THE
UNI VERS ITY
OF CHICAGO
LIBRARY
-V
HISTOIRE
DE L'ABBAYE ROYALE DE
SAINT-MARTIN DU CANIGOD
(diocèse de Perpignan)
Par
leGtianoine François FONT
CURÉ DESAINT-JOSEPH (PERPIGNAN)
Honoréede cinqLettresEpiscopalesetdeGénérauxd'Ordre Et couronnée parlaSociétéarchéologique,scientifiqueetlittérairedeBériers
iPremierprix:Grandecouronne delaurierenargent)
SUIVIE
DE LA LÉGENDE ET DE L'HISTOIRE
DE L'ABBAYE DE SAINT-ANDRÉ D'EXALADA
.
^i PAR LE MÊME AUTEUR
Cibaintnospanelacryaiariim,et posiiitnos in contraditionem vici- nisnostris. (Ps.LXXV.)' Ilnous a nourridupaindes'larmes et nous a exposé aux attaques de nosvoisins.
PERPIGNAN
IMPRIMERIE DE CHARLES LATROBE
i.
Rue
des Trois-Rois, ii 1903
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DE L'ÂBBAYE ROYALE
DE SAINT-MARTIN DU CANIGOD
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/ HISTOIRE
DE L'ABBAVe ROYALE DE
SAINT-MARTIN DU CANIGOU/
(diocèse de Perpignan)
Par
leChanoine François FONT
CUIÎÉDESAINT-JOSEPH (PERPIGNAN)
Honoréede cinqLettresEpiscopalesetdeGénérauxd"Ordre Etcouronnée parlaSociétéa^cl^éologique, scientifiqueet littérairedeBériers
\Premierprix:Grandecouronne delaurierenargent) SUIVIE
DE LA LÉGENDE ET DE L'HISTOIRE
DE L'ABBAYE DE SAINT-ANDRÉ D'EXALADA
l^AR LE MÊME AUTEUR
Cibavitnospanelacrymarvni,et posaitnos in contraditioneni vici- nisnostris. (Ps.Lxxv.l
Ilnousa nourridupain des larmes et nous a exposé aux attaques de nosvoisins.
PERPIGNAN
IMPRIMERIE DE CHARLES LATROBE
1,
Rue
des Trois-Rois, i1903
UNIVERSITE
Vi
OF CHICAGO
A LA MÉMOIRE
DU GRAND POÈTE
JACINTO VERDAGUER
rAiiieiit
du poème
CanigoLETTRE
de PIgp de Carsalade du Pont, évêque de Perpignan
Mon
cher Monsieurle Curé,Je bénisdetoutcœurleprojetque vousavezforméd'écrire l'histoire de l'Abbaye de Saint-Martin du Canigou. Cette histoire vient àson heure;ell-es'impose ence momentoù la vieille etcélèbreabbayeserelèvedesesruines.Faireconnaître ses origines, son
développement, son action religieuse et socialedansle diocèse d'Elne,n'est-ce pas rendre ces ruines plus vénérablesencore et attirer vers elles les regards des généreux fidèles. L'historien de Saint-Michel deCuxa était d'ailleurs tout désigné pour écrire l'histoire de Saint-Martin du Canigou; après avoir célébré la mère vous célébrerez lafille; vous aurez ainsi raconté l'histoire d'une grande et illustre famille monastique. Votre second livre trouvera, je n'endoutepas, auprès dupublic,la faveur quelepremier y a rencontrée.
Encore une foisjebénis l'ouvrieret sonœuvre; etpuisque vous avez la pieuse intention de consacrer à l'œuvre de restaurationquej'aientreprise leproduit delaventede votre livre, je souhaite de tout
mon
cœur que le succès le plus complet couronnevotregénéreuxdessein.Agréez,
mon
cher Monsieurle Curé, lanouvelle assurance demes sentiments affectueux etdévouésen Notre-Seigneur.f JULES, évêque de Perpignan.
LETTRE
de Monseigneur l'Évêque d'Urgel (Espagne)
RÉVÉREND DOM FRANÇOIS FoNT,
Curiidelaparoisse deCodalet.
