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Les styles kinésiques. De Quintilien à Proust en passant par Tati

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Les styles kinésiques. De Quintilien à Proust en passant par Tati

BOLENS, Guillemette

BOLENS, Guillemette. Les styles kinésiques. De Quintilien à Proust en passant par Tati. In:

Jenny, L. Le Style en acte. Vers une pragmatique du style. Genève : MétisPresses, 2011.

p. 59-85

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:17418

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Les styles kinésiques:

De Quintilien à Proust en passant par Tati Guillemette Bolens

Signes des dix mille façons d'être en équili- bre dans ce monde mouvant qui se rit de l'adaptation

Henri Michaux, Face aux verrous Selon Marielle MACÉ,

le style est ce qui appelle et attire notre capacité d'attention (la sélectionne, la dirige et parfois l'égare), requérant notre regard ou notre écoute; mais aussi ce qui concentre durablement notre intérêt, nous apprend à marquer le pas, à prolonger le temps de la per- ception. Ainsi s'aiguise un véritable «sens pratique» qui nous rend sensibles aux différenciations, aux variations insubstituables, aux valeurs, comme à autant de formes d'être.

MACÉ[2010: 5]

Le style kinésique d'une personne se perçoit par une forme d'atten- tion qui porte sur la nature des interactions suscitées par les gestes, les postures, les degrés de tension ou de relaxation musculaire, la dynamique complexe du corps en acte ou au repos. Dans le cas du corps vivant en présence, le style kinésique excède ses conditions d'existence, à savoir le schéma corporel, l'image corporelle, la réalité physique, le fonctionnement neuronal, les règles sociales, les contextes culturels et historiques, etc1. Il s'en nourrit, n'existe que par elles, tout en débordant de leurs cadres, révélant la singularité des directions expressives de la personne par des gestes vecteurs de cer- tains possibles kinésiques, délibérés ou non, prévisibles ou non.

Ceci vaut pour le style kinésique de la personne. Mais qu'en est-il du style kinésique d'une œuvre d'art quand cette œuvre, tel un film, implique la performance de corps vivants? Le cinéma offre des cas intéressants, en particulier lorsque les styles kinésiques de l'œuvre et de l'artiste se trouvent mis en relation à travers la figure d'un per- sonnage joué par l'acteur-créateur, comme Hulot dans les films de Tati. Quels sont alors les points de contact entre les styles kinésiques

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de Tati, de Hulot, et du film Mon oncle? Pour aborder le premier point de contact (Tati-Hulot), je passerai par Quintilien.

Quintilien traite du style kinésique de l'acteur ou de l'orateur par l'analyse du concept de ratio: la ratioest au cœur des moyens expressifs d'une personne, son déploiement est indispensable au succès de la performance, et pourtant elle ne se mesure ni ne se décide. Cet aspect, abordé en première partie, me poussera, en deuxième partie, à chercher à le situer chez les grands génies du cinéma burlesque que sont Charlie Chaplin, Buster Keaton et, préci- sément, Jacques Tati. Car leurs films muets (bien que sonores chez Tati2) relèvent d'un art qui manifeste la pertinence de la ratioau sens de Quintilien. Ceci me conduira à considérer le point de contact entre le style kinésique de l'artiste et celui de l'œuvre (Tati – Mon oncle).

Enfin, après le mutisme éloquent des burlesques, je poserai en troi- sième partie le problème du passage à l'œuvre non seulement langagière mais aussi écrite. De quoi relève le style kinésique en lit- térature, quand le corps vivant devient un corps narré? Que retient le langage de la kinésie? Comment cette dimension de l'humain s'ex- prime-t-elle dans une œuvre littéraire malgré les carences du langage? Notre guide alors sera Proust, dont l'attention à la kinésie traverse La rechercheavec une précision vertigineuse.

Actioet ratiochez Quintilien

Marcus Fabius Quintilianus, grand orateur romain d'origine espa- gnole, écrit au 1ersiècle de notre ère son grand œuvre en douze volumes, L'institution oratoire. Dans son fameux livre XI, il donne des conseils concernant la kinésie de l'orateur qui, dans le vocabulaire cicéronien qu'il reprend, s'appelle l'actio3. L'actiode l'orateur est sa kinésie au moment où il plaide4. Le terme réfère à l'ensemble de ses gestes (gestus), englobant ses mouvements de jambes, de torse, de tête, de mains, de doigts, de paupières, de sourcils, de narines, ainsi que la manière qu'a l'orateur de jouer sur la relation entre son oratio et son actio, c'est-à-dire entre son plaidoyer verbal et sa capacité de convaincre par son expressivité kinésique. Une attention particulière est portée à sa manière d'utiliser sa voix (vox), dans laquelle s'asso- cient actio et oratio. En effet, l'émission vocale englobe les mouvements respiratoires, gutturaux, posturaux au moment de

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l'énonciation verbale et de la pronuntiatio– rien de pire, par exemple, qu'une voix forcée ou monotone. Renvoyant aux déclarations de Cicéron et de Demosthènes, Quintilien est sans ambiguïté: il n'y a pas plus important que l'actiodans l'art de l'orateur.

Ceci justifie pour Quintilien de fréquents allers et retours entre l'art oratoire et l'art de l'acteur, bien que toujours il insiste ensuite sur la nécessité de distinguer soigneusement ces deux arts et revendique une supériorité politique et sociale de l'art oratoire. Ceci étant, il ter- mine son chapitre sur l'actio, l'action oratoire, par un ample passage où il rend compte de la différence de style kinésique entre deux acteurs comiques, les deux plus grands acteurs comiques, maximos actores comoediarum(XI, 3, 178), soit Démétrius et Stratoclès. Et il introduit ce passage par ces mots:

Vnum iam his adiciendum est: cum praecipue in actione spectetur decorum, saepe aliud alios decere. Est enim latens quaedam in hoc ratio et inenarrabilis, et ut uere hoc dictum est, caput esse artis decere quod facias, ita id neque sine arte esse neque totum arte tradi potest(XI, 3, 177).

[Je n'ai plus qu'une remarque à ajouter: comme dans l'action oratoire (in actione), il faut surtout avoir en vue ce qui sied; souvent ce qui sied à l'un ne sied pas à l'autre. Il y a, en effet, à cela, une sorte de cause cachée et inexplicable (Est enim latens quaedam in hoc ratio et inenarrabilis), et si l'on a eu raison de dire que le point capital de l'art est l'adéqua- tion dans ce que l'on fait (c'est-à-dire la capacité de produire un sentiment d'adéquation), il est non moins vrai que le succès ne peut être atteint sans art et qu'il n'est pas tout entier dû à l'art (272)5.]

Commençons par l'idée qu'il existe une cause cachée et inexplicable, une ratio latens et inenarrabilis. Le nom ratioest de la famille du verbe reor, ratus sumqui signifie «compter, calculer, penser, croire».

La ratioest un acte d'estimation qui donne lieu au sentiment de savoir, de connaître les paramètres estimés. Or, d'après Quintilien, cette ratiose manifeste dans l'actio, donc dans la performance ora- toire, mais sa mesure est cachée, latente et non narrable, on ne peut pas la transformer en narration ou en discours explicatif. Et pourtant c'est cette ratioqui fait la différence entre un grand orateur ou un grand acteur, et les autres; et ceci à travers la facture exacte et non mesurable de leur actio.

