• Aucun résultat trouvé

La détention provisoire et son impact sur les droits des justiciables

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La détention provisoire et son impact sur les droits des justiciables"

Copied!
120
0
0

Texte intégral

(1)

© Valérine Pinel, 2019

La détention provisoire et son impact sur les droits des

justiciables

Mémoire

Valérine Pinel

Maîtrise en droit - avec mémoire

Maître en droit (LL. M.)

(2)

II

Résumé:

En France comme au Canada, une personne qui n’a pas encore fait l’objet d’une déclaration de culpabilité, peut être placée en détention provisoire, afin de s’assurer du bon fonctionnement de l’enquête et de la justice, ou pour des raisons de sécurité. Le nombre de prévenus détenus et le temps passé en détention provisoire sont en augmentation dans les deux pays, jusqu’à atteindre des taux inquiétants, et entrainant une surpopulation carcérale importante, notamment en France. Il s’agit ici de constater les incidences d’une telle mesure sur les droits des justiciables, notamment ceux relevant du droit à un procès équitable. Bien qu’encadrée par de nombreuses garanties juridiques, il apparaît que la mesure engendre de nombreuses atteintes sur les droits des personnes prévenues détenues. C’est à travers une anticipation de la question de la culpabilité et de la peine au stade de la décision sur le placement en détention provisoire notamment, que les personnes détenues provisoirement sont atteintes dans leurs droits. Or ces différents impacts que cause la détention provisoire sur le droit à la liberté et à la sûreté, le droit au respect de la présomption d’innocence, le droit à un juge impartial, le droit au respect du principe du contradictoire ou encore le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, ne touchent pas toujours tous les justiciables, ce qui, en sus, impacte le droit à l’égalité devant la loi.

(3)

III

Summary :

In France, just as in Canada, a person that hasn’t been declared guilty yet can be placed in preventive custody to ensure the proper going of the investigation and of justice’s work or simply for security mesures. However, the number of detained convicts and their amount of time spent in custody are growing significantly and reaching an alarming state, especially in France. The following research concerns the repercussions of preventive detention on the fundamentals rights, such as the right of a fair trial. Even though many legal guarantees surround preventive detention, it causes numerous violation of the convict rights, by anticipating, before the actual trial, the questions of guilt and sentence of the defendant. However, the impacts of the preventive detention on the right of freedom and security, the presumption of innocence, the right of a neutral court, the right to have a contradictory trial, the right to be judged in a reasonabe timeframe, don’t affect every defendant the same way, leading, as well, to a violation of the right to stand equal before the law.

(4)

IV

Table des matières :

RESUME : ...II SUMMARY :...III

Table des matières :... IV

Introduction...1

Partie I - La détention provisoire : une atteinte au droit à un procès équitable par une anticipation sur la culpabilité...12

Titre I - Les droits de la défense : des garanties essentielles à l’encadrement de la détention provisoire ...13

Chapitre I - La détention provisoire : une mesure attentatoire aux libertés individuelles ...14

Chapitre II - L’effectivité des droits de la défense : une protection réelle contre l’atteinte à la sûreté ...23

Titre II - La présomption d’innocence : un principe altéré par le cadre juridique de la détention provisoire ...38

Chapitre I- Les critères de placement en détention provisoire : une atteinte formulée au principe de la présomption d’innocence ...39

Chapitre II- La détention provisoire : une “ présomption de fait de culpabilité”? ...51

Partie II - La détention provisoire : une atteinte au droit à un procès équitable par une anticipation sur la peine ...59

Titre I - La décision de placement en détention provisoire : une pré-condamnation ?...60

Chapitre I - La détention provisoire : une exécution anticipée de la peine ?...61

Chapitre II - Le prononcé d’un terme d’emprisonnement : une légitimation judiciaire du placement en détention provisoire ? ...70

Titre II - La détention provisoire : reflet d’une inégalité des justiciables devant la loi ? ...78

Chapitre I - La différence de traitement des justiciables face à la détention provisoire induite par des critères légaux discriminatoires79 Chapitre II - La différence de traitement des justiciables face à la peine induite par le placement en détention provisoire ...89

Conclusion ...95

Annexes : ...97

(5)

V

“ Même si elles sont indispensables, un Etat de droit devrait appliquer les mesures restrictives de liberté avec mauvaise conscience” – Heike Jung

(6)

1

Introduction

[1] Fin avril 2018, dans un article relatant le suicide d’une jeune femme en détention provisoire depuis trois ans, le journal Le Monde s’étonnait d’une vague de suicide à la maison d’arrêt de Fleury- Mérogis1. Pourtant, les statistiques nous prouvent que ces situations, loin d’être surprenantes, sont même habituelles. En effet, en France, les personnes incarcérées se suicident sept fois plus que les autres2. Ce risque est d’autant plus important chez les prévenus – les personnes incarcérées en attente de jugement – puisqu’il est deux à trois fois plus élevé que chez les personnes condamnées3. Bien que ce taux de suicides des personnes incarcérées soit plus bas au Canada4, il reste, tout comme en France, significativement supérieur chez les prévenus 5.

[2] La conséquence de cellules surpeuplées, de conditions de détention précaires, d’une rupture des liens sociaux et familiaux rapide, de l’incertitude, du manque d’accès à des activités ? De nombreuses pistes d’explications ont pu être amenées pour expliquer ces chiffres6. Sans prétendre pouvoir les préciser, ce mémoire s’intéresse aux impacts de la détention provisoire sur les justiciables, à travers l’étude de leurs droits fondamentaux.

[3] En 2009, Robert Badinter, ancien garde-des-sceaux français, faisait part de son désarroi face aux réformes législatives successives sur la détention provisoire, en affirmant qu’on passait “ d’une justice de liberté à une justice de

1 « Cinquième suicide d’un détenu en trois mois dans la prison de Fleury-Mérogis », Le Monde (25

avril 2018), en ligne : <https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/04/25/cinquieme-suicide-d-un-detenu-en-trois-mois-dans-la-prison-de-fleury-merogis_5290688_1653578.html>.

2 Géraldine D

UTHE, Angélique HAZARD et Annie KENSEY, « Suicide des personnes écrouées en France : évolution et facteurs de risque », (2014) 69-4 Population 200, 13, DOI :

10.3917/popu.1404.0007.

3 Id., 21. 4 Pierre L

ALANDE et Guy GIGUERE, La problématique du suicide en milieu carcéral et portrait de la situation dans les établissements de détention du Québec, Ministère de la Sécurité publique, 2009, p. 10, en ligne : <https://www.securitepublique.gouv.qc.ca/services-correctionnels/publications-et-statistiques/suicide-en-milieu-carceral/en-ligne.html>.

5 Id., p. 18.

6 Pour plus de précisions : C

OMITE EUROPEEN POUR LA PREVENTION DE LA TORTURE et ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS, La détention provisoire, 26, Conseil de l’Europe, 2017.