Grande a été
ma
satisfaction, très cheret très estimable Monsieur, en recevant votrelettre etles deuxmanuscritsqui contiennentl'histoire des anciens monastères de Cuxa etde Saint-Martindu Canigou.Alors queles ruinesdecesdeuxcélèbresAbbayes allaient enpartie disparaître, vous ne pouviez rienfairede mieux,ni consacrerles momentslibresque vouslaisse votre ministère sacré àchose plus digne qu'à présenter à lagénération pré- sente, dont les pensées visent presque toutes la terre, ce doublemonumentde vertuetde sainteté.
C'estd'abord àCuxa, en effet,que brillaavec unegrande renomméede sainteté son Abbé Protase, ancien archidiacre d'Urgel, lequel avec la bénédiction de son évêque, était allé en toute hâtese réuniraux cinq moines échappés àla catastrophedumonastère deSaint-Andréd'Exalada,lepremier fondé dans leConfient,etavec euxs'étaitrendu auprèsduroi
Charlemagnepourluidemanderavecsa protectionlapermis- sionde construiredanslavallée de Cuxa le monastère dont
ildevintlepremier Abbé.
Vous êtesdansle vrai, trèscherettrèsestimableMonsieur, lorsquevous dites qu'à Cuxa et à Saint-Martin du Canigou
brillaunemagnifiquesuccessiond'Abbésetde moines,lesuns
etlesautres remplisdesaintetéetdontlarenomméeattirades personnages
même
d'Italie. C'est,eneffet,verslasolitude de lapremière de ces deux Abbayesqu'accourut PierreUséolo, dogede Veniseetroide Dalmatie, devenu unsi grandsaint, ainsiquele vénère l'Eglise. Là encorevint le fondateur des Camaldules, le grand patriarche saint Romuald,qui essaya dansune forêt les commencementsde son ordre érémitique.
XI Là,le comteOUba,l'un des plusgrandspersonnages de son temps,converti parsaintRomuald, consacraàDieu deuxde ses enfants, tandis qu'untroisième, lecomte Guifred devait fonder le monastère de Saint-Martin du Canigou, s'y faire moine, devenir un sujet héroïque d'édification et mourir
comme
meurentles saints,etqueunquatrième devait devenir archevêque de Narbonne,aprèsque sonpèrefutallése retirer surle montCassinoù il prit l'habit religieux et mourut en grande odeur desainteté.Vous avez eu lasainte inspiration de tirer de l'oubli tous cesexemples de A'ertu et beaucoup d'autres quine pourront qu'inspirer des pensées généreuses, sinon à la génération présente, incréduleet matérialiste,du moinsà cellequisuivra,
mieuxinstruiteparléschâtimentsdivins.
Jesuis profondément convaincu que Cuxaet Saint-Martin du Canigounesontpascondamnésà disparaîtrepourtoujours.
Vous,avec vosdeuxhistoiressiintéressantes,vousnousfaites reparaîtrel'esprit de ces deuxmonastères,et j'espèreque la lecturedel'unetdel'autre fera naîtredans descœursgénéreux
ledésird'éleverdenouveauces niurs sacrésetde lespeupler d'anges souslaforme humaine.
En
attendant,jevous félicite avectoutmon
cœurd'évèque pour cesdeuxsavantes Histoires quejerecommande à tous mes prêtres et pour lesquelles je vous souhaite le plus heureuxsuccès.tJoseph,Evêqued'Urgel.
Rome,le2gjuin 1878.
LETTRE
de Son Eminence le Cardinal Plaeide-Marie Schiaffino Ancien EvêquedeNyssa
etancien Supérieur général delaCongrégation de Mont-Olivet del'Ordrede Saint-BenoîtàRome
Mon
CherAbbé,Je viensdelirevotrebel ouvragesur lacélèbreAbbayede Saint-Martin du Ganigouque vous vous proposez depublier prochainement. Je le juge une œuvre d'intelligence et de patience. N'est-il,pas en effet,le résultatde vosnombreuses
etinfatigablesrecherches et le fruitde votre talent qui asu coordonner admirablementtouslesdocumentsrelatifsà cette Histoire.
