Book Chapter
Reference
Mouvements sociaux
GIUGNI, Marco
GIUGNI, Marco. Mouvements sociaux. In: Ulrich Klöti, Peter Knoepfel, Hanspeter Kriesi, Yannis Papadopoulos et Pascal Sciarini. Manuel de la politique suisse . Zürich : Verlag Neue
Zürcher Zeitung, 2006. p. 346-360
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:112893
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4.3 Mouvements sociaux
Marco Giugni,
Université de GenèveTable des rnatières
Introduction
La structure des opportunites polidques
pour
lamobilisation
des mouvements sociaux en SuisseQuatre familles de mouvements Conclusion
1
2
3 4
346 347
4\')
360'l lntroductionn
Au
début des années 1990,Kriesi (1991)
a caracrérisé Ia recherche sur les mou- vements sociauxen
Suisse commeétant un
nchampde
rechercire mar:ginal au seind'une communauté
des sciences sociales sous-développée>.Norre bur
ul-time
sera ciemontrer
qrle ce jugement conespond de rnoins en rnoins à la réali-té.
I.es premièr:es études systématiquesde la mobilisation
des mouvemenrs so- ciaux en Suisse, basées sur cles analyses ernpiriqr.res,ont
été menées vers lafin
desannées
1970 et ie début
des annécs 19B0par
r-rneéquipe de
chercheurs del'Université
deZurich
(Kriesi etal. 1981).' il
s'agissait à ce momenr-làd'un
casencore
isolé. Cependant, au cours
desdeux
dernières décenniesla
recherche cians ce domaine a beaucoup progressé et nous avonsaujourd'hui
à dispositionun
matérielimpoltant, qui
nous periner de dresserun
rableausignificatif
de la mobilisation des rnouvements en Suisse.S'il
existe plusieursdéfinidons
des mouvernents sociaux,ia piupar
des au-teurs
s'accordentaujourd'hui pour les définir comme des
réseaux informels d'acteurs ayant Lrneidentité
collective et semobilisanr aurour
d'enjeux conflic- tueisà
travers clifferentes forrnesde protestation
(dellaPorta et Diani
2006).' Nous allons focaliser notreattention
sur l'aspect le plus visible des mouvements-
à savoir,Ieur mobilisation poiitique -
erl'inrerprérer
avantrout
à travers ieprisme des opportunités politiques. Selon la fonnule
proposéepar Tarrow (1996),les opportunités
pol.itiques sonr desincitations qui
encouragentou
dé- couragent les acteurs politiques à forrner des mouvements sociaux. Elles incluenttous ies
aspectsdu
systèmepolitique qui ont un impact sur les
possibilitésqu'ont
les acteurs collectifs de semobiliser
de marrière efficace.Le
concept de srructure desopporunités politiques
saisit les aspectsdu
contexrepolitique
desmouvements sociaux
perrneftant de
comprendre ieurs caractérisriques clans un pays donné.Au fii du
temps, ce concept afini par
irrcorporerun
nombre telle- ment élevé d'aspects (y cornpris auplan
supranational) qrie sonpouvoir
explica-tif
a étéfortement dilué. La plupart
destravaix
se sonr cependant concentrés sur les quatre aspects suivants:(1) l'ouverture ou ia
ferrnerure relativedu
sys-tème
politico-institutionnei; (2)
la stabiiitéou l'instabilité
des alisnement.spoii-
tiques;(3) la
présenceou
l'absenced'alliés parmi
les élites politiclues;et (4)
lacapacité et la propension de
I'Etat
à réprimer Ia contestation(McAdam
1996).2
Lastructure des opportunité$ politiques pour la mobilisation des mouvêments sociaux en Suisse
La
structure des cliuagesLes differents éléments de la structnre des opportunités politiques permettent de comprendre l'érnergence des mouvements sociaux,
ieur
niveau de mobilisation, leurs répertoiresd'actions et leurs
effetspolidques. Ii y a
cependantun
cin- quième aspectdont il faut tenir compte,
à savoirla
structure des clivages. Ces dernierscontribuent
àfurmer un potentiel
demobilisation qui
pourra se trans-former
enaction
dansla
mesureoù
des circonstances favorables se présentent.Selon
Kriesi et al. (1995), qui reprennent une
idée pr:oposéepar Bartolini
etMair (1990),
plusun
ciivase est saillant etrlon
pacifié, plus lepotentiel
de mo- bilisation de ce clivage est éler'é, et donc disponiblepour
l'émergence de mouve- ments s'appuyant sur ce clivage.En
général, les mouvernentsqui
s'appuient sur des potentielspolitiques
cra- ditionnelsont
r.rne capacité demobilisation
relativement faible en Suisse, car les clivagestraditionneis
sont peu saillants.En
revanche, la pacification des clivagestraditionnels
apour
conséquencede
laisserplus
d'espacepour
i'émergence de nourrealrx clivages,qui constituent la
basepour
d'autres qypes de inouvements, tant nde gauche, que udedioite,
(Kriesi etal.
1995; IGiesi 1995a, 1999).Pour
évaiuerplus
spécifiqlrementIe potentiel de mobilisation
des moLrve- mentstraditionnels,
rrous pouvorls lrous âppuyer sur les quatre clivagesmis
en évidence parRokkan Q97ù.
Le clivage centre-périphérie constitue notarnment la basepour
i'émergence des mouvements régionalistes et nâtionâlistes revendi- quant la défense d'uneidentité territoriale.
