlons, pour- suit Martin Fürbach, on estime à 4000 le nombre de faux billets saisis par année en Suisse. Cela représente un ratio de 10 copies pour un million de vrais billets, contre 50 dans la zone euro, 100 pour le dollar et 300 pour la livre britannique».

Ce sont là les données des banques natio- nales ou centrales, précisent nos experts.

Pour protéger les billets, la Suisse est championne

La Banque nationale suisse (BNS), qui participe à l'exposition «Les Mys- tères de l'UNIL», ne craint guère de col- laborer. «Car le franc suisse est une vitrine technologique. 90% des mesures de sécurité des billets de banque dans le monde sont brevetées en Suisse», rap- pelle Christophe Champod.

Deux des trois leaders suisses de cette niche high-tech sont même établis dans le canton de Vaud: KBA Giori, spécia- liste dans la fabrique de presses à billets et SICPA, qui domine le marché mon- dial des encres sécurisées.

Un billet de banque n'est pas plat!

«L'une de ces encres est utilisée abon- damment aujourd'hui sur les nouveaux dollars américains lancés en 2010 et 2011, rappelle Christophe Champod. Cette encre, présente depuis de nombreuses années sur les coupures suisses, dont la couleur varie selon l'incidence de la lumière est appelée OVI (Optical Variable Ink). C'est un brevet suisse.»

De même que l'impression en relief,

Le dollar américain est une cible de choix pour les faussaires. Vu la quantité de devises en circulation,

ces exemplaires sont plus faciles à écouler

L'Allemagne nazie a fait

fabriquer de fausses livres anglaises comme celle-ci dans des camps, durant la Seconde Guerre mondiale.

L'opération «Bernhard»

visait à affaiblir l'économie britannique

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appelée «en taille douce» ou «intaglio», sen- sible au toucher. «Au macroscope que nous utiliserons pour «Les Mystères», le public verra qu'un billet de banque à la loupe n'est pas plat. C'est très spectaculaire.»

Autres techniques suisses de pointe, la microperforation au laser utilisée pour les chiffres ou le Kinegram®. «Il est pra- tiquement impossible à reproduire, c'est vraiment de l'horlogerie», conclut Chris- tophe Champod.

En Suisse, les faux-monnayeurs sont des particuliers

Toutes ces technologies expliquent, selon Martin Fürbach, que la Suisse est moins touchée par le faux monnayage pratiqué par le crime organisé qui, sous nos latitudes, s'attaque d'abord à l'euro, qui est constitué d'une plus grande masse de billets, et surtout, qui est imprimé dans une vingtaine de lieux à travers l'Europe.

«La Suisse a pour avantage de faire imprimer tous ses billets au même

endroit, chez Orell Füssli, à Zurich.» En chiffres, sur les 500'000 faux euros sai- sis chaque année, 80% sont imprimés par des organisations criminelles contre 20%

par des particuliers. En Suisse, ce rap- port s'inverse.

La plupart des faux sont des billets de 50 et de 100 francs. «Copier 10 francs, ça n'en vaut pas la peine et les billets de 1000 s'écoulent mal», explique Chris- tophe Champod.

Le Farinet alémanique

Un Farinet alémanique, Hans-Jörg Mühlematter, en a fait les frais. En 1976, ce surdoué de l'imprimerie, traqué par le patron de l'Office central pour la répression du faux monnayage de l'époque, Roger Décaillet, a d'abord reproduit des billets de 100 francs avec une précision diabolique.

Dans un scénario semblable à celui de

«Arrête-moi si tu peux» (un film avec Leonardo DiCaprio et Tom Hanks, sorti

en 2002), Roger Décaillet découvre à la fin 1997 une nouvelle série de faux billets de 1000 francs, si précis qu'ils portent la signature de l'auteur, aussitôt arrêté pour la deuxième fois pour une saisie record:

6 millions de faux francs en billets de 1000. Le projet était d'autant plus vain qu'en avril 1998, la BNS lançait son nou- veau billet de 1000 francs…

Le faussaire du dimanche risque le flagrant délit

«En Suisse, tous les faux sont trans- mis au KILA, un service spécialisé de la police fédérale, à Berne, et les services de police internationaux communiquent sur une base de données commune en la matière», rappellent les experts de l'UNIL.