(7)

2

sûreté7” . Partageant cette inquiétude, j’ai fait le choix de faire porter mon sujet de mémoire sur cette problématique, qui en plus d’être juridique, est sociétale. Face aux contraintes temporelles et formelles qu’impose la réalisation d’un mémoire de maîtrise, ce travail sera concentré, non pas sur toutes les mesures de privation de liberté avant déclaration de culpabilité, mais sur la détention provisoire plus spécifiquement. Les propos du magistrat Bernard Callé introduisant son ouvrage sur la détention provisoire illustrent parfaitement cette volonté. En effet, celui-ci relève que “ le problème majeur, le plus difficile à résoudre, de notre procédure pénale, celui dont les défaillances sont gravissimes, concerne le pouvoir donné à un magistrat de décider qu’une personne simplement soupçonnée d’avoir commis une infraction doit être enfermée dans un établissement pénitentiaire, pour un temps indéterminé, avant même son jugement8”. Ainsi, il ne sera traité, en droit français, ni de la garde-à-vue, ni du placement sous contrôle judiciaire ni encore de l’assignation à résidence avec surveillance électronique. De même, le mémoire ne portera, en droit canadien, ni sur la détention aux fin d’enquête ni sur la mise sous garde.

[4] La détention provisoire, qu’il s’agisse du mécanisme de droit français ou de droit canadien, est la restriction de liberté la plus importante que prévoit la loi à l’encontre des personnes qui sont encore présumées innocentes, n’ayant pas encore fait l’objet d’un jugement. En droit français, le magistrat Christian Guéry définit la détention provisoire comme “ une mesure ordonnée à titre exceptionnel, par un ou plusieurs magistrats du siège, permettant d’incarcérer une personne présumée innocente jusqu’à sa condamnation définitive, dans le cas et selon les conditions prévues par la loi9”. En droit canadien, la Professeure Marie-Luce Garceau définit la détention provisoire comme “ la période de détention résultant

7 Michel ABESCAT, « Robert Badinter : “On passe d’une justice de liberté à une justice de sûreté.

C’est inquiétant », Télérama 2009, en ligne : <http://www.telerama.fr/idees/robert-badinter-on-passe-d-une-justice-de-liberte-a-une-justice-de-surete-c-est-inquietant,38335.php>.

8 Bernard CALLE, La détention provisoire, 1re éd., coll. Que sais-je ?, n°2655, Presses Universitaires

de France, 1992, p. 3.

9 Christian GUERY, Détention provisoire, Dalloz, coll. Répertoire de droit pénal et de procédure

(8)

3

d’un mandat judiciaire, émis par le juge d’un tribunal, avant le prononcé d’un jugement définitif et l’imposition d’une sentence10”.

[5] Le principe de présomption d’innocence, est, du fait de sa présence dans la définition même de la détention provisoire, en lien étroit avec ce mécanisme. De ce fait, leur rapport a fait l’objet de nombreuses études doctrinales, démontrant un fragile équilibre entre la perspective coercitive de la détention provisoire et l’effectivité du respect de ce principe. Ainsi, naturellement, il est apparu impératif d’étudier l’impact de la mesure sur ce droit fondamental. De nombreux autres droits peuvent être touchés par la détention provisoire. Pour n’en citer que quelques uns, il s’agirait du droit à l’accès au soin11, du droit d’aller et venir12, du droit d’entretenir des relations sexuelles découlant du droit de disposer de son corps, du droit au secret des correspondances13, du droit de vote14, parfois même le droit à la dignité humaine15 et à l’intégrité corporelle. L’étude de chacun de ces droits n’est pas envisageable dans le cadre de cette recherche. Alors, cette étude se limitera à la question, déjà très vaste, du droit à un procès équitable. Cette notion de droit à un procès équitable est présente dans les deux systèmes juridiques16. Du droit à un procès équitable découlent des garanties qui s’offrent aux justiciables lors du procès pénal, qui s’appliquent, ainsi, aux personnes prévenues. C’est donc l’effectivité de ces garanties, comme la présomption

10 Marie-Luce G

ARCEAU, « La détention provisoire au Québec : une pratique judiciaire courante », (1990) 23-1 Criminologie 117‑134, 119, DOI :10.7202/017290ar.

11 à l’article 25-1 Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948. 12 Article 6 Charte Canadienne des Droits et Libertés, 1982, en ligne :

<http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-15.html>; Article 66 Constitution du 4 octobre 1958; Article 4 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789; Article 13 Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948.

13 Article 13 Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948; Code civil - Article

9, Code civil; Article 7 Charte Canadienne des Droits et Libertés, 1982, en ligne : <http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-15.html>.

14 Article 3 Charte Canadienne des Droits et Libertés, 1982, en ligne :

<http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-15.html>; Article 3 Constitution du 4 octobre 1958.

15 Décision n° 94-343-344 DC du 27 juillet 1994 à travers laquelle le Conseil Constitutionnel fonde

la « sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation » sur le préambule de la Constitution de 1946 qui a valeur constitutionnelle; préambule de la Charte des droits et libertés de la personne. .

16 Article 6 Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés

fondamentales, 4 novembre 1950 [CEDH], en ligne :

<https://www.echr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf> et; article 11 Charte Canadienne des Droits et Libertés, 1982, en ligne : <http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-15.html>.

(9)

4

d’innocence, le droit à un tribunal indépendant et impartial, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, ainsi que les divers droits de la défense qui sera étudiée ici.

[6] S’il apparaît pertinent d’examiner l’impact de la détention provisoire sur les droits fondamentaux des personnes prévenues, c’est notamment du fait de la croissance considérable de leur nombre en France et au Canada ces dernières années.

[7] En France, actuellement, le nombre de personnes incarcérées est en hausse permanente, jusqu’à atteindre des taux très inquiétants17. Au premier mai 2018, 70 633 personnes sont détenues dans des établissements pénitentiaires, pour une part de 20 939 prévenus, soit 29.64%18. Cette sur-incarcération mène à un engorgement des Maisons d’arrêt – établissements où sont détenues les personnes en attente de jugement, appelées les prévenus, ainsi que les individus condamnés à une courte peine. Créant des conditions de détention précaires, et des tensions menant à un taux de violence important dans les établissements carcéraux, la situation est telle que des mouvements de contestation et de grève se sont élevés au sein de l’administration pénitentiaire ces derniers mois19. Que ce soit du côté des personnes détenues, des associations de défense des droits des personnes incarcérées et des droits humains, ou encore du côté du personnel de l’administration pénitentiaire ou de la justice, tous s’accordent sur un point : l’institution est en crise.

[8] Alors, tout un chacun s’interroge : Comment lutter contre les problèmes que posent la surpopulation carcérale ? Ainsi, plutôt que de construire de

17

Pour plus d’informations, voir : DIRECTION DE L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE, Séries statistiques des personnes placées sous main de justice 1980-2014, 2014 mais également les statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée sur le site suivant :

http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/les-chiffres-clefs-10041/statistiques-mensuelles-de-la-population-detenue-et-ecrouee-31234.html sur le site ; MINISTERE DE LA JUSTICE, Mesures mensuelles de l’incarcération, 2018, en ligne : <http://www.justice.gouv.fr/prison-et- reinsertion-10036/les-chiffres-clefs-10041/statistiques-mensuelles-de-la-population-detenue-et-ecrouee-31234.html>.