La force de ce clivage dépend en par- de de la sffucture dei'Etat:
en diffusant lepouvoir,
Lrnestructllre
fedérale tend àinstitutionnaliser le
clivage centre-périphérieet, par
conséquent,à le
rendremoins saiilant. L'Etat
Fédéral suisse,qui donne
beaucoupd'autonomie et
clepouvoir eux
cântons,offi'e donc un
cadrepeu propice à la
con.stitutiond'un potentiel
clemobilisation
des rnouvements réeionalistes et rlâtionalistes.A l'op-
posé, desEtats fortement
centralisés cornmeI'Angleterre ou la
France consti-tuent un terrain fertile pour Ia rnobilisatiori
des communaLltés périphériques souvent discriminéespar I'Etat central et qui
sefondent sur
des clivages eth- nique.s ou Iinguistiques.Le
clivagereligieux, ayant en
Suissetraditionnellement
opposé les catholi- ques et les protestants, a égalemenc été pacifié, principalement par le biais ciu fé- déralisme.Au
cours de l'histoir:e modernedu
pays, les catholiques, minoritaires parrapport
aux protestantsqui ont
été les artisans deia consuuctiorl
cle I'Etat, ont progressivement été intégrés dans lapolitique
etl'adminisuation
nationale au trâvers de règles de représentationproportionnelle
des communautés religieuses"Le clivage ville-carnpagne oppose ies régions urbaines et industrielles aux ré- gions rurales
oir domine
i'économie paysânne. C'estun
clivagequi
a d.ominé lapolitique un peu parrour en Europc au
19" siècle(Rokkan
1970), maisqui
abeaucoup perclu de sa saillance au cours
du
20" siècle en raison dela
réciuction dela taille
dela
classe paysanneer de son intégration politique. Ce
clivage anéanmoins gardé une certaine capacité de
mobilisation,
peur-êrre en rai.son de Iaforte
orsanisationpolitique
erdu
poids électoral cles paysans,ou
encore en rai- sond'un
changement de contenu de ce ciivage-
les zonesnon
ur[raines ne sont plus forcément agricoles mais sonr restées plus traditionalistes.Finalement, le clivage de classe est,
aujourd'hui
encore, certainernentle
plusimporrant parrai
Ies clivages tracl.itionnels.A
nouveau,la
capacité de nlobil.isa-tion
de ce clivage, et donc clu mouvernenrouvrier,
s'est progressirrement réduite dans le monde occidental, à cause cle iatransformation
de lasructure
de classe provoquéepar
i'ar,ènemenrdu
secreur des servicesà partir de
l'après-guerr:e, mais aussidu
cléveloppemenr del'Etat
providerlce er clel'amélioration
des con,didons de vie. Néanmoins,
cetreréduction du potenriel de mobilisatior,
du mouvement ouvrier varie considérablement de pays à pays.En
Suisse, contraire-ment
à d'autres pays européens tels quela
Franceou I'Italie,
Iapacification
cluconflit
de classe, devenue une caractéristiqueinstitutionnelle du
systèmepoliti-
que avec I'instaurarion deia
npaixdu travail, en
1937 er la cooprariondu
Parti socialisteau sein de la uftrnnule
magiqueudès
.l959,
iaisserelativemenr
peu d'espace à Iamobilisation
ouvrière.Les
lpportunités institutionnelles
et le rôle deln
d.émocrati.e d.irecte Les mouvernents sociaux en Suisse sont confrontés àun
contexte de forre ouver- tureinstitutionnelle
duenotamment
au fedéralisme, à la fragmentariondu
pou-voir,
à la faiblesse del'administration publique
er à la présence de ia démocratie directe(Kriesi
1995b).En paniculier, le
fedéraiisrneet la
démocratie direcre-
deux aspects clés des
institutions
suisses* contribuent
largemenr à cette ouver-ture
deia suucture
desopportunités
i.nsritutionnelles, laquelle exerceun
effet certain sur les niveaux et les formes cle ia mobilisacion des mouvemenrs sociaux en Suisse. Par exemple, la srrucrure fedéraledu
pa1's, avecla multiplication
despoints
d'accèsqu'elle offre, rend à faciiiter la mobilisatio*
des mouvemenrs(Giugni
1996). Cependant, le fàcteur:institutionnel,
petit-être le plusimportant en
Suisse,tient
à l'existe:rced'instmrnents de
démocratiedirecte,
insrrumenrsdont
les mouvemenrsont fait
large u.sage(Giugni
1995;Giugni
et Passy 1997;Kriesi et al. 1995).'
Cesinstrurnents (notamrnenr l'initiative populaire er
le réferendumfâcultati$ offrent un
canal supplémentairepour
lamobilisation
des mouvements sociaur<en
Suisse,entraînant ainsi une augmentation de leur ni-
veau demobilisation,
mais ayant en même rempsun
effet mod.érateur sur jeurr'épertoire
d'actions (Kriesi
1995c). Epple-Gass(1988) a
précisénrenrmis
en garde contre les dangers de cet effer modérateur en soulignant lafonction
modé-ratrice et
intégr:ativede I'initiative popuiaire qui aurait
transforn-ldle
mouve-ment
pacifisteen un (mouv€ment d'initiative,. Il voit
dans cettefonction
la- tente del'initiative
une des grandeslimites
de la contestation en Suisse (Eppie- Gass1991). Cependant, cet
ar.rteur négligepeut-être
les eflètspositifs et in-
directs de cetinstrument
sur lamobilisation
des mouvernents sociaux, surtout la possibilité de placerun
enjeu sur i'agendapolirique
erpublique (Giugni l99i).
En outre, il
nefaut
pasoubiier
quela
dérnocratie directe-
surrourie
réferen-dum âcultatif * peut
également êtreun instrument
cle blocage des politiques pubiiques de la part des nrouvements sociaux(Giugni
et Passy 1993b).L'ouverture institutionnelle produite
parla
démocratie directe n'est pas ho- mogène, mais varie àla fois
selon les cailronset
selon les mouvemenrs.f)'une
part, leprix
d'entrée à la démocratie clirecte, en terffres de signatures requises et de délaispour
la récolte des signatures,qui
esr plus bas en Sui.sse alémanique parrapport à la
Suisselatine, conribuerait en
généralà rendre les
répertoires d'actionsplus
radicaux dans cette dernière,en
raison de l'usagepliis
fréquent des instruments dela
démocratie directe,surrout
del'initiative
populaire. Ceci pr:ovoqueraitune plus
grande exciusionet
répression des mouvemenrs margi-naux
dansIa partie alénanique du
pays, cequi
les pousseraità
se radicaiiser davantage dansun
contexte de grande ouverture dela
démocratie directe(\fli-
sler
et al. 1996).'IJ'autre part,
l'accèsaux
procéduresde
démocratie directe dépencl des ressources à disposition clu mouvement-
notammenr pour conduire la campagne devotation -
mais aussi des choix stratégiqries des fbrrnes d'action.Autrement dit,
tous les rnouvementsn'ont
pas les moyens ou lavolonté
de pas- serpar la
dérnocratie directe"Le
manquede
succèsdu mouvement
fëministe, p.ex.,pelrt
êtreattribué
en partie aufait qu'il n'a
pas su saisir cetteopportunité
quelui offrait
le systèinepolidque
suisse(BanaszakI99l,1996).