Malgré cela, la majorité des faussaires ne sont pas attrapés. D'une part, parce que les quantités produites par les par- ticuliers sont négligeables et de mauvaise qualité, mais aussi parce qu'ils sont dif-

Sur cette image, la police espagnole présente à la presse une belle saisie de faux euros ainsi que le matériel utilisé par les criminels pour produire ces coupures illicites. Ce jour-là, les inspecteurs ont arrêté 27 personnes, et ont saisi des faux billets représentant un montant global de 2,5 millions d'euros

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REUTERS/Susana Vera

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ficiles à pister. Il faut une grande quan- tité de faux billets et une certaine systé- matique propre au crime organisé, pour que l'enquêteur ait une chance de remon- ter la piste. Le risque du faussaire du dimanche, c'est le flagrant délit qui conduira à son imprimante et ses petits défauts qui le trahiront.

La justice est de plus en plus clémente

«Pendant longtemps, il fallait être imprimeur pour fabriquer de faux billets, rappelle Christophe Champod, l'usage professionnel d'une imprimante Offset était déjà un indice d'une préméditation criminelle. Aujourd'hui, votre enfant peut scanner et imprimer un billet pour s'amuser.»

Pour cette raison, les condamnations sont rares et la justice toujours plus clé- mente. «En République tchèque, explique Martin Fürbach, les peines pour contre- façon allaient de 2 à 15 ans de prison.

Mais, en 2010, une directive européenne a forcé les Etats membres à harmoniser les peines, ce qui a amené des sanctions

plus douces. L'argument des juges est qu'il est très facile de copier des billets de nos jours et qu'on ne peut infliger une peine de 2 ans minimum à chaque cou- pable.»

Que faire avec un faux billet?

Et que se passe-t-il si un citoyen rap- porte aux autorités un faux billet qui est tombé en sa possession? Il ne sera pas dédommagé pour la somme concernée.

Le billet sera simplement retiré de la cir- culation et envoyé au KILA. Mieux vaut donc se méfier. Car, pour éviter cette mésaventure, l'usager a des atouts qui lui permettront de reconnaître facilement un vrai billet: le toucher en relief de l'im- pression «en taille douce», l'alignement des impressions recto verso, le filigrane du papier ou encore la microperforation.

Ajoutons à cette liste de moyens une visite aux «Mystères de l'UNIL», entre le 25 et le 27 mai, où ces différences entre vrais et faux billets seront largement détaillées.

Michel Beuret

Supposons que j'aie un graveur…

Le vieux rêve du malfrat, préméditant une retraite ensoleillée grâce à l'impression de faux billets, est au cœur du film «Le Cave se rebiffe» (1961) qui met aux prises un faux-monnayeur expérimenté et un néophyte téméraire. Les dialogues sont de Michel Audiard.

- Bernard Blier:Supposons que j'aie un graveur… du papier… et que j'im- prime pour un million de biftons. En admettant qu'on soit cinq sur l'affaire, ça rapporterait, net, combien à chacun?

- Jean Gabin:Vingt ans de placard. Entre truands, les bénéfices ça se partage, la réclusion ça s'additionne.

Et Gabin d'ajouter, un peu plus tard:

«Dis-toi bien qu'en matière de monnaie, les Etats ont tous les droits et les particuliers aucun!»

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C R I M I N A L I T É

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es faux-monnayeurs sévissent en général en temps de crise ou de grandes réformes monétaires.

