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L'impact des mouvements écologistes, antinucléaires et pacifistes sur les politiques publiques: Le cas des États-Unis, de l'Italie et de la Suisse, 1975-1995

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L'impact des mouvements écologistes, antinucléaires et pacifistes sur les politiques publiques: Le cas des États-Unis, de l'Italie et de la

Suisse, 1975-1995

GIUGNI, Marco

Abstract

Apres un regard rapide sur l'état actuel de la recherche sur les conséquences des mouvements écologistes, antinucléaires et pacifistes en nous centrant sur les travaux qui s'intéressent aux effets de la mobilisation sur les politiques publiques et mettant en évidence certaines variables explicatives majeures, nous donnons un aperçu des mobilisations sur ces thèmes aux Etats-Unis, en Italie et en Suisse. Pour conclure, nous proposons une approche comparative et longitudinale de l'impact des mouvements sociaux sur les politiques publiques.

Selon cette approche, cet impact peut difficilement être autonome, mais découle de l'articulation de la contestation et de trois autres facteurs : la structure des opportunités poli- tiques (notamment les alliances politiques), la position de l'opinion publique par rapport aux enjeux soulevés par ces mouvements et la proéminence de ces enjeux. Nous confrontons arguments théoriques et données empiriques concernant ces mobilisations dans les trois pays de 1975 " 1995. Notre analyse montre comment ces trois facteurs interviennent de manière décisive, mais différenciée [...]

GIUGNI, Marco. L'impact des mouvements écologistes, antinucléaires et pacifistes sur les politiques publiques: Le cas des États-Unis, de l'Italie et de la Suisse, 1975-1995. Revue française de sociologie , 2001, vol. 42, no. 4, p. 641-668

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:85524

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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Association Revue Française de Sociologie

L'impact des mouvements écologistes, antinucléaires et pacifistes sur les politiques publiques: Le cas des États-Unis, de l'Italie et de la Suisse, 1975-1995

Author(s): Marco Giugni

Source: Revue française de sociologie, Vol. 42, No. 4 (Oct. - Dec., 2001), pp. 641-668

Published by: Sciences Po University Press on behalf of the Association Revue Française de Sociologie

Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3322735 Accessed: 03-05-2016 09:33 UTC

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Marco GIUGNI

L'impact des mouvements ecologistes, antinuclkaires et pacifistes

sur les politiques publiques

Le cas des Itats-Unis, de 1'Italie et de la Suisse,

1975-1995*

REISUME

Apres un regard rapide sur l'6tat actuel de la recherche sur les consequences des mouve- ments 6cologistes, antinucleaires et pacifistes en nous centrant sur les travaux qui s'intdres- sent aux effets de la mobilisation sur les politiques publiques et mettant en evidence certaines variables explicatives majeures, nous donnons un aperqu des mobilisations sur ces themes aux Etats-Unis, en Italie et en Suisse. Pour conclure, nous proposons une approche comparative et longitudinale de l'impact des mouvements sociaux sur les politiques publi- ques. Selon cette approche, cet impact peut difficilement etre autonome, mais d6coule de l'articulation de la contestation et de trois autres facteurs : la structure des opportunit6s poli- tiques (notamment les alliances politiques), la position de l'opinion publique par rapport aux enjeux souleves par ces mouvements et la pro6minence de ces enjeux. Nous confron- tons arguments theoriques et donnies empiriques concernant ces mobilisations dans les trois pays de 1975 " 1995. Notre analyse montre comment ces trois facteurs interviennent de maniere decisive, mais diff6rencide selon les mouvements, pour modifier la relation entre contestation et politiques publiques.

* Cet article s'appuie sur une etude financ6e par une bourse de chercheur avanc6 du Fonds national suisse de la recherche scienti- fique. Je remercie Florence Passy, avec qui j'ai 6labor6 les id6es sur l'effet conjoint des mouve- ments sociaux. Ces id6es sont d6velopp6es dans

un autre texte (Giugni et Passy, 1998). J'ai 6galement profit6 d'une discussion via le courrier 61ectronique avec Mario Diani. Je remercie les lecteurs de la revue pour leurs critiques et commentaires.

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Revue frangaise de sociologie

Cet article s'interesse A l'impact politique des mouvements 6cologistes, antinucl6aires et pacifistes. Ce sont trois mouvements qui ont 6t6 tres actifs durant les trente dernieres ann6es (1). L'6tude des consequences des mouve- ments sociaux a 6t6 pendant longtemps n6glig6e dans la litterature sp6cialis6e, meme si les travaux de qualit6 ne manquent pas et que leur nombre est en croissance chaque ann6e. N6anmoins, cet aspect reste a l'heure actuelle moins d6velopp6 que l'6tude de l'6mergence des mouvements et des processus de mobilisation. De surcroit, les travaux existants se limitent trop souvent A des cas sp6cifiques qui se pretent mal a une g6n6ralisation des r6sultats.

Ici nous suivrons une perspective A la fois comparative et longitudinale, proposant une comparaison de l'impact que les trois mouvements ont eu sur les politiques publiques de trois pays occidentaux pendant une p6riode de vingt ans (1975-1995). I1 s'agit grosso modo d'une p6riode qui comprend un cycle de contestation complet allant de l'6mergence de la mobilisation de ces mouvements A son d6clin. Les pays 6tudi6s, les Etats-Unis, l'Italie et la Suisse, ont 6t6 choisis car ils ont tous connu une mobilisation importante, bien que d'intensit6 diff6rente d'un contexte national a l'autre. Ces pays se distin- guent aussi par rapport a une variable qui, comme l'ont montr6 plusieurs travaux sur les mouvements sociaux, joue un r6le crucial pour expliquer non seulement l'6mergence et le d6clin des mouvements, mais aussi leur impact : la structure des opportunit6s politiques (voir, par exemple, Kitschelt, 1986;

Kriesi et al., 1995; McAdam, 1982, 1996; Tarrow, 1996, 1998; Tilly, 1978).

En particulier, ces trois pays different quant aux possibilit6s qu'ont les mouvements d'6tablir des alliances politiques avec les acteurs institutionnels, notamment avec les partis : un systeme electoral majoritaire bipartite tel que celui des Etats-Unis offre aux groupes contestataires des opportunit6s d'un autre type par rapport a un systeme proportionnel ofi les partis cooptent une grande partie de la contestation, comme en Italie (du moins jusqu'au debut des ann6es 1980) (2), ou par rapport & un systeme comme celui de la Suisse, 6galement proportionnel, mais ofi l'allid privil6gi6 de ces mouvements (le parti socialiste) est au gouvernement, bien qu'il soit en position minoritaire au sein d'une coalition (Kriesi et al., op. cit.) (3).

Dans cet article, nous poursuivons trois objectifs. Premierement, nous ferons le bilan de l'6tat actuel de la recherche sur les consequences des mouvements sociaux en nous centrant sur les travaux qui s'int6ressent aux effets politiques de la mobilisation et, plus pr6cis6ment, a ses effets sur les

(1) Selon les donnies pr6senties par Kriesi et al. (1995), la mobilisation de ces trois mouvements couvre presque 60 % du total des actions produites par les nouveaux mouvements sociaux et presque 80 % du total des partici- pants A ces actions.

(2) L'Italie est pass6e au systeme majori- taire (partiel) en 1993, mais avait un syst6me proportionnel pendant la presque totalit6 de la p6riode retenue.

(3) La presence ou l'absence d'allies insti- tutionnels est une des quatre dimensions de la structure des opportunit6s politiques que McAdam (1996) a mises en evidence dans sa synthese de la litt6rature sur ce sujet. Les trois autres dimensions sent l'ouverture ou la fermeture du syst6me politique, la stabilit6 ou l'instabilit6 des alignements politiques, et la propension et la capacit6 de l'Etat A exercer la r6pression.