Parallèlement
à l'ouverture formelle de la structure des opportunités
en Suisse, les autoritéspolitiques optent
g;énéralementpour
une stratégie inciusiveet de
négociationet
Ie sy's1|1nspolitique
penche vers uneintégration
consen- sueile desconflits. Ainsi, la structure
desopportunités politiques en
Suisse sedisdngue
par son
ouverture vis-à-vis des groupes contestataires,ofïrant
beau- coupd'opportunités
autant formellesqu'informelles.
La Suisse se caractérise en effet par ia cornbinaison d'unestnicture institutionnelle
ouverte âvec une straté- giedominante
inclusive(lGiesi
1995c). Le résultat de cette c{ouble ouverture estun niveau de mobilisation
souvent élevéet
des formesd'action
généralemenr modérées,en tout câs conparativernent à d'auues pa)'s clont ia
structured'opportunités
estplus
fermée,comme par
exemplela
France(Giugni
1995;Giugni
et Passy1993a,1997,1999; Kriesi etal. \992,1995).
l.es alliances
et la configuration du pouvoir
d.épendent d.es mouvements ou families de rnouvements concernés. Par exempie,Kriesi
etal. (1995)
soulignent I'importance de laconfiguration
dupouvoir
au sein de ia gauchepoul
lamobiii
sâtion des nouveâux rnouvements sociaux. La possibilité de
former
des alliances politiques avec les partis de la gauche est trèsimportante pour
ces mouvements(Kriesi I986),
car cela augrnente les chances que leurs revendications soientpri-
ses au sérieux
et
que leursbuts
aboutissent. Pius précisément, ces auteursont montré
quela
pr:ésence des socialistes au gouvernementnuit
àla
mobilisation des nouveaux mouvements sociaux, alorsqu'une
gauche dansI'opposition
peut la faciliter. Evidernment, sii'on
s'intéresse à d'autres families de rnouvements, cesont d'alltres wpes d'alliances qu'il.
âut
prendre en considération. Par exemple, les partis d'extrêrnedroite
devraient être les alliés naturels des mouvements de Iadroite
radicaie. Dans ce cas, cependantil
semblerait quela
seule présenced'un parti
d'extrêmedroite
électoraiementfort
tende à dénrobiliserla droite
radicale extraparlementaire, dans Ia mesureou il
s'agit de deux alternatives strâtégiquesqui
se neutralisent(Giugni
et al. 2005; Koopmans 1996).Les opportunités spécrfiques
d
les opporttmités discursiaesCertains travaux
récentssur
lesmobilisations
collectives dansle domaine
del'imrnigration et
desrelations ethniques ont
adresséune double critique
au concept de structure desopportunités politiques (Giugni et
Passy20A3,2A04,
2006; Koopmans et StatharnI999,
2000; Koopmans et al. 20A5).Premièrement, les approches ciassiques
ont trop mis
l'accent sur les oppor-tunités institutionnelles, en tant que
chancespour les citoyens d'obtenir
del'accès et de
i'influence
surle
processus décisionnel (ouverture/ferrneture), ainsiqu'en tant que
réactionsde la paft
desautorités politiques
(répressionifaci-litation). Il
faut égalementtenir
compte des opportunités discursives, c'est-à-dire des chancesqu'ont
les idendtés collectives et les revendicâtions des mouvementsd'obtenir de la visibilité
dans les médias,de
résonner avec les revendications d'autres acteurs collectifs et de gagner de ialégitimité
dans le discours public.Deuxièmement, les opportunités politiques sont définies de
manièretrop
générale,car
ellessont
censéesinfluencer la mobilisation de tous
les mouve- ments deia
même manière, indépendamm€nt des carâctéristiques des champspolitiques et
des acteurs collectifisen qlrestioll. Cependant,
ces opportunités peuvent varierd'un
champ politiclue àl'autre, d'un
secteur àI'autre. Il faut
dèslors définir
des srructuresd'opportunités
spécifiquesou
sectorielles (Berclaz etGiugni
2005).Ces études récenres
montrent
que les conceptions dominantes de ia citoyen- neréet les pratiques institutionnelles qui en découlent offrent un
ensembled'opporunités institutionnelles
et discr"rrsives aux âcteursqui
semobilisent
dansle domaine de
f immigration
et des relations ethniques (notamment les mouve- ments desmigrants,
desolidarité et
deIa droite
radicale).il
s'agit, autrementdit, d'une
structured'opportunités
spécifique au champ del'immigration
et des relations ethniquesqui
détermine ies opdonsd'action
dans ce domaine et cana- iise les revendicationspolitiques portant sur
ces thèrnes.Ainsi,
les auteu.rsont montré que la rnobiiisation
desmigrants
dans des payscomme la
Suisse ou I'A,llemagne,qui
se caractérisentpar.un
modèle de citoyennetécombinant
des critères ethnoculturelspour l'acquisition
de ia citoyenneté et une approche mo- nisteou
assimilationnistepar rapport
àla
différenceculturelle,
estpius âible
que dans des payscomme la
Grande-Bretagneet
les Pays-Bas,oii
des critèrescivique-territoriaux
s'accompagnentd'une
approche phiraliste (Koopmans et al.2005). La France représente un cas intermédiaire à cet égard.
A i'instar
du cas de I'Aliemagne, lesopportunités politiques pour
Iarnobilisation et, plus
générale-ment, pour la
présence desmigrants
dans l'espacepublic sont
plus limitées en Suisse que dans lestrois
autres pays carle
modèle <ie citoyennetédominant
est plusrestrictif
àleur
égard, cequi
se reflète dans unemoindre mobiiisation.
En même temps,Iorsqu'ils
semobilisent,
lesmigrants
se focalisent sur des enjeux ayanttrait
àleur
paysd'origine plutôt
quepour
revendiquerplus
cledroits
ou une meilleureintégration
en Suisse. Finalement,leur mobiiisation
est plus radi- cale,voire violente, que
cellede leurs
hornologues dans les paysoffrant
unestructure d'opportunités plus
favorableen
termesde
modèiesde
citoyenneté.Ces résultats
vont à I'encontre
des hypothèses émisespar
l'approche classique desopportunités politiques, notamment
dans i'étude de Kriesi etal.