18 MINISTERE DE LA JUSTICE, préc., note 12.

19 « Mouvement des surveillants de prison : le directeur de l’administration pénitentiaire rappelle

l’interdiction du droit de grève », France info (24 janvier 2018), en ligne :

<https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/droit-et-justice/mouvement-des-surveillants-

(10)

5

nouvelles prisons, ne devrions-nous pas nous interroger, comme le fait Michel Foucault, sur le fondement de la peine d’emprisonnement20 ? Comme le disait justement Nietzsche au XIXe siècle, “ nos sociétés ne savent plus ce que c’est que punir21”. Ainsi, pourquoi incarcérer ? Selon les textes formels, il n’est légitime de priver une personne de sa liberté qu’à la suite d’une condamnation pénale, donc en tant que peine22. Or, cette affirmation est à relativiser dès lors qu’étonnamment, une personne peut aussi être détenue avant qu’elle n’ait été jugée, et donc reconnue coupable de la commission d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement23. Les critères de placement en détention provisoire sont multiples et ne concernent en rien la culpabilité établie de la personne poursuivie. En effet, on incarcère pour des raisons d’ordre public,parce que l’on craint que la personne ne se présente pas à son procès, pour éviter une éventuelle récidive, ou encore afin de protéger d’éventuelles victimes24, et ce, fondé sur des indices de culpabilité, puisque seule une personne mise en examen peut faire l’objet d’une détention provisoire25.

[9] Au regard de la loi française26, et de ses exigences européennes27, le recours à la détention provisoire se doit d’être exceptionnel, notamment au nom du principe de présomption d’innocence28. Pourtant, la réalité est toute autre. “Le législateur qualifie d’exceptionnelle la détention provisoire parce qu’il sait qu’elle ne l’est pas, et qu’il voudrait bien qu’elle le fut29”. Les propos du docteur en droit Pierre Chambon en 1989 se vérifient encore aujourd’hui. En effet, la proportion de

20 Michel F

OUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, coll. Bibliothèque des Histoires, 1975.

21 Michel FOUCAULT, « interview de Michel Foucault, entretien avec C. Baker », Actes Cah.

Vaucresson 1984.n°45/46.5.

22 Voir aux articles 7 et 8 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. 23 Code de procédure pénale - Article 137, Code de procédure pénale.

24 Code de procédure pénale - Article 144, Code de procédure pénale. 25 Code de procédure pénale - Article 143-1, Code de procédure pénale.

26 Code de procédure pénale - Article 144, préc., note 19; Code de procédure pénale - Article 137,

préc., note 18.

27 Article 5 CEDH, préc., note 11.

28 Voir notamment, à l’article 9 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, préc.,

note 17 puis, à l’article 6§2 ; CEDH, préc., note 11 et finalement, ; Code de procédure pénale - Article préliminaire, Code de procédure pénale.

29 Pierre CHAMBON, « La loi n° 89-461 du 6 juillet 1989 modifiant le code de procédure pénale et

(11)

6

prévenus progresse grandement30, notamment du fait de l’explosion des procédures en matière de terrorisme.

[10] Force est de constater qu’au Canada, la situation n’est guère plus favorable. Selon les statistiques du gouvernement canadien, en 2015-2016, 40 147 personnes étaient détenues31. Au sein de ces établissements pénitentiaires canadiens, il y a plus de détenus en attente de procès que de personnes définitivement condamnées32, soit 57%. En comparaison, cette part de personnes prévenues, dans les années 2005-2006 s’élevait à 35%33. Cette hausse considérable ne s’explique pas par une augmentation de la criminalité, qui serait même en baisse34, et non plus violente35.

[11] Les motifs permettant le recours à la détention provisoire sont relativement les mêmes qu’en France. En d’autres termes, au regard de l’article 515(10) du Code criminel, la détention préventive peut être justifiée, soit par peur que l’accusé ne se présente pas au tribunal, soit pour préserver l’image de la justice, soit parce qu’il a été jugé qu’il représentait un danger pour la société36. Cette population carcérale non sentencée a connu une hausse considérable

30 voir notamment : D

IRECTION DE L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE, préc., note 12 ainsi que les Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée, sur le lien suivant :

http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/les-chiffres-clefs-10041/statistiques-mensuelles-de-la-population-detenue-et-ecrouee-31234.html; MINISTERE DE LA JUSTICE, préc., note 12.

31 COMMISSIONDESUIVIDELADETENTIONPROVISOIRE, Rapport annuel 2015-2016,

Ministère de la justice, 2016.

32 Françoise VANHAMME, « Organisation sociale de la mise en liberté provisoire : des effets de

profilage ? », (2016) 22-1 reflets 28‑55, 30, DOI :10.7202/1037162ar.

33

LE PROGRAMME DES SERVICES CORRECTIONNELS, Tendances de l’utilisation de la détention provisoire au Canada, 2004-2005 à 2014-2015, catalogue ISSN 1205-8882, 85-002‑X, Centre canadien de la statistique juridique, 2017, p. 3, en ligne : <http://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2017001/article/14691-fra.pdf>.

34 Laura A

UBERT, La détention préventive : comment sans sortir?, Groupe Larcier, 2016, p. 93, en

ligne :

<https://www-stradalex-com.acces.bibl.ulaval.ca/fr/sl_mono/search/detprev?docEtiq=DETPREV_014>.

35 Hugues P

ARENT et Julie DESROSIERS, Traité de droit criminel, 2ème Tome : " la peine", Montréal, Éditions Thémis, 2016, par. 348.

(12)

7

depuis 1996, et la durée de ce séjour tend également à croître37. Cette réalité a un impact important sur le processus de détermination de la peine.

[12] De plus, depuis 2010, dans ce processus, il y a un durcissement de la prise en compte de la détention présentencielle. Alors que la pratique usuelle des juges était de prendre en compte le temps passé en détention préventive, comptant deux jours pour un aux fins de la détermination de la peine, le législateur a imposé un “ un et demi pour un”38. Cette réalité est d’autant plus dure qu’elle accentue les inégalités sociales: alors qu’une personne aisée pourra éviter l’emprisonnement présentenciel car elle bénéficie de garanties de représentation (autrement dit, par exemple, d’un emploi stable, d’une famille et de revenus importants) et qu’elle peut se permettre de payer une caution, pour le même crime, une personne présentant des problèmes socio-économiques aura plus de chance d’aller en détention préventive.

[13] Constatant ces problématiques, ce mémoire a pour objectif d’effectuer une recherche critique sur les conséquences réelles qu’emportent les mesures de détention provisoire en France et au Canada sur les droits fondamentaux des justiciables. Pour ce faire, il s’agira d’abord de réaliser un état des deux systèmes juridiques sur ces mesure de privation de liberté avant procès, afin d’étudier leur pertinence, et les justifications de leur existence, notamment au regard du droit à un procès équitable, et des garanties qui en découlent. En suivra une réflexion sur l’effectivité du respect de ces droits, d’une part à travers l’étude du cadre juridique des mesures, puis de leur mise en oeuvre. Ces questionnements tendent à démontrer que la détention provisoire peut avoir une influence sur l’éventuelle déclaration de culpabilité du justiciable, et plus encore sur la peine qui sera prononcée à son encontre, de manière anticipée.

37 Virginie BRASSARD, Arrestation et placement en détention avant jugement : Points de vue et

expériences des justiciables, Criminologie, Faculté des études supérieures, Université de Montréal, 2012, p. 16.

