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L'évaluation des impacts des mesures étatiques

FLÜCKIGER, Alexandre

FLÜCKIGER, Alexandre. L'évaluation des impacts des mesures étatiques. In: Oliver

Diggelmann/Maya Hertig Randall/Benjamin Schindler. Verfassungsrecht der Schweiz = Droit constitutionnel suisse, vol. III . Zurich : Schulthess, 2020. p. 2043-2057

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:134999

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L ’ évaluation des impacts des mesures étatiques

Alexandre Flückiger*

I. Les impacts et leur évaluation . . . . 2043

II. Les critères et les méthodes dévaluation . . . . 2046

III. Les fondements juridiques . . . . 2047

1. Les fondements constitutionnels spécifiques . . . . 2047

2. Les fondements de lanalyse dimpact prospective . . . . 2048

3. Les fondements de l’évaluation rétrospective . . . . 2049

4. Les fondements dans les principes de l’État de droit et les droits fondamentaux . . . . 2053

IV. Linstitutionnalisation . . . . 2054

I. Les impacts et leur évaluation

Produire des droits « concrets et effectifs » et non pas « théoriques ou illusoires » : tel est le principe moteur posé de longue date par la Cour européenne des droits de l’homme.1Or concevoir des mesures étatiques ayant de l’impact a de tout temps constitué un défi majeur pour les autorités publiques, car on observe dans la réalité deux types de droit, l’un écrit dans les livres et l’autre vécu en action2. L’étude de ce contraste constitue le cœur même de l’éva- luation, une démarche destinée à concevoir, mettre enœuvre et réviser les mesures étatiques en fonction de leur impact sur la réalité sociale, environnementale et économique.

* Je remercie M. Simon Junod et MmeMorgane Ventura, assistant·e·s, pour la relecture et la mise en forme du texte.

1 Cour EDH, 9.10.1979, no6289/73, Airey c. Irlande, § 24.

2 Pour reprendre la fameuse expression deRoscoe Pound, Law in books and law in action, American Law Review 1910, p. 15 ss.

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La pratique évaluative s’est aujourd’hui généralisée sur leplan international.3Fait remar- quable dans ce tableau, la Suisse est l’un des quelques pays4à avoir explicitement érigé cette discipline au niveau constitutionnel.5

L’évaluation des mesures étatiques est parfois qualifiée d’évaluation des politiques publiques6, car elle peut porter sur des objets les plus divers, juridiques ou non juridiques, législatifs ou non législatifs, obligatoires ou recommandationnels, publics ou privés.7Dans la mesure toutefois où toute politique publique doit se fonder au final sur la loi en vertu du principe de légalité, son évaluation se confondra dans une certaine mesure avec l’évaluation législative. La différence d’objet reflète ici une différence d’optique plutôt qu’une divergence de fond.8Dès lors, dans la suite de cet article, nous considérerons de manière interchangeable comme objet de l’évaluation tant la loi que toutes les mesures étatiques et politiques publiques qui en dé- rivent.

Si la formule évaluative trouve ses sources dans l’Antiquité, les 18eet 19esiècles en ont été l’apogée avec l’essor des sciences de la législation9. Depuis les années 1970, la discipline s’est reconstituée en Suisse sous l’impulsion d’Eichenberger10puis de Noll11sous l’étiquette de lé-

3 Sur l’état actuel du développement de l’analyse d’impact et de l’évaluation rétrospective, cf.OCDE, Re- gulatory Policy Outlook 2018, Paris 2018, p. 61 et 67 ;Banque mondiale,Global Indicators of Regulatory Governance, Worldwide Practices of Regulatory Impact Assessments, Washington (DC), 2018 (rule making.worldbank.org) ; Pour des repères bibliographiques sur l’évaluation, cf. LeGes 2018/1, ch. 3.3 ; Fritz Sager et al.(éd.), Evaluation im politischem System der Schweiz, Zurich 2017 ;Alexandre Flückiger, (Re)faire la loi, Traité de légistique à l’ère du droit souple, Berne 2019, p. 162 ss (en particulier la note 1022) et p. 619 s. (en particulier la note 3499).

4 En droit français, cf. les art. 24 al. 1, 47–2 al. 1, 48 al. 4 et 51 al. 2 de la Constitution française. En droit allemand, la Cour constitutionnelle impose au législateur une obligation de veille et de correction lé- gislatives en cas d’incertitude concernant les effets de la loi sur les droits fondamentaux (‹Beobach- tungspflicht, Korrektur- oder Nachbesserungspflicht) (Alexandre Flückiger, Case-law sources for evaluat- ing the impact of legislation, an application of the precautionary principle to fundamental rights, The Theory and Practice of Legislation 2016, p. 1 ss).

5 Cf. les références aux sources en droit fédéral et cantonal ci-dessous N. 1314.

6 Cf. par exemple l’art. 128 al. 3 Cst. GE ou l’art. 24 al. 1 de la Constitution française.

7 Cf.Flückiger(note 3), p. 621.

8 Luzius Mader, L’évaluation législative,pour une analyse empirique des effets de la législation, Lausanne 1985, p. 50.

9 Denis Baranger, Penser la loi, essai sur le législateur des temps modernes, Paris 2018 ;Alexandre Flüc- kiger, Histoire de l’évaluation législative : originalité et postérité du censeur des lois de Gaetano Filan- gieri (1752–1788), in : Alexis Le Quinio/Thierry Santolini (éd.), Giuseppe Compagnoni, Gaetano Fi- langieri, Pellegrino Rossi, Trois précurseurs italiens du droit constitutionnel, Paris 2019, p. 387 ss ;Sigrid Emmenegger, Gesetzgebungskunst : gute Gesetzgebung als Gegenstand einer legislati- ven Methodenbewegung in der Rechtswissenschaft um 1900 : zur Geschichte der Gesetzgebungslehre, Tübingen 2006 ;Bernd Mertens, Gesetzgebungskunst im Zeitalter der Kodifikationen, Tübingen 2004.

