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La détention provisoire : une exécution anticipée de la

“ Force est de constater que, dans l’esprit de beaucoup, la personne placée en détention provisoire devient un présumé coupable et son incarcération s’analyse en une condamnation immédiate290” – Bernad Callé

[73] L’enfermement avant jugement existait déjà à Rome, où un accusé pouvait être privé de sa liberté ou placé sous surveillance, suivant la gravité de l’infraction qui lui était reprochée291. À l’inverse, ce n’est qu’à partir du premier Code pénal français, en 1791, que l’emprisonnement apparaît comme une peine dans notre arsenal juridique. Sous l’Ancien régime, Louis XIV crée l’Hôpital Général de Paris, au sein duquel sont détenues les personnes marginales et celles en attente de procès, sans condamnation préalable292. Ainsi, l’enfermement avait initialement un objectif préventif plutôt que punitif. Il poursuivait alors les buts de la détention provisoire avant de devenir une peine en tant que telle, faisant suite à une condamnation pour infraction. Peut-être du fait de leur relation première, les deux sont toujours liées aujourd’hui, jusqu’à une anticipation de l’une sur l’autre. La peine, bien que ses fondements et objectifs puissent être divers, n’est légitime à l’encontre d’un individu que lorsque ce dernier a été déclaré coupable d’une infraction. Or, la détention provisoire apparaît comme une entorse au principe selon lequel la peine commence à courir au moment où elle est infligée. En droit canadien, ce principe est prévu à l’article 719(1) du Code criminel. Il en est de même en droit français dès lors que l’exécution de la peine d’emprisonnement doit faire directement suite à son prononcé293. Or, en droit français comme en droit

290 B. CALLE, préc., note 8, p. 3. 291 Id., p. 5.

292 Nicolas S

AINTE FARE GARNOT, « L’Hôpital Général de Paris. Institution d’assistance, de police, ou de soins ? », Hist. Économie Société 1984.535 542, 535 et suivantes, DOI : https://doi.org/10.3406/hes.1984.1373.

293 Code de procédure pénale - Article 716-2, Code de procédure pénale; Pour plus d’informations,

voir : Martine HERZOG-EVANS, Droit de l’exécution des peines, coll. Dalloz Action, DALLOZ, 2016, par. 00.12, en ligne : <https://www-dalloz-fr-s.biblio-dist.ut- capitole.fr/documentation/Document?id=ACTION/EXECUTION-PEINES/2016/PLAN/P00T000-

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canadien, le temps passé en détention provisoire est pris en compte dans l’exécution de la peine d’emprisonnement. Le 3 avril 1998, c’est le député et ancien ministre Patrick Devedjan qui relevait, lors d’une séance à l’Assemblée nationale portant sur la proposition de loi n° 577/98 tendant à réformer la détention provisoire que : “ la meilleure preuve que la détention provisoire est une précondamnation est qu’elle est décomptée au temps de la peine”.

[74] Il existe en effet, en droit français, une déduction du temps passé en détention provisoire de la peine prononcée294. C’est l’article 716-4 du Code de procédure pénale qui prévoit que « quand il y a eu détention provisoire à quelque stade que ce soit de la procédure, cette détention est intégralement déduite de la durée de la peine prononcée ou, s'il y a lieu de la durée totale de la peine à subir après confusion295 [...] ». La Cour de cassation a précisé que « la mise à exécution d'une peine d'emprisonnement a pour effet de suspendre les effets d'un mandat de dépôt délivré pour autre cause296». Ainsi, l’exécution de la peine d’emprisonnement met fin à la détention provisoire. Pour le calcul de l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée, en tenant compte du temps passé en préventive, les praticiens s’appuient sur une note de la direction de l’administration pénitentiaire N° NORJUS E 9640038C du 5 juillet 1996297. Le responsable de formation de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire (ENAP), qui illustre ce calcul dans un tableau298, affirme que le point de départ de l’exécution de la peine d’emprisonnement se trouve en réalité au moment de l’écrou de la personne détenue, soit lors de son placement en détention provisoire. Il va plus loin en déclarant que la détention provisoire n’est pas déduite de la peine d’emprisonnement mais qu’elle « y est directement intégrée ». Il confirme dès lors 0001&ctxt=0_YSR0MT1leMOpY3V0aW9uIGRlIGxhIHBlaW5lwqd4JHNmPXBhZ2UtcmVjaGVyY2hl &ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PcKncyRzbE5iUGFnPTI wwqdzJGlzYWJvPVRydWXCp3MkcGFnaW5nPVRydWXCp3Mkb25nbGV0PcKncyRmcmVlc2NvcG U9RmFsc2XCp3Mkd29JUz1GYWxzZcKncyRicT3Cp3Mkej0wREJGQzhEQi85MzU0M0QyNg==&nrf =0_TGlzdGVEZVJlc3VsdGF0R2xvYmFs> (consulté le 10 juillet 2018).

