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Le mouvement altermondialiste en Suisse : L'héritage des nouveaux mouvements sociaux

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Le mouvement altermondialiste en Suisse : L'héritage des nouveaux mouvements sociaux

GIUGNI, Marco, EGGERT, Nina

GIUGNI, Marco, EGGERT, Nina. Le mouvement altermondialiste en Suisse : L'héritage des nouveaux mouvements sociaux. In: Marko Bandler et Marco Giugni. L'altermondialisme en Suisse. Paris : L'Harmattan, 2008. p. 79-114

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:92392

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Le mouvement altermondialiste en Suisse: l'héritage des nouveaux

mouvements sociaux.

Nina Eggert et Marco Giugni

L'agenda classique des mouvements sociaux

Dans ce chapitre, nous voudrions décrire les caractéristiques principales du mouvement altermondialiste en Suisse telles qu'elles se sont manifestées depuis son émergence dans la sphère publique, c'est-à-dire vers la fin des années 1990. Nous emprunte- rons la définition du mouvement altermondialiste proposée par della Porta (2007 : 6), à savoir « un réseau fluide d'organisations (au degré de formalisme variable, et incluant des partis politiques) et d'autres acteurs, engagés dans des actions collectives deformes diverses, sur la base de préoccupations communes, afin de faire avancer une cause de justice (économique, sociale, politique et environnementale) parmi et entre1es peuples autour du globe ».

Notre discussion s'articulera autour des quatre éléments que McAdam et al. (2001) ont appelé « l'agenda classique des mouve- ments sociaux» pour l'explication de la politique contestataire: les opportunités politiques, les structures de mobilisation, les cadres culturels de l'action collective et les répertoires d'action. Ces qua- tre aspects sont considérés comme des facteurs médiateurs entre le changement social (l'origine de toute activité contestataire) et l'interaction protestataire (la variable dépendante).

*Ce chapitre a été traduit de l'anglais (Eggert, Nina et Marco Giugni, 2007, « The Global Justice Movement in Switzerland: The Heritage of the New Social Movements», in The Global Justice Movement: Cross-national and Transnational Perspectives, sous la direction de Donatella della Porta. Boulder, CO: Paradigm.) et adapté pour ce livre.

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Les opportunités politiques comprennent les signaux encoura- geant les acteurs sociaux et politiques à la formation de mouve- ments sociaux (Tarrow 1996). Plus précisément, elles font réfé- rence aux aspects du système politique qui affectent la capacité des groupes qui défient les élites à se mobiliser de manière effective.

Nous concentrerons notre attention en particulier sur la structure nationale des clivages qui se reflète dans le mouvement altermon- dialiste en Suisse, les allia,nces du mouvement avec des acteurs institutionnels tels que les partis politiques ainsi que sur la réaction de l'Etat aux mobilisations du mouvement.

Les structures de mobilisation sont les canaux formels et in- formels au travers desquels les acteurs s'engagent dans l'action collective (McAdam et al. 1996b). Deux types de structures de mobilisation peuvent être distinguées: les organisations formelles (par exemple Attac) et les réseaux informels (c'est-à-dire les ré- seaux de contacts et d'échanges interpersonnels parmi les militants et les participants au mouvement). Nous analyserons les deux types de structures.

Les processus de cadrage définissent la construction symboli- que ainsi que le sens donné par les militants et les participants au mouvement (Snow 2004). Dans ce chapitre, notre intérêt se portera en particulier sur les revendications principales des altermondialis- tes en Suisse et sur l'identification des individus avec le mouve- ment.

Enfin, les répertoires d'action font référence à un corpus limi- té de routines de revendication accessible aux mouvements sociaux à un moment donné (McAdam et al. 200 1), c'est-à-dire à l'ensemble des moyens d'action à travers lesquels les mouvements se mobilisent. Ici, nous no~s focaliserons sur les formes d'action mises en place par le mouvement altermondialiste en Suisse.

À l'instar d'autres mouvements sociaux, la structure et la mo- bilisation du mouvement altermondialiste suisse sont influencées par certains aspects de la structure des opportunité~ politiques qui découlent du contexte national dans lequel le mouvement évolue, y compris pour un mouvement à vocation transnationale comme peut l'être l'altermolJdialisme. Selon Tarrow et della Porta (2005:

242) : « Parce que nous ne croyons pas en une sphère transnatio- nale distincte, nous pensons que ces facteurs domestiques sont des

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facteurs déterminants pour les mouvements actifs dans une dimen- sion transnationale ».

Trois aspects de la structure des opportunités politiques sont susceptibles d'exercer une influence importante sur la mobilisation du mouvement altermondialiste en Suisse: (I) les clivages natio- naux et les lignes de confl its qui se reflètent dans les mobilisations du mouvement; (2) les alliances avec les acteurs institutionnels;

(3) les réactions de l'Etat aux mobilisations du mouvement.

En ce qui concerne le premier aspect, deux caractéristiques principales du contexte social et politique jouent un rôle impori tant: premièrement, la faiblesse du clivage de classe ainsi que la ligne traditionnelle de conflit menée par le secteur syndical (bien que les syndicats participent au ,mouvement) ; ensuite, la présence importante des nouveaux mouvements sociaux (NMS). Parmi ceux dont la présence est la plus forte, on note en particulier le mouve- ment écologiste et de celui de solidarité. Ceux-ci comptaient d'ailleurs déjà parmi les forces sociales les plus importantes et les plus riches en ressources dans les années 1980-90 en Suisse). Les NMS en général ont représenté la force extraparlementaire princi- pale depuis les années 1970 en Suisse' (Kriesi et al. 1995), contrai- rement à la France où le clivage de classe a gardé son importance et où le mouvement ouvrier et d'autres mouvements de type plus traditionnel sont restés dominants. Sur cet aspect, la Suisse res- semble plus à un pays comme l'Allemagne, où le secteur des NMS a fait preuve d'un niveau de mobilisation élevé. Comme nous le verrons plus en détail par la suite, les caractéristiques du mouve- ment altermondialiste non seulement découlent en partie de ces aspects, mais reflètent également l'héritage des acteurs et des re- vendications de ces mouvements.

En ce qui concerne le second point, les alliés principaux du mouvement dans l'arène institutionnelle se trouvent de manière

1Nous suivons ici Kriesi et al. (1995) en considérant les mouvements écologisté et de solidarité comme appartenant aux NMS. Bien que ceci soit relativement clair en ce qui concerne le mouvement écologiste, le mouvement de solidarité a sou- vent une composante religieuse importante, et la Suisse ne fait pas exception à la règle. Cependant, les deux mouvements reposent sur des nouveaux clivages (plu- tôt que sur les clivages traditionnels) ainsi que sur une base sociale similaire.

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évidente à gauche de l'échiquier politique. Plus précisément, ce sont les petits partis de gauche et d'extrême gauche (aussi bien de la gauche traditionnelle que de la nouvelle gauche), qui soutiennent activement les revendications ainsi que les activités du mouvement et qui, souvent, peuvent être considérés comme appartenant au courant altermondialiste dans un sens large. Il en va de même pour les syndicats (notamment les plus petits, les plus radicaux ou ceux défendant le secteur public). Le Parti Socialiste Suisse, bien qu'il ne soit pas opposé au mouvement, le soutient dans une moindre mes,ure, principalement à cause des réserves qu'un parti institu- tionnel membre de l'exécutif fédéral peut légitimement émettre sur la branche la plus radicale du mouvement. Cette attitude est très similaire à celle qui fut adoptée dans le passé par les socialistes à l'encontre des NMS (Kriesi et al. 1995) et peut s'expliquer par la position ambivalente de seul parti de l'opposition - minoritaire - au sein de la coalition gouvernementale. Étant donné la structure fédéraliste de la Suisse, le mouvement peut néanmoins trouver un soutien plus prononcé du Parti Socialiste dans les cantons où celui- ci n'est pas au gouvernement ou bien se trouve plus à gauche que le Parti national (c'est parfois le cas de certaines sections roman- des). Cependant, il faut souligner que ce cas de figure est relative- ment rare et ponctuel.