(1995). En effet, seion ces autellrsI'ouverture
de ia structure des opportunités politiques en Suisse débouche surun
niveau demobilisation
élevé et sur des formes d'actions modéréesde la parr
des mou.rements sociaux,contrairetnetlr
à cequi
se passe par exemple en France.Or,
c'est exactementle
contraire quel'on
obsen'e lors- queI'on
s'intéresse aux mouveinents de migrants.'D'autres travaux récents
ont
tentéd'appliquer
cette approche au champpoli-
tique del'emploi
et, plus précisérnent, aux mobilisations collectives ayanttrait
à Ia question du chômage (Berclaz et aI.2005a,2005b;
Chabanet etGiugni
2005;Giugni
et Statha-m 2A02, 2005). Ces travaux établissentun lien enre
la concep-tion dominante
deI'Etat
providence et les approchesinstitutionnelles
envers Ie chômaged'une part,
et lesmobilisations
collectivesportant
sur des thèmes iiés au chômage, à ses causes, ses conséquences et sa r:ésolution de l'autre.l)ans
cette perspective,la
manièredont l'Etat définit
I'accès et Iedroit
à Ia prévoyance so- ciale-
enparticulier,
à I'assurance-chômage-
influence et canalise la mobiiisa-tion
des chômeurs, car elleconstitue
une structured'opportunités
(institr"rtion- nelles et cliscursives) spécifique à ce champpolitique. Ainsi,
au-delàdu fait
que le chômage restelimité
comparativement à d'autres pays> iafaible
mobilisationcies chômer-rrs en Suisse s'expliquerait en parrie
par
les faibles opportLrnitésqui
découientde la conception dominante
deI'Etat
providence dans ce pay's,tpi
met
l'accent sur les causes et solutions économiqr.res (liées au rnarché) ciu chô- mage, donnant ainsi plus d'accès à I'espacepublic pour
ies acteurs dé{ènclant lesintérêts économiques. Ceci affecte
la construction identitaire
des chômeurs, en créantpar là
unedélégitimation
deleur statut et
sLrrtoLit cleleur
mobilisationpolitique
(l}erclaz et al. 2005b; Chabanet etGiugni
2005).3 Ouatre familles de mouvements
Les ruouuements traditionrce /s
Pai:rni ce clue
I'on peut
appeler les mouvementstraditionnels *
c'est-à-dir:e lesmouvements
dont la mobilisation
s'appuiesur
les clivagesmis en
exergue pârRokkan
(1,97A)*
le mouvernent or-rvrier esr cerrainernent leplus irnporranr,
ne serait-ce que par sasignification politique. En
Suisse, cependant, la mobilisation ouvrière est généralement restée très faible, sauf dans cles circonsrances parricu- lières.l)ans une
perspectiverokkanienne,
cetre fajblesse s'explique avanrrollr
par la pacification, et donc la faible saillance, du clivage de classe.oAinsi,
la corn- paraison internationaie menée par Kr:iesi etal. (1995) monrre qu'enrre
7975 et 1989le mouveffletlt ouvrier
suissea moins mobiiisé
que ses hornologues alle- rnand, françaiset
hoilandais.La difftrence
avecia
France esr particulièrelnenr marquée,surtout si on tient
compre des grèves commeforme
privilégiée de lamobilisation
ouvrière.En effet,
ces deux pays représentenrsur
plusieurs plans des cas contrastés en cequi
concernela mobilisation
des mouvefflenrs sociaux(Giugni
et Passy 1993a).La
figure
1 nous perrnet de situer lamobilisation du
mouvement ouvrier en Suisse dansle temps (entre 1945 et 1978), ainsi que par rapporr âux
aurresirouvements
traditionnel.set
ar-rxnouveaux
nrouvem.ents sociaux,dont
nous discuterons plus bas. Larnobilisation
ouvrièreétait
très forre en début c{e siècleet, surtout, lors de la
grève généralede
1918.A
cette époque,le
mouvementouvrier était
encoreradical,
mais sonaction
est devenue progressivement plus modérée aufur
et à mesure que ses principales organisations-
les syndicars er leParti
socialiste-
sesont
intégrées dansle
sysrèmepolitique,
processus déjà en marche au lendemain dela
grève générale(Degen 1991).
Plusieurs érapes ont concrétisé cette intégr:ation: fintroduction
de laproportionnelle en l919
suite àla
grève généralede I'année
précédente;la convention du 19 jviller
1937introduisant un tribunal d'arbitrage privé dans les relations industrielles
et conduisant à Iapaix du travail; et la cooptation du Parti
socialiste au sein duConseil
fédéraI, provisoirementen i943
erdéfinidvement en
1959. Inséré pro- gressivement dans ia logiquedu
système de concordance, le morivement ouvrierresr-rrgit
une
premièrefois
aprèsla
Seconcle Guerre mondi;rle er Line deuxième fbis à lafln
des années 1960 grâce àI'apport
clela no*r'elle
gauche, inais seule- mentpour
redevenir larent àpartir du milieu
cles années 1920, après la périodeia
plus sombre cleia
crise éconornique.cependant, ia mobilisation
syndicale et ouvrière sembleavoir repris un
cerrain souffle en cedébut
de troisièmemillé-
naire, notarnmenr en raison desdifficultés
économiq*eset
de l'érosion des ac-quis
sociauxqui
esten ra.in de
seproduire un peu parrour en
Europe, ainsiqu'en parallèlf
à l'érnergencé clu mouvemenr a.ltennondialiste, que nous rraire- rons plus bas.'Figure
I:
Euolution du nombre c{'actions norc-con.uentiormelles des rnouuern,enîs sociaux en Suisse,1945-1978
a NMS l- -
ouvriers ---A
traditionnels}'.a
trl
Source: Kriesi (1995c)
ljne
autremobilisation importante
s'âppuyant sur les clivages traclidonnels a ca- ractériséle
paysage dela
contestation sociale en Suisse.Il
s'agit de la mobilisa-tion
du mouvernent régionaliste ou auronomiste jurassien (Henecka 1972;Can- guillet 1984,
1985;Jenkins
1986; R.ennwald 1994),qui
repose essenriellemenr surle
clivage cenrre-périphérie.Malgré la pacificarion
de ce clivage,le
mouve- ment jurassien s'est forrement mobilisé, surrour àpardr
des années 1950. Cette mcrbilisation a débouchésur la création
c{u nouveau cânrondu
Juraen
1979.Parmi les quatre pa)'s étudiés par
Kriesi
etal. (1995),
seuiela
France,o')
lecli-
vage centre-périphérie esr resté rrèssaillant, afflche un
niveau de mobilisation des tnouvements r'égionalistespius
élevé cluela
Suisse.Un conflit
centre-péri- phérie peut toujours seproduire
au seind'une
cles i-rnirés del'Erat
fedéraldri fait
cle la pr:ésence de
minorités politiquement
discriminées. Ceci est précisément le Ii
I I
I
i
I
I
t II Ii
I
300
250
E200
U
:o o ,ô
Eo 150
00
50
^
0
I
cas
du Jura, oir ia minorité
francophoneet
cadrolique cieI'ancien canton
cteBerne a longtiement
lutté
poui: la créationd'un
canton séparé.Comme
nousl'avons dit plus iraut, le
clivage ville-campagnea
gardé une certaine capacité demobilisation
en Suisse. Par conséquent, lemoltvetnent
des paysalrs s'est souvent mobilisépour
défendre ies intérêts agricoles.En
témoignela forte
présence d'organisations paysannes telles quel'Union
des Producteurs Suisses(Harry et Ladner I985) et
I'Association Suissepour la Protection
desPetits
et Moyens
Paysansou
encoredu
syndicat paysanUniterre.