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politiques publiques. Nous tenterons de mettre en evidence celles qui semblent &tre les variables explicatives principales afin de comprendre comment les mouvements sociaux peuvent influencer les politiques publi- ques, a savoir les alliances politiques, la position de l'opinion publique par rapport aux enjeux souleves par les mouvements et la proeminence de ces enjeux. Deuxiemement, nous donnerons un apergu des mobilisations sur les themes de l'environnement, du nucleaire et de la paix aux Etats-Unis, en Italie et en Suisse sur vingt ans, apergu qui s'appuie sur une banque de donnees comparatives collectees selon la methode de la protest event analysis. Troisie- mement, nous proposerons une approche pour l'6tude systematique de l'impact des mouvements sociaux sur les politiques publiques. Nous essaye- rons en particulier de montrer en quoi il est difficile d'attribuer a cet impact un r61le autonome dans la mesure oii il decoule plut6t de l'articulation de facteurs lies d'une part aux caracteristiques des mouvements et d'autre part au contexte politique de la contestation. Notre analyse, largement exploratoire, nous permettra de souligner les difficultes que pr6sente l'6tude des cons6- quences des mouvements sociaux, mais aussi les potentialit6s d'une approche a la fois comparative et longitudinale.

L'6tude des consequences des mouvements sociaux

Charles Tilly a r6cemment sugg6r6 que l'on ne peut 6tudier les cons6- quences des mouvements sociaux sans passer par une bonne description de leur mode op6ratoire : << [the] critical causal theories, in any case, will turn out to concern not effects alone but also the very dynamics of social move- ment interactions >> (Tilly, 1999, p. 270). Les dynamiques dont parle Tilly impliquent une interaction entre ceux qui se mobilisent dans diff6rentes formes de contestation sociale, les autorit6s politiques et d'autres acteurs institutionnels tels les partis. En outre, cette interaction se d6roule sous la scrutation de l'opinion publique constamment inform6e sur les 6v6nements par les m6dias.

Le premier pas vers une meilleure comprehension des m6canismes qui permettent aux mouvements sociaux de produire des effets dans leur environ- nement consiste a op6rer une distinction entre diff6rents types d'impact (Burstein et al., 1995). Etant donn6e la vari6t6 de consequences possibles de ces mobilisations, il est tres important de d6finir de fagon precise les types d'impact que l'on veut analyser et de limiter l'explication & un seul type a la fois. Les effets politiques, notamment ceux sur la e1gislation et les politiques publiques, sont certainement ceux qui ont 6t6 6tudi6s le plus souvent (voir, par exemple, Amenta et al., 1992; Andrews, 1997; Banaszak, 1996; Burstein,

1998a, 1999; Burstein et Freudenburg, 1978; Button, 1978, 1989; Costain et Majstorovic, 1994; Gamson, 1990; Huberts, 1989; Kriesi et al., op. cit., chap. 9; MacDougall et al., 1995; Midttun et Rucht, 1994; Rucht, 1999;

Riidig, 1990; Schumaker, 1975; Tarrow, 1993; voir aussi Giugni, 1998, pour

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une revue de la litterature). Le fait que l'on se soit interess6 de si pres aux effets sur les politiques publiques est dfi principalement A deux raisons. D'un c6t6, ce type d'impact est plus facile A examiner que d'autres car il comporte moins de difficultes methodologiques. De l'autre, un des objectifs principaux des mouvements sociaux consiste precisement a produire des changements au niveau des decisions politiques. Ceci est vrai non seulement pour les trois mouvements qui nous occupent ici, et qui suivent principalement une logique instrumentale (Koopmans, 1995), mais aussi pour les mouvements qui ont une forte composante identitaire et une orientation 6minemment expressive.

Nous pouvons des lors nous poser la question de savoir si - et dans quelle mesure - les mobilisations sur les themes de l'environnement, du nucleaire et de la paix ont produit ou, du moins, ont contribua & produire des changements a court ou moyen terme dans les politiques publiques concernant leur champ d'intervention. II ne s'agit pas de determiner de maniere d6finitive quels et combien de changements sont dus a l'action de ces mouvements. Au stade actuel des connaissances, cela ne semble pas possible et probablement n'est meme pas souhaitable du point de vue de la theorie. Notre objectif est plus modeste. Partant du pr6suppos6 qu'il existe un rapport entre mobilisation des mouvements sociaux et changement politique - ce dernier 6tant ici d6fini comme une modification des politiques publiques allant dans la direction voulue par les mouvements -, nous aimerions montrer comment ce rapport varie en fonction de l'intervention d'acteurs politiques institutionnels, de la position de l'opinion publique par rapport aux enjeux soulev6s par la contes- tation et enfin de la nature et de la pro6minence de ces enjeux. Dans la mesure oh ces aspects varient d'un contexte politique A l'autre, on comprend l'impor- tance d'6tudier l'impact des mouvements sociaux dans une perspective comparative.

La Figure I resume le module g6n6ral de l'impact des mouvements sociaux sur les politiques publiques. Il s'agit plus d'une tentative pour orienter l'analyse vers certains facteurs cruciaux que d'un veritable schema explicatif.

Suivant ce module, la possibilit6 que la contestation produise des effets sub- stantiels sur les politiques publiques depend d'un ensemble de facteurs internes (specificites de la contestation) et externes (specificites contex- tuelles). D'un c6t6, comme l'a montr6 Gamson (op. cit.), certaines caract6ris- tiques des mouvements jouent un r61le d6cisif. L'intensit6 et les formes de la mobilisation (notamment son degr6 de radicalisme) sont certainement les plus importantes d'entre elles. De l'autre c6t6, plusieurs auteurs ont soulign6 que la contestation & elle seule ne suffit pas, mais qu'elle doit pouvoir profiter de certains aspects du contexte, notamment politique, dans lequel agissent les mouvements (voir, par exemple, Amenta et al., op. cit.; Goldstone, 1980;

Kitschelt, op. cit.; Kriesi et al., op. cit., chap. 9; Tarrow, 1993, 1998). Deux types de facteurs contextuels jouent un r6le particulibrement important A cet 6gard: la structure des opportunit6s politiques (notamment la presence d'acteurs institutionnels jouant un r61e d'alli6s politiques pour ces mouve- ments) et l'opinion publique. Tout d'abord, les mouvements sociaux partici- pent & un champ interactif dans lequel interviennent d'autres acteurs collectifs

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dont le fonctionnement est influence par les opportunites politiques decoulant du contexte institutionnel de la mobilisation ainsi que par les modalites du processus politique. Au sein de ce champ interactif, les alliances politiques ont une importance particulibre pour les mouvements qui, acteurs minori- taires, ont peu de possibilites d'obtenir des resultats sans 6tablir d'alliances avec des acteurs institutionnels tels que les partis. La presence de tels allies offre aux mouvements des opportunites politiques cruciales a exploiter pour influencer les politiques publiques.

FIGURE I. - Modele general de l'impact des mouvements sociaux sur les politiques publiques

to

Mouvements ---+ Opinion

sociaux - publique

tl

0.Politiques publiques

Structure des opportunit6s politiques

Nature et pro6minence des enjeux (alliances politiques)

---

La position de l'opinion publique par rapport aux enjeux soulev6s par la contestation constitue une deuxieme ressource importante. Plusieurs auteurs ont montr6 la relation 6troite qui existe entre l'opinion publique et les politi- ques gouvernementales, soulignant que des variations sensibles dans les atti- tudes des citoyens par rapport a certains enjeux induisent les decideurs politiques & r6pondre a ces variations (voir, par exemple, Burstein, 1998a,

1998b; Costain et Majstorovic, op. cit.; Devine, 1985; Fording, 1997;

Hartley et Russett, 1992; Hicks, 1984; Hill et Hinton-Andersson, 1995; Page et Shapiro, 1983; voir aussi Burstein, 1998b, pour une revue de la litterature).

Selon les tenants de la theorie de la d6mocratie representative qui se sont pench6s sur cette question (Burstein, 1999; Krehbiel, 1991 ; Lohmann, 1993), la raison d'un tel impact est simple: les decideurs politiques r6pondent a l'opinion publique parce qu'elle repr6sente la majorit6 de la population ou, plus exactement, des 61ecteurs potentiels. L'opinion publique jouerait donc un r6le determinant dans la mesure oui elle est en quelque sorte un barometre des pr6f6rences des citoyens, barometre dont les politiciens doivent tenir compte s'ils veulent etre (r6-)61us. Pour cette raison, ni les mouvements sociaux, ni les groupes d'int6ret n'auraient d'effets significatifs sur les politiques publi-

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ques, puisque tous les deux representent une minorit6 de la population. Sans necessairement partager cette theorie, qui peut-&tre s'applique davantage au contexte americain qu'europeen, oui le vote de parti est plus important (bien que dans une moindre mesure que dans le passe) et oui souvent le systeme electoral proportionnel rend moins 6troit le rapport entre l'6lecteur et l'6lu, il n'en demeure pas moins que l'opinion publique ne peut &tre neglig~e si l'on veut studier l'impact des mouvements sociaux, ne serait-ce que comme variable de contr6le.