Puis vient s'ajouter cette idée que la réussite de la performance ne peut ni se passer d'art – soit d'un entraînement ciblé visant à déve- lopper une certaine habileté et une maîtrise –, ni se réduire à l'habileté dans la performance du plaidoyer, performance accomplie selon les règles de l'art. La question est donc de comprendre ce qui se joue à travers cette ratiodont on doit absolument tenir compte

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alors même qu'il est impossible d'en rendre compte. Une différence s'incarne par l'actioet distingue même les très grands entre eux.

Pour illustrer ceci, Quintilien revient aux comédiens Démétrius et Stratoclès. Il commence par les opposer à travers les rôles qui corres- pondaient à leur talent particulier: Démétrius jouait des rôles de dieux, de jeunes gens, de bons pères, de bons esclaves, de dames et de vieilles femmes dignes. Stratoclès jouait les rôles de vieux gro- gnons, d'esclaves rusés, de parasites, de proxénètes, et «tout ce qui demande plus d'agitation» (omnia agitatiora melius, XI, 3, 178).

Quintilien parle aussi de l'effet produit par leur voix: la voix de Démétrius était plus agréable (iucundior, c'est-à-dire plus suscepti- ble de procurer de la joie) et celle de Stratoclès plus âcre, aigre (acrior) (XI, 3, 178). Mais c'est pour conclure que le plus important est ailleurs: «Il faut davantage noter, dit-il, leurs qualités propres, qui n'auraient pu se transmettre»: Adnotandae magis proprietates quae transferri non poterant(XI, 3, 179). Dans l'édition Loeb, Butler traduit par «but yet more noticeable were the incommunicable peculiarities of their action» [QUINTILAN1959: 345].

Quelle est la nature de ces particularités incommunicables, de ces propriétés qui ne peuvent pas être transférées, transmises, qui sont radicalement singulières à la personne? Ces propriétés ne sont pas à confondre avec les actions et les gestes eux-mêmes. Ce n'est pas le geste en soi qui fait la différence mais bien sa dynamique particu- lière dans l'économie globale du style kinésique de la personne.

Raison pour laquelle «chez certaines personnes, des qualités n'ont pas de grâce, chez certaines autres, ce sont les défauts même qui plaisent» (In quibusdam uirtutes non habent gratiam, in quibusdam uitia ipsa delectant, XI, 3, 178).

Pourquoi et comment les gestes et la voix traduisent ce qui chez la personne sera déterminant pour sa capacité à convaincre, cela est un mystère: … qui nescio quomodo ex voce etiam atque actione pel- lucent (XI, 3, 154), «je ne sais pas comment [ces aspects]

transparaissent à partir de la voix et de l'actio.» Le verbe pelluoou perluosignifie littéralement «humecter complètement, rincer, net- toyer», et donc l'image évoquée est celle de caractéristiques singulières, de «variations insubstituables» [MACÉ2010: 5], qui imprègnent si bien la personne qu'elles transpirent par tous ses pores kinésiques et vocaux. Le grand Quintilien, orateur de longue date et maître des proches de l'empereur Domitien, écrit qu'il ne sait pas comment, nescio quomodo, lui dont le savoir oratoire est tel qu'il

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écrit douze volumes qui seront une référence majeure pendant des siècles6.

Quintilien s'en remet aux exemples de Démétrius et Stratoclès:

Démétrius a tendance à agiter les mains (manus iactare), à prolon- ger des exclamations en douceur, à entrer en scène avec un vêtement gonflé par le vent et «à faire parfois des gestes du côté droit» (nonnumquam dextro latere facere gestus) (XI, 3, 179). Par contraste, Stratoclès, se remarque par sa tendance à courir et par son agilité (cursus et agilitas) et surtout par son rire, un rire qui pou- vait ne pas convenir à son personnage (et uel parum conueniens personae risus), «mais que, n'ignorant pas ses moyens, il présentait au public» (quem non ignarus rationis populo dabat); enfin il avait aussi tendance à contracter ses cervicales (et contracta etiam cerui- cula) (XI, 3, 180).

À partir de ces distinctions, Quintilien remarque que si l'un des deux s'était comporté sur scène comme l'autre, «cela aurait paru très cho- quant» (foedissimum uideretur). «Raison pour laquelle il faut bien apprendre à se connaître» (Quare norit se quisque), et, pour compo- ser l'action, ne pas tant se régler sur des préceptes généraux que sur sa propre nature (nec tantum ex communibus praeceptis, sed etiam ex natura sua capiat consilium formandae actionis). Plus littérale- ment: il faut prendre conseil (capiat consilium) pour ce qui est de l'action oratoire à former (formandae actionis) sur sa propre nature (ex natura sua). Rien de plus n'est dit de la nature de cette nature personnelle.

Il n'en demeure pas moins que les grands acteurs et les grands ora- teurs sont grands parce qu'ils savent exploiter cette ratio. Ils la connaissent: Stratoclès était non ignorant de sa ratio(non ignarus rationis), et il la donnait à ses spectateurs (populo dabat) à travers l'un des paramètres clés de cette ratio, à savoir son rire, et ce quand bien même ce rire pouvait ne pas être en adéquation avec son per- sonnage. Donc, Stratoclès savait que son rire était plus déterminant pour le déploiement de sa ratioet l'efficacité de son actioqu'une adé- quation théorique entre rire et personnage. Son actiod'acteur supérieur dépendait de la compréhension de sa propre ratioet de sa capacité à déployer cette mesure personnelle, quelles que soient les limites de son rôle.

Encore une fois, cette ratiose révèle par la performance actualisée, par l'actioprécisément. Il me semble que nous sommes avec le dis- cours de Quintilien très près de la question du style en acte. La

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question que j'aimerais dès lors poser est la suivante: comment situer le point de contact entre ratioet actio, du point de vue du style kinésique, dans l'œuvre des plus grands artistes du burlesque, à savoir Chaplin, Keaton, Tati?

Le style chez Keaton, Tati et Chaplin

Commençons, comme Quintilien, par distinguer les actions elles- mêmes: Démétrius faisait gonfler sa toge au vent en entrant sur scène, Stratoclès arrivait en courant. Je vais commencer par me demander ce que font respectivement Keaton et Tati avec un mor- ceau de guimauve.

Dans le court métrage de KeatonMy Wife's Relations(1922), Buster travaille dans une confiserie et prépare de la guimauve, ce qui signi- fie qu'il malaxe à grands gestes un large morceau de guimauve flexible et molle7. Il emploie tant d'énergie à le faire que deux enfants captivés par cette préparation finissent par s'esquiver, peu rassurés.

Les gestes de Buster s'amplifient au point de le faire bondir par- dessus la friandise étirée en corde à sauter, jusqu'à ce qu'un postier arrive soudainement et reçoive un grand pan de guimauve dans le visage.