294 Code de procédure pénale - Article 716-4, Code de procédure pénale. 295 Id.

296 Crim. 30 janv. 1991, n° 90-83.464, publié au Bull. crim. 297 Frédéric P

OINSIGNON, « Exécution des peines et détention provisoire, la question de la computation du « temps pénitentiaire » », AJ Pénal 2012.6.329.

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les propos de l’ancien ministre Patrick Devedjan - la détention provisoire apparaissant alors, en droit français, comme une exécution anticipée de la peine.

[75] Il en est de même en droit canadien. En effet, la jurisprudence, bien avant que le législateur n’intervienne sur ce point, prenait en compte ce temps passé en détention provisoire dans le calcul de la peine d’emprisonnement299. Ce sont d’ailleurs les juges qui ont défini en premier lieu les cas où il fallait en tenir compte ou non. Ainsi, par exemple, la Cour Suprême a validé la décision d’un juge du fond qui n’avait pas tenu compte du temps passé en préventive pour le calcul de la peine privative de liberté d’un individu déclaré coupable de plusieurs crimes violents contre des enfants, qui présentait peu de chance de réhabilitation300. Toutefois, il a été rappelé que le juge ne pouvait refuser d’appliquer cette règle pour poursuivre l’objectif de détermination de la peine de dénonciation, à titre d’aggravation de la peine301. Par ailleurs, la Cour suprême a également affirmé que cette règle persistait dans le cas de peines minimales. Ainsi, dans l’affaire Wust, elle a certifié que “l’article 719.3 n’empêche pas le juge de réduire la période d’incarcération en tenant compte du temps en préventive en cas de peine minimale, d’autant que les conditions de détention y sont alors plus rigoureuses302”.

[76] L’article 719.3 du Code criminel dispose que : « pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passé sous garde par suite de l’infraction; il doit, le cas échéant, restreindre le temps alloué pour cette période à un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde ». Jusqu’en 2010, la pratique des tribunaux était d’accorder deux jours pour chaque jour passé en détention provisoire, du fait que celle-ci soit particulièrement éprouvante et qu’elle ne soit pas prise en compte dans le calcul menant à une libération conditionnelle.

299 P. BELIVEAU et M. VAUCLAIR, préc., note 95, p. 881.

300 R. c. M. (C.A.), [1996] 1 RCS 500, par. 95 96 (C), en ligne : <http://canlii.ca/t/1frb8> (consulté

le 13 juin 2018).

301 Id.

302 R. v. Neudorf, 2004 BCCA 374, par. 45, en ligne : <http://canlii.ca/t/1hdsj> (consulté le 13 juin

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C’est en 2010, à travers la Loi sur l’adéquation de la peine303, que le législateur a imposé que le maximum de cette prise en considération passe à un jour “sauf dans le cas où la personne a été détenue pour le motif inscrit au dossier de l’instance en application du paragraphe 515(9.1) ou au titre de l’ordonnance rendue en application des paragraphes 524(4) ou (8)304”. La Cour suprême, opposant résistance, a affirmé que les conditions d’enfermement dans le cadre de la détention provisoire étant toujours rigoureuses, la situation était toujours exceptionnelle. De ce fait, elle commande aux juges de retrancher un jour et demi pour chaque jour passé en détention provisoire. Elle se justifie en disant que « La perte subie aux fins de l’admissibilité à la libération anticipée suffit habituellement à justifier l’octroi d’un crédit à raison d’un jour et demi contre un, même lorsque les conditions de détention n’ont pas été spécialement difficiles et que la libération conditionnelle est peu probable305 ». Comme en France, au Canada, à travers la détention provisoire, on commence à faire exécuter sa peine à une personne non encore jugée coupable.