Le troisième point relatif aux opportunités politiques concerne les réactions de l'Etat aux mobilisations altermondialistes. Celles- ci se sont radicalement écartées de la tradition du maintien de l'ordre qui prévalait jusqu'alors en Suisse. En effet, alors que le modus operandi de l'Etat helvétique, en comparaison internatio- nale, s'était jusque-là caractérisé par une stratégie plutôt inclusive avec un niveau de répression relativement bas (Kriesi et al. 1995), il s'est souvent montré clairement répressif et moins inclusif en réponse aux actions du mouvement altermondialiste. En témoi- gnent les énormes appareils policiers et militaires mis en place chaque année lors des rencontres du WEF à Davos ou lors du sommet du G8 à Evian. Pour ce dernier, le gouvernement suisse a fait appel à l'aide de la police allemande, aux forces de polices d'autres cantons et à l'armée afin de soutenir la police locale pour assurer le bon déroulement des événements protestataires. Cepen- dant, la surréaction qui a caractérisé les premières phases du mou-

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vement a été remplacée par des mesures plus ciblées et plus diffé- renciées. Par exemple, bi~n que l'appareil policier mis en place lors du sommet du G8 à Evian fut impressionnant, les mesures de sécurité et le déroulement des différentes manifestations ont été largement discutés et négociés entre les autotités et les porte-parole de certains groupes militants, notamment le Forum Social Lémani- que (FSL), principal organisateur des manifestations de Genève.

La prochaine section sera (consacrée aux principaux événe- ments qui ont marqué l'émergence du mouvement altermondialiste en Suisse (de ses origines aux différentes orientations qu'il a pu prendre). Nous .aborderons ensuite les trois autres aspects de l'agenda classique, qui correspondent également aux composantes principales de la définition des mouvements sociaux telles que mentionnées précédemment: les réseaux organisationnels, l'identité du mouvement et ses « cadres culturels », ainsi que les répertoires d'action. Nous illustrerons notre discussion à l'aide de données sur certaines organisations participant au mouvement (données organisationnelles) ainsi que sur les participants aux acti- vités promues par le mouvement (données individuelles). En conclusion, nous tenterons de mettre en perspective nationale et internationale les caractéristiques mises en évidence durant notre discussion.

Origines et moments d'un mouvement

L'héritage des NMS a été d'une grande importance pour l'émergence du mouvement altermondialiste en Suisse. Bien que les organisations et les militants des mouve~ents pacifiques, éco- logistes et de solidarité ont contribué à son ascension, le mouve- ment n'est pas seulement une continuation des NMS, mais est ap- paru dans un contexte historique particulier. Premièrement, comme dans d'autres pays, l'émergence du néolibéralisme au niveau inter- national a amené de nouveaux enjeux dans le débat public suisse (chômage, endettement des collectivités publiques, remise cause de l'Etat social), ce qui a créé de nouvelles opportunités pour l'action collective au niveau national. En Suisse, le débat autour du néoli- béralisme s'est déplacé des milieux d'extrême gauche vers l'espace

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public après la publication en 1995 du « Livre Blanc» (de Pury et al. 1995), dans lequel les auteurs défendent des politiques ultra libérales dans le but de réduire la dette publique. La réponse à cette publication fut «Le Livre Noir du Néolibéralisme» (VV.AA.

1996), p~blié un an après. Certes, l'impact du second sur l'opinion publique n'a pas eu la même ampleur, mais il a sans doute contri- bué à ouvrir le débat sur le néolibéralisme en Suisse.

Le renouveau de la mobilisation et la radicalisation qui se pro- duisent dans le secteur des mouvements sociaux en Suisse vers la fin des années 1990 peuvent dans une large mesure être rapportés à l'ascension du mouvement altermondialiste. L'événement le plus important organisé par le mouvement en Suisse dans les années 1990 fut sans doute la série de manifestations contre 1'OMC à Ge- nève au mois de mai 1998 (Rossiaud 2001). Ces manifestations ont eu un impact non seulement symbolique mais également substan- tiel sur le développement futur du mouvement. Il est intéressant de souligner que cet événement s'est produit une année avant ce qui est souvent considéré comme la naissance du mouvement au ni- veau transnational, c'est-à-dire les manifestations de Seattle en

1999 contre la rencontre ministérielle de I'OMC.

En Suisse, la première mise en place d'un réseau altermondia- liste hétérogène survient en février 1998, lorsque des militants du mouvement zapatiste se rencontrent à Genève pour la conférence de fondation du réseau de l'Action Mondiale des Peuples (AMP).

Le comité de bienvenue fut le fait du mouvement squatter genevois et était composé de groupes d'autonomes urbains, d'organisations de solidarité et de syndicats. Il est important de noter que ces ac- teurs reflètent la composition que prendra le mouvement altermon- dialiste dans les années suivantes en Suisse. Cette conférence a également été à l'origine de l'organisation des manifestations qui se sont déroulées durant la conférence de l'OMC à Genève en 1998 (ces manifestations faisaient partie intégrante d'une journée glo- bale d'action appelée par l' AMP).

Bien qu'il soit toujours difficile de localiser avec précision la naissance d'un mouvement ou d'un cycle de mouvements dans le temps, les quatre jours de manifestations qui ont eu lieu à Genève en mai 1998 peuvent être considérés comme le point de départ de l'émergence publique du mouvement altermondialiste en Suisse et

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comme l'événement déclencheur d'un nouveau cycle de contesta- tion. Ces événements ont marqué une radicalisation dans le secteur des mouvements sociaux qui avait déjà commencé au niveau local quelques années auparavant avec une série d'actions organisées par les squatters et avec une manifestation d'une violence inhabituelle contre un défilé de l'Armée suisse à Genève. Des formes d'action en vogue à la fin des années 1960 et durant les années 1970 (spé- cialement utilisées par le mouvement pacifiste et le mouvement anti-nucléaire) telles que l'action directe et la désobéissance civile, ont été remises au goût du jour après avoir été partiellement aban- données durant les années 1980 et 1990. La réactualisation de ces formes d'actions en Suisse s'inspire largement de Reclaim the Streets, un acteur important dans le réseau de l'AMP, principal instigateur des manifestations de 1998.

La tournure violente qu'ont prise les manifestations de 1998 a eu des conséquences importantes pour l'avenir du mouvement altermondialiste en Suisse. Premièrement, ces événements ont eu un impact symbolique, prouvant aux opposants à la globalisation que le mouvement était effectivement capable de représenter un véritable défi au néolibéralisme. Deuxièmement, les prémices de la division interne au sein du mouvement ont été posées par rapport à l'utilisation de la violence comme mode d'action. Troisièmement, cette même violence a eu une large résonance dans les médias, qui ont de ce fait largement laissé dans l'ombre les modes pacifiques d'action directe. L'impressionnante campagne médiatique précé- dant les manifestations contre le G8 à Evian constitue un exemple parlant, puisque la presse s'est essentiellement focalisée sur les menaces de violence qui allaient probablement accompagner les événements protestataires (Commission extraparlementaire d'enquête/G8 2004). Quatrièmement, il apparaît clairement que les violences de Genève en mai 1998 ont influencé les futures réac- tions des autorités face aux altermondialistes~ comme en témoi- gnent le niveau élevé de répression auquel les manifestations contre le WEF à Davos et d'autres événements du mouvement altermondialiste ont eu à faire face dans les années suivantes.