(13)

8

[14] Il s’agit, dans ce mémoire, de répondre à la problématique suivante : Dans quelle mesure la détention provisoire affecte-t-elle les droits fondamentaux des justiciables ?

[15] Différents constats ont pu être réalisés à travers cette recherche. D’une part, s’observe un déséquilibre entre la gravité de l’atteinte aux libertés individuelles des justiciables et la nécessité de la mesure eu égard aux critères de placement en détention provisoire, en droit français et en droit canadien. Ainsi, bien que le droit au procès équitable et les garanties qui en découlent, aient une portée réelle dans la protection des justiciables contre l’aspect coercitif de la détention provisoire, il apparaît que celui-ci soit finalement atteint dans son effectivité. Notamment, la détention provisoire, à travers ses conditions d’application et son processus d’exécution, semble altérer de manière conséquente le principe fondamental de la présomption d’innocence. De plus, il apparaît que de nombreuses recherches39 ont pu démontrer l’existence d’un lien entre la détention provisoire et la peine qui est finalement prononcée. Pour de nombreux auteurs, la détention provisoire constituerait de facto une exécution anticipée de la peine. Les statistiques et les études qui découlent de ces recherches soulignent une différence de traitement des justiciables à travers tout le processus judiciaire. Cette disparité mène à l’emprisonnement pour une population visée, que celui-ci ne se réalise qu’à travers une détention provisoire, ou par le biais de l’exécution d’une peine d’emprisonnement ferme.

[16] Pour émettre ces hypothèses quant aux questions de recherche que pose ce mémoire, il a été nécessaire dans un premier temps de déterminer une approche théorique puis une méthodologie. Ainsi, la délimitation du sujet d’étude a été un premier pas dans cette démarche, afin de préciser le sujet et d’écarter le volet de l’étude empirique que les contraintes temporelles imposées ne permettent pas. De ce fait, cette recherche s’appuie en grande partie sur des études déjà réalisées, qui sont nécessaires pour étayer les idées développées tout au long du mémoire.

(14)

9

[17] Une citation de H. A. Schwarz-Liebermann Von Wahlendorf, illustre particulièrement bien la démarche adoptée ici : “l’exigence essentielle de la comparaison en matière de droit est de connaître le droit réel et non pas simplement le droit formel40”.C’est pourquoi, bien que la première partie du travail réalisé a été de lire et d’analyser les textes juridiques et la doctrine concernant la détention provisoire, soit son fondement juridique et la procédure qui s’y attache, à la fois en droit canadien et en droit français, il a été ensuite nécessaire d’étudier des lectures tenant aux pratiques. C’est pour répondre à une des questions de recherche, qui tient au fait de savoir quelles sont les conséquences réelles sur les justiciables que cause le passage en détention provisoire, qu’il est pertinent d’étudier la jurisprudence et les études empiriques à la fois quantitatives et qualitatives.

[18] Dans cette perspective, il est nécessaire de s’intéresser aux réflexions sur l’effectivité du droit. Par “ effectivité”, le Professeur Guy Rocher entend “ tout effet de toute nature qu’une loi peut avoir41”. Il précise notamment que “ tenter de comprendre l’effectivité du droit, c’est tout ensemble retracer la diversité de ses effets, voulus et involontaires, recherchés ou accidentels, directs et indirects, prévus et innatendus, sociaux, politiques, économiques ou culturels42”. C’est donc d’une part, “l’effectivité attendue43”, que j’ai étudiée, en m’intéressant aux intentions des acteurs du droit, à travers l’examen de la législation et des décisions de justice. À travers ces réflexions, c’est le rapport entre la norme et son application qui tend à être approfondi. C’est ainsi que, notamment, j’ai pu constater un écart entre l’intention du législateur et l’applicaton de la loi par les juges. Les normes canadiennes et françaises exigeant de la détention provisoire qu’elle soit une mesure de dernier recours, les juges s’en éloignant à travers une logique qui paraît plus sécuritaire que respectueuse des libertés individuelles. D’autre part, en cherchant à analyser les effets réels de ce pan du droit dans la société, au delà de

40 H. A. SCHWARZ-LIEBERMANN VON WAHLENDORF, Droit comparé, Théorie générale et principes,

Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1978.

41 Andrée L

AJOIE, Roderick A. MACDONALD, Richard JANDA et Rocher GUY, Théories et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, Les Editions Thémis Inc, 1998, p. 135.

42 Id., p. 136. 43 Id., p. 138.

(15)

10

l’observation de sa production, j’ai abordé ma recherche sous l’angle de “ l’effectivité observée”. Il s’agit là, d’ ”appréhender le droit sous l’angle du résultat social44”. C’est le travail qui a été réalisé, par le biais d’une réflexion sur l’application de la détention provisoire et de ses effets sur les droits fondamentaux des justiciables.

[19] La philosophie herméneutique rejette l’idée que le droit est exhaustivement contenu dans les normes juridiques étatiques45. Cette posture considère que le droit se réalise par une application des règles dans le monde réel46. Ainsi, offrant une part importante au langage, elle invite les chercheurs à accepter la part de subjectivité qu’ils apportent à leur travail, du fait de leur pré-requis et pré-compréhensions47. Il paraît pertinent ici d’accepter et de préciser le fait que je pars, dans ce travail, de présupposés importants du fait, d’un côté de mes différents travaux écrits et radiophoniques sur la prison et la justice; d’un autre côté, de mon expérience pratique dans le milieu carcéral qui m’a fortement sensibilisée.

[20] Finalement, comme mentionné précédemment, ce mémoire est en droit comparé franco-québécois. Ainsi, en m’appuyant sur la méthode comparative du professeur Léontin-Jean Constantinesco, qu’il développe dans le second tome de son “ traité de droit comparé”, j’aspire à réaliser mon étude à travers les trois stades qu’il propose : “connaître, comprendre, comparer”. En effet, étant consciente que mes connaissances et mes pré-requis en droit français sont supérieurs à ceux que j’ai en droit canadien, j’ai pris le temps d’examiner avec plus d’attention ce droit, ses termes, sa hiérarchie des normes, son système de common law. En effet, comme le conseille cet auteur il est nécessaire, dans l’étude comparée de “ réintégrer le terme dans son système juridique, celui-ci étant entendu au sens large, en comprenant son milieu politique, économique et

44 Evelyne SERVERIN et Pierre LASCOUMES, « Théories et pratiques de l’effectivité du Droit », Droit

Société 1986.2, 120 et 121.

45 Paul A

MSELEK, « La teneur indécise du droit », Rev. Jurid. THEMIS 1992.26.18, 3,4 et 5.

46 Hugues R

ABAULT, « Le problème de l’interprétation de la loi », Le portique 2005, par. 10, en ligne : <http://journals.openedition.org/leportique/587>.

47 P. A

(16)

11

social”48. Cette étude du système juridique canadien a été nécessaire pour aborder la comparaison, d’une part des normes juridiques franco-canadiennes, d’autre part de leur jurisprudence respective et finalement des diverses études réalisées sur la population détenue préventivement en France et au Canada.