L'impact des mouvements sociaux sur les politiques publiques reflete done un jeu complexe d'influences reciproques entre contestation, alliances politi- ques et opinion publique. Au sein de ce jeu, un autre element joue un r61e important : la nature et l'importance des enjeux souleves par les mouvements.

En effet, tous les themes n'ont pas la meme valeur pour les politiques qui l6gi- fbrent ou gouvernent. La tache des mouvements est plus aisle dans certains secteurs ou certains domaines politiques que dans d'autres. D'un c6te, le changement se revele plus difficile a obtenir en politique 6trangere, puisque toute une serie de variables d'ordre international imposent des contraintes supplementaires qui limitent l'autonomie et done la marge d'action du gouvernement ou du parlement. Autrement dit, dans ce cas les mouvements doivent non seulement influencer les autorites nationales, mais dans une certaine mesure agir aussi sur le plan international. De fait, tous les domaines politiques sont de plus en plus dependants de contraintes externes dans un monde toujours plus interconnect6 et, pour ce qui concerne l'Europe, a une epoque oui l'on assiste A une acceleration du processus d'integration euro- peenne. Neanmoins, en politique 6trangere ces contraintes sont plus nombreuses et ont une plus forte influence sur le comportement des autorites nationales.

De l'autre c6te, certaines revendications presentent une plus grande ? menace >> aux autorites politiques dans la mesure o1 elles concernent des enjeux ou des domaines politiques au cceur des intr&ets de l'Etat (Duyvendak, 1994; Kriesi et al., op. cit., chap. 4). Ce degr6 de ? menace >> depend de plusieurs facteurs: la quantit6 de ressources que l'Etat investit dans un domaine donne, le pouvoir en jeu, l'importance 6lectorale et la place strat&- gique de ces enjeux ou domaines politiques par rapport A l'intr&et national. Si nous combinons ces deux dimensions (politique inteme/6trangere et degr6 de ? menace >> aux intr&ts de l'Etat) nous pouvons constater que les trois mouvements 6tudies partent de positions diffdrentes quant aux possibilites qu'ils ont d'influencer les politiques publiques. Le mouvement pacifiste a la tache la plus difficile car il touche souvent des enjeux de politique 6trangere qui ont une place centrale pour l'Etat, car lies a la defense nationale. La tache du mouvement antinuclkaire est quelque peu plus facile dans la mesure oui il affecte des enjeux de politique interne, mais ayant souvent une importance centrale pour l'Etat pour les raisons susmentionnees. Finalement, le mouve- ment - cologiste se trouve dans la position la plus favorable, du moins th-ori- quement, car il implique des enjeux de politique interne qui, de surcroit, n'ont souvent qu'une importance strat~gique marginale pour l'Etat. De plus,

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aujourd'hui, il existe un large consensus sur plusieurs aspects de la protection de l'environnement. Autrement dit, le mouvement 6cologiste est, a plusieurs egards, ce que d'aucuns ont appel6 un <<mouvement de consensus >>

(McCarthy et Wolfson, 1992).

Un aperqu des mobilisations sur les themes de P'environnement, du nuclaire et de la paix

Comme nous l'avons evoque precedemment, I'6tude de l'impact des mouvements sociaux sur les politiques publiques ne peut faire l'impasse sur l'examen de leurs actions et de l'intensit6 de leur mobilisation. Pour ce faire, nous utilisons une banque de donndes construite selon la m6thode de la protest event analysis (voir, par exemple, Jenkins et Perrow, 1977; Kriesi et

al., op. cit.; McAdam, 1982; Olzak, 1992; Rucht et al., 1998; Tarrow, 1989, 1998; Tilly, 1978; Tilly et al., 1975). Cette m6thode consiste " collecter et enregistrer sous forme numerique les 6v6nements de contestation par le biais d'une analyse syst6matique du contenu d'une source qui rapporte ces 6v6ne- ments. Cette source est g6ndralement constitude de journaux, mais on peut 6galement s'appuyer sur d'autres sources, telles que les archives de la police par exemple (Fillieule, 1997). Ici, nous avons suivi le schema propose par Kriesi et al. (op. cit.), en consultant un quotidien national dans chaque pays pour la periode ,qui va du 1er janvier 1975 au 31 d6cembre 1995 : New York Times pour les Etats-Unis, Corriere della Sera pour l'Italie et Neue Ziircher Zeitung pour la Suisse (4). Un 6v6nement de contestation est une action 6manant d'un mouvement social qui vise a influencer les decisions politiques ou a sensibiliser l'opinion publique. Ceci n'inclut pas seulement les actions non conventionnelles g6neralement associ6es aux mouvements sociaux (mani- festations de rue, occupations, actions radicales voire violentes, etc.), mais aussi celles plus conventionnelles qui passent par les canaux institutionnels (actions juridiques, actions de pression politique, prises de position dans

(4) En suivant la methode propos6e par Kriesi et al. (op. cit.), nous avons proc6d6 " un echantillonnage de la source de donnees et consult6 les editions du dimanche et du lundi des journaux selectionnis (uniquement le lundi dans le cas de la Suisse oiA le journal retenu n'a pas d'6dition dominicale), de telle sorte "

couvrir les 6v6nements ayant lieu le week-end.

Nous avons op6r6 ce choix m6thodologique essentiellement pour des raisons pragmatiques, dans la mesure oii collecter les 6v6nements de contestation des trois mouvements dans trois pays et sur une periode de vingt ans deman- derait beaucoup plus de ressources que celles dont nous disposions. Dans la mesure oui nous sommes plus int6ress6s par l'6volution de la contestation que par ses valeurs absolues, notre

6chantillon systimatique constitue une base empirique suffisamment fiable pour 6valuer la mobilisation des trois mouvements et leur impact sur les politiques publiques (voir a ce propos Kriesi et al, op. cit., app.). Nous avons choisi de consulter les editions du dimanche et lundi car c'est pendant le week-end qu'ont lieu la plupart des actions non conventionnelles comme les manifestations de rue, sp6cifiques aux mouvements sociaux. Voir Barranco et Wisler (1999), Danzger (1975), Franzosi (1987), McCarthy et al. (1996), Mueller (1997), Olzak (1989), Rucht et Ohlemacher (1992), Snyder et Kelly (1977) pour des discus- sions m6thodologiques. Voir 6galement plusieurs articles dans Rucht et al. (1998).

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l'espace public, etc.). Pour chaque 6venement rencontre, nous avons enre- gistr6 un certain nombre d'informations, dont les principales sont la date de l'venement, son but, sa forme et le nombre de participants.

TABLEAU I. - Distribution des evenements de contestation par theme et par pays, 1975-1995 Etats-Unis Italie Suisse Protection de la nature 7.9 26.4 12.6 Droits des animaux 8.6 17.4 5.2 Pollution 7.9 6.7 1.9 Transports 6.9 9.3 28.8

Energie (sans le nucl6aire) 3.5 1.4 4.4

Autres environnements 15.1 6.6 6.7 Total mouvement 6cologiste 49.9 67.8 59.6 Total mouvement antinucl6aire 16.5 5.8 19.1

Armes nucl6aires 18.7 7.0 2.6 Infrastructures et d6penses militaires 2.2 0.6 5.6

Service civil 2.1 2.2 3.0 Autres paix 10.5 16.6 10.1 Total mouvement pacifiste 33.5 26.4 21.3 Total 100 % 100 % 100 % N (1 485) (867) (972) Note : La cat6gorie <<transports >> inclut les 6v6nements relatifs a la pollution acoustique.

La cat6gorie <<armes nucl6aires >> inclut les 6v6nements relatifs A la detente internationale.

Le Tableau I donne une vision d'ensemble de la mobilisation des mouve- ments 6cologistes, antinucl6aires et pacifistes aux Etats-Unis, en Italie et en Suisse durant la p6riode 1975-1995. I1 montre la distribution des 6v6nements de contestation, classes par theme, dans chacun des trois pays. Nous pouvons ainsi voir sur quels enjeux s'est concentr6e la mobilisation de ces mouve- ments, ce qui est important dans l'optique de l'analyse de leurs consequences.