Après 1998, l'attitude répressive des autorités à l'encontre du mouvement fut assez disproportionnée. C'est généralement le genre d'attitude prise par les autorités lorsqu' elles font face à de

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nouveaux types de mouvements sociaux ou de nouvelles formes de contestation (Karstedt-Henke 1980). Ceci s'illustre parfaitement par les manifestations contre la réunion annuelle du WEF à Davos en 2001. Ces événements peuvent être considérés comme un autre tournant, ou du moins un moment significatif du mouvement al- termondialiste suisse. En effet, les autorités de Davos ayant déclaré une interdiction de manifestation générale dans la station durant toute la tenue du Forum, les manifestants essayant de rejoindre le site du WEF furent arrêtés par la police et l'armée dans la gare d'un village isolé à plus de 20 kilomètres de Davos (Landquart).

Seuls quelques uns d'entre eux ont pu rejoindre la station. En réac- tion, certains manifestants ont bloqué l'autoroute à Landquart alors que d'autres se sont rendus à Zurich où de violentes manifestations et confrontations avec la 'police ont été suivies de nombreuses ar- restations. Ces manifestations ont reçu une grande attention média- tique, étant donné que les dommages matériels étaient relativement élevés. Ces comptes-rendus ont par ailleurs permis d'ouvrir le dé- bat sur la militarisation de la station ainsi que sur la liberté d'expression et le droit de manifester.

Un autre tournant crucial du mouvement (du moins en termes de participation) a été les manifestations de masse contre le G8 à Evian. Ces manifestations ont sans doute été parmi les plus impor- tantes organisées par le mouvement en Suisse. Comme nous l'avons mentionné précédemment, l'attention des médias s'est à nouveau focalisée sur les violences potentielles, bien avant le début du sommet. Les autorités genevoises et le FSL, instance faîtière pour l'organisation des événements protestataires qui avait plus ou moins été créée pour l'événement; ont appelé à une coordination des manifestations. La majorité d'entre elles furent d'ailleurs auto- risées et se déroulèrent sans incident. Selon les chiffres articulés par le FSL et certains médias, environ cent mille personnes ont participé aux manifestationsautoriséesdu 1erjuin.

La participation aux manifestations contre la réunion annuelle du WEF à Davos nous donne un indicateur partiel mais significatif de l'évolution de la mobilisation du mouvement. C'est en 2001 que la participation a été la plus élevée, mais ce fut, en même temps l'année ou les manifestations furent les plus violentes. La partici- pation ainsi que la violence ont graduellement décliné durant les

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quatre années suivantes. En janvier 2004, par exemple, environ deux mille personnes seulement ont participé aux manifestations contre le WEF à Coire. Cela contraste fortement avec l'année pré- cédente où, comme nous venons de le voir, les manifestations anti- G8 à Genève rassemblèrent un nombre bien plus conséquent de personnes. Il est cependant important de noter que ces événements prirent place quelques semaines à peine après le déclenchement des interventions américaines en Irak. Ces événements ont donc reçu une plus grande attention médiatique et ont mobilisé des manifes- tants sur une base plus large. De plus, traditionnellement, en com- paraison à d'autres types d'évènements, les manifestations contre les sommets du G8 ont toujours attiré un nombre de participants plus élevé.

En résumé, bien que précédé par une phase d'organisation et de création de consensus, le mouvement altermondialiste suisse fait ses premières apparitions dans la sphère publique en 1998, à l'occasion des manifestations anti-OMC à Genève. À partir de ce moment et jusqu'en 2001-2002, le mouvement intensifie ses activi- tés, élargit son soutien populaire (qui resta cependant limité en comparaison internationale) et radicalise son répertoire d'action.

Après 2001-2002, la participation commence à décliner (à l'exception des manifestations contre le G8 à Genève, qui fut sans doute l'événement le plus important de l'histoire du mouvement en Suisse) et la radicalisation semble s'arrêter, ou du moins ralentir.

Néanmoins, parallèlement à cette évolution, le mouvement est resté stable en termes de structures de mobilisation. De plus, il semble que soient désormais privilégiés des événements tels que les forums sociaux, moins orientés vers la contestation.

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Les réseaux organisationnels

Les organisations des NMS, qui sont le fruit des nouveaux cli- vages apparus dans les années 1970, sont très présentes dans le mouvement altermondialiste suisse. Parmi celles-ci, des organisa- tions écologistes comme Pro Natura et du mouvement de solidarité comme la Déclaration de Berne oil Aktion Finanzplatz Schweiz sont prédominantes. Bien sûr, les organisations plus récentes, créées durant l'émergence spécifique de l'altermondialisme sont également très actives dans le mouvement. Parmi celles-ci, les plus actives, sont probablement Attac, la Coordination Anti-OMC, Gip- tleblockade, l'Autre Davos et les deux forums sociaux principaux (le Forum Social Suisse et le Forum Social Lémanique). Les orga- nisations de la gauche traditionnelle (les partis et les syndicats) sont également impliquées dans le mouvement, mais dans une moindre mesure en comparaison avec des pays où le clivage de classe est moins pacifié qu'en Suisse. Néanmoins, le mouvement altermondialiste a certainement contribué à remobiliser ces acteurs.

Avec les NMS, le mouvement altermondialiste a également hérité d'une forte présence d'organisations à haut degré de formali- sation et de professionnalisation, provenant surtout des mouve- ments écologiste et de solidarité. Les données sur trente-cinq orga- nisations du mouvement, récoltées dans le cadre du projet Demos, nous donnent un indicateur indirect de cette forte présence2. Sur la base des sites Internet et de documents internes de ces organisa- tions, nous pouvons observer une présence plus élevée d'organisations formelles dans le mouvement. Sur un index additif de formalisation, dix-neuf organisations peuvent être considérées comme formelles, alors que seules sept sont des organisations in-

2Le projet Demos (http://demos.iue.it) est un projet de recherche portant sur la démocratie dans le mouvement altermondialiste mené dans six pays européens (Italie, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, Suisse et au -niveau trans- national). Chaque pays participant au projet a sélectionné un certain nombre d'organisations sur la base d'une liste commune d'organisations fonctionnelle- ment équivalentes. Le~ organisations sélectionnées en Suisse sont mentionnées dans l'annexe.

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formelles3. Cependant, de la même manière que les NMS com- prennent des organisations formelles et professionnalisées (les mouv~ments écologiste et de solidarité par exemple) ainsi que des organisations et des groupes informels et moins structurés (le mou- vement pacifiste, le mouvement squatter), la structure de mobilisa- tion du mouvement altermondialiste est composée d'organisations formelles et de réseaux informels.. De façon générale, les organisa- tions nées durant l'émergence du mouvement altermondialiste sont moins formalisées et professionnalisées que certaines organisations typiques des NMS (ce qui n'est guère étonnant, étant donné que l'ancienneté joue un rôle prépondérant dans le degré d' institutionnal isation).

Bien que nous ne disposions pas 'd'information directe sur les relations entre les organisations impliquées dans le mouvement, nous pouvons tenter d'évaluer le réseau organisationnel du mou- vement de manière indirecte. La figure 1 illustre le réseau d'hyperliens trouvés sur les sites Web des 35 organisations analy- sées dans le projet Demos4. Un réseau est constitué de nœuds et de liens entre ces nœuds. Les nœuds dans le graphique représentent les' organisations actives dans le mouvement et ayant une présence

3Cet index a été créé sur la base des 'variables suivantes: présence de statuts, présence d'un document de valeurs fondamentales, présence d'un programme adopté formeJlement, présence de membres formels et présence d'adhésion payante. Les organisations obtenant un résultat entre 0 et 0.4 sont considérées comme informelles, celles dont le score se situe entre 0.6 et 1 sont considérées comme formelles. Cependant, ces résultats sont à prendre avec précaution. En effet, les organisations ont été sélectionnées également sur la base de leur pré- sence sur Internet. De par le fait qu'un site Internet demande un minimum de ressources, plus une organisation est formalisée, plus les chances qu'elle ait un site Internet sont élevées. De nombreux réseaux ou organisations actifs dans le mouvement n'ont pas été sélectionnés car ils ne sont pas présents sur le Web.