[21] A travers cette démarche comparative, ce mémoire a donc pour ambition d’étudier les effets de la détention provisoire sur les droits fondamentaux des justiciables. Ces effets sont étudiés ici de manière chronologique. Ainsi, en procédure pénale, qu’il s’agisse du droit canadien ou du droit français, la question de la culpabilité se pose toujours avant la question de la peine. Or, la critique majeure de cette recherche est de mettre en lumière l’atteinte au droit à un procès équitable créée par l’anticipation que cause la détention provisoire sur, d’une part la culpabilité (Partie I), et, d’autre part, sur la peine (Partie II).

48 H. A. S

(17)

12

Partie I - La détention provisoire : une atteinte au droit à un

procès équitable par une anticipation sur la culpabilité

[22] Par définition, la détention provisoire s’applique à des justiciables en attente de jugement. Alors qu’ils sont encore présumés innocents, les conséquences que celle-ci peut entrainer les impactent dès que la question de leur culpabilité se pose. La procédure pénale, qu’elle soit française ou canadienne, prévoit à ce stade des garanties afin de protéger les justiciables contre une possible atteinte à leur droit à la liberté et à sûreté (Titre I). En dépit de ces protections procédurales prévues par les textes fondamentaux français et canadiens, il apparaît pourtant que le droit à un procès équitable, à travers ses différentes manifestations, notamment le droit au respect de la présomption d’innocence, soit altéré par la détention provisoire (Titre II).

(18)

13

Titre I - Les droits de la défense : des garanties essentielles à

l’encadrement de la détention provisoire

[23] La détention provisoire privant de sa liberté une personne n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration de culpabilité, elle doit être encadrée très strictement par les droits fondamentaux et la procédure pénale qui en découle. Il s’agit alors d’en définir les contours afin de déterminer ses impacts sur les libertés individuelles des justiciables (Chapitre I), et d’étudier la portée des garanties prévues par nos deux systèmes juridiques pour palier à ces atteintes (Chapitre II).

(19)

14

Chapitre I - La détention provisoire : une mesure attentatoire aux

libertés individuelles

“La liberté est la règle; la restriction, l’exception” - Corneille, commissaire du gouvernement dans les conclusions de l'arrêt Baldy du 10 août 1917

[24] Bien que l’évaluation du caractère primaire ou secondaire de certains droits puisse diverger selon les systèmes juridiques, il apparaît qu’en France et au Canada, le concept de liberté soit fondamental. En effet, le terme de “ liberté” apparaît en premier lieu dans les textes les plus importants de la hiérarchie des normes. Ainsi, à valeur internationale, la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à Paris en 1948 par les 58 Etats membres des Nations Unies, dont la France et le Canada, promeut la liberté dès son préambule49, puis la hisse au titre de droit fondamental50 pour chaque être humain. De même, à valeur internationale, le principe de la liberté est consacré au sein du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dès son préambule, puis protégé et développé aux articles suivants. La liberté faisant partie des “ droits de première génération”, au même titre que l’égalité, la sûreté individuelle ou encore la propriété, elle est donc un droit attaché à la personne humaine qui doit être encadré par des règles juridiques, et dont les atteintes doivent être sanctionnées par un juge dans un Etat de droit51.

[25] La France et le Canada protègent la liberté dans leur arsenal juridique, puisque celle-ci a valeur constitutionnelle. Ainsi, en droit français, la liberté est

49 Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948 qui introduit, dès son

préambule, le concept de liberté : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »

50 Id. qui affirme le droit à la liberté dans les articles 1,2 et 3; puis donne une effectivité à sa

protection à l’article 9 : « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé. »

51 Connaissances tirées notamment de l’introduction du cours : Jacques VIGUIER et Xavier BIOY,

Droit des libertés fondamentales, Université Toulouse 1 Capitole, en ligne : <https://cours.unjf.fr/course/view.php?id=37> disponible sur la plateforme de l’Université Numérique Juridique Francophone.

(20)

15

considérée comme un droit naturel et imprescriptible52, et consiste, selon l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 “ à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui”. Ce texte à valeur constitutionnelle précise que cette liberté ne peut être limitée que par la loi53, qui ne doit défendre “que les actions nuisibles à la Société54”. De même, la Charte canadienne des droits et libertés, émanant de la Loi constitutionnelle de 1982, consacre le droit à la liberté à l’article 7, considérant que celui-ci ne peut être restreint qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale et “dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique55».

[26] Ces textes canadiens et français protègent chaque homme contre les atteintes à la liberté et à la sûreté, à travers une interdiction des arrestations et détentions arbitraires56. Alors, la loi encadre très strictement la possibilité de restriction à la liberté de chacun. Notamment, dans le cadre de notre étude, pour les personnes qui n’ont pas encore fait l’objet d’un jugement, étant présumées

52 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, préc., note 17 à l’article 2 : « Le but de

toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »

53 Id. à l’article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi,

l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

54 Id. à l’article 5 : « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui

n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »

55 Id. à l’article 1 :" La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y

sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.".

56 Id. à l’article 9 : « Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement

arbitraires. »; Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, préc., note 17 à l’article 7 : " Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. ".; ainsi que l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui dispose que : “ Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. »

(21)

16

innocentes, celles-ci ne peuvent être privées de leur liberté que sous des conditions très strictes57.

[27] En effet, la privation de liberté, en droit français et en droit canadien, peut toucher aussi bien les personnes condamnées, donc déclarées coupables, que les personnes encore présumées innocentes. Lorsque l’individu a fait l’objet d’une déclaration de culpabilité, on parlera alors de peine. Nos arsenals pénaux, à la fois au Canada et en France, prévoient de nombreuses peines privatives de liberté. A titre d’exemple, on peut citer la peine d’emprisonnement, le sursis avec mise à l’épreuve ou encore la probation. Plusieurs mécanismes de privation de liberté sont également prévus par la loi à l’égard des personnes présumées innocentes. Il s’agit alors, en droit français de la garde-à-vue58, du contrôle judiciaire, encore de l’assignation à résidence avec surveillance éléctronique et finalement de la détention provisoire59. En droit canadien, une personne présumée innocente peut faire l’objet d’une mise sous garde60, d’une détention pour fin d’enquête, d’une libération accompagnée de conditions, d’une libération assortie d’une caution en argent, ou encore d’une détention provisoire61.

[28] Le code de procédure pénale français rappelle le principe selon lequel la liberté est le principe, et sa restriction l’exception, notamment à l’encontre d’une personne présumée innocente. En effet, avant d’exposer les différents degrés d’atteinte aux libertés prévus pour les personnes mises en examen, l’article 137 du code de procédure pénale dispose que « toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre62 ». Ainsi, les atteintes suivantes ne peuvent être portées à la liberté qu’ « en raisons des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté» : l’astreinte à une ou plusieurs obligations de contrôle judiciaire,

57 Articles 9 et suivants Charte Canadienne des Droits et Libertés, 1982, en ligne :

<http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-15.html>; Article 7 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

58 Code de procédure pénale - Article 62-2, Code de procédure pénale. 59 Code de procédure pénale - Article 137, préc., note 18.

60 Article 515(1), Code criminel. 61 Article 515(2), Code criminel.

(22)

17

si cela n’est pas suffisant, l’assignation à résidence avec surveillance éléctronique, et, finalement, en dernier recours, le placement en détention provisoire63.