[77] Qu’il soit finalement déclaré coupable ou innocenté, la détention provisoire représente un mal considérable pour le prévenu. Pour l’individu qui sera déclaré coupable, il s’agit d’une souffrance supplémentaire par rapport à la peine qui est prononcée306. C’est ainsi que les droits français et canadien ont tenté de minimiser ce mal en prévoyant une imputation de la détention provisoire sur le calcul de la peine. Toutefois, il existe des cas où cette imputation n’est pas envisageable, notamment lorsque la peine prononcée est moins sévère que le temps passé en détention provisoire. Néanmoins, ce cas s’avère relativement rare, comme nous aurons l’occasion de le développer plus loin. Aussi le Code de procédure pénale français dispose que l’assignation à résidence avec surveillance électronique, qui limite également la liberté du prévenu, est dans ce cas assimilée à une détention provisoire pour l’imputation de sa durée sur la peine privative de

303 Loi sur l’adéquation de la peine et du crime (L.C. 2009, ch. 29), 22 octobre 2009. 304 Article 719.3.1, Code criminel.

305 R. c. Summers, [2014] 1 RCS 575 (CSC), en ligne : <http://canlii.ca/t/g6h8p> (consulté le 18

avril 2018).

306 J. C

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liberté prononcée307. Ça n’est pas le cas pour le contrôle judiciaire en France, ni pour la mise en liberté au Canada308. Pour autant, ces deux mesures sont tout autant à rapprocher de la notion de peine que la détention provisoire et l’assignation à résidence avec surveillance électronique.

[78] Rappelons tout d’abord que la mise en liberté au Canada comme en France est un droit. En effet, aux termes de l’article 144 du Code de procédure pénale français, la détention provisoire doit être nécessaire. Ainsi, lorsque les objectifs de cet article ne sont plus à atteindre, “Le juge d'instruction ou, s'il est saisi, le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire309 ”. En droit canadien, également, la mise en liberté d’un accusé en attente de son procès est le principe. Ainsi, la Charte canadienne protège le droit de tout inculpé “ de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable310”. La Cour suprême, s’exprimant sur ce point, a affirmé que la protection de l’article 11e) était double : d’une part, la mise en liberté ne peut être refusée qu’en cas de juste cause, et, d’autre part, les modalités de cette mise en liberté doivent être raisonnables311. Or, rares sont les cas où les personnes en attente de jugement sont mises en liberté inconditionnelle. Une étude menée par le ministère de la Justice du Canada démontrait qu’aucune personne n’avait été libérée inconditionnellement, mais plutôt avec une promesse assortie de conditions, ou avec une caution312. Une seconde étude, menée cette fois-ci à la Cour provinciale de Vancouver, analysant 74 408 ordonnances de mise en liberté mettait en lumière le manque de recours à la libération inconditionnelle, qui était pourtant la volonté première de la réforme de 1972. Ainsi, seulement 3.1% des

307 Code de procédure pénale - Article 142-11, Code de procédure pénale.

308 Article 719(2), Code criminel selon lequel : « Les périodes durant lesquelles une personne

déclarée coupable est illégalement en liberté ou est légalement en liberté à la suite d’une mise en liberté provisoire accordée en vertu de la présente loi ne sont pas prises en compte dans le calcul de la période d’emprisonnement infligée à cette personne. »

309 Code de procédure pénale - Article 144-1, préc., note 171.

310 Charte Canadienne des Droits et Libertés, préc., note 11 à l’article 11e] . 311 R. c. Pearson, préc., note 81, par. 36 37; Marie-Eve

SYLVESTRE, Céline BELLOT et Nicholas BLOMLEY, Une peine avant jugement ? La mise en liberté provisoire et la réforme du droit pénal canadien, Yvons Blais, 2017, p. 202..

312 M.-E.

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ordonnances rendues ne contenaient aucune condition. La majorité des mises en libertés étant donc conditionnelles, avec une moyenne de quatre ou cinq conditions313.

