BIOFUTUR 324 • SEPTEMBRE 2011 30
La formation du placenta et le fonctionnement de ses différentes couches requiert le lancement, le maintien ou le changement de programmes bien précis d’expression de jeux de gènes, grâce à la mise en place de marques épigénétiques assurant le bon déroulement des processus de différenciation.
L’ADN n’est pas nu dans le noyau. Il entoure un complexe protéique composé d’histones (nucléo- some) formant ainsi un complexe nucléoprotéique, la chromatine. La méthylation de l’ADN et les modi- fications post-traductionnelles que subissent les histones contribuent au degré de compaction de la chromatine. Ce remodelage permet à une fraction seulement de nos 20 000 gènes de s’exprimer ou, à l’inverse, d’être réprimés, et ce, de manière très spécifique selon le stade, le type cellulaire, le sexe, l’âge ou encore l’état physiopathologique (1). Outre son rôle dans l’expression des gènes, l’épigéné- tique est impliquée dans toute une série de méca- nismes cellulaires, de la réparation à la réplication, en passant par la condensation, l’inactivation du chromosome X, l’empreinte parentale, le vieillis- sement, le dimorphisme sexuel... De plus, contrai- rement aux mutations génétiques classiques, les marques épigénétiques sont, par nature, réver- sibles. Cette flexibilité les rend sensibles à tout type d’environnement, chimique ou non, social, affectif, physique. Elles représentent, à court ou à long terme, un mode d’« archivage » privilégié des impacts environnementaux.
Les profils épigénétiques du placenta et les mécanismes enzymatiques assurant leurs modi- fications et démodifications sont codés par une batterie de gènes parfois spécifique du placenta. De fait, ils reflètent les particularités de son origine extra-embryonnaire, de ses fonctions, de son apparition au cours de l’évolution (placentation) (2,3), de son immunologie très particulière, de ses relations privilégiées avec le développement d’organes comme le cerveau et
le cœur, dont certaines anomalies sont directe- ment liées à des anomalies morphologiques du placenta en relation avec certaines caractéris- tiques morphologiques de ce dernier, de son implication dans les processus de programma- tion fœtale et de son statut à part, d’organe
« jetable ».
L’analyse du profilage de la méthylation dans les placentas de jumeaux a récemment souligné le rôle de la génétique dans l’établissement de l’épi- génome placentaire (4). D’autres études compa- rant la méthylation dans les compartiments embryonnaire et extra-embryonnaire ont révélé de nouveaux transcrits spécifiques du placenta (4).
Le niveau de méthylation globale de l’ADN, variable d’un tissu à l’autre, est en effet consi- dérablement plus faible dans le placenta (2,3).
Cette hypométhylation constitutive permettrait une plus grande flexibilité de la chromatine et une adaptation aux fluctuations de l’environnement, avec, là encore, un dimorphisme sexuel, la dimi- nution de la méthylation étant plus accentuée chez le mâle (zoom p. 29) (3,5). La régulation de l’expression des gènes dans le placenta dépendrait ainsi davantage de modifications des histones que de la méthylation de l’ADN (6). Des études ont également porté sur l’inactivation du chromosome X dans les tissus extra- embryonnaires et le placenta, montrant des dif- férences interespèces. Ainsi, si chez la souris l’X paternel est préférentiellement inactivé dans le placenta, chez l’homme, cette inactivation se fait au hasard, engendrant un mosaïcisme important responsable d’une forte variabilité. Autre parti- cularité du placenta, le rôle prédominant de l’em- preinte parentale, apparue au cours de l’évolution en même temps que la placentation. Les gènes soumis à empreinte parentale ont une expres- sion mono-allélique, soit à partir de l’allèle paternel soit à partir de l’allèle maternel, et sont regroupés en clusters, régulés par des DMR (Differentially
Methylated Regions). L’existence d’un vaste réseau regroupant ces gènes et assurant la régulation du développement extra-embryonnaire a été mise en évidence (7). Des expériences d’invalidation génique aboutissant à des pathologies placen- taires sévères ont montré que ces gènes jouent un rôle majeur dans les mécanismes de crois- sance du placenta, mais aussi de transport des nutriments chez la souris (8).
Grâce aux marques épigénétiques apposées au gré des fluctuations de l’environnement nutri- tionnel, métabolique ou toxique, le placenta, obtenu de manière non invasive au terme de la grossesse, devrait ainsi pouvoir témoigner des incidents (stress, dépression, pic hypergly- cémique…) et des expositions (perturbateurs endocriniens, sur/sous nutrition, obésité, diabète, hypercholestérolémie, tabagisme et alcoolisme de la mère) survenus tout au long de la grossesse.
Ces marques pourraient représenter de nouveaux biomarqueurs de prédiction de la susceptibilité du futur individu à certaines maladies (hyper- tention, diabète...), afin de mieux définir les besoins en nutriments nécessaires à sa croissance en fonction des perturbations qu’il aura subies (retard de croissance, prématurité, surnutrition, diabète gestationnel…).G
Claudine Junien, Anne Gabory, Hélène Jammes
BDR Inra, UMR1198 Biologie du développement et reproduction
78352 Jouy-en-Josas claudine.junien@jouy.inra.fr
(1)Gabory A et al. (2011) Am J Clin Nutri, sous presse (2)Gallou-Kabani C et al. (2010) PLoS ONE, doi:10.1371/journal.pone.0014398 (3)Gabory A et al. (résultats non publiés) (4)Abad C et al. (2011) Placenta 32, S81-9 (5)Mao J et al. (2010) Proc Natl Acad Sci USA 107, 5557-62 (6)Wagschal A et al. (2008) Mol Cell Biol 28, 1104-13 (7)Fauque P et al. (2010) Hum Mol Genet 19, 1779-90 (8)Coan PM et al. (2010) J Physiol 588, 527-38
Zoom Comment l’ épigénétique archive
les impacts de l’environnement
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