Nous nous limiterons a quatre remarques g6nerales. Premierement, le mouve- ment 6cologiste a produit le plus grand nombre d'actions dans les trois pays (5). Deuxiemement, le mouvement 6cologiste italien a mis davantage l'accent sur des themes traditionnels tels que la protection de la nature et les

(5) Dans cette representation, tout comme dans la distribution des 6v6nements de contes- tation dans le temps, le mouvement 6cologiste ressort comme celui qui a mobilis6 le plus en Italie et en Suisse. Cependant, ce mouvement prend une dimension plus modeste si nous consid6rons comme indicateur de la mobili- sation le nombre de participants au lieu du nombre d'actions. Ceci est di^ au fait que la mobilisation de ce mouvement s'appuie dans une large mesure sur des actions convention- nelles auxquelles prennent part un nombre restreint de participants, alors que la mobili- sation du mouvement antinucldaire, et surtout celle du mouvement pacifiste, se caractdrisent

souvent par une large participation populaire.

Nous avons pr6f6r6 nous concentrer sur le nombre d'actions, indicateur moins volatile de la mobilisation, puisque si l'on exclut un 6v6nement la distribution n'est pas affect6e dans la meme mesure que si l'on exclut, par exemple, une manifestation A laquelle ont particip6 plusieurs milliers de personnes. Cela est d'autant plus important que nos donnees d6coulent d'une strat6gie d'6chantillonnage des quotidiens consplt6s. Cependant, notre but ici n'est pas tellement de savoir si un mouvement a mobilis6 plus de personnes qu'un autre, mais plut6t de voir comment la contestation s'est ddroul6e dans le temps.

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droits des animaux, alors qu'en Suisse l'enjeu dominant est celui des trans- ports (bien que la protection de la nature soit aussi importante) et qu'aux Etats-Unis il n'y a pas de themes phares. Par ailleurs, la lutte contre la pollu- tion est moins frequemment au centre des mobilisations que l'on aurait pu s'y attendre, surtout en Suisse. Troisiemement, le mouvement pacifiste americain a mobilise beaucoup plus fortement sur le theme des armes nucleaires que ses homologues italien et suisse. En meme temps, les actions ayant trait aux ques- tions militaires nationales (infrastructures et depenses militaires, service civil) ont 6t6 relativement rares, notamment en Italie et aux Etats-Unis. Quatrieme- ment, le mouvement antinucleaire italien est de loin le plus faible dans l'ensemble de la mobilisation des trois mouvements 6tudies.

Ce regard statique, cependant, ne dit rien sur la maniere dont la contestation s'est deroul~e au fil du temps. Pour &tre mieux & meme de comprendre le rapport entre l'action des mouvements sociaux et les politiques publiques, nous devons suivre une perspective non seulement comparative (dans l'espace) mais aussi longitudinale (dans le temps). Le premier pas consiste " determiner s'il existe une correl1ation entre la contestation et les politiques qu'elle vise.

Ceci implique de mettre en rapport l'6volution dans le temps de la contestation avec les changements dans la formulation et la mise en oeuvre des politiques publiques. D'ofi l'int6r&t de voir comment s'est d6velopp6e la mobilisation des trois mouvements dans les trois pays durant ces vingt ans. Les Figures II, III et IV montrent l'6volution de la mobilisation de chacun des mouvements en agr6geant le nombre d'actions de contestation sur une base annuelle.

Mouvement icologiste

La Figure II montre l'6volution de la mobilisation du mouvement 6colo- giste aux Etats-Unis, en Italie et en Suisse entre 1975 et 1995. Sans considerer les niveaux absolus, qui nous interessent moins que l'6volution dans le temps, nous pouvons voir que les trois courbes sont assez diff6rentes. Tout d'abord, le niveau de mobilisation du mouvement 6cologiste americain a subi une baisse importante pendant la seconde moiti6 des annees soixante-dix, alors que les themes lies A la protection de l'environnement (en particulier, la ques- tion de la pollution industrielle) devinrent, bien avant, un veritable enjeu poli- tique (notamment grace au livre accusateur de Rachel Carson, The silent spring), et prennent une dimension nationale A partir de 1970, quand eut lieu la premiere Journme de la terre (Sale, 1993). I1 n'en demeure pas moins que rarement le mouvement a r6ussi & inscrire un enjeu sur l'agenda public national. Ce fut le cas, par exemple, des d6chets toxiques, theme qui a souvent 6t6 au centre de la mobilisation du mouvement dans ce pays, surtout pendant les annees quatre-vingt (Mazmanian et Morell, 1992; Szasz, 1994) (6).

(6) Les m6dias nationaux americains

commenc6rent a s'int6resser A ce theme vers la fin des annees soixante-dix, lorsque l'on

d6couvrit qu'une entreprise chimique avait rejet6 des d6chets toxiques pendant des annees a Love Canal, dans l'Etat de New York.

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Revue frangaise de sociologie

Cependant, malgr6 l'importance prise par cet enjeu et mise a part une certaine augmentation du nombre d'actions vers la fin de la decennie, le niveau de mobilisation est rests relativement stable au cours des annees quatre-vingt.

Cela est dui en large partie a la presence du republicain Reagan a la tate du pays, president qui mena une politique fortement pro-industrie et par conse- quent anti-environnement. Son successeur, Bush, promit durant la campagne electorale de changer cette politique, mais sur le fond les choses ne change- rent guere. C'est seulement avec l'avenement du democrate Clinton et de son vice-president Gore, 6cologiste connu et convaincu, que l'administration americaine commenga a depasser le stade d'une simple politique symbolique (Edelman, 1964) dans ce domaine. Ce changement aux renes du pouvoir produisit une recuperation des thematiques 6cologistes de la part du gouverne- ment ce qui, paradoxalement, diminua en grande partie les opportunites pour la mobilisation du mouvement 6cologiste et contribue a expliquer son declin au debut des annees quatre-vingt-dix.

L'Pvolution de la mobilisation sur le theme de l'environnement en Italie est tres diff6rente de celle que l'on observe aux Etats-Unis. Bien qu'actif sur le plan local dej' dans les annees soixante-dix, le mouvement 6cologiste italien a intensifie de fagon considerable ses actions de contestation au cours des annees quatre-vingt et plus particulierement entre 1983 et 1990. C'est pendant cette periode qu'il a pris une veritable dimension nationale. Dans le cas de l'Italie, on peut difficilement parler de campagnes environnementalistes avant 1976, annie de la fuite de gaz toxiques dans une industrie chimique de Seveso, au nord du pays, qui alerta l'opinion publique. A cette 6poque, la mobilisation resta modeste, du fait d'un contexte caracterise par le conflit de classes et donc peu favorable a la mobilisation des nouveaux mouvements sociaux. La constitution des listes 6lectorales des Verts, apres 1984, donna une impulsion importante au mouvement (7). Comme on peut le constater dans la Figure II, l'arrivee des Verts coincide avec la phase d'expansion plus forte du mouvement. En effet, ce nouvel acteur politique procura au mouve- ment un allis precieux et donc des opportunites pour se mobiliser. Cependant, malgr6 une multiplication des actions dans les annees quatre-vingt, ces actions ne bendficierent que rarement d'une large participation populaire. La contestation continuait A se developper surtout sur le plan local, et ce malgr6 le lancement de plusieurs ref6rendums nationaux (comme par exemple contre la chasse, la vivisection et les pesticides) et d'autres initiatives concernant l'ensemble du pays. Apres la forte croissance des annees quatre-vingt, le nombre d'actions a progressivement diminu6 au cours des annees quatre- vingt-dix.

De fait, I'evolution du nombre d'actions du mouvement 6cologiste suisse ressemble davantage a celle de son homologue italien qu'd celle que l'on observe aux Etat-Unis, bien que la croissance du mouvement se soit produite

(7) Apres une premiere tentative sur le plan local en 1980, la premiere convention nationale des listes des Verts eut lieu en 1984, puis les

annees suivantes par les premieres participa- tions aux elections nationales.

