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Le critère de l’orientation sexuelle dans la politique diversité de GRTgaz : entre persistance d’un tabou et volonté d’inclusion d’une minorité invisible et silencieuse

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: dumas-02519034

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02519034

Submitted on 25 Mar 2020

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Copyright

Le critère de l’orientation sexuelle dans la politique

diversité de GRTgaz : entre persistance d’un tabou et

volonté d’inclusion d’une minorité invisible et silencieuse

Marie Maigné

To cite this version:

Marie Maigné. Le critère de l’orientation sexuelle dans la politique diversité de GRTgaz : entre persistance d’un tabou et volonté d’inclusion d’une minorité invisible et silencieuse. Sciences de l’information et de la communication. 2017. �dumas-02519034�

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École des hautes études en sciences de l'information et de la communication - Université Paris-Sorbonne 77, rue de Villiers 92200 Neuilly tél. : +33 (0)1 46 43 76 76 fax : +33 (0)1 47 45 66 04 www.celsa.fr

Master professionnel

Mention : Information et communication

Spécialité : Communication Ressources humaines et conseil Option : Ressources humaines, management et organisations

Le critère de l’orientation sexuelle dans la politique

diversité de GRTgaz

Entre persistance d’un tabou et volonté d’inclusion d’une minorité

invisible et silencieuse

Responsable de la mention information et communication Professeure Karine Berthelot-Guiet

Tuteur universitaire : Julien Tassel

Nom, prénom : MAIGNÉ Marie Promotion : 2016-2017

Soutenu le : 21/09/2017

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EMERCIEMENTS

Je souhaite en premier lieu remercier mon encadrant universitaire, Julien TASSEL, Maître de Conférences au CELSA et chercheur au GRIPIC, pour m’avoir accompagné sur ce sujet et m’avoir fait des suggestions pertinentes, ainsi qu’Arnaud PISSOT, Consultant en diversité et lutte contre les discriminations, qui m’a donné dès le début de précieux conseils qui m’ont permis de m’orienter dans la bonne direction.

J’aimerais également remercier Gaëlle EOUZAN, Responsable du Pôle Développement RH et Responsable Diversité chez GRTgaz qui m’a soutenue dans le choix de ce sujet de mémoire et qui m’a donné des contacts nécessaires à la réalisation de ce travail de recherche. Mais plus encore, qui a été une excellente tutrice, qui m’a fait confiance et qui m’a permis d’acquérir en compétences tout au long de mon alternance.

Je remercie également l’ensemble des membres de mon équipe, et tout particulièrement Béatrice VIGNIER, Anna GOMIS et Fanny CHAVOUTIER avec qui j’ai eu la chance de collaborer et qui m’ont permis de passer une année inoubliable, pleine d’enthousiasme, de bienveillance et de créativité. Je n’oublie pas non plus Capucine OLIVIER et Axelle TREPAGNY qui ont débuté leur alternance à mes côtés et avec qui j’ai partagé d’excellents moments dans le cadre professionnel comme dans le cadre personnel.

Je souhaite aussi remercier Energay, l’association LGBT des Industries Électriques et Gazières, et tout particulièrement Samuel TILLET, Nicolas SANSSOUCI, Benoît DOGNEAU et Jean-Paul ESCOFFIER, qui ont pris le temps de me rencontrer et qui m’ont mise en contact avec des salariés de GRTgaz membres de l’association, permettant à ce mémoire de s’appuyer sur des témoignages concrets. Je remercie d’ailleurs vivement les trois personnes qui ont accepté d’échanger avec moi sur ce sujet et qui ont ainsi largement contribué aux résultats obtenus au terme de ce travail de recherche.

Je remercie également les salariés de GRTgaz que j’ai sollicités pour avoir apporté leur contribution à la réalisation de ce mémoire en acceptant de m’accorder du temps lors d’entretiens semi-directifs. Et plus largement, je souhaite remercier l’ensemble des personnes avec qui j’ai eu l’occasion de collaborer tout au long de cette année et qui font de GRTgaz une si belle entreprise.

Pour finir, je remercie tout particulièrement ma mère pour son indéfectible soutien et pour le temps qu’elle a consacré à la relecture de ce mémoire.

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ABLE DES MATIERES

Remerciements ... 2

Table des matières ... 3

Introduction ... 5

I - L’entreprise : une sphère sociale non neutre ... 15

A. Un incontestable lieu de socialisation ... 15

1. La notion de culture d’entreprise ... 15

2. L’évidence du modèle nucléaire ... 16

3. Un engagement formalisé en matière de diversité ... 17

B. L’expression des formes d’occultation du sujet ... 19

1. Un tabou fortement enraciné... 19

2. Une invisibilité signifiante ... 20

3. Une association LGBT méconnue ... 21

C. Sexe et homosexualité : un lien inextricable ? ... 23

1. La domination masculine ... 23

2. Des rôles déterminés par le sexe ... 24

3. L’incidence des stéréotypes et des préjugés ... 26

II - Un silence en contradiction avec la réalité sociale ... 29

A. Une acceptation croissante mais contrastée ... 29

1. De la dépénalisation au mariage pour tous ... 29

2. Un thème qui reste indiscutablement sensible ... 31

3. L’évidence hétérosexuelle ... 32

B. La problématique de la visibilité ... 34

1. L’impact du vécu dans la stratégie de dévoilement ... 34

2. La peur de la stigmatisation... 35

3. La notion de plafond de rose ... 37

C. Le recours aux stratégies de masques ... 38

1. La préservation de son « identité sociale virtuelle » ... 39

2. L’usage d’une terminologie neutre ... 40

3. Le recours au dévoilement partiel ... 41

III - Un enjeu de bien-être et de performance ... 43

A. Des conséquences sur le bien-être ... 43

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2. Un impact sur les relations professionnelles ... 45

3. L’appréhension de la nouveauté ... 46

B. Le paradoxe du silence ... 48

1. Le refus d’être défini par son orientation sexuelle ... 48

2. Le besoin d’être soi-même ... 50

C. Une problématique de marque-employeur ... 51

1. Une conscience des enjeux liés à la diversité ... 52

2. Attirer et fidéliser les talents ... 53

3. Concrétiser les engagements du Label Diversité ... 55

Conclusion générale ... 57

Bibliographie ... 62

Ouvrages et articles scientifiques ... 62

Ouvrages et études spécialisés ... 62

Ressources internes à GRTgaz ... 63

Sites internet mobilisés ... 63

Annexes ... 64

Résumé ... 149

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I

NTRODUCTION

« Mon entreprise ne changera pas … Ma non-visibilité n’a de motivation que de me protéger d’une pression implicite de mes collègues et de ma hiérarchie : je ne souhaite pas avoir à gérer ce stress. Cette non-visibilité me poussera à quitter cette entreprise pour pouvoir être enfin moi-même. » Ces propos, extraits de l’ouvrage

Homophobie dans l’entreprise paru en 2008 (p.20), ont été exprimés par un homme de 34 ans, cadre dans le

privé, à l’occasion d’une enquête menée auprès de salariés gays et lesbiennes entre septembre 2006 et juillet 2007. Commanditée par la HALDE1 et dirigée par Christophe Falcoz, cette recherche s’inscrivait dans le cadre d’une étude sur les discriminations au travail en raison de l’orientation sexuelle. Cette citation atteste de l’existence d’une problématique de visibilité pour la communauté LGBT2 au sein des entreprises, mais plus encore, elle témoigne d’une des conséquences que peut impliquer ce manque de visibilité : le départ des salariés LGBT vers un environnement plus inclusif et donc moins générateur de stress.