10 Benjamin Schindler, Rechtssetzungslehre, Der Beitrag von Kurt Eichenberger aus heutiger Sicht, in : Felix Uhlmann (éd.), Rechtsetzung und Verfassungsgebung : Kolloquium zu Ehren von Professor Kurt Eichenberger, Zurich/Saint-Gall 2013, p. 76 ss.

11 Peter Noll, Gesetzgebungslehre, Reinbek 1973.

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gistique (‹legisprudence›; ‹Gesetzgebungslehre› ou ‹Rechtssetzungslehre›12), plus précisé- ment sous l’angle de lalégistique matérielle, axée sur l’évaluation des impacts de la loi avant et après l’adoption de celle-ci.13Le but d’une telle démarche consiste à améliorer laqualité législative et, partant, des mesures étatiques qui s’y rattachent, en s’efforçant de fonder la loi enraison–le défi est de taille–afin de lui donner la capacité d’agirefficacementsur la réa- lité sociale, environnementale et économique. Cette recherche méthodique d’efficacité ne devrait pourtant pas faire croire à une antinomie avec la quête de justice, idéal plus que ja- mais essentiel. Adopter des lois justes, mais illusoires, car sans impacts, ne mène en effet pas à plus de justice dans les faits.14

Lasumma divisiode l’évaluation est chronologique, la mise enœuvre constituant le point charnière : une analyse d’impact prospective de la loi en projet (évaluationex ante) et une évaluation rétrospective pour examiner comment les textes se sont comportés afin de les réorienter au besoin (évaluationex post). Certains complètent le schéma par une évaluation concomitante servant à recueillir au cours de la mise enœuvre des données utiles à l’évalua- tion rétrospective (évaluationin itinere -que nous préférons qualifier de méthode de suivi de la mise enœuvre).15En pratique, ces étapes sont destinées à s’imbriquer les unes dans les autres, car les lois totalement nouvelles sont rares. En effet, l’évaluation des mesures existan- tes devrait idéalement précéder l’analyse d’impact des projets afin de générer une boucle d’apprentissage (‹learning loop›).16

L’analyse d’impact prospective, au sens large, comprend trois étapes successives17: unephase analytiquevisant à analyser l’impulsion normative, le bien-fondé des données de base et la pertinence du problème ; unephase téléologiquedestinée à évaluer et à déterminer la perti- nence des objectifs ; unephase stratégiquevisant à sélectionner et à évaluer les mesures à adopter en fonction de leurs impacts et de leur efficacité (analyse d’impact au sens étroit18).

L’évaluation rétrospectivecomprend une phase de suivi de la mise enœuvre puis de réexamen après évaluation, appelant le législateur à devenir réflexif afin de lui donner l’occasion d’ap- prendre de ses essais et de ses erreurs.19

12 En Suisse, cf. l’ouvrage de référence :Georg Müller/Felix Uhlmann, Elemente einer Rechtssetzungs- lehre, 3eéd., Zurich 2013. Sur ces différents termes, cf.Flückiger(note 3), p. 33 ss, (en particulier 60 ss), et 71 ss.

13 En droit suisse, on soulignera les travaux précurseurs sur lévaluation de Charles-Albert Morand (Mo- rand,L’évaluation des effets des mesures étatiques, in : Thürer/Aubert/Müller, Verfassungsrecht, § 71, N. 1 ss et de son élève,Luzius Mader(note 8).

14 Flückiger(note 3), p. 83 ss.

15 Sur l’analyse d’impact prospective, cf.Flückiger(note 3), p. 162 ss ; sur le suivi de la mise enœuvre, idem, p. 628 s. ; sur lévaluation rétrospective,idem, p. 619 ss.

16 Rob van Gestel/Jan Vranken, Assessing the Accuracy of Ex Ante Evaluation through Feedback Research, A Case Study, in : Jonathan Verschuuren (éd.), The Impact of Legislation, A Critical Analysis of Ex Ante Evaluation, Leyde 2009, p. 270 s.

17 Flückiger(note 3), p. 162 ss.

18 Ibidem, p. 449 ss.

19 Ibidem, p. 619 ss (en particulier p. 628 s. et p. 643 ss).

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II. Les critères et les méthodes d’évaluation

L’évaluation se décline en une série de techniques qui s’appliquent tant de manière prospec- tive que rétrospective, mais qui varient selon les critères en jeu : une évaluation de laperti- nencedes mesures (en particulier du problème et des objectifs visés) ; une évaluation de l’en- semble des impactséconomiques, environnementaux et sociaux ; une évaluation des impacts par rapport à l’efficacitédes mesures.

Déterminer tout d’abord si une mesure estpertinente(‹relevant›) revient à évaluer si elle per- met de résoudre le problème de société à sa base, en se fondant sur des faits pertinents et suffisamment établis (‹evidence-based legislation›). Si la mesure n’est pas pertinente, il devient inutile de vérifier si elle est mise enœuvre ou si elle est efficace–c’est-à-dire capable d’at- teindre son but–puisque, même si elle est appliquée et si le but est atteint, le problème de base subsiste, non résolu. L’évaluation démontre dans ce cas que la mesure est inutile. Re- posant sur un mauvais diagnostic du problème, elle s’avère être un mauvais remède.20 Elargir ensuite l’évaluation à tous les impacts possibles d’une mesure en termes sociaux, en- vironnementaux et économiques caractérise l’analyse d’impact intégrée. Une telle évaluation s’impose dans un État de droit, car se limiter à un seul type de facteur, par exemple écono- mique, ne permet pas de soupeser l’ensemble des intérêts publics en jeu dans les politiques publiques. La liste complète des impacts potentiels étant particulièrement longue à énumé- rer, la sélection de ceux qu’il importe d’évaluer plus spécifiquement découle soit de la légis- lation, soit du principe de proportionnalité qui impose de se restreindre aux impacts les plus significatifs compte tenu du domaine visé.21

Enfin, évaluer l’efficacité,au sens large, d’une mesure sur la base des impacts précédents consiste à déterminer si elle peut atteindre les buts visés par la loi (efficacité au sens étroit;

‹Wirksamkeit›). Cela implique d’évaluer préalablement si les destinataires de la mesure s’y conforment effectivement ou l’utilisent vraiment (effectivité;‹Effektivität›ou‹Befolgung›).