(13)

quelques annees auparavant. La Figure II montre pour ce pays une grande vague de contestation ayant culmine en 1986. Apres une certaine stabilite dans la seconde moiti6 des annees soixante-dix, une premiere importante augmentation du nombre d'actions eut lieu en 1981, due principalement a l'intensification de l'opposition contre la construction d'autoroutes, theme tres mobilisateur en Suisse pendant cette periode. La mobilisation la plus importante se deroula en 1986, annie oui se produisit un grave cas de pollution industrielle dans une entreprise chimique de Bale. En general, le niveau de mobilisation du mouvement ecologiste suisse est rests 6leve surtout grace au theme des transports. Ici les canaux institutionnels et les instruments de la democratie directe ont jou6 un r61le important, meme si les initiatives popu- laires et les ref6rendums 6manant du mouvement n'ont que rarement 6t6 couronnes de succes. A partir de ce moment d'intense activite, la mobilisation ecologiste a subi un declin important, du moins sur le plan national. L'incor- poration des enjeux lies la protection de l'environnement dans les arenes institutionnelles a tres probablement contribua & ce declin de la mobilisation.

FIGURE II. - Evolution de la mobilisation du mouvement ecologiste

70

60- cc

5 -

S 40-

E 30 o -

20

10

75 77 79 81 83 85 87 89 91 93 95 Annbe

Etats-Unis Italie --- Suisse

Mouvement antinuclkaire

La Figure III montre l'6volution de la mobilisation du mouvement anti- nuclaire dans les trois pays. A nouveau, nous constatons trois distributions substantiellement diffdrentes, mais les diff6rences sont moins nettes. Aux Etats-Unis, apres de longues annees d'opposition empruntant les voies 1kgales et les canaux institutionnels, il y eut une explosion de la mobilisation popu-

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Revue frangaise de sociologie

laire dans les annees soixante-dix (Joppke, 1993). Ce fut une periode ofi, parallelement A de grandes manifestations nationales, le mouvement organisa egalement de nombreux actes de desobeissance civile et des actions directes contre les centrales existantes ou sur les lieux oiA il 6tait prevu d'en cons- truire (8). Le sommet de la mobilisation antinucleaire culmina en 1979, apres un accident A la centrale de Three Mile Island (Pennsylvanie). Comme ce fut le cas en Europe " la suite de l'accident de Tchernobyl en 1986, cet 6vene- ment monta resolument l'opinion publique contre l'6nergie nucleaire et contribua en meme temps au declin de l'industrie nucleaire americaine, deji en crise A cause de graves problemes de cofits et de gestion, difficultes exacer- bees par les retards provoques par l'opposition du mouvement (Campbell, 1988; Jasper, 1990). Aussi, en raison du declin de l'industrie nuclkaire et donc de la perte d'un enjeu politique important, le mouvement antinucleaire a virtuellement disparu de la scene nationale apres cette grande vague de contestation. Des themes tels les d6chets radioactifs et les plans d'urgence pour les centrales resterent sur l'agenda du mouvement, mais ne susciterent ni une large participation populaire, ni des actions radicales comme celles qui avaient caract6ris6 les ann6es soixante-dix.

La mobilisation du mouvement antinucl6aire n'a jamais atteint en Italie l'intensit6 qu'elle a eue aux Etats-Unis ou dans plusieurs pays europ6ens, y compris la Suisse. Malgr6 cette diff6rence, le mouvement antinucl6aire italien a traverse, comme dans d'autres pays, quatre phases (Diani, 1994). Les trois dernieres phases refletent assez bien l'6volution de la contestation comme on peut l'observer dans la Figure III. La premiere longue phase (1946-1975) prec6da l'6mergence du mouvement a proprement parler et fut caract6ris6e par un ample consensus autour de la politique nucleaire ainsi que par des dissensions sporadiques de la part d'une el1ite restreinte. Dans la deuxieme phase (1975-1981), eut lieu l'6mergence du mouvement sur le plan national et une premibre s6rie de mobilisations contre les plans energ6tiques nationaux.

La troisieme phase (1981-1985) correspond & une periode de transition avec un nombre limit6 d'actions. La quatrieme phase (1985-1988) fut marquee par une nouvelle serie de mobilisations dans le cadre de l'accident de Tchemobyl et des trois ref6rendums antinucl6aires (9), lances juste apres cet accident.

Grace a l'appui de l'opinion publique, de plus en plus sceptique quant a l'option nucleaire, et au soutien de tous les partis gouvernementaux, les r6f6- rendums furent largement approuv6s le 8 novembre 1987, ce qui entraina l'abandon de fait de l'option nucl6aire en Italie et la d6mobilisation du

mouvement.

(8) Les cas les plus connus sont ceux de Diablo Canyon (Californie) et, surtout, de Seabrook (New Hampshire), oil entre 1976 et 1978 se ddroulerent une s6rie d'occupations du site pr6vu pour la construction d'une nouvelle centrale nucl6aire qui provoquerent l'inter- vention en force de la police, intervention qui deboucha sur plusieurs centaines d'arrestations.

(9) Les trois r6f6rendums portaient, respec- tivement, sur les procedures de concession de licences pour les centrales nucl6aires, sur les incitations financieres aux communes prates a accueillir une centrale et sur la cooperation avec des agences 6trang6res en matiere d'6nergie nucl6aire.

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FIGURE III. - Evolution de la mobilisation du mouvement antinucljaire 100

80

o o 00 60

z

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Annde

- Etats-Unis Italie --- Suisse

A l'instar de ce qui s'est passe en Italie, et surtout aux Etats-Unis, le mouvement antinucl6aire suisse atteint son apogee dans la seconde moiti6 des annees soixante-dix. II suivit un parcours semblable a ceux de ses homologues italien et americain, du moins a ses debuts. Apres une longue periode caract6- ris6e par une opposition exploitant principalement les opportunit6s et canaux institutionnels, cette vague de contestation culmina dans la longue occupation (du ier avril au 14 juin 1975) du site pr6vu pour la construction de la centrale de Kaiseraugst (canton Argovie), dans le lancement de diverses initiatives populaires antinucl6aires et dans les importantes manifestations de la fin de la d6cennie. Par la suite, le mouvement perdit beaucoup de sa vigueur, en partie a cause de fortes divisions internes entre les ailes mod6r~e et radicale (Kriesi, 1982), mais surtout parce que le theme de l'utilisation du nucl6aire a des fins civiles laissa la place pendant quelques annees A celui de son utilisation a des fins militaires. Des recrudescences de la contestation eurent lieu dans les annees quatre-vingt-dix, dont la plus importante a la suite de l'accident de Tchemobyl. Le mouvement en profita pour lancer de nouvelles initiatives antinucl6aires parallelement aux manifestations de rue. L'acceptation d'une de ces initiatives donna le feu vert en 1990 & un moratoire de dix ans sur la construction de nouvelles centrales. Cette victoire ouvrit une phase de latence de la contestation, tandis que celle-ci s'orientait vers un theme parallele, celui du dep6t des d6chets radioactifs, theme qui avait requ une certaine attention d6jA au cours des ann6es quatre-vingt.

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Revue franCaise de sociologie Mouvement pacifiste

Pour terminer cet aperqu de la mobilisation des trois mouvements, il convient d'observer l'6volution de la mobilisation du mouvement pacifiste.

Contrairement aux deux autres mouvements, la contestation pacifiste pr6sente beaucoup de ressemblances dans les trois pays, t6moignant du fait qu'elle d6pend davantage que les deux autres du contexte international. En ce qui concerne les Etats-Unis, en debut de periode consid6r6e, la contestation contre l'intervention americaine au Vietnam, qui avait monopolis6 l'attention dans les campus universitaires au milieu des annees soixante et soixante-dix, est d6j& du passe. Comme le montre la Figure IV, apres une phase de calme relatif, le nombre d'actions de contestation augmenta soudainement de nouveau au debut des annees quatre-vingt. L'enjeu central de cette grande vague de contestation 6tait le d6sarmement nucl6aire, enjeu dont l'6mergence fut largement facilit6e par la dt&6rioration des rapports entre les Etats-Unis et l'Union sovi6tique. La Nuclear Weapons Freeze Campaign, cr66e en 1979, constitua le centre organisationnel de cette mobilisation qui prit des formes diverses telles les manifestations de rue, les ref6rendums consultatifs, les acti- vit6s 6ducatives, etc. L'apog6e de la mobilisation fut atteint en juin 1982 avec une grande manifestation & New York qui rassembla pros d'un million de personnes, puis devint de moins en moins visible avec la resolution pour l'arr&t de la course aux armes nucleaires acceptee par le parlement americain et la contestation r6cup6r6e par la politique conventionnelle (Meyer,

1990) (10). Une fois le theme du d6sarmement nucl6aire passe au second plan, le mouvement se tourna vers d'autres enjeux tels que la politique des Etats-Unis en Amerique centrale (Smith, 1996) et les d6penses militaires. Le niveau de mobilisation qui caracterisa la campagne pour le d6sarmement ne fut plus jamais atteint. L'intervention americaine en Irak provoqua une remo- bilisation du mouvement au debut des annees quatre-vingt-dix, mais de courte dur6e.

