• Aucun résultat trouvé

« Ὥσπερ τὸ θεοὺς εἶναι… » : étude des « petits » sanctuaires oraculaires en Anatolie romaine

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "« Ὥσπερ τὸ θεοὺς εἶναι… » : étude des « petits » sanctuaires oraculaires en Anatolie romaine"

Copied!
996
0
0

Texte intégral

(1)

Université de Montréal

« Ὥσπερ τὸ θεοὺς εἶναι… »

Étude des « petits » sanctuaires oraculaires en Anatolie romaine

par Kevin Bouillot

Département d’histoire Faculté des arts et des sciences

Thèse présentée à la Faculté des études supérieures et postdoctorales en vue de l’obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph. D.)

en histoire

Novembre 2018

(2)

i

Résumé

Les études historiques récentes ont remis en cause l’idée moderne d’une marginalité de la divination au sein de la religion grecque et la vision uniforme et souvent delphique du sanctuaire oraculaire, notamment en élargissant le spectre des sanctuaires étudiés. Cette recherche se propose de contribuer à ce réexamen.

Restituer la diversité du phénomène oraculaire implique de s’interroger en premier lieu sur les caractéristiques des sanctuaires oraculaires, et de constituer donc une table lexicale de l’oracle grec qui puisse aider à son identification. Un recensement plus complet de ces sanctuaires est alors possible. Il a été réalisé pour l’Anatolie romaine, région particulièrement riche en témoignages et en sanctuaires. Quarante-six sanctuaires oraculaires anatoliens peuvent ainsi être identifiés et décrits aussi précisément que le permettent les documentations disponibles. Leur étude comparée montre alors la diversité du phénomène, irréductible à un seul modèle, une divinité, une méthode divinatoire ou une échelle. Elle met aussi en évidence l’inscription de ces sanctuaires dans la géographie humaine de l’espace anatolien, dans la vie religieuse des populations d’époque romaine (et pas seulement des cités ou des rois consultants), et plus largement dans la pluralité et complexité du polythéisme ancien, parfois au côté d’autres pratiques religieuses permettant un accès analogue au divin.

C’est donc la catégorisation (en partie moderne) du sanctuaire oraculaire qui est interrogée et réexaminée, en constatant l’absence de frontières précises dans les pratiques et le vécu des Anciens, et la plasticité de la pensée grecque en matière oraculaire, divinatoire et religieuse.

Mots-clés : Grèce antique, Anatolie romaine, histoire, religion, oracle, divination, sanctuaire,

(3)

ii

Abstract

The recent historical studies questioned both the modern assumption that divinatory practices were marginal within the Greek religion and the uniform and often Delphic vision of the oracular sanctuary, partly by broadening the spectrum of the studied sanctuaries. This research intends to contribute to this reconsideration.

Rendering the diversity of the oracular phenomenon implies questioning first the characteristics of the oracular sanctuaries. So doing, a lexical grid of the oracular sanctuary can be drawn and allows its systematic identification. Then a more complete survey can be applied to Roman Anatolia, a very rich region regarding testimonies and sanctuaries. Forty-six Anatolian sanctuaries can be identified this way, and described as far as allowed by available ancient documents. Studying and comparing these sanctuaries illustrate the diversity of the phenomenon that is irreducible to a single pattern, a deity, a divinatory method or a scale. On the contrary, it shows the embedding of these sanctuaries in the human geography of Anatolia, in the people’s religious life (and not only for consulting kings and cities) and on a wider scale in the whole plurality and diversity of ancient polytheism. It eventually shows the proximity between oracular practices and other Anatolian religious practices allowing an analogous access to the divine.

It is eventually the (partly modern) category of the oracular sanctuaries that is to be questioned and reconsidered, given the blurry and imprecise borders within the ancient practices and experiences, and the plasticity of the Greek mind regarding divination and religion.

Keywords : Ancient Greece, Roman Anatolia, history, religion, oracle, divination, shrine,

(4)

iii

Table des matières

Résumé ... p. i Abstract ... p. ii Table des matières... p. iii Liste cartes ... p. xi Liste des figures ... p. xii Liste des abréviations ... p. xiii Remerciements ... p. xvii

Introduction ... p. 1

Première partie : Appréhender et identifier les sanctuaires

oraculaires ... p. 10

1.

Appréhender les sanctuaires oraculaires et la divination : un problème

historiographique ... p. 12

1.1. Divination et oracles entre manipulation et irrationalité : naissance d'un objet historique (XVIIe siècle - milieu du XXe siècle) ... p. 13

1.1.1. Antonius Van Dale, Fontenelle et l'Histoire des oracles : une histoire de manipulation (1683-1686)... p. 13 1.1.2. Auguste Bouché-Leclercq : la divination devenue objet historique (1879-1882) .... p. 20 1.1.3. Delphes, Apollon, la raison grecque et l’anthropologie: la divination irrationnelle (première moitié du XX e siècle) ... p. 21

1.2. Divination et oracles entre rationalité et diversité : naissance d’un objet anthropologique (depuis 1974) ... p. 27

1.2.1. Divination et oracles rationalisés : Jean-Pierre Vernant, Divination et rationalité (1974) ... p. 28 1.2.2. Diversité, complexité et multiplicité des approches : un demi-siècle de réflexions nouvelles (depuis 1974) ... p. 31

2.

Identifier les petits sanctuaires oraculaires : une enquête lexicale ... p. 40

2.1. Μαντεῖον, χρηστήριον, et oraculum : le vocabulaire du sanctuaire oraculaire ... p. 41

2.1.1. Nommer le sanctuaire oraculaire ... p. 41 2.1.2. Dépouiller le corpus documentaire littéraire ... p. 43

(5)

iv 2.1.3. Des termes peu utilisés par la documentation épigraphique ... p. 44

2.2. Μαντεία, χρησμοί et oracula : le vocabulaire de la divination oraculaire ... p. 45

2.2.1. Nommer la parole oraculaire ... p. 45 2.2.2. Imprécision, de la documentation, et ambiguïté des termes ? (le cas des Discours sacrés d’Aelius Aristide) ... p. 49

2.3. Προφήτης, πρόμαντις, θεσπιῳδός, etc. : le vocabulaire des agents de la divination oraculaire ... p. 56

2.3.1. Προφήτης et ὑποφῆτης : ceux qui « parlent » pour les dieux ... p. 56 2.3.2. Μαντίς, πρόμαντις et μαντίαρχος : ceux qui « pratiquent » la divination ... p. 65 2.3.3. Χρησμῳδός et θεσπιῳδός : ceux qui « chantent » les oracles ... p. 75 2.3.4. Χρησμολόγος et ἐξηγητής: ceux qui interprêtent les oracles ... p. 79 2.3.5. Χρησμαγόρης, χρησμοφύλακες, etc. : d’autres agents oraculaires? ... p. 89 2.3.6. Vates, haruspex et augur : termes latins de la divination oraculaire grecque ? ... p. 90

2.4. Κατὰ τὴν μαντείαν, κατ᾽ἐπιταγήν, κατὰ τὰ πρόσταγμα, etc. : le vocabulaire de la dédicace oraculaire ... p. 91

2.4.1. Κατὰ τὴν μαντείαν et κατὰ χρησμόν : les dédicaces « d’après un oracle » ... p. 94 2.4.2. Κατ᾽ἐπιταγήν & κατὰ κέλευσιν: les dédicaces « d’après un ordre » ... p. 94 2.4.3. Κατὰ πρόσταγμα : les dédicaces « d’après un commandement » ... p. 101 2.4.4. Κατ’ὄναρ et κατ’ἐνύπνιον : les dédicaces « d’après un rêve » ... p. 104 2.4.5. Κατὰ συνταγήν : les dédicaces « d’après une ordonnance » ... p. 106 2.4.6. Κατὰ χρηματισμόν: les dédicaces « d’après une décision » ... p. 108

2.5. Χρησμοδότος, Χρηστηρίος, Πύθιος, etc. : des épiclèses oraculaires ? ... ... p. 110 2.6. Archéologie, iconographie et numismatique : des impasses

documentaires? ... p. 113 2.7. Les termes de l’oracle : un bilan tabulaire ... p. 117

Deuxième partie : Inventorier et étudier les petits sanctuaires

oraculaires d’Anatolie ... p. 120

1.