D’après l’étude réalisée par l’Autre Cercle3 sur La vie des LGBT au travail en 2011, en France, 47% des personnes homosexuelles ne souhaitent pas révéler leur orientation sexuelle au travail, et parmi elles, 67% restent invisibles par crainte de conséquences négatives sur leur carrière. Ces chiffres traduisent bien l’existence d’une problématique dans les rapports qu’entretiennent les homosexuels avec le monde du travail. Et pourtant, depuis la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, « aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son […] orientation sexuelle.4 »

Si l’introduction de l’expression « orientation sexuelle » dans le droit français a accordé aux homosexuels un cadre juridique protecteur, elle n’a pas permis de gommer les inégalités et les discriminations dont ils sont régulièrement victimes, et ce la plupart du temps dans des contextes liés à la vie quotidienne tels qu’en famille, dans les lieux publics, dans le milieu scolaire ou encore au travail. En effet, d’après le Rapport sur

l’Homophobie 2016 de l’association SOS Homophobie5, avec 12% des cas signalés en 2015, le lieu de travail arrive en troisième position des contextes au sein desquels on recense le plus d’actes homophobes, à égalité avec les lieux publics (12%), derrière la famille (14%) et Internet (20%). Le rapport précise que « les

1 Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité dissoute en 2011 et remplacée par le Défenseur des Droits. Dans

un souci d’actualisation et de clarté, nous parlerons désormais du Défenseur des Droits.

2 Sigle qui désigne les personnes Lesbiennes, Gays, Bisexuelles et Transgenres.

3 Association qui lutte contre les discriminations à l’encontre des LGBT dans le monde du travail. 4 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000588617

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témoignages reflètent la libération d’une parole homophobe et transphobe multiforme et décomplexée. En effet, si certain(e)s agresseur(e)s ne semblent pas conscient(e)s de l’illégalité de leurs propos, d’autres se "lâchent" car ils bénéficient d’une certaine impunité dans leur entreprise » (p.133). Les organisations semblent donc avoir leur part de responsabilité dans ces violences vécues par les salariés LGBT au travail, un point particulièrement bien illustré par ce chiffre issu de l’étude de l’Autre Cercle (2011) : 92% des comportements homophobes restent sans conséquence pour leurs auteurs. L’enquête menée par Christophe Falcoz (2008) renforce cette affirmation puisqu’elle mentionne que 88% des répondants ont été victimes ou témoins de propos homophobes au moins une fois dans leur parcours professionnel et que 71% d’entre eux pensent que leur direction ne favorise « plutôt pas » la lutte contre l’homophobie. Tous ces éléments nous permettent d’affirmer que les entreprises ne sont pas un modèle en matière de lutte contre les discriminations, d’égalité des chances et d’inclusion envers les personnes homosexuelles.

Et pourtant, depuis le début des années 2000, un nombre toujours plus croissant d'organisations choisit de s’attaquer au sujet que représente la diversité. Conscientes des enjeux qu’implique cette thématique, les entreprises ont progressivement mis en place des actions ciblées, d’abord contraintes par la législation qui a imposé des obligations légales sur les critères du handicap6, de l’égalité professionnelle7 et de l’âge8, puis incitées par les enjeux d’image, de performance et d’innovation intrinsèques au sujet. Des plans d’action ont été déployés tandis que des politiques diversités ont été formalisées. Il importe néanmoins de souligner que certains aspects de la diversité ont suscité moins d’enthousiasme que d’autres ; tel est le cas de l’orientation sexuelle qui d’après une étude du Défenseur des Droits (2011) mentionnée dans le guide pratique d’IMS Entreprendre pour la Cité (2012) est traitée spécifiquement par seulement 7% des entreprises mettant en place des actions ciblées. L’orientation sexuelle reste donc un critère peu abordé par les organisations probablement parce que le sujet demeure « tabou dans la société dans son ensemble » (Falcoz, 2008 : p.11).

Cela n’a pourtant pas empêché certaines entreprises de se saisir du sujet et de revendiquer un positionnement gay-friendly9. Au 30 juin 2017, ce sont déjà 62 entreprises et collectivités qui ont signé la Charte d’engagement LGBT de l’Autre Cercle10, preuve de leurs pratiques non discriminantes et de leur volonté de maintenir et de renforcer un climat inclusif à l’égard des LGBT.

6Les entreprises de 20 salariés et plus sont tenues d’employer des travailleurs handicapés dans une proportion de 6% de leur effectif

total ; les établissements qui ne remplissent pas ou que partiellement cette obligation doivent s'acquitter d'une contribution à l'Agefiph, l’Association de Gestion du Fonds pour l'Insertion Professionnelle des Personnes Handicapés.

7Les entreprises de 50 salariés et plus ont l’obligation de négocier un accord relatif à l’égalité professionnelle ou, en cas d’échec de

la négociation, de mettre en œuvre un plan d’action unilatéral.

8Les entreprises de 50 salariés et plus ont les mêmes obligations à l’égard des seniors qu’en matière d’égalité professionnelle. 9Caractérise une personne, un espace ou une structure bien disposé(e) envers les homosexuels.

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Si GRTgaz ne fait pas partie des 62 signataires de cette Charte, l’entreprise est malgré tout reconnue pour ses engagements en matière de prévention des discriminations, d’égalité des chances et de promotion de la diversité comme en témoigne le Label Diversité de l’AFNOR qui lui a été délivré en décembre 2015 pour une durée de 4 ans. Ce Label ne constitue pas un aboutissement mais une reconnaissance des efforts engagés par l’entreprise au regard des 24 critères de discrimination11 mentionnés par le Code du Travail dans l’article L1132-1 modifié par la loi du 28 février 2017. Son obtention implique la réalisation d’un diagnostic permettant de recenser les bonnes pratiques à l’œuvre dans l’entreprise, de déceler les points de vigilance et d’en déduire les actions à engager. GRTgaz s’avère particulièrement active sur les thèmes du handicap et de l’égalité professionnelle et si elle n’avait fait que peu de choses pour les autres critères à la date du diagnostic, elle attestait de pratiques non discriminantes et s’était engagée sur des actions globales et porteuses de sens telles que la formalisation d’une politique diversité et la réalisation d’une enquête sur les stéréotypes et les préjugés12. Les résultats ont permis de constater que le critère de l’orientation sexuelle, qui n’avait jusqu’alors jamais été directement énoncé, apparaissait comme une problématique sous-jacente.

Impliquée dans la diversité depuis 2010, GRTgaz a pris progressivement conscience de l’enjeu de performance que recouvre ce sujet. Dans le contexte de la transition énergétique et de la baisse des consommations qui fragilise son modèle économique, elle a besoin d’une diversité de profils et d’intelligence pour pouvoir rester compétitive et se renouveler comme le souligne sa politique diversité formalisée : « là où il y a diversité, il y a ouverture d’esprit, créativité et ainsi mise au jour de solutions nouvelles avec toute l’innovation dont chacun de nous, avec ses spécificités, est capable. » Mais pour GRTgaz, il s’agit également de valoriser son image de marque employeur à l’externe afin de pallier le vieillissement de sa population par l’attraction de nouveaux talents, notamment ceux issus de la Génération Y. En effet, pour eux, l’éthique et les valeurs ont une importance de plus en plus prégnante comme le confirme l’étude réalisée par Deloitte en 201613 qui met notamment en avant le fait que 56% des jeunes n’envisagent aucune collaboration avec certains employeurs en raison des valeurs ou de la conduite qu’ils adoptent. Ainsi, en s’impliquant dans la diversité, GRTgaz entend « fédérer l’ensemble des acteurs de l’entreprise autour des valeurs d’égalité des chances » dans l’objectif d’instaurer un climat inclusif et bienveillant ; cela lui permettra d’attirer et de conserver les talents qui lui permettront d’innover et de faire face aux enjeux dont relève son cœur de métier

11https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=238A88AFFB86434131F7646B8F0B334B.tpdila22v_1?cidTexte=L

EGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000034110504&dateTexte=20170810&categorieLien=id#LEGIARTI000034110504

12Réalisée en 2015, cette enquête a été intégralement complétée par 374 salariés sur 2959 (effectif au 31/12/2015), un taux

satisfaisant par rapport à la structure des questions qui ne proposaient pas de réponses préétablies. Les questions étaient ouvertes et avaient pour but de mesurer la perception des salariés quant au poids des stéréotypes et des préjugés dans l’entreprise et ce sans appliquer de filtres préalables. Il ne s’agissait pas d’évoquer ses propres biais mais de donner de son ressenti par rapport à l’ensemble de l’organisation comme en témoigne cet exemple : « à GRTgaz, on pense que les femmes sont : … »

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tout en contrebalançant l’image d’entreprise traditionnelle et patriarcale dont elle a hérité lors de sa création en tant que filiale de Gaz de France14 en 2005.