Joseph-Samuel Farinet (1845-1880), le plus célèbre faussaire de Suisse, n'échappe pas à la règle. Ses copies ont inondé le marché à la faveur du lance- ment de la première monnaie nationale en Suisse en 1850.

Car jusque-là, de nombreuses mon- naies d'origines diverses circulaient en Suisse. Chaque canton émettait la sienne,

et «s'y ajoutaient les monnaies étrangères qui représentaient plus de 80% du mon- nayage en circulation», rappelle Carine Raemy Tournelle.

De fausses pièces de 20 centimes

A l'époque de Farinet, la monnaie avait une valeur intrinsèque, établie par le pourcentage de métal noble (or ou argent) qui la composait. La valeur fidu- ciaire, qui prévaut aujourd'hui, repose sur la confiance de l'usager dans un

moyen de paiement dont la valeur est fixée par l'Etat (billets de banque et pièces dont la valeur nominale est supé- rieure à la valeur intrinsèque). En 1850, la Confédération frappe encore des pièces en argent (5, 2, 1 et un demi-franc) ainsi que des centimes en billon (moitié argent moitié cuivre) ou en bronze.

Environ 11 millions de pièces de 20 centimes seront frappées pour répondre à la forte demande de la population, «une société paysanne qui vit encore de troc et favorise la petite monnaie pour ses échanges quotidiens si nécessaire», rap- pelle Carine Raemy Tournelle. C'est logi- quement ces pièces-là, les plus courantes, que Farinet va copier, comme de nom- breux faussaires à l'époque qui n'ont pas connu la gloire romantique du Robin des Bois valaisan.

Une vieille défiance envers le pouvoir et sa monnaie

«Farinet, comme beaucoup de ses contemporains, nourrit une vieille défiance envers le pouvoir et sa monnaie, explique la conservatrice du Musée monétaire. Le peuple a longtemps été lésé par les dévaluations insidieuses de la monnaie pour les besoins des puissants qui détiennent l'autorité émettrice.»

Pour financer leurs dépenses de guerre, par exemple, les seigneurs dimi- nuaient sensiblement la quantité de métaux nobles dans les monnaies et conservaient la valeur libératoire de celles-ci, tandis que les prix, eux, ne variaient guère.

La couleur de l'argent au temps de Farinet

Pourquoi les métaux nobles contenus jadis dans les pièces de monnaie ont-ils peu à peu disparu? C'est le thème d'une animation préparée pour «les Mystères de l’Unil 2011»

par Carine Raemy Tournelle, conservatrice du Musée monétaire cantonal.

© N. Chuard

Carine Raemy Tournelle est conservatrice du Musée monétaire cantonal

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Farinet ne frappe pas, il presse

La nouvelle monnaie fédérale connaît tôt, elle aussi, une dévaluation due à une pénurie de l'argent sur le marché moné- taire. Les pièces de 20 centimes, alliant argent et cuivre, en subissent les consé- quences. Ainsi, les nouveaux exemplaires frappés en 1859 contiennent une plus grande quantité de cuivre, visible à l'œil nu, en comparaison d'une pièce frappée en 1850. «Cette baisse de qualité profite aux faussaires», estime la conservatrice.

Farinet utilise des plaques d'un alliage étain-cuivre dans lesquelles il découpe ses flans (rondelles de métal au diamètre des futures pièces). Mais Farinet ne les frappe pas, il les presse. «Ce qui confère à ses copies un relief moins précis en même temps qu'une impression d'usure qui peut faire illusion.»

L'oxydation de l'alliage, en revanche, peut le trahir. Pour donner une appa- rence argentée à ses pièces, «Farinet les passe à l'acide nitrique puis les frotte au linge pour les blanchir. A l'état neuf, on pouvait s'y méprendre, assure Carine Raemy Tournelle, mais avec la corrosion naturelle, elles se dénonçaient elles- mêmes.» La logique du faussaire est donc d'écouler sa marchandise au plus vite.