Mysie et Troade ... p. 123

(6)

v 1.1.1. Alexandrie : la statue et l’oracle (incubatoire ?) d’un flamine ... p. 126 1.1.2. Cyzique : un oracle d’Apollon (?) ... p. 131 1.1.3. Hadrianoi-Olympene : un oracle de Zeus attesté par ses prophètes ... p. 137 1.1.4. Hamaxitos-Chrysè : un oracle d’Apollon Sminthéus et des rats ... p. 144 1.1.5. Lesbos : un oracle entre Orphée et Apollon ... p. 173 1.1.6. Parion-Adrastéia-Priapos : un oracle d’Apollon et Artémis, un oracle de Pérégrinos (et un oracle d’Apollon Prièpènaios ?) ... p. 183 1.1.7. Thymbra : un oracle d’Apollon Thymbraios ... p. 192 1.1.8. Zéléia : un oracle non-attribué ... p. 195

1.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 200

1.2.1. Ilion : un oracle mythique ? ... p. 200 1.2.2. Milétopolis : un oracle d’Isis ? ... p. 204

2.

Ėolide ... p. 205

2.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 207

2.1.1. Aegae : un sanctuaire d’Apollon « oraculaire » ... p. 207 2.1.2. Grynéion : l’oracle d’Apollon Grynéus ... p. 214

2.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 230

2.2.1. Kymè : un oracle d’Isis ? ... p. 230 2.2.2. Pitanè : un hermès clédonomantique ? ... p. 232

3.

Ionie ... p. 234

3.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 236

3.1.1. Ephèse : un oracle d’Apollon au prytanée ... p. 236 3.1.2. Hiéra Comè : un oracle d’Apollon difficile à localiser ... p. 247 3.1.3. Smyrne : un oracle clédonomantique (d’Hermès ?) ... p. 251

3.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 256

3.2.1. Érythrée : un oracle de la Sibylle Hérophile ? ... p. 256

4.

Lydie ... p. 263

4.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 266

4.1.1. Magnésie du Sipyle : un oracle d’Apollon (Pandènos?) ... p. 266 4.1.2. Moyen Hermos (Kollyda, Maionia, Nisyra, Saïttai et Silandos) : deux sanctuaires oraculaires attestés, et deux sanctuaires hypothétiques ... p. 269

4.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 277

4.2.1. Adrotta : un oracle incubatoire (mais introuvable) de Machaon et Podalirios ? ... p. 277 4.2.2. Daldis : un rêve oraculaire envoyé par un mort ? ... p. 282 4.2.3. Thyatire : une prêtresse défunte et des oracles posthumes ? ... p. 283

(7)

vi

5.

Carie ... p. 287

5.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 290

5.1.1. Aphrodisias : l’oracle et le prophète d’un dieu ... p. 290 5.1.2. Cnide : l’oracle et le prophète d’Apollon Carnéios ... p. 294 5.1.3. Mylasa-Labraunda : un prophète (de Zeus Labraundos ?)... p. 298 5.1.4. Nysa-Acharacha : un oracle curatif d’Hadès et Perséphone ... p. 303 5.1.5. Olymos : un oracle d’Apollon et Artémis ... p. 308 5.1.6. Rhodes : des prophètes et un oracle « dans la ville » ... p. 310 5.1.7. Stratonicée-Panamara : l’oracle de Zeus Panamaros ... p. 316 5.1.8. Telmissos-Halicarnasse : l’oracle et les lignées mantiques d’Apollon ... p. 321

5.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 341

5.2.1. Caunos : un oracle des divinités égyptiennes ? ... p. 341 5.2.2. Iasos : un oracle de Sarapis, Isis ou Anubis ? ... p. 344 5.2.3. Kys : un Apollon Chresmodotos local ? ... p. 345 5.2.4. Myndos : les commandements oraculaires d’Hermès Ploutéos ? ... p. 346 5.2.5. Pérée rhodienne-Pisye : trois dédicaces oraculaires et un oracle local ? ... p. 347 5.2.6. Tralles : Zeus, deux pallakai et un oracle ? ... p. 349

6.

Lycie ... p. 354

6.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 357

6.1.1. Cyaneae : un oracle hydromantique d’Apollon ... p. 357 6.1.2. Patara : un oracle d’Apollon « égal de Delphes » ... p. 360 6.1.3. Sidyma : un oracle d’Apollon ET Artémis ... p. 382 6.1.4. Soura : un oracle ichthyomantique d’Apollon ... p. 388 6.1.5. Tlos : un oracle de Cronos ... p. 404 6.1.6. Xanthos : un oracle d’Apollon (au Létôon ?)... p. 408 6.1.7. Douze dieux lyciens : des ordres et des (?) sanctuaires oraculaires ... p. 415

6.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 430

6.2.1. Telmessos : une cité oniromantique ? ... p. 430 6.2.2. Tétrapole lycienne : un oracle rendu à Oenoanda ? ... p. 437

7.

Phrygie ... p. 454

7.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 457

7.1.1. Aizanoi : un oracle d’Apollon Xyréos ... p. 457 7.1.2. Dorylée : des ordres et un sanctuaire oraculaire de Zeus Brontôn ... p. 462 7.1.3. Hiérapolis : Apollon Karéios et Apollon Lairbènos ... p. 465 7.1.4. Laodicée : Apollon Clarien et un oracle d’Apollon Pythios ... p. 479

(8)

vii 7.2.1. Akmonia : Athanatos Épitynchanos prophète de « tous les immortels » ? ... p. 484 7.2.2. Kotiaéion-Métropolis-Nakoléia : trois cités, trois documents, un oracle ? ... p. 487 7.2.3. Sébastè : un oracle d’Hécate ? ... p. 490 7.2.4. Synnada : un oracle (d’Apollon) ? ... p. 492

8.

Bithynie-Pont ... p. 493

8.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 496

8.1.1. Chalcédoine : un oracle d’Apollon Chrèstèrios, ses prophètes et sa prophétesse ... p. 496 8.1.2. Comana : un oracle et des théophorètes de Mâ-Enyo ... p. 505 8.1.3. Nicée : un oracle de Zeus (Brontôn ?) ... p. 510 8.1.4. Un oracle d’Arès non localisé ... p. 516

8.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 518

8.2.1. Héraclée : un oracle des morts ? ... p. 518 8.2.2. Nicomédie : un oracle par les rêves ?... p. 529 8.2.3. Pruse : une statue venue de Phrygie, pour un oracle de Zeus ? ... p. 530 8.2.4. Documents d’origine indéterminée ... p. 533

9.

Paphlagonie ... p. 537

9.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 540

9.1.1. Aboneutique : un oracle de Glycôn, d’après Lucien de Samosate ... p. 540 9.1.2. Sinope : un oracle (incubatoire ?) d’Autolycos... p. 542

9.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 555

10.

Cappadoce ... p. 556

10.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 559

10.1.1. Comana : encore un oracle et des théophorètes de Mâ-Enyo ... p. 559

10.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 564

10.2.1. Documents d’origine indéterminée ... p. 564

11.

Pisidie ... p. 565

11.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 567 11.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 567

11.2.1. Andeda : une « décision » prise par un oracle ? ... p. 567 11.2.2. Antioche : un oracle de Mèn ? ... p. 568

12.

Pamphylie ... p. 569

(9)

viii 12.1.1. Sidé : un nouvel oracle d’Arès ... p. 572

12.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 577

13.

Lycaonie ... p. 578

13.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 580 13.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 580

13.2.1. Laodicée la Brûlée : un oracle du dieu saint et juste ? ... p. 580

14.

Cilicie ... p. 581

14.1. Sanctuaires oraculaires attestés ... p. 584

14.1.1. Mallos : l’oracle d’Amphilochos (et de Mospos ?) ... p. 584 14.1.2. Séleucie : un oracle d’Apollon Sarpédonios (et d’Artémis ?)... p. 602

14.2. Sanctuaires oraculaires hypothétiques ... p. 612

14.2.1. Anazarbos : des hiéraphoroi mantiques ? ... p. 612

Troisième partie : Comparer et contextualiser les petits

sanctuaires oraculaires d’Anatolie ... p. 616

1.

Méthode et précautions d’analyse : une approche statistique et

cartographique ... p. 617

1.1. Statistique des (petits) sanctuaires oraculaires anatoliens ... p. 617 1.2. Cartographie des (petits) sanctuaires oraculaires anatoliens ... p. 619

2.

Comparer les (petits) sanctuaires oraculaires à l’échelle de l’Anatolie ....