Cette scène focalise notre attention sur l'énergie de Buster. Elle est représentative du déploiement d'énergie qui dans les films de Keaton crée une distance parle contact. Le slapstickkeatonien est un choc réciproque et perpétuel qui ne parvient jamais à réduire la distance intersubjective. Keaton est un génie comique fondamentalement tra- gique pour cette raison que l'impact des corps entre eux signale paradoxalement l'impossibilité de se rejoindre. S'il y a intersubjecti- vité – et il y en a –, elle conduit à un espacement interpersonnel: soit littéral, par la distance physique, soit par l'expression d'une incom- préhension fondamentale des motivations réelles de l'autre. Le jeu de Buster consiste alors à montrer qu'il fait comme siil comprenait les motivations d'autrui et qu'elles étaient justifiées, alors qu'elles sont généralement opaques ou aberrantes.

Ainsi, dans le film The Navigatorréalisé en 1924, un homme et une femme se retrouvent par accident sur un paquebot vide qui a pris le large. Au moment de la scène qui m'intéresse, ils viennent de croiser un navire marchand. Voulant demander du secours, ils hissent un

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drapeau au hasard qui malencontreusement signifie qu'ils sont en quarantaine, faisant ainsi fuir leur seul espoir de salut. La femme pousse alors Buster à rattraper le navire en tirant leur paquebot au moyen d'une barque à rames. Pour saisir l'événement narré, il est nécessaire d'employer notre savoir cognitif lié à la situation, mais aussi notre savoir sensorimoteur. En effet, la force de cette scène tient dans le sentiment d'absurdité lié au décalage existant entre la réalité physique du paquebot gigantesque et l'intention affichée d'en venir à bout en le tirant au moyen d'une barque à rames. Malgré l'aberration de la requête qui lui est faite, Buster rame de toutes ses forces dans une barque dont la taille est rendue microscopique par l'éloignement de la caméra. La tension inutile du câble qui lie la barque au navire est à saisir de façon kinesthésique: quelle que soit la vigueur investie par Buster, elle est d'une inutilité radicale.

Le désordre sensorimoteur ne s'exprime pas ici par une aggloméra- tion de corps hypermobiles, comme dans les disputes classiques du slapstickaméricain (les fameuses brawls), mais dans une formali- sation dynamique de l'absurde8. Ce sens de l'absurde peut devenir superbe, par exemple dans Sherlock Jr.(1924). Buster et la femme qu'il aime sont poursuivis en voiture par des gangsters. Ils arrivent à toute allure devant un lac, Buster freine brusquement, et le châssis reste au sol tandis que l'habitacle se déboîte et part glisser sur la sur- face de l'eau, emportant le couple toujours assis et absolument immobile. Leur immobilité est aussi puissante kinésiquement que les groupes de corps mobiles d'autres scènes de vitesse.

Après l'horizontale parfaite de la glissade sur l'eau, vient la verticale impeccable de la chute dans l'eau. En effet, Buster ouvre sa portière et sort comme s'il s'attendait à trouver le sol sous ses pieds. Il tombe évidemment dans le lac, selon une ligne verticale presque mondria- nesque tant son corps est alors rectiligne. Dans cette chute, la surprise ne vient pas du fait que Buster disparaisse sous l'eau, mais de ce qu'il puisse imaginer ou prétendre croire qu'il ne va pas tomber dans l'eau au moment de sortir de sa voiture. C'est plus que de la dis- traction. De la même manière, tandis qu'il remonte dans la voiture et que celle-ci continue d'avancer, il prend le volant, debout, comme s'il s'agissait d'un gouvernail, jouant les capitaines de navire, le regard au loin, la main en visière, avec un naturel surréaliste. Là comme dans The Navigator, Buster fait comme siune attitude socialement et conceptuellement ad hocpouvait éventuellement fonctionner et donner le change, alors que la situation phénoménologique l'exclut.

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Enfin, Buster installe le bras de sa dulcinée sur son épaule et tourne le dos à la caméra après avoir exprimé, de façon d'autant plus mar- quante que cette expression faciale est presque imperceptible, la surprise induite par le geste amoureux de celle qu'il aime. En effet, elle vient de lui caresser subrepticement les cheveux. L'humour kea- tonien tient dans cet alliage d'extrême pudeur, de pragmatisme efficace et d'absurdité superbe. Car, le temps d'une caresse, et la voi- ture coule d'un coup.

L'humour chez Keaton montre un effort constant visant à gagner un contrôle à la fois douloureux et comique sur ce qui menace de nous submerger, soulignant d'autant la menace permanente que constitue un flot ininterrompu d'impulsions sensorimotrices, dues à la présence des éléments, d'autres corps et d'autres consciences. Cataclysme perpétuel d'une forme toujours surprenante. Les artistes burlesques, à travers des styles variables, montrent que l'humain fait ce qu'il peut avec ce qu'il a et que le résultat, contre toutes attentes, est parfois grandiose en raison de la force de résistance et de vitalité qui s'ex- prime à travers la liberté de certains gestes.

L'influence considérable de Keaton sur Tati se traduit en un bur- lesque évidemment modifié par le temps et l'espace: on était aux USA dans les années 1920, on passe dans la France des années 19509. Mais par-delà le contexte culturel et historique, évidemment détermi- nant, c'est la kinesthésie qui est mise en jeu différemment chez Keaton et chez Tati. Chez Tati, la guimauve a changé d'allure. Keaton malaxe avec une énergie extrême et dit le fossé intersubjectif; Hulot se tient à distance de la guimauve mais se montre subtilement touché par son mouvement. La sensorimotricité alors ne tient pas à une action directe sur la matière triturée et à un impact corporel sur la face d'autrui, concrétisant à terme la distance intersubjective; elle s'exprime par un acte perceptif à distance et une résonance motrice exprimée kinésiquement. La scène nous montre, en effet, Hulot regardant avec grande attention un morceau de guimauve qui coule lentement vers le sol, et réagissant à cette perception par de légers mouvements qui suggèrent une empathie kinesthésique, c'est-à- dire que Hulot simule sensoriellement les mouvements de la guimauve dont il adopte la perspective gravitationnelle10. Plus tard, Tati réitère l'information et nous revoyons Hulot réagir si bien à la gui- mauve qu'il manque d'en tomber par terre.

S'impose à ce stade une clarification entre style kinésique de la per- sonne et style kinésique de l'œuvre. Je vais le faire en repassant par

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Quintilien. Si je reprends les termes de Quintilien, le succès de l'actio dépend d'une exploitation de la ratiosingulière de l'acteur ou de l'ora- teur, dont l'art consistera à déployer les possibilités expressives d'une ratioqui, elle, ne se modèle pas. La ratioest au cœur des moyens expressifs de la personne, se manifestant sans pouvoir faire l'objet d'une correction, d'une éradication ou d'un entraînement quel- conque. En revanche, on peut l'utiliser dans son art. Quintilien donne l'exemple du rire de Stratoclès. Le rire est un bon exemple car nous ne décidons pas du style de notre rire – et je parle ici par exemple du fou rire, et non du rire que nous produisons à des fins sociales, qui, lui, est relativement contrôlable. Or, Stratoclès exploitait le style de son rire dans son art d'acteur. Donc la ratioest utilisable et doit être utilisée dans l'actio bien qu'elle ne puisse pas être modifiée et ne puisse pas être réduite aux gestes qui la constituent. C'est la latens et inenarrabilis ratio, qui n'est pas formatable et qui cependant doit être placée au centre de l'actio, comme vecteur d'efficacité majeur.