Je vous félicite de tout
mon
cœur, et suis surtout très heureuxquevotretravailtourneà l'honneur duclergé et au grandprofitde lasociété. Hélas! lasociété est bienmalade.I-esravagespolitiquesetreligieuxouvrent desplaiesdansles cœurs.Dansbien desâmes se fontsentir la nécessité dese retremper danslesilence ducloître, et l'histoire d'unegrande Abbayepourrapeut-être inspirer àquelqu'unlasaintepensée delarelever.
En
tout cas,vous ferezuneexcellenteœuvre en portant les âmes de vosfrères dansunmilieuoùbrilleavec éclat lasaintetédudiscipledesaint Benoît.Recevez,
mon
cher Abbé, les expressions sincères demon
estime respectueuse.
f Placide-Marie, Cardinal.
Rome, 19 mars1880.
LETTRE
du
Rêvérendissîme Abbé du Monastère de Saint-Benoîtdu
Mont-Cassin,MonseigneurNicolasd'Orgemont,à l'Auteur
Chkr Monsieur le Curé,
Je vous félicited'employersinoblementàlarecherche des traditionsdu passéet des documents historiques si chers à l'Eglise et à l'Ordre du grand Patriarche monastique de l'Occident, les instants libres qui vous restent, après avoir donné àvosouailles vossoins empressés.
A
enjugerparles quelquesextraitsque j'ai eus souslesyeux, j'enconclus que votre ouvrage intéresseravivementses lecteurs.Je vousojjre mes félicitations à ce sujet, heureu.x de voirtirerde l'oubli tout ce quitouche à notreOrdre, etvousprie d'agréerl'assu- rance dema
profondeestime.t Nicolas d'Orgemont,O. S. B.
Abbé du Mont-Cassin.
Mont-Cassin,le 25novembre 1880.
LETTRE
de
Dom
AlbertGibelli,Abbégénéral de laCongrégation des BénédictinsCamaldulesMonsieurkt bien cher Curé,
Vos deuxprécieux manuscrits, si savantset siintéressants pourtous les enfants de l'Eglise, doivent intéresser surtout,, tout particulièrement le premier,les fils de saint Romuald,.
humbles héritiersde leursaintPatriarche.
Les pages que vous consacres à ces premières années de notre saint ordre au pied des Pyrénées, sont pour nous les- plus vivantes etles plusémouvantes. Mercinaillefois.
Sivous avez trouvé le secret de nous transporter d'une manièreaussidramatique àcetâged'ordenotrecherinstitut,,
sivousavez trouvé lesecretderaviverdans nosâmesledésir de reproduire les vertus de nos glorieux ancêtres, soyez, assuré que nos bienheureuxfondateurs,saint Benoîtetsaint Romuald,vous obtiendront desgrâces toutesparticulièrespour gouvernerl'importante paroisse confiée àvossoins,et donner à vos fidèles l'exemple des vertus sacerdotales qui ornent votre âme et dont le parfum se répand d'une manière sv naturellesurlespagesque vousavezdaigné m'envoyer,etqut ponten
même
tempsle fruitdevotrepiétéetdevotreprofonde science.Recevez donc, bien chercuré,avecl'expression de
ma
vive gratitude,l'hommagedetoute naasympathieetdemon
profondrespect,vous priant d'agréeren échange des deux si intéres- santes histoires de Cuxaetde Saint-Martin duCanigou, ce volume sur notre monastère de Saint-Grégoire au Celius^
dontje suisletrès humbleauteur.
D.AlbertGibelli, Abbégénéral
delaCongrégation des Bénédictins Camaldules.
Rome,le 12avril iSyo.
EXTRAIT
duRapport surleConcours desMémoireshistoriques etMonographieslocales
de laSociétéarchéologique deBéziers
Cette année, dit M. Noguier, Fauteur du rapport, nous constatons avecbontxeur queles concurrents sont plusnom- breux qued'habitude. Sixmémoiresontétésoumis, dont nous parlerons aussi brièvennent que possible. Il est essentiel cependant dejustifierleclassementqui aété fait.
Une œuvre importante, intitulée Hiùtoite de l'Abbaye totalede Saint-Mattin du Canigou aveccette épigraphe dont l'allusion est par hasard tout à fait de circonstance: Cibdvitnoà
pane
lactymatiin, etpoôiiit noâ in contta- ditîonenivicinîô noàtti-i(Psaumelxxv) « Ilnous a nourridu pain des larmesetnousaexposé auxattaquesde nosvoisins»aobtenulaCouronnedelaurierenargent,l-^rPrix.