... p. 622

2.1. Des dieux et héros divers, autour d’Apollon… ... p. 622 2.2. Des épiclèses peu explicites et très rarement « oraculaires » ... p. 624 2.3. Des méthodes divinatoires multiples mais rarement attestées ... p. 626 2.4. Des personnels oraculaires dominés par les prophètes, et par les hommes ... ... p. 630 2.5. Des réponses oraculaires étonnamment rares ... p. 632 2.6. Des cartes et une géographie complexe : inégalités, biais et analyse ... p. 636

2.6.1. Remarques générales : une opposition Est/Ouest et côtes/intérieur et des biais méthodologiques et scientifiques ... p. 637 2.6.2. Remarques fines : la répartition des sanctuaires (et de leurs caractères) dans l’Anatolie égéenne ... p. 642

2.7. Des documentations inégales : retour sur la méthode d’identification des sanctuaires ... p. 645

(10)

ix

3.

Contextualiser les sanctuaires oraculaires : attribution, parallèles et

(re)définition ... p. 648

3.1. Sanctuaires et réponses oraculaires : la difficile attribution des oracles errants ... p. 648

3.1.1. Remarques générales : catalogue, méthode et fragilités des attributions clariennes ... ... p. 649 3.1.2. Retour sur quelques oracles errants dits clariens : fragilité des attributions et hypothèses alternatives ... p. 656

3.2. Sanctuaires oraculaires et oracles alphabétiques / à dés : incompatibilité géographique et concurrence ? ... p. 654

3.2.1. Définition des oracles alphabétiques et à dés: des pratiques cléromantiques ... p. 664 3.2.2. Géographie des oracles alphabétiques et à dés : un phénomène local et une incompatibilité apparente ... p. 669 3.2.3. Quelques éléments de réflexion : une concurrence très relative et quelques comparaisons... p. 671

3.3. Sanctuaires oraculaires et stèles « de confession » : analogies et différences ... p. 679

3.3.1. Définition des stèles « de confession » : des pratiques oraculaires ? ... p. 679 3.3.2. Géographie des stèles « de confession » : un paradoxe géographique et une question méthodologique... p. 682 3.3.3. Quelques éléments de réflexion : analogies et spécificités des sanctuaires « à stèles de confession » ... p. 683

3.4. Sanctuaires oraculaires et sanctuaires non-oraculaires et oracles : retour sur un problème de définition ... p. 686

3.4.1. Des oracles rendus dans des sanctuaires non oraculaires ... p. 687 3.4.2. Des sanctuaires spécialisés : (re)définition du sanctuaire oraculaire et questions d’échelle ... p. 689

3.5. Sanctuaires oraculaires, dédicaces « κατά » et vœux : distinction (?) et articulation de deux pratiques rituelles ... p. 695

3.5.1. Nombre, vocabulaire et géographie des dédicaces « κατά » ... p. 695 3.5.2. Fonction des dédicaces « κατά » et articulation avec le rite du vœu : l’oracle comme mode d’action ... p. 697

Conclusion... p.707

(11)

x

Annexe 1 : Tableau-lexique des sanctuaires oraculaires ... p. 769

Annexe 2 : Documentation épigraphique ... p. 773

Annexe 3 : Table des sanctuaires oraculaires anatoliens attestés ... p. 950

Annexe 4 : Table des sanctuaires oraculaires anatoliens hypothétiques .. p. 953

Annexe 5 : Tables statistiques et graphiques ... p. 955

Annexe 6 : Notice d’utilisation de la carte interactive en ligne ... p. 961

Annexe 7 : Cartes ... p. 963

(12)

xi

Liste des cartes

Carte 1 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) de Mysie-Troade ... p. 134 Carte 2 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) d'Eolide ... p. 215 Carte 3 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) d'Ionie... p. 244 Carte 4 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) de Lydie ... p. 274 Carte 5 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) de Carie ... p. 298 Carte 6 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) de Lycie ... p. 365 Carte 7 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) de Phrygie... p. 463 Carte 8 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) de Bithynie-Pont ... p. 505 Carte 9 : Sanctuaires oraculaires (attestés) de Paphlagonie ... p. 549 Carte 10 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) de Cappadoce... p. 568 Carte 11 : Sanctuaires oraculaires (hypothétiques) de Pisidie ... p. 576 Carte 12 : Sanctuaires oraculaires (attestés) de Pamphylie ... p. 581 Carte 13 : Sanctuaires oraculaires (hypothétiques) de Lycaonie ... p. 589 Carte 14 : Sanctuaires oraculaires (attestés et hypothétiques) de Cilicie ... p. 593 Carte A : Sanctuaires oraculaires attestés d'Anatolie (fond Pelagios) ... p. 984 Carte B : Sanctuaires oraculaires attestés d’Anatolie (fond Google satellite) ... p. 985 Carte C : Sanctuaires oraculaires attestés de Lycie (fond Google satellite) ... p. 986 Carte D : Sanctuaires oraculaires attestés de la vallée du Méandre (fond Google satellite)... p. 987 Carte E : Sanctuaires oraculaires attestés, avec documentation épigraphique ... p. 988 Carte F : Sanctuaires oraculaires attesté, espaces dépourvus d’oracles et « arc Chalcédoine-Sidé » ... p. 989 Carte G : Sanctuaires oraculaires hypothétiques d’Anatolie ... p. 990 Carte H : Sanctuaires oraculaires d’Apollon attestés (en Anatolie) ... p. 991 Carte I : Sanctuaires oraculaires attestés avec prophète(s) (en Anatolie) ... p. 992 Carte J : Sanctuaires oraculaires attestés, avec documentation littéraire ... p. 993 Carte K : Sanctuaires oraculaires attestés, localisés et fouillés (en Anatolie) ... p. 994 Carte L : Sanctuaires oraculaires attestés (rouge), « oracles » alphabétiques (vert) et « oracles » à dés (bleu) (en Anatolie) ... p. 995 Carte M : Sanctuaires (attestés ou hypothétiques) avec dédicaces κατὰ ἐπιταγήν (en Anatolie) ... p. 996 Carte N : Sanctuaires (attestés ou hypothétiques) avec dédicaces κατὰ πρόσταγμα (en Anatolie) p. 997

(13)

xii

Liste des figures

Figure 1 : Vallée du Méandre, entre Antioche et Priène (d'après Pelagios.org) ... p. 258

Figure 2 : Site de Soura (Lycie), d'après Borchhardt (Jürgen) (dir.), Myra. Eine Lykische

Metropole in antiker und byzantinischer Zeit, Berlin, Verlag, 1975, p. 77 ... p. 407

Figure 3 : Photographie de Lyk. Zwölfgötter-Reliefs 1,S1 (= Lycie-Douze dieux 1), d'après

Freyer-Schauenburg (Brigitte) & Petzl (Georg), Die lykischen Zwölfgötter-Reliefs, Bonn, R. Habelt, 1994, table 1 ... p. 425

Figure 4 : Lieux de découvertes des reliefs des Douze dieux lyciens, d'après Drew-Bear

(Thomas) & Labarre (Guy), « Une dédicace aux douze dieux et la question de leur origine », in Labarre (Guy) (éd.), Les cultes locaux dans les mondes grec et romain: actes du colloque de Lyon, 7-8 juin 2001, Paris, De Boccard, 2004, p. 101... p. 427

Figure 5 : Histogramme des divinités et héros tutélaires des petits sanctuaires oraculaires

attestés (effectifs et fréquences) ... p. 974

Figure 6 : Diagramme des méthodes divinatoires des petits sanctuaires oraculaires attestés

(effectifs et fréquences) ... p. 975

Figure 7 : Diagramme du personnel oraculaire des petits sanctuaires oraculaires attestés

(effectifs et fréquences) ... p. 976

Figure 8 : Diagramme des sanctuaires oraculaires attestés présentant au moins une réponse

oraculaire conservée (effectifs et fréquences) ... p. 977

Figure 9 : Diagramme des termes employés dans les dédicaces « κατά … » dans les

(14)

xiii

Liste des abréviations

AA Archäologischer Anzeiger

AAntHung Acta Antiqua academiae scientiarum Hungaricae

AArch Acta Archaeologica

AAWW Anzeiger Österreichische Akademie der Wissenschaften in Wien ABSA Annual of the British School at Athens

AC L’Antiquité Classique

AClass Acta Classica

AEHEG Annales de l’Ecole des Hautes Etudes de Gand

AEM Archäologisch-Epigraphische Mitteilungen aus Österreich

AFR Archiv Für Religionsgeschichte

AH Ancient History

AHB The Ancient History Bulletin

AIIS Annali dell’Istituto Italiano per gli Studi storici AJA American Journal of Archaeology

AJPh American Journal of Philology

AM Antike Mythen

AN Ancient Narrative

AncW The Ancient World

ANRW Aufstieg und Niedergang der römischen Welt

ARG Archiv für Religiongeschichte

AS Anatolian Studies

ASAA Annuario della (Regia) scuola archeologica di Atene e delle missioni italiane in Oriente

ASAtene Annuario della scuola archeologica di Atene e delle missioni italiane in Oriente

AST Araştırma sonuçları toplantısı

AW Antike Welt

BAAF Bulletin archéologique de l'Athenaeum français BABesch Bulletin antieke beschaving.