Mais si une démarche de diversité a été engagée, tous les critères n’y ont pas trouvé leur place. C’est le cas de l’orientation sexuelle, qui au sein de GRTgaz, semble être indissociable d’une certaine forme de malaise. Sujet à la fois non abordé et non abordable, il n’a pas de légitimité dans l’entreprise. On n’en parle pas et on va même jusqu’à nier son existence puisque l’orientation sexuelle relève de la vie privée et n’a pas à s’immiscer dans la sphère professionnelle. Mais si on considère qu’environ 7% de la population est homosexuelle15, cela signifie que plus de 200 salariés de GRTgaz seraient directement concernés16, sans compter ceux qui le sont indirectement à travers l’homosexualité d’un parent, d’un frère, d’une sœur ou encore d’un(e) ami(e). On peut donc se demander si ne pas aborder ce sujet dans sa politique diversité et le taire au profit de critères de discrimination moins polémiques ne reviendrait pas à tourner le dos aux salariés homosexuels ; une perspective qui nous semble hasardeuse, d’autant plus pour une organisation qui aspire à être représentative de la société française et qui revendique la diversité de ses équipes.

Mais le sujet mérite-t-il vraiment sa place au sein de l’entreprise ? Personne n’en parle, certes, mais cela signifie-t-il pour autant que les salariés homosexuels rencontrent des problèmes au sein de GRTgaz ? S’agit-il réellement d’un sujet pour l’entreprise ? Après tout, aucune situation de discrimination liée à l’orientation sexuelle n’est remontée jusqu’à la Direction et aucune revendication n’a été exprimée. Comment interpréter cette invisibilité de la communauté homosexuelle à GRTgaz ? Doit-on y voir l’expression d’un mal-être, le résultat d’une dissimulation forcée due à un climat peu favorable au dévoilement, ou au contraire, doit-on l’interpréter comme une conséquence logique induite par le caractère non problématique du sujet ? Quelle signification doit-on donner au silence qui entoure le critère de l’orientation sexuelle ?

Lorsque nous sommes arrivée à GRTgaz en septembre 2016, la Responsable Diversité prévoyait de s’atteler au critère de l’orientation sexuelle : une affiche de sensibilisation était en cours de réalisation et le serious

game17 diversité prévu pour le premier trimestre 2017 prévoyait un module sur le thème de l’homosexualité.

Ces actions s’inscrivaient dans la continuité du processus de labélisation ; sur les recommandations de l’auditeur de l’AFNOR ayant décerné le Label Diversité à l’entreprise en 2015, GRTgaz souhaitait s’aventurer

14 Devenu GDF Suez en 2008 lors de sa fusion avec Suez et renommé Engie en mai 2015.

15 Les estimations quant au pourcentage de la population homosexuelle dans la société française varient selon les études et les

méthodologies mises en œuvre. Afin de faciliter notre analyse, nous nous sommes arrêtée sur le chiffre avancé par Jacques Corraze dans le Que-sais-je sur L’homosexualité (1996), repris notamment par le guide pratique d’IMS Entreprendre pour la Cité (2012).

16Au 31/12/2016, l’effectif des salariés de GRTgaz s’élève à 2916.

17Outil de formation innovant et interactif, le serious game « Vivre ensemble la diversité » complète la formation diversité d’une

demi-journée en présentielle obligatoire pour les managers. Ce jeu sérieux rend la formation accessible à tous puisqu’il comporte un parcours accessible à l’ensemble collaborateurs sur les critères de la religion, de l’orientation sexuelle, du sexe et de l’origine et un parcours réservé aux managers qui aborde les critères du handicap, de l’âge et des activités syndicales.

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sur des critères autres que ceux traditionnellement pris en main par les organisations soit ceux qui ne relèvent pas d’une obligation légale spécifique. Mais quel est réellement le besoin sur cette question ? Quelles sont les attentes des salariés en la matière ? Y a-t-il ne serait-ce que des attentes à ce sujet ? La question de la corrélation entre l’invisibilité de la minorité homosexuelle et l’absence du critère de l’orientation sexuelle dans la politique diversité de GRTgaz nous a semblé d’autant plus pertinente à analyser qu’elle répondait à une problématique opérationnelle immédiate. Au-delà d’inciter à l’acceptation et à la bienveillance envers la minorité homosexuelle, ces actions allaient-elles répondre à un besoin aussi bien indécelable pour les hétérosexuels qu’indicible pour les homosexuels ?

Nous avons souhaité nous interroger sur la pertinence d’une politique diversité à agir sur le critère de l’orientation sexuelle dans un contexte où il s’avère être particulièrement tabou, à la fois inaudible et imperceptible. Si notre analyse se fonde sur le terrain d’observation que constitue GRTgaz, nous souhaitons lui donner une dimension la plus universelle possible afin qu’elle puisse éventuellement être transposée à d’autres entreprises confrontées à une situation similaire à propos du critère de l’orientation sexuelle. En effet, encore nombreuses sont les organisations au sein desquelles la thématique est occultée. Mais cela signifie-t-il pour autant qu’elle ne doive pas être abordée ? Notre problématique sera la suivante : dans quelle mesure le critère de l’orientation sexuelle a-t-il sa place dans la politique diversité de GRTgaz alors même qu’il est éclipsé par le silence et l’invisibilité ?

Pour répondre à cette problématique, nous avons posé trois hypothèses. La première consiste à penser que

l’entreprise, en tant qu’espace de socialisation secondaire, a une responsabilité morale et sociale en termes d’évolution des mentalités. Cela présage que même si le critère de l’orientation sexuelle ne fait pas

parler de lui, l’organisation doit l’aborder dans sa politique diversité afin de favoriser un climat inclusif et de transmettre des valeurs respectueuses des différences, une obligation intrinsèque au fait qu’elle a une fonction structurante en tant que lieu d’intégration et de dynamique collective. Nous avons formulé notre seconde hypothèse dans les termes suivants : l’homosexualité étant source de controverses au sein de la

société, elle est inéluctablement soumise à un schéma comparable dans la sphère de l’entreprise. Cette

supposition pose donc le silence et l’invisibilité du critère de l’orientation sexuelle comme le symptôme d’un malaise inhérent à l’hétérocentrisme dominant. Quant à notre troisième hypothèse, elle présume que le

tabou qui précède le thème de l’homosexualité a des conséquences négatives sur le bien-être des salariés homosexuels et donc sur leur performance. Ce postulat s’articule autour de l’idée qu’un salarié qui ne peut

assumer son orientation sexuelle auprès de son collectif de travail éprouve une souffrance qui a nécessairement un impact sur son degré d’efficacité et d’attachement à l’entreprise.

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Il nous semble essentiel de préciser que notre travail d’études et de recherche est uniquement consacré au critère de l’orientation sexuelle et ne prend pas en compte celui de l’identité de genre. En effet, malgré la proximité qui les unit, qui se traduit notamment par l’utilisation du terme LGBT et par le fait qu’ils soient la plupart du temps traités conjointement par les associations, ils nous semblent relever d’une problématique différente, ce que conforte le fait qu’ils constituent deux critères de discrimination distincts d’après la loi relative à la lutte contre les discriminations. L’orientation sexuelle, qui est définie par le guide pratique d’IMS Entreprendre pour la Cité comme étant « l’attirance exprimée par un individu, comportement habituel ou ponctuel, affectif ou sexuel, envers une personne du sexe opposé (orientation sexuelle hétérosexuelle) ou une personne du même sexe (orientation sexuelle homosexuelle), ou indifféremment envers des individus de l’un ou l’autre sexe (orientation sexuelle bisexuelle) » (2012 : p.43) n’implique pas la remise en cause du sexe biologique. Il nous a donc semblé pertinent de distinguer clairement ces deux critères et ce d’autant plus que nous n’avons pu nous entretenir qu’avec des salariés de GRTgaz concernés par celui de l’orientation sexuelle. Nous ferons donc l’impasse sur le critère de l’identité de genre même s’il nous arrivera de recourir à l’acronyme LGBT dans un souci de simplification et de conformité avec l’usage qui consiste à employer ce terme à la recouvrance large pour souvent n’évoquer que les spécificités des personnes non hétérosexuelles, laissant ainsi de côté les problématiques propres aux personnes transgenres ou transsexuelles. En revanche, nous nous intéresserons étroitement au lien entre les stéréotypes de genre et l’orientation sexuelle.