Seule la mauvaise monnaie circule

Au fil du temps, le système de valeur intrinsèque de la monnaie a produit un cercle vicieux. Plus les Etats avaient besoin d'argent, plus la qualité intrin- sèque de leur monnaie baissait, plus les faussaires se multipliaient. «Dans ce contexte, l'usager avait tendance, en tom- bant sur une belle pièce, à la thésauriser

dans son bas de laine, à la retirer du mar- ché, rappelle Carine Raemy Tournelle.

En sorte qu'il ne restait bientôt que de la mauvaise monnaie en circulation. C'est la loi de Gresham.»

Le commerçant anglais Thomas Gre- sham (1519-1579) avait observé ce phé- nomène: «La mauvaise monnaie chasse la bonne.» Crises économiques et faux-mon- nayeurs s'alimentent ainsi mutuellement.

De vieilles et fausses pièces circulent encore

Au XXesiècle, la Suisse a conservé des pièces contenant de l'argent (entre 0,5 et 5 francs) «mais elle y a renoncé en 1967 car la forte hausse du prix de l'argent ren- dait la valeur matérielle des pièces plus élevée que leur valeur nominale. De plus, beaucoup d'exemplaires sortaient du pays pour être fondus afin d'en retirer l'ar- gent», rappelle la conservatrice. Depuis lors, toutes les pièces helvétiques sont faites de cupronickel, un alliage très solide et de faible valeur permettant la produc- tion de monnaies fiduciaires.

Quant aux copies de certains faus- saires, certaines pièces circulent encore…

M. B.

© N. Chuard

DR

Cette fausse pièce suisse a été pressée par le légendaire Farinet (photo ci-dessous). Elle fait partie des collections du Musée monétaire cantonal.

Le faussaire valaisan était en effet un spécialiste des imitations de pièces de 20 centimes

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© N. Chuard

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I N T E R V I E W

La ville n'est plus tout à fait ce qu'elle était,

la campagne non plus…

Et la Suisse s'y perd

A près la barrière de rösti, c'est le fossé ville- campagne qui est devenu la nouvelle explication à la mode pour justifier les divergences des Helvètes, les dimanches de votations, quand Bâle et Zurich votent comme les Romands. Qu'en est-il réelle- ment? Les réponses d'une spécialiste de l'UNIL.

Joëlle Salomon Cavin est maître assistante en politiques territoriales à l'UNIL et chercheuse associée au CNRS.

Elle a notamment publié «La Ville mal-aimée»

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L

e rideau de rösti n'a plus la cote.

Il fut un temps où il suffisait de l'invoquer pour que les votations fédérales prennent tout leur sens. Quel que soit leur thème. Aujourd'hui, cette frontière légendaire, à la fois linguis- tique, géographique et psychologique, ne suffit plus à tout expliquer au bon royaume confédéral. La mondialisation a peut-être passé par là. Le fait est que la partition ville-campagne a pris la relève. Peu importe qu'on ne sache pas exactement où finit l'une et où com- mence l'autre, la clef de l'interprétation des votes du peuple souverain est là. A y regarder de plus près, ce clivage pose davantage de questions qu'il n'apporte de réponses précises.

Quelques points de repère pour y voir plus clair, avec Joëlle Salomon Cavin qui est maître assistante en poli- tiques territoriales à l'Université de Lausanne et chercheuse associée au CNRS. Elle avait publié «La Ville mal-

aimée» en 2005 aux Presses polytech- niques et universitaires romandes.

Toujours aux mêmes éditions, l'année dernière, elle a dirigé, avec Bernard Marchand, la publication d'un ouvrage collectif original et décapant, «Anti- urbain – Origines et conséquences de l'urbaphobie».

Chapitre 1

Les villes progressent-elles d'un mètre carré par

seconde?

Il y a des formules qui font mouche.