BAGB Bulletin de l’Association Guillaume Budé BCH Bulletin de correspondance hellénique

BICS Bulletin of the Institute of classical Studies of the university of London

BN Beiträge zur Namenforschung

BPW Berliner Philologische Wochenschrift

CA Classical Antiquity

CCGG Cahiers du Centre Gustave Glotz

CISA Contributi dell’Istituto di Storia Antica dell’Università del Sacro Cuore

CJ The Classical Journal

ClAnt Classical Antiquity

CPh Classical Philology

(15)

xiv

CRAI Comptes Rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres

CW The Classical World

DAW Denkschriften - Österreichische Akademie der Wissenschaften DPHK Denkschriften der philosophisch-historischen Klasse

EA Epigraphica Anatolica Zeitschrift für Epigraphik und historische Geographie Anatoliens

G&R Greece and Rome

GIF Giornale italiano di Filologia

GRBS Greek, Roman and Byzantine Studies

HASB Hefte des Archäologischen Seminars der Universität Bern HSCP Harvard Studies in Classical Philology

HThR Harvard Theological Review

IA Iranica Antiqua

ICS Illinois Classical Studies IEJ Israel Exploration Journal

IL L’Information Littéraire

JBL Journal of Biblical Literature JEA Journal of Egyptian Archaeology

JJS Journal of Jewish Studies

JNG Jahrbuch für Numismatik und Geldgeschichte

JOAI Jahreshefte des Österreichischen Archäologischen Institutes in Wien

JRA Journal of Roman Archaeology

JS Journal des Savants

JSS Journal of semitic studies

Kl Klio

MA Mediterraneo Antico. Economie, Società, Culture

MAAR Memoirs of the American Academy in Rome

MDAI(I) Mitteilungen des deutschen archäologischen Instituts. Abteilung Istanbul

MDAI(A) Mitteilungen des deutschen archäologischen Instituts. Athenische Abteilung

MediterrAnt Mediterraneo Antiquo

MGR Miscellanea Greca e Romana

MH Museum Helveticum

OpAth Opuscula Atheniensia

PAAH Πρακτικὰ τῆς Άθήναις Άρχαιολογικῆς Ἑταιρείας

PhA Philosophie Antique

PP La Parola del Passato

RA Revue Archéologique

RAL Rendiconti della classe di scienze morali, storiche e filologiche dell’Academia dei Linchei

REA Revue des Etudes Anciennes

REAug Revue des Etudes Augustiniennes

(16)

xv

REG Revue des Etudes Grecques

RH Revue historique

RhM Rheinisches Museum

RHPhR Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses RHR Revue de l’Histoire des Religions

RN Revue Numismatique

RP Revue de Philologie de Littérature et d’Histoire Anciennes

RPhA Revue de Philosophie Ancienne

RSI Rivista Storica Italiana

RSLR Rivista di Storia e Letteratura religiosa RSR Recherches de Science Religieuse RStudFen Rivista di Studi Fenici

SO Symbolae Osloenses

StudClas Studii Classice

TAD Türk Arkeoloji Dergisi

TAPhA Transactions of the American Philological Association

YCS Yale Classical Studies

ŽΑ Ziva Antika

ZATW Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft ZPE Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik ZRG Zeitschrift Für Religions und Geistesgeschichte

(17)

xvi

Aux anciens, et à tous les espoirs qu’ils placèrent dans les paroles de leurs dieux.

(18)

xvii

Remerciements

Faire une thèse de doctorat est un projet solitaire qui se décide souvent seul et peut-être sans conscience précise de l’ampleur de la tâche. Achever une thèse de doctorat est en revanche un long processus qui ne peut aboutir qu’avec le conseil, l’aide et le soutien des autres, et en pleine conscience de ce que le doctorant leur doit. Aussi ce mémoire commence-t-il par remercier ceux sans qui les pages qui suivent n’auraient pas vu le jour.

Ma reconnaissance et mes remerciements vont d’abord à mes deux directeurs de thèse qui m’ont guidé, soutenu, encouragé, lu, assisté, orienté, conseillé, relu, corrigé, conforté, réorienté et supporté (et j’en oublie sans doute) pendant ces longues et riches années. À Mme Nicole Belayche, qui m’a promis, un jour pluvieux de juin, d’être ma Doktormutter, et qui a depuis tenu toutes ses promesses. À M. Pierre Bonnechere, qui m’a guidé sur des sentiers historiques et géographiques où je n’imaginais pas que cette thèse me mènerait.

Je remercie ensuite ceux qui m’ont apporté leur expertise et leur éclairage scientifique tout au long de mes recherches. M. Jean-Louis Ferrary, pour ses conseils et sa bienveillance, et pour avoir accepté de présider mon jury de thèse. Mme Stella Georgoudi, pour m’avoir remis sur la piste d’Aristote et conforté dans mes hypothèses. M. Raschle pour avoir accompagné mes premiers pas dans un système universitaire inconnu et suggéré d’autres horizons.

D’autres remerciements vont naturellement à tous mes (autres) professeurs d’histoire ancienne, qui m’ont transmis leur passion pour l’Antiquité et m’ont appris pas après pas à explorer ce monde foisonnant et si complexe. M. Bernard Legras et Mme Sylvie Pittia qui ont accompagné mes premiers pas de chercheur. Mme Catherine Lebailly qui fut pour beaucoup dans mon choix des études grecques. M. Claude Calame qui m’emmena sur d’autres sentiers que je n’aurais jamais pensé emprunter.

Au-delà des seules institutions, je remercie également toutes les personnes qui, au sein de l’École Pratique des Hautes Études, de l’Université de Montréal, du centre Gernet-Glotz, du laboratoire AnHiMA et de l’École Française d’Athènes, ont contribué à me fournir les outils et les environnements de travail indispensables à mes recherches.

(19)

xviii

Parce que le métier de doctorant est souvent un second métier, je remercie tous ceux qui ont contribué à embellir mon premier métier : mes collègues et élèves du lycée Marc Chagall de Reims. Karima pour sa bonne humeur, sa passion et son organisation, mes collègues d’Histoire-Géographie pour leur soutien au quotidien, Mme Bonnet et M. Winieski pour leur appui logistique, et mes élèves de sections internationale et européenne pour tout le plaisir que j’ai pris à être (aussi) leur professeur pendant ces années.

Enfin mes remerciements vont à tous mes proches, qui m’ont soutenu, accompagné, relu, assisté de toutes les façons possibles. À mon mari Johann, sans qui rien de tout cela (ni du reste) n’aurait été possible. À Benjamin, pour sa présence et son soutien dans tous les domaines. À Albert et Stéphane, sans qui Athènes n’aurait pas été la même. À Tony, pour avoir fait des miracles. À Clotilde pour toutes ces expériences et aventures partagées. À Patty, Cédric, Edith, Stéphanie, Quentin, Vanessa, Nicolas, pour tous les bons moments partagés. À mes parents et à ma famille, pour tout ce que je leur dois dans tous les domaines.

(20)

Introduction

Ἡ δὲ κατάληψις γίνεται κατ' αὐτοὺς αἰσθήσει μὲν λευκῶν καὶ μελάνων καὶ τραχέων καὶ λείων, λόγῳ δὲ τῶν δι' ἀποδείξεως συναγομένων, ὥσπερ τὸ θεοὺς εἶναι, καὶ προνοεῖν τούτους.

Selon eux [les Stoïciens], la compréhension se fait soit par la sensation : celle du blanc et du noir, celle du doux et du rude, soit par la raison, pour les choses qui s’assemblent par la démonstration ; comme le fait de dire : comme il existe des dieux, ils prévoient donc des choses.

Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des

philosophes illustres, VII, 671.

Pour les Stoïciens convaincus de la providence divine, l’existence des dieux était une évidence indissociable de leur capacité à prévoir l’avenir. Cette évidence, à laquelle Diogène Laërce n’accordait pas même un commentaire, illustre un aspect de l’ontologie divine grecque résumé par Jean-Pierre Vernant dans un article devenu célèbre sur les « Aspects de la personne dans la religion grecque » : « les dieux helléniques sont des Puissances, non des personnes »2. À ce titre, leur existence se démontrait par l’exercice de leur δύναμις, et notamment par leur omniscience des choses passées, présentes et futures grâce à laquelle ils éclairaient les choix des mortels. Pour les Stoïciens, la mantique (μαντική) des anciens Grecs était donc une conséquence logique et une preuve de l’existence des dieux3. Les Romains baptisèrent les pratiques mantiques d’un nom plus explicite encore, en appelant divinatio ces techniques qui relevaient de la communication avec le divin (deus) et qu’A. Bouché-Leclercq proposa de définir comme la « connaissance d’une nature spéciale, plus ou moins directe, plus ou moins complète, mais toujours obtenue par voie de révélation surnaturelle, avec ou sans le concours du raisonnement »4. Cette définition plaçait d’emblée la divination dans le champ du commerce avec le divin, donc de la religion dont elle avait longtemps été exclue par les

1 Traduction R. Genaille, Paris, Belles Lettres, 1965.

2 J.-P. Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, Maspero, 1965, p. 362.

3 Comme le montre notamment Gourinat (Jean-Baptiste), « Les signes du futur dans le stoïcisme :

problèmes logiques et philosophiques » in Georgoudi (Stella), Koch Piettre (Renée) & Schmidt (Francis) (dir.),

La raison des signes. Présages, rites, destin dans les sociétés de la Méditerranée ancienne, Leiden, Brill, 2012,

p. 557-575.

4 L’une des définitions que proposait A. Bouché-Leclercq en introduction de son Histoire de la divination dans l’Antiquité. Divination hellénique et divination italique, Paris, Ernest Leroux, 1879-1882, p.

(21)

Modernes, hostiles à l’idée d’une pratique massive, ordinaire et assumée par les Grecs du « miracle », d’un ensemble de techniques et de raisonnements en apparence si irrationnels5.

La divination ancienne appartenait pourtant bien au champ de la raison6 et à celui de la religion. Elle était présente à ce titre au cœur des pratiques religieuses grecques : dans les sanctuaires7, là où le sacrifice s’effectuait au milieu des signes divins, et où tout pouvait donc devenir signe et exprimer l’approbation divine ou son contraire. En plus du culte traditionnel des dieux, certains sanctuaires firent de la production, de l’observation et de la traduction / interprétation de ces signes divins une activité rituelle de premier plan, qui justifiait qu’ils adoptent des caractéristiques spécifiques et surtout que leur soit appliqué un vocabulaire propre. En Asie Mineure, la multiplicité des termes grecs associés à ces sanctuaires, on le verra en première partie, n’est qu’imparfaitement rendue par le terme français « oracle », dont le caractère générique masque une réelle polysémie et pose bien des problèmes. C’est pourtant à travers ce terme d’origine latine (orare) et ses dérivés en langues romanes que fut écrite une histoire des oracles grecs, c’est-à-dire des sanctuaires où la divination n’était pas seulement un élément de la religion et des rites quotidiens, mais le cœur de ces rites, voire la raison d’être du sanctuaire lui-même, comme le prétendent certains mythes de fondation8.

Le seul emploi du mot étique « oracle » en contexte grec évoque Delphes, tant ce sanctuaire et la figure de la Pythie delphique ont occupé et occupent encore l’imaginaire collectif en matière oraculaire, qu’il s’agisse de celui des Grecs de l’Antiquité ou des Modernes qui, depuis la Renaissance, apprennent l’histoire grecque en lisant Hérodote et s’initient à la pensée religieuse grecque en lisant par exemple Plutarque, deux auteurs fascinés par l’oracle pythien. Longtemps guidés par la seule documentation littéraire, les Modernes ont donné naissance à une littérature scientifique centrée sur Delphes lorsqu’on parle

5 Que l’on pense à E. Dodds, théoricien moderne de l’irrationalité de certaines pratiques religieuses

grecques, dont la divination (The Greeks and the irrational, Berkeley, Los Angeles & London, 1951, p. 7-10), ou plus tôt encore à la contribution de W. Halliday, qui certes fit de la divination grecque un objet anthropologique, mais le rejeta dans une religion supposée primitive et donc devenue marginale aux époques historiques (Greek

divination: a study of its methods and principles, Londres, 1913, p. 40-97).

6 Comme l’illustre le changement de paradigme en la matière entre E.R. Dodds cité n. précédente et

Vernant (Jean-Pierre) (et al), Divination et rationalité, Paris, Seuil, 1974, p. 9-25).

7 Sinn (Ulrich), « Temenos », in J. Paul Getty Museum & Fondation pour le Lexicon Iconographicum

Mythologiae Classicae, Thesaurus cultus et rituum antiquorum, IV: Cult places. Representations of cult places, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 2005, p. 5-12.

(22)

d’« oracle »9, et qui a longtemps négligé les autres sanctuaires du même type, sauf de rares études ponctuelles comme celle de Charles Picard en 192210. L’importance historique, architecturale et philosophique de Delphes est devenue l’arbre qui cache la forêt des oracles grecs et de leur diversité. La seconde moitié du XXe siècle a néanmoins vu fleurir des études consacrées à d’autres sanctuaires oraculaires et le monopole delphique a été relativisé certes, mais d’abord par d’« autres Delphes » : Claros et Didymes, deux autres sanctuaires apolliniens, dédiés à une divination « par enthousiasme », qui rappellent Delphes sur de nombreux points et qui s’en réclamaient, au point que ces sanctuaires sont réputés avoir éclipsé Delphes à l’époque romaine qui marque leur apogée11. Dodone enfin a longtemps brillé par son absence, et alors qu’il était le mieux documenté des oracles grecs en matière de questions posées au dieu, on le réduisait à un sanctuaire de très peu d’intérêt.

Malgré le renouveau des études sur les oracles et la divination depuis les années 199012, force est de constater que beaucoup reste à faire sur l’étude des sanctuaires

9 Par exemple Amandry (Pierre), La mantique apollinienne à Delphes. Essai sur le fonctionnement de l’oracle, Paris, De Boccard, 1950 ; Delcourt (Marie), L’oracle de Delphes, Paris, Payot, 1955 ; Parke (Herbert

William) & Wormell (D. E. W.), The Delphic oracle, Oxford, Blackwell, 1956 ; Fontenrose (Joseph), Python: as

study of Delphic myth and its origins, Berkeley, University of California Press, 1959 ; Defradas (Jean), Les thèmes de la propagande delphique, Paris, Belles Lettres, 1972 ; Roux (Georges), Delphes, son oracle et ses dieux, Paris, Les Belles Lettres, 1976 ; Fontenrose (Joseph), The Delphic oracle : its responses and operations with a catalogue of responses, Berkeley, University of California Press, 1978 ; Bowden (Hugh), Classical Athens and the Delphic oracle : divination and democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.

10 Picard (Ch.), Ephèse et Claros. Recherche sur les sanctuaires et les cultes de l’Ionie du Nord, Paris

(BEFAR 123), 1922.

11 Notamment Parke (Herbert William), The Oracles of Apollo in Asia Minor, Oxford, B. Blackwell,

1985; Günther (Wolfgang), Das Orakel von Didyma in hellenistischer Zeit, Tübingen, E. Wasmuth, 1971 ; Robinson (Thomas L.), Theological Oracles and the Sanctuaries of Claros and Didyma, Harvard, Harvard University Press, 1981 ; Fontenrose (Joseph), Didyma. Apollo's Oracle, Cult and Companions, Berkeley, University of California Press, 1988 ; Somolinos (Juan Rodriguez), Los oraculos de Claros y Didima. Edicion y

comentario Madrid, Editorial de la Universidad Compluense, 1991 ; Merkelbach (Reinhold) & Stauber (Josef),

« Die Orakel des Apollon von Klaros », EA, 27 (1996), p. 1-54 : Busine (Aude), Paroles d'Apollon. Pratiques et

traditions oraculaires dans l'Antiquité tardive (IIe-VIe siècles), Leiden-Boston, Brill, 2005 ; Oesterheld

(Christian), Göttliche Botschaften für zweifelnde Menschen : Pragmatik und Orientierungsleistung der

Apollon-Orakel von Klaros und Didyma in hellenistisch-römischer Zeit, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2008 ;

Ferrary (Jean-Louis), Les mémoriaux de délégations du sanctuaire oraculaire de Claros, d'après la

documentation conservée dans le Fonds Louis Robert (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), Paris, De

Boccard, 2014 ; Moretti (Jean-Charles) (éd.), Le sanctuaire de Claros et son oracle. Actes du colloque

international de Lyon. 13-14 janvier 2012, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2014.