Cette ratiopeut et doit être agie, quand bien même il n'est loisible ni au performeur ni au spectateur de mesurer cette mesure. Stratoclès était grand parce qu'il savait exploiter artificiellement le style singu- lier et non déterminable de son rire.

Dès lors, comment approcher cognitivement la ratiod'un artiste comme Tati? On peut espérer y accéder par une focalisation sur les processus d'attention qu'elle génère. Dans «Du Style comme pra- tique», Laurent JENNYécrit que «[l]a fonction du style apparaît…

essentiellement comme une deixis qui oriente la réception de l'objet en différenciant la pertinence de ses propriétés remarquables»

[2000: 112]. Dans le cas des maîtres du burlesque, la difficulté de situer le style en acte est triple car s'entrecroisent (1) le style kiné- sique de la personne, à savoir Jacques Tatischeff, dit Tati; (2) le style kinésique de son personnage M. Hulot; et (3) le style kinésique des œuvres cinématographiques montrant Tati jouer Hulot. S'ajoute à cela que chez Tati l'œuvre généralement montre qu'elle nous montre le kinésique. Et par cette deixis, elle nous montre que le kinésique véhicule une ratioà la fois perceptible, irréductible et exploitable, ratioà laquelle notre kinésie de spectateur réagit, tout comme Hulot réagit kinésiquement à la guimauve. Le style kinésique des œuvres de Tati oriente la réception de l'objet en différenciant la pertinence de ses propriétés remarquables, où ses propriétés remarquables sont précisément une deixis qui pointe vers l'acte de perception du style kinésique.

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Deux exemples sans Hulot vont me permettre d'isoler le registre du style kinésique de l'œuvre. Le premier montre un enfant de deux ou trois ans ne pastomber sur une marche ensablée en portant deux glaces. Il est filmé de dos. Cette scène est à mes yeux le manifeste de l'art de Tati. La deixis du style tatiesque pointe vers le geste minime, l'ajustement apparemment insignifiant, qui est pourtant ici fonda- teur de la bipédie. Outre cette sorte d'anthropologie du vacillement fondateur, une émotion ludique se dégage également, à la condition que le spectateur exploite sa capacité d'empathie kinesthésique et adopte la perspective sensorimotrice de l'enfant. Les actions dans les œuvres de Tati montrent une faculté expressive apte à donner une forme perceptible à ce qui dans le mouvement échappe à la maî- trise et qui échappe aussi, généralement, à une attention focalisée, tout en étant un élément central des événements interpersonnels.

Le style kinésique de l'œuvre tatiesque pose cette attention comme condition.

Le deuxième exemple vient de Playtime. Nous voyons les gestes expressifs d'un personnage regardé par Hulot, un vieux portier sec et vif qui est en train de manipuler un grand panneau mural électro- nique. L'attention que Hulot porte à cet humain attire notre attention sur le fait que nous regardons également et que nous portons atten- tion aux nuances infimes d'un style kinésique, celui du personnage du portier, qui réagit au panneau électronique de façon para-verbale et kinésique. C'est donc cela encore que le personnage joué par Tati explicite par sa kinésie propre: il se penche pour voir et nous voyons alors que nous sommes nous aussi, de l'autre côté de l'écran, atten- tifs aux mêmes variations kinésiques.

Dans Les vacances de M. Hulot, Hulot joue au ping-pong avec un enfant. Il bouge et génère de la réaction; en l'occurrence, il énerve par le bruit qu'il fait les pensionnaires de l'hôtel qui sont en train de jouer aux cartes. Mais surtout, la qualité de son actiotient dans sa capa- cité à signifier kinésiquement l'expressivité de son adaptation motrice. Hulot joue avec vivacité et dextérité contre son adversaire, que nous ne voyons pas. Il est seul à apparaître, émergeant de la salle de jeu par grands bonds. Puis il se cogne légèrement contre le cadre de la porte en cherchant une balle perdue. La qualité expres- sive de cet infime choc, associé à une dextérité excentrique, est forte et signe le style kinésique du personnage. L'œuvre dit cette chose apparemment minuscule qui néanmoins manifeste la facture parti- culière du style kinésique de M. Hulot. Cette scène montre son style

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en actemanifesté à travers le ping-pong et pointe ainsi vers le fait que le propos de l'œuvre est d'orienter notre attention sur ce détail microscopique et néanmoins fondateur d'une intersubjectivité rendue par cela envisageable. Car les bonds et le choc infime ne disent rien d'autre qu'eux-mêmes, ils ne symbolisent rien. Et ils sont montrés comme étant néanmoins la pierre fondatrice de notre rela- tion au personnage de Hulot, à cette personne fictionnelle dans son style au jeu de ping-pong.

Ainsi, la performance d'acteur, l'actiode Tati, exploite les possibles de sa ratiosingulière pour donner une visibilité à un style kinésique qui relève de l'œuvre tatiesque, à travers la force expressive du style kinésique de M. Hulot. Et ce style kinésique de l'œuvre est organisé de manière à rendre visible le caractère central de la ratiodans l'ac- tiod'un humain. Ce que le film manifeste à travers Hulot est la force expressive considérable de la ratiod'une personne, force si considé- rable qu'elle justifie un film entier.

Nous avons comparé l'effet de la guimauve chez Keaton et Tati, com- parons l'effet de la danse chez Tati et Chaplin. Chez Tati, par le jeu de Hulot, le lieu de l'événement est l'intervalle interpersonnel, où les nuances kinésiques sont potentiellement infinies. Dans la scène du bal masqué où Hulot danse avec Martine, la démultiplication de ses micromouvements signale son tact heureux et l'attention qu'il porte à l'autre avec une finesse expressive et une propension généreuse à manifester les effets aléatoires de son attention à l'autre. Les réac- tions kinésiques de Hulot manifestent l'événement considérable que constitue pour lui la présence d'une autre personne. Puis se pose la question du contact: où poser la main quand le dos de la cavalière est nu? Hulot répond en trouvant la bretelle qui retient la robe de Martine et en y posant délicatement deux doigts, dans un geste associant contact, humour et respect. Le style kinésique des œuvres de Tati focalise ainsi l'attention sur les manifestations parfois minimales et néanmoins fondatrices de la présence de l'autre dans la kinésie de celui qui perçoit. L'humain vacille parce qu'il y a du sable sur une marche; parce qu'il cherche une balle de ping-pong perdue; parce que la molle glissade de la guimauve crée l'anticipation d'une chute. Mais l'humain, plus fondamentalement, vacille afin d'être en mesure de danser avec cet autre qui justifie tout mouvement.