Son auteur est M. Font, curé de Codalet et de Saint- Michel de Cuxa.
Nos auditeurspeuventse souvenir que M. Fontaété déjà couronnél'année dernière pour la Monographied'une autre abbayeroussillonnaise.
En matière historique, notre règlenient la'exclut pas les lauréats desprécédentsconcours.
Un
ouvrage nouveau peut obtenir sans inconvénient une nouvelle récompense. Les travailleursqui persistentdanslabonne voie ont droitavant tous lesautresànos encouragements, et les grévistes seuls ne méritent, à nos yeux, ni grâce, ni amnistie, ni surtout d'indemnité.L'histoired'une association,
même
d'une associationmona-calequi avécu près dehuitcents ans, nesauraitêtreindiffé- renteaux amisdes chosespassées. M.Fontnousinitieà son existencereligieusesi
respectable et aussiàtouslesincidents desavieintime.
XVI
Lessources principales auxquellesila puisé sont:
1° Lesdiverses archivespubliques etprivéesduRoussillon;
2° Lesinventaires des titresdel'Abbaye,l'undresséen i58(5
parl'illustrebénédictinJeand'Agullana, visiteurapostolique, etl'autre en 1787parF. Serra, ixotaire de Perpignan, que le Conseil royalde la Provinceavait déléguéàcet effet.
Lesdocumentsinéditssont nombreuxetles
plusimportants sont reproduits in extenso, excellente habitude qu'on ne saurait troprecommander. Laliste complètedes Abbés a pu yêtreétabliesansaucuneinterruptiondepuisl'an1009 jusqu'à 1782, et c'estla base.solide de tout l'ouvrage.Conformément àlarègle démocratique de Saint-Benoît, les Abbés étaient élusparlesuffrage universeldes moines, matsaprèsl'élection
ils exerçaient un pouvoir absolusurleurs électeurs. L'obéis- sance de cesderniers étaitpassive, et le travail des mains prenaitune bonnepartiede leur existence.
Exposéeauxvicissitudespolitiques de la Province, notre Abbayeavaitbesoin,
comme
lesseigneurs laïques, de s'assu- rerdesmoyens dedéfense ;etmalgrécela,ellene put pas se mettre à l'abri ni éviter les coupsterribles que des ennenais acharnésluiportèrentdans des attaques inattendues.Dèssondébut, le monastère de Saint-Martineutlabonne fortune de posséderlesreliquessaintGualdéricqui obtinrent dansle paysun immense succès de dévotion. Le modede leur acquisitionn'est pas sans causer quelque surprise.
En
1004, Guifred, comte de Cerdagne, fondateur de l'Abbaye, envoya desémissaires dansle Haut-Languedocavec mission deseprocurer des reliques à toutprix. Ceux-ci enlevèrent sansscrupule, denuit et avec effraction, le corpsde saint Gualdéric, qui étaitdéposé suivant lesuns dansla crypte de Saint-Sernin de Toulouse,etsuivantles autres dans l'église deViéville.
On
luifitàSaint-Martin uneréception triomphale.Ce n'estpasunfaitunique;ils'est reproduit fréquemment
et en diverslieux.(Voyez Hiàtoizedu Languedoc,t.
v, p.5.]
Cesontlà destémoignages d'unétat particulier desesprits et qui prouvent comment à cette époque la violence des
XVII
mœurs se mêlait aux sentiments les plus exaltés de la foi chrétienne. Lesthéologiensallaientjusqu'àagiter laquestion de savoirs'il estpermisous'ilestdéfendu devolerde saintes reliques. Denosjours,lesauteursdecespieux larcins obtien- draient toutauplus lebénéficedescirconstances atténuantes.
Lesdémêlés deshommes et lesviolences qui s'en suivent, si glorieuses qu'on veuille les faire, sont peu de chose à côtéde leursœuvreslittérairesou artistiques. C'estparcelles-
cique les naionsprouventleur vitalité etqu'ellesperpétuent leur souvenir,
même
après leurdisparition.Aussilesreligieux bénédictinsse recommandent-ilsà notre estime, surtout parce qu'ils ont été deshommes
de labeur intellectuel. Ils ont fondé lascience historique moderne en sauvant de la des- truction les docunients lesplusprécieu.x, et les monuments de tout genre qu'ilsnous ont laissés commandent l'admi- ration.