12 Citons par exemple Potter (David), Prophets and emperors : human and divine authority from Augustus to Theodosius, Londres, Harvard University Press, 1994 ; Rosenberger (Veit), Grieschische Orakel : eine Kulturgeschichte, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesselschaft, 2001 ; Busine, Paroles d'Apollon, 2005 ;

Johnston (Sarah Iles) (éd.), Mantikê. Studies in Ancient Divination, Leiden-Boston, Brill, 2005 ; Eidinow (Esther), Oracles, curses, and risk among the ancient Greeks, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Johnston (Sarah Isles), Ancient Greek divination, Oxford, Blackwell, 2008 ; Friese (Wiebke), Den Göttern so nah :

Architektur und Topographie griechischer Orakelheiligtümer, Stuttgart, Steiner, 2010 ; Georgoudi (Stella), Koch

Piettre (Renée) & Schmidt (Francis) (dir.), La raison des signes. Présages, rites, destin dans les sociétés de la

Méditerranée ancienne, Leiden, Brill, 2012 ; Beerden (Kim), Worlds full of signs: ancient Greek divination in context, Leiden, Brill, 2013 ; Kajava (Mika) (éd.), Studies in Ancient Oracles and Divination, Rome, Institutum

Romanum Finlandae, Acta Instituti Romani Finlandae, 40, 2013 ; Rosenberger (Veit) (éd.), Divination in the

(23)

oraculaires, dont nombreux sont ceux qui n’ont jamais fait l’objet de publications scientifiques, voire n’ont pas été identifiés comme tels. En 1990, P. Bonnechere publiait un article recensant les sanctuaires oraculaires de Béotie, une région à la densité de peuplement relativement faible et dont la proximité avec Delphes aurait pu laisser imaginer que les sanctuaires oraculaires y étaient rares. Ce sont pourtant treize sanctuaires oraculaires que les documentations littéraires et épigraphiques permettent aujourd’hui d’attester en Béotie13. En dehors de ceux de Trophonios et Amphiaraos14, ces sanctuaires relèvent de ce qui sera défini dans cette thèse comme de « petits sanctuaires oraculaires », suffisamment modestes pour être longtemps restés sous le radar des études historiques modernes, notamment parce qu’ils intéressaient peu les auteurs anciens.

Cette recherche provient d’abord de ce constat : au-delà de Delphes, Claros, Didymes et quelques autres réputés, les anciens Grecs et Romains se sont adressés à de multiples oracles pour interroger leurs dieux, donnant vie à des pratiques et des sanctuaires oraculaires bien plus nombreux et divers que ne le laisse penser l’accent mis sur les seuls grands oracles apolliniens. Rendre justice à la complexité, à la diversité et à l’importance du phénomène oraculaire suppose d’en faire d’abord un recensement et une description historique plus exhaustifs que cela n’a été fait jusqu’à présent, du moins pour l’Anatolie qui occupe cette thèse.

Inventorier et décrire l’ensemble des sanctuaires oraculaires de la totalité du monde grec ancien constituerait une entreprise colossale, comme le laisse deviner l’échantillonnage effectué par P. Bonnechere en Béotie, ce qui ne peut convenir au format contraint d’une thèse de doctorat. Le choix d’un espace plus restreint quoiqu’immense – l’Anatolie –, à la fois riche en documentation sur de possibles sanctuaires oraculaires et cohérent d’un point de vue historique – essentiellement l’époque romaine –, donc permettant une étude approfondie du phénomène et de sa diversité, a guidé cette recherche. L’Anatolie est apparue comme un terrain d’étude privilégié, en raison de sa richesse documentaire, notamment épigraphique, mais aussi de sa densité d’occupation et donc du nombre de ses sanctuaires, urbains ou ruraux. Elle présente de surcroît une cohérence culturelle, marquée par un substrat pré-grec

Götterzeichen und Orakel im klassischen Griechenland, Heidelberg, Verlag Antike, 2015 ; Struck (Peter), Divination and Human Nature. A cognitive History of Intuition in Classical Antiquity, Princeton-Oxford,

Princeton University Press, 2016.

13 Bonnechere (Pierre), « Les oracles de Béotie », Kernos, 3 (1990), p. 53-65.

14 Bonnechere (Pierre), Trophonios de Lébadée: Cultes et mythes d’une cite béotienne au miroir de la mentalité antique, Leiden, Brill, 2003 ; Sineux (Pierre), Amphiaraos : guerrier, devin et guérisseur, Paris, Belles

(24)

progressivement hellénisé, depuis les côtes vers l’intérieur, dès la colonisation archaïque et jusque sous la tutelle de Rome, qui imprima sa marque en termes politiques, administratifs et juridiques, mais sans oblitérer les continuités avec la phase anatolienne proprement dite15. L’époque romaine, qui constitue l’apogée démographique, économique, culturelle – peut-être parce que documentaire – de l’Anatolie, s’est imposée comme cœur chronologique d’une telle étude, même s’il apparaît souvent nécessaire de remonter aux époques antérieures pour tenter de reconstituer une histoire de ses sanctuaires.

Définir les oracles recherchés de manière suffisamment précise pour cerner l’objet d’étude, sans amoindrir ce faisant la diversité du phénomène, n’est pas une entreprise facile. A. Bouché-Leclercq constatait qu’« il n’est pas si aisé qu’on le croirait à première vue de préciser le sens du mot oracle »16. L’entreprise est encore complexifiée par la diversité des sanctuaires et des situations, que cette recherche ambitionne justement de restituer, et parce que les Grecs eux-mêmes avaient une définition lâche et flexible de la chose, selon le contexte et le point de vue. Trois éléments de définition, proposés déjà par A. Bouché-Leclercq, semblent faire consensus depuis, même s’il faudra revenir sur cette définition : « un dieu inspirateur ; un sacerdoce qui soit lui-même ou qui gouverne l’organe de l’inspiration divine ; et un lieu où la tradition ait enraciné les rites prophétiques »17.

Le premier et le troisième élément rappellent une évidence : le sanctuaire oraculaire est avant tout un sanctuaire, ἱερόν (ou τέμενος), un espace consacré à une divinité, à une époque et pour des raisons qui se perdent souvent dans l’oubli et se dissimulent derrière des mythes étiologiques. Ces éléments ne peuvent pas laisser présumer de la forme concrète du sanctuaire, qui peut être plus ou moins bâti, plus ou moins artificiel, urbain ou rural, monumental ou minuscule. Les deuxième et troisième éléments distinguent l’oracle au sein des sanctuaires, puisque ses mythes, ses sacerdoces, voire son aménagement, tendent vers un même objectif : permettre une communication privilégiée et répétée entre le dieu titulaire du lieu et les fidèles qui s’y rendent pour le consulter. L’oracle se définit donc avant tout, dans cette approche étique, comme un sanctuaire spécialisé, où la divination est devenue l’activité centrale et a conditionné en conséquence l’organisation des charges sacerdotales, sinon toute l’organisation du sanctuaire.

15 Voir sur ce point Mitchell (Stephen), Anatolia: land, men, and Gods in Asia Minor. 1. The Celts and

the Impact of Roman Rule, Oxford, Clarendon press, 1993, p. 59-99.

16 Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l’Antiquité, 1879-1882, p. 429. 17 Ibid.