Dans une perspective économique, l’évaluation porte également sur la capacité d’une mesure à atteindre les buts visés au meilleur coût (efficience;‹Effizienz›ou‹Wirtschaftlichkeit›).22 On le devine à l’énumération des critères précédents, le défi de l’évaluation réside dans la question desméthodes. Celles-ci dépassent de loin les seules techniques juridiques, mais font appel à l’ensemble des disciplines scientifiques. L’évaluation implique de recourir à uneex- pertise interdisciplinaireétendue.23Derrière ce vaste éventail se cachent des écoles de pensée souvent opposées : approches quantitativesvs qualitatives, approches technocratiques vs

20 Flückiger(note 3), p. 145 ss.

21 Ibidem, p. 457 s.

22 Sur ces différents critères en détail, cf.Flückiger(note 3), p. 460 ss.

23 Sur la nécessité dune approche interdisciplinaire dans le processus législatif, cf. en particulierPaul Ri- chli, Interdisziplinäre Daumenregeln für eine faire Rechtsetzung : ein Beitrag zur Rechtsetzungslehre im liberalen sozial und ökologisch orientierten Rechtsstaat, Bâle etc., 2000.

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participatives, approches économiques (notamment l’analyse coût-bénéfice) vs intégrées (par exemple l’analyse multicritère).24

Desnormes privéesdéfinissent également des principes minimaux applicables audéroulement des évaluations, en particulier les Standards d’évaluation de la Société suisse d’évaluation25et les Lignes directrices sur l’évaluation des politiques publiques de l’Organisation internatio- nale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques26.

III. Les fondements juridiques

1. Les fondements constitutionnels spécifiques

Sur leplan fédéral, l’évaluation des mesures étatiques trouve un fondement constitutionnel spécifique dans la Constitution fédérale de 1999. Selon l’article 170 Cst. féd., l’Assemblée fé- dérale est chargée de veiller à ce que les mesures prises par la Confédération fassent l’objet d’une évaluation, tant prospective que rétrospective, quant à leur « efficacité » (« Wirksam- keit »,« efficacia »). Ce dernier terme ne doit pas être compris littéralement, mais dans un sens élargi, comprenant plus largement l’ensemble des effets, la pertinence, l’effectivité, l’ef- ficience et l’efficacité proprement dite.27Il aurait été à notre avis plus adéquat d’écrire‹im-

pact›. L’exigence est complétée par la nécessité d’accomplir les tâches de l’État « de manière

rationnelle et adéquate ».28

Sur leplan cantonal, le constituant n’a pas été inactif. À Genève, la Constitution cantonale pose le principe général d’une évaluation périodique de la pertinence, de l’efficacité et de l’ef- ficience de l’action de l’État29, confie la tâche d’évaluation des politiques publiques à la Cour des comptes30, soumet la réalisation des droits fondamentaux31ainsi que les conventions in- tercantonales32à une évaluation périodique indépendante. Dans les Grisons, la nécessité, l’efficacité et la capacité de financer les tâches publiques sont soumises à un réexamen pério- dique33, alors que les lois temporaires doivent être évaluées quant à leur efficacité avant leur prorogation éventuelle34. À Schaffhouse, le parlement cantonal peut prévoir une évaluation indépendante qui porte sur l’efficacité des mesures cantonales.35À Saint-Gall, les tâches de

24 Pour un exposé et une critique des différentes méthodes, cf.Flückiger(note 3), p. 479 ss.

25 Standards de la société suisse dévaluation du 9.9.2016.

26 INTOSAI, Lignes directrices sur l’évaluation des politiques publiques (INTOSAI Gov 9400), Vienne, juillet 2016, ch. 1.1 (cf. ci-dessous note 116).

27 Bussmann,St. Galler BV-Komm, Art. 170, N. 13 ;Aubert, in : Petit commentaire, art. 170, N. 4.

28 Art. 43aal. 5 Cst. féd.

29 Art. 151 al. 1 Cst. GE.

30 Art. 128 al. 3 Cst. GE.

31 Art. 42 Cst. GE.

32 Art. 93 al. 2 Cst. GE.

33 Art. 78 Cst. GR.

34 Art. 31 al. 3 Cst. GR.

35 Art. 55 al. 3 Cst. SH.

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l’État doivent être examinées régulièrement afin de déterminer si elles sont toujours néces- saires et supportables financièrement et si elles sont remplies économiquement et efficace- ment.36Dans le canton de Zurich, l’État et les communes doivent évaluer régulièrement la nécessité de chaque tâche publique37et les conséquences à long terme des projets de loi doi- vent être évaluées38.

2. Les fondements de l’analyse d’impact prospective

En droit fédéral, la loi sur le Parlement pose l’obligation de procéder à une analyse d’impact ex ante(art. 141 LParl). Elle ne demande cependant pas de produire un document spécifique qui serait formellement intitulé ainsi, mais d’intégrer, dans l’exposé des motifs des projets de lois fédérales(messages ou rapports explicatifs39), les éléments-clés de l’étude d’impact, au sens large40, suivants : motivation de la loi41; discussion et appréciation des variantes pos- sibles au projet42; impacts économiques43, sociaux, environnementaux et sur les droits fondamentaux (en particulier l’égalité entre hommes et femmes, les conséquences sur les gé- nérations futures et–la précision (d)étonne–sur les Suisses et Suissesses de l’étranger)44; modalités de miseœuvre et d’évaluation rétrospective45. L’exigence s’applique par analogie sous forme de recommandation aux projets d’ordonnances législativesde l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral.46

Laprocédure de consultation47participe pleinement au processus d’évaluation des impacts. La loi fédérale sur la procédure de consultation48met par exemple l’accent sur la capacité de la loi à être mise enœuvre, visant à déterminer si un projet fédéral est « exécutable et suscep- tible d’être bien accepté »49. Les documents soumis à consultation peuvent être accompagnés d’un rapport explicatif sur les conséquences possibles du projet.50Un certain nombre d’ana- lyses d’incidences sectorielles viennent compléter l’exposé des motifs (analyses d’impact au sens étroit) : analyse des impacts économiques ; évaluation de la durabilité ; évaluation écono-

36 Art. 30 Cst. SG.

37 Art. 95 al. 3 Cst. ZH.

38 Art. 67 al. 1 Cst. ZH.

39 Renvoi de l’art. 111 al. 3 LParladart. 141 LParl ; art. 6ade la LF du 18.3.2005 sur la procédure de consultation (LCo ; RS 172.061).