Cepenclant, comme on peut facilement levoir
àpartir
des nonrs de ces organisations,il
s'agitplutôt
d'associations d'intérêts qued'un
véritable mouvement sociai se manifes-tânt à
travers des actionsde protestation, comme
c'estle
câspar
exemple en France. L'ouverture de la structure des opportunités politiques en Suisse Pour ce rype demobilisation
en est en partie responsable.Les nouueawx mouuemeruts socittux
Le début de la vague cle contestation de
la fin
des années 1960 a été provoqué en partiep", l"
,lrorrlr"ment étudiant,s Cependant, la contestation étudiante en Suisse n'a jamais eu l'envergure de celle de ses pays voisins.En
Suisse, cette pre-mière
vagr.rede
nouvelles contestations s'est trèsvite
constiruée aucourde
lapoiitisation des sensibilités
écologistes.f)e
m.anière généraie,c'est
surtout i'érnergence des nouveaux rnouvements sociau.xqui a contribué à ia
grande vague de contestatiollqui
a eu iieu en Suisse, comme ailleurs en Europe, à par:tirdu milieu
des années 1960(voir figure
1). Ces mouvements-
pacifistes, écolo- gi.stes, antinucléaires,feministes, solidarité
avecle Tiers-Monde,
squâtters etautonomes urbains, ainsi que d'autres formes de protestarion
concernantl'émancipation et
les libertésindividuelles - ont constitué Ia force
extraparle- mentaire la plusimporrante
en Stiissedurant
ces dernières décennies(Giugni
et Passy 1997;Giugni et Kriesi
1990;Giugni
1995;I('iesi et al. 1981),
même si ieur impact demeureincertain (Giugni 200I,2004).
Les nouveaux mouvements sociaux se di.stinguent des
mouvenents
tradi- tionnels autant par les thèmes soulevés que par les groupes mobilisés. Nés suite au changementculturel
et de valeursqui
a eu lier-r àpardr
de lafin
cle la Seconde Guerre mondiale en Europe, ces mouvements rnettent en avant Iesdroits
cultu- reis et une meilleure qualité de vie,portent
unecritique
sur les risques engeuclrés par la croissance économique, rejenent le contrôle bureaucratique-
notammentde
I'Etat -
sur findividu
etprônent
des modes departicipation
plus directs descitoyens à ia
vie politique
(Beck 1986;Brand
1985; Raschke 1985).Du
Pointde vue de leur composition
sociale, cesmouvements articulent un
nouveâu clivage au sein clela
nouvelle classe moyenne(ISiesi
1989)et' parrni
leurs acti- vistes, nous rettoLrvons une largeproportion
de professionnels dans les servicessociaux et culturels, bien que ces
nouvements
mobilisenr des secteu.rs plus larges de lapopuiation.
La
pacification
des clivagestraditionneis
offi'e Lrn espacepour
une mobilisa-tion irnportante des nouveaux mouveffients sociaux en
Suisse.I{r'iesi et
ai.(1995) onr pu montrer
que, pendanrla
périodequ'ils ont
étudiée, ces mouve- mentsont
mobilisébien
plus que les aurres mouvemenrs. Le même phénomène est obsen'able dans les deux autres paysqui
onr subi une pacification importanre cles clivagestradidonneis
(l'Allemagneet
ies Pays-Bas), alors quele rapport
esr inversé dansle
casde la
France.Dans
ce pays,la
saillance des clivages tradi-tionnels, .surtour des
clivagescentre-périphérie et de
classe,a
laissé moins d'espacepour
lamobilisation
des nouvearrx mouvemenrs sociaux..Figure
2:
Ëuoluti.on du nombre d'actions non-conuentionnelles des nouueaux mluuements sociaux et des autres Tnouuements en Suisse,1975-1999
200
180 160
.
NMSl-
autresË 140 d 120
C
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ô60
c 40 20I
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tl' I
]t
/:l'r'l -r
,lt
-ll
,r
0
1975 1977 1979
t98r
1983 1985 1987 1989t991
1993 1995 1997 1999 Notes: Les actions du. mouvernerrt ouvrier n'incluent pas les grèves. Le total des nouveaux mouve- men$ sociaux n'inchit pas le mouvement étudiant et les mobi]isations en frl'eur des droits civi- ques.La figure 2
montre l'évpludon
de lamobilisation
des nouveaux mouvemenrs so- ciaux, g'comparativement à celle des autres mouvements, en Suisse entre 1975 eti999. Cinq
mouverrenrsont
été particulièrement actifs pendant certe période.Le mouvement ântiilucléaire s'est
fortement
mobilisé dans la deuxièmemoi-
tié des années 1970, notarnmenrpour
proresrer conrre les plans de consrruction de la centrale de Kaiseraugst(Cudry
19BB;Kriesi l9B2;
Schroere*1977).Parla
suite,
la
protestation antinucléaire afortemenr diminué,
avec une légère reprise lors de l'accident deTchernobyl en
1986. Evidemn-rent, le succès cleI'initiative
pour
un
morâtoire sur les cenrrales nucléaires en 1990 a détourné le tnouvernent de sonbut principal, contribuant
ainsi à sa démobilisation.La
forte
hausse dela rnobilisation
observable audébut
des années 1980 est cependant due principalernent àl'action du
mouvement pacifiste etdu
mouve-ment
des âutonomesurbains
(squatters).A
cette époque, les pacifistes se sotlt mobilisés massivetnent autour de la question des armements nucléâires, contrai- rement à latraciidon
de ce mouvement en Suissequi
s'aclressait principalement aux aurorirés nâtionaleset visait la politique intérieure (Bein et Epple
1984).Après une périocle de forte démobilisation, Ie mouvement pacifiste a resurgi à Ia
fin
cles aunées 198û et au début des années 1990,surtout
suite aux acdvités du Groupepour
une Suisse sansArmée
(GSsA).Quant
aux âutonomes urbains, le.rrorr*-.,r,
deZurich
de1980/81 (Kriesi
1984;Willener
1984) est fesPonsable dela plupart
cle leurs âctions,bien
que les squattersont
été présents dans plu- sieursvilles
suissescomme paf
exempleà Bâle,
Bertre, Genève (Buchset
al'1988) et Lausanne (Ménétrey et
al' 198i).