(25)

Encore faut-il maintenant préciser ce que l’on entend par le syntagme « petits oracles » qui figure dans le titre de cette étude. Assurément, la documentation ancienne ne distingue pas de « petits » ou de « grands » sanctuaires, et cette terminologie n’emprunte pas à la vision par les Grecs ou les Romains du sanctuaire oraculaire grec. Cette terminologie provient du préliminaire énoncé, à savoir que, au sein de l’espace anatolien retenu pour cette enquête, les deux sanctuaires de Claros et Didymes ont accaparé l’attention de l’historiographie, comme on l’analysera en première partie. Cet accent / attraction est justifié par l’importance de ces deux sanctuaires qui, seuls parmi leurs homologues anatoliens, se sont élevés, à l’époque romaine, à un rang similaire à celui de Delphes en termes de nombre et de statut des consultants, de contribution à la vie politique et religieuse – voire philosophique –, d’ampleur architecturale, et d’attestations dans les témoignages, pas seulement littéraires. Pour ces raisons, Didymes et Claros, comme Delphes et Dodone en Grèce, peuvent apparaître comme de « grands » sanctuaires oraculaires – une épithète qui peut caractériser leurs rayonnement et prestige antiques, qui ont assez naturellement rejailli sur les intérêts de l’historiographie. Les sanctuaires oraculaires que l’on qualifie dans ce mémoire de « petits » sanctuaires sont tous ceux qui ont en partie ou en totalité échappé à l’attention des études, parce que les documentations qui en traitent, peu visibles – quelques digressions littéraires, des inscriptions parfois isolées –, n’ont pas généré d’enquête spécifique18. Certains de ces sanctuaires n’ont pas même été identifiés comme oraculaires, notamment lorsque seuls des éléments indirects permettent d’en poser la certitude, ou parfois seulement l’hypothèse.

Enquêter sur les « petits » sanctuaires oraculaires n’est donc pas s’attarder sur un « petit » phénomène. Le mémoire qui en est issu propose de remettre en lumière un nombre non négligeable de sanctuaires restés dans l’ombre des deux grands anatoliens – pas moins de 46 sanctuaires attestés comme sûrs selon la démonstration qui suit, dont près de la moitié n’a jamais identifiée comme telle –, et de verser leur existence et diversité au tableau des realia religieux de l’Anatolie romaine, même si les informations disponibles sont parfois impressionnistes. La formule employée n’entend pas davantage préjuger de l’importance de ces sanctuaires à leur époque et dans leurs contextes propres, puisqu’il existait, disons-le d’emblée, des « grands » chez les « petits », c’est-à-dire quelques sanctuaires oraculaires, comme Mallos ou Grynéion, dont le rayonnement et le prestige n’étaient pas si éloignés de ceux de Delphes, Didymes ou Claros, mutatis mutandis, quelle que fût l’absence d’intérêt des auteurs anciens à leur endroit, et donc celui des Modernes en écho.

18 Cela se constate aisément dans la bibliographie réduite à quelques articles ou évocations dans des

(26)

Une fois précisé l’emploi de « petits » sanctuaires oraculaires, il reste à en dessiner les limites, en excluant notamment de l’ensemble retenu un groupe de sanctuaires qui en diluerait trop la définition. Les sanctuaires d’Asclépios ne font pas partie de cette étude19, même s’ils présentent des points communs avec les sanctuaires étudiés, et seront évoqués à l’occasion pour cette raison. Le propre des sanctuaires asclépiéiens était de créer les conditions d’une communication immédiate entre le dieu et les fidèles-patients, donc un objectif partagé par les sanctuaires oraculaires ; mais leur méthode « divinatoire » était l’incubation seulement, c’est-à-dire le rêve20. Ne pas retenir ces sanctuaires s’explique d’abord par les différences que les Grecs et les Romains eux-mêmes avaient de la perception de ces deux ensembles. Le vocabulaire oraculaire, qui occupe la première partie de cette enquête, ne semble pas s’appliquer aux sanctuaires asclépiéiens, qui ne sont pas désignés par les termes caractéristiques du sanctuaire oraculaire, tandis que les rêves asclépiéiens ne se voient pas davantage appliquer les termes désignant ailleurs les réponses oraculaires21.

Au cœur de cette recherche se trouve donc le projet d’identifier et d’inventorier les sanctuaires oraculaires d’Anatolie, notamment ceux qui n’ont pas encore été repérés par les historiens et qui s’avèrent bien plus nombreux que ne le laisse entendre la seule documentation littéraire. La définition proposée par A. Bouché-Leclercq (et analysée plus haut) est une définition étique qui permet de comprendre le sanctuaire oraculaire, mais pas toujours de le repérer dans la documentation. On le sait, l’historien n’accède aux réalités antiques qu’à travers des documents fragmentaires et souvent biaisés. Cela impose notamment de dépasser ce que la documentation désigne comme un sanctuaire oraculaire pour ne pas passer à côté de nombreux cas qui n’affichent pas les trois éléments de la définition d’A. Bouché-Leclercq. Cette recherche implique donc une réflexion préliminaire d’importance, qui occupe toute la première partie, et propose une redéfinition des sanctuaires oraculaires fondée sur les traces qu’ils ont laissées dans la documentation historique pour les

19 Pour des études globales sur ces sanctuaires et leur rite : Sineux (Pierre), « Le dieu ordonne.

Remarques sur les ordres d’Asklépios dans les inscriptions de Lébèna (Crète) », Kentron, 20 (2004), p. 137-146 ; Riethmüller (Jürgen), Asklepios : Heiligtümer und Kulte, Heidelberg, Verlag Archäologie und Geschichte, 2005 ; Sineux (Pierre), « Dormir, rêver, montrer… : à propos de quelques « représentations figurées » du rite de l'incubation sur les reliefs votifs des sanctuaires guérisseurs de l'Attique », Kentron, 23 (2007), p. 11-29 ; Ehrenheim (Hedvig), Greek incubation rituals in Classical and Hellenistic times, Liège, Presses universitaires de Liège, 2015.

20 Voir Renberg (Gil), Where dreams may come: incubation sanctuaries in the Greco-Roman world,

Leiden-Boston, Brill, 2017, p. 310-326.

21 Comme le montre notamment le cas des Discours sacrés d’Aelius Aristide, qui sera repris et

(27)

repérer. Adoptant une approche émique, on recherchera ces traces dans le lexique, qu’il soit d’origine littéraire ou épigraphique.

La documentation littéraire constitue un point de départ solide qui permet d’identifier déjà plusieurs sanctuaires oraculaires. Mais seuls 25 des 46 sanctuaires oraculaires identifiables en Anatolie romaine sont mentionnés par la documentation littéraire. La documentation épigraphique constitue l’autre pilier indispensable de la démonstration, à la fois pour les sanctuaires oraculaires déjà identifiés, mais aussi et surtout pour les nouvelles identifications qu’on peut en tirer (21 cas sur les 46), sans préjuger des nouvelles découvertes. Actuellement, la documentation archéologique s’avère d’un apport moins riche dans l’enquête, notamment parce que les sanctuaires oraculaires ne se distinguent pas nécessairement des autres sanctuaires sur le plan architectural. Elle ne sera donc convoquée qu’en appoint, une fois le sanctuaire identifié autrement, pour tenter d’en éclairer l’histoire.

Par-delà ce projet de redonner place, dans toute leur diversité, à des sanctuaires oraculaires jusqu’alors ignorés ou peu signalés par les études sur l’Anatolie romaine, cette recherche a comme horizon plus général d’interroger la distinction entre sanctuaires oraculaires et sanctuaires non oraculaires, de discuter la pertinence de cette distinction, et de reposer ainsi la question de la place du divinatoire au sein du religieux. Les frontières de la catégorie « sanctuaire oraculaire » tendent en effet à se brouiller à mesure que l’on observe des sanctuaires de plus en plus petits, et que l’on constate l’ampleur de ce phénomène qui n’était ni marginal ni cloisonné et qui semble déborder de toutes les définitions qu’ont tenté de lui donner les historiens.

La démarche scientifique de cette enquête a dicté son plan en trois étapes.

Définir ce qu’était un sanctuaire oraculaire est une question bien trop vaste et complexe pour être développée dans cette présentation introductive juste destinée à baliser le sujet. La première partie repart donc de l’historiographie de la divination et du sanctuaire oraculaire grecs, de ses angles morts et de ces récentes avancées, et précise davantage la contribution que cette enquête ambitionne d’apporter à ce chantier en cours. Elle sera surtout l’occasion de répertorier, à partir de l’exemple des grands sanctuaires, un vocabulaire qu’on peut avec plus ou moins d’assurance classer comme oraculaire – ce que l’on appellera des « marqueurs oraculaires » –, et qui permettra ensuite l’identification des sanctuaires plus « petits ».

(28)

La deuxième partie constitue le cœur de l’étude, et justifie donc l’ampleur qu’elle occupe dans le mémoire. Région par région, elle identifie et inventorie les sanctuaires qui peuvent être caractérisés comme oraculaires sur la base des « marqueurs » lexicaux présentés dans la première partie. Au sein de chaque région, on distinguera entre les sanctuaires oraculaires qui peuvent être considérés comme attestés – parce que leurs marqueurs sont suffisamment nombreux et / ou explicites –, et ceux qui resteront pour le moment hypothétiques, en l’absence de marqueurs décisifs, mais dont la prise en compte demeure nécessaire parce qu’elle rend justice à tout indice documentaire, même le plus ténu ou incertain, et qu’elle permet d’éprouver les limites de la documentation et de se repencher a

posteriori sur la démarche méthodologique qui a été adoptée.

Enfin la troisième étape de cette recherche s’arrêtera sur la comparaison et la mise en perspective des sanctuaires oraculaires attestés. Leurs caractéristiques principales seront étudiées à partir de données statistiques notamment, et leur géographie analysée à partir d’un appareil de cartes confectionné ad hoc. L’objectif sera alors de restituer la diversité de situations et de pratiques, de (re)contextualiser les sanctuaires et pratiques oraculaires découverts dans l’espace anatolien et au sein des pratiques religieuses de ses habitants, et enfin d’interroger les limites et les frontières de l’objet scientifique que constitue le « sanctuaire oraculaire ».

(29)

Première partie : Les « mots de l’oracle » :

appréhender et identifier les sanctuaires oraculaires

Introduction

L’Antiquité est pleine de je ne sçay combien d’Histoires surprenantes, et d’Oracles qu’on croit ne pouvoir attribuer qu’à des Génies. Nous n’en rapporterons que quelques exemples, qui représenteront tout le reste.

Bernard le Bouyer de Fontenelle, Histoire des oracles, I, 1. Comme le rappelle cette citation du philosophe français Fontenelle, l’histoire des sanctuaires oraculaires et de la divination en général n’est pas un terrain vierge, et la question de leur histoire n’a pas attendu l’émergence des sciences humaines modernes pour éveiller l’intérêt d’écrivains postérieurs à ces sanctuaires et à l’époque des religions dites païennes. Mais l’histoire des oracles n’est pas non plus une terre arpentée en tous sens par les historiens. Les « quelques exemples qui représenteront tout le reste », c’est-à-dire les plus grands parmi les sanctuaires oraculaires, sont longtemps restés représentatifs de l’état de l’histoire des oracles : une histoire partielle, qui ne traitait que de quelques sanctuaires, voire d’un seul, et qui ne proposait donc qu’une vision biaisée d’un sujet dont l’histoire resta passionnelle jusqu’au XIXe siècle. Beaucoup de chemin a été fait depuis Fontenelle, mais l’essentiel de ces

avancées épistémologiques date des cinquante dernières années. Contrairement à de nombreux autres aspects des religions anciennes, la divination n’a été que récemment considérée comme un objet d’étude valide et sérieux, après avoir longtemps souffert d’une réputation de marginalité dans les sociétés grecques anciennes, qui justifiait sa marginalité dans les études historiques modernes. Le caractère relativement récent de cet intérêt et de la diversité des études consacrées au sujet invitent à s’arrêter dans un premier temps sur l’histoire de cette histoire. Il ne s’agit pas ici de faire de l’historiographie des sanctuaires oraculaires et de la divination ancienne un objet d’étude en soi, mais plutôt d’inscrire la recherche exposée dans ce mémoire dans un contexte, et notamment de la situer dans les grands chantiers ouverts par un changement de paradigme et par la multiplication des approches effectuée au cours des dernières décennies.

(30)

Ceci fait, la définition du sanctuaire oraculaire proposée par A. Bouché-Leclercq rappelée en introduction – et dont on verra qu’elle est en partie le fruit de cette historiographie – reste néanmoins une définition générale et théorique peu adaptée à l’identification des sanctuaires oraculaires, pour qui se lance dans une telle entreprise. Construite sur et pour les grands sanctuaires oraculaires abondamment documentés, elle est difficilement applicable aux sanctuaires plus modestes, moins documentés et dont la nature oraculaire ne peut plus qu’être déduite au détour d’une digression littéraire ou de quelques inscriptions. Le second point qu’il faudra aborder dans cette première partie à portée liminaire est donc celui de l’identification des sanctuaires oraculaires. Il découle à la fois de la définition proposée du sujet et de l’historiographie de ce sujet qui invite à élargir de plus en plus le champ d’étude en variant les approches. Les outils d’identification en question relèvent avant tout d’un lexique de l’oracle qui permet de faire émerger de la documentation les mots qui « trahissent » le sanctuaire oraculaire et qui permettent son identification d’abord, son étude ensuite.

(31)

1. Appréhender les sanctuaires oraculaires et la divination : un

problème historiographique

La définition du sanctuaire oraculaire proposée par A. Bouché-Leclercq, ainsi que les catégories « divination » et « sanctuaire oraculaire » qui seront utilisées ici de façon critique, sont le fruit d’une historiographie longue et complexe qu’il est nécessaire d’évoquer brièvement en préambule. Cette première clarification implique de faire des choix tant la question est vaste, complexe et riche, et pourrait constituer à elle seule un sujet de thèse. Remonter aux origines ne manquerait pas d’intérêt, et les auteurs anciens sur lesquels s’appuyer ne manquent pas, d’Hérodote aux auteurs paléochrétiens, en passant par Cicéron, Plutarque, Pausanias ou Aelius Aristide. Mais chez ces auteurs, écrire l’histoire d’un sanctuaire oraculaire se résume souvent à faire état de ses origines mythiques, qui échappent donc au temps des hommes et de l’histoire, avant d’énoncer quelques anecdotes pseudo-historiques, souvent (re)construites a posteriori1. L’histoire que les auteurs anciens proposent

de leurs sanctuaires est une histoire sans origine historique et sans continuité, donc peu compatible avec l’agenda scientifique de l’historien. Il faut donc renoncer à chercher dans l’Antiquité les premiers historiens du sanctuaire. L’histoire étant chose humaine par excellence, il faut attendre, pour pouvoir parler d’une véritable histoire du sanctuaire oraculaire, de lire une réflexion partant du postulat que les sanctuaires oraculaires furent des institutions foncièrement humaines (et non divines ou démoni(a)ques), créées par et pour les hommes et témoignant des mentalités humaines de leur époque.

Dans ces conditions, le premier historien connu du phénomène oraculaire n’advient pas avant le XVIIe siècle, longtemps après la fin de l’Antiquité et de la croyance dans les dieux de ces sanctuaires, mais peu de temps après la remise en cause des démons avec lesquels le christianisme avait repeuplé les temples anciens. Antonius Van Dale fut en effet le premier à abandonner l’hypothèse des démons susurrant à l’oreille de la Pythie pour mieux détourner les hommes de la vraie foi. Son explication du phénomène, bien plus « humaine » (cartésienne ?), fit entrer le sanctuaire oraculaire dans le champ de l’histoire humaine, débarrassée du surnaturel, mais nullement de la subjectivité et de la polémique.

Références

Documents relatifs

— C'est ce que nous faisons dans le ta- bleau suivant; mais nous devons faire observer que la forme du document romain ne permet pas de déterminer, pour chaque année, la population

Temple n’avait toutefois pas une vision aussi relativiste de la ques- tion. Pour lui, les principes théologiques sur lesquels l’église est fondée conduisent à définir des

In the benefit of school-based interventions as an effective way to counteract low physical activity (PA) and fitness, recorded in the present through less body fat associated

Point de cloche pour appeler à la prière dans le sanctuaire grec, mais une ambiance sonore particulière : ce lieu sacré, « séparé » (c’est le sens du mot temenos) du reste

Motivated by the study of Hörmander’s sums-of-squares operators and their generalizations, we define the convolution algebra of proper distributions associated to a singular

Cet exposé sur l’évolution des recherches en préhistoire s’est attaché à montrer les apports des méthodes utilisées par la recherche en archéologie des périodes

En dépit des importantes lacunes de la documentation archéologique qui empêchent toute reconstitution satisfaisante du site urbain, les sources épigraphiques de cette ville

Les premières datations fournies par les céramiques découvertes dans les niveaux de fondation indiqueraient une construction d’époque augustéenne (15 av. L’ensemble est