40 Cf. ci-dessus, N. 1–6, sur la différence entre le sens large et étroit.

41 Art. 141 al. 2initioLParl.

42 Art. 141 al. 2 let. c LParl.

43 Art. 141 al. 2 let. e, f, h et gterLParl.

44 Art. 141 al. 2 let. a, g, i et j LParl.

45 Art. 141 al. 2 let. d LParl.

46 Office fédéral de la justice, Guide de législation, Berne 2019, ch. 365 et 394.

47 Art. 147 Cst.

48 LF du 18.3.2005 sur la procédure de consultation (LCo ; RS 172.061).

49 Art. 2 LCo.

50 Art. 8 al. 3 de l’Ordonnance sur la procédure de consultation (OCo ; RS 172.061.1).

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mique des mesures environnementales ; analyse d’impact sur l’égalité entre femmes et hom- mes ; analyse d’impact relative à la protection des données personnelles.51

Endroit cantonal, l’obligation de procéder à uneanalyse d’impact prospectivepeut être expli- citement prévue au niveau constitutionnel. On recense un exemple dans le canton de Zurich où le Conseil d’État doit examiner « les conséquences écologiques, économiques et sociales que les projets législatifs pourraient avoir à long terme. ».52Ailleurs, l’obligation peut être détaillée sur le plan réglementaire à l’instar du droit fribourgeois. Le Conseil d’État du can- ton de Fribourg exige pour les projets de loi une véritable analyse d’impact au sens large comprenant les éléments suivants : analyse de la situation existante53; évaluation des besoins ainsi que des principaux effets de la législation54; examen de la nécessité d’une intervention législative, du niveau des règles et des implications prévisibles pour l’État, les communes et les milieux directement concernés55; évaluation des conséquences financières et en person- nel56; examen des influences sur la répartition des tâches État-communes, la famille, la santé, l’environnement ou l’énergie57; proposition de solutions efficaces et efficientes ainsi que de variantes si besoin58.

3. Les fondements de l’évaluation rétrospective

En matière d’évaluation rétrospective, on distinguera entre leréexamen ponctuelqui trouve son fondement dans des clauses législatives, voire dans la jurisprudence, et leréexamen sys- tématiquede la législation, qui peut être formel ou matériel. Sur ce dernier point, on précisera que le réexamen pris sous son angle matériel est celui qui porte précisément sur l’impact des lois en évaluant la pertinence et l’efficacité de celles-ci, alors que le réexamen formel se contente d’améliorer la systématique, la clarté ou la validité des textes de lois. En pratique cependant la distinction entre la forme et le fond est parfois complexe à déterminer.59 Si l’opportunité de procéder à unréexamen systématiquede la législation est prônée depuis l’Antiquité et répétée aux temps modernes60, la doctrine l’a remis au goût du jour en Suisse depuis les années 1970. Hug a par exemple demandé que« [i]n grösseren zeitlichen Abständen ist eine generelle Bereinigung der Gesamtrechtsordnung […] durchzuführen, und damit ist, soweit als

51 Chancellerie fédérale, Aide-mémoire sur la présentation des messages du Conseil fédéral, Berne 2018, ch. 6.3 s. et 7.8.

52 Art. 67 al. 1 Cst. ZH.

53 Art. 8 al. 1 du Règlement du 24.5.2005 sur l’élaboration des actes législatifs (REAL FR ; RSF 122.0.21).

54 Art. 8 al. 1 REAL FR (note 53).

55 Art. 8 al. 2 REAL FR (note 53).

56 Art. 9 al. 3 REAL FR (note 53).

57 Art. 9 al. 3 REAL FR (note 53).

58 Art. 9 al. 4 REAL FR.

59 Georg Müller, Hinweise zu Methode und Verfahren der Rechtsbereinigung und Rechtsverbesserung, LeGes 2007/3, p. 417 ss, 418.

60 Flückiger(note 9).

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möglich, eine Revision veralteter Rechtserlasse zu verbinden, mit dem Ziel der quantitativen und qua- litativen Vereinfachung des Rechts »61. Endroit fédéral, la Confédération, renonçant à une éva- luation matérielle, a adopté une loi relative à la mise à jour formelle62qui a conduit à abroger une vingtaine de lois et plus d’une centaines d’ordonnances.63Endroit cantonal, plusieurs cantons suisses alémaniques ainsi que le Tessin ont procédé à des mesures analogues, mais comportant parfois une évaluation matérielle sur certains aspects.64Après avoir donné le ton en procédant dès 1996 à l’évaluation systématique de leur législation65, les Grisons ont adopté en 2012 une règle constitutionnelle exigeant que les autorités prennent des me- sures pour limiter la densité de la réglementation et la charge administrative des entreprises.66 Dans le canton du Tessin, un‹Alleggerimento della legislazione›en 2001 a abrogé ou modifié environ deux cents actes juridiques, et l’on retrouve ensuite des programmes analogues à Bâle-Campagne dès 2002, à Zurich dès 2003, en Argovie dès 2009 et à Soleure dès 2012.67 Leréexamen ponctuelpeut trouver son fondement dans desclauses de réexamen et/ou d’évalua- tionspécifiques prévues dans la loi. Alors que les secondes impliquent nécessairement un réexamen, les premières doivent être interprétées pour savoir dans quelle mesure le réexa- men qu’elles réclament contient implicitement le mandat d’en évaluer préalablement l’im- pact de manière plus ou moins formalisée. On trouve de nombreux exemples tant au plan fédéral68que cantonal69. La loi sur les cartels, par exemple, ordonne au Conseil fédéral de veiller « à ce que l’exécution de la présente loi et l’efficacité des mesures prises fassent l’objet d’une évaluation » et de présenter par la suite au Parlement un rapport avec des propositions quant à la suite à donner à l’évaluation.70