4L'objectif de cette phase de la recherche est d'obtenir une vue d'ensemble de l'utilisation d'Internet par les organisations du mouvement altermondialiste en termes de qualité de la communication, de création d'identité, de transparence ainsi que des mobilisations en- et hors-ligne en relation avec le niveau de formali- sation de l'organisation, la présence de membres formels dans l'organisation, la portée territoriale des organisations ainsi que l'année de création des sites Web.

Les organisations ont été sélectionnées selon deux critères: le type d'organisation (équivalence structurelle) et son importance dans le- mouvement. Voir l'annexe pour la liste complète des organisations.

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sur le Web. Les liens (ici les flèches) représentent les références à d'autres organisations (les hyperliens) faites sur le site d'une orga- nisation. Ceci nous donne non seulement une indication de la cen- tralité et du prestige des acteurs présents dans le réseau, mais éga- lement du degré d'affinité entre les acteurs. En effet, il est peu probable qu'une organisation en mentionne une autre sur son site Web sans qu'aucune affinité ne les lie d'une manière ou d'une autre.

Figure 1 : Réseau des hyperliens du mouvement altermondialiste suisse

. PaxChristi

SOSF

MMF

/

Aktion FinanzplatzSchweiz

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Sous-réseaux Organisations

0

Gauche traditionnelle Communistes, JUSO, PS, PST, SIT, Solidarités, SSP, Unia, Verts

Il Nouveaux mouvements Aktion Finanzplatz Schweiz, Alliance Sud, Cetim, Le sociaux Courrier, Déclaration de Berne, OSSA, Magasin du

Monde, Pax Christi, Pro Natura, Réalise, SOSF, WOZ

~Squatters / autonomes Antifa, Chiapas, Augenauf, Oipfelblockade, Lora,

urbains MPS, OSL

0

Altermondialisme Anti- WTO Coordination, Attac, FSL, FSS, Oipfel- blockade, Indymedia, J'Autre Davos, Marche Mon- diale

Le portrait que dresse l'analyse du réseau des hyperliens des sites des organisations est relativement clair. Trois organisations reçoivent le nombre le plus élevé de flèches, c'est-à-dire de men- tions par d'autres organisations: la Déclaration de Berne, Attac et Indymedias. Il est intéressant de noter que ces trois organisations représentent trois différents types d'acteurs impliqués dans le mouvement. La D.éclaration de Berne est une des organisations les plus actives du mouvement de solidarité, c'est-à-dire un des NMS parmi les plus importants en Suisse. Attac est l'organisation alter- mondialiste par excellence, bien qu'elle soit moins développée en Suisse que dans d'autres pays (principalement la France et I' Allemagne). Indymedia, réseau très décentralisé, est probable- ment le réseau de média le prus connu, actif dans le mouvement dans de nombreux pays. Ainsi, du moins en ce qui concerne les sites Internet, les organisations les plus centrales et ayant le plus de prestige au sein du mouvement altermondialiste en Suisse sont une

5 Dans le jargon de l'analyse de réseaux, ces trois organisations ont le « inde- gree » le plus élevé. Le « indegree » moyen du réseau complet est de 4.1, ce qui est relativement faible étant donné que le réseau est composé de 35 acteurs. Le

« indegree » des trois organisations mentionnées est de Il ce qui les situe large- ment au-dessus de la moyenne.

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organisation nationale issue d'un des NMS traditionnellement le plus important en Suisse ainsi que deux organisations internationa- les du mouvement altermondialiste. Selon nos données, ces organi- sations semblent faire le lien entre les différentes branches d'un mouvement altermondialiste suisse très divisé. Cependant, ces résultats sont à prendre avec précaution, dans la mesure où ils se limitent aux liens entre les organisations de notre échantillon pre- nant en considération uniquement les hyperliens entre celles-ci.

Néanmoins, ils donnent une première indication ,sur la crédibilité dont jouissent certaines organisations du mouvement auprès des autres et peuvent être, dans une certaine mesure, considérés comme un indicateur de collaboration potentielle entre celles-ci.

Le réseau organisationnel du mouvement altermondialiste s'uisse peut donc être divisé en plusieurs sous-réseaux. Deux de ces réseaux sont issus de l'héritage des NMS en Suisse. D'une part, on trouve les organisations du mouvement écologiste et du mouve- ment de solidarité, trè~ centralisées et professionnalisées (par exemple, l'organisation écologiste traditionnelle Pro Natura ou encore Alliance Sud). D'autre part, on trouve des réseaux infor- mels d'action directe, en particulier les réseau~ de groupes infor- mels appartenant aux milieux squatter, autonome, anarchiste et de la nouvelle gauche, principalement actifs dans les villes les plus importantes (Zurich, Lausanne, Genève, Bâle). À ces deux sous- réseaux s'ajoute une troisième branche du mouvement, à savoir les acteurs issus des arènes plus institutionnelles, représentés par les partis de gauche et les syndicats. Cependant, ces acteurs ont moins d'importance dans le mouvement en Suisse que dans d'autres pays (comme par exemple en France). Finalement, on trouve aussi des organisations créées durant l'émergence du mouvement dans les années 1990 (Attac, le Forum Social Suisse, le Forum Social Lé- manique), bien que celles-ci soient moins présentes en Suisse que dans d'autres pays européens.

Les deux sous-réseaux principaux travaillent de manière rela- tivement indépendante l'un de l'autre. En d'autres termes, ils ten- dent à participer à différents types d'événements ou du moins, certaines organisations sont plus impliquées dans certains types d'événements que dans d'autres. Les organisations plus grandes et plus institutionnalisées, telles que celles qui appartiennent aux

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NMS ont une présence plus importante dans les événements de type forum social, alors que les organisations typiques du mouve- ment altermondialiste sont plus actives dans les grandes manifesta- tions et les événements protestataires. En outre, il est intéressant de noter qu'il n'existe quasiment aucun réseau permanent: différentes coalitions ad hoc sont créées en fonction du lieu et de l'événement.

Cependant, à certaines occasions, on peut observer une participa- tion conjointe d'organisations appartenant aux deux sous-groupes.

Ceci vaut particulièrement pour les grands événements tels que les manifestations anti-OMC à Genève en 1998 ou encore celles contre le G8 en 2003. Les organisations des différents sous-réseaux participent également aux mêmes événements, comme aux mani- festations anti- WEF à Davos, mais en utilisant différentes formes d'action (manifestations, sommets parallèles, etc.).

Le réseau formé par les hyperliens nous donne une image des relations entre les quatre sous-groupes formant le mouvement al- termondialiste en Suisse. En effet, sur le graphique l, chaque sous- groupe est représenté par un symbole différent6. Les types d'organisations auxquelles sont liés les trois acteurs les plus cen- traux (la Déclaratioh de Berne, Attac et Indymedia) diffèrent considérablement. Attac, par exemple, n'a aucun lien sortant ni entrant avec les organisations appartenant au milieu squatter ou des autonomes urbains, elle n'a de lien qu'avec les organisations de la gauche traditionnelle ou des NMS. Il en va de même pour le Forum Social Suisse, autre organisation altermondialiste. Indymedia est principalement lié aux organisations du milieu squatter/autonome ainsi qu'aux organisations altermondialistes, à l'exception de Soli-

6L'attribution des organisations aux différents sous-groupes n'est pas toujours évidente. En effet, des organisations telles que Gipfelblockade ou la Coordination anti-OMC sont considérées ici comme des organisations altermondialistes, parce qu'elles ont été fondées dans les années 1990 et qu'elles se mobilisent principa- lement sur des thèmes typiques du mouvement altermondialiste. Les deux organi- sations appartenant aux médias (WOZ et Le Courrier) sont ici considérées comme des organisations des NMS. Ces deux jQumaux sont proches du mouvement al- termondialiste mais ont été créés bien avant son émergence dans le domaine public. Le Courrier, par exemple, bien qu'ayant des origines religieuses (son objectif à l'origine fut de défendre les intérêts catholiques dans une Genève pro- testante) était déjà proche des NMS.