Le mouvement écoiogiste se caractérise plus par une
infrastrllcture
orgatrisa-tionneile
et des ressotlrces Parliculièrement importantes quepar
sa capacité demobilisation
à travers des actions de protestation. La même femârque s'applique au moLrvement de solidarité.'nl,'infrastnrcture
organ;sationlrelle solidegâlantit
à ces deux rnouvementsun
niveaud'activité
soutenu mêrne dans des périodes cle faibleparticipation
populaire(Giugni
et l(r:iesi 1990).De
plus, plusieurs organi- sationsdu
mouvement écologisteet du filouverrient
de soiidaritéont
gagné de l'accèsau
.seinde I'arène aclministrative, devenant parfois
des interlocuteurs privilégiés del'Etat
et coopéraut âvec ce dernier dansla formuj.ation
etla
mise"n *urrr.
des politiques publiques(Giugni
et Passy 1998),témoignant
ainsi dufort
processusd'institutionnalisation qu'on
subi ces deux l1lolrvements.Finalement
il fàut
souligner le faible niveâu demobilisation du mouverîent
feministe,un
mouvementqui
sernble ne pas avoir exploité toutes iesoPportulli-
tés que le systèmepolidque
su;sse a mis à sadisposition
(Banaszak 1996) et qui,de ,u.rcroît, s'est
progressivernenrinstitutionnalisé
c{epuisI'introduction
dusufrrage universel en 1971."
Les mouuements cle
la
d'roiteraàicale
Il
existeen
Suisse,comme ailleurs,
un.eopposition
londamentalistede
droite comme de gaucire (A.lterrnattet
aL. 1994). Dansun
certain sens, les acteurs de ladroite
radicale peuvenr être vuscomnle étant
issus des clivagestraditionnels
etdonc, Iorsqu'ils
agissent entant
que mouvements sociârlx, comme des mouve- ments ûadirionnels.cependant, du
moinsaujourd'hui, il
est probablement plus correct d.e les associer à l'émergenced'un
nouveau clivage entre ouvefture vers le monde etrepli
sur soi-même. D'aucunsl'ont
caractérisé comme le clivage entreouverture et traditions (Brunner et Sciarini 2tt2),
aiors clue d'autres parlenrpiutôt du
clivageentre
les gasnântset
les perdants ci.ela
globalisation(liriesi
1995a,1999). Ën
réalité,il
existe une a*cienne er une nouvelledroite
r:adicale(lgnazi 1992; Kitschelr i995). c'est surtout
certe dernière clui s'appuie sur ce nouveau clivage,qui
oppose les personnes pouvantprofiter
du processus de mo- dernisationet
cellesqui
ensont
ies perdants, enrre une Suisse traciitionnelle et rurale, perdante face à une globalisation croissante, er une Suisse rnoderne er ur- bainequi
s'ouvLe vers I'extérieur erqui
bénéficie de la globalisation.E* perspecti'e
cornparée,la droite
radicaleen
suisse se caractérise par une présenceimporrante
au sein cle I'espacepublic
er par sa virulence(Giugni
et al.2005). sa rnobilisarion
est, par: exemple, beaucoupphis
radicarequ'en
France(Giugni
er Passy2001),
alors que selon les hypothèses delkiesi
et al. (1995) on s'attendrait au conrraire.A
noltveeu, une trecture en termes d'opportunités spéci- fiques etd'opportu'ités
discursives sernbie rnieux à mênre cl'expliquer cesdiffe-
rencesqu'une interprétation
à ia lurnière c{e la structure des.opportunitéspolid-
ques générales.
lin
effet,s'il
estvrai
que la structure des opportunités politiques en Suisse est en général beaucoup plus ouvertequ'en
France, les revendications des acteurs de ladroite
radicale oréso^.enro mieux avec le modèle de ciroyenne-té de la
suisse,qui
r.éhicul.eune
conceprion.de la nation
ei.l rermes ethno- culturels.Etant
donné quela droite
radicaleaujourd'hui
se mobilise largementautour de i'immigration,
ceciofhe
desopportunités plus
favorablespour
cet acteur que les contexres oùil y
a de fortes composantes civiciues dans le modèle de citol'snne1é(Giugni
et al. 20û5).Illusieurs
érudestémoignent du
i:adicalismede droire et de son
potenriel(Bahler 1994; Car:tini
1992:Frischknecht 1991), ai'si que
dela
présence de sentimenrs narionalistes, xénophobes er racistes auprès de lapopularion
(Frisch-knecht et aL l9B7; Saint-Ouen i9B5; Windisch
19ZB).La
nouvelledroite
ad'ailleurs une longue
histoire
en Suisse(lost
1992).Du point
de vue de sa mo-bilisation,
elle aproduii un nombre important
d'événementssuffour
au début des années 1990(Altermarr
erKriesj
1995;Gendie 1996,1998). Il
existe ainsiaujourd'hui un potentiel importanr pour la mobilisarion
de I'extrêmedroite
en suisse.ce potentiei
créeentre
autres Iesconditions pour une
confi-onration entre cleuxmolllrements
antagonistes d.ans l'espacepublic: le mouvement
de soiidarité (principalemenr sorl aile antiraciste) et ladroite
radicale (Fassy etGiu-
gni 2005).Nous pou'ons
égalemenrconstater, cornme le fo't Alrermatt et
Kriesi(i995)
ainsi queGentile (r996), qu'un
perir groupe d'organisations esr resporl- sable dela majorité
des actions menées parla droite
radicaie au cours de la pé- riode que ces aureursont
étudiée(lgs4*1993).