Les clauses de réexamen ne sont pas une nouveauté en soi. Le projet de Constitution fédérale de 1799, par exemple, prévoyait qu’après 25 ans, il fallait examiner« was zum Besten der ge- meinen Eidgenossenschaft an der existierenden Errichtung abzuändern oder zu verbessern und dem-

61 Walther Hug, Gesetzesflut und Rechtsetzungslehre, in : Ulrich Klug et al. (éd.), Gesetzgebungstheorie, Juristische Logik, Zivil- und Prozeßrecht, Berlin/Heidelberg 1978, p. 14.

62 LF du 20.3.2008 relative à la mise à jour formelle du droit fédéral (RO 2008 3437).

63 Colette Rossat-Favre, La simplification législative : expériences fédérales et cantonales, LeGes 2017/2, p. 211 ss, 214.

64 Luzius Mader, Materielle und formelle Überprüfung der Gesetzgebung : auf dem Weg zu einer besseren Gesetzgebung, LeGes 2007/3, p. 391 ss, 393.

65 Sur l’historique, cf.Rossat-Favre(note 63), p. 217 s.

66 Art. 84 al. 4 Cst. GR.

67 Rossat-Favre(note 63).

68 Luzius Mader, Le rôle des clauses dévaluation dans le processus législatif fédéral, in : Katia Horber-Pa- pazian (éd.), Regards croisés sur l’évaluation en Suisse, Lausanne 2015, p. 67 ss.

69 Damien Wirths/Christian Rosser/Katia Horber-Papazian/Luzius Mader, Über die gesetzliche Veranke- rung von Evaluation : die Verteilung von Evaluationsklauseln und deren Auswirkungen auf kantona- ler Ebene, in : Fritz Sager et al. (éd.), Evaluation im politischem System der Schweiz : Entwicklung, Bedeutung und Wechselwirkungen, Zurich 2017, p. 155 ss.

70 Art. 59ade la LF du 6.10.1995 sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (LCart ; RS 251).

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nach den Ständen anzuraten sei »71. On en retrouve aujourd’hui trace dans la Constitution du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures, ainsi qu’antérieurement dans la Constitution gene- voise, portant sur un examen périodique de la nécessité d’entreprendre une révision totale.72 L’évaluation peut aussi être exigée par lestribunauxsur le modèle de la Cour constitution- nelle allemande73, bien que l’hypothèse soit plus rare en droit suisse. Le Tribunal fédéral a par exemple sommé le Conseil fédéral de procéder à un nouvel examen des valeurs limites fixées dans une ordonnance visant à protéger contre le rayonnement non ionisant74dès que des nouvelles connaissances scientifiques objectives et fiables seront disponibles75. Certaines catégories de lois ou d’actes étatiques contiennent par la force des choses des clau- ses d’évaluation. En premier lieu les lois temporaires soumises à réexamen, au sein desquel- les on compte leslois crépusculaires(‹sunset law›) et leslois expérimentales.

Leslois crépusculairesdatent des années 1970 aux États-Unis avec le but explicite de freiner l’interventionnisme étatique, même si la pratique en a douché l’espoir.76Elles‹s’éteignent› automatiquement (expliquant la métaphore du‹coucher de soleil›) si elles ne sont pas ex- pressément renouvelées, en principe après une procédure d’évaluation. La clause de limita- tion de la durée est une incitation procédurale à destination du législateur pour pousser ce- lui-ci à procéder assez tôt à une évaluation des impacts si celui-ci tient à pérenniser la loi. En droit fédéral, les messages accompagnant les projets de lois fédérales doivent depuis 2018 faire expressément le point sur « l’examen d’une limitation de la durée de validité des dispo- sitions concernées »77. Les travaux parlementaires relatifs à la révision de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes78en offrent un exemple : le Parlement a proposé d’introduire une telle clause afin de limiter à douze ans la validité des règles relatives à l’analyse de l’égalité des salaires en imposant d’évaluer celles-ci neuf ans au plus tard après leur entrée en vigueur.79 Ledroit cantonal, y compris constitutionnel, offre quelques exemples également.80

71 Andreas Kley, Verfassungsgeschichte der Neuzeit : Ergänzende Dokumente, Zurich 2007, p. 102. Cf.

ég. en France le projet de constitution girondine de 1793 qui demandait de « revoir et perfectionner la Constitution » après 20 ans (cit. in :Jan Imhof, Die Verfassung des Kantons Appenzell Ausserrhoden auf dem Prüfstand, LeGes 2016/1, p. 51 ss, 53 s.).

72 Art. 114 al. 1 Cst. AR ; art. 180 al. 1 Cst GE (1847). Cf.Imhof(note 71), p. 56.

73 Cf. ci-dessus note de bas de page 4 (réf. cit.).

74 Ordonnance du 23.12.1999 sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI ; RS 814.710).

75 Arrêt du TF 1A.10/2001 du 8.4.2002. Pour d’autres exemples, cf.Flückiger(note 3), p. 641 ss, en par- ticulier 642.

76 Flückiger(note 3), p. 655 ss.

77 Art. 141 al. 2 let. aquaterLParl.

78 FF 2017 5169 ss.

79 Art. 17b LEg (modification du 14.12.2018 ; RO 2019 2815).

80 « La validité des lois peut être limitée dans le temps. Avant d’être prorogées, les lois doivent être exa- minées quant à leur efficacité » (art. 31 al. 3 Cst. GR).