[79] En effet, qu’il s’agisse du contrôle judiciaire français, ou de la mise en liberté conditionnelle canadienne, les législateurs ont prévu la possibilité pour le juge d’imposer un bon nombre de conditions plus ou moins attentatoires aux libertés individuelles314. Ces différentes conditions sont, dans les deux cas, semblables à des peines en droit français et en droit canadien. Ainsi, en droit français, les conditions que peut prévoir le juge dans le cadre du contrôle judiciaire se rapprochent des obligations envisageables en cas de contrainte pénale ou de sursis avec mise à l’épreuve, certaines étant même rédigées de manière similaire. Par exemple, un individu peut être contraint à suivre des soins315, à se présenter à certains services316, à ne pas se rendre en certains lieux317, à s’abstenir de rentrer en contact avec certaines personnes318, à s’abstenir de conduire certains véhicules319, à ne pas se livrer à certaines activités professionnelles320, à justifier de sa contribution aux charges familiales321 ou encore à résider hors de son domicile en cas de violences intra-familiales322, dans le cadre d’un contrôle judiciaire tout comme dans le cadre d’une peine.

[80] En droit canadien, l’article 515(2) du Code criminel prévoit en effet la possibilité pour le juge d’assortir la mise en liberté de conditions qu’il fixe lui-même.

313 Id., p. 207.

314 Article 515(2), préc., note 56; Code de procédure pénale - Article 138, Code de procédure

pénale.

315 Code de procédure pénale - Article 138, préc., note 30818° et 131-4-1 3°.

316 Code pénal - Article 132-44, Code pénal; Code de procédure pénale - Article 138 5° et 6°, préc.,

note 298.

317 Code pénal - Article 132-45 9°, Code pénal ; Code de procédure pénale - Article 138 3°, préc.,

note 298.

318 Code de procédure pénale - Article 138 9°, préc., note 298; Code pénal - Article 132-45 12° et

13°, préc., note 301.

319 Code pénal - Article 132-45 7°, préc., note 301; Code de procédure pénale - Article 138 8°,

préc., note 298.

320 Code de procédure pénale - Article 138 12°, préc., note 298; Code pénal - Article 132-45 8°,

préc., note 301.

321 Code de procédure pénale - Article 138 16°, préc., note 298; Code pénal - Article 132-45 4°,

préc., note 301.

322 Code de procédure pénale - Article 138 17°, préc., note 298; Code pénal - Article 132-45 19°,

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Dans les conditions qui sont le plus souvent imposées, on retrouve les conditions obligatoires et certaines conditions facultatives de la probation323 et de l’emprisonnement avec sursis324. La condition la plus imposée est d’ailleurs l’une des conditions obligatoires de ces deux peines, à savoir celle “ de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite”325. Elle est si appliquée qu’elle semble revêtir un caractère obligatoire, et ce alors qu’elle doit être facultative au nom du droit à une mise en liberté avec cautionnement raisonnable326. C’est d’ailleurs ce qu’ont rappelé certains juges et avocats dans les affaires S.K et A.D.B, dans lesquelles ils affirment que cette pratique judiciaire doit cesser327. Si l’on se reporte au tableau des conditions les plus fréquemment imposées lors d’une mise en liberté provisoire conditionnelle, on peut constater qu’elles sont toutes identiques à celles qu’on retrouve en tant que peine. Il y a par exemple, le fait “ de s’abstenir d’être propriétaire, possesseur ou porteur d’une arme328”, “ de s’abstenir de consommer des drogues – sauf sur ordonnance médicale -, de l’alcool ou d’autres substances intoxicantes329”, “ de s’abstenir de communiquer directement ou indirectement “ avec certaines personnes330, “ de se présenter à l’agent de probation331”, ou encore le fait de devoir limiter territorialement ses

323 Article 732.1, Code criminel au (2) les conditions obligatoires; et au (3) les conditions

facultatives.

324 Article 742.3, Code criminel au (1) les conditions obligatoires; et au (2) les conditions

facultatives.

325 M.-E. SYLVESTRE, C. BELLOT et N. BLOMLEY, préc., note 305, p. 208 Voir également le tableau 3

en annexe.

326 Id.

327 R. v. S.K.; [1998] S.J. No. 863 ( Sask. Prov. Ct) , par 25-27; et R. v. A.D.B; [2009] SKPC 120 : "

Unfortunaterly there appears to be a relief among some counsel and justice officials that there are statutory conditions of release. I have been told on several occasions that the conditions to keep the peace and be of good behaviour and appear before the Court when required to do so statutory. While these requirements are explicit in an undertaking or recognizance, they are not statutory conditions of judicial interim release. Nor should they be considered mandatory or usual conditions of release" (par.11); " this is a practice which must not continue" ( par.22).