Sachonsgré àM.Fontd'avoirfait beaucoupd'effortspour mettre en lumière ce qui reste encore du monastère du Canigou. Ila exploré ses ruines et il nous montre l'église abbatiale àpeuprès intacte, dont la date (loog) est certaine, etdont l'architecte,chose bienrare, estconnu.C'estun moine de l'Abbaye
nommé
Scluaet quienfutlepremier Abbé. Ces précisions donnent unvifintérêt aux dispositionsgénérales del'édificeet à tous les détails qui s'y rencontrent. Il enest demême
du clocher,du cloître et des autres dépendances conventuelles. Ses chapiteaux demeurés en place et ceux recueillisauvillage voisin de Casteil mériteraient une étude iconographique plus approfondie, appuyée de dessins ou mieuxdephotolithographies.Au
milieudes ruines de Saint-Martin, derrièrele chevet carréde l'église se voitle tombeau en arcosolium du Comte Guifred quilecreusa deses mains dans un rocher pendant sesannées deretraite. Ilesttaillésuivantlesformesducorps,étroitauxpieds, s'élargissantgraduellement jusqu'auxépaules et
sommé
d'unévasementcirculairepropreà recevoirla tête;enunmot,ilest à lamesure de celui qui devait l'occuperet
XVIII
l'on ditqu'illui servitde cellule etdelit avantde devenir sa dernièredemeure.
L'églisede Casteilarecueillideuxmagnifiques bas-reliefs ennxarbrevenus des tombes abbatiales
;l'un estde i3o8 et l'autrede 1314.Danssontrésorfigureune nappe delin, rareté sansprix, carellea été brodée en 1018parl'épousedu Comte Guifred. Son
nom
est dessiné dans labroderie et faitpartiedu tissu lui-môme. Elle n'a qu'une petite déchirure due à l'indiscrètecuriosité de quelques dames qui voulurent,dans cesdernierstemps,serendre compte dumode detissageem- ployé.
La calligraphie était cultivéeà Saint-Martin
comme
dans toutesles maisons de l'Oi'dre.On
peut citerun beau manus-crit survélinet relié en bolsavec des revêtements delames d'argent, décorées au repoussé, enfin un nombre considé- rablesdevolumesin-folio couverts de planches de chêne.
Ces UTerveilles bibliographiques appartenaient à M. De Montpré, dernierAbbé commendataire, etont disparu avec
luidansla tournxente révolutionnaire.
C'estM. de Montpréquivendit,en1785,au DocteurBarrera, lesbainsde Vernet,parceque, est-ildit dans l'acte devente,
ils tombaient enruine. Le brillant succès de cet établisse-
mentthermalajustifiélesespérances desa charité.
N'oublioixspasquel'éducationdes enfants futdetouttemps unedespréoccupations de nosreligieux.DèsleXl^siècleune fondation spécialeavaitpourvuà ce besoin quine futjamais oubliépareux.
Les moralistesontbeaucoupdisserté surles inconvénients delà fortune, et après eux je n'ai pas la prétention d'en dégoûtermescontemporains. Il n'enest pas moins certain qu'elle a aussises conséquences fâcheusespourlesindividus
ainsique pourlesêtres collectifs. Les couvents n'échappèrent pas à cetteloi ;leur âge d'orfut l'âge deleur pauvreté. Les habitants de ces phalanstères chrétiens devenus peu à peu possesseurs de grandespropriétés donnèrentlieuàcebrocard spirituel: « Nihil liabenteô àed oinniapoàSidenteô B^ilsifont
XIX rien, maisilspossèdent tout. La règle primitive se relâcha malgréles e["forts des réformateurs qui surgirent de tempsà
autre.D'autrepart, lacupidité s'ingéniapour lesdépouiller; unpremier amoindrissementrésulta de l'union fréquentede ladignitéd'Abbéàunemenseépiscopale.