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Leslois expérimentalescontiennent comme les précédentes une clause de caducité et une clause d’évaluation. Elles visent à expérimenter de nouvelles règles de droit selon un proto- cole scientifique préétabli. Elles demandent d’examiner les effets des mesures testées–en limitant ou non l’expérience à un échantillon de destinataires, selon les variantes –afin d’en évaluer la pertinence et l’efficacité avant de décider de la suite qu’il conviendra de don- ner à l’expérience.81Endroit fédéral, le Guide de législation de la Confédération récapitule les conditions à respecter, telles que définies initialement par le Conseil fédéral.82Les illustra- tions d’expérimentations et de projets-pilotes sont multiples.83On se bornera à rappeler ici un ancien exemple, celui de l’ordonnance du 8 novembre 1978 concernant un essai tempo- raire et local de limitation de vitesse à 50 km/h dans les agglomérations84, qui a fait l’objet d’une jurisprudence, rarissime en la matière85. Endroit cantonal, deux cantons ont légiféré de manière générale sur la législation expérimentale.86

Les lois visant à provoquer l’autorégulation d’un domaine (lois Damoclès) peuvent également contenir des clauses d’évaluation. Par de telles lois, l’État s’abstient de prendre des mesures dans un secteur déterminé contre la promesse des milieux visés de s’autoréguler afin d’at- teindre les objectifs fixés dans ces lois. Le législateur adopte, à titre de menace, la réglemen- tation de substitution–ou la compétence d’édicter celle-ci–qu’il conviendra d’appliquer à la place de l’autorégulation en cas d’échec de celle-ci. La loi peut le cas échéant détailler la pro- cédure d’évaluation à suivre pour assurer la mise enœuvre, évaluer l’impact des mesures possiblement prises par les particuliers ainsi que le degré d’atteinte des objectifs fixés.87 Tel est l’exemple de la loi fédérale sur le cinéma prévoyant le prélèvement d’une taxe par entrée si la diversité de l’offre cinématographique ne devait pas être atteinte dans une région donnée, en particulier par des mesures concertées au sein de la branche cinématographique.88 Enfin, les instruments de coordination tels que lesplans-programmescontiennent nécessai- rement un mécanisme d’évaluation en raison de leur nature intrinsèquement itérative et dy- namique.89Le Conseil fédéral exige par exemple que les cantons‹vérifient›leurs plans de gestion des déchets tous les cinq ans et les adaptent si nécessaire.90

81 Flückiger(note 3), p. 660 ss.

82 Office fédéral de la justice, Guide de législation : guide pour lélaboration de la législation fédérale, 4eéd., Berne 2019, N. 1044 ss.

83 Flückiger(note 3), p. 662 ss.

84 RO 1978 1700 ss.

85 ATF 108 IV 52 p. 54 ss.

86 Genève: loi du 14.12.1995 concernant la législation expérimentale du 14.12.1995 (RS/GE A 2 35) ; Berne: ordonnances exploratoires (« Versuchsverordnungen »), prévues à l’art. 44 al. 1 de la loi sur lorganisation du Conseil-exécutif et de ladministration (RSB 152.01).

87 Flückiger(note 3), p. 362 ss.

88 Art. 17 ss de la LF du 14.12.2001 sur la culture et la production cinématographiques (LCin ; RS 443.1).

La procédure d’évaluation est définie à l’art. 20 LCin.

89 Flückiger(note 3), p.392 s.

90 Art. 4 al. 3 de l’ordonnance du 4.12.2015 sur la limitation et l’élimination des déchets (OLED ; RS 814.600).

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4. Les fondements dans les principes de l’État de droit et les droits fondamentaux Le processus d’évaluation d’impact peut être considéré comme l’avènement d’une rationalité expérimentale dans la législation et les politiques publiques. Il se démarque de la rationalité logico-déductive, plus classique en droit bien qu’abondamment critiquée entretemps.91 Cette rationalité expérimentale s’exprime par la nécessité de légiférer par apprentissages successifs découlant d’une analyse fondée des problèmes de société à résoudre et d’une éva- luation globale de l’ensemble des impacts sociaux, environnementaux et économiques tou- chés.

De nombreux principes de l’État de droit et droits fondamentaux posent déjà de telles exi- gences si bien que la démarche légistique, et évaluative en particulier, trouve de solides fon- dements en droit positif. Les analyses d’impactex anteou les évaluationsex postsont ainsi à disposition des autorités et des juges pour les aider à concrétiser ces principes. La doctrine qualifie cette évolution detournant légistiquedans lecontroˆ le de constitutionnalité des lois, per- ceptible non seulement en droit allemand,92mais aussi en droit de l’Union européenne93ain- si que dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme94.

En droit suisse, on peut analyser sous cet angle la jurisprudence relative aux grands principes de l’État de droit notamment. Alors que le principe delégalité95structure l’ensemble de la problématique, l’interdiction de l’arbitraire96, ainsi que l’obligation d’accomplir de manière ra- tionnelle et adéquateles tâches étatiques97, exigent de prouver la rationalité et la cohérence des mesures étatiques ; ce que la démarche évaluative est à même d’offrir. L’analyse d’impact peut ainsi établir qu’une loi n’est pas arbitraire en démontrant que celle-ci est motivée, que les faits qui la fondent ont été analysés de manière pertinente, et qu’elle a un but et un sens.98

Il en va de même pour le principe deproportionnalité99, omniprésent dans la démarche légis- tique, qu’il s’agisse de l’évaluation rétrospective pour déterminer l’aptitude des mesures à at- teindre leurs buts ou de l’analyse d’impact prospective dans ses différentes phases analytique,

91 Flückiger(note 3), p. 392 s.

92 Angel Daniel Oliver-Lalana/Klaus Meßerschmidt, On the « Legisprudential Turn » in Constitutional Re- view : An Introduction, in : Klaus Meßerschmidt/Angel Daniel Oliver-Lalana (éd.), Rational Law- making under Review : Legisprudence According to the German Federal Constitutional Court, Berlin 2016, p. 1 ss.