En Italie, le mouvement pacifiste connut 6galement deux vagues de contes- tation. La premiere, la plus importante, qui concemait principalement la d6ci- sion de I'OTAN (du 12 d6cembre 1979) d'installer des missiles de croisiere en Europe, culmina en 1983. Lorsque le gouvernement italien, le 7 aofit 1981, donna son feu vert pour l'installation des euromissiles sur la base sicilienne de Comiso, la contestation 6clata & la fois sur le plan local et national. Comme dans d'autres pays europ6ens, une fois atteint son sommet, cette mobilisation centr6e principalement sur le thbme du d6sarmement nucl6aire d6clina rapide- ment, surtout a partir du moment oii le gouvernement confirma l'arrivee des missiles. Comme ailleurs, la contestation s'institutionnalisa et le mouvement perdit en grande partie sa capacit6 de mobilisation (Ruzza, 1997). Le mouve-

(10) En outre, d'un c6t6, le president Reagan changea soudainement son attitude pour des raisons tactiques et, de l'autre, l'avenement de Gorbatchev a la tate de l'Union

sovi6tique contribua a modifier le contexte international ainsi qu'a d6tendre les rapports entre les deux superpuissances.

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ment poursuivit son engagement sur ses themes traditionnels comme le service civil et les depenses militaires, mais sans pouvoir compter sur une large participation populaire. La deuxieme vague de contestation, contre la Guerre du Golfe, eut lieu en 1990-1991. Cette vague de contestation, cepen- dant, fut moins importante que la precedente. Pendant une breve mais intense periode, on assista & plusieurs manifestations contre l'intervention americaine en Irak et contre la participation de l'Italie a cette operation. La guerre terminee, le mouvement se demobilisa rapidement. Par la suite, il y eut encore quelques contestations visant a protester contre la reprise des essais nucleaires par la France en 1995, et surtout contre l'intervention des forces de I'OTAN au Kosovo au printemps 1999 (11).

FIGURE IV. - Evolution de la mobilisation du mouvementpacifiste

140

120- 00 100 c c

c 80 0 60 E a

z 40 20

75 77 79 81 83 85 87 89 91 93 95

Annie

E ttats-Unis Italie ---Suisse

L'evolution du nombre d'actions du mouvement pacifiste suisse fait appa- raitre, A nouveau, deux vagues de contestation d'importance diff6rente. La premiere s'est produite parallelement a l'6mergence du theme du desarme- ment nucleaire, entre les annees soixante-dix et quatre-vingt, a la suite de la decision de I'OTAN d'installer des missiles de croisiere sur le sol europeen.

Bien que la Suisse ne fasse pas partie du pacte Atlantique, le mouvement se mobilisa pour protester contre la course aux armes nucleaires. Comme en Italie et dans d'autres pays europeens, diff6rents types d'actions, y compris une serie de grandes manifestations de rue, eurent lieu surtout entre 1981 et

1983. Toutefois, contrairement aux autres pays, notamment ceux qui 6taient cens6s recevoir les missiles de I'OTAN (12), le theme du d6sarmement fut

(11) Cet 6v6nement, toutefois, se situe en dehors de la p6riode retenue.

(12) L'Allemagne, la Belgique, la Grande- Bretagne, I'Italie et les Pays-Bas.

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Revue frangaise de sociologie

associ6 & un deuxieme enjeu central du mouvement pacifiste suisse : l'aboli- tion de l'arm6e. Une fois la contestation contre les euromissiles 6puis6e, ce dernier devint l'enjeu dominant du mouvement. Ce theme fut inscrit sur l'agenda politique notamment par le biais d'une initiative populaire, moyen d'action souvent adopt6 par les mouvements sociaux en Suisse (13). La vota- tion de cette initiative, qui eut lieu en 1989, et la mobilisation contre la Guerre du Golfe contribuerent a relancer le mouvement entre les annees quatre-vingt et quatre-vingt-dix, cr6ant ainsi la deuxieme vague de contestation que l'on peut observer dans la Figure IV. Finalement, comme en Italie, la reprise des essais nucl6aires par la France provoqua une certaine mobilisation, mais faible et 6ph6mbre.

Contestation et politiques publiques:

proposition pour une analyse systematique

Nous avons vu que les mobilisations sur les themes de l'environnement, du nucl6aire et de la paix ont subi des fluctuations importantes pendant la periode 6tudi6e. Qu'en est-il des politiques publiques concernant les enjeux li6s a ces trois mouvements ? Existe-t-il un lien entre les evolutions de la contestation et les politiques publiques dans les domaines concern6s par cette contestation ? Si oui, quelle est la nature de ce lien ? D'un point de vue empi- rique, une fagon simple pour 6tablir ce lien consiste a confronter l'Fvolution de la contestation avec certains changements 16gislatifs importants dans les domaines touches par les mouvements. II est impossible dans le cadre de cet article de tracer un parallele systimatique pour les trois mouvements 6tudies.

Limitons-nous & trois exemples portant sur les annees quatre-vingt en Italie.

Nous choisissons ce pays car, parmi les trois, c'est celui ofi la mobilisation de ces mouvements a 6t6 la moins forte. Par consequent, le cas italien offre en quelque sorte la possibilit6 d'6valuer l'intensit6 minimale de la contestation pour qu'il y ait impact sur les politiques publiques. Les trois exemples sont la creation du ministere de l'Environnement en 1986, l'acceptation des ref6ren- dums antinucl6aires en 1987, avec l'abandon de fait de l'option nucl6aire en matiere d'approvisionnement 6nerg6tique, et l'61imination en 1987, suite au trait6 sur les forces nucl6aires interm6diaires souscrit par Reagan et par Gorbatchev, des premiers missiles de croisiere install6s par l'OTAN sur la base militaire de Comiso quelques ann6es auparavant.

Si nous confrontons l'6volution de la contestation a ces trois moments significatifs de changement, l'impression est celle d'une faible contribution des mouvements contestataires ou, au mieux, d'une situation ambivalente et donc difficile a interpreter. Quand le ministere de l'Environnement fut cr66 en

1986, le mouvement sortait d'une ann6e oi~ sa mobilisation avait diminu6. Par ailleurs, l'ann-e d'avant ii y avait eu une amplification sans pr6c6dent de la

(13) L'initiative fut rejet6e en 1989, mais reCut n6anmoins un large soutien, surtout parmi les jeunes.

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contestation. II faut bien stir tenir compte du fait, qu'en amont, la decision de cr6er une structure gouvemementale pour la protection de l'environnement a 6videmment pr6c6d6 sa r6alisation. Dans ce cas, il semblerait plut6t que la creation du ministere de l'Environnement ait cr66 des opportunit6s pour la mobilisation du mouvement 6cologiste qui, a partir de ce moment, a eu un d6veloppement considerable. La situation est ambivalente aussi pour ce qui conceme les r6f6rendums antinucl6aires. D'un c6t6, la mobilisation autour du theme de l'6nergie nucl6aire a toujours 6t6 assez marginale en Italie, du moins sur le plan national. Selon nos donnees, en 1985 elle 6tait meme virtuellement absente. De l'autre c6te, en 1986, il y eut la plus grande vague de contestation antinucl6aire, due principalement a l'effet de l'accident de Tchemobyl. Le fait meme de cet accident rend difficile l'attribution de la victoire des ref6ren- dums a la seule action du mouvement. Finalement, la suppression des missiles de I'OTAN de la base de Comiso coincida avec un moment de fort d6clin du mouvement pacifiste, quatre ans apres l'apog6e de sa mobilisation. De plus, il parait evident que cette d6cision n'est que faiblement liee aux vicissitudes de la politique interieure italienne - en particulier de la politique des mouve- ments sociaux - et qu'elle depend avant tout du contexte international.