La
Commende
futunsystèmeplus déplorable encore, carilsegénéralisa etdura plus de trois cents ans. Lepremier Abbé Commendataire de ce genre, de Saint-Martin du Canigou,futle Cardinal d'Aragon, Aloys, en i5o6; et plus tard,eni54o, le CardinalCésariniremplaçaDonJean Sirach, quijouit,lepremier de tous les Abbés de Saint-Martin, du privilègede lamitre.
Ladistributiondes bénéfices moindres à certains digni- taires delàcommunautédevint aussi très préjudiciable. Ces bénéficiers avaient leurs maisons, leurs domestiques et ne participaientpasàlavie claustrale. Toutescescausesjointes àbien d'autresamenèrent une décadencerapide.
Saint-Martin du Canigou finit par la sécularisation, le 2 septembre 1787. Réduits à cinq et avancés en âge, les
membresduChapitrene purent pas sesoumettre àla nou- velle réformequiétait de rentrerdanslaviecommune.
Enfin nous terminons notre rapport, en adressant à M. Fontdesfélicitationssincèrespouravoirmis au jour,avec une œuvretrèsimportante, des documents nouveaux etiné- dits: c'est l'essentielpourdonnerdel'intérêt àuntravail de ce genre.
M. NOGUIER,
Rapporteur desMémoireshistoriquesdela.Société Archéologique de Béziers.
AVANT-PROPOS
Si
nous nous sommes
détermine à écrire aussi l'Histoire de l'abbaye royale de Saint-Martindu
Canigou, c'est que,aprèsledésirde ressusciterdes souvenirs précieux qui se rattachent à notre pays, elle fait suite à celle si intéressante deVabbaye
de Saint-Michel-de-Cuxa.Le
monastère deCuxa
existait depuis déjà
deux
siècles, lorsque celui de Saint-Martin vit ses fondements posés parune
colonie bénédictineque
l'illustre Guifred,comte
de Cerdagne, avait appelée de ce premier couvent.Les débuts de cette Histoire de l'abbaye
du
Canigou
sont remplis d'intérêtaux deux
points de vue historique et religieux. Ils découvrent, avec des faits frappants,un homme
exceptionnelau
point de vuedu
sacrifice et de l'abnégation,une
2 AVANT-PROPOS
âme
héroïquedans
lapersonne du comte que nous venons de nommer.
Une
choseensuite quiétonne,c'estque, aprèsdes débuts très heureux, cetteabbaye
ait été souvent éprouvée parde
grands malheurs.Des
épreuvesdu
dehors etdu dedans
l'ont,en
effet, assailliependant une
longue duréede
son existence. Elle a été bien prospèrependant un
siècle, car, fondée en 1007, la série de sesmalheurs
acommencé
en II14, date hélas! tropfameuse
de la donation de cetteabbaye
à celle de Lagrasse (Aude) parlecomte Bernard
Guillaume, petit-fils de Guifred; donation arbitraire, faiteau
mépris des prescrip- tions despapes
etdes dernières volontésde
ses fondateurs, et qui futen
réalité le point de départ des troubles et des épreuves de cet infortuné monastère.Malgré
sesmalheurs
et sesmoments
de déca- dence, il a été pourtantune
grande école oiiprimaient la sainteté etla science.
Au
point devue
spirituelcomme au
point devue
séculier,son Abbé
jouissait desmêmes
pri-vilèges
que
celuide
Saint-Michel-de-Cuxa. Il avaitune
juridiction quasi-épiscopale sur ses prêtres et leurs paroissiens, et sa qualitéde
seigneur haut-justicier lui donnait plein pouvoir sur ses vassaux.La commende
et le séquestre hâtèrent la déca-AVANT-PROPOS :>
dence
de cette abbaye. Autant elle avait bien commence', autant elle finit tristement.Sur
son refus d'accepter la réforme, impose'e à l'Ordre bénédictin en France, qui consistait à repren- dre la viecommune,
lepape
et le roi lui impo- sèrent la sécularisation, ce qui arriva en 1787.Elle eutune. durée
de
780 ans.A
cetteabbaye
étaientannexés
les prieurés de Saint-Romain
de Llupia, de Saint-Estève-del- Monastir, deNotre-Dame
de la Garrigue et deNotre-Dame
de Mtidagons.Ses revenus valaient environ 8000 livres:
ceux
desofficiers claustraux allaient depuis 700 jusqu'à 1800 livres.Ces
officiers claustraux étaient à la nomination de l'Abbépendant
les quatremois
ecclésiastiques, etàlanomination
du pape pendant
les huit autres mois.