93 Julian Nowag/Xavier Groussot, From Better Regulation to Better Adjudication ? Impact Assessment and the Court of Justice’s Review, in : Sacha Garben/Inge Govaere (éd.), The EU Better Regulation Agen- da : A Critical Assessment, Portland 2018, p. 185 ss.

94 CourEDH, 22.4.2013, no48876/06, Animal Defenders International c. Royaume (cf.Flückiger[note 3], p. 111 ss [en particulier la note 703] et p. 437 ss [en particulier les notes 2532 à 2534]).

95 Art. 5 al. 1, art. 36 et art. 127 Cst. féd.

96 Art. 9 Cst. féd.

97 Art. 43aal. 5 Cst. féd.

98 Flückiger(note 3), p. 115 ss.

99 Art. 5 al. 2 Cst. féd. et 36 al. 3 Cst. féd.

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téléologique et stratégique (défaut d’aptitude des mesures fondées sur des faits non perti- nents ou insuffisamment établis ; nécessité de disposer d’objectifs clairs pour procéder à l’e- xamen de la proportionnalité ; proportionnalité comme guide dans le choix des instruments permettant d’atteindre de manière efficace et efficiente les buts visés).100

L’application de l’égalité de traitementet de l’interdiction des discriminations101bénéficie égale- ment de l’apport des évaluations d’impact.102En effet, pour comparer les situations en jeu, il faut examiner le but et les impacts probables de la loi, puis vérifier si les distinctions ou as- similations que celle-ci contient sont aptes à réaliser l’objectif poursuivi.103Le législateur ne doit en outre pas se limiter au texte de la loi, mais doit bien examiner les conséquences concrètes de celui-ci lorsqu’il vérifie l’égalitéau-delàde la loi104, en particulier lorsque l’on est en présence de discriminations indirectes exigeant de considérer l’impact de la mesure contestée.105Par ailleurs, l’analyse de l’égalité dans les faits–qu’il s’agisse d’égalité des chances ou de résultat–exige forcément d’évaluer l’impact tangible sur la réalité sociale et écono- mique.106

Enfin, la doctrine admet à juste titre que la compétence demise enœuvrede la législation res- sortissant à l’exécutif en vertu de la séparation des pouvoirs107comprend implicitement une compétence d’évaluation.108

IV. L’institutionnalisation

La Constitution fédérale ne prête à l’Assemblée fédéraleque la compétence de‹veiller›à l’é- valuation de l’efficacité des mesures prises par la Confédération.109Elle peut exercer elle-mê- me cette fonction ou la confier à la responsabilité du Conseil fédéral.110L’Assemblée fédérale doit exercer la haute surveillance parlementaire111notamment selon les critères d’efficacité et d’efficience économique112; il revient dans ce contexte auControˆ le parlementaire de l’admi- nistration(CPA) la mission de réaliser des évaluations et de contrôler celles qui sont effec-

100 Flückiger(note 3), p. 117 s.

101 Art. 8 al. 1erCst. féd.

102 Flückiger(note 3), p.118 ss.

103 Pierre Moor/Alexandre Flückiger/Vincent Martenet, Droit administratif I, Les fondements généraux, 3e éd., Berne 2012, p. 841.

104 Vincent Martenet, Géométrie de l’égalité, Zurich etc. 2003, p. 99 ss et 151 ss.

105 Martenet(note 104), p. 102 ss.

106 Moor/Flückiger/Martenet(note 103), p. 846 ss.

107 Art. 182 al. 2 et 187 al. 1 let. a Cst. féd.

108 Dans ce sens, cf.Biaggini, Komm. BV, Art. 170, N. 3 ;Bussmann(note 27), N. 11.

109 Art. 170 Cst. féd.

110 Art. 27 et 44 al. 1 let. e et f LParl.

111 Art. 169 Cst. féd.

112 Art. 26 al. 3 let. d et e LParl.

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tuées par l’administration fédérale.113Pour leur part, lesCommissions de gestion(CdG) exer- cent la haute surveillance sur la gestion sous l’angle de l’efficacité notamment.114

Outre les évaluations mandatées par le Parlement, leConseil fédéralpeut en initier lui-même, en confiant la tâche à son administration ou en l’externalisant.115

LesCours des comptesexercent désormais également une activité d’évaluation. Regroupées en une organisation non-gouvernementale (Organisation internationale des institutions supé- rieures de contrôle des finances publiques [INTOSAI]), elles ont édicté des normes interna- tionales privées à destination des membres de celle-ci. On citera lesLignes directrices sur l’évaluation des politiques publiques visant à « analyser de manière neutre et indépendante les différents critères permettant l’expression d’une appréciation sur l’utilité d’une politique publique ».116Sur leplan fédéral, le Contrôle fédéral des finances (CDF), membre de l’INTO- SAI, est chargé d’évaluer l’efficience et l’efficacité des ressources et des dépenses.117Il dispose d’un centre de compétences spécifique chargé d’effectuer des évaluations (Centre de compé- tence 6 « Evaluations »).118Sur leplan cantonal, on trouve un exemple, celui de la Cour des comptes du canton de Genève qui a pour tâche constitutionnelle explicite d’évaluer les po- litiques publiques.119La cour genevoise a repris la mission d’évaluation d’une institution ori- ginale dont la composition était pluraliste : la Commission externe d’évaluation des politi- ques publiques (CEPP) active à Genève entre 1995 et 2013.120

Divers organismes sont également amenés à éclairer le processus de décision politique par le biais d’évaluations, à l’instar de laFondation pour l’évaluation des choix technologiques121ou la Commission nationale d’éthique, dont on soulignera le mandat spécifique de « signaler les la- cunes de la législation » dans le domaine de la procréation médicalement assistée.122Lesins- titutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’hommefondées sur les Prin- cipes de Paris des Nations Unies123se voient également confier la tâche d’évaluer le « degré auquel les lois, politiques et pratiques assurent que la jouissance des droits en question est

113 Art. 10 al. 1 let. a et b OLPA.

114 Art. 52 LParl.

115 Flückiger(note 3), p. 124 ss, en particulier 130.

116 INTOSAI, Lignes directrices sur lévaluation des politiques publiques (INTOSAI Gov 9400), Vienne, juillet 2016, ch. 1.1. Critique sur le mélange des genres entre évaluation et contrôle auquel peuvent conduire des évaluations menées par les Cours des comptes, cf.Flückiger(note 3), p. 138 s. et 624 ss, en particulier p. 626 ss.