Nous en profitons pour indiquer que tout au long de notre démonstration nous utiliserons le terme « homosexuel » pour désigner à la fois les hommes et les femmes et que dans un souci de clarté évident nous ne procéderons pas à la féminisation des termes ; en revanche, lorsque nos propos concerneront un genre spécifique nous nous attacherons à le préciser clairement afin d’éviter toute confusion. Il nous semble également important de rappeler l’importance du terme « orientation » sexuelle qui ne peut en aucun cas se substituer au terme « préférence ». En effet, ce dernier implique la notion de choix délibéré et survient après un apprentissage, ce qui n’est pas le cas de l’orientation sexuelle (Brenot, 2015).

Pour élaborer notre réflexion, nous nous sommes d’abord intéressée à des publications d’associations telles que les rapports annuels de SOS Homophobie et les Livres Blancs de l’Autre Cercle, respectivement publiés en 2003 et en 2014, qui nous ont permis de réaliser à quel point le monde du travail avait évolué vis-à-vis de la question de l’orientation sexuelle en 10 ans. Nous avons visualisé le documentaire Coming In (2015) réalisé par Marlies Demeulandre qui donne la parole à neuf salariés témoignant de leur expérience de vie au travail en tant que LGBT. Enfin, nous avons complété cette première approche par la lecture du guide pratique d’IMS Entreprendre pour la Cité intitulé Orientation sexuelle en entreprise. Comprendre et agir (2012) qui, au-delà de démontrer l’importance d’aborder le critère de l’orientation sexuelle en entreprise, nous a permis de découvrir un large panorama de bonnes pratiques mises en œuvre par des organisations pionnières en

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termes d’inclusion de la communauté LGBT. Nous précisons par ailleurs que nous ne nous attardons par sur les pratiques propres à GRTgaz en la matière car les messages de l’entreprise sur le thème de l’orientation sexuelle sont actuellement limités à une affiche de sensibilisation et à un module du serious game diversité, deux actions récentes sur lesquelles nous manquons encore de recul en interne.

Pour compléter et affiner la question du vécu sur le lieu de travail, nous nous sommes attardée sur l’ouvrage

Homophobie dans l’entreprise (2008) commandité par le Défenseur des Droits et publié sous la direction de

Christophe Falcoz à la suite d’une enquête réalisée entre le 28 septembre 2006 et le 15 juillet 2007 auprès de salariés lesbiennes et gays. A l’occasion de cette étude, un vaste questionnaire a été diffusé « sous forme papier via des associations LGBT volontaires et via un site Internet créé pour l’occasion avec le soutien de médias spécialisés » (p.11) ce qui a permis d’obtenir la participation de 1 413 salariés homosexuels. Comme le souligne Christophe Falcoz en préambule, il existe encore peu de « littérature francophone portant sur les gays et les lesbiennes » (ibid.) et l’étude des LGBT est d’autant plus complexe qu’il s’agit d’une « population méconnue et minoritaire » (ibid.) sur laquelle il n’existe pas de données statistiques fiables puisqu’elles diffèrent selon les choix méthodologiques mis en œuvre et restent soumises à l’acceptation par les sujets de leur orientation sexuelle homosexuelle. Par conséquent, malgré les dix ans qui nous séparent de la date de cette étude, nous avons décidé de nous fier presque exclusivement aux chiffres qui en sont issus, d’une part parce qu’à notre connaissance, il s’agit de la seule étude française de cette ampleur actuellement disponible sur les salariés lesbiennes et gays, et d’autre part parce qu’elle s’intéresse au vécu des LGBT dans le monde du travail uniquement, ce qui nous évite toute interférence avec d’autres contextes. Il pourra cependant arriver que nous fassions référence à d’autres chiffres, soit pour illustrer un propos qui ne soit pas lié directement au contexte professionnel et qui n’apparaisse pas dans l’ouvrage dirigé par Christophe Falcoz, soit pour corroborer les résultats obtenus dans cette étude par des statistiques peut-être moins significatives mais néanmoins plus récentes.

Au début de notre travail de recherche, nous nous sommes également attardée sur de nombreux articles d’actualité liés à la question de l’orientation sexuelle dans le monde professionnel. Si ces lectures n’ont pas eu d’influence directe sur la construction de notre réflexion, elles nous ont néanmoins conforté dans l’idée selon laquelle il existait bel et bien une problématique concernant la minorité homosexuelle en entreprise. Elles ont donc contribué à leur manière à la définition de notre sujet.

Concernant l’aspect plus théorique, nous nous sommes particulièrement intéressée à l’œuvre de Didier Eribon, sociologue et philosophe français qui s’est longuement attardé sur la question de l’homosexualité comme en témoigne son texte intitulé Réflexions sur la question gay (1999). Nous avons également consacré du temps à l’ouvrage d’Erving Goffman sur les Stigmates (1963), qui bien qu’il soit en parti daté s’est avéré

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résolument utile en raison de la double distinction qu’il établit entre « normaux » et « stigmatisés », qui nous renvoie à la notion de norme et plus largement aux concepts de « normalisation » et de « normification », et entre l’« individu discréditable » et l’« individu discrédité », qui nous renvoie à la problématique de la visibilité. Nous nous sommes aussi attardée sur les rapports sociaux de domination et les stéréotypes de genre mis en avant par Pierre Bourdieu dans son ouvrage sur La domination masculine (1998) qui nous a permis de mettre en avant la vision hétérocentriste dominante qui considère le monde sous le prisme de l’hétérosexualité et conduit à une démultiplication de la violence symbolique à l’égard des personnes homosexuelles. Et enfin, il nous semble intéressant de soulever que nous nous sommes appuyée sur nos connaissances préalables en Sciences de l’Information et de la Communication tout au long de ce travail d’études et de recherche, ce qui nous a permis de mobiliser des auteurs tels que Renaud Sainsaulieu et Norbert Alter.

A propos de la démarche empirique mise en œuvre, il nous paraît essentiel de préciser que nous avons été confrontée à un obstacle majeur dès le début de nos investigations : le sujet de l’orientation sexuelle étant empreint d’un malaise ineffable au sein de GRTgaz, nous avons eu des difficultés à entrer en contact avec des salariés concernés par une orientation sexuelle homosexuelle. En effet, nous avons d’abord tenté de faire fonctionner notre réseau, échangeant de façon informelle sur le sujet de notre mémoire avec toutes les personnes que nous avions l’occasion de côtoyer au sein de l’entreprise, espérant ainsi obtenir les contacts de personnes assumant ouvertement leur homosexualité ou de personnes l’ayant dévoilée à seulement quelques collègues mais néanmoins prêtes à s’entretenir avec nous sous couvert d’anonymat. L’inefficacité de cette méthode nous a conduit à renforcer notre postulat selon lequel une telle invisibilité ne pouvait qu’être symptomatique d’une gêne inhérente au fait d’être homosexuel dans l’entreprise.

Ces échanges informels ont néanmoins permis de débloquer la situation paralysante dans laquelle nous nous trouvions vis-à-vis de notre recherche. En effet, au cours de l’une de ces discussions, une collègue a évoqué son « vague souvenir d’une association LGBT des IEG18 », ce qui nous a permis de découvrir l’existence d’Energay19. Suite à notre prise de contact, nous avons été mise en relation avec deux adhérents de GRTgaz qui ont accepté de nous accorder du temps lors d’entretiens semi-directifs anonymisés. Par la suite et à notre demande, l’un d’entre eux a sollicité deux autres salariés homosexuels de sa connaissance ; le premier a bien voulu nous rencontrer dans les mêmes conditions d’anonymat que nous avions garanti précédemment tandis que le deuxième, qui était une femme, n’a pas donné suite à notre demande.

18Industries Electriques et Gazières, branche professionnelle française à laquelle appartient GRTgaz qui comprend les entreprises

qui produisent, transportent et distribuent de l'électricité et du gaz naturel.