Parmi
lesdocuments
qui ont servi à lacom-
position de notre Histoire de Saint-Martindu
Canigou,lesuns
sontinédits,et ilssontnombreux
; nos investigations de tout genre les ont dénichésnon
seulementdans
certainsbureaux de
notaires,où
lapoussière et lesverscommençaient
à enfaire leur pâture au détriment de l'histoire, mais aussi,dans
de vieilles armoires, à Casteil, à Vernet, à Corneillaet à Villefranche,etc.; les autres,devenus
la propriété
ou
de nos bibliothèques publiquesou
des archives de la Préfecture et destinés par4 AVANT-.PROPOS
conséquent à passer
au domaine
de la publicité, n'étaient guère plus connus, malgréque
certainsarchivistes et quelques chronologistes les eussent collectionnés,
en un
certain temps,dans
des rayons,pour
faciliteraux
amateurs lemoyen
de les trouver.
Deux
inventaires des titres de l'abbayedu
Canigou, le premierdresséen
1586par le visiteur apostolique, l'illustrebénédictinDom
Jeand'Agul- lana, et lesecond
en 1787, par M'^ François Serra, notaire
de
Perpignan, délégué à cet effet par le Conseil souveraindu
Roussillonau
monastèremême
de Saint-Martinque
les lettres patentesdu
roi et
du pape
allaient séculariser,nous
ont puis-samment
aidé àcomposer
la liste coniplètede
ses Abbés.La
compilation de tous ces documents, parfaite-ment
authentiques et coordonnés chronologique- ment, c'est ce quicompose
notre Histoire.Si
chaque
science a sa langue, si l'histoirene
parle pascomme
la théologieou
l'éloquence de la chaire,nous
croyonsavoirévitéd'empreindre notre style d'une dévotion quintescenciée, etavoirdonné
à notre travail,on
s'en apercevra, son véritable caractère : la simplicité.Nous
terminons ce courtpréambule
quidonne une
idée générale de l'existence huitfois séculairedu monastère
de Saint-Martin, parun mot
sur laAVANT-PROPOS D
montagne
dtiCanigou
et surun
de ses contrefortsoù on
bâtit notre illustre et royaleabbaye
:La montagne du Canigoutire son
nom
de saforme et de sesneigeséternelles: Canum-jugiim.Bellemontagnequiest la têtesublimeetblanchie d'une province. Deloin, elleattire le regardpar sonjet d'une altitude de près de 3.ooo mètres, élancement de granit d'un dessin dont rien au monde ne surpassela puissanceet lapureté; de près, la montagne du Canigou est tout un grand système de forêts mystérieuses, de vallées profondes, d'abîmes, de rochers superposés, de glaciers, de lacs, de cascades, de rivières, un monde entier secache daiTSses flancs.Surla rivedroite d'un desaffluents de larivière de laTet, en unlieugrandioseet sauvage, à égale distance,ou peus'en
faut,delabase et du sommet du Canigou, le comte Guifred ouGuifre,paruneinspiration véritablement hardie,conçutet réalisa leprojetde suspendreuneabbaye; c'étaitentreleciel etla terre,pourainsidire:Abbaye aujourd'hui ruinée, silen- cieuse dans sestristes décombres et que le Canigou semble pleurer. Qui nous donnera un comte Guifred et des âmes éprises d'étude et de silencepour rendrecette abbayeàcette montagne? Cette parure à cette beauté? Cette œuvre de la religion àcette œuvre deDieu?