Cette maniere qualitative d'6tudier le rapport entre contestation et politi- ques publiques donne une premiere indication sur l'impact des mouvements sociaux dans le cas sp6cifique de l'Italie. Une approche quantitative permet d'analyser de fagon plus systematique les effets des mobilisations 6cologistes, antinucl6aires et pacifistes dans les trois pays 6tudi6s. A cet effet, nous pouvons utiliser une banque de donn6es construite en deux 6tapes. Nous avons d'abord collects les 6v6nements de contestation produits par les trois mouvements et enregistr6 l'information selon la procedure d6crite plus haut.

Ensuite, nous avons agr6g6 sur une base annuelle ces 6v6nements et avons cr66 un fichier quantitatif qui inclut un certain nombre d'autres variables portant notamment sur les aspects mis en exergue plus haut et dont on doit tenir compte dans l'6tude de l'impact des mouvements sociaux (indicateurs des alliances politiques et, lorsqu'elles 6taient disponibles, mesures de l'opinion publique) ainsi que des indicateurs de politiques publiques dans les domaines concem6s et d'autres variables telles que des indicateurs socio- 6conomiques de contr6le et des mesures de la force organisationnelle des mouvements (notamment effectifs et ressources financieres). Ici, cependant, nous nous concentrerons sur le rapport entre mobilisation des mouvements, alliances politiques et opinion publique d'une part, et politiques publiques de l'autre. Le but de l'analyse est de determiner l'existence d'un lien direct entre la mobilisation autour d'un enjeu donn6 (par exemple, l'environnement) et des indicateurs depolitiques publiques ayant trait a cet enjeu (par exemple, les d6penses de l'Etat pour la protection de l'environnement), ce qui revien- drait a dire que les mouvements ont un effet autonome sur ces politiques. Il s'agit en outre de voir s'il y a des variations ou des configurations r6currentes d'un mouvement a l'autre et d'un pays i l'autre.

Le Tableau II montre les r~sultats de ce type d'analyse pour les trois mouvements 6tudids. Ce tableau donne, pour chacun des trois pays, les coeffi-

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Revue frangaise de sociologie

cients standardises de regressions bivariees entre le nombre d'actions produites par chaque mouvement d'un c68t, et l'indicateur respectif de poli- tique publique dans le domaine qui fait l'objet de la contestation du mouve- ment en question de l'autre (14). Toutes les variables sont des series temporelles agr6geant les donnees analysees sur une base annuelle (15).

Concernant ces variables, il est important de mentionner deux aspects techni- ques qui ont des implications sur le plan theorique. En premier lieu, les varia- bles d6pendantes (A savoir les indicateurs de politiques publiques) sont exprimees en termes relatifs, comme diff6rence ou comme variation en pour- centage par rapport a l'ann6e precedente. Ainsi reduit-on la probabilit6 de trouver de l'autocorrelation dans les termes d'erreur, problkme classique dans l'analyse des series temporelles (16). II faut toutefois savoir que, ce faisant, nous expliquons l'effet de la contestation sur les variations dans les indica- teurs de politiques publiques, par exemple la depense pour l'environnement,

(14) Les coefficients de regression montres dans ce tableau et dans le suivant ont 6t6 produits avec une methode d'estimation GLS (Prais-Winsten) en presupposant un processus autoregressif d'ordre 1.

(15) Les indicateurs suivants ont 6t6 utilises pour crier les variables inclues dans les regressions bivarides. Pour mesurer la mobili- sation des mouvements, nous avons utilis6 la banque de donnees decrite plus haut. Trois variables ont 6t6 cr66es pour chaque pays:

nombre d'actions de contestation du mouvement 6cologiste; nombre d'actions de contestation du mouvement antinucleaire;

nombre d'actions de contestation du mouvement pacifiste. Pour mesurer les politiques publiques dans ces trois domaines, nous avons utilis6 des indicateurs comparables dans chaque pays (les informations sont tirees des statistiques officielles). Pour les Etats- Unis: budget annuel de l'Environmental Protection Agency (en pourcentage du total des depenses du gouvernement); depenses des Ptats pour la protection de l'environnement (en pourcentage du total des depenses des Etats);

production d'energie nucleaire (en pourcentage du total de la production d'6lectricit6); nombre de permis de construire de centrales nucleaires;

depenses du gouvernement pour la defense nationale (en pourcentage du total des depenses du gouvernement). Pour l'Italie: depenses du gouvernement pour la protection de l'environ- nement (en pourcentage du total des depenses du gouvernement); production d'6nergie nucleaire (en pourcentage du total de la production d'6lectricit6); depenses du gouver- nement pour la defense nationale (en pourcentage du total des depenses du gouver-

nement). Pour la Suisse : depenses du gouver- nement pour la protection de l'environnement (en pourcentage du total des depenses du gouvernement); depenses de la Conf6deration, des cantons et des communes pour la protection de l'environnement (en pourcentage du total des depenses de la Conf~ddration, des cantons et des communes); production d'6nergie nucleaire (en pourcentage du total de la production d'61ectricit6); depenses du gouver- nement pour la defense nationale (en pourcentage du total des depenses du gouver- nement).

(16) I1 y a autocorr6lation entre les termes d'erreur lorsque l'observation au temps tl sur une variable donnee est significativement correl1e avec l'observation au temps to sur la meme variable. Concretement, si cet effet n'est pas l1imine, on peut trouver des coefficients statistiquement significatifs entre une variable independante d'inter&t et la variable dependante que l'on veut expliquer, coefficients qui cependant sont dus (du moins en partie) a l'autocorrelation et non pas 'a la variable a laquelle on s'interesse. Afin de detecter l'ventuelle presence de cet effet, pour chaque coefficient de regression nous montrons 6galement le test de Durbin-Watson pour l'autocorrelation entre les termes d'erreur. La valeur du test de Durbin-Watson varie entre 0 et 4. Pour des series avec 19 cas (longueur de la serie), les limites infdrieure et superieure du test statistique avec une variable independante (c'est-a-dire, pour des regressions bivariees, comme celles montrees ici) sont, au niveau de signification de 5 %, respectivement de 1.18 et 1.40. Lorsque la valeur du test se situe entre 1.40 et 2.60 (4 - 1.40), on peut accepter l'hypothese

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et non pas sur les niveaux absolus. En deuxieme lieu, nous avons introduit un decalage d'un an entre variables independantes et variables dependantes.

Autrement dit, la contestation est mesuree au temps to, alors que les indica- teurs de politiques publiques se ref6rent au temps ti, c'est-&-dire un an plus tard. Ceci est fondamental afin de pouvoir 6tablir un rapport chronologique de cause-effet - et non seulement un rapport de simple correlation - entre l'volution de la contestation et celle des politiques publiques.

TABLEAU II. - Regressions bivarihes entre nombre d'ivbnements de contestation des trois mouvements et indicateurs respectifs de politiques publiques

Depenses pour la Depenses pour la Production Permis de Depenses pour la protection de protection de d'energie nucleaire construction de defense nationale

l'environnement 1'environnement (t,) centrales (t,) (national) (t,) (Etats) (t,) nuclaires (t,)

Etats-Unis (to) .36 -.08 -.18 -.03 .48**

[1.96] [1.73] [1.86] [2.15] [1.88]

Italie (to) .21 - -.48* .26 [1.76] [1.84] [2.03]

Suisse (to) .28 .41* .45* - -.26 [1.94] [1.93] [1.84] [1.941 * p ? .10; ** p ? .05; *** p ? .01.

Notes: Coefficients de regression standardis6s produits avec une m6thode d'estimation GLS (Paris-Winsten) en pr6supposant un processus autor6gressif d'ordre 1. Le test de Durbin-Watson pour l'autocorr61ation est entre crochets. Toutes les variables sont des series annuelles. Les indica- teurs pour la politique de l'environnement et pour la politique de defense ont 6t6 diffdrenci6s, ceux concernant la politique nucl6aire sont exprim6s en termes de variation en pourcentage.