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Nous avons donc réalisé trois entretiens semi-directifs auprès de salariés homosexuels de GRTgaz entre juin et juillet 2017 d’une durée approximative d’une heure. Les trois hommes interviewés s’inscrivent dans une tranche d’âge relativement étendue puisqu’ils ont approximativement entre 30 et 50 ans ; l’un d’entre eux est établi en province, un autre au siège de l’entreprise tandis que le dernier fait la navette entre plusieurs sites dont des stations de compression de gaz. Les retranscriptions de ces trois entretiens disponibles en annexe sont soumises aux contraintes de l’anonymat : les prénoms ont été changés et certains passages n’ont pas été restitués en raison de leur trop grande spécificité susceptible de révéler l’identité du salarié à l’origine des propos rapportés. Ces trois entretiens, témoins de la réalité du vécu de certains salariés homosexuels de GRTgaz, sont venus compléter un entretien collectif d’une heure et demi réalisé au mois de mai 2017 auprès de quatre administrateurs d’Energay, ce qui nous a permis d’aborder la problématique homosexuelle dans le monde professionnel sous un angle plus large que celui de GRTgaz tout en restant dans la branche spécifique des Industries Electriques et Gazières.

Pour enrichir ces propos, nous avons décidé d’interroger des salariés de GRTgaz n’étant pas concernés par une orientation sexuelle homosexuelle afin de confronter leur perception avec celle de ceux qui l’étaient directement et dont nous avions pu recueillir le témoignage. Ce panel de six salariés a été établi en accord avec la Responsable Diversité, notre tutrice d’alternance, et a essayé de représenter les différentes strates du management allant du manager de proximité au membre du Comité de Direction. Trois d’entre eux relèvent du cœur de métier de GRTgaz puisqu’ils appartiennent à la Direction des Opérations tandis que les trois autres sont rattachés à des directions supports. Il importe également de préciser que l’une des six personnes interrogées n’exerce pas de fonctions managériales mais a été sollicitée en raison de son appartenance au réseau des femmes de GRTgaz au sein duquel elle est particulièrement active. Si l’anonymat n’était pas une condition sine qua non à ces entretiens, nous avons malgré tout modifié les prénoms, si ce n’est celui de la Responsable Diversité, dont le poste spécifique rend l’identification inévitable.

Ces salariés ont été interrogés selon une grille d’entretien similaire à celle qui a été utilisée pour les personnes homosexuelles si ce n’est que les questions orientées sur le vécu en tant qu’homosexuel ont été posées du point de vue de la perception et non pas de l’expérience personnelle. Réalisés entre juin et juillet 2017, la durée de ces entretiens a fortement varié d’une personne à l’autre ; certaines entrevues n’ont pas excédé vingt-cinq minutes tandis que d’autres ont duré plus d’une heure. Cela s’explique à la fois par les contraintes professionnelles auxquelles étaient soumis certains salariés et à la fois par la nature même du sujet. En effet, le thème de l’orientation sexuelle étant peu évoqué dans l’entreprise et empreint d’un tabou incontestable, les personnes interviewées avaient parfois le sentiment de n’avoir rien de concret à nous apporter.

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Nous souhaitons rappeler ici que nous sommes parfaitement consciente du fait que les témoignages que nous avons recueillis ne sont pas représentatifs, mais qu’au contraire, ils relèvent d’appréciations personnelles qui s’érigent sur des expériences spatiales et collectives spécifiques ne pouvant en aucun cas être formellement rapportées à l’ensemble de GRTgaz. Par conséquent, nous nous efforcerons de ne pas faire de généralités tout en essayant de définir des tendances générales en croisant les résultats des entretiens, les études statistiques et différents concepts sociologiques. Nous nous excusons par avance auprès de nos lecteurs s’il s’avère que certaines affirmations ou suppositions les dérangent.

Pour finir sur la méthodologie mise en œuvre, nous souhaitons préciser que notre poste de Chargée de mission diversité nous a permis d’assister à certains échanges et d’obtenir certaines informations concernant le critère de l’orientation sexuelle, notamment lors de l’audit de suivi relatif au Label Diversité de l’AFNOR qui s’est déroulé dans les locaux de GRTgaz à la fin du mois de mai 2017. Nous avons donc pris la liberté de mobiliser certains de ces éléments dans notre démonstration.

Dans un premier temps, nous allons nous concentrer sur le processus de socialisation secondaire à l’œuvre dans le collectif de travail qui pose l’entreprise comme une sphère sociale non neutre, ce qui lui assigne une responsabilité en termes d’évolution des mentalités. Dans un deuxième temps, nous allons montrer en quoi occulter le critère de l’orientation sexuelle dans sa politique diversité revient à encourager la reproduction de l’ordre social dominant, ce qui pousse à l’invisibilisation de la minorité homosexuelle. Et enfin, dans un troisième temps, nous mettrons en évidence les enjeux de bien-être et de performance que recouvre la diversité qui apparaît comme un véritable atout en termes de marque-employeur.

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I - L’entreprise : une sphère sociale non neutre

Dans L’Identité au travail (1977), Renaud Sainsaulieu conçoit l’entreprise comme un lieu d’intégration et de dynamique collective. Au même titre que l’école (Durkheim), l’organisation constitue un espace de socialisation secondaire qui participe à la construction de l’identité des individus. Les valeurs véhiculées par l’entreprise sont donc susceptibles d’avoir un impact sur celles que revendiquent ses salarié(e)s aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du collectif de travail. Du fait de cette fonction structurante, il nous semble que l’entreprise a le devoir de se positionner en tant qu’actrice du changement ; un sujet vraisemblablement inexistant dans l’organisation ne nous semble pas pouvoir être éclipsé alors même qu’il provoque des tensions au sein de la société. Par conséquent, dans cette première partie, nous allons démontrer en quoi le processus de socialisation secondaire à l’œuvre dans le collectif de travail assigne à l’entreprise une responsabilité en termes d’évolution des mentalités, qui conduit le critère de l’orientation sexuelle, malgré son caractère imperceptible, à avoir sa place dans la politique diversité déployée.

A. Un incontestable lieu de socialisation

Lors de son immersion en tant qu’ouvrier en milieu industriel, Sainsaulieu a témoigné d’une expérience sociale dans laquelle la force des coutumes professionnelles s’impose aux individus qui finissent par se conformer au groupe et par masquer la différence qui pourrait les en exclure. Il affirme que le salarié intègre progressivement les normes, les valeurs et les représentations du collectif, démontrant ainsi la force constituante de la socialisation secondaire que constitue l’organisation. Or, si l’impact de l’entreprise en termes de construction identitaire est à nuancer, il s’avère néanmoins incontestable.

1. La notion de culture d’entreprise

En effet, toute organisation constitue un environnement spécifique, un lieu d’apprentissage et de définition de soi au sein duquel on évolue et on se construit ; parfois en adhérant aux valeurs véhiculées, parfois en s’y refusant, parfois en essayant de les bousculer, mais jamais sans pouvoir en faire abstraction. Comme le rappelle Maurice Thévenet (2015 : p.123), « la culture est une réalité de l’organisation ; elle procède d’un processus naturel, propre à toute société humaine qui tend à créer ses propres références à partir de ses expériences ». La notion de culture d’entreprise renferme donc un ensemble de valeurs, de mythes, de rites, de tabous et de signes partagés par la majorité des salariés. Ils sont ancrés dans un passé commun et conditionnés par un présent tourné vers l’avenir, autrement dit, la culture d’entreprise est soumise aux évolutions du monde qui l’entoure, aussi bien internes qu’externes. Elle est donc contrainte à évoluer, que ce soit par petites touches ou de manière radicale, et ce bien qu’elle reste soumise à la force d’inertie de ses

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principes initiaux et de ses caractéristiques structurelles comme le souligne Claire à propos de GRTgaz : « On sent qu'on est une entreprise un petit peu historique avec un modèle très paternaliste etc. et puis on est costaud quand même, on est 3000 donc pour faire bouger les choses ça prend du temps. »