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darités et de la WOZ7. Le troisième acteur le plus central du ré- seau, la Déclaration de Berne, est le seul des trois acteurs centraux à avoir des liens avec tous les types d'organisations. Elle est ainsi la seule organisation à faire le lien entre tous les sous-groupes du mouvement altermondialiste en Suisse, bien que le lien avec les organisations de squatters et des autonomes urbains existe seule- ment à travers les organisations altermondialistes issues de ce mi- lieu. Bien qu'il faille être prudent avant d'extrapoler de çes analy- ses, basées uniquement sur les hyperliens, celles-ci montrent néanmoins que les différents sous-réseaux travaillent de manière indépendante. En effet, si un hyperlien peut être considéré comme indi~ateur de collaboration potentielle entre les organisations, le fait que ces liens soient inexistants ou sporadiques jette un doute sur leur potentiel de collaboration.

Un autre moyen de saisir le poids de certaines structures de mobilisation au sein du mouvement altermond'ialiste en Suisse est de s'intéresser au niveau individuel à travers des données récoltées par sondage. Le tableau 1 permet de montrer comment, se distri- buent les réseaux organisationnels des participants au mouvement altermondialiste, sans tenir compte de leur niveau d'engagement dans ces réseaux. Les données sont issues de la recherche menée qurant les deux événements protestataires contre la rencontre an- nuelle du WEF à Davos en janvier 2004. Sans entrer dans les dé- tails, les chiffres montrent que la plus grande partie des participants sont ou ont été membres d'organisations écologistes (27%). Bien évidemment les organisations altermondialistes sont également bien représentées, mais ne sont citées qu'en deuxième position (19%). De nombreux participants déclarent également appartenir à des organisations humanitaires ou de droits de l'homme. Celles-ci, ainsi que les organisations antiracistes ou pro-immigrés, peuvent être considérées comme appartenant au mouvement de solidarité (Passy 2001). Si nous additionnons les pourcentages des trois items, le mouvement de solidarité apparaît clairement comme le

7Il faut souligner ici que Solidarités a un statut hybride. Nous la définissons ici comme appartenant à la gauche traditionnelle parce qu'il s'agit d'un parti politi- que dans la mesure où elle participe à la compétition électorale. Cependant, cette organisation se définit elle-même comme un mouvement social.

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réseau organisationnel le plus important des participants aux deux événements en question (41%). En fait, en élargissant peut-être un peu la définition de ce mouvement, on peut également.y introduire les organisations caritatives, rendant le mouvement de solidarité encore plus central (52%). Les acteurs plus institutionnels comme les partis politiques ou les syndicats sont également mentionnés fréquemment par les participants aux manifestations anti-WEF (respectivement 17% et 15%). Parmi les partis politiques, seuls sont mentionnés des partis de gauche.

Malgré leurs limites, ces résultats nous donnent une indication sur les organisations et les réseaux sous-jacents aux mobilisations du mouvement altermondialiste en Suisse. Premièrement, les struc- tures de mobilisation du mouvement altermondialiste suisse reflè- tent l'importance d'un cycle de protestation précédent, celui des NMS, reflétant ainsi l'importance des traditions nationales de contestation. Deuxièmement, on constate de façon plus précise que les organisations écologistes et du mouvement de solidarité jouent un.rôle central. Troisièmement, la présence des organisations et des réseaux des NMS est accompagnée par la présence d'acteurs plus institu~ionnels comme les partis de gauche et les syndicats. Ces acteurs institutionnels, bien qu'effectivement présents, sont cepen- dant moins impliqués, reflétant ainsi la faiblesse du clivage de classe en Suisse et, à nouveau, les traditions nationales de contesta..

tion.

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Tableau 1 : Réseaux organisationnels des participants aux deux ma- nifestations contre la réunion du WEF à Davos- en 2004 (pourcenta- ges)

Réseaux organisationnels 0/0réponses

Organisations écologistes 27

Organisations altermondialistes 19

Partis 17

Organisations humanitaires 16

Syndicats 15

Organisations pour les droits de I'homme 14

Organisations sociales Il

Organisations antiracistes/ pro-immigrés Il

Organisations pacifistes 10

Organisations autonomes urbains/squatters 9

Organisations de jeunes. 9

Organisations pour les doits des locataires 5

Organisations d'étudiants 5

Organisations de femmes 3

Organisations de quartier/voisinage 3

Organisations pour les droits des consommateurs 2

Organisations d'agriculteurs 2

Organisations religieuses 2

Organisations gays et lesbiennes 1

Organisations pour le droit des employés 1

N 411

Notes: Les répondants ont dû mentionner les organisations/groupes auxquels ils participent ou ont participé. Le total dépasse 100% à cause de la possibilÜé de réponses multiples.

L'impact des traditions nationales de contestation sur la struc- turation du mouvement altermondialiste en Suisse est également visible à travers une enquête similaire conduite par une équipe de chercheurs suisses e~ français (Fillieule et al. 2005) auprès des participants aux manifestations contre le sommet du G8 à Evian en juin.2003. Ce sondage, basé sur la même approche que celle ~en- tionnée plus haut, a été mené des deux côtés de la frontière franco- suisse près de Genève, où les manifestations se sont déroulées pen- dant plus d'une semaine. L'échantillon contient ainsi le même nombre de participants suisses que français (environ 40% chacun), permettant une comparaison directe des deux groupes. L'enquête montre que les participants suisses et français sont insérés dans des

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réseaux radicalement différents. Plus précisément, les organisa- tions altermondialistes sont plus présentes du côté français. Ceci peut s'expliquer par le fait que la France est un des lieux de nais- sance du mouvement altermondialiste en Europe, comme l'atteste la fondation et le développement~d' Attac dans ce pays. Aucune organisa~ion équivalente n'existe en Suisse en termes de taille, alors que, à l'inverse, les organisations de type NMS sont plus développées en Suisse qu'en France (Kriesi et al. 1995). En d'autres termes, les structures de mobilisation dans les manifesta- tions contre le sommet du 08 à Evian reflètent l'importance des NMS en Suisse en opposition à leur faiblesse en France (Kriesi et al. 1995).

En résumé, les structures de mobilisation du mouvement al- termondialiste en Suisse sont constituées de quatre types d'acteurs principaux, ou sous-réseaux. Premièrement les organisations des NMS, principalement celles qui sont actives dans le mouvement écologiste et le mouvement de solidarité (mouvements dont la mo- bilisation a été la plus importante dans l'histoire récente de la poli- tique contestataire suisse) et qui ont un degré" élevé de formalisa- tion et de professionnalisation. Deuxièmement, un réseau d'organisations informelles et de groupes appartenant au milieu des squatters, des autonomes urbains, des anarchistes et de la nou- velle gauche. Troisièm~ment, mais dans une moindre mesure, le secteur de la gauche institutionnalisée à laquelle appartiennent les partis politiques de gauche et "les syndicats. Enfin, mais de façon assez marginale, les organisations créées durant l'émergence du mouvement altermondialiste dans les années 1990. De manière générale, le mouvement repose d'abord sur des organisations is- sues de mouvements précédents et qui se sont engagées dans l'altermondialisme en plus de leurs revendications plus spécifiques et traditionnelles,' et ensuite sur des organisations plus récentes spécialement créées pendant la vague de contestation amenée par le mouvement.