Ce tableau montre done les coefficients de regression entre l'intensit6 de la mobilisation des mouvements 6cologistes, antinucl6aires et pacifistes pendant une ann6e et les variations dans les politiques publiques durant l'ann6e suivante, et ce s6par6ment pour chacun des trois pays retenus. En g6n6ral, la contestation ne semble pas avoir un effet autonome significatif, du moins si par effet nous entendons un changement positif dans les politiques publiques l'ann6e suivant la contestation. En Suisse, aucun des trois mouvements n'a eu d'impact autonome sur le plan national. Un impact est cependant observable au niveau des d6penses pour l'environnement si nous tenons compte des contributions r6gionales (cantons) et locales (communes). Le mouvement 6cologiste suisse semble donc pouvoir surtout influencer les politiques locales. Ce r6sultat refl te bien la nature des mobilisations li6es a l'environne- ment, qui se d6roulent pour la plupart sur le plan local. En revanche, le mouvement antinucl6aire, malgr6 le moratoire de 1990, n'a pas r6ussi &

(suite note 16)

nulle qu'il n'y a pas d'autocorr61ation. Lorsque la valeur du test statistique se situe entre 1.18 et 1.40 ou entre 2.60 (4 - 1.40) et 2.82 (4 - 1.18), l'hypothese nulle ne peut ni &tre acceptee ni refus6e. Lorsque la valeur du test statistique est

infdrieure "a 1.18, il faut rejeter l'hypothese nulle et il est probable qu'il y a autocorr61ation positive. Lorsque la valeur du test statistique est superieure a 2.82, il faut rejeter l'hypothese nulle et il est probable qu'il y a autocorr61ation negative.

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Revue franpaise de sociologie

provoquer de changements a court terme dans la production d'6nergie nuclkaire. Le coefficient est statistiquement significatif, mais le signe est positif, ce qui veut dire que le mouvement n'a pas produit l'effet desire : r'duire la production d'6nergie. Nous ne pouvons donc pas parler d'un impact du mouvement dans ce cas. De meme, finalement, le mouvement pacifiste ne semble pas avoir eu d'effet significatif sur les depenses pour la defense natio- nale.

En Italie, ni les mobilisations 6cologistes ni celles pacifistes ne semblent avoir influence les politiques du gouvernement (17). Concernant le faible impact du mouvement pacifiste, ce rdsultat rejoint ce qui ressort d'une des rares etudes empiriques italiennes portant sur les effets des mouvements sociaux (Battistelli et al., 1990). La production d'6nergie nuclkaire, en revanche, est fortement corr6l1e avec la contestation antinuclkaire. Cepen- dant, nous devons tenir compte du fait qu'en raison de la victoire des ref6ren- dums de 1987, les deux distributions tendent pratiquement & zero, ce qui pourrait contribuer a produire un effet statistiquement significatif (18).

Aux Etats-Unis, enfin, le mouvement 6cologiste ne semble pas avoir produit d'effets a court terme sur les depenses pour l'environnement, que ce soit sur le plan national ou local (mesur6, dans le cas amdricain, par le biais des depenses des Etats membres de l'union). Pour 6valuer l'impact du mouve- ment antinuclkaire, outre la production d'6nergie, nous avons utilise un indi- cateur supplkmentaire, a savoir la variation annuelle du nombre de permis de construire de nouvelles centrales nuclkaires. Aucun de ces deux indicateurs ne montre un effet significatif. Une relation existe en revanche entre la mobilisa- tion du mouvement pacifiste et les depenses pour la defense nationale, mais a nouveau le signe positif amene a conclure qu'il n'y a pas eu d'impact de la contestation, du moins pas dans le sens voulu par les personnes mobilisees pour essayer de reduire les depenses militaires.

Pour resumer, nous pouvons affirmer que, de maniere generale, les trois mouvements n'ont eu qu'un faible impact autonome sur les politiques publi- ques dans les domaines concernes par leur mobilisation. Bien stir, rien ne garantit qu'ils ne puissent produire leurs effets dans un laps de temps plus long que le decalage annuel retenu dans notre analyse. Les mobilisations sur

(17) L'indicateur des depenses pour l'environnement en Italie pour la pdriode 1975- 1985 s'appuie sur des estimations fond6es sur l'volution des d6penses pour la recherche et le developpement dans ce domaine. Ces donnees pr6sentent une fluctuation importante en coinci- dence avec les annees 1981-1983, fluctuation qui pourrait en fait &tre un artefact statistique.

Nous avons donc r6p6t6 l'analyse avec une distribution oh les donnees pour ces trois ans ont 6t6 remplac6es par une estimation fondde sur une interpolation lin6aire entre l'ann6e prec6dente et l'annde suivante. Nous avons ensuite r6p6t6 l'analyse sur la periode 1986-

1995. Aucune de ces deux analyses supplemen- taires n'a produit d'effets significatifs, mais le r6sultat pour la p6riode 1986-1995 doit &tre pris avec prudence en raison du nombre limit6 d'observations annuelles. II faut aussi signaler que les donn6es concernant les d6penses pour l'environnement de la part des r6gions italiennes se limitent a la pdriode 1986-1992, ce qui nous empeche de les inserer dans un module statistique.

(18) En repetant l'analyse sur la p6riode 1975-1987, l'effet reste significatif, mais le niveau de signification augmente de fagon consid6rable.

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les themes de l'environnement, du nuclkaire et de la paix pourraient avoir des repercussions sur les politiques des gouvernements deux ou trois ans plus tard, par exemple, ou meme dans un laps de temps plus long encore. Du point de vue de l'6tude des consequences des mouvements sociaux, cependant, il est plus prudent d'etre modeste et de fixer un laps de temps plausible permettant d'6tablir un rapport de cause-effet. Nous aurions 6galement pu prendre une unite de temps plus courte. Le decalage annuel nous parait toutefois justifie car si les politiques publiques ont besoin d'un certain temps pour &tre formu- 1kes, elles sont d'habitude decidees dans le cadre du budget de l'Etat vote chaque annie par le Parlement.

Le faible impact autonome des trois mouvements nous amene a prendre en consideration le r61le potentiellement jou6 par les acteurs institutionnels qui peuvent devenir leurs allies ainsi que par l'opinion publique, conformement au module general que nous avons present6 plus haut. Le Tableau III montre les coefficients de regression entre les termes interactifs combinant contesta- tion, alliances politiques et opinion publique pendant une annie et les varia- tions dans les politiques publiques durant l'ann'e suivante pour les Etats- Unis. Nous retenons le cas americain car c'est celui pour lequel nous avons des donnees " disposition pour mener une telle analyse. Ce tableau se divise en trois parties. Afin de mesurer ce que nous appelons << l'effet conjoint>> - c'est-a-dire l'impact de la mobilisation des mouvements et de la presence en meme temps d'un des deux facteurs de leur contexte qui nous interessent ici (alliances politiques et opinion publique) ou des deux & la fois -, nous avons cree une serie de termes interactifs pour chaque mouvement : deux d'entre eux se rf~6rent a l'effet conjoint de la contestation et des alliances politiques (partie superieure du tableau); un autre concerne la contestation et l'opinion publique (partie mediane du tableau); deux autres termes interactifs, enfin, portent sur les trois facteurs a la fois (partie inf6rieure du tableau) (19).

Les resultats de ces analyses montrent que ces deux types de ressources externes que sont les alliances politiques et l'opinion publique sont effective- ment importantes, mais pas pour tous les mouvements. Tout d'abord, le fait de disposer d'allies au sein des ar nes institutionnelles contribue au succes de la contestation seulement dans le cas du mouvement 6cologiste. Les termes inter- actifs que nous avons crees ont un effet significatif dans la direction voulue pour ce mouvement, mais pas pour les deux autres. Nous observons 6gale- ment un coefficient significatif pour le mouvement pacifiste, mais son signe est positif et va donc dans la direction opposee a celle permettant de dire qu'il y a impact du mouvement sur les depenses pour la defense nationale.

Le mouvement 6cologiste semble 6galement avoir profits de changements favorables dans l'opinion publique. Si nous comparons ce resultat a l'absence d'effet autonome du mouvement (voir Tableau II), nous pouvons voir que la

(19) Pour construire les variables concernant l'effet conjoint de la contestation et des alliances politiques, nous avons utilis6 les indicateurs suivants : le nombre d'actions du mouvement 6colo- giste multipli6, respectivement, par le nombre de sieges du Parti d6mocrate a la Chambre des Repr6sentants (indicateur 1) et par le nombre de declarations (suite note 19)

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