Lepoint
intéressantqui
ressorr de leurs analyses est que iapl*part
des ér,énements proviennent cles quatre partis'r
de cette rendance
politique qui ont
su gagner des sièges au Patlement fec{éral en 1987 ouen
1991: Démocrates suisses, Lega cteiTicinesi, Parti
des automobilis- tes(aujourd'hui
Parti de laliberté)
etUnion
démocratique fédéraJe. Ces analysesrnontrent
clairement l'ancrage dela droite
radicale au sein des forces politiques çonventionnelles etnotamment
des partis. Cet ancrage devient, bien sûr, encore plusirnportant
si nous considérons la radicalisationdu
discours et des positionspoiitiques
del'Union Démocratique
cluCentre
clurat:t ces dernières années en matièred'immigration. Il
semble d'ailleursqu'une
des caractéristiques des mou- vements de ladroite
radicale est de se polariser surun
axed'intenendon
parti-.sane,
d'un côté, et de violence et de marginalisation (tels
les skinheads), deI'autre, alors que les
nouveaux mouvements sociauxont
développéun
large secteur demobilisation
extraparlernentaire démonstrativeet non-violente. Au- trement dit, i'action politique
clela droite
radicale se opolariseosur un
axeconventionnel-violent ne laissant que peu d'espace aux stratégies
non- conventionnelles modérées (les manifestations pacifiques,p.ex.), alors que
lesnouveâux mouvements sociaux agissent
principalement par le
biais de ce qype d'actions. Cependant, la violencepolitique
dedroite n'a
pas étéun
phénomène marginal, bien au contraire, même si la plus grande partie de lamobilisation
dela droite
radica.leen
Suisses'inscrit
dansle
cadrede Ia légalité (Altermatt
etKriesi
1995).Le
mouuementahermondialiste
Les dernières années
ont vll
émergerun
nouvel acteurcollectif
à l'échelle monr diale, appelétour
àtour
(mouvementanti/altefmondialister, (molrvement
pour une justice giobalen,(mouvement
no-globalo,(mouvenent porr
une globalisa-tion
par le basn, (mouvementcritique
de la globalisation)),polu
neciter
qtie lestennes les
pius
courânts.f)e façon plus
générale,olt
assisteaujourd'hui
à une vague de conrestationqui
comprencl à lafois
des mobilisations iocales et natio- nales,mais surtout des mobiiisations
transnationales(della Porta et
'f'arrow 2005; della Portaet
al.1999,2006; Fillieule
et al.2005; Smith 2004; Smith
et Johnson20û2; Sommier 2003; Tarrow 2005), et dont le dénominateur
com-mun
réside dansla lutte contre le
néolibéralismeet
dansla proixotion
de Iadémocratie à l'échelle rnondiale, avec la mise en avant de forrnes participatives et délibératives de démocr:atie (della
Porta 2005). Ce
mouvement sernble par ail-leurs avoir évolué d'une
phaseinitiale très
réactiveet oppositionnelle à
unephase récemment plus proactive et
propositionnelle
(Rossiaud2003),
avec entre autres lamultiplication
de cetteforme d'action
pârticulière que sont les forums sociaux.La
Suissen'a
pasété
épargnéepar
cemenouvelle
vaguede
contesration, mêmesi le mouveinent y
esr peut-êrrernoins irnportant qu'ailleurs.
Compte tenu c{e sa natur€ transnationale, les études empiriques existantes,qui
reposent sur des clonnéesindividueiles
collectées auprès des participants aux activités du mouvement (Bandler2005;
Fassyet
Bandler2003) ou
sur une anal,vse de con-tenu
systérnatique des soltrces de presses (Beyeler, à paraître; Beyeleret Hûb-
scher
2003;
Beyeleret Kriesi 2005),
analysenr souvenr Ie mouvement dans un cadre plus large que celui de la Suisse uniquement.Pour
cette nor-rvelle for:me de conresrarion,ii âudrait tenir
compte desop,
portunitéspolitiques
sesituant
au-delàdu
cadre narional. Pourtanr, les caracté- ristiquesdu
mouvement altermondiaiiste en Suisse dépendenr encore largemenr de certains aspects du contexre national dans lequelil
agit.Ainsi, s'il
est vr:ai que cemouvement
â souventfait ia rine
desjournaux iors
d'actions violentes,il
aprobablement éré
moins
radical en Suisse qu'ailleurs, aussi à causedu
moindre niveau de répression (mêmesi
celle-ci a étéplus forte
que celle exercée envers d'autresmouvements). De manière
générale,Ie mouvement
altermondialiste reflète largement les lignesde
conf-litet
les tr:aditionsde
conresrationqui ont
câractérisé la Suisse au cours de ces dernières décennies, eilparticulier
la faiblesse clu clivagede
classeet la force
des nouveaux mouvements sociaux (Eggerr etGiugni,
à paraître). Ceci est visible à la fois dans lesqpes
de réseau-r et organisa- tions impliqués dans le mouvement, ainsi que dans les enjernqu'il
soulève (Pas- sy et Bandler 2003).Le mouvement
altermondialiste estun mouvement
très hétérogènequi,
en Suisse, s'articule autour de deux branches principales, chacune avec ses stratégies et formesd'action. I)'une part, il y
a une branche modérée et institutionn:rliséequi
s'appuieprincipalement sur
des organisarionser
âcrivisres desdeux
nou- veaux mouvements sociaux lesplus importants
en Suisse (ie mouvement écoio- gisteet le mouvement
desoiidarité),
mais aussisur
des acteursinstitutionnels
teis que lespetits partis
clela
gauche er les syndicars (moins présents que dans d'autre pay,s, cependant).I)'âutre part, il y
a une branche plus radica.le et moinsinstitutionnalisée qui pivote autour
desmilieux
auronomes, anarchisteset
dessquatters.
Il est
encoretrop tôt pour âire
des pr:évisionssur l'évolution futule
du mouvementaltermondialiste, non
seulementen
Suissemais à l'échelle
mon- diale, ainsi que surle rôle qu'il
aurajoué. Parmi
les rares rravaux existant à cesujet, Beyeler
et Kriesi (2005) ont étudié l'impact
dela
contestarion conrre la globalisation économique dans I'espacepublic
àpardr d'une
analyse sysrémaTi- quede
septquoddiens
dans divers pays.Bien
quelimitée
à deux événements spécifiques-
ia contestation contre la conférenceministérielle
de i'OrganisationMondiale
clu Commerceet
cellecontre ia
rencontre annr-ielle dr"rlTorld
Eco-:l---
nomic
Forr.rm-
cette étudemontre que le Inouvement
altermondialiste peutagir sur Ia formation de i'opinion publique à
travers sesenjeux rnême
en i'absenced'un
soutien médiatique pour les âcteurs.4 Gonclusion
l.e constat
qu'on
avaitpu
fàireil y
a encole une quinzaine cl'années, selon lequella
recherchesur
les rnouvements sociauxen
Suisseétait marginale et
insérée dans unecomnlunalrté
des sciences sociales sous-développée, n'estplus
valableaujourd'hui.