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L'identité du mouvement et ses cadres culturels

La perspective des cadres culturels nous a appris que le pro- cessus de construction d'un « problème» est nécessaire pour acti- ver les identités et les motivations des acteurs dans la formation d'un mouvement social. Cependant, ce processus est influencé et limité par les idées exprimées auparavant par d'autres forces socia- les et par les mobilisations s'étant produites précédemment. Ainsi, les cadres de l'action collective mis en avant par le mouvement altermondialiste sont susceptibles de ressembler en grande partie à ceux des cycles de contestation précédents. En effet, bien qu'il existe certaines nouveautés dans l'altermondialisme (particulière- ment en ce qui concerne les buts et les cibles des mobilisations), ses revendications ne sont pas totalement nouvelles et ont été héri- tées dans une large mesure des NMS. Cette constatation est certes valable pour le cas de la Suisse8, mais elle est plus généralement applicable pour d'autres pays, tant il est vrai que les NMS se sont mobilisés à travers toute l'Europe

Quatre aspects de l'identité du mouvement altermondialiste suisse sont particulièrement intéressants ici: (1) les clivages idéo- logiques tels qu'exprim~s dans les enjeux et les cadres abordés par le mouvement; (2) l'étendue des enjeux et des cadres du mouve- ment (focalisés sur un ou plusieurs thèmes) ; (3) la dimension terri- toriale des enjeux et des cadres; et enfin (4) l'identification des personnes avec le mouvement. Afin de nous faire une idée des trois premiers aspects, nous pouvons à nouveau nous servir des données sur nos 35 organisations du projet Demos. Le tableau 2 montre les priorités thématiques de ces organisations telles que définies dans leurs documents internes ou leur statut9. Sans trop entrer dans les détails, on voit que les enjeux typiquement articulés par les NMS sont prioritaires. Il s'agit particul ièrement des questions tradition- nellement abordées par le mouvement écologiste (développement

8 En Suisse, les NMS ont représenté la famille de mouvement la plus importante durant les trois dernières décennies (Giugni et Passy 1997, Kriesi et al. 1995).

9 Les données font référence à la défense de certains principes explicitement mentionnés par les organisations. Chaque valeur dans le tableau représente le pourcentage d'organisations mentionnant un principe donné.

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durable, droits des animaux), et surtout des thèmes ~bordés par le mouvement de solidarité (droits de l'homme, droits des immigrés, antiracisme, droits des requérants d'asile, solidarité avec les pays en voie de développement) se trouvent en tête sur la liste des thè- mes abordés1o. En y ajoutant les thèmes de la paix et en recalculant les pourcentages sur la totalité des réponses, les enjeux véhiculés par le mouvement de solidarité forment près d'un tiers (32%) des thèmes abordés. Cette valeur augmente encore si on y ajoute d'autres thèmes typiques des NMS comme le droit des femmes ou encore les droits des homosexuels/lesbiennes.

L'importance des thématiques typiques des NMS ne doit pas nous faire négliger celles amenées par le mouvement altermondia- liste. En effet, des thèmes comme la revendication de formes alter- natives de globalisation, la justice globale, l'anti-néolibéralisme et l'anticapitalisme figurent aussi parmi les enjeux prioritaires. On observe également la présence de thèmes appartenant au répertoire idéologique de la gauche traditionnelle, notamment la justice so- ciale, la défense de l'Etat-providence. Notons qu'une grande partie des organisations sélectionnées mentionne les droits des travail- leurs parmi les principes à défendre. Cependant, il est important de relever que ce sont principalement les thèmes des NMS qui sont prioritairement cités par les organisations de notre échantillon, au détriment des enjeux de la gauche politique ou syndicale.

10Les finances éthiques, la consommation critique ainsi le commerce équitable pourraient également être inclus dans les thèmes du mouvement de" solidarité, cependant, ici, nous avons décidé de ne pas les insérer afin de rester sur le bord conservateur.

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Tableau 2 : Priorités thématiques des organisations actives dans le mouvement altermondialiste suisse (pourcentages)

Principes Démocratie

Altermondialisme/ forme alternative de globalisation Anti-néolibéralisme

Solidarité avec les pays du Tiers-Monde Justice sociale / défense de l'Etat-providence / lutte contre la pauvreté linclusion sociale

Écologie 69

Droits des travai lieurs 66

Droits de l'homme 63

Développement durable 63

Consommation critique I commerce équitable 60

Finances éthiques 60

Droits des immigrés / antiracisme / droits des requérants d'asile 60

Justice (distributive) globale 57

Paix 57

Non-violence 54

Droits des femmes 51

Anticapitalisme 43

Connaissance alternative 34

Droits des gays et lesbiennes 23

Socialisme 23

Autonomes et/ou antagonistes 14

Principes religieux 9

Communisme 6

Droits des animaux 6

Anarchisme (anarchisme traditionnel et/ou anarchisme libertaire) 3

Autte 31

N 35

Notes: Les données font référence à la défense de principes mentionnés explicite- ment par les organisations. Le total dépasse 100% à cause de la possibilité de réponses multiples.

0/0réponses 80 77 77 77 74

En ceci, la structure des clivages sociaux et politiques qui ca- ractérisent un pays donné, de même que ses traditions nationales de contestation ont un impact sur la manière dont les thèmes propres au mouvement altermondialiste sont abordés. En Suisse, la pacifi- cation du clivage de classe durant le XXe siècle, le degré élevé d'institutionnalisation des relations industrielles, et de manière plus générale le caractère consensuel du système politique (qui se re- flète particulièrement dans les arrangements corporatistes dans

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l'arène parlementaire) accompagnés d'un secteur des NMS fort, ont produit un altermondialisme orienté vers des revendications typiques de ce type de mouvements plutôt que vers des revendica- tions de la gauche traditionnelle.

Le deuxième point lié à l'identité du mouvement altermondia- liste que nous souhaitons soulever se réfère à l'ampleur des priori- tés thématiques du mouvement. De manière peut-être un peu sim- pliste et réductrice, les NMS ont souve~t été caractérisés dans la littérature comme des mouvements à thématique unique. Le mou- vement altennondialiste en général, au contraire, est caractérisé par l'ampleur et l'hétérogénéité des acteurs impliqués. Comme nous l'avons vu plus haut, cela vaut également pour le mouvement al- termondialiste suisse. Cette ampleur et cette hétérogénéité se re- trouvent-elles également dans les thèmes et les cadres culturels articulés par le mouvement? Afin de répondre à cette question, nous pouvons faire appel aux mêmes données que nous venons de discuter en nous référant au nombre de principes mentionnés par les 35 organisations sélectionnées. Afin de simplifier l'analyse, nous les avons regroupées en quatre groupes de cinq items Il. Ces données suggèrent que le mouvement altermondialiste suisse n'est pas un mouvement à thématique unique. En effet, la plupart des organisations (43%) articulent entre seize et vingt thématiques différentes, alors que moins d'un cinquième d'entre elles abordent moins de cinq thèmes. Bien sûr, ces résultats prennent toute leur signification lorsqu'on les compare à ceux se référant aux autres pays inclus dans le projet Demos. Néanmoins, même sans une comparaison internationale systématique qui permettrait de mettre en évidence les particularités suisses, nos données suggèrent que le mouvement altermondialiste suisse a une forte dimension multi- thématique.

Le troisième point lié à l'identité abordé ici est la dimension territoriale des thématiques et des cadres culturels du mouvement.

Nous analysons cet aspect à travers le niveau territorial des organi- sations, qui peut être considéré comme un indicateur de l'identité du mouvement. Comme nous nous occupons ici d'un mouvement à vocation transnationale, on pourrait s'attendre à ce que le niveau

IlLe nombre total de principes est égal à 26.

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territorial le plus important soit le niveau international. Nos don- nées sur les deux manifestations anti-WEF de 2004 contredisent néanmoins en partie cette supposition, mettant en avant encore une fois l'importance du contexte national. Alors que la plupart des 35 organisations sélectionnées sont présentes sur tous les niveaux, une grande partie est présente au niveau local, régional ou national.