Mais même si donner une nouvelle orientation à la culture d’entreprise peut prendre du temps, il paraît indéniable qu’une organisation qui veut survivre et rester compétitive dans le contexte actuel ne peut faire abstraction des évolutions de la société et se doit d’être pionnière en la matière. GRTgaz semble l’avoir bien compris, même si son modèle traditionnel, comme le rappelle très justement Claude en la décrivant comme « l’archétype de l’entreprise française, technique, masculine », peut freiner cette évolution. Mais il importe de rappeler que si GRTgaz évolue lentement, c’est au même titre que la société française ou que tout autre groupe social qui s’avère inévitablement confronté à la résistance au changement de ses membres en dépit des faits nouveaux qui peuvent survenir (Maisonneuve, 2014). Ainsi, lorsqu’on échange avec Gaëlle, Responsable Diversité de GRTgaz, à propos du critère de l’orientation sexuelle, elle met en lumière ces résistances tout en soulignant les progrès de l’entreprise en matière de diversité :

« Je pense qu’on a un peu de temps avant que ce soit complètement accepté et que ce soit… comme dans la société de manière générale, je pense qu’aujourd’hui, même si c’est beaucoup plus accepté, surtout dans certains quartiers, ou villes, ou lieux, on est loin de considérer ça comme quelque chose de naturel. Donc avant que ce soit le cas à GRTgaz je pense qu’il y a un peu de chemin quand même. Mais je suis optimiste. Avec la tournure que la diversité a pris ces dernières années, je ne dis pas forcément dans les chiffres mais en tout cas dans les engagements, dans l’ensemble des actions, et l’implication quand même d’un bon nombre de salariés, je suis optimiste sur le fait qu’on peut travailler sur le sujet assez rapidement. »

En effet, depuis 2014 et ses premiers engagements en matière de diversité, GRTgaz a mis en place une véritable politique d’ouverture comme en témoigne le Projet d’Entreprise 2020 qui en fait une de ses quatre valeurs fondamentales. Au cours des entretiens réalisés avec une quinzaine de collaborateurs dans le cadre du renouvellement du Label Diversité de l’AFNOR, nous avons pu constater à quel point les salariés percevaient une évolution sur ce sujet, et ce même si GRTgaz reste ancrée dans un modèle « classique » et « traditionnel » qui produit une expérience de la différence douloureuse (Eribon, 2001).

2. L’évidence du modèle nucléaire

Au-delà de la dimension profondément hétérocentriste de la société française, notion sur laquelle nous reviendrons plus tard, GRTgaz reste une organisation fortement conditionnée par son histoire et son cœur de métier, régie par un modèle traditionnel à dominance manichéenne comme le déplore Aurélien lorsqu’on l’interroge sur la capacité des homosexuels à embrasser une carrière managériale à GRTgaz :

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« On a un peu du reste de l’ancien monde. Je suis sûr de ça. Ils veulent travailler avec des gens qui sont politiquement prévisibles… et puis on est dans un monde d’ingénieurs, globalement, la relation aux valeurs est une relation qui est simple, il y a des choses bien et il y a des choses pas bien, point, c’est comme une machine, elle marche ou elle ne marche pas, voilà. […] A compétences égales, on préférera quelqu’un qui rentre dans la norme et qui a la bague à cet endroit-là. Elle est importante la bague à cet endroit-là, c’est un véritable élément de reconnaissance sociale, si tu as la bague à cet endroit-là et que tu as un certain âge, c’est que tu es marié, que tu as une famille, que tu es prévisible. »

La plupart des salariés que nous avons rencontrés admettent le fait que GRTgaz favorise un modèle familial classique, d’abord à travers les nombreux avantages associés aux couples et aux enfants, mais aussi à travers la violence symbolique (Bourdieu, 1998) inhérente aux discussions quotidiennes informelles, qui pèse sur ceux qui ne correspondent pas à ce modèle dominant, qu’il s’agisse des homosexuels, des célibataires ou même de personnes confrontées à des difficultés de procréation comme en témoigne Claire :

« J’ai connaissance d’une personne qui est en couple, […] ils cherchent à avoir un enfant et ils n’y arrivent pas. […] Je sais qu’elle souffre de ce modèle dominant « je suis en couple, j’ai des enfants ». Elle ne le perçoit pas comme une agression mais elle se sent un peu envahie par ce modèle-là. Elle essaye d’avoir un enfant et elle n’y arrive pas, et ça arrive régulièrement qu’on lui demande « bon et toi c’est pour quand ? Vous n’avez pas envie ? » alors que si justement elle en a très envie mais ce n’est pas aussi simple pour tout le monde. Donc là, dans le cas d’une personne hétéro… pour la communauté LGBT ça ne doit pas être simple. »

Ces propos nous permettent de comprendre à quel point l’évidence de la famille nucléaire place les collaborateurs qui ne s’insèrent pas dans ce modèle classique dans une misère de position (Bourdieu, 1993) à l’origine d’une indéniable forme de souffrance psychologique. Pourtant, malgré la domination indiscutable de ce schéma traditionnel, sombre constat auquel s’ajoute celui de l’invisibilité des minorités dans leur ensemble, GRTgaz s’attache à faire bouger les lignes et à bousculer les codes établis.

3. Un engagement formalisé en matière de diversité

En effet, à la suite de nombreuses entreprises pionnières, GRTgaz s’est engagée en matière d’égalité des chances, de luttes contre les discriminations et de promotion de la diversité ; le Label Diversité de l’AFNOR qu’elle a obtenu en décembre 2015 en est la preuve incontestable, et ce même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, en particulier sur les sujets les plus sensibles. GRTgaz s’est d’abord intéressée aux critères de discrimination soumis à une obligation légale, notamment à l’égalité hommes-femmes, qui s’avère être une problématique inhérente au cœur de métier de l’entreprise comme le rappelle Claude :

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« Quand on rentre dans l’entreprise, et sur vraiment beaucoup de sujets, on n’est pas une super image de la diversité. Le gros boulot il est sur hommes-femmes parce qu’on est orienté technique, on ne va pas se leurrer, c’est à l’image aussi de la société française, dans les sorties d’écoles, il y a plus d’hommes que de femmes, mais après, tout ce qui est diversité autre, on n’est pas un modèle du genre quoi… »

Ainsi, tout en soulignant les efforts engagés par l’entreprise en matière d’égalité professionnelle, Claude rapporte la dure réalité concernant la diversité de la population de GRTgaz. Pourtant, les salariés interrogés dans le cadre de l’audit de suivi du Label Diversité constatent une progression en la matière, notamment sur l’accès des femmes à des postes qui leur étaient jusqu’ici inaccessibles, l’intégration des collaborateurs en situation de handicap ou encore la diversification des origines ethniques des nouveaux entrants. Gaëlle, Responsable Diversité, met d’ailleurs l’accent sur cette évolution notable :

« C’est depuis qu’on travaille sur le Label que la diversité a vraiment décollé… ça ne fait pas si longtemps, ça fait 3-4 ans et beaucoup de choses ont progressé. Et tu vois, c’est assez drôle parce que j’ai eu beaucoup de réactions des organisations syndicales qui disaient "toute façon le Label, c’est un affichage". C’est vrai qu’il y avait une partie de ça, mais j’ai toujours [insisté sur le fait que] d’un autre côté ça [allait] nous pousser à faire des choses qu’on n’aurait pas faites si on ne s’était pas engagé dans la démarche. Bien sûr, j’étais persuadée de ça mais je ne pensais pas que ça allait nous permettre de faire tant de choses. »

Bousculer les usages et modifier les habitudes est un travail de longue haleine. Essayer de changer les mentalités dans une entreprise où selon les propos de Laurent « on est dans un monde un peu à part, dans un cocon [où on] vit bien entre nous, [où] on n’a pas une ouverture sur le monde qui est très forte », cela prend du temps. Mais GRTgaz semble prête pour le chemin qui lui reste à parcourir comme en témoigne ses nombreuses actions en termes de diversité et le renouvellement de ses engagements en la matière portés par le Directeur Général lui-même. Il nous semble donc que malgré la persistance de nombreux freins, GRTgaz accepte d’embrasser la position d’actrice du changement qui lui incombe. Ainsi, tout en évoquant la satisfaction qu’il éprouve à voir l’entreprise s’aventurer sur le terrain glissant que constitue le critère de discrimination « touchy » qu’est celui de l’orientation sexuelle, Aurélien résume en ces termes ce que nous estimons être l’obligation morale de l’entreprise qui nous pousse à affirmer qu’un critère de discrimination occulté par le silence mérite malgré tout sa place dans la politique diversité à l’œuvre :