Ce n'est pas urle tâche aisée que de résumer cetteIittérature
gran- dissante. Cependant, maigré ler-rr diversité et hétérogénéité, les c{ifférents travaux sur les iaouvements sociaux en Suisse m.ettent en. exergue l'i.rapact du conlexte-
politique,
social,culturel *
danslequel
les mouvements agissent.Dans le
lan- gage de I'approchedu
processuspolitique, qui
nous â accompagnétout
au long de cet essai, ceci setraduit par I'irnpact
des structures desopportunités politi-
ques(insdtutiolneiles
et discursives, générales et spécifiques) sur la mobilisation des rnouvements, que ce soientle
mouvementouvrier
et les autres m.ouvem.enttraditionnels,
1es nouveaux mouvements sociau;c, les mouvements dela
droite radicale,le mouvement
altermondialisteou
d'autres mouvenlentset
formes de contestation sociale.Dans cette perspective, la structure des
opportunités politiques
en Suisse fa- vorise finstitutionnalisation
des mouvenlents sociaux.Autreinent dit,
le systèmepolitique
suisse facilitel'incorporation
des groupes contestataires etl'intégration
des mouvements(Giugni
et Pâssy 1997). La scructure insticutionnelie ouverte-
surtout
l'existence des instrumer-rtsde
dérnocratiedirecte - et
les pi:océdulesinformelles
inclusivesfavorisent
finstitutionnalisation
des mouvementset
de leurs revendications. Cependant, ce processus ne dépend pas uniquernent de la structuredu
systèmepolitique
et desopportunités
ainsi offertes, mais est égale- rnentfonction
d'autres facteurs, tels qr.rela
nacure des enjeux soulevés,la
struc-ture
organisationnelle des mouvemeûtset
leui: répertoired'actions. f)ans
cer-tains cas, I'incorporation est tellernent prononcée que I'on constate
unetran.sformation des mouvelnents sociaux en associations d'intérêt.
Cela n'empêche pas que de nouvelles formes de contestatior, sociale puisseu.t émerger, comme en témoiqne p.ex.I'importante mobilisation
clu moutrement alterrnon- dialiste pendant ces dernièr'es années.Note:
*
Pour des raisons d'espace, les références aux travaux qui ne portent pas sur la Suisse ont été réduites au strict minimum. Je remercie Marko Bandler, Didier Chabanet et Hanspeter Kriesi pour leurs commentaires sur une version précédente de ce chapitre.I
Cette importante recherche a débouché sur un nombre de travaux pofiant sur le potentiel, la participation et ses formes en général (Kriesi 1985; Kriesi et al 1981; Ltvy et Zwicl<y l9B4;Zwiclcy 1982), ainsi que sur des mouvements spécifiques comme le mouvement antinucléaire (Kriesi 1982), Ie mouvemenr écologiste (Lévy 1981; Zwicky 1993),le mouvement des autono- mes urbains de Zufich (IGiesi 1984) ou encore le mouvement jurassien (Ganguillet 1984).
Pour une version urlgarisée des résultats généraux de la recherche, voir Duvanel et Lely (1 984).
2
Il existe plusieurs ouvrages généraux sur les mouvements sociaux. Parmi ceux-ci, nous pouvons mentionner della Porta et Diani (2006), Snow et aJ. (2004), Tarrow (1998), Tilly (1978, 2004) et, en français, Cattacin etal. (1997), Fillieule et Péchu (2000) et Neveu (2005).3
L'introduction de la démocratie directe en Suisse peut également êrre vue comme un produit de l'action contestatâire, un produit qui a été facilité par certaines conditions qui ont trait à la structure des opportunités politiques, telles que le fédéralisme, l'absence d'institutionnalisation de I'Etat et une division au sein des élites politiques (Kriesi et rVisler 1999).4
Yoir Wisler (1994) pour une étude détaillée de Ia radicalisation des mouvemenrs sociaux en Suisse.5
On a également pu montrer que, étant donné la structure fédérale de la Suisse, des difftrences existent au sein même de la nation en ce qui concerne les opportunités spécifiques dans ce domaine (due à la présence de u66d61.. de citoyenneré canronaux)). Ceci pourrait expliquer une difftrente intervention des migrants dans I'espace public d'un canton à l'autre (Eggert et Murigande 2004).6
En plus de la pacification du conflit de classe, 1e mouvement ouvrier suisse a également subi les conséquences négatives de 1a présence de clivages culturels importanrs qui ont divisé le mou- vement dès son apparition sur la scène politique, ainsi que de la démocratisation précoce, qui l'a vite privé de son objectifprincipal (Bartolini 2000).7 Il
existe une littérature considérable sur le mouvement ouvrier en Suisse, que ce soit sur sonhistoire (Garbani et Schmid 1980; Groupe de travail pour I'histoire du mouvement ouvrier Zurich 7978; Gruner 1987-1988; Hardmeier 7970;
Leni
1990; Revue Européenne des Sciences Sociales 1973; Studer et Vallotton 1997a, 1997b; Vuilleumier 1973; Vuilleumier et aJ. 1973), sur ses organisations (Degen 1991) ou sur des périodes de lutte particulièrement intenses (Vuilleumier et aJ.. 1977).8
Contrairement aux données de Kriesi et al. (1995), le mouvement étudiant ûgure ici parmi lesnouveau mouvements sociau.
9
Le mouvement ouvrier est ici inclus dans les mobilisations traditionnelles.10 On peut, comme le fait Passy (1998), considérer le mouvement de solidarité comme éranr constitué de quatre branches: (1) l'aide au développement, (2) les droits humains, (3) l'asile et (4) l'antiracisme. Ce sont surtout l'aide au développement et l'asile qui ont mobilisé en Suisse.
De façon assez surprenante, f importance de ce mouvement en Suisse a pour contrepartie un nombre extrêmement réduit de travaux qui y sont consacrés (de Rahm et Martin 1976; Passy et Giugni 2000,2001; Passy 1998,2001).
L