Chez Chaplin, l'autre et l'aléatoire entrent dans des rapports diffé- rents11. Dans la scène de bal de The Count(Mutual 1916), le corps de Charlot est le lieu d'événements kinésiques qui entrecroisent sans

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répit une intentionnalité plus ou moins maîtrisée et un corps vivant qui fait des va-et-vient entre son autonomie organique, sa réceptivité relationnelle, et les conditions de l'environnement, par exemple un sol glissant. Au moment où il glisse, Charlot active avec une efficacité redoutable la rapidité de notrecompréhension motrice, nous mettant en résonance avec sa propre motricité. Le résultat est qu'il est extrê- mement difficile de ne pas être en phase avec Chaplin. Chez Chaplin, le style kinésique de l'œuvre à travers l'exploitation par Chaplin de sa ratiodans son actiode Charlot (The Tramp) montre les jeux possibles d'une intentionnalité flexible, alliée à une ténacité à toutes épreuves et à une faculté à activer l'empathie kinesthésique du spectateur de façon quasi immédiate – le tout couronné par du plaisir. Le plaisir chaplinesque à jouer (dans le sens isérien de play) n'est affecté par aucune chute [ISER1993]. Inlassablement, il se relève, salue son audience, et recommence à tester les possibles du réel.

Là où Tati montre le tact dans l'acte perceptif kinésique, Chaplin montre notreacte perceptif de samotricité en acte et nous signale aimablement mais fortement que nous sommes sous son charme.

Ceci donne lieu à deux styles kinésiques distincts. Charlie Chaplin charme; Jacques Tati touche avec tact. Chaplin capte l'attention; Tati en offre la possibilité. Le style kinésique de Tati demande au specta- teur une attention aux moyens mis en œuvre par l'artiste pour signifier l'attention que nous sommes amenés à porter à la capacité d'attention des personnages entre eux – une capacité intradiégé- tique très clairement manifestée dans la scène du bal masqué. Le style kinésique de l'œuvre se manifeste par cette mise en acte-là.

Proust et le nez de la duchesse de Guermantes

Il y a une splendeur chez Chaplin, Keaton et Tati qui vient précisément de leur style, un style qui par l'acte affirme la liberté inaliénable d'un art capable de jouer (au sens fort) avec les possibles latents et non mesurables de la kinésie humaine. Cependant, ce qui a lieu à travers la facture exacte d'un mouvement réel disparaît dans l'encodage lin- guistique. Puisque ce sont ces aspects-là, non chiffrables et pourtant perceptibles, qui actualisent le style kinésique d'une per- sonne, est-il possible de parler de style kinésique en littérature? Ce que je cherche à comprendre est le hiatus qui existe entre la narra-

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tion non langagière, induite par les actes de cognition motrice et d'empathie kinesthésique, et la narration langagière, en particulier la fiction littéraire, qui va dans certains cas réussir à compenser autre- mentcette carence fondamentale du langage. C'est cet autrement qui m'intéresse. Et c'est là que Marcel Proust est difficilement contournable (voir JENNY[2005] et FREED-THALL[2009]).

Afin de poser le problème, voyons le sourire de la duchesse de Lambresac:

On voyait par moment se former et passer comme une étoile filante un faible sourire des- tiné par la duchesse de Lambresac à quelque personne qu'elle avait reconnue. Mais ce sourire, au lieu de se préciser en une affirmation active, en un langage muet mais clair, se noyait presque aussitôt en une sorte d'extase idéale qui ne distinguait rien, tandis que la tête s'inclinait en un geste de bénédiction béate rappelant celui qu'incline vers la foule des communiantes un prélat un peu ramolli. Mme de Lambresac ne l'était en aucune façon.

PROUST[Sodome et Gomorrhe, II, 1989: 80-81]

Pourquoi pensons-nous comprendre quoi que ce soit à ce passage et en particulier à la phrase «ce sourire… se noyait presque aussitôt en une sorte d'extase idéale qui ne distinguait rien»? Pourquoi cette phrase est-elle si efficace, si évocatrice et drôle, malgré le flou qu'elle génère? Que se passe-t-il quand nous lisons cette phrase? Que fai- sons-nous? Et qu'est-ce que Proustnousfait avec cette phrase?

C'est-à-dire, qu'est-ce qu'il nous fait faire?

Pour un certain type d'analyse littéraire du corps en mouvements et du geste, je propose de considérer de manière très ciblée la perspec- tive des neurosciences sur des formes de savoir indissociables de leur ancrage sensorimoteur. Il s'agit de la théorie de l'embodied cog- nition, expression malaisément traduisible en français, et qui signifie quelque chose comme savoir ou cognition incarnée. Un savoir qui relève du corps. Au sein de cette théorie, la question de la cognition motrice (motor cognition) porte sur le savoir plus particulièrement associé à la motricité. Pourquoi et comment comprenons-nous un mouvement? Que comprenons-nous quand nous comprenons un mouvement? Dans ce domaine en rapide expansion, ce qui m'inté- resse spécifiquement est la question des simulations perceptives (perceptual simulations), que je vais définir. Le point de contact entre analyse littéraire et neurosciences que je propose est donc très précis. Et il est en lien avec le champ spécifique de l'embodied semantics, à savoir la manière que nous avons de produire du sens à partir de mots et de phrases renvoyant à des données sensorimo-

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trices12. Par exemple, typiquement, les verbes d'action, tel chambou- ler. Que veut dire la phrase prononcée par le présentateur d'un journal télévisé français: «Il ne veut pas chambouler les minis- tères»? Ou encore, comment comprenons-nous le sens de l'adjectif engoncé? Ne serait-ce que d'une manière floue, la première simula- tion, pour chambouler, induit l'esquisse d'un mouvement imaginé et la seconde, pour engoncé, suscite une inférence kinesthésique située dans la zone du torse, des épaules et du cou.

Les recherches menées dans les neurosciences cognitives de l'ac- tion ont établi grâce à l'imagerie cérébrale que nous comprenons les mouvements d'autrui parce que les aires motrices et pré-motrices de nos cerveaux s'activent au moment de l'acte perceptif. C'est-à- dire que notre reconnaissance et notre compréhension des mouvements d'autrui sont fondées sur la capacité du cerveau à simuler ces actions au niveau neuronal au moment où nous les per- cevons. Cette activation neuronale motrice permet l'élaboration extrêmement rapide d'une configuration visuomotrice aboutissant à notre sentiment de compréhension des mouvements perçus [BERTHOZ1997; DAMASIO1999; JEANNEROD2007]. En outre, il est apparu que cette activation neuronale motrice a lieu également à l'observa- tion d'images statiques, ainsi qu'à la lecture de verbes d'action ou de phrases décrivant des mouvements [SATOet al.2008].

Au niveau de la phrase, les neuroscientifiques STANFIELDet ZWANN

[2001] ont montré que les participants d'une expérience produisent des simulations perceptives différenciées quand ils lisent «John planta le clou dans le plancher» (John pounded the nail into the floor) et «John planta le clou dans le mur» (John pounded the nail into the wall) [STANFIELDet ZWANN2001; ZWANNet MADDEN2005]. Dans le premier cas, les participants simulent un clou planté verticale- ment; dans le deuxième, horizontalement.