« Je pense que les entreprises ont un rôle sociétal. On ne peut pas… qu’on soit libéral ou qu’on soit de gauche, on ne peut pas dénier ce rôle-là aux entreprises. Ce sont des lieux qui forment, qui forgent et qui répandent des valeurs communes, des façons de voir communes. Donc je crois que c’est très important, je suis très content de voir que [le sujet de l’orientation sexuelle] commence à se débloquer. »

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B. L’expression des formes d’occultation du sujet

Ce verbe pronominal, « se débloquer », est cependant peut-être un peu fort pour décrire ce qui entoure aujourd’hui le critère de l’orientation sexuelle à GRTgaz. En effet, si la Responsable Diversité souhaite agir sur ce pan de la diversité, une volonté déjà concrétisée par une affiche de sensibilisation et un module de formation via un serious game, elle se heurte à un obstacle de taille : le tabou inhérent au sujet, terme qui a été mobilisé à de nombreuses reprises lors des entretiens semi-directifs que nous avons réalisés. Mais un sujet occulté spontanément et collectivement doit-il être délaissé pour autant ?

1. Un tabou fortement enraciné

D’après le Trésor de la Langue Française informatisé, le tabou est un « interdit d’ordre culturel […] qui pèse sur le comportement, le langage, les mœurs », autrement dit, c’est une « règle d’interdiction respectée par une collectivité20 ». Il semble que la question de l’orientation sexuelle au sein de GRTgaz corresponde à cette définition, ce que confirment les propos de Laurent qui nous explique comment le sujet a été accueilli par le Comité de Direction il y a deux ans lors de l’élaboration de l’enquête sur les stéréotypes et les préjugés :

« Ce qui m’a frappé, on parlait de l’orientation sexuelle [après avoir notamment parlé des femmes, du handicap et des diplômes], et là c’était un sujet "mais de quoi tu parles ?". C’est sale, on ne parle pas de ça. […] Et là, autant sur l’égalité professionnelle on pouvait déconner […] mais ce sujet-là c’était vraiment le tabou, on sentait qu’on avait touché un truc qui était non abordable… pour moi c’était le pire. […] On n’en parle pas, c’est un sujet qu’on n’aborde pas. Quand on commence à l’aborder je pense que ça gêne plutôt les gens qu’autre chose. C’est un non sujet en fait. »

Si quelques questions de l’enquête ont finalement pu s’orienter sur ce critère, c’est un sujet qui reste globalement évincé des discussions et des actes et ce d’autant plus facilement que GRTgaz représente un milieu très masculin21 qui prédispose à une vision particulièrement hétérocentriste où « la société est considérée sous le prisme de l’hétérosexualité, rendant ainsi invisible le non viril dont les femmes et les gays » (Falcoz, 2008 : p.45). Cette représentation du monde dominante au sein de GRTgaz est confirmée par l’omniprésence de la problématique d’égalité professionnelle qui s’impose par sa résonnance sociale et politique et par les obligations légales qu’elle induit, mais aussi par l’invisibilité de la communauté homosexuelle que nous supposons symptomatique d’un climat peu favorable au dévoilement. En effet, le

20http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=4077686385; 21Au 31/12/2016, les femmes représentent 22% de l’effectif statutaire actif.

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critère de l’orientation sexuelle constituant un stigmate invisible (Goffman, 1963) il est d’autant plus facile de le reléguer au rang de « non-sujet » et ce d’autant plus lorsqu’il ne fait pas parler de lui.

2. Une invisibilité signifiante

Comme le souligne François, le thème de l’orientation sexuelle n’est jamais évoqué à GRTgaz, « ni en bien ni en mal ». C’est un sujet qui n’existe pas, un sujet qui n’a pas sa place, un sujet purement et simplement occulté. On n’en parle pas. Jamais. Sur les six personnes non homosexuelles que nous avons interrogées, les quatre n’ayant aucun lien direct avec la mise en œuvre de la politique diversité nous ont fait part de leur surprise en recevant cette invitation à un entretien sur la thématique LGBT. Pierre décrit en ces termes la façon dont il a réceptionné le mail l’invitant à échanger avec nous sur ce sujet :

« J’ai été super étonné. J’ai cru que c’était mon chef qui me faisait une blague au départ. Oui, comme quoi c’est horrible… j’ai vraiment pensé que c’était une blague. Comme quoi il y a du travail. Mais sans aucune méchanceté, attention. Encore une fois, quand on parle de différence, de diversité, on ne pense pas à ça, du coup j’ai beaucoup réfléchi depuis que j’ai eu ce rendez-vous, c’est vrai que… quelle honte même d’avoir pu penser ça de ma part. Il m’aurait convoqué pour le même type de réunion pour l’égalité hommes-femmes, je ne me serais pas dit ça. C’est horrible hein, c’est horrible […] On n’en parle pas, comme quoi il y a du travail. Et… c’est étonnant parce que dans le reste de la société, aux actualités tout ça, on en parle… beaucoup faut pas exagérer mais on en parle normalement quoi, pas besoin d’attendre le journal à minuit ou 1 heure du matin… mais au boulot, voilà, je suis tombé des nues. Encore une fois, l’entreprise, par rapport à quelques années, fait beaucoup de choses sur la diversité, mais sur l’orientation sexuelle, rien. »

Cette réaction confirme à quel point le sujet n’est pas reconnu en tant que tel au sein de GRTgaz. Or, il nous semble que l’occultation de ce critère soit symptomatique d’un environnement professionnel peu propice au dévoilement des salariés homosexuels qui souhaiteraient pouvoir être eux-mêmes au sein de leur collectif de travail. En effet, même si aucune situation de discrimination liée à l’orientation sexuelle n’est connue, la non-visibilité des homosexuels à GRTgaz nous semble être suffisamment significative. S’il n’existe « rien de fiable statistiquement et nationalement » (Falcoz, 2008 : p.150) et que les estimations diffèrent selon les choix méthodologiques, nous avons choisi de nous référer au chiffre mis en avant par Jacques Corraze (1996) et repris notamment par le guide pratique d’IMS Entreprendre pour la Cité (2012) qui estime que 7% de la population française est d’orientation homosexuelle. En nous référant à ce taux et en prenant en compte le fait que GRTgaz emploie près de 3000 salariés, nous en arrivons à la supposition selon laquelle un peu plus de 200 collaborateurs de l’entreprise seraient concernés ; sans compter ceux qui le sont indirectement soit ceux qui ont un parent, un frère ou encore une sœur d’orientation homosexuelle et qui ne se sentent pas

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libre de le mentionner librement au sein de la sphère professionnelle. Par conséquent, bien qu’il faille accorder un crédit très relatif à ce résultat statistique, 200 collaborateurs de GRTgaz sont potentiellement homosexuels alors même qu’à notre connaissance22, aucun n’est visible au sein de l’organisation. Cette invraisemblance est ainsi analysée par Claude avec un brin de stupéfaction :

« En 15 ans j’ai peut-être rencontré une ou deux personnes qui avaient une orientation sexuelle différente. Ce n’est pas énorme, en 15 ans d’activité, […] dans une boîte de 3000 personnes, ce n’est pas énorme. […] Forcément, 3000, on est représentatif, ça fait peut-être, allez, 200 personnes. Voilà, je ne connais pas 200 personnes homosexuelles, même pas une ! […] C’est se voiler la face de se dire « non ça n’existe pas ou pas chez moi », ça veut dire qu’il y a 200 salariés en stress à GRTgaz… ouais, potentiellement, 200 salariés de GRTgaz ne se sentent pas bien dans leur vie, enfin dans leur vie peut-être mais pas au travail. »

Il nous semble évident que la non-visibilité des homosexuels au sein de GRTgaz ne signifie pas qu’il n’y en a pas dans l’entreprise mais plutôt qu’ils sont réticents à se dévoiler. Quand on échange avec Fabien sur les difficultés inhérentes au fait d’être homosexuel dans l’organisation, il n’évoque ni homophobie ni discrimination mais souligne l’invisibilité de sa minorité et les freins que cela induit quant à son éventuel dévoilement auprès de son collectif de travail :

« Je me dis toujours que je suis le seul homo à GRT. C’est vrai qu’entre guillemets, s’il y avait d’autres personnes comme moi, je me sentirais moins seul et peut-être que ça m’ouvrirait plus facilement. Là j’ai l’impression d’être tout seul donc je n’ai pas envie d’être une bête de foire ou j’en sais rien, tu vois… »

L’invisibilité s’entretient donc d’elle-même. L’environnement de travail peu favorable au dévoilement couplé au sentiment d’être le seul membre de cette minorité ne favorise pas la visibilité des homosexuels à GRTgaz, bien au contraire. Il nous semble que c’est à l’entreprise de prendre en main le sujet afin de lever le tabou qui l’étouffe et de rendre possible et sans risque le dévoilement des salariés qui le souhaitent.