La Suisse s'urbanise, paraît-il, au rythme dévastateur de 1 m2par seconde. Prati- quement tous les défenseurs patentés du paysage et du territoire helvétique ont fait leurs choux gras de ce slogan choc. Pour Joëlle Salomon Cavin, inutile d'aller plus loin, si on n'a pas d'abord démêlé soigneu- sement le vrai du faux dans ce constat.

«Allez savoir!» :

Ce chiffre de 1 m2qui cerne l'urbanisation galopante de la Suisse, il n'est pas tombé du ciel…

Joëlle Salomon Cavin: Il découle des résultats publiés par l'Office fédéral de la statistique sur la progression de «la surface d'habitat et d'infrastructures» en douze ans. Je vous épargne les calculs exacts, mais ce qu'il faut savoir, c'est que cette catégorie de surfaces recouvre des utilisations du sol pour le moins dispa- rates: aussi bien les surfaces de trans- ports, les industries ou les bâtiments (on pouvait s'y attendre!) que les parcs publics, les campings ou les terrains de sport, par exemple, classifiés comme

«espaces verts et lieux de détente», ou encore les terrains «attenants aux mai- sons individuelles». Au total, beaucoup de vide et beaucoup de vert!

I N T E R V I E W

L a v i l l e n ' e s t p l u s t o u t à f a i t c e q u ' e l l e é t a i t , l a c a m p a g n e n o n p l u s … E t l a S u i s s e s ' y p e r d

suite en page 27

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AU RYTHME DÉVASTATEUR DE

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AVIN NOUS INVITE À RÉEXAMINER EN DÉMÊLANT

SOIGNEUSEMENT LE VRAI DU FAUX DANS CE CONSTAT

© N. Chuard

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AL L E Z S A V O I R! / N ° 5 0 MA I 2 0 1 1 2 5 Le choc ville-campagne est généralement résumé à ces images: le béton en ville (ici un centre de contrôle ferroviaire, à Bâle, imaginé par les architectes

Herzog & De Meuron) et de grands espaces où paissent des vaches. Comme souvent, la réalité est plus subtile

Christof Sonderegger/Switzerland TourismAlexander Paulus/Basel Tourismus

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2 6 © N. Chuard

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Vous dénoncez une simplification abusive du constat de l'Office fédéral de la statistique?

Davantage que ça! Utilisé comme il l'est, cet indicateur est mensonger. C'est une «boîte noire» qui transmet une image déformée de la réalité. En définitive, elle entretient une représentation négative de la ville au sens large, sur laquelle il est trop facile de surfer. Il ne s'agit pas de mini- miser les problèmes posés par l'étalement urbain, mais une augmentation des sur- faces bâties de 1 m2par seconde, bien pla- cée dans un centre, à proximité directe de transports publics desservis convenable- ment, avec une offre de logements sup- plémentaire, n'est-ce pas une bonne nou- velle, par les temps qui courent?

Dans ces conditions, quelle est la réalité cachée?

Il est facile d'alerter l'opinion sur les ravages du bétonnage urbain. Il est beau- coup plus délicat d'expliquer que le fond du problème, c'est le mitage du territoire par les maisons individuelles, longtemps considérées comme l'expression du bon- heur suisse, qui sont les principales res- ponsables de l'avancée de l'urbanisation (110'000 villas individuelles bâties en Suisse depuis 2001. Le paradoxe, c'est que si les villes s'étalent, c'est par désir de campagne. Où la recherche d'une cer- taine proximité avec la nature, aboutit à la destruction de cette nature.

I N T E R V I E W

L a v i l l e n ' e s t p l u s t o u t à f a i t c e q u ' e l l e é t a i t , l a c a m p a g n e n o n p l u s … E t l a S u i s s e s ' y p e r d

Le bétonnage, cela passe aussi par le mitage du territoire par les maisons individuelles, longtemps considérées comme l'expression du bonheur suisse

U

NE AUGMENTATION DES SURFACES BÂTIES DE

1

M2 PAR SECONDE

,

BIEN PLACÉES

DANS UN CENTRE

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À PROXIMITÉ DIRECTE DE TRANSPORTS PUBLICS DESSERVIS CONVENABLEMENT

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AVEC UNE OFFRE DE LOGEMENTS SUPPLÉMENTAIRE

,

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EST

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CE PAS UNE BONNE NOUVELLE

,

PAR LES TEMPS QUI COURENT

?