Pour ce qui est du figural, Richardson et Matlock ont utilisé la neuro- imagerie pour observer que le langage figuré donne également lieu à des simulations perceptives de mouvements. Des phrases conte- nant des mouvements fictifs donnent lieu à une visualisation motrice chez le lecteur, même si le sens de la phrase n'implique aucun mouvement. Par exemple, la phrase «le tatouage est à côté de sa colonne vertébrale» (the tattoo is next to his spine) n'active pas d'image motrice, contrairement à la phrase «le tatouage courtle long de sa colonne vertébrale» (the tattoo runs along his spine) [RICHARDSONet MATLOCK2007: 131]. Alors que le sens des phrases est

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exactement le même, la version figurée, contenant un verbe moteur, active une configuration motrice chez le lecteur – configuration motrice qui est susceptible d'induire des mouvements oculaires adaptés aux mouvements imaginés.

Our interpretation of these results is congruent with perceptual simulation theories (Barsalou 1999; Glenberg 1997; Zwann 2004), which hold that language comprehension is a process of generating perceptual-motor representations. Comprehension of fictive motion descriptions led to eye movements along the depicted path that mirrored an internal simulation of movement. More generally, simulated motion is known to figure into a broad range of cognitive processes, such as inferring motion from static images, comprehending descriptions of actual motion, and solving everyday physics problems.

RICHARDSONet MATLOCK[2007: 13613]

Le figural génère des simulations perceptives qui font partie de ces processus.

Proust décrit les effets sur la penséede M. de Charlus de son amour pour Morel en une scène où la pensée elle-même devient un paysage, lequel est le cadre de mouvements bouleversants.

L'amour cause ainsi de véritables soulèvements géologiques de la pensée. Dans celle de M. de Charlus qui, il y a quelques jours, ressemblait à une plaine si uniforme qu'au plus loin il n'aurait pu apercevoir une idée au ras du sol, s'étaient brusquement dressées, dures comme la pierre, un massif de montagnes, mais de montagnes aussi sculptées que si quelque statuaire au lieu d'emporter le marbre l'avait ciselé sur place et où se tor- daient, en groupes géants et titaniques, la Fureur, la Jalousie, la Curiosité, l'Envie, la Haine, la Souffrance, l'Orgueil, l'Épouvante et l'Amour.

PROUST[Sodome et Gomorrhe, II, 1989: 464-465]

La pensée est habitée par des idées qui sont situées spatialement:

elles se tiennent au ras du sol, jusqu'à ce qu'intervienne le soulève- ment géologique du paysage mental. Alors se dressent dans un mouvement à la fois convulsif et pétrifié des allégories géantes dont le caractère néanmoins abstrait sert à définir le type d'émotions dont est fait l'amour de M. de Charlus pour Morel. Le texte exploite ainsi fortement et explicitement la capacité du lecteur à produire une simulation, étendue dans le temps et dans l'espace, de mouvements qui oscillent entre le fictif et l'actuel: le massif de montagne se dresse effectivement, mais pour signifier un surgissement qui est de nature mentale et non matérielle14.

Ce qui m'importe dans cette thèse selon laquelle nous produisons des simulations perceptives pour comprendre un texte est qu'elle souligne l'attention que nous portons à la simulation générée elle- même. Nous verrons plus tard l'intérêt de le faire dans un dernier passage de Proust portant sur un geste complexe. Car l'action simu-

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lée mentalement induit l'activité perceptive qui ressemble à l'activité qui aurait eu lieu si l'action avait réellement été effectuée [DECETYet GREZES2006: 515; JEANNEROD2007: 24-28] et, par conséquent, l'activa- tion de simulations permet de faire des inférences perceptives qui dépassent de façon utile les stimuli perçus [BARSALOU2008: 516]. Il s'agit ensuite de vérifier par un retour constantà l'œuvre si les infé- rences produites sont renforcées par le texte, justifiant ou non d'y prêter attention.

La simulation perceptive donne lieu à un effort cognitif d'observation et, potentiellement, de manipulation de la configuration induite men- talement. Cette faculté cognitive repose sur notre tendance à penser en fonction de ce qui s'appelle en anglais affordances, soit les inva- riants de faisabilité [BERTHOZ2009]. Michael Kaschak et Arthur Glenberg donnent l'exemple suivant: si vous lisez «il lui dit de sus- pendre son manteau à l'aspirateur», après le premier moment de surprise, il semble que les participants tendent à produire une simu- lation par laquelle ils positionnent l'objet aspirateur en fonction de l'action à effectuer — si l'action est effectivement envisageable ou faisable. Le contre-exemple donné par Kaschak et Glenberg est: «il lui dit de suspendre son manteau à la tasse de thé». Dans ce cas, une manipulation simulée aboutira plus difficilement, à moins d'être dans du Lewis Carroll [KASCHAKet GLENBERG2000]. C'est cela que je retiens comme déterminant pour une analyse du mouvement en lit- térature. L'intelligence kinésique est la faculté cognitive et sensorimotrice par laquelle le destinataire d'une œuvre crée des simulations perceptives grâce auxquelles il produit des inférences nécessaires à la compréhension d'événements kinésiques narrés, y compris dans les cas où le texte oppose des obstacles infranchissa- bles au besoin de cohérence du destinataire, obligeant celui-ci à prendre acte de son effort épistémologique et à se donner les moyens d'imaginer de façon inédite. L'intelligence kinésique permet d'élaborer un sens qui englobe mais aussi dépasse le sens codifié d'une description littéraire.

Par ailleurs, chacun des personnages d'une œuvre peut être doté de son propre style kinésique. Cependant, ce qui me préoccupe à ce stade est de repérer le travail stylistique de Proust dans la figuration d'un geste. Par exemple dans le passage suivant:

L'historien s'inclina profondément ainsi que moi et, semblant supposer que quelque réflexion cordiale devait suivre ce salut, ses yeux s'animèrent et il s'apprêtait à ouvrir la bouche quand il fut refroidi par l'aspect de Mme de Guermantes qui avait profité de l'in-

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dépendance de son torse pour le jeter en avant avec une politesse exagérée et le rame- ner avec justesse sans que son visage et son regard eussent paru avoir remarqué qu'il y avait quelqu'un devant eux; après avoir poussé un léger soupir, elle se contenta de mani- fester la nullité de l'impression que lui produisaient la vue de l'historien et la mienne en exécutant certains mouvements des ailes du nez avec une précision qui attestait l'iner- tie absolue de son attention désœuvrée.

PROUST[Le côté de Guermantes, I, 1988: 191-192]

Si nous prêtons attention à la formulation exacte de ce passage et aux simulations perceptives qu'elle induit, il est possible d'observer les aspects suivants: tandis qu'elle effectue un salut, la duchesse interagit avec son propre torse comme avec un objet autonome (elle profite de l'indépendance du torse pour le jeter en avant). À ceci s'ajoute que le visage et le regard deviennent agents d'action indé- pendants (son visage et son regard paraissent n'avoir rien remarqué). Quant aux narines, une remarque méthodologique s'im- pose, qui porte sur l'étude des gestes en littérature.

Habituellement, les mouvements de narines ne sont pas considérés comme des gestes. Mais, dans une œuvre littéraire, si le texte donne cette information, nous avons bel et bien affaire à un geste. Le geste, d'après la définition qu'en donne Adam KENDONest une action visible à valeur d'énonciation, «a visible action as utterance» [2004].