117 Art. 5 al. 2 LCF.

118 Cf. : efk.admin.ch/fr/> A propos de nous > Centres de compétence (13.11.2018).

119 Art. 128 al. 3 Cst. GE.

120 Jean-Daniel Delley, La commission externe dévaluation des politiques publiques, LeGes 2005/1, p. 111 ss.

121 Cf. : ta-swiss.ch (13.11.2018).

122 Art. 28 al. 3 let. b et c de la loi fédérale du 18.12.1998 sur la procréation médicalement assistée (LPMA ; RS 810.11).

123 Nations Unies, Résolution 48/134 de l’Assemblée générale du 20.12.1993, annexe (« Principes de Pa- ris »).

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effective »124, d’en suivre la mise enœuvre125et d’évaluer l’effectivité des droits.126En Suisse, le Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH), instauré à titre de projet- pilote, a clairement pour mission de procéder à des « évaluations sur la portée pratique et l’application concrète des normes relatives aux droits de l’homme »127. Regrettablement, l’a- vant-projet de loi fédérale sur le soutien à l’institution nationale des droits de l’homme (LIDH) ne reprend pas explicitement ce mandat d’évaluation.128

D’autres organes existent aussi en droit international pourévaluer la mise enœuvreaussi bien derègles obligatoiresdécoulant de traités que derègles de droit souple(soft law).129L’examen périodique universel(EPU) du Conseil des droits de l’homme130illustre la première catégorie.

La seconde–qui peut surprendre pour qui refuse de reconnaître une certaine juridicité au droit souple–consiste pour les autorités à évaluer, faire ou laisser évaluer la mise enœuvre de normes qu’elles ne sont pas obligées de mettre enœuvre puisqu’il ne s’agit que de recom- mandations. Par exemple, leGroupe d’États contre la corruption(GRECO) est chargé de suivre la mise enœuvre de la recommandation sur le financement des partis politiques et des cam- pagnes électorales131alors que le Groupe de travail sur les évaluations et la mise enœuvre du Groupe d’action financière(GAFI) doit contrôler l’évaluation de la mise enœuvre de ses re- commandations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme132, ayant même élaboré spécifiquement un guide et un manuel d’évaluation à cet effet.133

Si lestribunauxpeuvent recourir à des évaluations dans leurs jugements134, ils pourraient également être tenus à évaluer les conséquences de leurs jugements dans le cadre d’unein-

124 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de lhomme, Institutions nationales pour les droits de l’homme : Historique, principes, fonctions et attributions, New York/Genève 2010, p. 115.

125 Ibidem, p. 123 ss.

126 Ibidem, p. 128 s.

127 Contrat-cadre entre la Confédération suisse et l’Université de Berne concernant l’achat de services auprès dun Centre suisse de compétence pour les droit humains du 17.12.2015, ch. 3.2.

128 Art. 3 de l’avant-projet de la LIDH mis en consultation le 28.6.2017.

129 Flückiger(note 3), p. 135 ss (en particulier p. 144) et p. 316 ss, avec des exemples complémentaires.

130 Pour une analyse, cf.Barbara Wilson, L’effectivité des mécanismes de protection des droits de l’homme au sein des Nations Unies, in : Michel Hottelier (éd.), Albert Cohen, L’écrivain au service de l’État de droit, Genève 2011, p. 59 ss.

131 Préambule de la Recommandation du Comité des Ministres aux États membres sur les règles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes électo- rales du 8.4.2003.

132 Recommandations du GAFI, Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération, du 16.2.2012 (mises à jour en octobre 2016).

133 Cf.Ursula Cassani, Linternationalisation du droit pénal économique et la politique criminelle de la Suisse, la lutte contre le blanchiment d’argent, RDS 2008 II, p. 227 ss, p. 249 ss.

134 Cf. ci-dessus N. 22.

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terprétation conséquentialiste(« folgenorientierte Auslegung ») ou lorsqu’en vertu de l’article 1 al. 2 CC ils doivent jugerin modo legislatorisen présence de lacunes proprement dites135. Enfin, quant à l’analyse d’impact prospectivedes projets de loi, celle-ci est réalisée en principe sous la houlette du Conseil fédéral. Elle ressortit cependant à l’Assemblée fédérale lorsque le projet découle d’une initiative parlementaire.136Contrairement à d’autres pays, la Suisse ne connaît pas unorgane de controˆ le de la réglementationspécifiquement chargé d’examiner la qualité des analyses d’impact.137Si une telle institution devait être établie, il importerait de veiller à prévenir le risque d’une dérive technocratique et comptable de l’évaluation que l’on a pu observer en droit comparé.138Dans un État démocratique, tous les efforts de- vraient tendre à développer une évaluation plusparticipative, pluspluralisteet finalement plusinclusive.139

135 Flückiger(note 3), p. 121 s.

136 Cf. ci-dessus ch. I.1.

137 Pour une comparaison entre différents pays, cf.Christian Rüefli, Regulierungsprüfstellen : ausländi- sche Beispiele und Erfahrungen, LeGes 2017/2, p. 265 ss. Sur les projets en cours au plan fédéral, cf. les motions 15.3400 et 15.3445 de juin 2016, la motion 16.3985 de décembre 2016 et l’initiative parlementaire 19.402.

138 Flückiger(note 3), p. 139 ss (en particulier p. 141 s.).

139 Ibidem, p. 494 ss.

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