Roland Gerth/Switzerland Tourism

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Chapitre 2 Comment la ville

est devenue une mal-aimée

L'opposition entre les villes et les cam- pagnes ne date pas d'aujourd'hui. Joëlle Salomon Cavin soutient qu'elle est même l'une des composantes majeures du modèle fédéraliste helvétique.

S'il fallait ne retenir qu'une seule date clef?

La Constitution fédérale de 1848! A l'époque, on sort d'une révolte des cam- pagnes contre les grandes villes comme Zurich, Bâle ou Genève qui tirent leurs revenus des campagnes conquises par la force ou par l'argent. Et le nouveau texte

constitutionnel est imprégné d'un très net renversement des rapports de force. Le suffrage universel donne l'avantage à des campagnes plus peuplées. Et l'instauration d'un système bicaméral limite durablement le poids des villes par la création d'une Chambre des cantons.

Et il y a aussi la représentation que la Suisse donne d'elle-même où les villes n'ont que peu de place…

En parallèle avec la dimension poli- tique ancrée dans la Constitution, c'est l'émergence culturelle du grand mythe alpin qui se construit en opposition avec le développement urbain. Les écrivains voyageurs qui décrivent les sommets immaculés… L'opposition explicite entre les villes stérilisantes et le sol nourricier…

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L a v i l l e n ' e s t p l u s t o u t à f a i t c e q u ' e l l e é t a i t , l a c a m p a g n e n o n p l u s … E t l a S u i s s e s ' y p e r d

Le Village suisse de l'Expo nationale de 1896, avec son décor alpestre, affirmait l'identité nationale rurale du pays. Un cliché que les villes, telle Genève (ci-dessous), ont toutes les peines à démentir

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Lucia Degonda/Switzerland Tourism

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Le Village suisse de l'Exposition nationale de 1896, avec son décor alpestre, est l'af- firmation parfaite de cette identité natio- nale. Plus tard, les deux guerres mondiales vont encore forcer le trait: sans exagérer, les villes deviennent des ennemis intérieurs qui confisquent du terrain qui aurait été utile pour nourrir les populations.

Et la Suisse est un cas isolé?

Non, c'est un phénomène qui dépasse clairement les frontières nationales, mais il est ancré localement. Partout en Europe, les grands mythes nationaux s'appuient sur le monde rural, tout en dévalorisant le mode de vie urbain. D'un côté une sta- bilité rassurante et une communauté qui se perpétue avec ses valeurs tradition- nelles, et de l'autre un lieu de changement,

d'émancipation et de modernité inquié- tante. Pour la Suisse, cet antagonisme prend un poids particulier, du fait de sa position géographique de gardienne du patrimoine alpin. Mais il faut se souvenir aussi de l'image des grandes villes indus- trielles anglaises, au milieu du XIXesiècle, repoussoirs reconnus de l'alliance de l'ur- banisme avec le capitalisme industriel.

Chapitre 3

C'est nouveau, les villes s'affirment

Le contexte politique et culturel antiur- bain s'est inévitablement traduit dans les textes officiels. Entre autres, ceux concer- nant l'aménagement du territoire! Du déni pur et simple des villes, on est pour-

tant passé à une forme de reconnaissance progressive, c'est en tout cas le constat de Joëlle Salomon Cavin.

Comment se marque la prise en compte explicite des villes dans la réflexion sur l'aménagement du territoire?