Un
personnage auguste, d'hier seulementparmi
nous, a senti, à l'occasion d'une longue visite à ces désolantes ruines, sonâme
s'émouvoir, se remuer... Elles lui ontparlé... et lui, épris aussi- tôt d'un sentiment généreux et
du
désir de faire revivre le passé glorieux dont elles sont aujour- d'hui les seules traces, arépondu
: « Jecom-
mencerai à rendreune
partie de cette oeuvreb AVANT-PROPOS
de la religion à l'œuvre dé Dieu, l'église conven- tuelle de ce monastère à cette montagne. » C'est dire
que
le pieux et savant évèque de Perpignan,Monseigneur
de Carsaladedu
Pont, veut relever les ruinesdu
sanctuaire de Saint- Martinpour
redonner à son cher diocèse legrand
pèlerinage sipieusement honoré
par nosvaillants ancêtres.
RECIT PAR UN PÈLERIN
lela prise le leponsionle l'Abbaye le Saiat-HIartiD la Caaipa le 11
Novembre
1902par Monseigneur de
CARSALADE
duPONT
lîVÊQUE DE PERPIGNAN
C'est, sur la blanche route, jusqu'au Vernet, un long et
bruyant chapelet de voitures. L'on est surpris de ne plus retrouver sur cette route l'éternelle poussière dont les bai- gneurs, tous les ans, maudissent les aveuglants tourbillons.
Maisilétait ditque, cejour-là,toutseraitpourlaplusgrande gloire deDieuet laplusgrandecommoditédespèlerins.
On
salue,en passant, l'antique clocher de Corneilla. Mais, au milieu des arbres jaunissants d'où il émerge, sonvieu.x frontdegranit a beausolliciterpluslongtempsnotre admira- tion,nos regardsle quittent bientôt, pourchercherlà-haut, à l'horizon lointainqui se rapproche, surles flancs dentelés du Canigou,un autreclocher quiva êtreleroidelajournée. Levoici, dont lajaune silhouette sedétache tout à coup surle fondsombre delamontagne. Lesinitiéslemontrentdudoigt à leurs voisins: « C'est lui! C'est Saint-Martin! » et tous se plaisent àadmirer lemerveilleuxdécor quefontautour delui lesramificationsprolongéesdes Pyrénées.
Maisdéjàles premières maisons de Vernet-les-Bains nous dérobentlepaysage: lesvoituress'arrêtent; ilfautdescendre
etprendreàpiedle chemindeCasteil.Tantmieu.x!outre que,
8 PRISE DE REPOSSESSION
dansnotrevoiture, il faisaitplutôt froid, l'excursion va enfin devenirpittoresque. Dupittoresque!eh bien!oui, onvanous en servir! C'est dans le pittoresque le plus pur que notre journéetout entièreva sedérouler.
Vousvousrappeler,sansdoute, cecheminqui, duVernet à Casteil, serpente au fond de la vallée, côte à côte avec la rivière.Vousl'aver vuenétéet
jene doute pas que cesoitun bonmoment pourjouir de la beauté d'un paysage. Maisj'ai
toujours trouvé que les paysages d'arrière-saison ont un charmeparticulier, alors que l'automne a missurles feuilles ses teintes depourpre, d'argentoudecuivre.Cettevariété de couleurs que l'on retrouve presque à chaque arbre, impres- sionnele regardetl'âme bienautrement quele vertuniforme del'été. Imaginerdoncdansce sentierde Casteil ainsidiver- sementcoloréparl'automne, des centaines depèlerins,munis de leur sac à provisions, ayant en bandoulière leur gourde, leur jumelle ouleur appareilphotographiqueets'avançantpar groupes bruyants souslesbranches des châtaigniers!
Cependanttout lemondeestarrivéaulieudurendez-vous, surlaplacedeCasteil.
On
attendque l'heureaitsonnéet que tout soit organisé pourpartir en procession vers la « Terre Promise ».On
profitedece courtrépitpourserrerlamainau.x amisetjeterun coupd'œilcurieux surla foulequivousentoure.
Elle est immense: deu.x mille personnes. Il y a du monde
partout, etlespectacleest très beau de cette multitude oùle
bonnetcatalan et le chapeau «à la française >>voisinentpaci- fiquement, presque réconciliés
; où la redingote coudoie fraternellement la soutane; où le surplisdes prêtres français et le camail des bénéftciersespagnols piquent de blancet de rouge l'ensemble destoilettes sombres. Mais M. le curé de Vernet-les-Bains, legrand cérémoniaire delajournée, a bien vite fait, avec son activité intelligente de tout disposer: il a