KENDONdésigne par utterance«tout ensemble d'action qui compte pour autrui comme une tentative par celui qui agit de donner des informations d'une sorte ou d'une autre» [2004: 7]. Un texte litté- raire, dès le moment qu'il réfère à des nuances kinésiques, transforme ces paramètres corporels en informations communi- quées intentionnellement au narrataire du récit. Cet aspect est encore renforcé si, au niveau du récit lui-même, le narrateur présente les mouvements en question, même infimes, comme des gestes, ainsi qu'il arrive ici: Mme de Guermantes bouge ses narines avec pré- cision afin de communiquer une information interpersonnelle paradoxale à ses interlocuteurs, à savoir qu'ils n'ont pas d'impact perceptif sur elle. Debout en face d'eux, elle leur signifie qu'elle ne les perçoit pas, alors même qu'elle vient de les saluer et que ses gestes leur sont destinés.

Par ailleurs, les ailes d'un nez bénéficient, certes, d'un répertoire kinésique limité, mais ce fait de nature n'empêche pas une exécution précise. Or, cette précision n'est pas décrite par Proust: elle est simu- lée par le lecteur à partir du concept abstrait de précision, tel qu'il est associé à une sémantisation complexe. En effet, le texte explique que

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le geste de bouger les narines est réalisé dans le but d'attester que l'attention de la duchesse de Guermantes est inerte et désœuvrée.

Le concept abstrait d'attentionacquiert chez la duchesse une agen- tivité indépendante, tout comme le torse, le regard et le visage étaient devenus agents autonomes. Cependant, à cette attention manque un objet sur lequel agir (l'attention est désœuvrée).

Devenue à la fois agent, donc capable d'action, et inerte, donc inac- tive, l'attention est conduite à une inertie.

Ainsi, Proust au moyen du langage et de concepts abstraits nous fait percevoir la façon dont le personnage de Mme de Guermantes com- munique de façon kinésique élaborée un message intersubjectif où l'autre est activement effacé, enfoncé dans la non-perceptibilité. Et il le fait en décollant le sujet-Mme-de-Guermantes de sa propre agenti- vité. C'est par la grammaire et le style que Proust compense ainsi les limites du langage. L'agentivité est distribuée dans les membres et les organes du corps d'un personnage dont le geste global (l'action visible à valeur d'énonciation) consiste à nier la présence de ses interlocuteurs en se désengageant de la portée intersubjective de ses propres mouvements.

Or, il est à noter que cette possibilité expressive intersubjective ne peut pas donner lieu à une image fixe: c'est une expression kinésique irreprésentable et pourtant compréhensible et communicable par le travail du style. Une œuvre comme celle de Proust joue le jeu du lan- gage pour dire ce qui du corps ne se représente pas et pourtant se perçoit, se donne à voir sans pour autant permettre une délimitation cernable. C'est là que je situe le style kinésique en littérature. Les nuances insubstituables d'un geste se révèlent par une écriture qui proscrit une cristallisation sémantique au moyen d'une précision extrême.

La précision chez Proust consiste à dissocier le personnage de Mme de Guermantes de son statut de sujet afin de signifier le registre de son action: la duchesse se désengage de la portée intersubjective de ses propres mouvements pour mieux effacer ses interlocuteurs. La violence intersubjective du message kinésique de la duchesse est traduite par l'écriture de l'œuvre et réalisée mentalement par la simulation perceptive qu'elle génère chez le lecteur (et il va sans dire que chaque lecteur produira une simulation différenciée).

En même temps, cette violence est minorée par la forme de sa mani- festation, à savoir des mouvements de narines, qui acquièrent – et c'est en soi comique – un statut polysémique rare pour cet organe

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duel. Un statut polysémique, car ces mouvements, primo, renvoient aux possibles kinésiques du milieu socio-culturel des personnages (ils remplacent le coup de poing dans un autre contexte socio-cultu- rel) et, secundo, parce qu'ils manifestent qu'aucune typologie ne saurait les réduire à quelque concept que ce soit. Clairement, il serait peu raisonnable d'écrire un manuel typologique des gestes établis- sant que des mouvements de narines précis signifient que vous méprisez quelqu'un au point de vouloir lui faire penser que vous ne le percevez pas17.

En tenant compte de ces aspects, il ressort que les descriptions de Proust restent irrémédiablement opaques si nous n'activons pas notre intelligence kinésique au moyen de simulations perceptives exigeantes. Et l'efficacité redoutable du style de l'œuvre vient de ce que nos simulations perceptives, tout en étant la condition sine qua non de notre compréhension du texte, produisent le contraire d'images fixes et conformes à une sorte de norme codifiée ou de typologie. Pensez à un sourire se noyant dans une extase idéale qui ne distingue rien. Chez Proust, nous avons à fournir un effort cogni- tif qui nécessite un travail de simulation perceptive nourri d'un savoir sensorimoteur permettant une précision interprétative supérieure, dès lors que cette précision aboutit à une instabilité perceptive plus signifiante que n'importe quelle représentation. L'instabilité percep- tive et son pouvoir d'évocation sont bien l'un des propos majeurs de l'œuvre de Proust.

Ainsi, ce que j'appelle style kinésique en littérature relève des direc- tions expressives d'une œuvre quant à la représentation de la corporéité et du mouvement, ainsi que des questions posées par l'œuvre à travers son organisation de simulations perceptives.

J'emploie au pluriel la phrase directions expressivespour signifier cette dimension à la fois orientée et ouverte de la dynamique séman- tique d'une œuvre. L'œuvre de Proust conduit le lecteur à mobiliser ses facultés sensorimotrices et cognitives afin de percevoir avec autant d'acuité que possible la fluidité instable et, de ce fait, créa- trice, de nos actes perceptifs. Le style kinésique d'une œuvre se capte dans l'interaction permise par l'acte de lecture. Pour que cette captation soit possible, il faut très bien connaître les codes gestuels en vigueur dans la période et la culture de l'auteur. Mais cela ne suffit jamais. Il faut également utiliser cognitivement son propre savoir sensorimoteur afin de donner corps au texte et, ainsi, le saisir.

Selon le philosophe Brian Massumi,

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Change is emergent relation […]. Even in a codified and regulated sport, there is an ope- ning for this. It is called style. Style is what makes the player. What makes a player a star is more than perfection of technique. […] The star plays against the rules but not by breaking them. He plays around them, adding minute, unregulated contingencies to the charged mix. She adds free variations: «free» in the sense that they are modulatory actions unregulated or unsubsumed by the rules of the game.

MASSUMI[2002: 7718]

Le style kinésique est donc la marge de liberté non contrôlable de la personne dans la dynamique de ses gestes. Cette liberté est non contrôlable car elle relève de la ratiodécrite par Quintilien: la per- sonne ne peut pas agir sur sa ratio, mais elle peut la laisser agir avec tout l'art dont elle est capable afin que ses actes prennent leur pleine mesure stylistique.