On revient de très loin! Dans la pre- mière loi sur l'aménagement du territoire votée en 1979, il n'est tout simplement pas fait mention du mot «ville»… Et là, on ne remonte pas à la préhistoire, c'était il y a une trentaine d'années! En fait, c'était le reflet fidèle d'une politique fédé- rale qui voit dans la ville un mal dont il faut limiter les débordements. Il ne s'agit pas d'aménager la ville, il faut la circons- crire, autant que possible.

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AVANTAGE À DES CAMPAGNES PLUS PEUPLÉES

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UN SYSTÈME BICAMÉRAL LIMITE DURABLEMENT LE POIDS DES VILLES

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HAMBRE DES CANTONS

© N. Chuard

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Et les premiers signes de «détente»?

Ils sont très récents, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Les premières recherches systématiques datent des années quatre-vingt, par exemple grâce au lancement du programme national de recherche «Villes et transports». En 1999, c'est l'inscription, hautement symbolique, des termes de ville et d'agglomération dans la nouvelle Constitution. Puis, une légère accélération, suite à une intervention his- torique du conseiller fédéral Moritz Leuenberger, avec le lancement de la poli- tique des agglomérations par la Confédé- ration. Et enfin, la conception résolument urbaine d'Expo.02, proposant non plus la vision patinée par l'usage du village suisse, mais une sorte de «ville-territoire» avec ses sites répartis sur le Plateau.

Cela dit, les critiques à l'égard des villes n'ont pas cessé, loin de là…

C'est évident, la ville est critiquable.

Mais il faut faire la part des choses. Nous sortons à peine d'une période où la ville

était un problème en soi, ce qu'on pour- rait appeler une urbaphobie dominante, paradoxalement peu étudiée, un senti- ment collectif qui avait des racines poli- tiques et culturelles profondes.

L'opposition ville-campagne serait-elle en train de s'éteindre au moment même où elle est reconnue comme un facteur important dans la formation de l'opinion?

La Suisse vit une période charnière dans sa relation avec la ville qui est beaucoup plus complexe que la simple addition des mètres carrés perdus ou gagnés sur la

«nature», pour reprendre la formule qui ali- mentera encore longtemps la polémique.

On ne peut pas nier que sur le plan politique, une certaine reconnaissance de la dimension urbaine fait son chemin, même si, à l'échelle de la région, on est encore loin du compte. Et corollaire, les villes n'hésitent plus à s'affirmer et à s'as- sumer comme telles, l'exemple de Zurich est probant à cet égard.

La population, elle, reste encore très imprégnée du rêve du logement à la cam- pagne, les enquêtes le prouvent. Mais le pouvoir d'attraction de la vie en ville rede- vient progressivement palpable, à condi- tion que la qualité et des logements abor- dables… soient au rendez-vous. Dans cette perspective, le développement urbain durable aura son rôle à jouer.

Au total, il faut donc faire la part de l'imaginaire, qui conserve pour le moment toute son importance à l'oppo- sition classique ville-campagne. Le ré- enchantement de la ville ne correspond pas à un quelconque désenchantement de la nature.

Propos recueillis par Laurent Bonnard I N T E R V I E W

L a v i l l e n ' e s t p l u s t o u t à f a i t c e q u ' e l l e é t a i t , l a c a m p a g n e n o n p l u s … E t l a S u i s s e s ' y p e r d

Zurich (ici la gare routière, près de l'aéroport) fait partie de ces villes qui commencent à s'affirmer et à s'assumer politiquement.

Un changement dont il faudra tenir compte dans les années qui viennent

Daniel Boschung/Flughafen Zürich AG

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Il n'existe, en Suisse, que deux espèces de vipères. La vipère aspic (comme celle photographiée aux Arpilles, dans les Alpes vaudoises, en haut), fréquente essentiellement les versants bien exposés du Jura et des

Alpes. Les vipères péliades (telle celle des Grisons, en bas), vivent pour la plupart dans l'est du pays

© Monney© Ursenbacher

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