328 M.-E.

SYLVESTRE, C. BELLOT et N. BLOMLEY, préc., note 297, à la ligne 2 du tableau; Article 732.1(3)d), préc., note 307; Article 742.3(2)b), préc., note 308.

329 M.-E. SYLVESTRE, C. BELLOT et N. BLOMLEY, préc., note 297, à la ligne 10 du tableau; Article

732.1(3)c), préc., note 307; Article 742.3(2)a), préc., note 308.

330 M.-E.

SYLVESTRE, C. BELLOT et N. BLOMLEY, préc., note 297, à la ligne 5 du tableau; Article 732.1(2)a.1), préc., note 307; Article 742.3(1.1), préc., note 308.

331 M.-E. SYLVESTRE, C. BELLOT et N. BLOMLEY, préc., note 297, à la ligne 3 du tableau; Article

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déplacements332. Comme le soulèvent les auteurs Sylvestre, Bellot et Blomley dans “Une peine avant jugement ? La mise en liberté provisoire et la réforme du droit pénal canadien”, ces conditions sont liées à la peine. En effet, ces derniers ont relevé, dans leur étude, que les juges tenaient compte des conditions qui avaient été imposées lors de la mise en liberté provisoire dans leur processus décisionnel menant à la peine333. Ainsi,

si les bris répétés de conditions sont parfois considérés comme une circonstance aggravante militant en faveur de l’incarcération, les conditions restrictives de liberté qui ont été respectées peuvent devenir une circonstances atténuante, venant diminuer la période de détention ou d’interdiction ou atténuer la peine, soit parce qu’elles attestent de progrès réalisés par l’accusé, soit parce qu’on considère que l’accusé a été privé de sa liberté, qu’il a suffisamment souffert ou a dans les faits déjà commencé à purger sa peine334.

En effet, les conditions de mise en liberté étant semblables aux conditions de la probation ou de l’emprisonnement avec sursis, il est aisé de constater qu’il s’agit ici également d’une exécution anticipée de la peine. Les auteurs relèvent en effet que “ les conditions imposées sont parfois tellement restrictives de liberté que le processus de mise en liberté lui-même se substitue à la peine335”.

[81] Qu’il s’agisse de la détention provisoire ou de la mise en liberté conditionnelle, on peut y voir dans leur exécution une volonté de traiter l’état dangereux, de manière immédiate et provisoire. En effet, les conditions étudiées ci-dessus ou la privation totale de liberté qui découle de la détention provisoire semblent avoir une visée sécuritaire, qui tournerait autour d’une idée de prévention, notamment, celle d’un éventuel renouvellement de l’infraction, qui semble paradoxal à l’encontre d’un inculpé, qui devrait être encore présumé innocent336. En effet, les auteurs ont constaté lors de leurs entretiens “que la détention et la mise en liberté sous conditions sont utilisées afin de faciliter la

332 M.-E. SYLVESTRE, C. BELLOT et N. BLOMLEY, préc., note 297, à la ligne 6 du tableau; Article

732.1(3)b), préc., note 307; Article 742.3(1)d), préc., note 308.

333 M.-E.

SYLVESTRE, C. BELLOT et N. BLOMLEY, préc., note 305, p. 222.

334 Id.

335 Id., p. 223. 336 Id., p. 215.

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surveillance et l’appréhension de personnes marginalisées dans les communautés et ainsi faciliter le travail des policiers et des procureurs337”. La pratique s’éloigne ainsi de l’esprit de la réforme de 1972 et de ses dispositions qui étaient en faveur d’une protection effective de l’article 11e) de la Charte Canadienne des droits et libertés. Alors, comme le relèvent les auteurs, on admet par ce biais une “ exécution provisoire et anticipée de la condamnation pénale338”.

[82] Cette anticipation de la peine produite par la détention provisoire, par la mise en liberté conditionnelle canadienne ou le contrôle judiciaire français ayant été constaté, il convient dès lors de s’interroger sur la question de l’office du juge. En effet, en prenant de l’avance sur les objectifs et les effets de la peine, le juge de paix et le juge des libertés et de la détention n’empiètent-ils pas sur les compétences de leurs pairs qui doivent statuer sur la culpabilité et sur la peine des personnes poursuivies ?

337 Id., p. 216. 338 J. C

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Chapitre II - Le prononcé d’un terme d’emprisonnement : une