Mais, contrairement aux attentes, le niveau internatIonal a la valeur la moins élevée (63% contre une proportion se situant entre 83% et 93% pour les autres niveaux)12. Ceci confirme - si besoin est - que derrière les termes d' « activisme global» ou « société civile glo- bale », il existe une réalité faite d'acteurs et de revendications an- crés nationalement, voire même localement (Tarrow et della Porta 2005).

Nous pouvons renforcer notre analyse de l'identité du mou- vement en nous référant encore une fois à la recherche menée au- près des participants aux manifestations contre la rencontre an- nuelle du WEF en 2004. Le tableau 3 montre la distribution des revendications les plus importantes telles qu'exprimées par les participants à ces événements13. Trois revendications émergent comme centrales pour les participants au mouvement: la suppres- sion de la dette du Tiers-Monde (61%), l'"accès gratuit à l'eau po- table (59%), le commerce équitable (45%). Tous les autres items sont beaucoup moins importants, à l'exception peut-être de la gé- néralisation de la liberté d'expression (320/0).Cependant, lorsqu'on demande aux répondants ce qu'ils pensent devoir être fait pour changer la société (avec là aussi la possibilité de choisir trois ré- ponses dans une liste fermée), les deux réponses mentionnées le plus souvent sont l'établissement de formes de démocratie alterna- tives à l'Etat et l'abolition du capitalisme. Il s'agit d'ailleurs là des thématiques centrales du mouvement altermondiaIiste européen. Le renforcement du droit international et la rupture radicale avec les modèles courants de développement économique suivent immédia- tement en termes de priorités.

12Le total dépasse 100% à cause de la possibilité de réponses multiples.

13Les répondants devaient choisir dans ùne liste fermée les trois revendications qu'ils considéraient comme les plus importantes.

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Tableau 3 : Revendications les plus importantes pour les participants à deux manifestations contre la réunion du WEF à Davos en 2004 (pourcentages)

Revendications % réponses

Supprimer la dette du Tiers-Monde 61

Garantir l'acc~s gratuit à l'eau 59

Encourager le commerce équitable 45

Généraliser la liberté d'expression 32

Rendre les institutions de Bretton Woods démocratiques 21 Créer une taxe sur les transactions (Taxe Tobin) 21

Garantir les libertés et les droits syndicaux 18

Favoriser l'accès aux études aux femmes du Sud 17

Déminer 10

Reconnaître l'adoption et le mariage aux couples homosexuels 2

N 411

Notes: Les répondants ont dû mentionner les trois revendications les plus impor- tantes d'une /iste fermée de propositions. Le total dépasse J00% à cause de la possibilité de réponses multiples.

Que nous disent ces résultats sur les revendications articulées par le mouvement altermondialiste en Suisse, avec toutes les pré- cautions qui doivent être prises dans leur interprétation? Premiè- rement, ils suggèrent que les participants au mouvement altermon- dialiste proposent une pluralité de revendications. En d'autres ter- mes, il ne s'agit pas d'un mouvement à thématique unique, mais d'un mouvement hétérogène, non seulement en termes d'organisations et de réseaux impliqués, mais également en termes de problématiques abordées. Deuxièmement, le mouvement alter- mondialiste suisse semble une fois encore mettre l'accent sur des cadres et des problématiques traditionnellement articulés par les NMS et plus précisément par les mouvements écologiste et de solidarité (qui furent, rappelons-le, les deux NMS les plus impor- tants en Suisse dans les années 1980 et 1990). Prises ensemble, il s'agit de thématiques liées au développement durable, qui peut être considéré comme faisant le pont entre le mouvement écologiste et le mouvement de solidarité. Troisièmement, certaines des problé- matiques centrales du mouvement altermondialiste (comme le commerce équitable) ont également leur importance, alors que d' autres (comme la démocratisation des institutions internationa- les) sont plus marginales.

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Les altermondialistes mettent l'accent sur des thématiques transnationales et globales. Cependant, le mouvement articule éga- lement des problématiques nationales et la mesure dans laquelle les thématiques globales entrent dans l'agenda du mouvement varie d'un pays à l'autre. Étant donné la plus faible participation des syndicats dans les mobilisations du mouvement altermondialiste en Suisse, les problématiques nationales semblent moins centrales que dans d'autres pays. Même les problématiques nationales sont arti- culées en termes globaux. Par exemple, le secret bancaire est cadré en termes de justice globale et la question de l'immigration en termes de migration globale.

Le quatrième et dernier aspect de l'identité du mouvement que nous abordons concerne le degré auquel les participants s'identifient au mouvement. Afin d'avoir un point de vue 'empiri- que de la question, nous nous basons encore urie fois sur les don- nées issues des deux manifestations anti-WEF en 2004. Les résul- tats suggèrent que plus de trois quarts des répondants s'identifient fortement (3I %) ou du moins dans une certaine mesure (490/0)avec le mouvement altermondialiste. Seule une petite proportion (20/0) ne s'identifie pas du tout au mouvement. Ces résultats correspon- dent à ceux trouvés dans l'enquête menée auprès des participants du Forum Social Européen à Florence en 2002 {della Porta 2005a)14. On constate ainsi qu'en quelques années, les personnes actives dans le mouvement ont développé une identité importante malgré le fait qu'elles appartiennent à des organisations issues de mouvements différents ou qu'elles articulent des revendications qui préexistaient à l'émergence de l'altermondialisme dans la sphère publique. Cette évolution pourrait former une base pour la survie du mouvement dans des périodes de mobilisation moins intenses dues à des opportunités politiques moins favorables.

En résumé, les processus de cadrage culturel au sein du mou- vement altermondialiste en Suisse sont caractérisés par

14Bien que les distributions varient de manière significative selon la nationalité, 63% des participants au Forum Social Européen en 2002 à Florence s'identifiaient soit beaucoup ou du moins assez avec le mouvement, alors que seuls 19% ont déclaré s'identifier seulement très peu, voire pas du tout avec celui-ci. Ceux qui s'identifient le plus au mouvement dans ce cas sont les Britanniques.

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l'importance des problématiques typiques des NMS, particulière- ment celles articulées précédemment par le mouvement écologiste et par le mouvement de solidarité. Les cadres culturels typiques de la' gauche traditionnelle et de la nouvelle gauche, ainsi que ceux qui reflètent les problématiques centrales du mouvement altennon- dialiste sont également présents, mais dans une moindre mesure.

Les répertoires d'action

Depuis les manifestations contre la réunion de I'OMC en 1998 à Genève, les autorités ont mis en place lors de chaque événement qui pouvait être la cible de protestations altennondialistes des dis- positifs policiers sans précédent et les confrontations avec les ma- nifestants sont devenues plus fréquentes que par le passé. Il faut dire que quasiment toutes les réunions annuelles du WEF à Davos ont fait l'objet de violences ou d'oppositions contestataires (les premières ont eu lieu en 1999), que ce soit dans les environs du site des réunions ou dans d'autres villes suisses (y compris en 2002, lorsque les réunions du WEF se sont tenues à New York). A Ge- nève et à Lausanne, les manifestations contre le sommet du G8 ont également fait l'objet de confrontations avec la police (elles se sont cependant déroulées avant et après le cortège principal, à l'exception de quelques événements, pacifiquement). Les manifes- tations anti- WEF de 2004, au 'contraire, ont été caractérisées par une participation moins importante ainsi que par un comportement plus pacifique, marquant peut-être un déclin du mouvement, ou du moins une nouvelle phase centrée autour de la construction de consensus (par exemple, à travers les forums sociaux ou d'autres événements de type réflexif) ou d'actions décentralisées dans toute la Suisse (durant le WEF 2005), plutôt qu'autour des activités de protestation ouverte.