3. Une association LGBT méconnue

Or, nous constatons qu’au sein de GRTgaz, ce qui entoure le thème de l’orientation sexuelle est méconnu, aussi bien auprès des salariés qu’auprès de la Direction. Excepté les deux salariés homosexuels dont nous avons obtenu le contact via Energay et qui s’avèrent être les seuls adhérents rattachés à GRTgaz, l’immense majorité relevant du monde de l’électricité23, aucune des personnes que nous avons rencontrées en entretien

22Rappelons néanmoins que nous n’avons qu’une vision partielle de l’organisation à ce sujet. 23Soit du groupe EDF et de ses filiales.

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ne connaissait l’existence de cette association LGBT des IEG. La Direction de l’entreprise et les membres du réseau diversité eux-mêmes ne la connaissait pas comme en témoignent les propos de Gaëlle lorsqu’on l’interroge sur l’éventualité de communiquer en interne sur l’existence d’Energay :

« On l’a découvert ensemble, et c’est bien. Je pense effectivement que le fait de montrer qu’il y a quelque chose qui existe au sein des IEG, se raccrocher à quelque chose ça peut aider les personnes qui sont concernées à… déjà à en parler, à partager leur expérience et du coup augmenter un petit peu la communauté et favoriser ce sujet-là. Peut-être que… je ne sais pas comment il faut qu’on travaille là-dessus mais peut-être que communiquer, ça montrera que GRTgaz le favorise et appuie ses salariés sur cette thématique-là. »

Si ces propos attestent de la méconnaissance de l’association au sein de GRTgaz, ce que confirme le Président en déclarant que « 15 ans après, beaucoup de salariés LGBT des IEG ne connaissent pas Energay », ils attestent surtout de l’omission du sujet à GRTgaz. En effet, si la thématique LGBT avait sa place dans la politique diversité de l’entreprise, l’association aurait probablement la sienne. En effet, si nous nous attardons sur le cas d’EDF, nous constatons que l’entreprise est très engagée sur le critère de l’orientation sexuelle comme en témoigne le fait qu’elle ait signé la Charte d’engagement LGBT de l’Autre Cercle en décembre 2015. Or, la grande majorité des adhérents d’Energay sont salariés d’EDF, ce qui nous pousse à supposer qu’un engagement explicite de l’entreprise sur le critère de l’orientation sexuelle permet de favoriser la visibilité, aussi bien celle de l’association que celle des salariés homosexuels. Aurélien résume ce constat en ces termes : « la visibilité d’Energay à GRTgaz est égale à 0 mais elle est égale à 0 à la hauteur de la problématique des LGBT à GRTgaz. À GRTgaz, la visibilité étant à 0, Energay est visible à 0. »

Adhérent à l’association depuis sa création en 2002, date à laquelle il n’était pas salarié de GRTgaz mais d’une filiale du groupe EDF, Aurélien a toujours considéré qu’il était important de lui donner de la légitimité en cotisant annuellement, ce qui ne l’empêche pas de rester frileux vis-à-vis de sa potentielle visibilité : « je ne donne pas mon nom en visible, je donne mon ombre. Je donne mon +1 à l’association, […] donc ça fait un poids, c’est important, c’est une représentation. Donner mon nom, non. Je n’ai pas envie que les gens de GRTgaz le sachent, en tout cas je ne veux pas qu’ils l’apprennent comme ça, pas là ». Ces propos traduisent la volonté d’Aurélien de rester cacher vis-à-vis de son collectif de travail, ce qui tend à confirmer l’absence d’un climat propice au dévoilement à GRTgaz. En effet, le tabou, l’invisibilité et la méconnaissance qui entourent ce critère de discrimination témoignent d’un véritable malaise, d’autant plus important dans une entreprise dont le modèle reste profondément patriarcal et androcentrique. Par conséquent, il nous semble indispensable que le critère de l’orientation sexuelle ne soit pas occulté par le silence à GRTgaz, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’une organisation qui souhaite aussi lutter contre le sexisme.

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C. Sexe et homosexualité : un lien inextricable ?

En effet, le sexisme et l’homophobie sont deux conduites discriminatoires qui s’appuient sur la « division par sexes » de la société qui implique des « attentes collectives » différentes à l’encontre des hommes et des femmes (Mauss, 1924). Ces deux attitudes sont donc étroitement liées aux stéréotypes de genre et aux rapports sociaux de domination (Bourdieu, 1998) institués par une vision androcentrique de laquelle découle une vision hétérocentriste considérant le monde sous le prisme de l’hétérosexualité. Il s’agit donc de démontrer en quoi prendre en considération le critère de l’orientation sexuelle au sein d’une politique diversité permet plus largement de lutter contre le sexisme et ses mécanismes. Cette analyse va essentiellement s’appuyer sur la parole de Bourdieu, qui malgré ses propos parfois un peu datés et souvent sujets à controverse nous semble particulièrement éclairants et adaptés à notre démonstration.

1. La domination masculine

Avec seulement 22% de femmes dans ses effectifs au 31 décembre 2016, GRTgaz apparaît comme une entreprise très masculine au sein de laquelle l’accès des femmes aux postes à responsabilité et leur présence dans les métiers techniques constituent une problématique majeure. Si de nombreuses actions sont engagées en la matière, nous constatons que l’ordre symbolique de domination des hommes sur les femmes reste une croyance collective forte (Bourdieu, 1998) comme en témoigne Aurélien lorsqu’il nous évoque l’expérience d’une collègue lesbienne :

« Les femmes sont encore plus prudentes. Je pense que c’est encore plus difficile pour les femmes. On est dans un milieu qui est sexiste à la base, ça par contre, la manifestation du sexisme, autant la manifestation de l’homophobie c’est devenu difficile aujourd’hui, c’est presque aussi difficile d’être homophobe que d’être antisémite donc les gens font gaffe, même ceux qui pourraient avoir tendance à ne pas être à l’aise. Le sexisme, les blagues sexistes sortent beaucoup plus facilement que les blagues homophobes. Et on sent que chez certains, elles sont très ancrées dans quelque chose de normal. »

La perpétuation des rapports sociaux de domination entre les sexes s’avère donc évidente à GRTgaz et rend d’autant plus problématique la visibilité des lesbiennes au sein de l’entreprise. En effet, au-delà de vivre une première discrimination en tant que femmes, si elles procèdent au dévoilement de leur orientation sexuelle homosexuelle elles seront probablement confrontées à une deuxième forme de discrimination en tant que lesbiennes. Elles sont donc soumises d’office à l’effet cumulatif des critères de discrimination, ce que Kimberlé Crenshaw (1989) a défini par le concept d’intersectionnalité.

Références

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chambre (f) = rum; valise (f) = resväska; sac (m) = väska; clé (f) = nyckel; stylo (m) = bläckpenna; crayon (m) = blyertspenna; poche (f) = ficka, trousse (f) = pennfodral;

Notre travail de bachelor a donc pour objet de proposer des hypothèses, de s’interroger et de chercher à comprendre les différences et les points communs entre