[29] En droit canadien, également, la liberté est un principe qui doit être effectif à toutes les étapes de la procédure64. La charte canadienne des droits et libertés consacrant le droit à une mise en liberté assortie d’une caution raisonnable hors juste cause65, lorsque la police décide d’un maintien de la mise sous garde à la suite d’une arrestation, le justiciable doit être présenté à un juge de paix sous 24 heures, ou, “ le plus tôt possible66”. Selon la volonté de la poursuite, donc de la Couronne, il y aura soit mise en liberté avec ou sans condition, soit opposition à la mise en liberté. Cette opposition emporte la tenue d’une enquête sur la mise en liberté, autrement nommée enquête sur cautionnement. Sur ce point, la Cour suprême, dans l’arrêt Saint-Cloud, a rappelé que cette enquête démontre de l’importance que « notre société accorde à la présomption d’innocence et au droit à la liberté des individus, même lorsqu’ils sont accusés d’une infraction criminelle sérieuse67 ». La loi prévoit expressément que le juge de paix doit libérer le prévenu si la poursuite ne s’y oppose pas68. Comme en droit français, le droit canadien prévoit différents niveaux d’atteinte à la liberté. Ainsi, le juge de paix peut libérer purement et simplement le prévenu, le libérer sous caution en argent, le libérer sous conditions, ou finalement, si ces mécanismes ne sont pas suffisants pour atteindre les objectifs prévus par les textes, le placer en détention provisoire69.

[30] La détention provisoire est donc la plus importante restriction de liberté prévue par la loi, en France comme au Canada, à l’encontre des personnes présumées innocentes. C’est parce que la détention provisoire s’applique à des personnes présumées innocentes que le Professeur Jean Carbonnier l’évoque

63 Id.

64 F. VANHAMME, préc., note 27, 34.

65 Charte Canadienne des Droits et Libertés, préc., note 10 à l’article 11e]  : "Tout inculpé a le droit :

e) de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable;" .

66 Article 503, Code criminel.

67 R. c. St-Cloud, [2015] 2 RCS 328, par. 109 (CSC), en ligne : <http://canlii.ca/t/ghtdb> (consulté

le 18 avril 2018).

68 Article 515(1), préc., note 55. 69 Article 515(2), préc., note 56.

(23)

18

comme un “ mal nécessaire70”. Ce dernier fait la différence entre le concept moral d’innocence et la notion juridique qui, elle, est négative : une personne est innocente, en droit, dès lors qu’elle n’a pas fait l’objet d’une déclaration de culpabilité du fait d’une condamnation pénale71. Pour lui, peu de personnes innocentes, du point du vue moral, feraient l’objet d’une détention provisoire, elles ne seraient alors innocentes que d’un point de vue légal72. Ainsi, bien que présumés innocents sur le plan théorique, ces individus se voient imposer une souffrance : une privation de liberté. Cette liberté, est envisagée plus largement par le professeur Carbonnier que celle d’aller et venir. En effet, selon lui, “ la liberté est le contact de l’individu avec les choses familières, avec les objets qu’il a fait siens, en esprit, qui ne lui sont pas imposés par une volonté étrangère, hostile73”. Or, la détention provisoire atteint assurément cette liberté-là.

[31] Les conséquences de l’enfermement sont non seulement corporelles mais également psychologiques, et peuvent avoir de nombreuses répercussions sur l’individu qui en fait l’objet, ainsi que sur ses proches. Pour le Professeur Carbonnier, la détention provisoire créer une souffrance qui est un mal, parce qu’elle serait sans but, contrairement à la peine74. A la différence d’une peine d’emprisonnement, la durée de la détention provisoire et son issue restent pour le prévenu une incertitude. En effet, alors que la personne condamnée connaît la nature de sa peine ainsi que sa durée, le prévenu, lui, ne peut savoir jusqu’à quand durera sa privation de liberté. Ces incertitudes mêlées à la brutalité et à la soudaineté de l’incarcération, sont souvent déplorées pour l’affliction qu’elles causent, et qui se retrouvent dans le taux considérable de suicides chez les prévenus75. Ainsi, pour le magistrat Faustin Hélie “la détention préalable inflige un mal réel, une véritable souffrance, à un homme qui non seulement n’est pas réputé coupable mais qui peut être innocent, et le frappe, sans qu’une réparation

70 Jean C

ARBONNIER, Ecrits, 1re éd., Presses Universitaires de France, 2008, p. 795,. : “ la détention préventive est un mal, mais c’est un mal nécessaire”.

71 Id., p. 796. 72 Id., p. 802. 73 Id., p. 804. 74 Id., p. 808.

75 P. LALANDE et G. GIGUERE, préc., note 4; note 1; G. DUTHE, A. HAZARD et A. KENSEY, préc., note

(24)

19

ultérieure soit possible, dans sa réputation, dans ses moyens d’existence, dans sa personne76 ”.

[32] L’infliction d’un “mal”, dans ce cadre, qui n’a pas pour objectif d’être punitif, puisque le prévenu n’a pas été déclaré coupable d’une infraction, pousse à s’interroger sur son rapport avec le principe fondamental de la présomption d’innocence. Pour beaucoup, la détention provisoire et la présomption d’innocence seraient irréconciliables. Par exemple, le Magistrat Christian Guéry, parle en matière de détention provisoire, de la présomption d’innocence “ comme fiction77”. Pour autant, pour le Professeur Carbonnier, la détention provisoire et la présomption d’innocence ne seraient pas nécessairement incompatibles78. Selon lui l’appréciation des charges qui est réalisée, en droit français, et qu’on retrouve également en droit canadien avec l’enquête sur la mise en liberté, permet d’atténuer l’atteinte sur la présomption d’innocence, puisqu’il s’agirait là, d’un examen préalable sur la question de la culpabilité79. À travers la décision du juge des libertés et de la détention en France, et du juge de paix au Canada, il y aurait, pour ce professeur, une appréciation “ plus ou moins directe, n’ayant peut-être pas ici et là, la même nature juridique, mais suffisante, en tout cas, pour neutraliser la présomption d’innocence là même ou elle n’a pas le pouvoir de la faire disparaître complètement80”.

[33] En effet, bien que ces juges s’interrogent sur la question de la culpabilité, ils ne peuvent pas, à ce stade, statuer sur ce point. Le principe de la présomption d’innocence, qui a valeur constitutionnelle dans nos deux systèmes juridiques81, apparait indispensable au sein d’Etats qui se réclament démocratiques, pour palier à d’éventuelles atteintes au droit à la sûreté. Le sens du droit à la sûreté mérite

76 Faustin H

ELIE, Traité d’instruction criminelle, 194 8, Hachette, 1866.

77 C. GUERY, préc., note 9, p. 7. 78 J. C

ARBONNIER, préc., note 65, p. 797.

79 Id., p. 798. 80 Id.

81 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, préc., note 17 à l’article 9 : « Tout

homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »; Charte Canadienne des Droits et Libertés, préc., note 11 à l’article 11d] : « Tout inculpé a le droit : d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable; »

(25)

20

d’être précisé, puisqu’il fait souvent l’objet d’une confusion avec celui du droit à la sécurité. Il est ici employé dans le sens que lui donnaient les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, c’est-à-dire, comme une garantie des libertés individuelles qui est prononcée aux articles 7, 8 et 982. Il s’agit là, comme le rappelle l’avocat Henri Leclerc “ d’un droit des citoyens face au pouvoir des gouvernements83”. Ainsi, ces articles tendent à protéger le citoyen en lui garantissant le droit “ de n’être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu’elle a prescrite, le droit de n’être condamné qu’à des peines strictement et évidemment nécessaires établies par une loi qui ne peut être rétroactive et la présomption d’innocence84”.