Le répertoire d'action du mouvement altennondialiste en Suisse présente deux formes principales: d'une part les manifesta- tions populaires et les activités de contestation dirigées contre les institutions ou les organisations internationales g'ouvemementales et/ou privées, de l'autre les sommets parallèles et les forums so- ciaux. Les premières sont orientées vers la-protestation et ont pris

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un virage radical, voire même violent lorsque les secteurs les plus extrémistes du mouvement y ont été impliqués (ou lorsque la ré- pression par les autorités a été importante). Les seconds sont plus réflexifs et ont pour objectif la formation d'identité, la mobilisation d'un consensus et la sensibilisation du public (Passy et Bandler 2003). De plus, afin de simplifier une image relativement com- plexe, les acteurs moins institutionnalisés ainsi que les secteurs plus radicaux du mouvement (les autonomes urbains, les anarchis- tes) s'engagent plutôt dans les activités du premier type, alors que les acteurs institutionnels et les secteurs plus modérés du mouve- ment ont plutôt tendance à s'engager dans des activités du second type (les partis de gauche, les syndicats et les organisations plus formalisées du mouvement écologiste e~ de solidarité). Ce sont là des organisations plus enclines à user de stratégies conventionnel- les.

Les organisations et groupes radicaux ont tenu une place plus importante et ont eu plus de visibilité dans les premières phases du mouvement altermondialiste en Suisse. Ils ont été très actifs et ont contribué à la création de l'Action Mondiale des Peuples ainsi qu'à l'organisation des manifestations contre le WEF. Cependant, du- rant les dernières années, la branche modérée du mouvement al- termondialiste semble avoir gagné en importance: les actions radi- cales et violentes ont diminué en comparaison avec la fin des an- nées 1990 et le début des années 2000, notamment lors des mani- festations anti-WEF. De manière similaire à l'évolution observée pour les NMS, les secteurs plus radicaux du mouvement alterman- dialiste perdent en visibilité et sont de plus en plus critiqués par les organisations dominantes et plus institutionnalisées. La Déclaration de Berne, par exemple, a pris explicitement position cO,ntrela vio- lence en 200 I après les manifestations anti- WEF. Ce fut également le cas pour le Forum Social Lémanique avant les manifestations contre le sommet du 08. Cependant, les attitudes face à la violence sont restées relativement ambiguës jusqu'à récemment, certains acteurs la condamnant clairement dès le début et d'autres tenant des positions bien moins tranchées. Aujourd'hui, toutefois, la ma- jorité des organisations du mouvement altermondialiste sont plus promptes à condamner la violence et à opter pour des formes

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d'action plus modérées et délibératives. Un indicateur significatif est la création du Forum Social Suisse.

Les forums socia~x peuvent être considérés comme un acteur (voir plus haut), mais également comme une forme d'action du mouvement altermondialiste. Chronologiquement, ce type d'activité est apparu après les premières manifestationsJ5. Les deux principaux forums sociaux, le Forum Social Suisse et le Forum Social Lémanique ont été mis en place plus ou moins en même temps. Le premier Forum Social Suisse eut lieu en 2003 et le deuxième en 2005. Le Forum Social Lémanique, un forum régio- nal, fut créé en 2002, dans le cadre de la préparation des manifesta- tions contre le sommet du G8 à Evian. Cependant, comme son homologue national, ses activités consistent principalement dans l'information du public sur les problématiques globales et la mobi- lisation du consensus en faveur du mouvement. D'autres événe- ments similaires se déroulent plus ou moins régulièrement en Suisse. On citera la conférence annuelle de l'Autre Davos, l'Université d'été mise en place par Attac et le Public Eye on Da- vos. Ce dernier se tient chaque année à Davos depuis 1999 et est coordonné par la Déclaration de Berne et Pro Natura.

Les forums sociaux sont des aspects importants et innovateurs du répertoire d'action du mouvement altermondialiste, non seule- ment parce qu'ils facilitent la création de consensus et de réseaux organisationnels, mais également dans la mesure où ils sont un véhicule pour l'élaboration de conceptions alternatives de démo- cratie (della Porta 2005b). Cette fonction s'applique à tous les pays dans lesquels le mouvement est actif, mais il prend une significa- tion particulièrement intéressante en Suisse où la démocratie di- recte forme un des piliers fondamentaux de la culture politique du pays.

Un autre indicateur du répertoire d'action du mouvement al- termondialiste peut être trouvé dans les formes d'action utilisées par les organisations qui y sont impliquées. Nous pouvons là en- core nous baser sur l'échantillon des 35 organisations dont nous

15Par exemple, à l'échelle de la planète, le premier Forum Social Mondial eut lieu en 2001, deux ans après les événements de Seattle.

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avons analysé le réseau des hyperliens précédemment16. Le tableau 4 montre les formes d'action adoptées par les organisations sélec- tionnées17. Presque toutes (97%) mentionnent comme objectif la diffusion d'information, l'influence des mass médias et la cons- cientisation du public. Dans ce sens, le mouvement altermondia- liste ne diffère pas des NMS qui mettent également en avant ce type d'activités (Giugni et Passy 1997, Kriesi et al. 1995). Pour- tant, le résultat le plus significatif ici est probablement l'importance donnée aux tactiques ~ises en places pour la mobili- sation du public (89%) en comparaison avec la proportion moins importante d'organisations déclarant user d'activités de lobbying (26%) ou de représentation politique (200/0). Ces résultats dépei- gnent le mouvement comme orienté vers des activités typiques des mouvements sociaux, qui plus est si l'on considère que dans notre échantillon, six organisations sont des partis politiques (compre- nant une organisation de jeunesse liée à un parti), trois syndicats et trois médias (voir annexe), qui ne s'engagent traditionnellement pas dans des activités protestataires ou de contestation.

16Nous avons analysé, en plus des sites Web des organisations mentionnées précédemment, leur idéologie organisationnelle.

17Les données font référence aux fonctions/objectifs mentionnés explicitement par les organisations.

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Tableau 4 : Formes d'action des organisations sélectionnées du mou- vement altermondialiste suisse (pourcentages)

Formes d'action % réponses

Diffusion d'information / influence des médias / conscientisation 97

Manifestation 89

Éducation politique des citoyens 60

Protection légale et dénonciation de la répression 34

Représentation d'intérêts spécifiques 31

Soutien 26

Lobbying 26

Représentation politique 20

Services aux membres 17

Entraide Il

Autre 51

N 35

Notes: Les données font référence aux fonctions/objectifs mentionnés explicite- ment par les organisations. Le total dépasse 100% à cause de la possibilité de réponses multiples.

Finalement, le répertoire de contestation du mouvement alter- mondialiste peut également être analysé au niveau individuel en se servant des données de l'enquête auprès des participants dans les deux événements protestataires contre la réunion annuelle du WEF en 2004. Le tableau 5 montre à cet égard une sélection des formes' d'action non-conventionnelles que les répondants ont déjà utilisées avant leur participation à ces deux événementsl8. Les formes dé- monstratives sont, de manière assez prévisible, celles qui ont été le plus souvent utilisées. Le résultat le plus frappant est cependant la grande proportion de répondants qui ont fait usage de formes confrontatives et aussi la proportion relativement importante d'actions violentes (dans la mesure où on considère les dégâts aux biens comme faisant partie de cette catégorie). Si l'on compare ces résultats avec le répertoire d'action des NMS en Suisse, qui à quel- ques exceptions au niveau local, restent modérés (Kriesi et al.

18Parmi les quatre organisations mentionnant explicitement la protestation ou des tactiques de mobilisation, trois sont des médias Goumaux, radio ou médias alter- natifs). Parmi les neuf organisations faisant du lobbying, deux sont des syndicats et une est un parti politique. Parmi les sept organisations qui déclarent explicite- ment la représentation d'intérêts, six sont des partis (comprenant un parti de jeu- nesse).

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