En ce sens, le style est l'un des lieux les plus importants de la mani- festation du visagedans l'acception que lui donne Emmanuel Lévinas. Le visage est ce qui chez l'humain ne se possède pas et ne se chiffre pas [BOLENS2008 et 2010]. Il se manifeste dans des varia- tions insubstituables et imprévisibles qui imprègnent les gestes en permanence à travers les encodages multiples des relations inter- personnelles. Pour l'étude des gestes, il me paraît important de tenir compte d'un savoir sur les actes de fiction pratiqués par les artistes depuis des siècles avec une liberté qui n'est pas dissociable de ce qu'est dans les faits la cognition motrice. Certains artistes sont remarquables en ce qu'ils disent avec ou sans paroles cela exacte- ment: leur art et leur maestriaconsistent à styliser corporellement ou langagièrement l'expression d'une maîtrise impossible du kiné- sique en tant que le kinésique est l'espace aléatoire et fondateur du contact au monde, à l'autre et à soi.

1Sur la distinction entre image corporelle et schéma corporel, voir GALLAGHERet COLE

[1998], et GALLAGHER[2005].

2M. Hulot ne parle pas de façon audible pour le spectateur, et les paroles des autres protagonistes ont le statut de bruits. Le sens du film ne s'élabore pas à partir du sens des échanges verbaux.

3Sur les emprunts de Quintilien à Cicéron ainsi que sur son originalité, voir FANTHAM

[1982] et LOGIE[2003]. Sur le geste chez Quintilien, voir ALDRETE[1999], DUTSCH

[2002], GRAF[1992], et GUNDERSON[2000].

4Fritz GRAFsouligne que «Quintilian's chapter is the only preserved Roman (or for that matter, ancient) text which gives detailed information about rhetorical body language in the Roman sense» [1992: 38]. Et Gregory ALDRETEécrit que «In

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rhetorical writings throughout the rest of antiquity, gestures never again received the same intense attention they were given by Quintilian» [ALDRETE1999: 72].

5La traduction pour toutes les citations de Quintilien est celle de Jean Cousin [QUINTILIEN1979], à laquelle j'apporte quelques modifications pour la rendre plus littérale. En l'occurrence, la traduction de ce passage par J. Cousin est: «Je n'ai plus qu'une remarque à ajouter: comme dans l'action oratoire, il faut surtout avoir en vue ce qui sied; souvent ce qui sied à l'un ne sied pas à l'autre. Il y a, en effet, à cela, une sorte de cause cachée et inexplicable, et si l'on a eu raison de dire que le point capital de l'art est la bienséance dans ce que l'on fait, il est non moins vrai que le succès ne peut se passer de l'art et qu'il n'est pas tout entier l'œuvre de l'art.» Sur le sens de decere, voir BOLENS[2008: 81-85].

6Françoise DESBORDESécrit: «Quand il compose son Institution oratoire(dans les années 90 apr. J.-C.), Quintilien a derrière lui une longue expérience d'avocat et, surtout, de professeur. C'est pour lui que Vespasien a fondé la première chaire publique de rhétorique à Rome; il a eu pour élèves, entre autres, Pline le Jeune, peut-être Tacite, et, pour un temps, les petits-neveux de l'empereur Domitien: il est l'autorité de ce temps-là en matière de rhétorique» [1995: XII].

7Sur Keaton, voir BOLENS[2010], DARDIS[1979], KRAVANJA[2005], KEATONet SAMUELS

[1960], et les interviews de KEATONédités par SWEENEY[2007].

8Sur le slapstick, voir CLAYTON[2007], DALE[2000], MONGIN[2002], et TESSE[2007].

9Sur Tati, voir BOLENS[2008 et 2010], CAULIEZ[1968], DANEY[1996], DONDEY[2002], DURAS[1996], GOUDET[2002], GOUDETet MAKEIEFF[2009], et KERMABON[1988].

10Sur l'empathie kinesthésique et la résonance motrice, voir DECETYet SOMMERVILLE

[2009], DECETYet STEVENS[2009], BEILOCKet LYONS[2009].

11Sur Chaplin, voir BAZIN[2000], BORDAT[1998], MARTIN[2003], et SADOUL[1978].

12Les publications sur ce champ de recherche sont très nombreuses. Les références suivantes m'ont été particulièrement utiles: ARBIB[2008], AZIZ-ZADEHet DAMASIO[2008], BARSALOU1999], BARSALOU[2003], BARSALOUet WIEMER-HASTINGS

[2005], BARSALOUet al.[2005], BERZHOZ[1997 et 2009], BUCCINO[2005], FERNANDINO

et IACOBINI[2010], FOGASSIet FERRARI[2007], GALLESEet LAKOFF[2005], HAUKet al.

[2008], HAVASet al.[2007], HESSLOW[2002], IACOBINI[2008], JEANNEROD[2001, 2003 et 2007], KEMMERER[2006], KEMMERERet GONZALEZ-CASTILLO[2008], MADDENet ZWANN[2003], MAZARDet al.[2005], PULVERMULLER[2005], PULVERMULLERet al.

[2005], RICHARDSONet al.[2003], SIMMONSet al.[2008], TONIet al.[2008], TRANELet al.[2003 et 2008], ZWANNet al.[2004], ZWANNet TALOR[2006], ZWANNet MADDEN

[2005].

13[Notre interprétation de ces résultats est en accord avec les théories de simulations perceptives (BARSALOU1999; GLENDBERG1997; ZWANN2004), selon lesquelles la compréhension du langage est un processus qui génère des représentations perceptivo-motrices. La compréhension de descriptions de mouvements fictifs a conduit à des mouvements oculaires le long d'un passage reflétant une simulation interne de mouvement. Plus généralement, le mouvement simulé est connu pour figurer dans un large éventail de processus cognitifs, tels qu'inférer du mouvement à partir d'images statiques, comprendre des

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descriptions de mouvements réels, et résoudre des problèmes quotidiens de physique.]

14Sur la figuralité, voir Laurent JENNY[1990].

15Jean DECETYet Julie GREZES[2006: 5]: «Most importantly, a simulated action can elicit perceptual activity that resembles the activity that would have occurred if the action had actually been performed.»

16Lawrence BARSALOU[2008: 5]: «[As these simulations become active,] "they produce perceptual inferences that go beyond perceived stimuli in useful ways".»

17Béatrice DEGELDER[2006] dans ses publications sur le langage corporel émotionnel (Emotional Body Language- EBL), a montré que la reconnaissance de l'expression faciale est fortement influencée par le langage émotionnel du corps et que la recherche sur l'expression faciale émotionnelle devrait réintégrer le visage dans l'ensemble du corps expressif. Dans le passage de Proust en question, l'expressivité de Mme de Guermantes est un phénomène qui ne dissocie pas le visage de l'ensemble du corps avec ici en particulier le torse, chargé de signifier l'un des paramètres clés du message kinésique global émis par la duchesse.

18Le changement est une relation émergente. […] Même dans un sport codifié et régulé, il y a une ouverture pour cela. Ça s'appelle le style. Le style est ce qui fait le joueur. Ce qui fait d'un joueur une star est plus que la perfection de sa technique.

[…] La star joue contre les règles mais pas en les transgressant. Il joue autour d'elles, ajoutant des contingences minuscules, non régulées à la charge de l'ensemble. La joueuse ajoute des variations libres: «libres» dans le sens qu'elles sont des actions modulatrices, non régulées ou non prévues par les règles du jeu.

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