[34] Le principe fondamental de la présomption d’innocence, qui a valeur conventionnelle en droit français85, doit s’appliquer à “ toute personne accusée”, qui se définit, selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme comme “ la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale86”. En outre, en droit canadien, la Cour Suprême affirme que le principe de la présomption d’innocence est un principe fondamental au regard de l’article 7 de la Charte Canadienne des droits et libertés87, et que celui-ci doit alors s’appliquer tout au long de la procédure88. De même, il est expressément consacré à l’article 11d) de la Charte Canadienne des droits et libertés, qui dispose que : « Tout inculpé a le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable ». Dans les deux systèmes juridiques, l’effectivité de ce principe doit donc profiter à la personne prévenue, qui

82 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, préc., note 17 aux articles 7, 8 et 9. 83 Henri L

ECLERC, « De la sûreté personnelle au droit à la sécurité », J. Droit Jeunes 2006.255.62, par. 2, DOI :10.3917/jdj.255.007.

84 Id.

85 CEDH, préc., note 11 à l’article 6§2 : « toute personne accusée d’une infraction est présumée

innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

86 DEWEER c. BELGIQUE, 1980 Cour Européenne des Droits de l’Homme, en ligne :

<https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/CHAMBER/1980/CEDH001-62027>.

87 Charte Canadienne des Droits et Libertés, préc., note 11 à l’article 7 : « Chacun a droit à la vie,

à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. »

88 R. c. Pearson, [1992] 3 RCS 665 (C), en ligne : <http://canlii.ca/t/1fs7g> (consulté le 21 mai

(26)

21

en est finalement le bénéficiaire principal89. Ce principe fondamental a une portée considérable.

[35] Ainsi, en France, au-delà de son effet manifeste selon lequel la preuve de la démonstration de la culpabilité de l’accusé pèse sur la poursuite, le principe implique que la personne prévenue soit présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie par un juge indépendant et impartial, dans le cadre d’un procès juste et équitable. De ce fait, le législateur ne doit pas instaurer de présomption de culpabilité, comme le Conseil Constitutionnel a pu plusieurs fois le rappeler90. Bien qu’il en autorise quelques-unes en matière délictuelle, sous certaines conditions, lorsque qu’elles sont réfraglables91; le principe demeure : il revient à l’accusation de prouver la culpabilité du prévenu. Finalement, ce principe s’applique non seulement aux acteurs judiciaires qui doivent le considérer tout au long de la procédure, mais également aux tiers, comme les journalistes. Ces mêmes garanties sont prévues pour les justiciables au Canada. Là aussi, le fardeau de la preuve pèse sur le procureur de la Couronne, qui doit prouver la culpabilité de la personne poursuivie “ au-delà de tout doute raisonnable”. L’adage in dubio pro reo s’applique parfaitement au droit canadien dès lors que la formulation “ au-delà de tout doute raisonnable”, qui serait plus exigeante que l’intime conviction en droit civil, exige un degré de certitude très élevé quant aux preuves de la culpabilité de l’accusé.

[36] Les textes fondamentaux commandent donc une application effective de la présomption d’innocence et des autres principes du droit à un procès équitable. Pour autant, tout comme en droit international pénal, où se pose la question de l’incompatibilité entre la lutte contre l’impunité et le respect de la présomption d’innocence; en droit français et canadien, il est légitime de s’interroger sur le

89 Stephanie H

ENNETTE-VAUCHEZ et Diane ROMAN, Droits de l’Homme et libertés fondamentales, 2e éd., coll. Hypercours, Dalloz, 2015, p. 301.

90 Pour exemple, voir la décision suivante : Décision n°2011-625 DC, 2011 Conseil Constitutionnel

dans cette décision, le conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle une loi instaurant une présomption de culpabilité des parents à l’égard de leurs enfants mineurs qui auraient violés une mesure de couvre feu.

91 Pour exemple, voir la décision : décision n°99-411 DC, 1999 Conseil Constitutionnel dans

laquelle le Conseil Constitutionnel déclare constitutionnelle la présomption de culpabilité à l’encontre des titulaires du certificat d’immatriculation d’un véhicule pour une contravention au code de la route.

(27)

22

fragile équilibre entre la perspective coercitive de la détention provisoire et l’effectivité de ces droits. Par conséquent, “ la préservation des intérêts sociaux qui conduisent à punir les criminels, [le fait de] les empêcher de prendre la fuite, [d’]assurer leur comparution devant une juridiction, [et d’]éviter qu’ils ne réitèrent des faits graves92” sont-ils incompatibles avec l’effectivité du respect du droit à un procès équitable et des nombreuses garanties qui en découlent ?

92 C. G

(28)

23

Chapitre II - L’effectivité des droits de la défense : une protection

réelle contre l’atteinte à la sûreté

Le mot sécurité serait-il une façon moderne de nommer la sûreté ? Ou alors le changement de terme ne reflèterait-il pas une véritable évolution juridique dans la conception même de ce que, pendant plus de deux siècles, on a appelé sûreté en la qualifiant parfois de « sûreté personnelle » à savoir une garantie de la liberté individuelle, exprimée plus précisément par les articles 7, 8 et 9 : le droit de n’être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites, le droit de n’être condamné qu’à des peines strictement et évidemment nécessaires établies par une loi qui ne peut être rétroactive et la présomption d’innocence. C’est un droit des citoyens face au pouvoir des gouvernements qui s’accompagne de la garantie judiciaire du respect des libertés individuelles93. » - Henri Leclerc

[37] Dans son dictionnaire juridique, le Professeur Gérard Cornu définit les droits de la défense en matière pénale comme “ l’ensemble des prérogatives qui garantissent à la personne suspecte ou poursuivie la possibilité d’assurer effectivement sa défense dans la procédure pénale et dont la violation constitue, à certaines conditions, une cause de nullité de la procédure même si cette sanction n’est pas expressément attachée à la violation d’une règle légale94.” Il renvoit ici aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, et ce faisant, aux droits à la liberté et à la sûreté ainsi qu’au droit à un procès équitable. Il donne à titre d’exemple, et de manière non exhaustive, comme garanties offertes découlant des droits de la défense : le droit à l’assistance d’un avocat, la possibilité pour celui-ci d’être tenu au courant du déroulement de la procédure et d’être présent lors des interrogatoires, le caractère contradictoire des débats à l’audience, le droit de poser des questions aux témoins, le droit à la liberté de parole et celui d’avoir la parole en dernier ou encore le droit à un procès loyalement conduit95. Le ministère de la Justice rappelle justement que ces droits

93 H. L

ECLERC, préc., note 78, 7.

94 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 11e éd., Presses Universitaires de France, 2016, p. 311. 95 Id.

(29)

24

sont applicables aux personnes poursuivies tout au long de la procédure96. En effet, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est applicable à la procédure pénale française, puisqu’il s’agit bien là de “matière pénale97”. Ici la notion de matière pénale, généralement interprétée plus largement par la Cour européenne des droits de l’homme qu’en droit interne, ne pose pas de difficulté, dès lors qu’en France, la procédure en matière de détention provisoire, est toujours qualifiée de pénale puisqu’elle ne peut faire suite qu’à une mise en examen. Les garanties de l’article 6 sont donc applicables, et s’étendent aux phases qui précèdent et qui suivent la procédure judiciaire98, notamment, lors des questions relatives à un placement ou à un maintien en détention provisoire.

[38] Le conseil constitutionnel affirme que “le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux des lois de la République99 ». C’est également le cas en droit canadien. En effet, les articles 8 à 14 de la Charte Canadienne des droits et libertés, qui ont valeur constitutionnelle, offrent des garanties aux justiciables dans le cadre du procès pénal. Cette Charte évoque expressément le droit à un « procès public et équitable » à l’article 11d) comme nous pouvons l’avoir dans notre arsenal juridique français. Ainsi, ces garanties existent, et ont été développées par la jurisprudence à la lumière de l’article 7 de la Charte, qui offre une protection supplémentaire qui déborde du « cadre des articles 8 à 14, tout en demeurant conforme à ces derniers100 […] ». La Cour Suprême du Canada a donc interprété l’article 7 de la Charte comme

96 M

INISTERE DE LA JUSTICE, « Le droit à un procès équitable » (1 juillet 2002), en ligne : <http://www.justice.gouv.fr/organisation-de-la-justice-10031/les-fondements-et-principes-10032/le-droit-a-un-proces-equitable-10027.html> (consulté le 28 juin 2018).

97 CEDH, préc., note 11 à l’article 6§1 : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

98 IMBRIOSCIA c. SUISSE, 1993 Cour Européenne des droits de l’homme, par. 36, en ligne :

<https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/CHAMBER/1993/CEDH001-62409> (consulté le 28 juin 2018) à titre d’exemple, dans cet affaire, la Cour indiqué que la garantie de délai raisonnable commence à courir dès la naissance de l’accusation, et que les autres garanties peuvent jouer également avant qu’un juge du fond ne soit saisi de l’affaire.

99 n°76-70 DC, 1976 Conseil constitutionnel; n° 86-225 DC, 1987 Conseil constitutionnel. 100 Pierre B

ELIVEAU et Martin VAUCLAIR, Traité général de preuve et de procédure pénales, 22e éd., Montréal, Yvon Blais Inc, 2015, p. 28‑29.

(30)

25

garantissant aux justiciables, le droit à une défense pleine et entière101. Il existe donc, à travers la protection constitutionnelle des articles 7 et 11 de la Charte canadienne, un droit fondamental à un procès équitable et à une défense pleine et entière offert à l’accusé102. La Cour Suprême a affirmé à plusieurs reprises la primauté de ce droit à valeur constitutionnelle103.

[39] Dans l’affaire Rose, la Cour suprême atteste de deux pans du droit à une défense pleine et entière. Ceux-ci sont, d’une part « le droit de connaître la totalité de la preuve à réfuter avant d’y répondre en présentant sa preuve », et, d’autre part, « le droit de se défendre contre tous les moyens déployés par l’Etat en vue d’obtenir une déclaration de culpabilité104 ». De la notion de droit à un procès équitable découlerait l’exigence selon laquelle « il doit avoir une perspective raisonnable, à la lumière dont il se déroule et se conclut, d’obtenir un verdict fiable105 ». Pour autant, il n’existe pas, en droit canadien, de définition limitative du droit à un procès équitable, car, comme l’a rappelé la Cour Suprême, les droits de l’accusé constitutionnellement protégés par l’article 7 de la Charte doivent être appliqués de manière contextuelle106. De ce fait, au Canada, il est nécessaire de « déterminer si des règles ou des faits particuliers rendent le procès inéquitable 107». C’est ce qu’il s’agit de faire ici, en étudiant une à une, les garanties offertes aux justiciables lors d’une procédure pénale, ainsi que leur effectivité, en droit français et en droit canadien, dans le cadre de la détention provisoire. Il paraît pertinent de préciser que le droit au respect du principe de la présomption d’innocence, ainsi que le droit à un tribunal indépendant et impartial, seront examinés

101 Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177 (C), en ligne :

<http://canlii.ca/t/1fv21> (consulté le 29 juin 2018); P. BELIVEAU et M. VAUCLAIR, préc., note 95, p. 29.

102 P. B

ELIVEAU et M. VAUCLAIR, préc., note 95, p. 123.

103 Pour exemple : R. c. Ahmad, [2011] 1 RCS 110, par. 2 (CSC), en ligne : <http://canlii.ca/t/2fn3t>

(consulté le 29 juin 2018).

104 R. c. Rose, [1998] 3 RCS 262, par. 102‑103 (C), en ligne : <http://canlii.ca/t/1fqq4> (consulté le

29 juin 2018).

105 P. B

ELIVEAU et M. VAUCLAIR, préc., note 95, p. 126; R. v. Ryan (D.), 2012 NLCA 9, par. 16‑77, en ligne : <http://canlii.ca/t/fq5cl> (consulté le 29 juin 2018).

106 R. c. Darrach, [2000] 2 RCS 443, par. 30 (CSC), en ligne : <http://canlii.ca/t/523v> (consulté le

29 juin 2018).

107 R. c. D.A.I., [2012] 1 RCS 149, par. 69 (CSC), en ligne : <http://canlii.ca/t/fq0r9> (consulté le 29

Figure

Tableau 1 : Issues et actes de procédure des audiences d’enquêtes sur remise en  liberté observées à Big-Town (effectif total : 304 personnes accusées)
Tableau 3 : Tableau des conditions les plus fréquemment imposées par les  juges de paix dans le cadre de mise en liberté provisoire, à Vancouver – Données  du Ministère de la Justice de la Colombie Britannique 432
Tableau  4  :  Durée  de  la  détention  provisoire  et  quantum  de  la  peine  d’emprisonnement prononcée chez les mineurs en 1991 433
Tableau  5  :  Rapport  entre  les  peines  prononcées  et  la  détention  provisoire  pour l’année 2014 434
+3

Références

Documents relatifs

– à organiser le régime de détention des personnes transgenres (trans*) afin qu’il soit respectueux de leur intimité, de leur dignité et de leur sécurité et, dans ce sens,

Lorsqu'il s'agit d'une audience au cours de laquelle il doit être statué sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la détention provisoire, la personne

Pour apprécier la conformité des dispositions contestées à ce droit, le Conseil a constaté que le premier alinéa de l’article 40 de la loi du 24 novembre 2009 reconnaît

Le Conseil d’État, par une décision du 24 février 2016, a renvoyé au Conseil constitutionnel la QPC au motif, d’une part, « que le moyen tiré de ce que les dispositions de

The study also indicates that many rules of customary international law apply in both international and non-international armed conflicts and shows the extent to which State

droits de la défense, de telle sorte que le défaut de délivrance de cette autorisation à chacun des avocats désignés qui en a fait la demande, avant un débat contradictoire

Je ne dois pas être placé-e dans la même cellule ni dans le même quartier de la prison que les personnes détenues du sexe opposé.. Ces quartiers doivent être suffisamment

En ce qui concerne le premier, l’article10 (1) du Pacte dispose: «Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité